L'Ermitage Du Misanthrope. (1869) Par Alfred cauvet. (18??-19??) PARIS IMPRIMERIE DE JOUAUST RUE SAINT-HONORÉ, 338 1869 Cette édition, tirée à un petit nombre d'exemplaires, n'est destinée qu'aux amis de l'auteur. TABLE DES MATIERES A Molière. Personnages. Scène I Scène II Scène III Scène VI Scène VII Scène VIII Scène IX Scène X Scène XI Scène XII Scène XIII Scène XIV Scène XV Scène XVI Scène XVII Scène XVIII Scène XIX Scène XX A Molière. Comme un lierre tardif qui rampe au pied d'un chêne, Si j'ose à ton chef-d'oeuvre ajouter une scène, Pardonne-moi, Molière, en retrouvant ton coeur Dans ton héros vieilli déposant sa fu eur: Car dans l'aversion dont il nous enveloppe C'est le dépit qui fait gronder ton misanthrope; Tel un sincère amant qui ne se plaint si haut Que parce qu'il voudrait la beauté sans défaut. C'est l homme qui plus tard, fuyant nos injustices, Met en oubli « le gouffre où triomphent les vices » Et qui par le malheur se laissant attendrir, Lui-même ayant souffert, cherche à le secourir; Bien différent alors, dans son doux ermitage, De ce Philinte aigri par un sot mariage: Triste exemple où l'époux tourmenté peut se voir Le matin Démocrite, Heraclite le soir Voilà comme j'ai cru peindre notre inconstance, Heureux si mon crayon cherchant la ressemblance Ne prête un aspect faux, sous mi tremblante main, A ton tableau si vrai, miroir du coeur humain! Personnages. ALCESTE, vieux célibataire. PHILINTE, mari de Dorimône. ERASTE, amant de Lucile. DORIMÈNE. vieille coquette. LUCILE, pupille d'Alceste. DUBOIS, valet d'Alceste. La scène est en Bretagne, près de Quimper. vers 1690, chez Alceste. Scène I PHILINTE, DORIMÈNE. DORIMÈNE. C'est a n'y plus tenir, Philinte, et votre Alceste Prend à nous faire attendre un plaisir manifeste. Chez les grossiers Bretons c'est donc là, je le vois, Comme on sait accueillir un ami d'autrefois? PHILINTE. Voilà le ton charmant qui distingue ma femme! Faut-il vous répéter qu'après vingt ans, madame, Alceste ne saurait me supposer si près? Or, son valet n'ayant pas reconnu mes traits, Je veux voir, sans donner la plus légère atteinte, Si le maître à son tour méconnaîtra Philinte. Il ne saurait tarder, d'ailleurs; vous savez bien Qu'il n'est pas seul: laissons finir son entretien. DORIMÈNE. Quoi qu'il en soit, monsieur, ce relard nous offense. Et puis, pourquoi ne pas révéler sa présence? Peut-on, de bonne foi, venir près de Quimper, Au fond de ce pays sombre comme un enfer, Pour y jouer d'abord un rôle si fantasque? Pourquoi dans ce désert ne pas vous mettre un masque? Quel caprice avez-vous d'y cacher votre nom? PHILINTE. Dorimène, un seul mot: suis-je le maître ou non? DORIMÈNE. L'insulte est révoltante: oui, vous êtes le maître Et ce ton absolu le fait assez connaître. PHILINTE. C'est vrai: vous n'êtes plus la femme du vieillard. Qui dut vous épouser par force et qui trop tard S'aperçut comme moi que cette Dorimène Si galamment parée, était une sirène, Une coquette outrée, un démon qui, pardieu! Ne saurait m'effrayer. Mais ce n'est pas le lieu Pe revoir ce chapitre et de faire un esclandre. Sortons quelques instants, puisqu'on nous fait attendre. Ce tableau pour Alceste aurait fort peu d'attrait, Madame, et, d'autre part, je crois qu'il donnerait A mon cousin, pour qui nous faisons ce voyage, Moins d'ardeur à poursuivre ici son mariage. DORIMÈNE, riant amèrement. Oui, l'exemple n'est pas des plus encourageants, Et je rirais beaucoup si ces deux jeunes gens Trouvaient un jour entre eux ce violent contraste! PHILINTE. Ce rire est insensé ; mais je connais Eraste, Et sa femme vaudra mieux que vous! DORIMÈNE. Grand merci, Vos termes sont galants! PHILINTE. Assez! Sortons d'ici! Songez que mon cousin doit être avec Alceste, Et que s'ils entendaient ces cris que je déteste... DORIMÈNE. Des cris, monsieur, des cris? PHILINTE. Vous voyez, quelle voix! Sortons. DORIMÈNE. Eh bien, sortons sans le dire vingt fois. (Ils sortent en continuant de se quereller.) Scène II. ALCESTE, ERASTE. ALCESTE. N'ai-je pas entendu parler? Non, je me trompe. (A Èrasle qui le suit.) Venez, il ne faut pas que je vous interrompe. Si j'interprète bien le sens de vos discours, Vous me croyez sensible, Eraste, à vos amours, Et vous me demandez la main de ma pupille. ERASTE. Oui, monsieur, dès longtemps votre nièce Lucile Par sa