Poésie. (1913-1988) Par André Breton. (1896-1966) TABLE DES MATIERES. MONT DE PIÉTÉ. (1913-1919) FAÇON. RIEUSE. D'OR VERT. L'AN SUAVE. HYMNE. ÂGE. COQS DE BRUYÈRE. DÉCEMBRE. ANDRÉ DERAIN. FORÊT-NOIRE. POUR LAFCADIO. MONSIEUR. CLÉ DE SOL. UNE MAISON PEU SOLIDE. LE CORSET MYSTÈRE. POÈMES DIVERS. LE RÊVE. ÉDEN... LORSQUE TOUT DORT... RONDEL. PORTRAIT ÉTRANGE. RIS, POSTE... DES TERRASSES DU SONGE... COMME UNE CHÂSSE D'OR... VERS UNE FIN D'ÉTÉ. COULEUR D'HEURE. LE REGRET DES SOLEILS... DIRE, À VOIR CETTE MAIN... LINGÈRES. CAMAÏEU. L'EAU DOUCE... À VOUS SEULE. COQUITO. CHAUMONT... IMMEUBLES DÉMOLIS... SOLDAT. CLAIR DE TERRE. CINQ RÊVES. I II III IV V PIÈCE FAUSSE. PSTT. LES REPTILES CAMBRIOLEURS. AMOUR PARCHEMINÉ. CARTES SUR LES DUNES. ÉPERVIER INCASSABLE. MÉMOIRES D'UN EXTRAIT DES ACTIONS DE CHEMINS. RENDEZ-VOUS. PRIVÉ. LE MADRÉPORE. LE VOLUBILIS ET JE SAIS L'HYPOTÉNUSE. I II III IV V VI VII VIII IL N'Y A PAS À SORTIR DE LÀ. LE BUVARD DE CENDRE. L'HERBAGE ROUGE. AU REGARD DES DIVINITÉS. ANGÉLUS DE L'AMOUR. TOUT PARADIS N'EST PAS PERDU. MA MORT PAR ROBERT DESNOS. PLUTÔT LA VIE. DU SANG DANS LA PRAIRIE. FEUX TOURNANTS. SILHOUETTE DE PAILLE. ÎLE. DANS LA VALLÉE DU MONDE. MILLE ET MILLE FOIS. L'AIGRETTE. LÉGION ÉTRANGÈRE. MÉTÉORE. LIGNE BRISÉE. TOURNESOL. LE SOLEIL EN LAISSE. À RROSE SÉLAVY. POÈMES DIVERS. BOCAUX DADA. PARFUMS D'ORSAY. TITRE . L'AFFAIRE BARRÈS. (Petite chanson DADA.) POUR DENISE. I II III IV TEXTES AUTOMATIQUES. LE PAGURE DIT. PAR AVANCE. SUPRATERRESTRES. RIDEAUX. PERCHES. LA CHARITÉ, S'IL VOUS PLAÎT. CINQ. FORÊT VIERGE. COSTUME-TAILLEUR. APRÈS LE BAL. CONCOURS SUITE DE NOMS DE NOMBRES RÉCRÉATIFS ET DIVINATOIRES DANS LA BONNE ODEUR DE FUMÉE. CONVAINCUE D'IMPOSTURE. DE FIL EN AIGUILLE. HALTÈRES. RECTIFICATIONS. POÈMES DIVERS. À TEMPS NOUVEAUX... CHANSONS INTERNATIONALES. MAIRIE AMÉRICAINE AH FINI DE COURIR... L'EMBARQUEMENT... I II III IV V VI TU ES GRAVE... LA PORTE DE LA MAISON DE LISE... C'EST TOI CE N'EST PAS NOUS... LUMIÈRE AI-JE DIT... JE NE SAIS PAS MAIS JE SAIS... MES PAS DANS LES TIENS... DU TEMPS QUE LES CHOSES PARLAIENT... FAIS QUE LE JOUR... LE REVOLVER À CHEVEUX BLANCS. (poésies.) POSES FATALES. CONFORT MODERNE. LA MORT ROSE. CAMP VOLANT. NON-LIEU. SUR LA ROUTE QUI MONTE ET DESCEND. LES ATTITUDES SPECTRALES. CARTE D'ÉLECTEUR. ALLOTROPIE. HÔTEL DES ÉTINCELLES. LE VERBE ÊTRE. LES ÉCRITS S'EN VONT. LA FORET DANS LA HACHE. TOUTES LES ÉCOLIÈRES ENSEMBLE. C'EST MOI OUVREZ. LE TROTTOIR DE PELURE D'ORANGE. APRÈS LE GRAND TAMANOIR. TOUT VA BIEN. L'UNION LIBRE. NOEUD DES MIROIRS. UN HOMME ET UNE FEMME ABSOLUMENT BLANCS. FACTEUR CHEVAL. RIDEAU RIDEAU. LE SPHINX VERTÉBRAL VIGILANCE. SANS CONNAISSANCE. DERNIÈRE LEVÉE. UNE BRANCHE D'ORTIE ENTRE PAR LA FENÊTRE LE GRAND SECOURS MEURTRIER. VIOLETTE NOZIÈRES. L'AIR DE L'EAU. POÈMES DIVERS IV ET TEXTES AUTOMATIQUES. LE VAISSEAU N'AVANÇAIT PLUS... LES PLANTES SONT DES COUVERTS... POÈME AVEC VOCABULAIRE. POÈME EXHIBITIONNISTE. POÈME FIN DU MONDE. POÈME PROPHÉTIQUE. POÈME SCATOLOGIQUE. POÈME GENRE SCOLAIRE. LES PARIS. I II L'AMOUR SUR LE CHEMIN... L'OISEAU DE FLAMME... C'EST LE STYLE JAPONAIS CONNAIS-TU LE VERBE ÊTRE... LE JOUR OÙ JE NAISSAIS LYONS-LA-FORÊT TERRE DU CRIME... LIT VIEILLE CORNEMUSE... QUE LES MESURES D'ÉTAIN... UN TEMPS S'EST ÉCOULÉ... LE MARAIS DES CINQ-DOIGTS... JEUNES GENS DÉCOUVREZ... DU LIT QUI EST FAIT... QUI TEND L'OREILLE... LA MAISON BLONDE C'EST LE TEMPS QUI VEUT... LA FOUDRE EST TOMBÉE... LES COURSES DE HAIES... DANS LA BARQUE D'UN RIRE. LA CAGE AUX SENS ET SA PORTE OUVERTE. SUR L'ÉTANG DES PARESSES... LA PÊCHE AUX ÉCREVISSES. JUGEMENT DE L'AUTEUR SUR LUI-MÊME. PLEINE MARGE. FATA MORGANA. POÈMES DIVERS. MONDE. LE PUITS ENCHANTÉ. COURS-LES TOUTES. LA MAISON D'YVES. CARTE POSTALE. QUELS APPRÊTS. POÈME POUR HÉLÈNE LAMI. POÈMES PUBLIÉS DANS " VVV ". FRÔLEUSE. PASSAGE À NIVEAU. PREMIERS TRANSPARENTS. PLUS QUE SUSPECT. LA LANGUE BIEN PENDUE. INTÉRIEUR. GUERRE. MOT À MANTE. I LA COURTE ÉCHELLE. II LA PORTE BAT. LES ÉTATS GÉNÉRAUX. Il y aura. Toujours. une pelle. au vent. dans les sables. du rêve. DES ÉPINGLES TREMBLANTES. LE BRISE-LAMES. L'INSCRIPTION BI-AILÉE. FERRETS DE LA REINE NOIRE. LA PROVIDENCE TOURNE. POUR MADAME SUZANNE CÉSAIRE. LA LANTERNE SOURDE. PORTEUSE SANS FARDEAU. LA CARTE DE L'ÎLE. ANCIENNEMENT RUE DE LA LIBERTÉ. XÉNOPHILES. (extraits.) LA MOINDRE RANÇON. KORWAR. ULI. DUKDUK. TIKI. RANO RARAKU. OUBLIÉS. ÉCOUTE AU COQUILLAGE. JE REVIENS. SUR LA ROUTE DE SAN ROMANO. ODE À CHARLES FOURIER. CONSTELLATIONS. LE LEVER DU SOLEIL. L'ÉCHELLE DE L'ÉVASION. PERSONNAGES DANS LA NUIT GUIDÉS PAR LES TRACES PHOSPHORESCENTES DES ESCARGOTS. FEMMES SUR LA PLAGE. FEMME À LA BLONDE AISSELLE COIFFANT SA CHEVELURE À LA LUEUR DES ÉTOILES. L'ÉTOILE MATINALE. PERSONNAGE BLESSÉ. FEMME ET OISEAU . FEMME DANS LA NUIT. DANSEUSES ACROBATES. LE CHANT DU ROSSIGNOL À MINUIT ET LA PLUIE. MATINALE. LE L'ÉCHELLE A FRÔLÉ LE FIRMAMENT. LA POÉTESSE. LE RÉVEIL AU PETIT JOUR. VERS L'ARC-EN-CIEL. FEMMES ENCERCLÉES PAR LE VOL D'UN OISEAU. FEMMES AU BORD D'UN LAC À LA SURFACE IRISÉE PAR LE PASSAGE D'UN CYGNE. L'OISEAU MIGRATEUR. CHIFFRES ET CONSTELLATIONS AMOUREUX D'UNE FEMME. LE BEL OISEAU DÉCHIFFRANT L'INCONNU AU COUPLE. D'AMOUREUX. LE CRÉPUSCULE ROSE CARESSE LES FEMMES ET LES OISEAUX. LE PASSAGE DE L'OISEAU DIVIN. MONT DE PIÉTÉ. (1913-1919) FAÇON. Chéruit. L’attachement vous sème en taffetas broché projets, sauf où le chatoiement d’ors se complut. Que juillet, témoin fou, ne compte le péché d’au moins ce vieux roman de fillettes qu’on lut! De fillettes qu’on brigua se mouille (Ans, store au point d’oubli), faillant téter le doux gave, -Autre volupté, quel acte élu t’instaure? - un avenir, éclatante Cour Batave. Étiquetant baume vain l’amour, est-on nanti de froideur un fond, plus que d’heures mais, de mois? Elles font de batiste: À jamais! -L’odeur anéantit tout de même jaloux ce printemps, Mesdemoiselles. RIEUSE. Rieuse et si peut-être imprudemment laurée De jeunesse qu’un faune accouru l’aurait ceinte Une Nymphe au Rocher qui l’âme (Sinon peinte L’ai-je du moins surprise au bleu de quelque orée) Sur la nacelle d’or d’un rêve aventurée -De qui tiens-tu l’espoir et ta foi dans la vie? - Des yeux refléterait l’ascension suivie Sous l’azur frais, dans la lumière murmurée... -Non plutôt de l’éden où son geste convie Mais d’elle extasiée en blancheur dévêtue Que les réalités n’ont encore asservie: Caresse d’aube, émoi pressenti de statue, Éveil, aveu qu’on n’ose et pudeur si peu feinte, Chaste ingénuité d’une prière tue. D’OR VERT D’or vert les raisins mûrs et mes futiles voeux Se gorgent de clarté si douce qu’on s’étonne. Au délice ingénu de ceindre tes cheveux Plus belle, à n’envier que l’azur monotone, Je t’évoque, inquiet d’un pouvoir de manteau Chimérique de fée à tes pas sur la terre, Un peu triste peut-être et rebelle plutôt Que toute abandonnée au glacis volontaire. Étourdiment parjure aux promesses de fleur Ton col s’effile, orné de rinceaux par la treille. Il semble, à voir tes mains, qu’elles brodent couleur De feuillage une soie où te fondre, pareille. Je sens combien tu m’es lointaine et que tes yeux, L’azur, tes bijoux d’ombre et les étoiles d’aube Vont s’éteindre, captifs du ramage ennuyeux Que tôt figurera ton caprice de robe. L’AN SUAVE. À Mme Marie Laurencin. Un châle méchamment qui lèse ta frileuse Épaule nous condamne aux redites. Berger, Tu me deviens l’à peine accessible fileuse. (À l’ordinaire jeu ce délice étranger.) Qu’aimablement ta main dissipe tout léger Nuage vers ce front où la mèche boucleuse N’aspire, avec les brins de paille, qu’au danger De lune! Ai-je omis la nymphe miraculeuse Icare aux buissons neigeux, tu sais, parmi Les douces flèches -l’an suave quel ami! - Et, criblé de chansons par Écho, le silence Que déjà ton souhait de plumes, n’oscillant Pour se moquer de grèbe en paradis, s’élance -Ah! quel ami c’est l’an suave! -au toquet blanc? HYMNE. Hymne, à peine d’une eau mourante sur le sable. Ô pins, vous imitez l’azur indispensable Et le couchant prélude à vos cimes rougies Un bras faible se noue en des mythologies Scabreuses dont la flûte émeut l’enchanteresse Au torse vain du faune avide. La caresse Initiale flue avec de l’ombre. Alcée? Alcée en pleurs dédaigne une rose glacée Où, depuis qu’en certaine émeraude un délire Suscita les clartés mystérieuses, lire... À la faveur des chants de lyre, aube de soie Changeante, une île d’or apparaît. Qui se noie -Des plus folles! -sous les rochers d’aventurine À Leucade? (Frivole alliance marine On s’en doute, mais l’art de se feindre ingénue L’absout.) « Tu vois qu’un cerne aimable diminue Aux paupières. La peur que fraîchissent les touffes Désertes, l’une ou l’autre, en vain, si tu l’étouffes, Promit ta chevelure aux fleurs d’écaille, bleue... Trêve d’héliotrope où s’irise une queue De sirène, le flot te cajole. » Août 1914. ÂGE. Aube, adieu! Je sors du bois hanté; j’affronte les routes, croix torrides. Un feuillage bénissant me perd. L’août est sans brèche comme une meule. Retiens la vue panoramique, hume l’espace et dévide machinalement les fumées. Je vais m’élire une enceinte précaire: on enjambera s’il faut le buis. La province aux bégonias chauffés caquète, range. Que gentiment s’ameutent les griffons au volant frisé des jupes! Où la chercher, depuis les fontaines? À tort je me fie à son collier de bulles... Yeux devant les pois de senteur. Chemises caillées sur la chaise. Un chapeau de soie inaugure de reflets ma poursuite. Homme... Une glace te venge et vaincu me traite en habit ôté. L’instant revient patiner la chair. Maisons, je m’affranchis de parois sèches. On secoue! Un lit tendre est plaisanté de couronnes. Atteins la poésie accablante des paliers. 19 février 1916. COQS DE BRUYÈRE. Coqs de bruyère... et seront-ce coquetteries de péril ou de casques couleur de quetsche? Oh! surtout qu’elle fripe un gant de Suède chaud soutenant quels feux de Bengale gâteries! Au Tyrol, quand les bois se foncent, de tout l’être abdiquant un destin digne, au plus, de chromos savoureux, mon remords: sa rudesse, des maux, je dégage les capucines de sa lettre. DÉCEMBRE. Au 25 est l’auberge et son bouchon de gui. J’esquive la frayée injuste, ô blanche terre. Coucou -l’Europe à feu de l’an prochain languit. La chanson des fenouils -et te voilà! Nous taire Enfants des contes si le beau missel en fleurs À minuit de ton gré s’ouvre au feuillet de cloches Pâles qui sont des jacinthes... Qu’en persifleurs Les gamins argentent leur paire de galoches! Elle chante un préau, sans arbre, éperdument. Tes yeux prêchent l’amour impatient des Mages Où compliqué t’aima je sais trop quel amant. Du mensonge qu’un thème ébouriffe en plumages (Des perdrix de l’aurore à ces faisans dorés) Je te loue attendrie autant, plus que naguère. Ne jalousais-tu pas de vieux hennins cendrés? Ce soir, j’envie aux preux des Bouvines la guerre Indulgente à raison de pape. Fantassin Là-bas, conscrit du sol et de la hampe, y être! -Et mes bras, leur liane chaude qui t’a ceint? -J’aurai mordu la vie à tes seins d’ange piètre. ANDRÉ DERAIN. chante -pinsons -dressoir et pots crus en poète. Il s’entend de patine à velouter; le soir une fleur des genêts sa corne vous lutine Allons! tant qu’un neigeux Olympe déjeunait en voulut-il à son éclat? -Pommiers. - Songeuse mystique aux mains ces langes bleus comme un glaçon, l’humain frémisse, et toi: le premier-né c’est l’ange! -À vol d’oiseau. -Que mousse entre vos feuilles, toits exquis, la rose blanche et qui fond, de fumée! Où, selon que mes doigts débouchent à l’odeur -Mai! -ce tube ou d’almée un pantalon chiffonnent, m’épandre aussi verdeur à travers? Qu’un semblant de cornette bouffonne (et ta coiffe empesée) appelle: tout tremblant le ramage turquin, ma soeur, des noms en zée. Ah! plus ce brouillard tendre. FORÊT-NOIRE. Out Tendre capsule etc melon Madame de Saint-Gobain trouve le temps long seule ne côtelette se fane Relief du sort Où sans volets ce pignon blanc Cascades Les schlitteurs sont favorisés Ça souffle que salubre est le vent le vent des crémeries L’auteur de l’Auberge de l’Ange Gardien L’an dernier est tout de même mort À propos De Tubingue à ma rencontre Se portent les jeunes Kepler Hegel Et le bon camarade POUR LAFCADIO L’avenue en même temps le Gulf Stream MAM VIVIER. Ma maîtresse prend en bonne part son diminutif Les amis sont à l’aise On s’entend Greffier parlez MA langue MAternelle Quel ennui l’heure du cher corps corps accort Jamais je ne gagnerai tant de guerres Des combattants qu’importe mes vers le lent train l’entrain Mieux vaut laisser dire qu’André Breton receveur de Contributions Indirectes s’adonne au collage en attendant la retraite MONSIEUR V. À la place de l’étoile L’Arc de Triomphe qui ne ressemble à un aimant que pour la forme argenterai-je les jardins suspendus BERCEUSE. L’enfant à la capote de rubans l’enfant que chatouille la mer En grandissant il se regarde dans une coquille nacrée l’iris de son oeil est l’étoile dont je parlais MARCHE. Pierre ou Paul Il s’apprête à tirer les rois aujourd’hui comme ailleurs ses égaux Rêve de révolutions On ne saurait décrire en art l’engin à prendre le renard bleu CLÉ DE SOL À Pierre Reverdy. On peut suivre sur le rideau L’amour s’en va Toujours est-il Un piano à queue Tout se perd Au secours L’arme de précision Des fleurs Dans la tête sont pour éclore Coup de théâtre La porte cède La porte c’est de la musique UNE MAISON PEU SOLIDE Le gardien des travaux est victime de son dévouement Depuis longtemps le mode de construction d’un immeu- ble situé rue des Martyrs était jugé déraisonnable par les gens du quartier. Rien n’apparaissait encore de la toiture que déjà les peintres et les tapissiers entreprenaient de décorer les appartements. De nouveaux échafaudages étayaient tous les jours la façade chancelante, au grand trouble des pas- sants que le gardien des travaux rassurait. Hélas! celui-ci devait payer son optimisme de la vie puisqu’hier, à midi 30, alors que les ouvriers étaient allés déjeuner, la bâtisse s’effondrait, l’ensevelissant sous ses décombres. Un enfant, trouvé évanoui sur les lieux du sinistre, ne fut pas long à reprendre connaissance. C’est le jeune Lespoir, 7 ans, que l’on reconduisit bien vite à ses parents. Il avait eu plus de peur que de mal. Il commença par réclamer la trotti- nette sur laquelle il s’était élancé du haut de la rue. Le gar- çonnet raconte qu’un homme avec un bâton s’étant précipité vers lui en criant: « Gare! » il avait voulu s’enfuir. C’est tout ce dont il se souvient. On sait le reste. Son sauveur, bien connu de l’entourage sous le nom de Guillaume Apollinaire, pouvait avoir une soixantaine d’années. Il avait gagné la mé- daille du travail et ses compagnons l’estimaient. Quand pourrons-nous donner la clé de ce mystère? On recherche, en vain jusqu’à présent, l’entrepreneur et l’architecte de la maison penchée. L’émotion est considéra- ble. À Tristan Tzara. LE CORSET MYSTÈRE. Mes belles lectrices, à force d’en voir de toutes les couleurs Cartes splendides, à effets de lumière, Venise Autrefois les meubles de ma chambre étaient fixés solidement aux murs et je me faisais attacher pour écrire: J’ai le pied marin nous adhérons à une sorte de Touring Club sentimental c’est aussi le Bazar de la Charité Jeux très amusants pour tous âges; Jeux poétiques, etc. Je tiens Paris comme -pour vous dévoiler l’avenir - votre main ouverte la taille bien prise. POÈMES DIVERS. LE RÊVE. Quelquefois, à l’éveil, par un matin qui passe, On se sent dans le coeur un souvenir gravé; Le fait est loin de nous; on dirait qu’il s’efface... On l’évoque un instant et l’on dit: « J’ai rêvé... » Un rêve est un regard plongé dans l’infini... Quelque chose de bleu, comme un coin de légende... Un joyau très brillant, mais que le jour ternit... Peut-être le seul fruit que le jour nous défende... Est-ce toi, triste Nuit, quand tu descends sur terre, Qui jettes de ton char ce beau sable doré Sur la pensée errante et toujours solitaire, En secouant dans l’air ton manteau déchiré? Ou n’est-ce pas plutôt la voix d’un chérubin Berçant notre sommeil de chansons étouffées... Très naïves... qui s’échapperait le matin En nous laissant ravis de nos contes de fées? Septembre 1911. ÉDEN... À M. Klein. Ce serait un jardin d’amour Où le jour Point, dans l’aube couleur d’opale Ou plus pâle... On verrait l’étoile qui fuit Dans la nuit... Et le soleil -Oh! dernier rêve! - Qui se lève... On verrait éclore les fleurs Sous les pleurs De la rosée... alors gemmées... Parfumées... Et sur les blés, au vent léger Voltiger Des formes blanches enlacées Et bercées... Quelque brillant chardonneret Chanterait Sur l’arbre au bord de la rivière, Sa prière... L’onde renverrait, dépliant Son ruban, L’image indécise de vierges Sur les berges... Visions qu’un amour ferait fuir, S’évanouir... Vierges aux grands yeux bleus, limpides, Et timides... Mais l’ange leur lançant ses traits De plus près, Elles pourraient se laisser prendre... Et se rendre. Ce serait un jardin d’amour Où le jour Point, dans l’aube couleur d’opale Ou plus pâle... Avril 1912. LORSQUE TOUT DORT... Lorsque tout dort au salon de ma rêverie Le soir, ma lampe y brûle en des silences lourds Et verse en ses clartés des pavots de velours Mauve, qu’effeuille un abat-jour de broderie. Un portrait de femme, au mur, s’attriste pourtant Seul, dans l’ombre, et ses yeux, ses yeux vagues d’absence Sont d’un azur voilé que l’au-delà nuance: L’azur des reflets de lune sur un étang. Monotone, l’oubli rythme la chanson brève De l’heure. -Sur la console on voit, penché vers L’edelweiss, signet jauni d’un livre de vers, L’ange du souvenir, en marbre blanc, qui rêve... Toujours le souvenir de chagrins pardonnés D’un marbre à peine attiédi de veines grises Et la même feuille, avec de l’automne, aux frises Parmi les ors vieillis et les roses fanés! Février 1913. RONDEL. Mauve procession ce soir Au couchant brumeux des époques; Autour du coeur, l’air équivoque, Comme au pied d’un ancien manoir, Vont les courtisanes d’Espoir Que tristement toutes j’évoque: Mauve procession ce soir Au couchant brumeux des époques. Vont, un peu lasses... Leur regard Défie et leur lèvre se moque; Blanc cortège spectral plutôt que Le long des murs du Doute noir Mauve procession ce soir. Mars 1913. PORTRAIT ÉTRANGE. Le grand vent calmé de la chute une à une De ses illusions, sous les rayons dardés Du vieil automne, autour de son front ridé Fit tournoyer le vol des regrets nocturnes. Son regard bleu, qu’éteint l’ennui des jours ternes, A fui l’aube fausse et le couchant fardé Où, dans le jadis, on le vit s’attarder À saper les murs du Réel qui nous cerne. Son âme, où parfois la pitié blanche passe, Est comme un paysage d’hiver qui glace La parole émue à sa lèvre ravie. Tel il marche devant lui sans voir. Pourtant, Jeune, il a cru à l’amour et à la vie Et des poèmes l’ont fait rêver longtemps... Juin 1913. RIS, POSTE... Ris, poste, et jamais ne riposte... (C’est déjà plein d’esprit... et quel!) Avec ma lettre qu’on se rue Dès lors. -La remettre Onze, rue Taylor, chez mon ami Fraenkel. DES TERRASSES DU SONGE... Les filles aux yeux bandés Cherchent leurs destinées... M. MAETERLINCK. Des terrasses du Songe aux roses débordantes D’où nos voix sans écho voudraient les appeler; On les voit repartir, le coeur inconsolé, Princesses de légende en d’anciens parcs errantes. Ah! que d’espoirs déçus meurtrissent les attentes! ... Les belles, pensons-nous, lasses de s’exiler, Qui tourneront un soir sur nos portes bouclé... Ce sont elles pourtant qui seront nos amantes... Déjà leur coeur s’en doute et leur regard charmant Paraît sonder l’azur comme si, vaguement, Elles savaient qu’au ciel sans étoile et sans lune Leur destin veille, obscur comme un astre ignoré... Pleurons... Par les sentiers d’ombre triste, si l’Une Allait en la nuit verte à jamais s’égarer! 