Paroles Harmoniques. (1876) Par Alfred Cauvet. (18??-19??) TABLE DES MATIERES I La Poesie Et la Musique. II L'Amour Discret. III La Jeune Mère. IV La Maison Paternelle. V Un Rêve. VI La Belle De Jour. VII Jean Larose. VIII Hymne A La France. IX Souvenir D'Amour. X Devoir Et Charité. XI Si Tu Ne M'Aimais Plus. XII Chanson A Boire... Et A Manger. XIII Le Fratricide. XIV Le Retour Du Trompeur. XV Le Tableau Préféré. XVI Le Sapin Du Mont-Blanc. XVII Ma Table. XVIII Le Dimanche Perdu. XIX Le Dénicheur D'Oiseaux. XX Rosine. XXI Le Petit Tambour. XXII Le Zéphyr Et La Rose. XXIII Pendant Qu'Elle Sommeille. XXIV La Fumée. XXV L'Astre De L'Amour. XXVI Fleurs D'Acacia. XXVII Le Petit Sphinx. XXVIII La Fée Des Aygalades. XXIX Portrait D'Après Nature. XXX Les Raisons De L'Amour. XXXI Les Oiseaux De Jeannette. XXXII La Phalène. XXXIII Si J'Etais Chansonnier. XXXIV Le Sylphe. XXXV Hymne Au Créateur. I La Poesie Et la Musique. A Monsieur Ambroise Thomas. Sous les lauriers dont le Génie Couronnait leur chaste beauté, J'ai vu la Muse et l'Harmonie Sourire à notre humanité. Le doux mot, la voix et la lyre Frappaient au loin l'écho joyeux; Avec moi la foule en délire Suivait leur essor vers les cieux; Sur l'Idée ardente et nouvelle Qui toute nue osait s'offrir, Le Chant venait ouvrir son aile Et sans la cacher là couvrir; Du rhythme joint à la parole L'accord, tendre et gai tour à tour, Etait pour tous le doux symbole De l'Union et de l'Amour. Ainsi, par la grâce pareilles, Ensemble chantaient les deux soeurs; Et l'une charmait les oreilles, Et l'autre transportait les coeurs! II L'Amour Discret. A Monsieur Charles Gounod. Abritez toujours celle que j'adore, Ailes d'or du bonheur; Abritez toujours celle que j'adore, Que j'aime en silence et qui même ignore Le secret de mon coeur! Le destin l'exige, il faut le mystère: Pas un mot indiscret! Le destin l'exige, il faut le mystère: Si ma bouche un jour cessait de se taire, Son nom la brûlerait! Passant près de moi comme un doux zéphire Aux premiers jours de mai, Passant près de moi comme un doux zéphire, Sa fraîcheur m'embaume et, tremblant, j'aspire L'air qu'elle a parfumé. Sa jeunesse en moi doit vivre immortelle, Rien ne peut la ternir; Sa jeunesse en moi doit vivre immortelle, Car j'ai pour la voir toujours pure et belle Les yeux du souvenir! Abritez toujours celle que j'adore, Ailes d'or du bonheur; Abritez toujours celle que j'adore, Que j "aime en silence et qui même ignore Le secret de mon coeur! III La Jeune Mère. A Madame Alfred C... La voyez-vous, blonde et vermeille, Aux yeux d'azur comme le ciel? La jeune mère est là, pareille Aux madones de Raphaël. Qu'une autre, afin d'être plus belle, Porte maint rubis, maint joyau, Qu'importe! son fils dort près d'elle: Est-il un diamant plus beau? Dieu tutélaire, Dieu tout-puissant, Veille sur la mère! Veille sur l'enfant! « Dors, mon enfant, dors, lui dit-elle, Que pour toi les anges des cieux Fassent de la lyre éternelle Vibrer les sons harmonieux! Mais tu t'éveilles et la terre Rend tes regards tout interdits: Ne pleure pas, car une mère C'est encore le paradis. » Dieu tutélaire, Dieu tout-puissant, Veille sur la mère! Veille sur l'enfant! « Vers ce portrait que je contemple Tourne tes yeux pleins de candeur; De ton père un jour suis l'exemple: Comme lui sois homme d'honneur. Plus tard, si le chagrin t'obsède, Songe, ô mon fils, pour l'apaiser, Qu'à nos maux le meilleur remède C'est d'une mère le baiser! » IV La Maison Paternelle. A Mon Ami Aubery. Protégé par des hêtres Que baigne un clair ruisseau, Ceint de vertes fenêtres: Tel est de mes ancêtres Le rustique berceau. Au sein de l'innocence Là, règne le bonheur; Là, souvent l'indigence Voit de son existence S'adoucir la rigueur. Là, vivent loin des haines Deux vieillards aux doux fronts Comme aux âmes sereines: Semblables à deux chênes Parmi leurs rejetons. Là. quand le soleil plonge Derrière le coteau, L'avenir, doux mensonge, M'apparaît..., ou je songe A mon passé si beau. Jours purs qu'ici fit naître Un trop, heureux destin, Devais-je vous connaître Pour vous voir disparaître Comme un phare lointain? Adieu, page effacée Par le temps trop jaloux, Belle étoile éclipsée... Seule, hélas! ma pensée Me rapproche de vous! V Un Rêve. A Monsieur Faure, De L'Opéra. Les songes descendus sur un léger nuage Avaient quitté les cieux, Quand un ange brillant comme dans un mirage Soudain frappa mes yeux. Sa blonde chevelure, en boucles indociles Flottait sur son cou blanc, Et je vis se fixer ses grands yeux immobiles Sur mon regard tremblant. Oh ! pour que bien longtemps, sous leur brûlante flamme Mon être eût frissonné, Pour voir s'y réfléchir