grâce ingénue a captivé mon coeur, Et l'obtenir de vous ferait tout mon bonheur. ALCESTE. Eraste, vous savez combien je suis sincère: Je vous parlerai donc comme ferait un père. Le vôtre, mon voisin, mourut voilà deux ans. Je le voyais un peu. Ses propos engageants Avaient forcé ma porte, à ma grande surprise. Fuyant loin des humains, mon austère franchise M'avait fait rechercher ce coin, près de Quimper. Mon esprit, autrefois peut-être trop amer, Après vingt ans passés dans cette solitude, D'oublier les méchants fit sa plus chère étude L'âge et l'examen calme ont beaucoup adouci L'aigreur qui m'animait lorsque je vins ici. Pour dissiper mon fiel ma nièce a fait le reste: Lucile a transformé le misanthrope Alceste. Orpheline arrachée à la contagion, Elle cicatrisa par son affection Les blessures qu'ouvrait mainte arrière-pensée. Et lorsque par l'oubli ma haine est remplacée, Un étranger viendrait, ravivant mon courroux, M'ôter ce que le sort m'a donné de plus doux! Non, non, à vos desseins je ne saurais me rendre, Et comme Diogène au superbe Alexandre, Je vous dis: « Laissez-moi mon rayon de soleil! » ERASTE. Mais ne puis-je, monsieur, de ce rayon vermeil Partager avec vous l'éclat qui vous inonde? Faut-il que sa clarté se cache loin du monde? ALCESTE. Ne parlons pas du monde en ce paisible abri, Et quittons, croyez-moi, ce langage fleuri. D'ailleurs, plus j'ai vécu, plus j'ai sondé l'abîme Où l'inexpérience engloutit sa victime; Et quand un imprudent semble près d'y plonger, Malgré lui-même il faut le soustraire au danger. ERASTE. Non, le bonheur n'est pas un danger, et l'usage Nous montre qu'en amour l'imprudent c'est le sage. ALCESTE. Le sage à se résoudre est moins précipité. Libre à vos jeunes fats de la société D'avoir ces sentiments, dont le temps fait justice: Morbleu! ce n'est pas moi qui serai leur complice! Ah! je redeviens donc l'Alceste d'autrefois, Puisque l'on me retrouve assez plaisant, je crois! ERASTE, souriant à demi. Aucunement, monsieur, et votre humeur, en somme. N'atteste qu'un défaut assez commun chez l'homme. ALCESTE. Et ce défaut, monsieur, comment le nomme-t-on? ÉKASTE. L'égoïsme, s'il faut l'appeler par son nom. ALCESTE. Eh bien, soit! j'en conviens, car je ne sais pas feindre; Et, dût l'opinion du monde entier m'atteindre, Je garderai, monsieur, ma nièce à mon foyer. Rien ne peut la conduire à me sacrifier. Ne sachant même pas les efforts de la lutte, Ma Lucile vivra sans jamais être en butte Aux vices que le siècle offre de toute part. Est-ce clair? Vous voyez qu'on vous parle.sans fard; Et comme vos projets n'auraient jamais de suites, Vous me ferez plaisir de cesser vos visites. (D'un ton radouci, en revenant sur ses pas.) Pourtant, quand par hasard je vous rencontrerai... ERASTE. Bien, monsieur, il suffit. (A part.) Ah! mais je reviendrai... Philinte, mon parent, tarde bien à paraître. Il devait cependant me suivre. Où peut-il être? Bah! qu'importé? Je peux ici rentrer sans lui: L'amour n'a-t-il donc pas la ruse pour appui? (Haut.) Adieu, monsieur. Scène III. ALCESTE. Il doit me trouver bien farouche; Mais quoique son dépit au fond du coeur me touche, II faut que mon repos passe avant son amour. Essayons maintenant d'empêcher son retour. Holà! Dubois! Scène IV. ALCESTE, DUBOIS. DUBOIS. Monsieur. ALCESTE. Tu connais ce jeune homme? DUBOIS. Oui, monsieur; n'est-ce pas Eraste qu'il se nomme? ALCESTE. C'est Eraste, en effet. S'il vient heurter chez moi, Dis-lui qu'on n'entre pas. DUBOIS. C'est un peu dur, ma foi. ALCESTE. Point de réflexions. Il peut arriver même Qu'afin de s'introduire il trouve un stratagème: Sache le démasquer. DUBOIS. Fort bien. ALCESTE. Mais, à part lui, N'as-tu pas vu quelqu'un à ma porte aujourd'hui? DUBOIS. Quelqu'un? attendez donc... c'est à ne pas le croire, Et je n'y songeais plus. Vrai, je perds la mémoire. ALCESTE. Qui peut être venu? DUBOIS. C'est vraiment singulier. ALCESTE. Mais qui? DUBOIS. Ces visiteurs, j'allais les oublier. ALCESTE. Mais leurs noms? DUBOIS. Ah! voilà ce que je ne puis dire. ALCESTE. Il est fou. -Me vas-tu tirer de ce martyre? IS'as-tu pas demandé leurs noms? DUBOIS. Moi? nullement. On les saura toujours s'ils reviennent. ALCESTE. Vraiment! Mais ne devais-tu pas, à moins d'être imbécile?... (Voyant que Dubois semble tout déconcerté.) Pardon, mon pauvre vieux. Va me chercher Lucile. Scène V. ALCESTE. Quels sont ces visiteurs? au fond de ce désert Comment ces étrangers m'auraient-ils découvert? Qui sait si ce blondin, voulant me faire pièce, N'a pas imaginé... Mais j'aperçois ma nièce. Scène VI. ALCESTE, LUCILE. LUCILE. Mon bon oncle, comment allez-vous ce matin? ALCESTE. Très-bien, ma chère enfant. (A part.) A propos du blondin, J'ai, je ne sais pourquoi, soupçon do quelque chose. Tâchons de la sonder. (Haut.) Approchez, belle rose; Offrez-nous le parfum du baiser matinal. (A part, après l'avoir embrassée.) 