31 juillet 1913. COMME UNE CHÂSSE D’OR... Comme une châsse d’or où de saintes reliques Rêvent un sommeil bleu que le luxe fané D’un décor d’autrefois ne saurait profaner, Dans un long crépuscule, au fond des basiliques; Mon coeur, souvent bercé d’intérieures musiques, Sur de chers souvenirs voudrait se refermer... Douceur! Voir ce désir vierge encore d’Aimer S’éteindre en la pénombre où le veillent, mystiques, Trois cierges dont le soir isole la blancheur: Un regret, qu’engourdit la subite fraîcheur De l’autre hiver, grelotte au bord de l’âme vide; Un bel espoir s’exalte en rapides éclairs Mais, calme en sa ferveur, la prière limpide Implore longuement l’aurore des jours clairs. Août 1913. VERS UNE FIN D’ÉTÉ. ... Pour se repentir de n’avoir pas su cueillir le bel instant où, dans l’abandon d’une attente las- sée, les yeux enfiévrés de désir et l’âme offerte au bord des lèvres mi-closes, les belles sem- blaient prêtes à défaillir, sous la lumière tamisée qui tombait des feuillages, le long des sentiers emplis déjà de crépuscule, que nous viendrons reconnaître quand la cendre des feuilles mortes, remuée au vent d’automne, y aura effacé jusqu’à la trace de leurs pas... ... Nous leur dirons: « Voici nos âmes, pénitentes. » -Il est trop tard -. Demain, toutes auront quitté L’ombre tiède des parcs où la mort de l’été S’effeuille en vains regrets sur leurs coeurs las d’attentes. Des terrasses du Songe aux roses débordantes, Que ne leur avons-nous, comme une fleur, jeté Le tendre Aveu? Que n’avons-nous plus tôt chanté Pour leurs coeurs assoupis de langoureux andantes! ... Leur regard désolé, ce soir presque alarmant, Paraît sonder l’azur comme si, vaguement, Elles savaient qu’au ciel sans étoile et sans lune, Leur destin veille, obscur comme un astre ignoré... Pleurons! Par les sentiers déjà sombres si l’Une Allait en la nuit verte à jamais s’égarer! Août 1913. COULEUR D’HEURE. Avant qu’au seul éclat du rêve qui la dore, Galère sans rameurs ou nef sans gouvernail, Dans le brumeux oubli cette heure sombre encore, Si tu veux, ravisseur de clartés au Vitrail Qui pour la figurer un instant se colore, Je vais distraitement te peindre un éventail Pour que le souvenir des paradis quittés Entretienne en ton coeur une mystique flamme Et qu’alors du vitrail tu sentes les clartés S’épandre doucement en reflets sur ton âme. Regarde: J’ai voulu que demeurent Des feuilles, un peu d’or parmi les branches d’arbres Telles, avant le crépuscule de l’heure, De clairs instants qu’on garde. D’autres ont jonché les allées, Si souvent caressées de beau soleil que, mortes, Elles sont comme des minutes en allées Qu’un vent poussa devant la porte. De cet amas de feuilles mortes, Tout contre un arbre, J’ai fait le socle mouvant D’un marbre Et pour que la déesse nue Dont, au moindre souffle de vent, Peut se briser La statuette Ne soit par d’Autres reconnue, J’ai de son nom sur le marbre effacé Les lettres. Ce n’est ainsi pour Eux qu’une déesse nue Dont le regard se désespère Vers la lugubre vasque de bronze vert D’où ne s’élance plus Le jet d’eau fier Qui, las d’avoir tenté l’impossible ascension, Retombait comme une désillusion Pour rejaillir En gerbe claire Vers l’azur tendre, aux matins d’hier, Blanc comme une âme qui aspire! - ... Après, En harmonie Avec un suprême et vague regret Et les ors éteints Que l’automne sème, Le bronze terni Et le marbre blême, J’ai fardé les lointains D’autres nuances d’agonies... Vois comme j’ai, de bleus fanés, De pâlissants lilas, Su farder les lointains du parc abandonné; Puis, encore au-delà, Vois se dégrader, au jour finissant, Presque irréel, Le ciel que j’ai voulu d’un mauve essentiel. Pardon, chère, de m’être en mon rêve exilé Et de t’avoir, sans craindre assez qu’il ne te plaise, Peint sur cet éventail un vieux parc désolé Au lieu d’un Trianon ou d’un jardin Louis Seize. (Éventail à Mlle Manon L.G.) Septembre 1913. LE REGRET DES SOLEILS... Le regret des soleils promis m’attriste, sous le ciel toujours plus gris. À ma fenêtre encore ouverte sur la Vie, je me sens prêt à défaillir sans le secours de mon Espérance, tarie... Oh! je souffre tant de sentir ma confiance faiblir et mon ardeur s’éteindre; mes bras retomber tristement, épuisés de n’avoir pu étreindre et mes yeux, ternis au désir de l’extase, n’être pourtant qu’indifférents « aux vieillesses des fleurs pâlissant dans un vase; aux clignements lourds de sommeil de la lampe qui ne vit plus qu’à peine; aux crispations vaines des doigts, vers l’Idéal impossible tendus comme au réveil d’illusions lointaines! » Hélas! en ce décor très vieux, mon coeur est un foyer de rêves douloureux. Au soir, sa flamme est morte, est morte sans remède: mon coeur est un foyer de rêves douloureux où dort la cendre bleue et tiède... Quand viendra-t-Elle, l’Attendue, en le charme évoqué d’un beau soir jeter au loin ces fleurs fanées sans remords à les voir exhaler leur tristesse en parfums surannés? Nous irions ensemble alors les remplacer par ces fleurs blanches qui consolent, assez heureux tous deux et calmes pour pouvoir nous attacher à leurs discrets symboles... Elle s’abandonnerait au gris nonchaloir: La lampe, se mourant, La rendrait irréelle en répandant un peu de mystère autour d’Elle et, les mêmes pourtant par ce soir de vertige, tous les objets dont l’âme hanta sans lassitude ma solitude ajouteraient à notre amour un doux prestige. ... Elle aurait vaguement dénoué sur Ses épaules nues Sa chevelure que nuance peut-être un automne attardé ou je ne sais quel adorable crépuscule... Aux épis de soleil glanés, aux reflets bleus de nuit contemplés sur Ses cheveux qui l’assombrissent ou l’éclairent, Elle aurait la pâleur de Son teint assortie et Son regard sincère, je voudrais qu’un peu de tristesse l’amortît. Mon coeur, navré d’avoir osé douter, je l’offrirais à la belle Indistincte en la nommant Son idéal réalisé au touchant repentir des mains jointes... et puis, pour ne pas l’attrister, je lui raconterais le passé sans insister... Puissions-nous alors, sans jamais nous lasser, au jardin de la Vie trop longtemps délaissé ne cueillir que les roses éparses dans les ronces! Puissions-nous, sans jamais nous lasser, trouver en nos plaisirs ce rare oubli des heures et garder pieusement notre Foi au Bonheur! Quand nous devrions éperdus à l’horizon d’Espoir des stériles Demains poursuivre un mirage incertain; quand viendra-t-Elle, l’Attendue, d’un souffle ranimer tous mes rêves éteints? DIRE, À VOIR CETTE MAIN... Dire, à voir cette main sur l’éther bleu flottante Et pâle, infiniment plus pâle que les cierges: « Un lotus a fleuri quelque eau morte en l’attente Imprécise où ton âme aspire aux cimes vierges. » Du voeu de la plus chère offrande à la Madone Et miracle! à ces mots qu’Elle nous apparaisse, Oublier qu’une voix trop peu réelle donne À pleurer sans nul baume espéré de caresse! Savoir aussi quelle urne invisible elle penche Et la mysticité de la chapelle blanche Où le soir exhaler faiblement cette plainte Pour, au gré de la voix qui la module, étrange Écho triste selon toute rosace éteinte, Ô leurre! ne rêver que l’appel d’un archange! LINGÈRES. Bous, dentelle. «Auriez- Vous pris la manchette?» Boudant tes lauriers, Soupire, Fanchette. Leur main blanche vers Toi, vitre qui lampes, Ou rose au travers Du jour faux des lampes Invariablement Se fane. « Ma chère, Ouvre à son amant La porte cochère! -Moi qui me piquais! (Que d’anacoluthes Au feu des parquets!) -Mon dé, si vous l’eûtes!» Elle, souriant Qu’on jalouse Rode, Montre l’Orient De ses dents, et brode. 1913. CAMAÏEU. Moins de jour aux vitres qu’un tulle En fane aux doigts que j’exilai Bénit ma lèvre qui postule Un pâle délice écoulé. Tu n’es sous parasol chinois Qu’à ces figurines pareille Où je découvre ton minois D’estampe et tes boucles d’oreille. Par avance absous d’une robe Onde vigilante à tout oeil Le pieux mensonge te dérobe Aux bras complices du fauteuil. Le prestige des lys abstraits Que tôt pour la nuque il décline Aux mains si lentes des portraits Fleur à nul bleu pétale encline: Du vase en cristal de Bohême Aux bulles qu’enfant tu soufflais Pourtant c’est bien tout le poème: Aube éphémère de reflets. L’EAU DOUCE... L’eau douce effleurait ta main, fée! À poindre aux soupirs de ma lèvre En hâte pensais-je étouffée Qu’elle interrompît ce jeu mièvre Sur l’étang qu’abdiquent ses moires (Un jaloux émoi, qu’on en rie!) À consulter sur les grimoires Enluminés de l’eau fleurie. Ne feins le doute qu’une rame Épousant les brumes, ta yole À défier l’onde qui trame Un complot de joncs s’étiole: Un coucher de lime vacille. À la faveur de notre absence Un moissonneur ailé faucille Autour du canot de plaisance Afin qu’aux arômes de sève Humiliante qui s’égoutte -Les joncs coupés meurent -ton rêve Ainsi qu’aux transparences goûte. Octobre 1914. À VOUS SEULE. À vous seule qui ne fûtes l’étrange poupée Soeur ai-je dit je pressens que sous vos mains petites En précieux chignon ne fuserait la poupée Tout ce qu’orne l’audace verte des clématites. Un seau de femme où gèle en bleuissant l’eau pompée Porte à voir au milieu de salons des stalactites Un bout de corne pointe ustensile d’épopée Au front des pauvres moutards de banlieue à otites. On rapporte la fumée aux losanges de natte Ainsi le rêve du forain mou je l’enviai Que ce fût mordre à belles dents la baie incarnate Ange vous selon mes paradoxes de janvier Retîntes ce long talus qui bée au vent moqueur Et me pardonnâtes l’équipée à contre-coeur. COQUITO. Que l’ombrelle dénie une feuille au platane Ou la mante ce nimbe estival aux fonds d’eau Madame pour un frais d’avenue à landaus Que sur un mode sûr avril indolent tanne! Insu de la contrée en fleurs, jamais si tôt Ne voue à bons raisins l’ivre automne qu’on damne Empêchez-vous que vole un caprice, Madame, Effaroucher de nef à bonbons Coquito? CHAUMONT... Chaumont: ses bâches, -d’une Aulis Ayant peu, -sèvrent de nos lis. IMMEUBLES DÉMOLIS... Immeubles démolis, pans de fleurettes bleues... du mince pont fidélité un homme à la mer et du Montreur de choses Inoubliables s’émeut avec délice aux dépens du mal même. SOLDAT Je m’éclaire aux lampes d’Aladin, peu d’aurores m’alarment: d’où soleil érodant. Les fissures d’un roc lèchent son doux pendant d’yeux pleureurs. Sombre l’époque Rimbaud dans les forêts... Sur le daim feu! souvent trahi d’un ventre éclairé, le crève-coeur de nos refrains couvre un marais. CLAIR DE TERRE 1923 La terre brille dans le ciel comme un astre énorme au milieu des étoiles. Notre globe projette sur la lune un intense clair de terre. « LE CIEL. » Nouvelle astronomie pour tous. Au grand poète À ceux qui comme lui s’offrent LE MAGNIFIQUE. plaisir de se faire oublier CINQ RÊVES. À Georges de Chirico. I Je passe le soir dans une rue déserte du quartier des Grands-Augustins quand mon attention est arrêtée par un écriteau au-dessus de la porte d’une maison. Cet écriteau c’est: « ABRI » ou « À LOUER », en tout cas quelque chose qui n’a plus cours. Intrigué j’entre et je m’enfonce dans un cou- loir extrêmement sombre. Un personnage, qui fait dans la suite du rêve figure de génie, vient à ma rencontre et me guide à travers un escalier que nous descendons tous deux et qui est très long. Ce personnage, je l’ai déjà vu. C’est un homme qui s’est occupé autrefois de me trouver une situation. Aux murs de l’escalier je remarque un certain nombre de reliefs bizarres, que je suis amené à examiner de près, mon guide ne m’adressant pas la parole. Il s’agit de moulages en plâtre, plus exactement: de moulages de moustaches considérablement grossies. Voici, entre autres, les moustaches de Baudelaire, de Germain Nouveau et de Barbey d’Aurevilly. Le génie me quitte sur la dernière marche et je me trouve dans une sorte de vaste hall divisé en trois parties. Dans la première salle, de beaucoup la plus petite, où pénètre seulement le jour d’un soupirail incompréhensible, un jeune homme est assis à une table et compose des poè- mes. Tout autour de lui, sur la table et par terre, sont répan- dus à profusion des manuscrits extrêmement sales. Ce jeune homme ne m’est pas inconnu, c’est M. Georges Gabory. La pièce voisine, elle aussi plus que sommairement meublée, est un peu mieux éclairée, quoique d’une façon tout à fait insuffisante. Dans la même attitude que le premier personnage, mais m’inspirant, par contre, une sympathie réelle, je distingue M. Pierre Reverdy. Ni l’un ni l’autre n’a paru me voir, et c’est seulement après m’être arrêté tristement derrière eux que je pénètre dans la troisième pièce. Celle-ci est de beaucoup la plus grande, et les objets s’y trouvent un peu mieux en valeur: un fauteuil inoccupé de- vant la table paraît m’être destiné; je prends place devant le papier immaculé. J’obéis à la suggestion et me mets en devoir de compo- ser des poèmes. Mais, tout en m’abandonnant à la spontanéi- té la plus grande, je n’arrive à écrire sur le premier feuillet que ces mots: La lumière... Celui-ci aussitôt déchiré, sur le second feuillet: La lu- mière... et sur le troisième feuillet: La lumière... II J’étais assis dans le métropolitain en face d’une femme que je n’avais pas autrement remarquée, lorsqu’à l’arrêt du train elle se leva et dit en me regardant: « Vie végétative ». J’hésitai un instant, on était à la Station Trocadéro, puis je me levai, décidé à la suivre. Au haut de l’escalier nous étions dans une immense prairie sur laquelle tombait un jour verdâtre, extrêmement dur, de fin d’après-midi. La femme avançait dans la prairie sans se retourner et bientôt un personnage très inquiétant, d’allure athlétique et coiffé d’une casquette, vint à sa rencontre. Cet homme se détachait d’une équipe de joueurs de football composée de trois personnages. Ils échangèrent quelques mots sans faire attention à moi, puis la femme dis- parut, et je demeurai dans la prairie à regarder les joueurs qui avaient repris leur partie. J’essayai bien aussi d’attraper le ballon, mais... je n’y parvins qu’une fois. III Je me baignais avec un petit enfant au bord de la mer. Peu après je me trouvai sur la plage en compagnie d’un cer- tain nombre de gens, dont les uns me sont connus, les autres inconnus, quand brusquement l’un des promeneurs nous si- gnala deux oiseaux qui volaient parallèlement à une certaine distance, et qui pouvaient être des mouettes. Quelqu’un eut aussitôt l’idée de tirer sur ces oiseaux (car nous portions tous des fusils) et l’on put croire que l’un d’eux avait été blessé. Ils tombèrent en effet assez loin du rivage, et nous at- tendîmes quelque temps que la vague les apportât. À mesure qu’ils approchaient, j’observai que ces ani- maux n’étaient nullement des oiseaux comme je l’avais cru tout d’abord, mais bien plutôt des sortes de vaches ou de chevaux. L’animal qui n’était pas blessé soutenait l’autre avec beaucoup d’attendrissement. Quand ils furent à nos pieds, ce dernier expira. La particularité la plus remarquable que présentait cet animal qui venait de mourir était la différenciation très curieuse de ses yeux. L’un de ceux-ci, en effet, était complètement terne et as- sez semblable à une coquille d’oursin, tandis que l’autre était merveilleusement coloré et brillant. L’animal secourable avait depuis longtemps disparu. C’est alors que M. Roger Lefébure qui, je ne sais pourquoi, se trouvait parmi nous, s’empara de l’oeil phosphorescent et le prit pour monocle. Ce que voyant, une personne de l’assistance jugea bon de rapporter l’anecdote suivante: Dernièrement, comme à son habitude, M. Paul Poiret dansait devant ses clientes, quand brusquement son monocle tomba par terre et se brisa. M. Paul Éluard, qui se trouvait là, eut l’amabilité de lui offrir le sien, mais celui-ci subit le même sort. IV Une partie de ma matinée s’était passée à conjuguer un nouveau temps du verbe être -car on venait d’inventer un nouveau temps du verbe être. Au cours de l’après-midi j’avais écrit un article qu’autant que je me rappelle je trou- vais peu profond mais assez brillant. Un peu plus tard je m’étais mis à continuer d’écrire un roman. Cette dernière en- treprise m’avait conduit à effectuer des recherches dans ma bibliothèque. Elles amenèrent bientôt la découverte d’un ou- vrage in-8° que j’ignorais posséder et qui se composait de plusieurs tomes. J’ouvris l’un d’eux au hasard. Le livre se présentait comme un traité de philosophie mais, à la place du titre correspondant à une des divisions générales de l’ouvrage, comme j’aurais lu: Logique, ou: Morale, je lus: Énigmatique. Le texte m’échappe entièrement, je n’ai souve- nir que des planches figurant invariablement un personnage ecclésiastique ou mythologique au milieu d’une salle cirée immense qui ressemblait à la galerie d’Apollon. Les murs et le parquet réfléchissaient mieux que des glaces puisque cha- cun de ces personnages se retrouvait plusieurs fois dans la pièce sous diverses attitudes avec la même intensité et le même relief et qu’Adonis, par exemple, était couché à ses propres pieds. Je me sentais en proie à une grande exalta- tion; il me semblait qu’un livre d’observations médicales en ma possession m’apporterait sur la question qui me préoc- cupait une véritable révélation. J’y trouvai en effet ce que je cherchais: une photographie de femme brune un peu forte, ni très belle ni très jeune, que je connaissais vaguement. J’étais assis chez moi, à la table de l’atelier, le dos tourné à la fenêtre. La femme de la photographie vint alors frôler mon épaule droite et, après m’avoir adressé quelques paroles comminatoires, elle alla poser la main gauche sur la corniche de la petite armoire située près de la porte et je ne la vis plus. Je poursuivis mes investigations; il s’agissait mainte- nant de chercher dans le dictionnaire un mot qui était proba- blement le mot: souris. J’ouvris à Rh et mon attention fut aussitôt attirée par la figure qui accompagnait le mot: rhéos- tat. On y voyait un petit nombre de parachutes ou de nuages suspendus ensemble à la manière des ballons d’enfants: dans chaque parachute ou dans chaque nuage il y avait, ac- croupi, un Chinois. Je crus avoir trouvé ensuite ce qui m’était nécessaire à: rongeur. Mais déjà, je n’avais plus grande attention à donner de ce côté. Devant le piano, en face de moi, se tenait en effet M. Charles Baron, jeune homme que dans la réalité je n’arrive jamais à reconnaître, vêtu de noir et avec une certaine recherche. Avant que j’eusse pu lui demander compte de sa présence, Louis Ara- gon l’avait déjà remplacé. Il venait me persuader de l’obligation de sortir immédiatement avec lui: je le suivais. Au bas de l’escalier, nous étions avenue des Champs- Élysées, montant vers l’Étoile où, d’après Aragon, nous de- vions à tout prix arriver avant huit heures. Nous portions chacun un cadre vide. Sous l’Arc de Triomphe je ne songeais qu’à me débarrasser du mien, la pendule marquait sept heu- res