tout le feu de mon âme, Que n'aurais-je donné? Que n'aurais-je donné seulement pour lui dire: « Laisse-moi t'adorer! » Et, tout en provoquant ses pleurs et son sourire, Lui sourire et pleurer? Mais une voix venant de la céleste voûte Vers elle l'appela; Et, me laissant au coeur les regrets et le doute, Mon ange s'envola.... . VI La Belle De Jour. A Madame E.E. Chase De Salem. Le gai printemps, dès l'aurore, Fait éclore Mille chansons à la fois; Et moi, fleur humble et vermeille, Je m'éveille A ce doux concert des bois. Car, la nuit, mieux, que la rose, Je repose Sous un modeste rideau. Le dieu du jour, dont m'attire Le sourire, Phébus seul me paraît beau. Sortant vainqueur d'un nuage, Son visage Radieux vient m'éblouir; De son éclat qui me couvre Il entr'ouvre Mon sein que je sens frémir. Son ardent baiser m'embaume; C'est l'arôme Où je puise mes odeurs, Et son regard qui m'enivre Fait revivre Mes plus riantes couleurs. Et tandis qu'avec extase Il m'embrase, Une voix monte vers nous: C'est l'harmonieux Zéphire Qui soupire Et se plaint comme un jaloux. Du Tendre épris du Suprême Doux emblème, Ainsi je vis par l'amour, Et grâce au dieu que j'adore On m'honore Du nom de Belle de Jour. VII Jean Larose. A Mon Ami Coquelin. D'une bavarde, Jean Larose Pour femme, hélas ! avait fait choix, Quand un oiselier lui propose Un perroquet dit cacatois. Devant l'objet qu'on veut lui vendre « Fi! dit-il; à quoi bon ceci? « Des caquets ! ah ! je sors d'en prendre, « Merci ! » Un emprunteur malin lui jure De tout lui rendre et rit de lui. Plus tard, pour sa candidature Il vient réclamer son appui. « Je vois, dit Jean, où tu veux tendre, « Et ma réponse la voici : « Des serments ! ah ! je sors d'en prendre, « Merci. » Le mois de mars, avec furie Partout fait pleuvoir les concerts, Et.les orgues de Barbarie L'assiègent de leurs affreux airs. Le soir on veut qu'il aille entendre Un ténor, et d'effroi transi: « Des concerts! ah! je sors d'en prendre, « Merci! » Son médecin un jour l'engage, Pour son faible tempérament, A prendre, comme c'est l'usage, Des bains boueux à Saint-Amand. « A Saint-Amand pourquoi me rendre, « Quand j'ai le macadam ici? « De la boue! ah! je sors d'en prendre, « Merci! » Faux amis et parents cupides Font souvent qu'il se plaint du sort. Devant ses héritiers avides Un vieux prêtre assiste à sa mort. « -Mon fils, l'enfer peut vous surprendre... « -Mon père, quittez ce souci: « Des enfers ! afr! je sors d'en prendre, « Merci ! » VIII Hymne A La France. A Monsieur Laurent De Rillé. O France, ô patrie, ô ma mère, Lève-toi ; souris à la paix! Trop longtemps sur ton front sévère S'apesantit un voile épais. Marche, et que ton pas nous entraîne Vers le travail, vers le bonheur. C'est pour l'amour, non pour la haine Que le génie est créateur. Reine des arts, en prodiges féconde, Par tes bienfaits, France, fais-toi bénir; Ton astre brille, il éclaire le monde: C'est le flambeau de l'avenir! Le marbre, le bronze et la toile Partout font chérir ton labeur. C'est dans Paris que se dévoile Ton industrie en sa splendeur. Là, chaque nation qu'attire L'aspect de ta noble beauté, Peut voir que pour mieux se produire Il faut aux arts la liberté! Reine des arts, en prodiges féconde, Par tes bienfaits, France, fais-toi bénir; Ton astre brille, il éclaire le monde: C'est le flambeau de l'avenir! Dans l'enceinte où ta voix convie Les gloires de l'humanité, Offre à nos' rivaux, sans envie, Le laurier qu'ils ont mérité. Quand ta main, au bon droit fidèle; Leur tend les prix qui leur sont dus, Dans une étreinte fraternelle Que tous les coeurs soient confondus! IX Souvenir D'Amour. A Mon Ami Ernest Brunet. Il a fui le temps du bel âge, Pour ne plus revenir, Et je n'ai de son court passage Rien que le souvenir. Doux soupirs, transports, folle ivresse, Vous ne durez qu'un jour... Oh! qui me rendra ma jeunesse Et mon premier amour? A vingt ans le destin fit luire L'astre de mon bonheur. Une vierge au charmant sourire Fit tressaillir mon coeur. Belle et pure, au front de déesse, Sans faste et sans détour... Oh! qui me rendra ma jeunesse Et mon premier ambuf ? Au foyer de ma fiancée J'accourais chaque soir; Elle était toute ma pensée Et mon plus cher espoir; Mais la mort vint à ma tendresse La ravir sans retour... Oh! qui me rendra ma jeunesse Et mon premier amour? X Devoir Et Charité. A Mon Ami J.Y. Hallock. Eh quoi! tu veux cesser de vivre Lorsque ta vie à peine a commencé? Avant de l'avoir lu, tu veux fermer le livre? Pauvre insensé! Oui, je le sais, pour une infâme Ton coeur souffre et gémit... Mais peut-être, avant peu, Un ange versera du baume daus ton âme: Dieu seul doit nous ravir ce qui