0 suave innocence! incarnat virginal! (Haut.) Assieds-toi près de moi, là. Parle-moi sans crainte. A ton âge la tète est quelquefois atteinte D'un mal que je connais et qu'on appelle ennui. Voudrais-tu voyager? Réponds sans détour. Oui? LUCILE. Non, je me sens heureuse où je fus élevée, El la félicité qu'ici-bas j'ai rêvée N'est pas ce vain plaisir d'un esprit inconstant Qu'on dit toujours avide et toujours mécontent. Cher oncle, comme vous j'aime notre Bretagne, Et, loin que cet ennui dont vous parlez me gagne, Je ne demande rien que de passer mes jours Dans ces lieux où le ciel en a fixé le cours. ALCESTE. J'approuve ce dessein. Mais pourtant, ma Lucile, Malgré le calme heureux que t'offre cet asile, Comme sur l'avenir on ne saurait compter, Peut-être ton mari le le fera quitter? LUCILE. Jamais! -A moins pourtant qu'avec lui voulant vivre, Mon cher oncle et tuteur ne consente à nous suivre. ALCESTE. Lui! qui, lui? LUCILE. Mais comment? vous-même l'avez dit: Mon mari. ALCESTE. Mais son nom?.. A cet air interdit Je vois qu'à mon insu, comme tant de coquettes, Vous avez d'un jeune homme écouté les sornettes. LUCILE. Vous vous trompez, mon oncle; il ne m'a point parlé. ALCESTE. Mais de quelque façon son but s'est révélé. Apprenez qu'il est mal de voiler ce mystère A celui qui voulut vous tenir lieu de père. Votre âge irréfléchi causa seul cette erreur; Mais il faut prendre garde aux méprises du coeur; Et telle comme vous de ce feu fut ravie, Qui dut le regretter le reste de sa vie. Après tout, sur vos pas comme je dois veiller, A votre instruction je saurai travailler, Et vous gardant ici, sans vouloir rien entendre, Prier tous ces blancs-becs d'aller ailleurs.... s'éprendre. LUCILE. Quel mal ai-je donc fait pour qu'on me gronde ainsi? Vous ne m'aimez donc plus, mon bon oncle? ALCESTE. Mais si, Ma chère fille, et c'est ton seul bien qui m'excite A te montrer l'écueil que la prudence évite. Je ne veux pas, vois-lu, que tu pleures un jour L'entraînement fatal de cet aveugle amour. Que la folle jeunesse et le suive et l'écoute, Le temps lui montrera plus tard ce qu'il en coûte: Et les pleurs, les soupirs," les regrets, les tourments, Sont les moindres effets de ses enchantements. LUCILE. C'est bizarre; pour moi je n'y voyais que joie. ÀLCESTE. C'est ainsi que toujours pour mieux saisir sa proie Ce démon à nos yeux apparaît plus brillant. Sache donc résister à ce monstre attrayant, A ce vampire aimable. LUCILE Ah ! la vie est affreuse, Puisqu'un plaisir si doux peut rendre malheureuse. (A part.) Mais mon cher oncle veut produire trop d'effet, Et ce démon n'est pas si méchant qu'il le fait. Scène VII. ALCESTE, LUCILE, DUBOIS. ALCESTE. Que veut Dubois avec cette face ahurie? DUBOIS. C'est notre receveur des tailles qui vous prie De payer vos impôts, monsieur, et je viens voir S'il faut avoir aussi peur de le recevoir. ALCESTE, riant. Mais non, Dubois: ce n'est pas lui que je redoute. Ne poussons pas trop loin le soupçon et le doute. C'est Eraste lui seul qu'il nous faut écarter. Dis à ce receveur qu'il peut se présenter. DUBOIS. Le voici. Si jamais je vois notre jeune homme... (Il fait un geste menaçant.