vingt-neuf. Aragon, lui, objectait le risque de pluie, il vou- lait absolument que les cadres fussent à l’abri. Nous finîmes par les placer sous la protection des moulures supérieures, contre la pierre, légèrement inclinés, à hauteur de chevalet. Il était question, je crois, de venir les reprendre plus tard. Au moment où nous les disposions j’observai que le cadre d’Aragon était doré, le mien blanc avec de très anciennes traces de dorures, de dimensions sensiblement moins gran- des. V Paul Éluard, Marcel Noll et moi nous trouvons réunis à la campagne dans une pièce où trois objets sollicitent notre attention: un livre fermé et un livre ouvert, d’assez grandes dimensions, de l’épaisseur d’un atlas et inclinés sur une sorte de pupitre à musique, qui tient aussi d’un autel. Noll tourne les pages du livre ouvert sans parvenir à nous intéresser. En ce qui me concerne, je ne m’occupe que du troisième objet, un appareil métallique de construction très simple, que je vois pour la première fois et dont j’ignore l’usage, mais qui est extrêmement brillant. Je suis tenté de l’emporter mais, l’ayant pris en mains, je m’aperçois qu’il est étiqueté 9,90 francs. Il disparaît d’ailleurs à ce moment et est rempla- cé par Philippe Soupault, en grand pardessus de voyage blanc, chapeau blanc, souliers blancs, etc. Soupault est pres- sé de nous quitter, il s’excuse aimablement et j’essaie en vain de le retenir. Nous le regardons par la fenêtre s’éloigner en compagnie de sa femme, que nous ne voyons que de dos et qui est comme lui tout habillée de blanc. Sans chercher à sa- voir ce que Noll est devenu, nous quittons alors la maison, Éluard et moi, Éluard me demandant de l’accompagner à la chasse. Il emporte un arc et des flèches. Nous arrivons au bord d’un étang couvert de faisanes. « À la bonne heure », dis-je à Éluard. Mais lui: « Cher ami, ne crois pas que je sois venu ici pour ces faisanes, je cherche tout autre chose, je cherche François. Tu vas voir François. » Alors toutes les fai- sanes d’appeler: « François, François, François! » Et je dis- tingue au milieu de l’étang un superbe faisan doré. Éluard décoche dans sa direction plusieurs flèches mais -ici l’idée de la maladresse prend en quelque sorte possession du rêve qu’elle n’abandonnera plus -les flèches portent « trop court ». Pourtant le faisan doré finit par être atteint. À la place de ses ailes se fixent alors deux petites boîtes rectan- gulaires de papier rose qui flottent un instant sur l’eau après que l’oiseau a disparu. Nous ne bougeons plus jusqu’à ce qu’une femme nue, très belle, s’élève lentement de l’eau, le plus loin possible de nous. Nous la voyons à mi-corps puis à mi-jambes. Elle chante. À ma grande émotion, Éluard lance vers elle plusieurs traits qui ne l’atteignent pas mais voici que la femme, qu’une seconde nous avions perdue de vue, émerge de l’eau tout près de nous. Une nouvelle flèche vient lui transpercer le sein. Elle y porte la main d’un geste adora- ble et se reprend à chanter. Sa voix s’affaiblit lentement. Je n’ai pas plus tôt cessé de l’entendre qu’Éluard et elle ne sont plus là. Je me trouve en présence de petits hommes mesu- rant environ 1,10 m et habillés de jersey bleu. Ils arrivent de tous les points de l’étang et, comme je les observe sans dé- fiance, l’un d’eux, ayant l’air d’accomplir un rite, s’apprête à m’enfoncer dans le mollet une très petite flèche à deux poin- tes. Il me semble qu’on veut m’unir dans la mort au faisan doré et à la belle chanteuse. Je me débats et j’envoie à terre plusieurs des petits hommes bleus. Mais le petit sacrificateur me poursuit et je finis par tomber dans un buisson où, avec l’aide d’un des autres poursuivants, il cherche à me ligoter. Il me semble facile de terrasser mes deux adversaires et de les ligoter à ma place mais la maladresse ne me permet que de leur prendre la corde et d’en faire autour de leur corps un noeud extrêmement lâche. Je m’enfuis ensuite le long d’une voie de chemin de fer, et, comme on ne me poursuit plus, je modère peu à peu mon allure. Je passe à proximité d’une charmante usine que traverse un fil télégraphique dirigé per- pendiculairement à la voie et situé à cinq ou six mètres du sol. Un homme de ma taille tend à deux reprises, très énergi- quement, le bras vers le fil sur lequel, sans aucun mouve- ment de lancement, il réussit à placer en équilibre, à égale distance de l’usine et des rails, deux verres vides du type go- belet. « C’est, dit-il, pour les oiseaux. » Je repars, avec l’idée de gagner la gare encore lointaine d’où je puisse prendre le train pour Paris. J’arrive enfin sur le quai d’une ville qui est un peu Nantes et n’est pas tout à fait Versailles, mais où je ne suis plus du tout dépaysé. Je sais qu’il me faut tourner à droite et longer le fleuve assez longtemps. J’observe, au- dessus du très beau pont qui se trouve à ma gauche, les évo- lutions inquiétantes d’un avion, d’abord très élevé, qui bou- cle la boucle avec peine et inélégance. Il perd constamment de sa hauteur et n’est plus guère qu’au niveau des tourelles des maisons. C’est d’ailleurs moins un avion qu’un gros wa- gon noir. Il faut que le pilote soit fou pour renouveler sa prouesse si bas. Je m’attends à le voir s’écraser sur le pont. Mais l’appareil s’abîme dans le fleuve et il en sort sain et sauf un des petits hommes bleus de tout à l’heure qui gagne la berge à la nage, passe près de moi sans paraître me remar- quer et s’éloigne dans le sens opposé au mien. PIÈCE FAUSSE. À Benjamin Péret. Du vase en cristal de Bohême Du vase en cris Du vase en cris Du vase en En cristal Du vase en cristal de Bohême Bohême Bohême En cristal de Bohême Bohême Bohême Bohême Hême hême oui Bohême Du vase en cristal de Bo Bo Du vase en cristal de Bohême Aux bulles qu’enfant tu soufflais Tu soufflais Tu soufflais Flais Flais Tu soufflais Qu’enfant tu soufflais Du vase en cristal de Bohême Aux bulles qu’enfant tu soufflais Tu soufflais Tu soufflais Oui qu’enfant tu soufflais C’est là c’est là tout le poème Aube éphé Aube éphé Aube éphémère de reflets Aube éphé Aube éphé Aube éphémère de reflets PSTT. Neuilly 1-18... Breton, vacherie modèle, r. de l’Ouest, 12, Neuilly. Nord 13-40... Breton (E.), mon. funèbr., av. Cimetière Parisien, 23, Pantin. Passy 44-15... Breton (Eug.), vins, restaur., tabacs, r. de la Pompe, 176. Roquette 07-90... Breton (François), vétérinaire, r. Trous- seau, 21, /11e) Central 64-99... Breton frères, mécaniciens, r. de Belle- ville, 262, (20e). Bergère 43-61... Breton et fils, r. Rougemont, 12, (9e). Archives 32-58... Breton (G.), fournit, cycles, autos, r. des Archives, 78, (3e). Central 30-08... Breton (Georges), r. du Marché-Saint- Honoré, 4, (1er). Wagram 60-84... Breton (M. et Mme G.), bd Malesherbes, 58, (8e). Gutenberg 03- 78... Breton (H.), dentelles, r. de Richelieu, 60, (2e). Passy 80-70... Breton (Henri), négociant, r. Octave- Feuillet, 22, (16e). Gobelins 08-09... Breton (J.), Élix. Combier, ag. gén., butte du Rhône, 21-23. Roquette 32-59... Breton (J.-L.), député, s.-secr. État inv., bd Soult, 81 bis. Archives 39-43... Breton (L.), hôtel-bar, r. François-Miron, 38, (4e). Marcadet 04-11... Breton (Noël), hôtel-rest., bd National, 56, Clichy. Roquette 02-25... Breton (Paul), décolleteur, r. Saint-Maur, 21, (11e). Central 84-08.... Breton (Th.), contentieux, r. du fg Mont- martre, 13 (9e) Saxe 57-86... Breton (J.), biscuits, r. La Quintinie, 16-18, (15e). Archives 35-44... Breton (J.) et Cie, papiers en gros, r. Saint- Martin, 243, (3e). Roquette 09-76... Breton et Cie (Soc. an.), charbons gros, q. La Râpée, 60, (12e). Breton (André). LES REPTILES CAMBRIOLEURS. À Janine. Sur la tringle de la cour la petite Marie venait de mettre le linge à sécher. C’était une succession de dates fraîches en- core: celle du mariage de sa mère (la belle robe de noce avait été mise en pièces), un baptême, les rideaux du ber- ceau du petit frère riaient au vent comme des mouettes sur les rochers de la côte. L’enfant soufflait les fleurs de la les- sive comme des chandelles et se persuadait de la lenteur de la vie. Elle se prenait de temps à autre à regarder ses mains un peu trop roses et se renversait dans l’eau du baquet pour plus tard, quand elle aurait une anémone à la ceinture. Il commençait à faire nuit. Les précisions des cartes de marine ne comptaient plus guère; sur les ponts traînaient des écharpes de fumée ocre et des adieux. Sur le « sarreau » couvert d’étincelles de lait passent successivement la pa- resse des distractions, la tempête de l’amour et les nombreu- ses nuées d’insectes du souci. Marie sait que sa mère ne jouit plus de toutes ses facultés: des journées entières, coiffée de réflexions plus coulissées qu’en rêve, elle mord le collier de larmes du rire. Se souvient-elle d’avoir été belle? Les plus anciens habitants de la contrée s’inquiétaient du retour des couvreurs sur la ville, on eût préféré la pluie dans les mai- sons. Mais ce ciel! Les ruches d’illusions s’emplissent d’un poison étrange à mesure que la jeune femme élève les bras vers la tête pour dire: laissez-moi. Elle demande à boire du lait de volcan et on lui apporte de l’eau minérale. Elle joint les mains avant de prendre une feuille, plus verte que la lu- mière des carafes, pour écrire. Par-dessous l’épaule on écoute (les anges ne s’en font pas faute, quand ils arrivent guidés par la trace des plumes qu’elle ne porte plus): « Ma petite Marie, tu sauras un jour quel sacrifice est à la veille de se consommer, je ne t’en dis pas davantage. Va, ma fille, sois heureuse. Les yeux de mon enfant sont des rideaux plus ten- dres que ceux des chambres d’hôtel où j’ai demeuré en com- pagnie des aviateurs et des plantes vertes. » Le trésor enfoui dans la cendre de la cheminée se décompose en petits insec- tes phosphorescents qui font entendre un chant monotone, mais que pourrait-elle dire aux grillons? Dieu ne se sentait pas plus aimé qu’à l’ordinaire mais le candélabre des arbres fleuris était là pour quelque chose. Il s’y blottissait de frivoles démons changeants comme l’eau des sources qui court sur le satin des pierres et le velours noir des poissons. À quoi Marie se montre-t-elle soudain si attentive? On est au mois d’août et les automobiles ont émigré depuis le Grand Prix. Qui va-t- on voir apparaître dans ce quartier solitaire, le poète qui fuit sa demeure en modulant sa plainte par les rails de perle, l’amoureux qui court rejoindre sa belle sur un éclair ou le chasseur tapi dans les herbes coupantes et qui a froid? L’enfant donne sa langue au chat, elle brûle de connaître ce qu’elle ignore, la signification de ce long vol à ras de terre, le beau ruisseau coupable qui commence à courir. Mon Dieu, mais voici qu’elle tombe à genoux et les gémissements se font moins sourds à l’étage supérieur, l’oeil-de-boeuf reflète tout ce qui se passe et une âme monte au ciel. On ne sait rien; le trèfle à quatre feuilles s’entrouvre aux rayons de la lune, il n’y a plus qu’à entrer pour les constatations dans la maison vide. AMOUR PARCHEMINÉ. Quand les fenêtres comme l’oeil du chacal et le désir percent l’aurore, des treuils de soie me hissent sur les passe- relles de la banlieue. J’appelle une fille qui rêve dans la mai- sonnette dorée; elle me rejoint sur les tas de mousse noire et m’offre ses lèvres qui sont des pierres au fond de la rivière rapide. Des pressentiments voilés descendent les marches des édifices. Le mieux est de fuir les grands cylindres de plume quand les chasseurs boitent dans les terres détrem- pées. Si l’on prend un bain dans la moire des rues, l’enfance revient au pays, levrette grise. L’homme cherche sa proie dans les airs et les fruits sèchent sur des claies de papier rose, à l’ombre des noms démesurés par l’oubli. Les joies et les peines se répandent dans la ville. L’or et l’eucalyptus, de même odeur, attaquent les rêves. Parmi les freins et les edelweiss sombres se reposent des formes souterraines sem- blables à des bouchons de parfumeurs. CARTES SUR LES DUNES. À Giuseppe Ungaretti. L’horaire des fleurs creuses et des pommettes saillantes nous invite à quitter les salières volcaniques pour les bai- gnoires d’oiseaux. Sur une serviette damée rouge sont dispo- sés les jours de l’année. L’air n’est plus si pur, la route n’est plus si large que le célèbre clairon. Dans une valise peinte de gros vers on emporte les soirs périssables qui sont la place des genoux sur un prie-Dieu. De petites bicyclettes côtelées tournent sur le comptoir. L’oreille des poissons, plus four- chue que le chèvrefeuille, écoute descendre les huiles bleues. Parmi les burnous éclatants dont la charge se perd dans les rideaux, je reconnais un homme issu de mon sang. ÉPERVIER INCASSABLE. À Gala Éluard. La ronde accomplit dans les dortoirs ses ordinaires tours de passe-passe. La nuit, deux fenêtres multicolores restent entrouvertes. Par la première s’introduisent les vices aux noirs sourcils, à l’autre les jeunes pénitentes vont se pencher. Rien ne troublerait autrement la jolie menuiserie du sommeil. On voit des mains se couvrir de manchons d’eau. Sur les grands lits vides s’enchevêtrent des ronces tandis que les oreillers flottent sur des silences plus apparents que réels. À minuit, la chambre souterraine s’étoile vers les théâtres de genre où les jumelles tiennent le principal rôle. Le jardin est rempli de timbres nickelés. Il y a un message au lieu d’un lé- zard sous chaque pierre. MÉMOIRES D’UN EXTRAIT DES ACTIONS DE CHEMINS. RENDEZ-VOUS. À T. Fraenkel. Après les tempêtes cerclées de verre, l’éclair à l’armure brouillée et cette enjambée silencieuse sous laquelle la mon- tagne ouvre des yeux plus fascinants que le Siam, petite fille, adoratrice du pays calqué sur tes parfums, tu vas surprendre l’éveil des chercheurs dans un air révolutionné par le platine. De loin la statue rose qui porte à bout de bras une sorte de bouteille fumant dans un panier regarde par-dessus son épaule errer les anciens vanniers et acrobates. Un joli bagne d’artistes où des zèbres bleus, fouettés par les soupirs qui s’enroulent le soir autour des arbres, exécutent sans fin leur numéro. D’étonnants faisceaux, formés au bord des routes avec les bobines d’azur et le télégraphe, répondent de ta sé- curité. Là, dans la lumière profane, les seins éclatant sous un globe de rosée et t’abandonnant à la glissière infinie, à tra- vers les bambous froids tu verras passer le Prince Vandale. L’occasion brûlera aux quatre vents de soufre, de cadmium, de sel et de Bengale. Le bombyx à tête humaine étouffera peu à peu les arlequins maudits et les grandes catastrophes ressusciteront pêle-mêle, pour se résorber dans la bague au chaton vide que je t’ai donnée et qui te tuera. PRIVÉ. Coiffé d’une cape beige, il caracole sur l’affiche de satin où deux plumes de paradis lui tiennent lieu d’éperons. Elle, de ses jointures spéciales en haut des airs part la chanson des espèces rayonnantes. Ce qui reste du moteur sanglant est envahi par l’aubépine: à cette heure les premiers sca- phandriers tombent du ciel. La température s’est brusque- ment adoucie et chaque matin la légèreté secoue sur nos toits ses cheveux d’ange. Contre les maléfices à quoi bon ce petit chien bleuâtre au corps pris dans un solénoïde de verre noir? Et pour une fois ne se peut-il que l’expression pour la vie déclenche une des aurores boréales dont sera fait le tapis de table du Jugement Dernier? LE MADRÉPORE. Il chante. Les paris tenus au compte-gouttes Bernent les drapeaux de l’isthme Sur le soleil avec les taches des abbés L’entonnoir pose ses lèvres Par une criminelle attention Tu soutiens les cartes d’état-major On presse la poire de velours Et il s’envole des monticules percés Le battoir masque les neiges Promises à l’équateur Des boîtes de baptême tournantes Sans bruit sur les tapis de tapioca Les marchés se ternissent poulies De caresses pour les vieux vents LE VOLUBILIS. ET JE SAIS L’HYPOTÉNUSE. À Simone. I L’oreille en face du silence Comme une pierre de lune et de maraude J’espère passer le blé Dans un pont tout près s’en va la jarretière qui sent le musc des tracés Une lisse montée à la corde et le baiser naissant plaque les on qui reviennent Sur l’ami un doigt Pendant que s’apaisent les cils et les s’ils D’après l’homme Passez bontés humaines parcs de montres et de roses Souvent dans les noirs intérêts et les usages Puisque le sommeil est une flamme parfumée et descend des cuillers de cervelle Avec cette muraille de sureau qui chante les heures Les formes que nous tirons du puits II Sans une claire courageuse et pauvre étoile au nom miraculeux Le bois qui tremble s’entrouvre sur le ciel peint à l’intérieur des forêts de santé Par cette oraison de bluet caractéristique et ces yeux à biseaux Qui domptent les vagues travers zigzaguant par le monde Ô les charmantes passes les beaux masques d’innocence et de fureur J’ai pris l’enfer par la manche de ses multiples soleils détournés des enfants par les plumes Je me suis sauvé Tant que les métiers morts demandaient sur ma route Où va ce manoeuvre bleu Mais sur les mers on ne s’élance pas si tard Demain caresse mon pas de son sable éclatant Et les carnassiers frivoles s’exaltent Voilez les montagnes de ce crêpe jaune étrange que vous avez si bien su découper suivant le patron des graminées des cimes Je suis le perruquier des serrures sous-marines le souffle des amantes III Lorsque la bouteille est là ouverte à ses chants de coqs Le ciel pelure d’oignon Les charmes menteurs de la servante à la voix de salade blanche Te rappellent la boule d’agate élastique de cette nuit ancienne Elle reposait sur une feuille de laurier Toi la tête dans cette cage où tes baisers du matin sont des oiseaux qui se baignent Tu avais pris cette boule pour un des petits compas mystérieux qui prennent à la nuit tombante des mesures sur les étangs Dans le magasin de tailleur de ton père Et les journaux de ce pays étranglé Te font éprouver dans les testicules une douleur bien connue Qui remonte aux jours d’avant ton enfance Tandis que la foule se disperse Et que de petits chocs musicaux se produisent sans interruption dans le papier Au bord du comptoir il y a de la mousse orangée qui arrive Dans une survie ondoyante tu reconnaîtras les moqueurs IV Je ne crois pas que le progrès s’opère dans la direction du sens La confiance manque Mais la mémoire influe un peu sur le beau temps Page de brume au béret de cendre blanche illuminé de tous les sons du tambour d’été J’ai comme un pressentiment de l’aile Des fuites sans mon éclat personnel Qui est un peu déchiqueté L’averse boule de neige des jardins nordiques Puis la poésie aux phares rouges sur une mer toute brune Quand le Texas des piverts monte à l’échelle minuscule Adorée Adorée On offre à tout venant des calmants des voitures Cependant que des douze branches de l’étoile équatoriale L’une Se détache Et roule comme un paradis sans tête V Loin des femmes de course et des femmes de trait Après les arènes de plomb fondu comme la patrie et les bals noirs Le geste autochtone Cette partie sera la dernière et déjà les yeux de toutes les bêtes déménagent à la cloche de bois Des miels abondants sertissent les clochers Sous l’art passent de grands inquisiteurs dont le sourire est une poignée de feuilles sèches Et les grands écarts du soleil interrompent les trains jetés de la mer à la terre à la façon de ces aréopages