nous vient de Dieu. La coupe est, dis-tù, trop amère: Le sort cruel t'assaille et te poursuit. Hélas! souvent l'espoir, ainsi qu'une chimère, S'évanouit. Mais si notre plaisir s'envole, Si tristesse et bonheur pour le sort sont un jeu, Ne nous reste-t-il pas le devoir qui console? Dieu seul doit nous ravir ce qui, nous vient de Dieu. Vois-tu ce mendiant qui passe, Infirme, aveugle, accablé de douleurs? Ah! cours le secourir pour qu'il te rende grâce... Sèche sas pleurs. Quand tu peux calmer la souffrance, A ce monde, crois-moi, ne va pas dire adieu; Mais je vois dans .tes yeux renaître l'espérance, Vis pour faire le bien et sois béni de Dieu! XI Si Tu Ne M'Aimais Plus. Sérénade. Si tu ne m'aimais plus, fatigué de la vie Je pourrais de la mort implorer le secours; Mais quel destin du mien peut exciter l'envie, Si tu mlaimes toujours? Que les soucis amers chargent les fronts moroses; Nous que pour le bonheur l'amour voulut unir, Ensemble respirons le doux parfum des roses, Sans peur de l'avenir. En plaisirs renaissants que chaque heure féconde D'un plus brillant éclat dore nos fronts joyeux; Ne formons qu'un seul coeur et, contents de ce monde N'envions rien aux cieux! Vivons pour nous aimer et que le Temps rapide S'arrête à contempler notre paisible abri, Et sur ta joue en fleur voyant ma lèvre avide, Se détourne attendri! Si tu ne m'aimais plus, fatigué de la vie Je pourrais de la mort implorer le secours; Mais quel destin du mien peut exciter l'envie, Si tu m'aimes toujours? XII Chanson A Boire... Et A Manger. A Monsieur Charles Monselet. Les poètes ont de tout temps, Chanté le vin comme la vigne, Mais, quant au manger, leurs talents Gardèrent un silence indigne. Tous, sans excepter Béranger, A les entendre, feraient croire Qu'ils ne savaient que boire, Que boire sans manger. Dieu fit la soif avec la faim, Deux soeurs bien pâles de souffrance; Mais le blé naquit près du vin Et l'on forma double alliance. C'est à nous, leurs fils, de songer A chanter leur commune gloire: Trinquons à qui sait boire, Fêtons qui sait manger! Le pain et le vin, du caquet Sont les excitants, dit Molière; Jugez-en par le perroquet Et par l'avocat Lachaudière. Sa cause courrait grand danger Si, bâillant devant l'auditoire, Il n'avait fait que boire, Que boire sans manger. Boire en mangeant fait la santé, Sans manger boire est un carême. Le pain, pour vin de qualité Ferait passer l'argenteuil même. Du vigneron le boulanger Est l'égal, c'est un fait notoire, Puisqu'on mange pour boire Et qu'on boit pour manger. Ce monde est un hôtel tenu Par Bacchus et Cérès la blonde, Où toujours on voit bienvenu Le travail par qui tout abonde. Ah! que daignant nous héberger Longtemps dans leur gai réfectoire, Bacchus nous serve à boire Et Cérès à manger! XIII Le Fratricide. A Monsieur Massenet. Pourquoi le ciel est-il livide Et le soleil taché de sang? C'est que Caïn le fratricide Frappa le juste et l'innocent. Ah ! tu l'entends comme un tonnerre Ce cri qui te glace d'effroi; Caïn, qu'as-tu fait de ton frère? Caïn, malheur à toi! Vois-tu là-bas sortir de l'ombre Ce spectre affreux? C'est le Remord. Sa torche brille à ton oeil sombre; Sa voix rugit : Abel est mort... Le glaive en main suit la Justice, En vain tu veux braver sa loi: Déjà ton meurtre est ton supplice; Caïn, malheur à toi! De ta fureur vois la victime Qui semble encore te supplier. « Je sais, dis-tu, quel est mon crime, J'attends; ciel, viens me châtier. A ta vengeance, oui, je me livre. Foudres, grondez; tombez sur moi! » -Mais non; Dieu te condamne à vivre... Caïn, malheur à toi! XIV Le Retour Du Trompeur. A Madame La Comtesse D'Estourmel. Dans le val solitaire Triste, elle' répétait L'air que, pour mieux lui plaire, Son trompeur lui chantait. Et parfois la pauvrette Regardait le coteau: Bergeronnette, Petit oiseau, Vois-tu ma belle Au bord de l'eau? De ma voix qui l'appelle Fais-toi l'écho, L'écho, Le joyeux écho! C'est, dit-elle, ici même Que, me pressant la main, Il ajoutait: je t'aime! A son joli refrain. J'écoutais, inquiète, Près de lui, sous l'ormeau: Bergeronnette, Petit oiseau, Vois-tu ma belle Au bord de l'eau? De ma voix qui l'appelle Fais-toi l'écho, L'écho, Le joyeux écho! Contre sa voix si tendre, Contre son doux regard, Je voulus me défendre; Mais j'y pensai trop tard... De mes devoirs distraite, J'aimais ce chant nouveau: Bergeronnette, Petit oiseau, Vois-tu ma belle Au bord de l'eau? De ma voix qui l'appelle Fais-toi l'écho, L'écho, Le joyeux écho! Plaintive délaissée, Chaque jour je viens voir L'endroit où m'a bercée Un séduisant espoir; Seule, et baissant la tête, Je retourne au hameau: Bergeronnette, Petit oiseau, J'accours, fidèle