} Scène VIII. ALCESTE, ERASTE, LUCILE. (Eraste est déguisé en vieux receveur des tailles. Long manteau, lunettes vertes, grand chapeau, perruque grise, gros sac d'argent. Il entre en faisant force salutations.) ALCESTE. Asseyez-vous, monsieur; je vais chercher la somme. Eh mais, vous n'êtes pas celui de l'an dernier? ERASTE, se levant et d'un ton grave en nasillant. Non, mais c'est mon patron qui voulut m'envoyer, Monsieur ; je vais pour lui faire ainsi mainte course Et du surintendant remplir un peu la bourse. (Il se rassied.) ALGESTE, riant. Un peu beaucoup, je crois. ERASTE. Ah ! l'on se plaint toujours. Les cris des imposés nous rendraient bientôt sourds; Mais par bonheur l'usage endurcit nos oreilles. ALCESTE. Et vos coeurs. ERASTE, se levant. Quelquefois. Dans des charges pareilles Il faut jouer son rôle, ci, dans l'occasion, Dissimuler l'ardeur de son émotion. (Lucile fait signe qu'elle a compris.) Je sais, pour nous payer, que souvent ou se prive; Mais enfin il faut bien, monsieur,que l'État vive. (Il se rassied.) ALCESTE. En donnant la pâture à vos larges becs! ERASTE. Soit! Pourtant, monsieur, l'État donne autant qu'il reçoit. ALCESTE. Quoi donc? ERASTE. Son assistance; et sa besogne est rude. Il vous protège même en cette solitude. ALCESTE. D'accord. Mais nos Bretons ne sont pas des voleurs, Et je ne crains que ceux qui s'adressent aux coeurs. (D'un air mystérieux.) Vous m'entendez? ERASTE, se levant. Mais non. ALCESTE, bas, en montrant Lucile. La brebis peut séduire, Et le loup dévorant au bercail s'introduire. Que ferait en ce cas l'argent de mes impôts? Aurait-il le pouvoir d'assurer mon repos? ERASTE, baissant aussi la voix: Mais trop s'inquiéter est un mauvais système: Je trouve, quant à moi, votre frayeur extrême. Admettons que je sois le loup en question. ALCESTE, de même. Ah! vous, c'est différent. ERASTE, de même, en riant. Oh! la prévention! ALGESTE, de même. Votre âge, ce dehors, votre simple langage Ne sauraient me donner de soupçon, ni d'ombrage. ERASTE, de même. Et vous avez raison. ALCESTE. Ce n'est certes pas vous Que l'on mettrait jamais au nombre de ces loups. ERASTE. Non, jamais! ALCESTE. Et l'on peut quelquefois, j'imagine, Juger, quoi qu'on eu dise, un homme sur sa mine. ERASTE. Oui, souvent. LUCILE, à part. Ah! grand Dieu! s'il allait se trahir... ALCESTE. Parlons bas, s'il vous plaît: elle pourrait ouïr, Malgré son air rêveur, ce qu'il faut qu'on lui cache. ERASTE, baissant la voix. Nul danger que jamais la chère enfant le sache. ALCESTE. Fort bien. Elle devrait n'avoir devant les yeux Que des gens comme nous, d'un âge sérieux. ERASTE. Si pourtant un jeune homme aussi bien né que sage La voulait épouser? ALCESTE. Non, point de mariage. ERASTE. Pourquoi? ALCESTE. Le charbonnier est maître en sa maison, C'est ma seule réponse. ERASTE. Une triste raison, Car il se peut qu'un jour, défiant l'oeil du maître, L'amant mis à la po te entre par la fenêtre. ALCESTE. C'est bon; j'aurai toujours quelqu'un pour y veiller. Je rends grâce à qui vient ainsi me conseiller, Et ma reconnaissance à ce propos est telle Que je vais un instant vous laisser avec elle. ERASTE. Ce m'est beaucoup d'honneur. ALCESTE. Donnez donc ce papier; Je vais chercher l'argent et reviens vous payer. Vous là qui rêvassez, veuillez, jeune Lucile, Faire excuser un peu ma sortie incivile. (Il sort, la quittance à la main.) Scène IX. ERASTE, LUCILE. ERASTE. Enfin il est parti, ce terrible tuteur! LUCILE. Ah! monsieur, taisez-vous: j'ai cru mourir de peur. ERASTE, Otant son déguisement. Zeste! en un tour de main je quitte ma défroque. Mais quoi! Vous pâlissez... LUCILE. La frayeur me suffoque: Si tout à coup, monsieur, mon oncle allait rentrer? ERASTE. Ne craignez rien; le sort qui m'a fait rencontrer L'homme qui m'a laissé jouer son personnage Ne saurait m'arrêter en un si beau voyage. Mais, de grâce, écoutez. Le temps est précieux. Je vous aime, Lucile, et j'atteste les cieux Que jamais il ne fut d'affection plus tendre, Que pour vous, sans faillir, je puis tout entreprendre, Si vous n'avez pour moi ni haine, ni mépris. LUCILE. Qui! moi, vous mépriser? Loin de là!... ERASTE. J'ai compris. Oh! merci mille fois et de toute mon âme! LUCILE. Mais je crois que c'est mal, et mon tuteur me blâme; II soutient qu'à nos voeux il saura résister. ERASTE. Ah! tous deux nous vaincrons, si nous voulons lutter. Mais, que dis-je, tous deux? Nous allons être quatre, Car deux de mes parents avec nous vont combattre. L'un d'eux fut son ami. Je les ai fait venir Pour décider bientôt votre oncle à vous unir. LUCILE. Ah! s'ils réussissaient! ERASTE. Oui, vous pouvez m'en croire, Et, grâce à leur appui, nous aurons la victoire. LUCILE. Je ne sais, mais mon oncle était bien irrité, Lui dont j'ai tant de fois éprouvé la bonté, Lorsque à propos de vous il disait tout à l'heure Que rien ne nous ferait quitter notre demeure. ERASTE. Oui, sur son