antiques On a bien raison de couvrir de paille les musiques des oiseaux afin qu’elles ne se brisent pas en route Seul un ventilateur persan détaché de l’arbre tourbillonnera par-dessus les saisons du goût Voici que la rosace des ventres s’incline derrière l’horizon nous entrons dans l’araignée abstraite au corps de muqueuse transparente VI Pour l’estime des mondes les plus féminisés Dans l’aisselle des astres Là où le dogue des cieux garde les corps au bois dormant L’après-midi comme un seul homme entre dans les cases ou parachutes Les sonneries mentent à qui mieux mieux Au doigt les villes et les pluies enchantées Obéissent Il faut essayer la menace D’intérieurs mous s’écoulent de lentes théories de marchands aux paumes tournées en avant pour le besoin architectural Tandis que le premier mendiant en automobile suit de l’oeil le bâton levé du premier voleur de la brigade des voitures Car le scandale a la part du lion dans le plus triste jardin zoologique de ma connaissance Les autres ne savent qu’éteindre les vieux sinus verbaux qui s’espacent de moins en moins régulièrement le long de la voie L’amour est un signal qui n’a pas fonctionné VII Les soigneurs disent aux soignées Là-bas sur les remparts de l’air l’interrogation est sentinelle Paix à nos principes solitaires Nous sommes les rossignols du Qui-vive Ici les trèfles sont des coeurs Et celles qui se sont battues Pour des écailles de tortue Manants des mille et mille seuils Au bras de songe d’outremer Quand ferez-vous palpiter devant nos seins autre chose que ces navires Déjà le jour danse très fort sur les jetées magistrales Où se décide le sort des faibles à la peau nattée jusqu’aux pieds Là nos cuisses s’ouvrent et se ferment belles de nuit Tout près des volumes humains que ceignent les algues de platine À vous mais dans les étendues postiches malgré les bonds prédestinés VIII C’est aussi le bagne avec ses brèches blondes comme un livre sur les genoux d’une jeune fille Tantôt il est fermé et crève de peine future sur les remous d’une mer à pic Un long silence a suivi ces meurtres L’argent se dessèche sur les rochers Puis sous une apparence de beauté ou de raison contre toute apparence aussi Et les deux mains dans une seule palme On voit le soir Tomber collier de perles des monts Sur l’esprit de ces peuplades tachetées règne un amour si plaintif Que les devins se prennent à ricaner bien haut sur les ponts de fer Les petites statues se donnent la main à travers la ville C’est la Nouvelle Quelque Chose travaillée au socle et à l’archet de l’arche L’air est taillé comme un diamant Pour les peignes de l’immense Vierge en proie à des vertiges d’essence alcoolique ou florale La douce cataracte gronde de parfums sur les travaux IL N’Y A PAS À SORTIR DE LÀ À Paul Éluard. Liberté couleur d’homme Quelles bouches voleront en éclats Tuiles Sous la poussée de cette végétation monstrueuse Le soleil chien couchant Abandonne le perron d’un riche hôtel particulier Lente poitrine bleue où bat le coeur du temps Une jeune fille nue aux bras d’un danseur beau et cuirassé comme saint Georges Mais ceci est beaucoup plus tard Faibles Atlantes Rivière d’étoiles Qui entraînes les signes de ponctuation de mon poème et de ceux de mes amis Il ne faut pas oublier que cette liberté et toi je vous ai tirées à la courte paille Si c’est elle que j’ai conquise Quelle autre que vous arrive en glissant le long d’une corde de givre Cet explorateur aux prises avec les fourmis rouges de son propre sang C’est jusqu’à la fin le même mois de l’année Perspective qui permet de juger si l’on a affaire à des âmes ou non 19.. Un lieutenant d’artillerie s’attend dans une traînée de poudre Aussi bien le premier venu Penché sur l’ovale du désir intérieur Dénombre ces buissons d’après le ver luisant Selon que vous étendrez la main pour faire l’arbre ou avant de faire l’amour Comme chacun sait Dans l’autre monde qui n’existera pas Je te vois blanc et élégant Les cheveux des femmes ont l’odeur de la feuille d’acanthe Ô vitres superposées de la pensée Dans la terre de verre s’agitent les squelettes de verre Tout le monde a entendu parler du Radeau de la Méduse Et peut à la rigueur concevoir un équivalent de ce radeau dans le ciel LE BUVARD DE CENDRE. À Robert Desnos. Les oiseaux s’ennuieront Si j’avais oublié quelque chose Sonnez la cloche de ces sorties d’école dans la mer Ce que nous appellerons la bourrache pensive On commence par donner la solution du concours À savoir combien de larmes peuvent tenir dans une main de femme 1° aussi petite que possible 2° dans une main moyenne Tandis que je froisse ce journal étoilé Et que les chairs éternelles entrées une fois pour toutes en possession du sommet des montagnes J’habite sauvagement une petite maison du Vaucluse Coeur lettre de cachet L’HERBAGE ROUGE. À Denise. L’herbage rouge, l’or des grands chapeaux marins Composent pour ton front la musique et les plumes D’enfer. Sur ton chemin blanchissent les enclumes. S’il fait beau dans ton coeur il tonne sur tes reins. Jamais le val d’amour! Dans les feuilles ces trains Qui disparaissent, pris au lasso par les brumes... Tourne éternellement tes seins dans les écumes Des chutes: la lumière est tout ce que j’étreins. Va, comète du rire où le néant t’appelle, Ouvre tes jambes sur l’éventail ou l’ombelle; Toi seule sais me rendre un printemps sang et eau. Balances de la vie, avec toi pour fléau. AU REGARD DES DIVINITÉS. À Louis Aragon. « Un peu avant minuit près du débarcadère. Si une femme échevelée te suit n’y prends pas garde. C’est l’azur. Tu n’as rien à craindre de l’azur. Il y aura un grand vase blond dans un arbre. Le clocher du village des couleurs fondue Te servira de point de repère. Prends ton temps, Souviens-toi. Le geyser brun qui lance au ciel les pousses de fougère Te salue. » La lettre cachetée aux trois coins d’un poisson Passait maintenant dans la lumière des faubourgs Comme une enseigne de dompteur. Au demeurant La belle, la victime, celle qu’on appelait Dans le quartier la petite pyramide de réséda Décousait pour elle seule un nuage pareil À un sachet de pitié. Plus tard l’armure blanche Qui vaquait aux soins domestiques et autres En prenant plus fort à son aise que jamais, L’enfant à la coquille, celui qui devait être... Mais silence. Un brasier déjà donnait prise En son sein à un ravissant roman de cape Et d’épée. Sur le pont, à la même heure, Ainsi la rosée à tête de chatte se berçait. La nuit, -et les illusions seraient perdues. Voici les Pères blancs qui reviennent de vêpres Avec l’immense clé pendue au-dessus d’eux. Voici les hérauts gris; enfin voici sa lettre Ou sa lèvre: mon coeur est un coucou pour Dieu. Mais le temps qu’elle parle, il ne reste qu’un mur Battant dans un tombeau comme une voile bise. L’éternité recherche une montre-bracelet Un peu avant minuit près du débarcadère. ANGÉLUS DE L’AMOUR. À Roger Vitrac. Bientôt les jardins seront sur nous comme des phares D’énormes bulles crèveront à la surface des étangs Seules quelques cristallisations emblématiques parmi lesquelles le pendule de sang et les cinq charbons blancs Témoigneront que le ciel est encore sensible Il y aura aussi un ruban magnifique Enroulé mille fois autour des beautés abstraites naturelles Ô mes amis fermons les yeux Jusqu’à ce que nous n’entendions plus siffler les serpents transparents des directions Aussi vrai que nous vivons en pleine antiquité Dans chaque rayon de soleil il y a une lucarne et à chaque lucarne peut apparaître la Gorgone Déjà nous avons assisté aux migrations de nos mains Immobiles au bord d’un fleuve nous regardions passer le travail à tire d’aile Comme d’autres apprennent à vider sans bruit les poches de leurs vêtements suspendus et garnis de clochettes Quand nous levons la tête le ciel nous bande les yeux Fermons les yeux pour qu’il fasse clair où nous ne sommes pas Là trompant l’impossible étoile à une branche Nous danserons comme le feu parmi les paillettes de nous- mêmes Et ce sera toujours Nous passerons des ponts surprenants Nous verserons dans des vallées de larmes À la longue les cygnes ne répondront plus de nous De nous qui retournons aux formes idéales Avec qui les saisons iront au plus pressé Et qui les premiers forcerons le danger Magique sur sa corde inexistante Pour nous servir à prendre des chemins de traverse TOUT PARADIS N’EST PAS PERDU. À Man Kay. Les coqs de roche passent dans le cristal Ils défendent la rosée à coups de crête Alors la devise charmante de l’éclair Descend sur la bannière des ruines Le sable n’est plus qu’une horloge phosphorescente Qui dit minuit Par les bras d’une femme oubliée Point de refuge tournant dans la campagne Dressée aux approches et aux reculs célestes C’est ici Les tempes bleues et dures de la villa baignent dans la nuit qui décalque mes images Chevelures chevelures Le mal prend des forces tout près Seulement voudra-t-il de nous MA MORT PAR ROBERT DESNOS Le jeudi suivant les académiciens occupés au dictionnaire L’oeil vitreux des hirondelles de bas étage Un jardin aux parterres d’explosions C’était à la veille de Sur l’écorce des marronniers les mots À suivre On parait on se contentait de parer Jamais la religion au secours de l’opinion Ne s’était à ce point commise Dans une cabine de bains J’entrais avec la Vierge en personne Sachez que le baril de poudre Le Penseur Durant la nuit avait été hissé Au sommet de la Trinité Je reviens au même Les individus sont des crics Et je me balance sans cesse en arrière de moi-même Pareil à la suspension de la peur Ma course est celle de cinq jockeys Le premier bute sur ma tête Loin des tribunes Là où les haies sont remplacées par des avalanches Le second part seul Le quatrième pousse à la consommation des noix de coco en guise de cierges Mais le sixième virtuel Dans la glace de mes jours impossibles Ressemble à une patte de renard Je m’arrache difficilement à la contemplation des sourcils Au vert des sangs et des mines À l’apparence humaine qui dissémine Plus j’aime plus je suis aimé des bois où le cerf dans le serpolet Se signe à connaître que veux-tu Descendre estimer mourir Puis l’élément femelle croix des inquisiteurs PLUTÔT LA VIE. Plutôt la vie que ces prismes sans épaisseur même si les couleurs sont plus pures Plutôt que cette heure toujours couverte que ces terribles voitures de flammes froides Que ces pierres blettes Plutôt ce coeur à cran d’arrêt Que cette mare aux murmures Et que cette étoffe blanche qui chante à la fois dans l’air et dans la terre Que cette bénédiction nuptiale qui joint mon front à celui de la vanité totale Plutôt la vie Plutôt la vie avec ses draps conjuratoires Ses cicatrices d’évasions Plutôt la vie plutôt cette rosace sur ma tombe La vie de la présence rien que de la présence Où une voix dit Es-tu là où une autre répond Es-tu là Je n’y suis guère hélas Et pourtant quand nous ferions le jeu de ce que nous faisons mourir Plutôt la vie Plutôt la vie plutôt la vie Enfance vénérable Le ruban qui part d’un fakir Ressemble à la glissière du monde Le soleil a beau n’être qu’une épave Pour peu que le corps de la femme lui ressemble Tu songes en contemplant la trajectoire tout du long Ou seulement en fermant les yeux sur l’orage adorable qui a nom ta main Plutôt la vie Plutôt la vie avec ses salons d’attente Lorsqu’on sait qu’on ne sera jamais introduit Plutôt la vie que ces établissements thermaux Où le service est fait par des colliers Plutôt la vie défavorable et longue Quand les livres se refermeraient ici sur des rayons moins doux Et quand là-bas il ferait mieux que meilleur il ferait libre oui Plutôt la vie Plutôt la vie comme fond de dédain À cette tête suffisamment belle Comme l’antidote de cette perfection qu’elle appelle et qu’elle craint La vie le fard de Dieu La vie comme un passeport vierge Une petite ville comme Pont-à-Mousson Et comme tout s’est déjà dit Plutôt la vie DU SANG DANS LA PRAIRIE. À Georges Limbour. Ciel de verre cassé et de reines-marguerites À toi mon amour s’il y a une escarpolette assez légère pour les mots Les mots que j’ai trouvés sur le rivage Mes mains s’ensanglantent au passage des étoiles Ne dis rien D’après l’ombre des gants tu n’as pas à avoir peur Pour moi et pour tout ce qui ressemble Au survivant Lorsque je passe entre la nuit et le jour avec les menottes Je vois à une fenêtre mon enfant Mon enfant fait glisser à la surface de l’air des pierres claires ou bleues L’arête de poisson luit Et c’est l’oeil Rien que l’oeil de la soubrette un peu au-dessus du toit Il faut tuer à la marée montante Tuez-moi si vous voulez voir le Déluge Il y a encore d’autres barques que les étoiles sur mon sang Mon amour est une marelle Un palet de glace sur le mot Jamais FEUX TOURNANTS. À Max Morise. La toge rousse qui recouvre les autres à carreaux Fait peine à toucher mais l’enterrement divin Que suivent les oiseaux à peine a-t-il lieu Que je vais de dégradation en dégradation C’est d’abord le vainqueur de la rue du chant des roseaux Qui remet son épée à l’ensablement des coeurs Puis la bougie à la flamme haute sur la portée De ma chambre qui baise la hache de licteur Il y a des péchés qui de même sont remis Aux jeunes femmes l’aspic regarde le sein Que seul il a dégrafé vraiment au monde Lui épine arrachée à la rose de l’air Puis le socle désert d’une statue de jongleur En proie maintenant aux papillons et à leurs satellites Les grandes fusées de sève au-dessus des jardins publics Et la mousse qui vient recouvrir ma table quand je dors Dans un bureau le coup de poing américain fait merveille Est-ce que nous ne nous baignons pas chaque jour dans notre sang L’oreille compte les jours les jolies marques de fabrique Mouette sur le dos des moutons de mer Ce sont des charges de cavalerie contre la nuit Éternellement rebelle Des frissons de lances Est fait l’ange qui veille sur la virginité terrible Pareil à la lumière électrique dans les arbres Tambour tambour à tout jamais voilé Une fée balaye les diamants de sa robe de genêts Histoire de moudre un grain plus doux que le café Qu’on te sert en grand mystère sur les fortifications SILHOUETTE DE PAILLE. À Max Ernst. Donnez-moi des bijoux de noyées Deux crèches Une prêle et une marotte de modiste Ensuite pardonnez-moi Je n’ai pas le temps de respirer Je suis un sort La construction solaire m’a retenu jusqu’ici Maintenant je n’ai plus qu’à laisser mourir Demandez le barème Au trot le poing fermé au-dessus de ma tête qui sonne Un verre dans lequel s’ouvre un oeil jaune Le sentiment s’ouvre aussi Mais les princesses s’accrochent à l’air pur J’ai besoin d’orgueil Et de quelques gouttes plates Pour réchauffer la marmite de fleurs moisies Au pied de l’escalier Pensée divine au carreau étoilé de ciel bleu L’expression des baigneuses c’est la mort du loup Prenez-moi pour amie L’amie des feux et des furets Vous regarde à deux fois Lissez vos peines Ma rame de palissandre fait chanter vos cheveux Un son palpable dessert la plage Noire de la colère des seiches Et rouge du côté du panonceau ÎLE DANS LA VALLÉE DU MONDE. À Joseph Delteil. Des animaux disjoints font le tour de la terre Et demandent leur chemin à ma fantaisie Qui elle-même fait le tour de la terre Mais en sens inverse Il en résulte de grands quiproquos La Chine est frappée d’interdit La péninsule Balkanique est doublée par une partie du cortège Au levant seize reptiles étoilés à partir d’un feu Souterrain sont hissés au sommet d’un mât Agitateur du ciel L’approche des crinières blanches est saluée Par les feuilles lancéolées Dont le murmure accompagne ce poème Au dire d’un chanteur L’ombre des ailes des pattes des nageoires Suffit à la renommée L’azur condense les vapeurs précieuses Les singes marins Suspendus aux arbres de corail Et le rossignol qui vit dans les épaves Montrent le bois injecté de roses et de cocaïne Les marches d’ambre Qui mènent au trône des pensées Laissent couler le sang prismatique Les oreilles des éléphants qu’on prenait pour des pierres tombales Dans la vallée du monde Battent la mesure des siècles Plus près les femmes par-dessus les villes de chasubles et de cerises Les femmes poudrées par les fleurs Les femmes dont le troupeau est conduit par les animaux fabuleux Accusent de rigueur le principe Qui assimile les plantes spectrales L’amour à cinq branches l’hystérie flocon des appartements À la mort la petite mort l’héliotropisme MILLE ET MILLE FOIS. À Francis Picabia. Sous le couvert des pas qui regagnent le soir une tour habitée par des signes mystérieux au nombre de onze La neige que je prends dans la main et qui fond Cette neige que j’adore fait des rêves et je suis un de ces rêves Moi qui n’accorde au jour et à la nuit que la stricte jeunesse nécessaire Ce sont deux jardins dans lesquels se promènent mes mains qui n’ont rien à faire Et pendant que les onze signes se reposent Je prends part à l’amour qui est une mécanique de cuivre et d’argent dans la haie Je suis un des rouages les plus délicats de l’amour terrestre Et l’amour terrestre cache les autres amours À la façon des signes qui me cachent l’esprit Un coup de couteau perdu siffle à l’oreille du promeneur J’ai défait le ciel comme un lit merveilleux Mon bras pend du ciel avec un chapelet d’étoiles Qui descend de jour en jour Et dont le premier grain va disparaître dans la mer À la place de mes couleurs vivantes Il n’y aura bientôt plus que de la neige sur la mer Les signes apparaissent à la porte Ils sont de onze couleurs différentes et leurs dimensions respectives vous feraient mourir de pitié L’un d’eux est obligé de se baisser et de se croiser les bras pour entrer dans la tour J’entends l’autre qui brûle dans une région prospère Et celui-ci à cheval sur l’industrie la rare industrie montagneuse Pareille à l’onagre qui se nourrit de truites Les cheveux les longs cheveux pommelés Caractérisent le signe qui porte le bouclier doublement ogival Il faut se méfier de l’idée que roulent les torrents Ma construction ma belle construction page à page Maison insensément vitrée à ciel ouvert à sol ouvert C’est une faille dans le roc suspendu par des anneaux à la tringle du monde C’est un rideau métallique qui se baisse sur des inscriptions divines Que vous ne savez pas lire Les signes n’ont jamais affecté que moi Je prends naissance dans le désordre infini des prières Je vis et je meurs d’un bout à l’autre de cette ligne Cette ligne étrangement mesurée qui relie mon coeur à l’appui de votre fenêtre Je corresponds par elle avec tous les prisonniers du monde L’AIGRETTE. À Marcel Noll. Si seulement il faisait du soleil cette nuit Si dans le fond de l’Opéra deux seins miroitants et clairs Composaient pour le mot amour la plus merveilleuse lettrine vivante Si le pavé de bois s’entrouvrait sur la cime des montagnes Si l’hermine regardait d’un air suppliant Le prêtre à bandeaux rouges Qui revient du bagne en comptant les voitures fermées Si l’écho luxueux des rivières que je tourmente Ne jetait que mon corps aux herbes de Paris Que ne grêle-t-il à l’intérieur des magasins de bijouterie Au moins le printemps ne me ferait plus peur Si seulement j’étais une racine de l’arbre du ciel Enfin le bien dans la canne à sucre de l’air Si l’on faisait la courte échelle aux femmes Que vois-tu belle silencieuse Sous l’arc de triomphe du Carrousel Si le plaisir dirigeait sous l’aspect d’une passante éternelle Les Chambres n’étant plus sillonnées