Au bord de l'eau. De ma voix qui l'appelle Fais-toi l'écho, L'écho, Le joyeux écho! Mais près de l'eau qu'entends-je? Je ne me trompe pas... C'est sa voix... c'est étrange! Ciel! il me tend les bras... Fidèle, il me répète Notre refrain si beau : Bergeronnette, Petit oiseau, Vois-tu ma belle, Au bord de l'eau? De ma voix qui l'appelle Fais-toi l'écho, L'écho, Le joyeux écho! XV Le Tableau Préféré. A Madame Adèle Renaux. J'aime un tableau champêtre où brille Le bonheur pur de deux amants Qui, vers le soir, sous la charmille, Se répètent leurs doux serments; J'aime encore la jeune fille Soutenant les pas chancelants Du brave aïeul de la famille, Héros modeste aux cheveux blancs; Ou la vierge que l'on marie. Baissant sa paupière attendrie Devant son époux fortuné... Mais à ces motifs je préfère . Celui qui me montre une mère Souriant à son nouveau-né. XVI Le Sapin Du Mont-Blanc. A Monsieur Arthur H. Chase De Salem. Vieux sapin du Mont-Blanc, tout noirci par la foudre, Toi qui par elle fus privé d'un de tes bras, Semblable au vétéran mutilé, dont la poudre Marque le noble front fier de tous ses combats; Dieu seul sait depuis quand, sur ce point solitaire Tu luttes sans fléchir contre les éléments, Et que de fois tu vis partir Vers notre terre L'éclair toujours suivi de sourds rugissements. Ce que je trouve en toi, c'est l'homme de courage Frappé, mais l'oeil stoïque, et résistant au sort; C'est la conviction qui tient tête à l'orage, C'est la foi, de l'erreur décourageant l'effort. Sous ton abri souvent le voyageur s'arrête. Mais as-tu vu jamais un athée en ce lieu? « Non, » dis-tu; « comme moi l'homme courbe la tête, « Lorsque si près de lui tonne la voix de Dieu! » XVII Ma Table. A Mon Ami Arnaud-Durbec. Cher petit meuble sans faste Qui n'inspires que pitié, Mais que je trouve assez vaste Pour recevoir l'amitié; Sur tes pieds rouilles tu grinces, Pauvre table, avec fracas: Cependant pour l'or des princes Je ne te donnerais pas. Souvent, cherchant une rime, Le front trempé de sueur, Je te rendis la victime De mon injuste fureur; Mais, toi, tu semblais sourire À me voir froissé du coup; Je croyais t'entendre dire: « Je te plains, mon pauvre fou! » Des beaux jours passés ensemble Je garde le souvenir; A ton aspect il me semble Qu'ils vont tous me revenir. Je te vois comme un derviche Tourner, tourner en disant: « Tu seras puissant et riche! » Suis-je donc riche et puissant? Comme autrefois je vois luire Le bonheur du genre humain, Les peuples fiers de s'instruire, Sûrs d'avoir un lendemain; Le bien du mal prend la place; Et, prompt à se désarmer, Mars partout veut qu'on s'embrasse... Douce erreur, viens me charmer! Sans pleurs je verrais peut-être Saisir tout mon mobilier, Si l'on te laissait ton maître, 0 ma table de noyer! Car tu m'offres, pour me plaire, Le souvenir le meilleur: Tu fus le prix du salaire Qu'obtint mon premier labeur! XVIII Le Dimanche Perdu. A Mon Ami Dabadie. Déjà se lève l'aube blanche, Le soleil sourit à nos yeux. C'est aujourd'hui dimanche: Tous les coeurs sont joyeux; Mais moi, triste et morose, Je n'ai qu'un souvenir... Ah ! que ne suis-je rose, Ou colombe ou zéphyr! Si j'étais la fleur qu'elle touche, Je pourrais me sentir parfois Monter jusqu'à sa bouche Et frémir sous ses doigts! Hélas! triste et morose, Je n'ai qu'un souvenir... Ah! que ne suis-je rose, Ou colombe ou zéphyr! Si j'étais la colombe agile, Vers elle mon vol fendrait l'air; Mes yeux de sa pupille Refléteraient l'éclair! Hélas! triste et morose, Je n'ai qu'un souvenir... Ah! que ne suis-je rose, Ou colombe ou zéphyr! Si j'étais le zéphyr qui passe, Au doux objet de mes amours J'irais dire, à voix basse, Que je l'aime toujours! XIX Le Dénicheur D'Oiseaux. A Mon Ami Cesare Cardelli. L'enfant criait : « Oh ! je t'implore, Mère, pitié! Quelque chose au cou me dévore Ainsi qu'au pied. « Mère, c'est comme des aiguilles ! » Je vis alors Que des fourmis et des chenilles Couvraient son corps. Et quand ses cris à fendre l'âme Furent finis, J'appris que c'était un infâme Voleur de nids. « J'avais dix oeufs, reprit-il vite, Dix, sans mentir, Lorsque cette engeance maudite Vint m'assaillir. « Dix, oui, monsieur, que leurs piqûres M'ont fait casser... « -Enfant, dis-je alors, vos murmures Doivent cesser; « C'est Dieu, par ces douleurs amères Qui vous fait voir Qu'il faut laisser aux pauvres mères Leur cher espoir. « A vos cris mettez donc un terme, Car ces dix oeufs D'un oiseau contenaient le germe Dans chacun d'eux. « Cette engeance cruelle et dure, Vos deux fléaux, Devaient être de la pâture Pour les oiseaux. « Enfants, soyez de leurs familles Moins ennemis; Plus d'oiseaux font moins