changement l'homme a beau s'aveugler, Toujours par quelque point il doit se ressembler. Qu'il ait donc là-dessus sa volonté pour guide! Le bonheur n'est-il pas où notre amour réside? Et... LUCILE. Silence; j'entends revenir mon tuteur. ERASTE, remettant son déguisement. Vite, je me rechange en clerc de receveur. (D'un ton sentencieux ) Oui, mademoiselle, oui; le palais de Versailles Doit sa magnificence à l'argent de nos tailles. Scène X. ALCESTE, ERASTE, LUCILE. ALCESTE, donnant de l'argent à Eraste. Prenez toujours, monsieur, celui qui vient de nous. ERASTE. Merci. Daigne le ciel vous préserver des loups! ALCESTE. Bah! leur entrée ici ne sera pas facile. ERASTE. Au revoir. (Bas, en s'en allant.) Je vous aime et j'espère, Lucile. ALCESTE, à part. Que lui dit-il tout bas? ERASTE. Encore un coup, merci! Scène XI. ALCESTE, LUCILE. (Lucile va à la fenêtre, d'où elle fait des signes à Eraste.) ALCESTE, à part. J'ai peut-être mal fait de les laisser ainsi. Qui sait? -Doit-on avoir ou crainte ou confiance? De quel côté faut-il que penche la balance? L'homme, vu de sang-froid, est-il mauvais ou bon? Qui doit-on écouter? L'instinct ou la raison? L'un nous pousse en avant, et l'autre nous arrête. Pour cette fois le coeur l'emporta sur la tète. Pourquoi me méfier, après tout, et pourquoi Ne vouloir pas juger tous mes frères par moi? Oui, d'Alceste vieilli la colère est passée, Et puis la méfiance attriste la pensée. Il est doux de songer que le verbe de Dieu Dans le même limon souffla le même feu, Et, dût-on se voir dupe, ayant été crédule, La bonne foi surprise est un beau ridicule! Donc à ce visiteur je pouvais me fier, Ou je devrais toujours haïr le monde entier! LUCILE. Ah ! mon oncle, venez donc voir à la fenêtre: Voici deux étrangers. (A part.) Mes deux sauveurs, peut-être! ALCESTE. Tant de monde chez moi m'effraye, en vérité! Et jamais un désert ne fut plus fréquenté. Scène XII. ALCESTE, LUCILE, DUBOIS. DUBOIS. Pour cette fois, monsieur, souffrez qu'on vous apprenne Ce que vous ne pourriez soupçonner qu'avec peine. ALCESTE. Parle, ces visiteurs, qui sont-ils? DUBOIS. Devinez. ALGESTE. Leurs noms? DUBOIS. Cherchez. ALCESTE, levant la voix. Leurs noms? DUBOIS. Puisque vous y tenez.. Pourtant, en cherchant bien... ALCESTE. Ah! c'est trop de contrainte! Scène XIII. ALCESTE, LUCILE, PHILINTE, DORIMÈNE. PHILINTE. Eh! parbleu! c'est moi! ALCESTE. Qui, vous? PHILINTE, après un moment de silence, riant. Votre ami Philinte (Présentant Doriméne.) Et sa femme. ALCESTE. Philinte! et par quel heureux sort?... PHILINTE. Vous le saurez bientôt Embrassons-nous d'abord. Laissez-moi maintenant voir à mon tour, Alceste, Si j'eusse reconnu vos traits? Non, je l'atteste. ALCESTE. Ah! le temps sur nos fronts a fauché sans pitié, Mais il nous laisse au coeur la fleur de l'amitié. (A Doriméne.) Oh! madame, pardon ! cette amitié m'égare: Vous avez devant vous un sauvage, un barbare, (Présentant Lucile.) Et sa nièce, une enfant dont il est le tuteur. DORIMÈNE, avec affectation. Je la regarderai, monsieur, comme une soeur. PHILINTE. Dites plutôt, madame, avec des yeux de mère. DORIMÈNE. Oui, c'est cela. (Bas, à Piilinte.) Toujours quelque parole amère. Je suis vieille, soit ! mais de dix ans moins que vous. PHILINTE, de même. De grâce, laissons là nos querelles d'époux. DORIMÈNE, à Lucile. Comment vous nomme-t-on, ma chère enfant? LUCILE. Lucile. DORIMÈNE. Bien; pour plaire un beau nom n'est pas chose inutile, Surtout quand avec grâce on nous le voit porter. LUCILE. Ah! madame, je crois que vous m'allez gâter. DORIMÈNE. Peut-être. Mais ici nous sommes une cause De gène et d'embarras. ALCESTE. Pardon! DORIMÈNE. Et je propose Qu'au jardin toutes deux nous allions faire un tour. (Lui donnant le bras et d'un ton affecté.) Mon enfant! LUCILE , à pari. Que le ciel protège notre amour! Scène XIV. ALCESTE, PHILINTE. ALCESTE, montrant Lucile qui sort. Eh bien, qu'en pensez-vous? Sa grâce souriante Rappelle, n'est-ce pas, la sincère Eliante? PHILINTE. Ah! ne prononcez pas un tel nom devant moi; Ne me parlez jamais d'Éliante. ALCESTE. Pourquoi? PHILINTE. C'est parce qu'ayant fait le bonheur de ma vie, Après dix ans, hélas! elle me fut ravie. Ces dix ans ont passé comme un jour de printemps. Tendresse, plaisirs purs, joie et rires constants, Franchise, dévouement, simplicité