que par l’oeillade violette des promenoirs Que ne donnerais-je pour qu’un bras de la Seine se glissât sous le matin Qui est de toute façon perdu Je ne suis pas résigné non plus aux salles caressantes Où sonne le téléphone des amendes du soir En partant j’ai mis le feu à une mèche de cheveux qui est celle d’une bombe Et la mèche de cheveux creuse un tunnel sous Paris Si seulement mon train entrait dans ce tunnel LÉGION ÉTRANGÈRE. Non je ne ferai pas l’éther dans la revue future Où les décors plantés dans la mer En pleine aurore boréale Comme toujours Le pommier reprendra son bien Je n’ai garde de confondre le baguier de la mer Et l’arcade sourcilière de Dieu Je ne suis pas seul en moi-même Pas plus seul que le gui sur l’arbre de moi-même Je respire les nids et je touche aux petits des étoiles En tant que personnage de la revue éternelle Mes sabots de feu ne font pas grand bruit Sur le parquet céleste Du ciel blanc qui fait la roue aux pieds de Junon Tombent les ramoneurs de l’orage Je pique les coursiers de mes sens Les uns sont montés par de belles amazones Les autres se cabrent au bord de précipices vermeils Il y a une loge en dehors des coulisses Une loge où la psyché redresse les branches qui plient Sous trop de fruits de bouches encore vertes L’immense tremblement des cils est dans le lustre On tire le canon tout près On emporte la statue du soleil sur un camion Ma jeunesse prend part à une retraite aux flambeaux Dans une île du Pacifique Elle monte entre les fusées de ce dauphin Immortelles de ma vie Fiancées du jour qui n’hésite plus MÉTÉORE. À Louis de Gonzague Frick. C’est l’harmonie qui est à l’appareil Le cyclone reste en suspens sur le fleuve Comme deux paupières de vautour Voyez l’étamine de mes mains dans laquelle il y a une ville de l’extrême-orient Les myosotis géants les pousse-pousse d’amour Le carnaval des tempêtes part d’ici Je me tiens debout sur l’avant-dernier char J’espère que vous le baiser Vous paraîtrez Même en camisole de force La lueur qui pêche les coeurs dans ses filets Me demande l’heure Je réponds le temps de pêcher pour toi Pour moi celui d’agiter les mouchoirs et de tordre les poignets L’usine aux cheveux de trèfle L’usine où se plaignent les grandes rames à vif Redouble de foi quand je passe Les mains dans mes poches de grisou blanc et rose Je promets et ne suis pas capable de tenir L’atmosphère me demande conseil inutilement Le long des fils télégraphiques je fais mon apparition en robe fendue Sur ma tête se posent des pieds d’oiseaux si fins Que je ne bouge que pour les faire lever Je vis parquée dans les forêts D’où les nuages galants me font rarement sortir Misérable je fuis sur un quai parmi les caisses LIGNE BRISÉE. À Raymond Roussel. Nous le pain sec et l’eau dans les prisons du ciel Nous les pavés de l’amour tous les signaux interrompus Qui personnifions les grâces de ce poème Rien ne nous exprime au-delà de la mort À cette heure où la nuit pour sortir met ses bottines vernies Nous prenons le temps comme il vient Comme un mur mitoyen à celui de nos prisons Les araignées font entrer le bateau dans la rade Il n’y a qu’à toucher il n’y a rien à voir Plus tard vous apprendrez qui nous sommes Nos travaux sont encore bien défendus Mais c’est l’aube de la dernière côte le temps se gâte Bientôt nous porterons ailleurs notre luxe embarrassant Nous porterons ailleurs le luxe de la peste Nous un peu de gelée blanche sur les fagots humains Et c’est tout L’eau-de-vie panse les blessures dans un caveau par le soupirail duquel on aperçoit une route bordée de grandes patiences vides Ne demandez pas où vous êtes Nous le pain sec et l’eau dans les prisons du ciel Le jeu de cartes à la belle étoile Nous soulevons à peine un coin du voile Le raccommodeur de faïence travaille sur une échelle Il paraît jeune en dépit de la concession Nous portons son deuil en jaune Le pacte n’est pas encore signé Les soeurs de charité provoquent À l’horizon des fuites Peut-être pallions-nous à la fois le mal et le bien C’est ainsi que la volonté des rêves se fait Gens qui pourriez Nos rigueurs se perdent dans le regret des émiettements Nous sommes les vedettes de la séduction plus terrible Le croc du chiffonnier Matin sur les hardes fleuries Nous jette à la fureur des trésors aux dents longues N’ajoutez rien à la honte de votre propre pardon C’est assez que d’armer pour une fin sans fond Vos yeux de ces larmes ridicules qui nous soulagent Le ventre des mots est doré ce soir et rien n’est plus en vain TOURNESOL. À Pierre Reverdy. La voyageuse qui traversa les Halles à la tombée de l'été Marchait sur la pointe des pieds Le désespoir roulait au ciel ses grands arums si beaux Et dans le sac à main il y avait mon rêve ce flacon de sels Que seule a respiré la marraine de Dieu Les torpeurs se déployaient comme la buée Au Chien qui fume Où venaient d'entrer le pour et le contre La jeune femme ne pouvait être vue d'eux que mal et de biais Avais-je affaire à l'ambassadrice du salpêtre Ou de la courbe blanche sur fond noir que nous appelons pensée Le bal des innocents battait son plein Les lampions prenaient feu lentement dans les marronniers La dame sans ombre s'agenouilla sur le Pont-au-Change Rue Gît-le-Coeur les timbres n'étaient plus les mêmes Les promesses des nuits étaient enfin tenues Les pigeons voyageurs les baisers de secours Se joignaient aux seins de la belle inconnue Dardés sous le crêpe des significations parfaites Une ferme prospérait en plein Paris Et ses fenêtres donnaient sur la voie lactée Mais personne ne l’habitait encore à cause des survenants Des survenants qu’on sait plus dévoués que les revenants Les uns comme cette femme ont l’air de nager Et dans l'amour il entre un peu de leur substance Elle les intériorise Je ne suis le jouet d'aucune puissance sensorielle Et pourtant le grillon qui chantait dans les cheveux de cendre Un soir près de la statue d’Étienne Marcel M'a jeté un coup d’oeil d'intelligence André Breton a-t-il dit passe LE SOLEIL EN LAISSE. À Pablo Picasso. Le grand frigorifique blanc dans la nuit des temps Qui distribue les frissons à la ville Chante pour lui seul Et le fond de sa chanson ressemble à la nuit Qui fait bien ce qu’elle fait et pleure de le savoir Une nuit où j’étais de quart sur un volcan J’ouvris sans bruit la porte d’une cabine et me jetai aux pieds de la lenteur Tant je la trouvai belle et prête à m’obéir Ce n’était qu’un rayon de la roue voilée Au passage des morts elle s’appuyait sur moi Jamais les vins braisés ne nous éclairèrent Mon amie était trop loin des aurores qui font cercle autour d’une lampe arctique Au temps de ma millième jeunesse J’ai charmé cette torpille qui brille Nous regardons l’incroyable et nous y croyons malgré nous Comme je pris un jour la femme que j’aimais Nous rendons les lumières heureuses Elles se piquent à la cuisse devant moi Posséder est un trèfle auquel j’ai ajouté artificiellement la quatrième feuille Les canicules me frôlent Comme les oiseaux qui tombent Sous l’ombre il y a une lumière et sous cette lumière il y a deux ombres Le fumeur met la dernière main à son travail Il cherche l’unité de lui-même avec le paysage Il est un des frissons du grand frigorifique À RROSE SÉLAVY. André Breton n’écrira plus. (Journal du Peuple -Avril 1923.) J’ai quitté mes effets, mes beaux effets de neige! POÈMES DIVERS II BOCAUX DADA Comment t’appelles-tu? (Il hausse les épaules.) Où es-tu? -Au Grand Palais des Champs-Élysées. Quel jour sommes-nous? -Jeudi... février 1920. Quel est ton métier? -Je labourais, je taillais les vignes. Et tes parents? -Le père, c’est un innocent, un homme sans intelligence; aussi bien l’un comme l’autre, la mère aussi; c’est moi qui faisais tout. La douzaine d’oeufs coûte six francs; quel est le prix d’un oeuf? -Six francs. Pourquoi ris-tu? -C’est les autres qui me font rire. Crois-tu en Dieu, à la Sainte Vierge? -Ils font toujours leur travail. Comment le sais-tu? -Je le sais. As-tu bien dormi? -Je rêve après les taubes, après les sangliers, que je tombe dans les puits, qu’on me court après pour me battre. Comment te trouves-tu? -Vous êtes beaucoup trop bon pour moi. Je languis partout; je voudrais passer aux rayons X. J’étais bien intelligent jusqu’au mois dernier. Que désires-tu? -Je ne sais pas. PARFUMS D’ORSAY. C’est écrit en face! Le nouvel arrivant regardait sans le voir le vaporisateur de sexe féminin qui se tenait immobile sur la table d’hôte. Il paraissait plutôt gai, de son état. Un papillon qui volait autour de sa jambe vint se poser sur son oeil. Le vent était tombé depuis plusieurs années. En aperce- vant Germaine il ne poussa aucun cri mais il laissa tomber une larme plus longue que la Seine (à Paris, quand elle suit le Louvre en pensant à Louis XIV). Il y avait des roses et du lierre sur le mur: un extérieur charmant. Tout à la pensée de la reconquérir, il allait lui présenter le temps perdu comme une orange avant d’en faire une chapellerie où l’on pût venir se reposer dans la contemplation du soleil. TITRE. À Philippe Soupault. Le ballon bleu de la pendule Et les petits nids des manchons C’est là-dessus que nous couchons Notre matin est incrédule À l’écureuil fou qui recule La hampe offre ses cabochons De faux rubis et nous trichons Pour passer l’eau quand elle ondule Les comédiens du bosquet Sautent le puits où l’on vaquait À ses conquêtes en musique Un évêque éteint nommé Jean Ramène sa chape de brique Sur le grand espace changeant. L’AFFAIRE BARRÈS (Petite chanson DADA) ... Je finis par une petite chanson dada. La chanson d’un ascenseur Qui avait dada au coeur Fatiguait trop son moteur Qui avait dada au coeur L’ascenseur portait un roi Lourd fragile autonome Il coupa son grand bras droit L’envoya au pape à Rome C’est pourquoi L’ascenseur N’avait plus dada au coeur Mangez du chocolat Lavez votre cerveau Dada Dada Buvez de l’eau La chanson d’un dadaïste Qui n’était ni gai ni triste Et aimait une bicycliste Qui n’était ni gaie ni triste Mais l’époux le jour de l’an Savait tout et dans une crise Envoya au Vatican Leurs deux corps en trois valises Ni amant Ni cycliste N’étaient plus ni gais ni tristes Mangez de bons cerveaux Lavez votre soldat Dada Dada Buvez de l’eau La chanson d’un bicycliste Qui était dada de coeur Qui était donc dadaïste Comme tous les dadas de coeur Un serpent portait des gants Il ferma vite la soupape Mit des gants en peau d’serpent Et vint embrasser le pape C’est touchant Ventre en fleur N’avait plus dada au coeur Buvez du lait d’oiseaux Lavez vos chocolats Dada Dada Mangez du veau POUR DENISE. I La parure des voix silencieuses dort À l’angle du lit triste où l’araignée en flamme Qui fuit le mur éteint délivre l’oriflamme Éblouissant du jeu des couvertures d’or. Par la fenêtre ouverte un cavalier mort S’espace. Le jardin qui découvre la femme Danse aux rayons du sel amer qui les affame Et le même frisson qui cambre l’eau les mord. Mais sous la poussière individuelle l’art Semble un détour qu’aurait désiré l’assassine Ou le premier vautour appuyé sur Rosine. Vas-tu soumettre un blanc à ces lois de couleur? Les cavales sont près de fendre le foulard. Milieu du vent calme, étoile de malheur. II Parce que le bougeoir pâlit dans le grenier Parce que le bonheur est venu le dernier Si la conjugaison du verbe d’épouvante Suppose après Je meurs l’impersonnel Il vente Lorsque le naturel épouse le précieux Qui donc attire l’astre en les filets des cieux Dans la perle qui use les charpentes C’est toi qui fais l’amour et les algues charmantes Le chagrin venimeux quitte l’ongle des doigts Sans prendre de couleur et délaye les toits Les toits de ma raison qui se passent de tuiles De vers luisants d’accords et des orbes des huiles III Mieux vaut recommencer toujours. La cavalcade Passe et le beau désert inquiétant, décade Par décade, s’enchante aux lèvres des mourants. Nous avons traversé les mondes différents De nous, nous souriions, bercés par l’aveuglette. C’était de part et d’autre affaire d’amulette. Plus tard l’onglée d’amour jeta ses serpentins Sur le manège bleu de nos fleuves lointains. Passez, colliers, semblants, visages préférables: Je viens de m’interrompre et j’arrive des fables. Le calmant est l’avide et l’usage se perd De l’instrument à voile et du sommeil expert. IV Sur le tranchant éveil bel oiseau de malice Un rideau soulevé qui fait que l’amour glisse Va, crève l’adorable, oiseau qui revenais Du pâle instinct et qui sonnais dans les genêts. Je suis contre le ciel pour la raison démente Que mes os sont à jour et qu’en l’ombre s’aimante Le corail aux tronçons blancs et roses, pareil À mon amie en train de sourire au soleil, Diamant trismégiste à l’arête violente Qui partage son corps en eau froide et brûlante 12 juillet 1923. TEXTES AUTOMATIQUES. LE PAGURE DIT: II PAR AVANCE. j’incorpore aux céramiques de petits grains que viennent becqueter les oiseaux, les ciseaux certainement cela finira par une palme auréole des quilles plat tranches de citron nid du mulet tressaillement opératoire du bateau-mouche arrivée de souverains dans les temps reculés à toi veux-tu me donner la réplique familière de ces écarts bonneterie argentifère où j’achète une casquette à SUPRATERRESTRES. Supériorité des architectures de castors république modèle où les édifices sont troués barre chauffée au rouge patience d’où s’envolent les notes périlleuses encadrement des demeures lacustres sonnette brillante qui se décompose en papillons noirâtres centre des noyaux amers et empoisonnés souvenir-réclame indiscipline des projets enchantés j’accorde une grâce étoilée de nacre au marchand de vin RIDEAUX I Danse à l’intérieur de ton corps et fleur de soufre arrive bientôt tempête oblige les dames déshabillées serrement de mains sur le pont traversée de l’infini à la nage on creuse assez profondément pour trouver de l’eau Bourse à deux heures de l’après-midi on se fraye un passage à coups de nombres Soleil toi seule étamine PERCHES. Saint de la mare oui je le ferai Rassemblement des chefs de troupes Certitudes sereines soleil de minuit j’embouche une petite trompe écarlate et on me donne la permission d’éclater Il y a des bouteilles d’une contenance notable et des chats sans compter le grand désert du vide-poche le porte-bouquet LA CHARITÉ, S’IL VOUS PLAÎT. Je ne suis pas souvent à mon poste sur les décombres une dame devant l’alphabet morse martyre indispensable du marchand de quatre-saisons série de guet-apens sous des lueurs opaques timbre d’anges et voiture découverte impossibilité de mourir en regardant un poussin CINQ. Ardeur retouchée au pinceau « Failuir » rideau des chevelures Saint Graal forme rayonnante aviron Nord barrière énigmatique de la cinquième page Ulysse entre dans la pâtisserie FORÊT VIERGE. Inoubliable atteinte des passions quel âge avez-vous donc il y a des éloges si funèbres qu’on monte en ballon les frémissements se donnent la peine de venir Le respect des autres est une petite maladie de peau n’appuyez pas si vous voulez naître facilité de paiement COSTUME-TAILLEUR. Retour en arrière excessif et frisure des plantes grimpantes sans cesse renaissant du baromètre mal disposé formule délicate de nos rêves il y a de si beaux patrons suite de jours sans espoirs malgré ces adorables petits carreaux vertu de la plus jeune de la maudite je me trouble en pensant aux prisonniers sans vergogne martyrs de la plus éblouissante roue du paon avec des monticules s’offrant au vent dans les cheveux La plupart trouvent le jeu dangereux et s’exposent à des intimités de surface malheur la femme de chambre la femme du monde se consolent tout en prenant le frais sur une terrasse à l’intérieur du ciel APRÈS LE BAL. Étang tapissé d’automne un permis de pêche donne droit toute la société sur le tamis le voyage dure longtemps pareil à la toilette d’une ville La bouche de chaleur et le plafond vitré quel visage les domestiques sont des brosses à dents on confie la fabrication de ces objets aux aveugles il va faire noir CONCOURS. SUITE DE NOMS DE NOMBRES RÉCRÉATIFS ET DIVINATOIRES DANS LA BONNE ODEUR DE FUMÉE CONVAINCUE D’IMPOSTURE. De qui est le morceau suivant « Tracé du jour ô fleuve approbation du mètre Le soleil père noble étend l’herbe partout Trêve de compliments pour la rentrée en scène en robe de limon la Seine s’aguerrit etc. » DE FIL EN AIGUILLE. Espace incendié par l’amour on a peine à s’y reconnaître boulevards saignants plaques tournantes dans les gares cela donne une telle confiance en soi les bulles des trains dans le soleil avant qu’elles crèvent tapissier des arrière-boutiques ombre que je déteste À commencer par les métiers sereins j’ai tout fait pour vivre dans un cadran les bateaux ne fument que le Nil après-midi dans les glaces du château de Versailles sort troué de bleus précipices les bornes kilométriques se sauvent HALTÈRES la condition nécessaire et suffisante humble mortel à genoux sur une surface galeuse héritage maritime une devineresse à trois pointes c’est une perforeuse instant l’instant d’après suffisamment au courant traditionnelle odeur qu’on appelle pressentiment tu vois à travers une combinaison de lignes sans grand écart double génuflexion de midi il y a des animaux surpris qui s’approchent et demandent à boire toute la prairie se rend le bonheur fait dix sous ses tours sont infiniment variés pour si peu il se recommande des héros balzaciens suivant une comparaison hardie on l’a confondu longtemps avec la canne à pêche la jeune fille donne toute satisfaction à celui qui l’emploie elle frappe dans ses mains pour se sauver chercher une raison aux blessures on l’aime amour propre écrit sur du sable blanchi auparavant tout en reliant sur ses gardes on s’étourdit tous les dimanches manchon de castor régularité pendulaire et bon plaisir on en redemande l’enfant qui gardait le silence trouve le temps long RECTIFICATIONS. Couronnes des plantes sérieuses et qui gouvernent seules beau lézard verni qui embrasse le brochet toute la pâleur des magasins réunis sens du trouble aigu comme un hanneton je me fais un plaisir de vous être agréable mon zèle j’ai faim des jolis mots écartés sous prétexte qu’il va pleuvoir Rotondité des cours suivies de vols à l’américaine le chef de la bande de l’arc-en-ciel lance un coup de sifflet trous du mirliton nacré veilleuses vous encourez une peine disciplinaire Il faut avoir du coeur une poupée incendiaire on n’a que le temps d’épouser la jolie femme à la mode on se perd en conjectures sur la place de l’Opéra béryl ailé sort du pain de Savoie et voyage l’illusion y est cela suffit POÈMES DIVERS III À TEMPS NOUVEAUX... À temps nouveaux nouvelles méthodes. Armez-vous contre la concurrence, détruisez vos installations et votre matériel, obtenez le rendement minimum tout en augmen- tant vos frais généraux, démontez vos machines et roulez vos usines sur les fameux espaliers et éboulements à rotule Dada. le blanc indifférence n’a pas été créé par Dada pour des prunes Qu’est-ce que Dada? DADA c’est la plante de l’art qui a monté CHANSONS INTERNATIONALES. Les oeillets de cuir fauve des éléphants Qui suivent la piste en neige éternelle, Marée de mi-septembre, on rapporte des oursins égarés: la récompense est en bas Le spectacle des ricins qui se fanent en blanc et noir Comme les alliances humaines Et les départs de trains omnibus Sur le marche-pied il y a tous les rois du monde Le roi des idées