de chenilles Et de fourmis. » XX Rosine. A Son Ancienne Amie Mlle Constantine Bailleul. A sept ans, pauvre amie, Dans la tombe endormie, Tel est, ton sort; Rosine, fleur fanée Qu'a trop tôt moissonnée L'aveugle Mort. Fraîche comme l'Aurore, Tu courais, hier encore, Autour de moi; Et j'aimais à te dire, En te voyant sourire: « Réjouis-toi. « Dans son ramage, écoute. . . L'oiseau met sur ta route Plus de douceur; Et l'odorante brise Au lis parle surprise De ta candeur. » Hélas! déjà ta vie Faisait naître l'envie Du noir Destin; Et, par lui condamnée, Tu n'eus de ta journée Que le matin. Ainsi le sort morose Trop souvent met la rose Près du cyprès, Et d'un rêve céleste Dans nos coeurs il ne reste Que des regrets. XXI Le Petit Tambour. A Mon Beau-Frère Jacques Roque. J'avais six ans quand mon grand-père D'un tambour me fit don. Ma main, d'une marche guerrière Vile y chercha le ton. Sans envieux, plein d'assurance, Je fus gai tout un jour. . . Ah! rendez-moi ma belle enfance Et mon petit tambour! J'eus, le même jour, une image Offrant trois généraux. Sur mon instrument de tapage Je collai ces héros. Ils aimaient comme moi la France D'un véritable amour... Ah! rendez-moi ma belle enfance Et mon petit tambour! Le lendemain, l'air fier ef. digne, J'allai cogner devant Le tambour-major de la ligne Qui me parut moins grand. Sa canne m'imposa silence; Je lui criai: « Bonjour! » Ah! rendez-moi ma belle enfance Et mon petit tambour! Encouragé par mon vacarme, Chaque enfant, plein d'ardeur, Me suivait en portant son arme Et revenait vainqueur. Des voisins la clameur immense Fêtait notre-retour... Ah! rendez-moi ma belle enfance Et mon petit tambour! Gamins, nous pensions que la gloire N'appartenait qu'à nous. Qui nous aurait alors fait croire Que nous étions des fous? Sur d'autres bords cette démence, Hélas! fait son séjour... Ah! rendez-moi ma belle enfance Et mon petit tambour! Mon tambour a longtemps fait rage; Mais, quand j'eus ma raison, Je vis bien que le vrai courage N'est pas dans un vain son. Le temps fait courber l'arrogance, Et chacun a son tour. Ah! rendez-moi ma belle enfance Et mon petit tambour! Il était encore naguère Chez un petit-cousin, Près d'Arras, quand butin ,de guerre, Il partit pour Berlin. Beau cousin, puisse ta vaillance L'aller reprendre un jour!... Ah! rendez-moi ma belle enfance Et mon petit tambour! XXII Le Zéphyr Et La Rose. A Madame E.A. Wyeth. Le Zéphyr disait à la Rose: « Permets que je dépose Un baiser sur ton front si pur. C'est pour l'éclat qui te colore Qu'au lever de l'Aurore J'accours du pays de l'Azur. Reine des fleurs, Rose aux couleurs Fraîches écloses, J'ai mille choses Du ciel pour toi; Choses bien belles, Toutes nouvelles; Écoute-moi! Ah ! souffre, avant de te les dire, Qu'un instant je respire De tes parfums la douce odeur. Sur un front gracieux et tendre Un baiser peut se prendre Sans que s'alarme la pudeur. Reine des fleurs, Rose aux couleurs Fraîches écloses. J'ai mille choses Du ciel pour toi; Choses bien belles, Toutes nouvelles; Écoute-moi! Mais quoi ! tu détournes la tête, Comme fait la coquette Qui repousse un serment d'amour. Ah ! crois-en ma voix qui soupire, Je t'aime avec délire... Et j'en prends à témoin le jour! Reine des fleurs, Rose aux couleurs Fraîches écloses, J'ai mille choses Du ciel pour toi; Choses bien belles, Toutes nouvelles; Écoute-moi! » « -Près de moi, répondit la Rose, Quand ton aile se pose, Ce n'est qu'en passant, doux Zéphyr; Et chaque fleur du voisinage Te nomme enfant volage De l'Inconstance et du Plaisir. Beau roi de l'air, Comme un éclair Tu fuis, tu voles; Et tes paroles Sont, comme toi, Douces, légères, Mais passagères; Oh! laisse-moi! Un oeillet près de moi demeure; Jusqu'à la dernière heure Tous deux nous voulons nous chérir; Mais tu m'embrasses sans m'entendre. Ah ! j'ai beau me défendre... Ta lèvre en feu me fait rougir! Beau roi de l'air, Comme un éclair Tu fuis, tu voles; Et tes paroles Sont, comne toi, Douces, légères, Mais passagères; Oh! laisse-moi! Retourne en ton céleste empire; Laisse-moi le sourire De l'ami qui fait mon bonheur. Modeste, heureuse dans sa sphère, Comme aux champs la bergère, La fleur doit n'aimer que la fleur. Beau roi de l'air, Comme un éclair Tu fuis, tu voles; Et tes paroles Sont, comme toi, Douces, légères, Mais passagères; Oh! laisse-moi! » XXIII Pendant Qu'Elle Sommeille. A Monsieur Paul De Saint-Victor. Elle dort paisible et sereine Sous l'aile de la Nuit, Tandis que des vents sur la plaine J'entends le léger bruit. Vous qui la voyez calme et pure Dans un repos si doux, Zéphyrs, cessez votre murmure. . . Elle dort, taisez-vous! C'est trop prolonger votre