candide, Et sans coquetterie attachement solide, Voilà ce qu'avec elle, Alceste, j'ai perdu. Ah ! pourquoi le destin nous a t-il défendu Ces beaux jours d'autant plus charmants qu'ils sont plus rares! Oui, le sort a souvent des caprices bizarres. Oh! je devins méchant dès lors, et je compris Que mon flegme autrefois abusait mes esprits, Et qu'on est misanthrope en face de l'épreuve! ALCESTE. Philinte misanthrope! Ah ! l'aventure est neuve! PHILINTE. Écoutez jusqu'au bout, car tout ceci n'est rien. Indulgent et facile, en tout voyant le bien, J'épousai Dorimène, une coquette folle Dont je comptais plus tard guérir l'esprit frivole. Erreur! car on ne peut, Alceste, imaginer Combien a tort celui qui se laisse entraîner, Et comme il faut qu'un jour ce mari faible expie Les funestes conseils de la philanthropie! ALCESTE. Il vaut mieux sur ce point croire que d'aller voir. Mais vous regardez tout dans un méchant miroir, Et si j'étais de vous, pour ce qui vous afflige, Mon flegme philosophe... PHILINTE. Il m'abusait, vous dis-je. Heureux, je voyais tout par le plus beau côté; Mais le sort est mobile, et notre humanité Selon les accidents change ou se modifie. Il a beau jeu, l'ami de la philosophie, De voir avec sang-froid nos maux suivre leur cours; Mais qu'il souffre lui-même, adieu ses beaux discours! ALCESTE. Mais encore faut-il que la raison nous aide: A nos chagrins, Philinte, il est plus d'un remède. PHILINTE. Non, Alceste, il n'est point pour moi de guérison. Eh! que ferait ici, dites-moi, la raison? On peut d'une bergère éclairer l'ignorance, D'une froide beauté vaincre l'indifférence; L'homme supérieur peut courber la fierté De celle dont il fut dès l'abord rebuté; Un mari peut changer la volage en fidèle Et l'amour rendre enfin la laideur presque belle. Mais celle que jamais on ne sut transformer, Pour qui nos vains efforts doivent se consumer, C'est, vous le devinez, c'est la femme coquette, La femme dont plus tard l'esprit et la toilette Luttent contre les ans qui viennent l'assaillir, La femme qui vieillit et ne veut pas vieillir. ALCESTE. Ah! combien je vous plains! Mais ce portrait ramène Un nom dans mon esprit. Que devient Célimène? PHILINTE. Elle a pris pour époux un joueur endurci, Un vieux fat, un brutal, ALCESTE. Je suis vengé, merci! PHILINTE. Et moi par trop puni de ma faiblesse. 0 honte! 0 lâcheté! Malheur à celui qu'elle dompte! L'ami du genre humain n'est qu'un triple niais. Mais c'est trop vous conter mes ennuis, je me tais. La souffrance fatigue, à parler d'elle-même. Voyons si, vous joignant à mon juste anathème, Vous restez contre tout prêt à vous enflammer, Comme ce furieux que rien ne peut calmer. ALCESTE. C'est étrange; entre nous la distance est énorme. Donc, le mauvais destin à ce point vous transforme; Non que je croie au fond qu'un mal exagéré Vous rende misanthrope au suprême degré. Peut-être n'êtes-vous qu'un peu moins optimiste: Mais enfin vous souffrez, le monde vous attriste; Tandis que moi, Philinte, en ce paisible abri J'ai cherché mon remède et le temps m'a guéri, Oui, le temps! Et pour bien achever cette cure, Que fallait-il encoi'? Contempler la nature, Vivre loin des méchants sans trouble et sans remords, Les laisser à se nuire épuiser leurs efforts, Et, seul, vers le ciel pur élever mes pensées, Sans entendre monter leurs clameurs insensées. Et puis j'ai réfléchi: j'ai pesé, j'ai jugé; Les causesxles effets, j'ai tout interrogé; Et de cet examen quelle est la conséquence'? C'est qu'en moi la fureur fait place à l'indulgence. PHILINTE. Ah! certes, nous voilà bien changés lous les deux! ALCESTE. Puis, regardant le mal moins que les malheureux, J'allai, m'aventurant jusque vers leurs chaumières, Aider et conseiller ces natures grossières. Ainsi, par l'indulgence et la pitié conduit, J'appris que du bienfait le bonheur est le fruit, Et ces soins généreux et cette ardeur féconde Bientôt dans ce désert m'ouvrirent tout un monde! PHILINTE. Je comprends les moyens qui vous ont converti; Mais je ne saurais prendre un semble parti: Car je ne suis pas seul. Ah! mon ami, la lutte! La vanité! l'orgueil! la soif de la dispute! Et tous ces coups d'épingle en nos duels quotidiens! Ah! parlons d'autre chose... -Au milieu de vos biens Vous n'avez pas cité votre jeune pupille? ALCESTE Non, Philinte, c'était pour