Le roi des échecs Le roi des splendeurs solaires Trois jeunes déménageurs MAIRIE AMÉRICAINE. Pour la répartition des spécimens gratuits Le Bec Bunsen Endimanché descend des Capétiens L’attaque à main armée des vinaigres où la jeune fille toujours la même se soigne et se parfume Par la grâce de Dieu Le grand amour occidental aux biens des communautés Ce verger de poiriers noirs Mars, 22 mars Coqs en pâte des villes de bois Sur les signaux maritimes rouges et creux le sel sonne dans les timbres AH FINI DE COURIR... Ah fini de courir et des chiens hors d’haleine Ayant défait le noeud de la laisse exister, Par-delà les signaux grinçants de la clarté, Au premier edelweis apparu dans la plaine, Des chiens qu’on siffle sur des pattes d’araignée Près des étangs parmi des cerfs toujours sans pleurs, À l’heure où les bijoux dans la main des voleurs Saignent, où le bras nu prend l’astre pour cognée, À la lune, à la grande ourse de l’Uniforme, Aux dauphins soulevant pour un soir les ruisseaux, Au feu qui gronde seul à travers les cerceaux, À l’amour, à l’attente éternelle sous l’orme, Hurleront de plaisir en renversant la tête, Déchireront le jour aux adieux de mouchoir. La prière de vivre et l’ordre de déchoir Ne seront plus qu’une heure encore de la fête. Aussi bien, par-delà les cages que l’air bleute, Se poursuivent, semant des fleurs sur des glaçons, Les guenilleux vendeurs du journal Nous passons Brillant comme l’éclair fait des dents de la meute. L’EMBARQUEMENT... I L’embarquement mais pour moins que les îles Les prairies détruites par la lutte de deux poissons Dont succombe éternellement le plus clair Tu verras c’est le jour de ma naissance Les barreaux des cages sont blancs et le froid paradis nous accueille La patience étend du linge et du linge au soleil Toujours ces flots de paille par-dessus les voitures Et les chevaux qui ont peur Comme des plantes grimpantes à cause de la descente Vers le moulin d’où s’écoulent en silence les pièces d’argent Le massif se détache de la brume Et dans ce massif plus profond il y a des coeurs qui se posent comme des abeilles Alors c’est l’heure L’heure de revenir parmi les lianes étonnamment brisées Parmi les cloches d’eau qui tintent les étoiles Qui éclosent trop vite aux yeux des serpents L’action se défait de mille couronnes de mille berceaux Et repart plus loin que d’où elle est venue Avec les médailles de la folie Les trop beaux ornements des cases où l’on s’aime Pendant que le verre tremble aux fenêtres les mieux éclairées Le verre aux lueurs d’arbre sans écureuil Dans la paresse des airs II Les criminels célèbres suivaient une piste où leurs pas étaient remplacés par des comètes Dont les cheveux défaits incendiaient les forêts Au passage des trains Un peu avant la station comme toujours Toujours est un peu avant la station Qu’on appelle en langage Mais la vie douce comme un pas de vis Aux serruriers Enfin la pince dont le nom est plus seigneurial que celui d’aucune rose Chante elle aussi sur le pas d’une porte Et le maritime c’est l’air ou l’eau C’est le solitaire plutôt Ma bluette comme la chanson vous savez Ma bluette aura les mains bleues Ma bluette aura les mains nettes La terre de feu jaunissait La Terre de Feu était une sorte de main Regarde ta main à travers la lampe Tu es seul avec les grands criminels Pas tout seul III Les valeurs qui se cotent en Bourse Ne font pas plus le moine que l’habit Mais lorsqu’on a derrière soi une pancarte vieille de mille ans Comme moi On n’a plus qu’à se laisser couler sur les tableaux noirs Voici qu’on inscrit les nombres infinitésimaux Qu’on entrelace des lettres que je connais trop bien à des caractères différents Il y a bien un homme qui s’est jeté hier en parachute du pont des Buttes-Chaumont Faut-il vous éclairer davantage Voici la rue Vivienne Voici la rue Mortienne Je suis le frac et le lys qui s’éteint à la boutonnière de ce frac Un ver luisant n’a pas d’existence Sans quoi il ne serait pas luisant Mais le matin tous les vers luisent Même les vérités Ô Paris les sous tombent comme dans une cour Quand le soleil chante Et que l’appui des fenêtres se couvre de bas de soie Pour qu’il pleuve J’ai passé des nuits aux Tuileries Bien après les royautés Les phares tournaient du haut en bas de la mer Les soeurs de charité étaient les moins vêtues Et la rumeur effrayante des papillons ceignait d’une écorce plus claire les réverbères Souvent par la poussière Une racine plaintive glissait devant moi L’heure avait sonné les portes étaient closes Et les grilles faites de grands chiens Livraient passage à de folles guirlandes Les fuseaux gelés c’étaient encore des nombres Mais jamais le satin des miens Qui ne sont inscrits nulle part Qui sèchent sur les buvards et dont on n’acquiert que par transparence la preuve qu’ils étaient frauduleux IV Le moins qu’on puisse dire de moi-même Est que je ressemblais à une poignée de mains Au-dessus d’un grand feu L’une des mains était prise dans un gantelet couleur de nuit Et l’autre avait ses bagues brisées À la lueur de l’iris détestable qui s’approchait d’elles Ces mains se serraient toujours Toujours plus fort J’étais aussi caché dans le sachet d’une étoffe du treizième siècle Au-dessous de la couronne royale Bien caché Les bêtes sous-marines montraient patte blanche à la porte du palais Les longues rosaces protégeaient au centre une scène redoutée Les pages tournaient dans un livre toujours plus petites toujours plus grandes À l’approche des mains qui s’étaient desserrées Beaucoup plus tard quand il n’y avait plus risque de surprise Et que des cavaliers désarçonnés passaient sous la fenêtre Les arçons étaient bleus la terre était maudite Un mouchoir agité de proche en proche sur la route Ne détournait plus personne J’étais à certaines heures ce mouchoir Et je montais à hauteur d’une main invisible l’escalier d’une tour Jusque là où vous n’étiez pas J’étais les vraies couleurs du jour quand il lui plaît de finir Ou bien les fausses douleurs du jour quand il lui plaît de nous commander Mais je n’étais jamais tout à fait l’intérieur du regard que je jetais autour de moi Je n’étais jamais l’oeil en forme de faucille Jamais l’éveil en larmes jamais le paon des forêts de la nuit V Un oiseau celui qui tourne dans les grains de café Une plante celle qui se brise à la lumière des voeux Une pierre celle qu’on jette dans la direction de ce qu’on a perdu Ô règnes et vous interrègnes Durant lesquels j’aurai été celui que les moteurs condamnent Un accident n’est pas si vite arrivé Les usines lancent un appel grisant sous le ciel mort Les marches au haut desquelles il y a une statue La statue est dans la maison La maison est dans la rue Et la rue est dans la saison La saison est dans la raison Et dans la raison au parfum d’amandes amères Il y a bien des hommes et des femmes Des femmes qui couchent sous les ponts Ma foi quand la distance est trop grande Si l’on frappait les pavés ils se casseraient comme des oeufs Sous les pavés il y a des flèches empoisonnées Qui se dirigent Il y a des nappes d’or et des draps si fins Que les cygnes en meurent de honte L’arrêt des horloges est un phénomène notable Chaque fois qu’un loup marche sur la neige Et là où il y a des loups Il y a des cuirasses de plumage VI Aux flots des rayonnantes mers si bien dénommées Par des bouches longues comme les rosiers des mers Aux écoles dont les fenêtres sont obscurcies par les tourterelles Et au volant des robes des favorites Aux falots mal abrités des chercheurs d’or À la rafale À l’exil de ceux qui ont trahi et non à l’oubli de ce qu’ils n’ont pas voulu trahir Aux perles aux chansons À l’arrière des navires qui sombrent À l’idée hautement exprimée qu’il faut et qu’il ne faut pas À l’ombre dans laquelle couvent les sectes À la pente herbue des montagnes que détermine le lit du chamois Aux épines de l’air Et dans les mornes champs où se poursuivit la débâcle des grands chats sauvages et de mille animaux Partout où le pli n’est pas donné par le voleur dans sa fuite Par l’étranger dans son indécision Par le prêtre dans son diocèse Par la vierge dans son désespoir Là là tu es ô grand mur fait de tous les nuages Tu penches dans l’effroi de tes incompréhensibles lézardes Et comme une glaneuse qui voit à terre un épi trop lourd pour ses mains transparentes Le ciel ne nous soulève pas nous tenons à lui par un fil Et ce fil s’enroule autour de nous quand nous croyons veiller Veiller veiller à quoi Veiller à ne veiller jamais TU ES GRAVE... Tu es grave dans la grâce absolue d’être plus légère Que ma tempête Où les arbres sont peints dans mes yeux Des arbres plus grands que les bouquets de violettes Et où s’appuie le temps d’un éclair la vie de tous les hommes Toi ce n’est pas la clairière où tout se pense si bien Que tu veux dire à mi-voix levant la main au-dessous bien au-dessous du serment Mais les mousses encerclant les doux miroirs de l’eau Quand es-tu déchirée à travers eux Comme les étoiles Un bras se creuse dans le sable là où fut peut-être l’éternité L’éternité se lance à la poursuite de mon amour Elle va l’arrêter au bord de l’abîme Mais non les pluies toutes les pluies me séparent de toi Je vais ramasser le gant Le gant que me jette le ciel et m’enfermer à tout jamais Dans la prison de mes lèvres prison du soleil prison de la calme étreinte des habitants de ce pays anormal qui finit par exister Va mon étrangère ma perte de paradis Si tu es la couleur définitive que je donne à mes jours Tout ce qui restera sur le tableau noir Jamais tu n’apprendras ce qu’il en est De la beauté que les larmes maintiennent pareilles à des faisceaux de jeunes herbes coupantes Et le barrage de minuit romances êtes-vous de ce monde M’empêchera de conduire mon ombre par la main LA PORTE DE LA MAISON DE LISE... La porte de la maison de Lise Est défendue par un oiseau de mer Qu’il faut poignarder en plein vol Il s’agit aussi de briser entre sept vases de vermeil Celui qui contient un peu de cendre Et n’est jamais le même Alors d’une procession toute blanche S’abat un capuchon découvrant une chevelure qui est la sienne Et dont je ne sais rien Sinon qu’elle est traversée d’une ligne bleue Au-dessus de laquelle je ne vois plus Cette ligne fait la lumière et l’ombre comme de très bonne heure à Grasse un rang de cueilleuses dans les champs de jasmin Les astres font le tour de la tête de Lise Avec la lenteur des panthères qu’elle aime Et qui l’aiment et qui font si belle la robe du ciel Comment mais comment croire au retour des lueurs Qui caractérisent la cinquième saison Celle qui arrive tous les cent ans Les pommes d’or luisent sur les arbres noirs Du jardin mais elle fait semblant de ne pas les voir Pour éviter qu’on lui demande pardon de sa tristesse Qui est un éventail invisible ou tout au moins follement transparent Lise la neige tombe sur votre miroir Lise habillée de cristaux de neige De neige comme votre nom fermé sur des étamines de sang Lise les poèmes se font et se défont comme des passes Mystérieuses devant vos yeux mais ce ne sont jamais que les mains de celui qui veut vous endormir ou vous éveiller qui rêvent La baraque foraine où se combinent les jeux si peu variés et pourtant innombrables De l’amour et de la mort N’a jamais été si pauvre d’accessoires On essaie bien encore un peu de vous éblouir au moyen de cette pièce d’artifice qu’on appelle je crois soleil Mais l’illusion est insuffisante et vous qui ne cherchez que l’illusion L’illusion d’un mal inguérissable dans les contrées de l’absence Derrière les manèges de fleurs géantes là où l’avenir se trompe de zone Et maintient debout sur son cheval emballé Une femme qui n’est plus Lise et qui lui ressemble étrangement Les aventuriers du val qui la regardent passer ne peuvent supporter l’éclat de ses yeux trop ouverts On raconte qu’au temps de sa vie un seul battement de ses cils entraînait ce déplacement brusque et oblique des insectes noirs dont les longues pattes se détendent à la surface des ruisseaux Moi qui entends cela du fond de mon tombeau Je me garde d’y contredire Et mon coeur à travers quoi son coeur a passé Ou passera qu’elle le veuille ou non répond encore très loin dans les heures impossibles De cet écho qui n’existe que dans les grottes Les soirs d’arc-en-ciel Mais les nuits je jure que les nuits sont de trop Nuits où se font et se défont les poèmes Nuits où il peut lui paraître trop doux de lâcher la proie pour l’ombre Nuits que je serre secrètement sur mon coeur avec l’image des arbres creux où se repaît l’adorable cruauté Nuits merveilleuses des pierres qu’on ne soulève pas et de Lise Nuit des nuits que j’appelle sans Lise C’EST TOI CE N’EST PAS NOUS... C’est toi ce n’est pas nous c’est le feu qui ne craint pas le vent Celui qui court plus vite que le vent dans les campagnes Une jeune fille secoue en dormant ses cheveux noirs Et nous regarde passer Et te regarde passer c’est toi ce n’est pas nous Le génie des puits incline sur ton passage son magique cerceau bleu Ce n’est plus toi est-ce toi ce n’est pas nous Il y a des portes à tous les précipices Même à ceux dans lesquels on tombe et il y a aussi des oiseaux tout le long de la chute Des oiseaux qui ne vivent que là Et dont les ailes forment un X autrement brillant que tous les autres Où vas-tu c’est l’adresse qui te guide je vois ses jambes nues et fines Il n’y a pas de précipices pour toi Pas de serments éphémères qui glissent sur l’eau resplendissante C’est toi cette lumière tournante au cou des arbres Cette lumière qui n’échappe à personne et qui fait le tour de la meule qu’on ne voit pas Voici la mer voici les races et les rosaces que tu aimes Les cuirasses éternelles des neiges de la mer Les coupés mouillés fouettés par les algues rouges des longues avenues Voici les uniformes aux belles aiguillettes Est-ce là veux-tu voir la croix qui ne se lève pas sur la mer Veux-tu des bois de glaces sillonnés d’éclairs noirs Qui se cachent derrière les aurores du nord Te rends-tu au sacre intime des reines sans sujets Ou bien procèdes-tu de la sereine pâleur des choses mortelles Comme moi qui t’interroge et qui cherche tes bras comme la flamme à travers la grille Quelle grille celle du temps Quel temps celui des larmes Où sont les formes des feuillages des voiles des immenses papillons dont tremble le vent Où va le feu qui ne craint pas le vent LUMIÈRE AI-JE DIT... Lumière ai-je dit vrai l’ombre est trop vraisemblable Elle a même n’est-ce pas les yeux bleus Et les chemins tous mènent à la Rome ancienne Les paroles s’en vont aussi quand je reste ai-je dit vrai À ma place il y a des hommes qui vont à la chasse Et qui regardent derrière eux comme si les oiseaux qu’ils ont déjà tués les attendaient La mousse qui roule comme elle est jalouse de la poussière des pierres Il paraît que les enfants croient naître des miroirs Et que c’est plus tard seulement qu’ils ont l’illusion contraire Il n’y a pas d’image dans la glace ni ailleurs Il n’y a que des longueurs selon le vocabulaire hippique C’est pourquoi les obstacles sont parfois mortels Mais que dire du cavalier qui mettrait cent ans à sortir du nombre Là où le pied de son cheval a passé l’ombre de ce pied fait que l’herbe repousse Comme si cette ombre seule était vraie Mais le sourire n’a pas de patrie JE NE SAIS PAS MAIS JE SAIS... Je ne sais pas mais je SAIS Voilà ma saison qui anticipe sur l’automne dans les pays où il ne fait jamais nuit Où les jours ne diminuent pas de la respiration d’un oiseau qui vole S’il vole c’est que je SAIS Je sais qu’il ne se posera jamais L’hirondelle a la forme de mes mains C’est pourquoi elle rase le sol quand il va pleuvoir Mais il fait beau si beau que ce n’est plus ici ni ailleurs C’est plus tard dans une clairière Dans une clairière tout au fond d’une mine Où plonge un ascenseur empli de pierres Qui sait Chute du ballon Savoir est très court et ceci de par tous les alphabets du monde On dit savoir comme on dit Je t’aime Mais les lèvres n’ont pas toujours pour elles le rayon de soleil qui fait que dans certains pays il ne fait jamais nuit Les lèvres ne sont pas toujours ces échelles de soie Les lèvres ne s’entrouvrent pas toujours sur ce qu’on SAIT Quand on croit à la divination à son long cortège d’astres et de corolles Corolles ai-je prononcé le mot Corolles Corolles je SAIS Dans cette corolle il y a un haut-le-corps. MES PAS DANS LES TIENS... Mes pas dans les tiens l’ombre dans les feuilles Une pensée au creux du chemin Mes doigts sur la clé la rivière pâle Et tout ce qui rappelle le temps Ah l’aiguille du chemin de fer sous l’averse Pendant que le faon rit dans la clairière Un jour d’été si long qu’il fait tout le tour Je te vois dans l’ombre mes pas dans les tiens Tu es folle et presque aussi belle que l’approche de la vie Parle-moi de cette reine c’était si tremblant Que l’horloge paraissait mouillée Les balbutiements des herbes tout près de l’eau C’était sa couronne et tu descendais de voiture Près du palais qui ressemblait à des agrès pour Madame des Ricochets L’aigle a pris deux moutons dans ses serres Le mouton noir ferme les yeux Pauvre gouffre il y a une étoile qui s’accroche à son reflet Et l’aigle laisse tomber les boîtes qui contenaient les bagues Les anneaux sonnent les pierres saignent Et dans le glacier violet se confondent les lacs pleins d’ombre Au bas de la cataracte le Riesling jongle avec son poignard On vient dans l’auberge ce n’est pas trop tôt L’agonie est portée dans un carrosse à quatre cheminées Combien de temps verrons-nous le passé Va je te rejoins Va dans les bois Rentre dans l’eau Couche-toi dans les iris du mur nu qui n’a pas de plumes DU TEMPS QUE LES CHOSES PARLAIENT... Du temps que les choses parlaient Chose Oui je suis là Moins qu’être chose après nous paille os métal en fusion Osier D’où êtes-vous venue disait au commencement de l’ombrelle La bague qui ne devait jamais être ronde Et la bague à son tour interrogée L’apparence fuyait toujours Tout ce qui s’attendait à prendre le dessus Le dessus sur la pierre comme fait la mousse noire Quand le soir succède au matin des paupières fermées Et que les lanternes poissonneuses poussent devant elles les bancs de jardin orangés et branlants Il y avait des châteaux d’eau aux fenêtres de feu Et à ces fenêtres des filets s’envolaient pour capter les oiseaux de l’air de la terre Et la vivacité éternelle montait sur les trapèzes polis Des cirques neigeux comme des conques ruisselantes de notes Qu’une oreille abritée du vent n’entendra pas Le verre dormait encore comme un peu de sable plaqué contre un mur Avec finesse Et le tremblement des feuilles n’avait encore gagné aucune cage prête à s’emplir de ces rumeurs disciplinaires et vagues que l’on compare à des glissements d’alouettes sur des cerceaux enfilés les uns dans les autres en spirale Le mica l’amiante le gypse plantaient dans le sable leurs petits drapeaux sanglants Et les masques éternels modelés dans le marbre aux veines éclatantes Défilaient comme sur une ligne de frondaison passe l’armée en déroute des peuples dont les noms seront à peine retenus La chaise curule lente comme un corbillard de perles Les boucliers d’azur les étoiles de givre Toute la patience des inventeurs courbés sur leurs appareils hors d’usage Toute l’ambition des prophètes avec leurs chapeaux en éteignoirs Toute la nostalgie des conquérants qui montent vers le soleil comme une