veille, Belles étoiles d'or: Bien loin, pendant qu'elle sommeille, Ah! prenez votre essor! Et toi, Lune, en un ciel plus sombre Porte ton front jaloux. Astres des nuits, rentrez dans l'ombre... Elle dort, cachez-vous! Venez offrir, lutins profanes, Esprits mystérieux, Parmi vos troupes diaphanes Mon image à ses yeux. Beaux songes, vers ma bien-aimée, Joyeux, accourez tous, Comme un essaim, comme une armée... Elle dort... levez-vous! XXIV La Fumée. A Lord Dufferin. Tout fume ici-bas: la fumée, Reine des airs, fille du feu, Partout, de sa source enflammée S'élance et remonte vers Dieu. Loin du foyer qu'elle s'égare, Qu'elle sorte, en calmant nos sens, Ou de la pipe ou du cigare, De la terre au ciel c'est l'encens! Tournant en spirales actives, Zébrant au loin l'azur des cieux, Du sommet des locomotives Elle prend son essor joyeux. Comme l'oiseau, vive et légère, Pars, ô fumée, et pour jamais A nos yeux sois la messagère De la Concorde et de la Paix! A l'horizon voyez-vous poindre Sur la vaste mer ce vaisseau? Trait d'union, il court rejoindre Nos frères du Monde Nouveau. Signale sa trace, ô fumée, Et que tes orbes nuageux A l'Amérique bien-aimée Portent notre amour et nos voeux! Des canons, des engins de guerre Trop longtemps, en noirs tourbillons, Tu sortis comme d'un tonnerre, Couvrant les sombres bataillons. Ah ! plutôt, en progrès féconde, Sors de l'usine avec fierté: L'industrie est reine du monde; Proclame au loin sa royauté! Ainsi de l'onde et de la terre S'enfuit la fumée ici-bas; Et chaque toit forme un cratère Qui lui voit prendre ses ébats. Lorsque notre âme est consumée Par le chagrin, ce feu mortel, Fumons, amis, car la fumée Le dissipe en volant au ciel! XXV L'Astre De L'Amour. A Mon Ami R. Girard. Le soleil rayonne, et vers ta fenêtre Mon regard en vain cherche ton regard, longtemps pourquoi tarder à paraître? Peut-on à vingt ans se lever si tard ? L'oiseau, de ses chants saluant l'aurore, Annonce un beau jour et tu dors encore... A mes yeux charmés, oh ! parais enfin: N'es-tu pas pour moi l'astre du matin? 0 bonheur ! c'est toi.., j'ai vu ton sourire, Et ta douce voix chante un gai refrain. Je te suis des yeux et, pensif, j'admire Ton ombre qui fuit et revient soudain. Chez moi, pour te voir, longtemps je séjourne; Mais du mien, hélas! ton front se détourne!.. Ah ! je sens trembler mon coeur refroidi, Viens me ranimer, soleil de midi! Mais voici venir l'heure de mystère: Déjà près de nous tout songe au repos, Et de ton clavier j'entends, solitaire, Comme des baisers frémir les échos. Pour que mon tourment en bonheur se change. Dirige vers moi ton sourire d'ange: Toi seule tu peux combler mon espoir; Ah ! brille toujours, étoile du soir! XXVI Fleurs D'Acacia. A Madame Welch. Douces fleurs qui de l'aubépine Égalez la suave odeur, Vous dont la riante églantine Ne surpasse pas la fraîcheur; Que j'aime à voir, quand tout reprend naissance, Vos seins s'ouvrir au souffle du matin! Fleurs d'acacia, symboles d'innocence, Balancez-vous dans cet heureux jardin! Notre commune destinée Est sujette aux mêmes retours; Printemps, jeunesse de l'année, Jeunesse, printemps de nos jours. Enfants et fleurs, notre douce existence S'épanouit sous le regard divin; Fleurs d'acacia, symboles d'innocence, Balancez-vous dans cet heureux jardin! Mais souvent la pluie et l'orage Ternissent votre éclat naissant. Ainsi parfois dès le jeune âge La mort nous emporte en passant. Ainsi j'ai vu mon seul ami d'enfance Subir l'arrêt d'un horrible destin; Fleurs d'acacia, symboles d'innocence, Balancez-vous dans cet heureux jardin! Le soir, incliné sur sa tombe, Je prie et crois entendre encor La terre humide qui retombe Et le glas qui pleure sa mort. Il est donc là, dans le port du silence, Tandis qu'aux flots je me livre incertain... Fleurs d'acacia, symboles d'innocence, Balancez-vous dans cet heureux jardin! Pour moi lorsque viendra cette heure, Puisse un ami fermer mes yeux, Et sur ma funèbre demeure Répandre et des pleurs et dès voeux! Puisse un Dieu bon m'unir dans sa clémence Aux bienheureux qui le chantent sans fin! Fleurs d'acacia, symboles d'innocence, Balancez-vous dans cet heureux jardin! XXVII Le Petit Sphinx. A Monsieur Minet. Mon Sphinx, je le proclame, Est un petit gourmand; Rusé comme une femme, Ingrat comme un enfant. Aimant qu'on le caresse, Payant peu de retour, Et cachant, plein d'adresse, Son hypocrite amour. Il ne faut pas, je pense, Par son nom l'appeler; Et chacun sait d'avance De qui je veux parler. Pour se lustrer la face Il n'a pas son pareil; L'hiver, il craint la glace Et l'été, le soleil. Ni serviteur, ni maître, Capricieux par goût; N'aimant que son bien-être, Paresseux