le moins inutile, Et tout me défendait de vous faire envier Cette innocente paix qui veille à mon foyer. PHILINTE. Bien, j'en parlerai donc et je viens vous apprendre Qu'Eraste, mon cousin, pour femme la veut prendre; Qu'il est doux, jeune, beau, simple, bien élevé. ALCESTE, à part. Ce que j'avais prévu n'est il pas arrivé? PHILINTE. Et qu'il ne déplaît pas, du moins il le suppose. ALCESTE. Permettez qu'à mon tour je parle d'autre chose: Vos amis d'autrefois, que sont-ils devenus? PHILINTE. Je ne sais. -Puis il a d'excellents revenus. ALCESTE. Apprenez-moi le sort d'Acaste et de Clitandre. PHILINTE. Tous les deux mariés. Mais veuillez donc m'entendre. ALCESTE. Arsinoé la prude? PHILINTE. Est entrée au couvent. -Puis il aura mes biens, étant mon seul parent. Mentionnons de plus son titre de vicomte. ALCESTE. Que fait, répondez-moi, votre poète Oronte? PHILINTE. Plus de sonnets. -En somme, il doit charmer toujours. ALCESTE. Oronte? PHILINTE Non, Eraste. -Eh! laissons ces détours; On ne saurait traiter deux matières ensemble. Ce parti n'est donc pas si mauvais, il me semble? ALCESTE. Oronte ne ferait plus de sonnets? PHILINTE. Eh non! ALCESTE. Plus de petits vers? PHILINTE. Non. ALCESTE. Mais qu'est-ce qu'il fait donc? PHILINTE. Vos oreilles, Àlceste, en vont être assourdies. ALCESTE. Serait-il fou? PHILINTE. Tout juste: il fait des tragédies! (Ils éclatent de rire.) Scène XV ALCESTE, PHILINTE, DORIMÈNE, LUCILE. (Ces dernières ont ôté leurs coiffures et ont des fleurs dans les cheveux.) DORIMÈNE, bas, à Lucile. Entrons, ma chère enfant. Calmez votre frayeur, Et sachons profiter de cette bonne humeur. (A Alceste.) Ah! monsieur, nous venons d'encourir votre blâme En ravageant vos fleurs. ALCESTE. C'est fort bien fait, madame. PHILINTE, bas, à Dorimène. Des fleurs dans vos cheveux.... à quarante ans passés! Prenez vite un cerceau: courez, allons, dansez! DORIMÈNE , bas, à Philinte. Oh! vous êtes cruel! PHILINTE, de même. Et vous par trop risible. ALCESTE, à Dorimène. El comment trouvez-vous ma nièce? DORIMÈNE. Irrésistible. ALCESTE. C'est trop: pourvu qu'elle ait un peu de jugement, Je suis récompensé de mon enseignement. DORIMÈNE. Oui, cette qualité, que j'ai dû reconnaître, Ne fait pas moins d'honneur à l'élève qu'au maître. Elle a de plus du coeur, monsieur, beaucoup de coeur; Et je réfléchissais qu'un jeune adorateur, Sous le nom de mari, pris dans le voisinage, Devrait bien de son oncle embellir l'ermitage. PHILINTE. (A Dorimène.) De l'emphase! (A Alceste.) Pourtant l'avis est excellent. ALCESTE, ô part. La peste! cela fait deux contre un à présent. PHILINTE. Et si l'on consultait la gentille Lucile? LUCILE. Mon oncle sait fort bien si je serai docile. ALCESTE, imitant Lucile. « Si je serai docile » allons, cela fait trois. Et quand vous seriez vingt... Mais que nous veut Dubois? Scène XVI. ALCESTE, PHILINTE, DORIMÈNE, LUCILE, DUBOIS. DUBOIS, bas, à Alceste. Ne soyez pas surpris, monsieur, de l'aventure. ALCESTE, de même. Bon; que se passe-t-il? DUBOIS, de même. Ah! la chose est bien sûre. ALCESTE, de même. Quoi? DUBOIS, de même. J'ai vu. ALCESTE, de même. Qui? DUBOIS, de même. Fort bien. ALGESTE, de même. Mais qui? DUBOIS, de même. Le prétendant. ALCESTE, à Pliilinte et à Dorimène. De grâce, excusez-moi, je reviens à l'instant. (A part.) Béni soit le secours que le hasard m'envoie! Et quant au damoiseau, grande sera ma joie De lui dire son fait et de lui répéter Qu'il lui faut déguerpir sans se représenter. Scène XVII. PHILINTE, DORIMÈNE, LUCILE. DORIMÈNE, à Lucile. Un mot, ma chère enfant. Nous aimons qu'on nous flatte: Sachez donc caresser d'une main délicate Les faibles et les goûts de votre oncle. PHILINTE. Arrêtez! Vous voilà bien, madame, avec vos lâchetés! (A Lucile.) Mon enfant, soyez franche. DORIMÈNE. Ah! l'insulte est trop forte! Scène XVIII. PHILINTE, DORIMÈNE, LUCILE, ERASTE. ERASTE, escaladant la fenêtre. Allons, j'ai la fenêtre, à défaut de la porte. PHILINTE. L'imprudent! voilà donc nos efforts superflus. Pourquoi ne pas attendre? ERASTE. Ah! je n'y tenais plus, Et puis j'étais traqué comme une bête fauve. Pendant qu'on fait le guet d'un côté, je me sauve Où j'ai des alliés qui combattent pour moi. PHILINTE. Alceste va rentrer, mon ami, cache-toi. ERASTE. Où? LUCILE. Là, dans cette chambre. ERASTE. Ainsi voilà le poste D'où je vais observer l'attaque et la riposte, El si vous faiblissez je dirai: Me voici! Espérons! (Il serre la main à Lucile et s'enferme.) PHILINTE. Ah! comment finira tout ceci? Scène XIX. ALCESTE, PHILINTE, DORIMÈNE, LUCILE (Eraste caché.) ALCESTE, à part. J'ai vainement cherché; rien, pas la moindre trace! PHILINTE. Alceste, écoutez-moi. L'indulgence remplace Chez vous, avez-vous dit, tout sentiment d'aigreur. ALCESTE. C'est vrai. PHILINTE. D'où vient alors votre injuste rigueur Contre un jeune homme digne en tout de votre estime, Et qui, voulant former un lien légitime, Offre à votre Lucile un amour sérieux, Outre un nom illustré par cent braves aïeux? DORIMÈNE. Et la distinction, le tact, l'esprit du monde! PHILINTE, bas, à Dorimène. Madame, ah! pour le coup que le ciel vous confonde! Vous allez tout gâter. DORIMÈNE, de même. Voilà de vos douceurs. ALGESTE, ô Philinte. Oui, je suis revenu de mes grandes fureurs; Mais le bonheur étant le but de l'existence. Le mien fut d'éviter^ dans l'ombre et le silence, Le spectacle du vice en tout lieu triomphant, Comme de l'épargner aux yeux de cette enfant. PHILINTE. J'entends: à ses désirs votre bonté résiste; Ainsi, pour être heureux il faut être égoïste. ALCESTE. Comme vous le voudrez. PHILINTE. Oh! ne nous fâchons pas. ALCESTE. Puis le monde à leur âge offre par trop d'appas. PHILINTE. Ici, dans ce désert? ALCESTE. Ils sont jeunes, vous dis-je. PHILINTE. Hélas ! c'est un défaut que chaque jour corrige. (A Dorimène.) Qu'en pensez-vous, madame? DORIMÈNE, bas. Oh! vous êtes méchant! ALGESTE. L'inconnu nous attire et l'on suit ce penchant. PHILINTE. Et quand cela serait, pouvez-vous les contraindre? Mais, dans leur liberté, de quel droit les atteindre? LUCILE, à Alceste. Mon oncle, croyez-moi, s'il fallait vous laisser, A mon voeu le plus cher je saurais renoncer, Et Dieu sait si pourtant j'en serais désolée! (Elle pleure.) ALCESTE. Ma pauvre enfant, je crois qu'ils l'ont ensorcelée! -Ainsi vous me jurez qu'ici, loin des pervers, Mon asile pour eux sera tout l'univers? PHILINTE. Oui! DORIMÈNE Oui! LUCILE Oui! ALCESTE. Mais Eraste? PHILINTE. Ah! s'il faut qu'il reponde, II va vite abjurer et Paris et le monde. ERASTE, ouvrant la porte, chante: Si le roi m'avait donné Paris sa grand' ville Pour quitter, infortuné, L'amour de Lucile, Je dirais au roi Louis: Reprenez votre Paris; J'aime mieux Lucile, Ogué, J'aime mieux Lucile! Embelli par les amours, Ce modeste asile, Désormais offre à mns jours Un bonheur facile: Bonheur pur et faux plaisir, Enlrc vous faut-il choisir? J'aime mieux Lucile, Ogué, J'aime mieux Lucile! PHILINTE. riant. « Voilà ce que peut dire un coeur vraiment épris! » ERASTE, se jetant aux pieds d'Alceste. Ah! monsieur, pardonnez! LUCILE, de même,de l'autre côté. Cher oncle! ALCESTE, o part. Je suis pris! A quoi bon prolonger la lutte outre mesure? Tu le voudrais en vain, pauvre vieux! 0 nature! II n'est, je le vois bien, nul endroit écarté Où ta main n'ait écrit: Place à l'Humanité! (A Eraste et à Lucile, en les relevant.) Allons, soyez heureux! ERASTE. Que sont les résistances Quand dans l'enceinte on a quelques intelligences? DORIMÈNE. Et quand on est soi-même assez intelligent? Scène XX. ALCESTE, PHILINTE, DORIMÈNE, ERASTE, LUCILE, DUBOIS. DUBOIS, a Alceste. Monsieur, j'ai beau guetter... (Apercevant Eraste.) Ah! par quel accident?... ALCESTE. C'est qu'il n'est pas d'abri, si désert qu'il puisse être, Où l'amour, ce voleur, tôt ou tard ne pénètre. DORIMÈNE. Un voleur fort aimable! PHILINTE. Un vrai serpent! LUCILE. Oh! non, Un ami! ERASTE, serrant la main de Lucile. Bien sincère! DUBOIS. Un enfant! ALCESTE. Un démon! Admirez avec moi son infernal génie: Ce lieu semblait désert... c'est une colonie! DUBOIS. Voilà notre repos assuré, grâce à Dieu! PHILINTE, à Dorimène. Et deux époux contents!... cela récrée un peu. ALCESTE. Oui, faire des heureux c'est du bonheur encore. Laissons sur notre nuit resplendir cette aurore. Contre la loi du sort pourquoi nous insurger? Homme, rien aux humains ne me laisse étranger. Vainement j'ai voulu, leur rompant en visière, De mon stérile orgueil me faire une barrière: Mon esprit sans fureur s'est lassé de blâmer, Et je sens qu'il vaut mieux les plaindre. LUCILE, se jetant au cou d'alceste. Et les aimer! Source: http://www.poesies.net