avant tout. Il ne faut pas, je pense, Par son nom l'appeler; Et chacun sait d'avance De qui je veux parler. Apte à prendre en cachette, Ainsi qu'un maraudeur; Exigeant qu'on le mette A la place d'honneur. Flatteur, certain de plaire En faisant les yeux doux; Sans amitié sincère Et cependant jaloux. Il ne faut pas, je pense, Par son nom l'appeler: Et chacun sait d'avance De qui je veux parler. Fier du hochet qu'il porte, Sournois comme un pandour; Très-propre avant qu'il sorte Mais très-sale au retour. Ce beau monstre qu'on aime Malgré tout, quel est-il? Messieurs, c'est un problème, Problème peu subtil... Chacun peut, j'imagine, Par son nom l'appeler; Moi, c'est mon chat Mimine Dont j'ai voulu parler. XXVIII La Fée Des Aygalades. A Madame La Comtesse De Castellane. Près du château des Aygalades, D'où l'oeil contemple au loin les flots, J'écoutais le chant des cascades Qui tombaient comme des sanglots. Soudain le bruit de l'une d'elles Résonna plus lent et plus clair; Et, déployant ses vastes ailes, Une fée apparut dans l'air. Elle sembla d'abord sourire, Mais son sourire était glacé; Et j'entendis sa voix me dire: Je suis le Spectre du passé. C'est moi qui, planant sur Marseille, Ici naguère, au sein des arts, Par mes chants ravissais l'oreille Du grand et courageux Villars. C'est moi qui dus à la nature Emprunter ses plus beaux attraits Pour charmer l'enfant d'Épicure Barras, le Lucullus français: Plus tard, devenant moins profane Mais non moins vive en mes plaisirs, D'un descendant des Castellane J'illustrai les nobles loisirs. Que de fois il ouvrit sa bourse A l'indigent sur ce chemin! Comme l'eau jaillit de ma source. L'aumône glissait de sa main. Ces jours de bonheur et de gloire Trop vite, hélas! ont dû finir, Et leur éclat dans ma mémoire N'a rien laissé qu'un souvenir. » Elle dit et, fendant l'espace, Rapide s'élance, et mes yeux Vainement cherchèrent sa trace. . . Elle était remontée aux cieux. XXIX Portrait D'Après Nature. Un teint frais et diaphane, Moitié lis, moitié carmin; Des yeux tendres de sultane; Une rose et blanche main; Une pudeur qu'à Diane On prête au sortir du bain. Et le joli nez qu'Albane Rêvait pour un chérubin: C'est l'idéal sur la terre Que l'art, dit-on, désespère De jamais faire entrevoir. Pourtant cette oeuvre si belle S'offre à toi dans ma prunelle, Quand tu la prends pour miroir. XXX Les Raisons De L'Amour. A Mon Cousin Reboul. C'est parce que je la vis belle Que tout d'abord je fus charmé; Et c'est pourquoi, tendre et fidèle, D'elle je voulus être aimé. Ensuite, l'ayant "mieux connue Dans une douce intimité, Je l'aimai moins pour l'avoir vue Que pour sa constante bonté. Ici-bas on dit que tout passe Hors le coeur, qui ne change pas, Hors le sentiment et la grâce Qui gardent d'immortels appas. C'est pour cela que je demeure Comme un lierre à l'arbre attaché, Jusqu'à ce que ma dernière heure Pour jamais m'en ait arraché. Aujourd'hui que j'entends de l'âge Le cadran sonner sans pitié, A la chérir mon coeur s'engage D'amour autant que d'amitié. XXXI Les Oiseaux De Jeannette. A Mademoiselle Léona Ferrari. Gais oiseaux, vite, vite, Venez de mon pain prendre votre part; Jeannette vous invite; Tant pis s'il en est qui viennent trop tard! Près de moi toujours Des galants la foule Vainement roucoule; Je fuis leurs discours. Ces fous, chers oiseaux, Font peu mon affaire Et je vous préfère A ces étourneaux. Gais oiseaux, vite, vite, Venez de mon pain prendre votre part; Jeannette vous invite; Tant pis s'il en est qui viennent trop tard! Mais quoi! qu'ai-je vu? Ah! miséricorde! Au bout d'une corde Un billet pendu... Gentils oiselets, Votre doux vacarme M'offre plus de charme Que tous ces poulets. Gais oiseaux, vite, vite, Venez de mon pain prendre votre part; Jeannette vous invite; Tant pis s'il en est qui viennent trop tard! Mais, brisons ce fil. Quelle est cette histoire? Voyons, ce grimoire De qui me vient-il? Ciel! c'est mon voisin Jean, sincère et sage, Phénix du village, Qui m'offre sa main! Ah! voisin, venez vite, Vite, à mon destin prendre votre part; Jeannette vous invite; Tant pis s'il en est qui viennent trop tard! XXXII La Phalène. A Mon Ami Jules Revel. Quand ma paupière est close, Toi dont le vol se pose Sur moi sans bruit, Pourquoi troubler mon somme, Papillon que je nomme Rôdeur de nuit? A travers mes fenêtres, Lorsqu'ainsi tu pénètres, Beau papillon, Pour que je me rendorme, Viens que je te transforme En postillon. Va, dévorant l'espace, Sans que puisse une place Te retenir, Jusqu'à ce que paraisse Celle dont j'ai sans cesse Le souvenir. De la fraîche églantine Sa joue aimable et fine A l'incarnat, Et jamais une ride N'a de son front candide Terni l'éclat. Respirant son haleine, Sur elle, ô ma phalène, Va té fixer; Et sur sa bouche rose Pour moi vole et dépose Un doux baiser. Sans qu'elle se réveille, Va, parle à son oreille De nos amours. Provoquant son sourire, A ses yeux fais reluire Nos heureux jours. Beau lutin, que ton aile Se déploie et, près d'elle Va-t'en sans bruit Traverser son doux somme, Papillon que je nomme Rôdeur de nuit! XXXIII Si J'Etais Chansonnier. A Mon Ami Jules Peyrache. Si du Destin je tenais la puissance De plaire en mes chansojis, Ma tendre Muse aurait pour la souffrance Toujours les plus doux sons; A l'affligé je dirais: « Aime et prie; Espère, au prisonnier; A l'exilé: Le ciel est ta patrie... Si j'étais chansonnier. » Puis je dirais à l'heureux de ce monde: « Sois juste et fais le bien; De tout cet or qui dans ton coffre abonde Tu n'emporteras rien. Songe que Dieu, si ton coeur est avare, Saura te renier... » Et devant lui j'évoquerais Lazare, Si j'étais chansonnier. Montrant l'Amour au bras de la Jeunesse Sous la charmille en fleur, J'ajouterais: « Jouir c'est la sagesse, Aimer c'est le bonheur. Dansez, amis, comme autrefois vos pères, Sous le vieux marronnier! » Et les soucis fuiraient les fronts austères, Si j'étais chansonnier. Loin de pousser les peuples à la guerre, Par mon coeur excité Je leur dirais : « Respectez votre mère, Fils de l'Humanité. Des jours féconds en horreurs, en alarmes Vienne enfin le dernier! » Puis de la paix j'exalterais les charmes, Si j'étais chansonnier. Pour raffermir ton âme, ô ma patrie, Tu verrais dans mes vers La Liberté, les Arts et l'Industrie Effacer tes revers; Et renaissant, comme on revit sous l'aile Du zéphyr printanier, Tu reprendrais ta splendeur éternelle, Si j'étais chansonnier! XXXIV Le Sylphe. A Mademoiselle Nellie Earle. Quand tout repose en silence, Dans le bocage ou sur l'eau Je m'élance; Plus rapide que l'oiseau Je vole, vole, vole; Sylphe léger, de l'air je suis le roi; Je vole, vole, vole, Et cause, en ma course folle, Tantôt l'amour, tantôt l'effroi. Parfois pourtant je m'arrête: C'est quand je trouve un méchant Que je guette; De sa couche m'approchant, Je tire, tire, tire Jambes ou bras au fourbe, à l'imposteur; Je tire, tire, tire, Et j'éprouve un vrai délire A m'amuser de sa terreur. Près de l'enfant qui sommeille Je plane aussi doucement Qu'une abeille; Autour de son front charmant Je tourne, tourne, tourne; J'offre à ses yeux astre, fée ou trésor; Je tourne, tourne, tourne; Et c'est par moi que séjourne Sur son chevet le rêve d'or. Sur la vierge au teint de rose Pour l'embrasser, tout joyeux Je me pose; Puis, fascinant ses beaux yeux, Je danse, danse, danse; Je fuis, m'éloigne et reparais toujours: Je danse, danse, danse; Et vers elle aussi s'avance Son promis, suivi des Amours. Avec des fleurs sur la tête J'apparais aussi parfois Au poëte; Et, de ma plus douce voix, Je chante, chante, chante; Les plus beaux vers me viennent à foison; Je chante, chante, chante, Et ris bien quand il se vante D'avoir lui seul fait sa chanson! Quand tout repose en silence, Dans le bocage ou sur l'eau Je m'élance; Plus rapide que l'oiseau Je vole, vole, vole; Sylphe léger, de l'air je suis le roi; Je vole, vole, vole, Et cause, en ma course folle, Tantôt l'amour, tantôt l'effroi. XXXV Hymne Au Créateur. A Madame La Marquise De Lamet. I (Pour voix de basse ou de baryton.) Terreur du crime, Unique espoir de la douleur, Toi dont l'oeuvre sublime Révèle aux yeux la grandeur; Dieu créateur de la lumière, Éclaire-moi dans l'ombre où vont mes pas ; Prête l'oreille à ma prière; Et si l'Esprit du mal me livre des combats, Pour défier son bras perfide Prête à mes faibles mains le glaive de la Foi; Sous ta noble égide Protége-moi, Dieu tout-puissant, protége-moi! II (Pour Voix De Soprano) Bonté suprême, Qu'en songe tes divins lambris Du jeune enfant qui t'aime Charment les yeux attendris! Fais-le planer avec les anges Dans l'Empyrée où tu règnes sans fin; Qu'au doux concert de tes louanges Il unisse sa voix au chant du Séraphin. Dans son miroir que l'Espérance D'un splendide avenir évoque les beaux jours. De son innocence Sois le secours, Dieu tout-puissant, sois le secours! III (Pour Voix De Ténor) 0 Providence, Veille sur nous, soutiens nos coeurs. Voix de la conscience, Parle et confonds nos erreurs. Sur la terre, après tant d'orages, Répands le calme et la paix et l'amour. Montre au juste accablé d'outrages L'âme prenant son vol vers l'éternel séjour. De tous les biens source féconde, Bénis l'Humanité qui t'implore à genoux; 0 maître du monde, Exauce-nous; Dieu tout-puissant, exauce-nous! Source: http://www.poesies.net