vrille d’or Nuançaient la durée aux copeaux de cuivre électriques et chargés FAIS QUE LE JOUR... Fais que le jour n’entre pas encore Qui est là? Avec ses cages pleines de roues rouges Qu’il finisse de poser dehors ses aigrettes Une rosace d’herbe de la couleur du ciel sur lequel tu marches Entre les pavés Je vois des roulottes silencieuses pareilles à un accordéon sur une table Je vois les fleurs d’eau rangées suivant leur espèce le long d’une berge que tu suis Je vois la nuit comme font les oiseaux aux grands yeux carrés Qui ont avec les lucioles des rapports de miroirs La nuit ne frappe pas à la porte de verre elle passe son temps dans l’armoire Parmi le linge bleu et vert elle chante elle fait des zigzags dans la maison Au nom de la forêt et de la mer Laquelle est la plus sombre laquelle oses-tu le plus souvent nommer De tes lèvres qui me font voir la forêt et la mer L’une dans l’autre quand le vent disperse les grands papiers écrits Et que l’herbe monte dans les lampes qui baissent On a jeté depuis peu dans la campagne de grandes constructions en fer Qui sont belles et hautes et pareilles à mon amour Des armures qui ne conviennent qu’à l’amour et à l’air On n’en connaît pas toujours l’utilité Les génies qui veillent sur tes mains pour qu’elles ne s’allument pas sans cesse Je vois dans le rayon d’un phare des navires blancs qui sont les uns sur les autres en détresse Les génies qui veillent sur tes mains sur tes yeux pour qu’ils soient de la nature des soies qui tournent Dans les moulins d’oiseaux Et aussi des gracieux quadrilatères de quartz sous la pioche usée des hommes battus par les sentiments Font le tour du monde pendant que tu dors En croyant que le temps part comme une flèche Au devant au devant de tout ce qui t’est compté De merveilleux dans l’apparence comme le gyroscope au bord d’un verre Ou encore comme l’écran blanc dont la patience est faite de tant de hâte, de désir, de drames et de poursuites Alors que tu es caressée de la palme de larmes Et du loisir éternel qui fait la joie Presque aussi malheureuse qu’heureuse Comme ces papillons qui ressemblent trop à des feuilles des soldats qui courent sur des glaciers Je vois des portraits immenses À cause d’une tresse de cheveux dix fois trop longue Je vois la glace se rompre sous les soldats Tout est silencieux comme au plus beau temps de l’arche L’imagination est un parterre de lances brisées Dans l’imagination je ne découvre que la grâce du coeur Je vois dans leur bure immémoriale les Templiers Ils sont épars et loin dans mon rêve Ce que j’adore ce que rien ne saurait me faire brûler Suzanne toi la forme même du feu LE REVOLVER À CHEVEUX BLANCS (1932) (poésies) À Paul Éluard. POSES FATALES. Le monde qui écrit 365 en ca- ractères arabes a appris à le multiplier par un nombre de deux chiffres Les petites filles s’habillent traîtreusement aux lucarnes mais plus d’une disparaîtra au coin d’un bois dans sa robe écossaise: c’est bien ain- si. Entre les multiples splen- deurs de la colère, je regarde une porte claquer comme le corset d’une fleur ou la gomme des éco- liers. L’OPÉRATEUR, POUR PHOTOGRAPHIER CERTAINES PLANTES, EST OBLIGÉ DE TENIR UN ÉVENTAIL ET DOIT FAIRE SEMBLANT DE DANSER. Va-t-on retrou- ver l’usage des lar- mes, des plus peti- tes jumelles de théâtre? C’est à mourir de rire quand la jeunesse reproche à la jeunesse une faute commise ou non. J’ai sur le bras, du côté interne, une marque sinistre, un M bleu qui me menace. Tout remonte à la plus haute antiquité: les graffitti qui enchantent les petits garçons ne sont jamais que des coeurs et des triangles entourés de feu. Rien ne laisse à désirer dans cette crèche blanchie à la chaux où se promène l’hermine des sacres les plus lointains de commun accord avec la loutre au mimosa, la gentille épouse du soin maternel. CONFORT MODERNE LA MORT ROSE. Les pieuvres ailées guideront une dernière fois la barque dont les voiles sont faites de ce seul jour heure par heure C’est la veillée unique après quoi tu sentiras monter dans tes cheveux le soleil blanc et noir Des cachots suintera une liqueur plus forte que la mort Quand on la contemple du haut d’un précipice Les comètes s’appuieront tendrement aux forêts avant de les foudroyer Et tout passera dans l’amour indivisible Si jamais le motif des fleuves disparaît Avant qu’il fasse complètement nuit tu observeras La grande pause de l’argent Sur un pêcher en fleurs apparaîtront les mains Qui écrivirent ces vers et qui seront des fuseaux d’argent Elles aussi et aussi des hirondelles d’argent sur le métier de la pluie Tu verras l’horizon s’entrouvrir et c’en sera fini tout à coup du baiser de l’espace Mais la peur n’existera déjà plus et les carreaux du ciel et de la mer Voleront au vent plus fort que nous Que ferai-je du tremblement de ta voix Souris valseuse autour du seul lustre qui ne tombera pas Treuil du temps Je monterai les coeurs des hommes Pour une suprême lapidation Ma faim tournoiera comme un diamant trop taillé Elle nattera les cheveux de son enfant le feu Silence et vie Mais les noms des amants seront oubliés Comme l’adonide goutte de sang Dans la lumière folle Demain tu mentiras à ta propre jeunesse À ta grande jeunesse luciole Les échos mouleront seuls tous ces lieux qui furent Et dans l’infinie végétation transparente Tu te promèneras avec la vitesse Qui commande aux bêtes des bois Mon épave peut-être tu t’y égratigneras Sans la voir comme on se jette sur une arme flottante C’est que j’appartiendrai au vide semblable aux marches D’un escalier dont le mouvement s’appelle bien en peine À toi les parfums dès lors les parfums défendus L’angélique Sous la mousse creuse et sous tes pas qui n’en sont pas Mes rêves seront formels et vains comme le bruit de paupières de l’eau dans l’ombre Je m’introduirai dans les tiens pour y sonder la profondeur de tes larmes Mes appels te laisseront doucement incertaine Et dans le train fait de tortues de glace Tu n’auras pas à tirer le signal d’alarme Tu arriveras seule sur cette plage perdue Où une étoile descendra sur tes bagages de sable CAMP VOLANT. Le Jugement dernier avait été suivi d’un premier classement Puis d’un second auquel prenaient part les vents et les marées Les vaux et les monts Et ceux qui avaient vécu par monts et par vaux Contre vents et marées Formaient en avant de la troupe un arbre à demi déraciné Qui prenait le ciel comme un bateau qui sombre Il était environ quatre heures de l’après-midi L’appareil du temps continuait à fonctionner tant bien que mal Il inquiétait fort les plongeuses Ces femmes mortes d’amour Qui hantent la piscine du ciel Elles portent les maillots de l’ombre de l’herbe de l’astre et du jour d’été Quatre heures il n’était encore que quatre heures Et j’étais condamné depuis longtemps J’étais condamné à gravir un escalier détruit Comment m’y prendre Le bord du ciel était gardé par des chats-huants Sur la première marche un mendiant était assis à côté d’un paon La fièvre avait établi ses éventails mécaniques au-dessus de tout ce que je pensais Il ne m’arrivait que des bribes du discours de distribution Traitant victorieusement de l’Oubli Oubli j’arrive à peine Oubli rappelez-moi au souvenir de l’Oubli Des enfants traînaient des ballons et des plumes Ils étaient reçus par un grand explorateur entouré de chiens blancs Par ici criait-on c’est derrière le champ de riz C’est sur l’esplanade des étoiles J’assistais aussi à une bagarre et le théâtre de cette bagarre était une roseraie Mais les fleurs étaient immenses Comme l’offense Le carrier surtout m’intriguait Ses lunettes étincelantes où l’avais-je déjà vu Comme les pierres filaient à l’approche de sa main Comme les heures avaient passé Les corniches livraient passage à des éclats de givre Mais d’un givre qui durerait au soleil Les premiers s’en étaient allés et les derniers étaient ailés La musique grandissait Sur les barricades et dans les haies Oiseaux-mouches oiseaux-fleurs Les vierges seules étaient nues Leur chair brillait comme devrait briller le diamant Leur repentir faisait peine à voir encore Dans leurs cheveux un croissant pâle et leur coeur transparent était un croissant aussi Les juges dont le manteau était fait de toutes les hermines Ne parvenaient pas à détourner les yeux du Buste étrange qui changeait toujours Ce Buste avait été tout le monde et moi-même Il était maintenant un croisement de branches dans une forêt Sur l’une il y avait un nid Mais dans le nid hélas il n’était à jamais que quatre heures J’ai déjà dit que j’étais condamné Mais quoi il fut dix heures du matin Il fut à nouveau temps de ramasser les guides Les chevaux avaient faim On vit passer une voiture sans frein pour les descentes On vit les oiseaux s’échapper par la portière Et l’on dit qu’une femme était endormie sur le marchepied Je suis celui qui ne sait qui vit ni qui meurt Celui qui brûle de ne pas savoir Celui qui sait trop bien qu’il brûle et qu’il sait Abîmes rassemblement des lueurs que je n’ai pas Énormes perles Abîmes sans détail qui seuls m’attirez On me passe les menottes quand je pense à vous Et pourtant je suis libre de me perdre en vous D’entretenir avec ce qui monte de vous le moins fructueux des commerces Le Jugement est un pont jeté mais il n’est pas si beau que mon vertige Cette théorie de jeunes filles aux gorges bleues Laissez-moi passer Laissez-moi passer NON-LIEU. Art des jours art des nuits La balance des blessures qui s’appelle Pardonne Balance rouge et sensible au poids d’un vol d’oiseau Quand les écuyères au col de neige les mains vides Poussent leurs chars de vapeur sur les prés Cette balance sans cesse affolée je la vois Je vois l’ibis aux belles manières Qui revient de l’étang lacé dans mon coeur Les roues du rêve charment les splendides ornières Qui se lèvent très haut sur les coquilles de leurs robes Et l’étonnement bondit de-ci de-là sur la mer Partez ma chère aurore n’oubliez rien de ma vie Prenez ces roses qui grimpent au puits des miroirs Prenez les battements de tous les cils Prenez jusqu’aux fils qui soutiennent les pas des danseurs de corde et des gouttes d’eau Art des jours art des nuits Je suis à la fenêtre très loin dans une cité pleine d’épouvante Dehors des hommes à chapeau claque se suivent à intervalle régulier Pareils aux pluies que j’aimais Alors qu’il faisait si beau « À la rage de Dieu » est le nom d’un cabaret où je suis entré hier Il est écrit sur la devanture blanche en lettres plus pâles Mais les femmes-marins qui glissent derrière les vitres Sont trop heureuses pour être peureuses Ici jamais de corps toujours l’assassinat sans preuves Jamais le ciel toujours le silence Jamais la liberté que pour la liberté SUR LA ROUTE QUI MONTE ET DESCEND. Dites-moi où s’arrêtera la flamme Existe-t-il un signalement des flammes Celle-ci corne à peine le papier Elle se cache dans les fleurs et rien ne l’alimente Mais on voit dans les yeux et l’on ne sait pas non plus ce qu’on voit dans les yeux Puisqu’ils vous voient Une statue est agenouillée sur la mer mais Ce n’est plus la mer Les phares se dressent maintenant dans la ville Ils barrent la route aux blocs merveilleux de glace et de chair Qui précipitaient dans l’arène leurs innombrables chars La poussière endort les femmes en habits de reines Et la flamme court toujours C’est une fraise de dentelle au cou d’un jeune seigneur C’est l’imperceptible sonnerie d’une cloche de paille dans la maison d’un poète ou de quelque autre vaurien C’est l’hémisphère boréal tout entier Avec ses lampes suspendues ses pendules qui se posent C’est ce qui monte du précipice à l’heure du rendez-vous Les coeurs sont les rames légères de cet océan perdu Lorsque les signaux tournent au bord des voies avec un bruit sec Qui ressemble à ce craquement spécial sous les pas des prêtres Il n’y a plus d’actrice en tournée dans les wagons blancs et or Qui la tête à la portière justement des pensées d’eau très grandes couvrent les mares Ne s’attende à ce que la flamme lui confère l’oubli définitif de son rôle Les étiquettes effacées des bouteilles vertes parlent encore de châteaux Mais ces châteaux sont déserts à l’exception d’une chevelure vivante Château-Ausone Et cette chevelure qui ne s’attarde point à se défaire Flotte sur l’air méduse C’est la flamme Elle tourne maintenant autour d’une croix Méfiez-vous elle profanerait votre tombe Sous terre la méduse est encore chez elle Et la flamme aux ailes de colombe n’escorte que les voyageurs en danger Elle fausse compagnie aux amants dès qu’ils sont deux à être seuls Où va-t-elle je vois se briser les glaces de Venise aux approches de Venise Je vois s’ouvrir des fenêtres détachées de toute espèce de mur sur un chantier Là des ouvriers nus font le bronze plus clair Ce sont des tyrans trop doux pour que contre eux se soulèvent les pierres Ils ont des bracelets aux pieds qui sont faits de ces pierres Les parfums gravitent autour d’eux étoile de la myrrhe terre du foin Ils connaissent les pays pluvieux dévoilés par les perles Un collier de perles fait un moment paraître grise la flamme Mais aussitôt une couronne de flammes s’incorpore les perles immortelles À la naissance d’un bois qui doit sauver de la destruction les seules essences des plantes Prennent part un homme et tout en haut d’une rampe d’escalier de fougère Plusieurs femmes groupées sur les dernières marches Elles ouvrent et ferment les yeux comme les poupées L’homme que je ne suis plus cravache alors la dernière bête blanche Qui s’évanouit dans la brume du matin Sa volonté sera-t-elle faite Dans le premier berceau de feuillage la flamme tombe comme un hochet Sous ses yeux on jette le filet des racines Un couvert d’argent sur une toile d’araignée Mais la flamme elle ne saurait reprendre haleine Malheur à une flamme qui reprendrait haleine Je pense à une flamme barbare Comme celle qui passant dans ce restaurant de nuit brûle aux doigts des femmes les éventails Comme celle qui marche à toute heure sur ma trace Et luit à la tombée des feuilles dans chaque feuille qui tombe Flamme d’eau guide-moi jusqu’à la mer de feu LES ATTITUDES SPECTRALES. Je n’attache aucune importance à la vie Je n’épingle pas le moindre papillon de vie à l’importance Je n’importe pas à la vie Mais les rameaux du sel les rameaux blancs Toutes les bulles d’ombre Et les anémones de mer Descendent et respirent à l’intérieur de ma pensée Ils viennent des pleurs que je ne verse pas Des pas que je ne fais pas qui sont deux fois des pas Et dont le sable se souvient à la marée montante Les barreaux sont à l’intérieur de la cage Et les oiseaux viennent de très haut chanter devant ces barreaux Un passage souterrain unit tous les parfums Un jour une femme s’y engagea Cette femme devint si brillante que je ne pus la voir De ces yeux qui m’ont vu moi-même brûler J’avais déjà cet âge que j’ai Et je veillais sur moi sur ma pensée comme un gardien de nuit dans une immense fabrique Seul gardien Le rond-point enchantait toujours les mêmes tramways Les figures de plâtre n’avaient rien perdu de leur expression Elles mordaient la figue du sourire Je connais une draperie dans une ville disparue S’il me plaisait de vous apparaître vêtu de cette draperie Vous croiriez à l’approche de votre fin Comme à la mienne Enfin les fontaines comprendraient qu’il ne faut pas dire Fontaine On attire les loups avec les miroirs de neige Je possède une barque détachée de tous les climats Je suis entraîné par une banquise aux dents de flamme Je coupe et je fends le bois de cet arbre qui sera toujours vert Un musicien se prend dans les cordes de son instrument Le Pavillon Noir du temps d’aucune histoire d’enfance Aborde un vaisseau qui n’est encore que le fantôme du sien Il y a peut-être une garde à cette épée Mais dans cette garde il y a déjà un duel Au cours duquel les deux adversaires se désarment Le mort est le moins offensé L’avenir n’est jamais Les rideaux qui n’ont jamais été levés Flottent aux fenêtres des maisons qu’on construira Les lits faits de tous les lys Glissent sous les lampes de rosée Un soir viendra Les pépites de lumière s’immobilisent sous la mousse bleue Les mains qui font et défont les noeuds de l’amour et de l’air Gardent toute leur transparence pour ceux qui voient Ils voient les palmes sur les mains Les couronnes dans les yeux Mais le brasier des couronnes et des palmes S’allume ne fait à peine que s’allumer au plus profond de la forêt Là où les cerfs mirent en penchant la tête les années On n’entend encore qu’un faible battement D’où procèdent mille bruits plus légers ou plus sourds Et ce battement se perpétue Il y a des robes qui vibrent Et leur vibration est à l’unisson de ce battement Mais quand je veux voir le visage de celles qui les portent Un grand brouillard se lève de terre Au bas des clochers derrière les plus élégants réservoirs de vie et de richesse Dans les gorges qui s’obscurcissent entre deux montagnes Sur la mer à l’heure où le soleil fraîchit Les êtres qui me font signe sont séparés par des étoiles Et pourtant la voiture lancée au grand galop Emporte jusqu’à ma dernière hésitation Qui m’attend là-bas dans la ville où les statues de bronze et de pierre ont changé de place avec les statues de cire Banians banians CARTE D’ÉLECTEUR. J’aimerais n’avoir jamais commencé Et m’enquérir de la vie Comme un roi jadis rendait la justice sous un chêne Le monde serait un crible L’avoine folle du temps se courberait au loin Comme des cheveux dont je n’aurais pas à connaître le bruit Bien qu’ils soient pleins de petits morceaux de verre Le drapeau de l’invisibilité flotterait au-dessus des maisons que j’ai habitées Il flotterait sur ma vie comme sur une maison dont l’extérieur seul est achevé Drapeau de toutes les couleurs et qui battrait si vite J’aurais l’air de quelqu’un qui ne se souvient pas D’être déjà descendu dans la mine Et je regarderais autour de moi sans rien voir Comme un chasseur adroit dans un pays de décombres J’attendrais aussi je vous attendrais Moi qui aurais fait à l’attente un tapis de mes regards N’ayant pas encore commencé Je goûterais le long des marais salants la paix inconnue des métamorphoses L’outre là où l’on voudrait voir passer la loutre Le sextant du sexe tant vanté Adorable temps du futur toujours antérieur La vérité tomberait du ciel sous la forme d’un harfang Aux yeux agrandis de toutes les rixes possibles Celles auxquelles j’ai pris part Celles auxquelles j’aurais pu prendre part J’interrogerais la vie comme mille sages insoupçonnables sous des habits de mendiants Dans les gorges du Thibet Comme mille morts sous la verdure brisée de fleurs ALLOTROPIE. La sonnerie électrique retentit de nouveau Qui entre C’est moi remets-toi si tu veux que je te remette L’armoire est pleine de linge Il y a même des rayons de lune que je peux déplier Tu as changé Voici la preuve que tu as changé Les dons qu’on fait aux morts dans leur cercueil Les dons qu’on fait aux nouveau-nés dans leur berceau Sont presque les mêmes la flèche indique la direction d’où tu viens Où tu vas Ton coeur est sur le chemin de cette flèche Tes yeux qui vont être à nouveau si clairs s’emplissent du brouillard des choses Tes mains le long d’une voie cherchent à tâtons l’aiguille sombre pour parer à la catastrophe Tu vois les femmes que tu as aimées Sans qu’elles te voient tu les vois sans qu’elles te voient Comme tu les as aimées sans qu’elles te voient Les loups noirs passent à leur tour derrière toi Qui es-tu Ombre de malfaiteur sur les grands murs Ombre de signalisation qui va plus loin que le signal Je suis le principal coupable En même temps que le principal innocent Ma tête roule de là-haut où jamais ne se porteront mes pas Quel maquillage Nul ne me reconnaîtra Plus tard entre les pierres de l’éboulement La fenêtre est grande ouverte Sur cet éboulement magnifique Penche-toi Penche-toi pour changer encore C’est bien toi qui te penches et qui changes Cette photographie que tu as oublié de faire vire Comme c’est toi HÔTEL DES ÉTINCELLES. Le papillon philosophique Se pose sur l’étoile rose Et cela fait une fenêtre de l’enfer L’homme masqué est toujours debout devant la femme nue Dont les cheveux glissent comme au matin la lumière sur un réverbère qu’on a oublié d’éteindre Les meubles savants entraînent la pièce qui jongle Avec ses rosaces Ses rayons de soleil circulaires Ses moulages de verre À l’intérieur desquels bleuit un ciel au compas En souvenir de la poitrine inimitable Maintenant le nuage d’un jardin passe par-dessus la tête de l’homme qui vient de s’asseoir Il coupe en deux la femme au buste de magie aux yeux de Parme C’est l’heure où l’ours boréal au grand air d’intelligence S’étire et compte un jour De l’autre côté la pluie se cabre sur les boulevards d’une grande ville La pluie dans le brouillard avec des traînées de soleil sur des fleurs rouges La pluie et le diabolo des temps anciens Les jambes sous le nuage fruitier font le tour de la serre On n’aperçoit plus qu’une main très blanche le pouls est figuré par deux minuscules ailes Le balancier de l’absence oscille entre les quatre murs Fendant les têtes D’où s’échappent des bandes de rois qui se font aussitôt la guerre Jusqu’à ce que l’éclipse orientale Turquoise au fond des tasses Découvre le lit équilatéral aux draps couleur de ces fleurs dites boules de neige Les guéridons charmants les rideaux lacérés À portée d’un petit livre griffé de ces mots Pas de lendemain Dont l’auteur porte un nom bizarre Dans l’obscure signalisation terrestre LE VERBE ÊTRE. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Le dé- sespoir n’a pas d’ailes, il ne se tient pas nécessairement à une table desservie sur une terrasse, le soir, au bord de la mer. C’est le désespoir et ce n’est pas le retour d’une quanti- té de petits faits comme des graines qui quittent à la nuit tombante un sillon pour un autre. Ce n’est pas la mousse sur une pierre ou le verre à boire. C’est un bateau criblé de neige, si vous voulez, comme les oiseaux qui tombent et leur sang n’a pas la moindre épaisseur. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. Une forme très petite, délimitée par des bijoux de cheveux. C’est le désespoir. Un collier de per- les pour lequel on ne saurait trouver de fermoir et dont l’existence ne tient pas même à un fil, voilà le désespoir. Le reste nous n’en parlons pas. Nous n’avons pas fini de déses- pérer si nous commençons. Moi je désespère de l’abat-jour vers quatre heures, je désespère de l’éventail vers minuit, je désespère de la cigarette des condamnés. Je connais le dé- sespoir dans ses grandes lignes. Le désespoir n’a pas de coeur, la main reste toujours au désespoir hors d’haleine, au désespoir dont les glaces ne nous disent jamais s’il est mort. Je vis de ce désespoir qui m’enchante. J’aime cette mouche bleue qui vole dans le ciel à l’heure où les étoiles chanton- nent. Je connais dans ses grandes lignes le désespoir aux longs étonnements grêles, le désespoir de la fierté, le déses- poir de la colère. Je me lève chaque jour comme tout le monde, et je détends les bras sur un papier à fleurs, je ne me souviens de rien et c’est toujours avec désespoir que je dé- couvre les beaux arbres déracinés de la nuit. L’air de la chambre est beau comme des baguettes de tambour. Il fait un temps de temps. Je connais le désespoir dans ses grandes lignes. C’est comme le vent du rideau qui me tend la perche. A-t-on idée d’un désespoir pareil! Au feu! Ah ils vont encore venir... Au secours! Les voici qui tombent dans l’escalier... Et les annonces de journal, et les réclames lumineuses le long du canal. Tas de sable, va, espèce de tas de sable! Dans ses grandes lignes le désespoir n’a pas d’importance. C’est une corvée d’arbres qui va encore faire une forêt, c’est une corvée d’étoiles qui va encore faire un jour de moins, c’est une corvée de jours de moins qui va encore faire ma vie. LES ÉCRITS S’EN VONT. Le satin des pages qu’on tourne dans les livres moule une femme si belle Que lorsqu’on ne lit pas on contemple cette femme avec tristesse Sans oser lui parler sans oser lui dire qu’elle est si belle Que ce qu’on va savoir n’a pas de prix Cette femme passe imperceptiblement dans un bruit de fleurs Parfois elle se retourne dans les saisons imprimées Et demande l’heure ou bien encore elle fait mine de regarder des bijoux bien en face Comme les créatures réelles ne font pas Et le monde se meurt une rupture se produit dans les anneaux d’air Un accroc à l’endroit du coeur Les journaux du matin apportent des chanteuses dont la voix a la couleur du sable sur des rivages tendres et dangereux Et parfois ceux du soir livrent passage à de toutes jeunes filles qui mènent des bêtes enchaînées Mais le plus beau c’est dans l’intervalle de certaines lettres Où des mains plus blanches que la corne des étoiles à midi Ravagent un nid d’hirondelles blanches Pour qu’il pleuve toujours Si bas si bas que les ailes ne s’en peuvent plus mêler Des mains d’où l’on remonte à des bras si légers que la vapeur des prés dans ses gracieux entrelacs au-dessus des étangs est leur imparfait miroir Des bras qui ne s’articulent à rien d’autre qu’au danger exceptionnel d’un corps fait pour l’amour Dont le ventre appelle les soupirs détachés des buissons pleins de voiles Et qui n’a de terrestre que l’immense vérité glacée des traîneaux de regards sur l’étendue toute blanche De ce que je ne reverrai plus À cause d’un bandeau merveilleux Qui est le mien dans le colin-maillard des blessures LA FORET DANS LA HACHE. On vient de mourir mais je suis vivant et cependant je n’ai plus d’âme. Je n’ai plus qu’un corps transparent à l’intérieur duquel des colombes transparentes se jettent sur un poignard transparent tenu par une main transparente. Je vois l’effort dans toute sa beauté, l’effort réel qui ne se chiffre par rien, peu avant l’apparition de la dernière étoile. Le corps que j’habite comme une hutte et à forfait déteste l’âme que j’avais et qui surnage au loin. C’est l’heure d’en finir avec cette fameuse dualité qu’on m’a tant reprochée. Fini le temps où des yeux sans lumière et sans bagues puisaient le trouble dans les mares de la couleur. Il n’y a plus ni rouge ni bleu. Le rouge-bleu unanime s’efface à son tour comme un rouge- gorge dans les haies de l’inattention. On vient de mourir, -ni toi ni moi ni eux exactement mais nous tous, sauf moi qui survis de plusieurs façons: j’ai encore froid, par exemple. En voilà assez. Du feu! Du feu! Ou bien des pierres pour que je les fende, ou bien des oiseaux pour que je les suive, ou bien des corsets pour que je les serre autour de la taille des fem- mes mortes, et qu’elles ressuscitent, et qu’elles m’aiment, avec leurs cheveux fatigants, leurs regards défaits! Du feu, pour qu’on ne soit pas mort pour des prunes à l’eau-de-vie, du feu pour que le chapeau de paille d’Italie ne soit pas seu- lement une pièce de théâtre! Allô, le gazon! Allô, la pluie! C’est moi l’irréel souffle de ce jardin. La couronne noire po- sée sur ma tête est un cri de corbeaux migrateurs car il n’y avait jusqu’ici que des enterrés vivants, d’ailleurs en petit nombre, et voici que je suis le premier aéré mort. Mais j’ai un corps pour ne plus m’en défaire, pour forcer les reptiles à m’admirer. Des mains sanglantes, des yeux de gui, une bou- che de feuille morte et de verre (les feuilles mortes bougent sous le verre; elles ne sont pas aussi rouges qu’on le pense, quand l’indifférence expose ses méthodes voraces), des mains pour te cueillir, thym minuscule de mes rêves, romarin de mon extrême pâleur. Je n’ai plus d’ombre non plus. Ah mon ombre, ma chère ombre. Il faut que j’écrive une longue lettre à cette ombre que j’ai perdue. Je commencerai par Ma chère ombre. Ombre, ma chérie. Tu vois. Il n’y a plus de so- leil. Il n’y a plus qu’un tropique sur deux. Il n’y a plus qu’un homme sur mille. Il n’y a plus qu’une femme sur l’absence de pensée qui caractérise en noir pur cette époque maudite. Cette femme tient un bouquet d’immortelles de la forme de mon sang. TOUTES LES ÉCOLIÈRES ENSEMBLE. Souvent tu dis marquant la terre du talon comme éclot dans un buisson l’églantine Sauvage qui n’a l’air faite que de rosée Tu dis Toute la mer et tout le ciel pour une seule Victoire d’enfance dans le pays de la danse ou mieux pour une seule Étreinte dans le couloir d’un train Qui va au diable avec les coups de fusil sur un pont ou mieux Encore pour une seule farouche parole Telle qu’en doit dire en vous regardant Un homme sanglant dont le nom va très loin d’arbre en arbre Qui ne fait qu’entrer et sortir parmi cent oiseaux de neige Où donc est-ce bien Et quand tu dis cela toute la mer et tout le ciel S’éparpillent comme une nuée de petites filles dans la cour d’un pensionnat sévère Après une dictée où Le coeur m’en dit S’écrivait peut-être Le coeur mendie C’EST MOI OUVREZ. Les carreaux d’air se brisent à leur tour Il n’y a plus de miroirs depuis longtemps Et les femmes se défendent jour et nuit d’être si belles À l’approche des oiseaux qui vont se poser sur leur épaule Elles renversent doucement la tête sans fermer les yeux Le parquet et les meubles saignent Une araignée lance sa toile bleue sur un cadre vide Des enfants une lampe à la main s’avancent dans les bois Ils demandent l’ombre des lacs aux feuilles Mais les lacs silencieux sont trop attirants On ne voit bientôt plus à la surface qu’une petite lampe qui baisse Sur les trois portes de la maison sont cloués trois hiboux blancs En souvenir des amours de l’heure L’extrémité de leurs ailes est dorée comme les couronnes de papier qui tombent en tournoyant des arbres morts La voix de ces études met des chardons aux lèvres Sous la neige le paratonnerre charme les étoiles épervières LE TROTTOIR DE PELURE D’ORANGE. C’est à peine croyable Les femmes portent maintenant leurs petits sur la tête Et les hommes qui voient cela ont beau payer de leur personne Ils n’arrivent pas à se faire rendre la monnaie de l’identité L’avenir est trop haut il repasse jour et nuit l’idée de meurtre sur le soleil Ce n’est presque plus utile J’étais seul dans la maison depuis tant d’années et voici qu’on vient C’est peut-être le temps avec son grand plateau de petits verres C’est peut-être la mort avec son unique cymbale Nous en reparlerons n’est-ce pas quand le vent aura mis sa main dans les cheveux de la boutique Et que les atolls seront venus confondre les baisers Tout cela n’a d’ailleurs qu’une importance discutable entre haut et bas à un carrefour Tout cela ne regarde que l’oeil soi-disant ouvert ou fermé Attention vous avez la vie sauve Le passage à niveau est gardé par mille chauves-souris Soyez heureux l’espace patriarcal n’ôtera pour rien au monde son cache-nez en poil de chameau La photographie vous habille de barreaux de prison Dont quelques-uns il est vrai sont tordus mais tels que je vous connais Vous attireriez la limaille de fer Pour peu qu’un acteur pousse devant lui la fausse porte à odeur de biscuit Vous voilà à patiner sur la glace de votre coeur Avec cette manie d’écrire des noms de pleurer de rire Je ne vous parle plus L’espoir témoigne de tous ses yeux qui sont ceux d’une poupée russe éventrée Que la lumière fut où devra être l’ombre La rose de la chair vous l’arrachez de l’inexistence pleinement nocturne en vous piquant Et en saignant d’un sang inexistant et noir Dont sont écrits les mots À suivre Obsédants et trompeurs comme un air de la Veuve joyeuse APRÈS LE GRAND TAMANOIR. Des bas de femmes tamisent la lumière de Londres Les quais sont des gares noires de monde mais blanches de générations disparues Et quand je dis Londres c’est pour la forme du poème Mais les bas de femme sont les vraies aiguilles de l’horloge Sous la nacre noire des jarretières Ils appartiennent à ce que je ne puis nommer Faute d’une créature qui se distinguerait assez de la création Et de la destruction pour faire à elle seule la nuit sur ma pensée qui virevolte Ils ont été portés dans le temps par l’espace Par l’espace féminin très distinct de l’autre et c’est tout Au-dessus des bas la chair et de part et d’autre de cette chair les bouledogues Le blanc et le noir comme j’ai dit Et plus haut encore le jeu languissant qui se joue avec un mouchoir Tout le monde en rond Et ni plus haut ni plus bas les fils télégraphiques enchantés Les parfums enfermés dans des coupelles vagues Il y a aussi le frôlement d’une prison contre l’air de la liberté De ce frôlement naît la fleur sombre de la passion Qui brise tout sur son passage avec ses doigts de verre Qui absorbe l’air environnant l’air respirable bulle par bulle Et à cette hauteur il y a la fraise des quatre saisons Qui se cueille le matin et le soir dans les tisons Qui s’ouvre sur le plaisir dans une étoile d’agate L’armure ici présente un défaut si charmant Une si vieille terre à l’écorce de rose se fait désirable Que les mots sautent les précipices luisants de toutes leurs racines Et cherchent le plus tendre de l’oreille L’herbe électrique s’est momentanément couchée La lumière détourne jusqu’à la cendre de l’oeil Qui reste ouvert comme devant l’impossible Cette fleur qui serait la belle-de-jour-et-de-nuit La force et la faiblesse jettent tout près leurs agrès Et déjà commencent les tours qui nous émerveillent Les drames couleur de poignard les comédies en forme de foulard Montent alors d’une note Et très loin dans les bois l’avenir entre deux branches Se prend à tressaillir comme l’absence inapaisable d’une feuille Ici les deux plateaux de la balance les deux côtés de la sole S’imposent tour à tour la privation d’évaluer et de voir Je pense à la Grande Ourse mais ce n’est pas elle Je voudrais que les mineurs me comprennent Et que le lierre se sente intéressé à ce que je dis La ligne brusque l’écart traître du feu qui découvre le visage Ne sera dans la ville abstraite qu’un appel de démon Vers l’inassermentable règne de la crépitante Femme sans nom Qui brise en mille éclats le bijou du jour TOUT VA BIEN. L’ameublement tourne avec un sens historique très louable Autour d’une peuplade qui se couronne d’étoiles de mer La table Un peu plus bas dans le temps le vaisselier groupe quelques plats décorés de têtes de fauvettes Une fontaine rit dans la cour je reconnais le bon vouloir des conteurs cyniques pour enfants Les chats en s’enroulant sur eux-mêmes Ont formé les cheminées sur les toits Le sol est pavé de morues salées Le ciel de morues fraîches Les médecins dans la buanderie font tirer la langue aux avocats Un arbre pousse un gémissement et meurt tout debout Voilà pour la douleur qui se passe de consolations la douleur de première qualité Vient ensuite la grande boutique de fruits gelés À la prunelle de mes yeux Les réverbères sont d’ailleurs d’ordre tout familial Le père l’oncle le frère avec leurs grandes têtes vitrées Vertes du côté des femmes Celles-ci coquettes dans leur misère Cinq par cinq la dernière tenant le petit bol de vitriol Nous rappellent les amusantes combinaisons du dimanche à la campagne Quand Paul de Kock Roi d’un siècle et demi acceptait de se mesurer avec le bégayant Lacordaire Le sport est pratiqué avec un zèle de plus en plus méritoire Et ces tournois qui eurent leur charme Ne rassembleraient plus aujourd’hui que les petits oiseaux Parlez-nous des branle-bas du boulevard À l’apparition des religieuses à accroche-coeur Porteuses du supplément moral des Petites-Annonces Une cuisine une chambre une salle à manger La loi le droit le devoir mais à condition de voter pour les anarchistes Il fait si doux que l’abbé Moreux se promène nu dans son observatoire Par train spécial les architectes se rendent au cirque de Gavarnie Avec leurs femmes habillées en débardeurs La civilisation moyenne dont nous jouissons Promet plus qu’elle ne tient mais les distractions ne manquent pas J’arrache une feuille du calendrier nous sommes mercredi C’est l’anniversaire de la découverte du persil Une autre feuille dimanche Toutes les femmes reviennent aux manches à gigot Encore une semaine de passée L’école laïque oblige les petites filles à jouer à la poupée Le service militaire fait les officiers qui sortent du rang Le suffrage universel nous donne toujours des regrets Le placement de l’argent décide de notre carrière L’instinct de reproduction n’est pas étranger aux animaux Le sentiment du devoir accompli est satisfaisant La paix armée est un gant de velours sur un chapeau haut de forme en fer L’UNION LIBRE. Ma femme à la chevelure de feu de bois Aux pensées d’éclairs de chaleur À la taille de sablier Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur Aux dents d’empreintes de souris blanche sur la terre blanche À la langue d’ambre et de verre frottés Ma femme à la langue d'hostie poignardée À la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux À la langue de pierre incroyable Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre Et de buée aux vitres Ma femme aux épaules de champagne Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace Ma femme aux poignets d'allumettes Ma femme aux doigts de hasard et d'as de coeur Aux doigts de foin coupé Ma femme aux aisselles de marbre et de fênes De nuit de la Saint-Jean De troène et de nid de scalares Aux bras d’écume de mer et d'écluse Et de mélange du blé et du moulin Ma femme aux jambes de fusée Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir Ma femme aux mollets de moelle de sureau Ma femme aux pieds d'initiales Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent Ma femme au cou d'orge imperlé Ma femme à la gorge de Val d'or De rendez-vous dans le lit même du torrent Aux seins de nuit Ma femme aux seins de taupinière marine Ma femme aux seins de creuset du rubis Aux seins de spectre de la rose sous la rosée Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours Au ventre de griffe géante Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical Au dos de vif-argent Au dos de lumière À la nuque de pierre roulée et de craie mouillée Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire Ma femme aux hanches de nacelle Aux hanches de lustre et de pennes de flèche Et de tiges de plumes de paon blanc De balance insensible Ma femme aux fesses de grès et d'amiante Ma femme aux fesses de dos de cygne Ma femme aux fesses de printemps Au sexe de glaïeul Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens Ma femme au sexe de miroir Ma femme aux yeux pleins de larmes Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée Ma femme aux yeux de savane Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu NOEUD DES MIROIRS. Les belles fenêtres ouvertes et fermées Suspendues aux lèvres du jour Les belles fenêtres en chemise Les belles fenêtres aux cheveux de feu dans la nuit noire Les belles fenêtres de cris d’alarme et de baisers Au-dessus de moi au-dessous de moi derrière moi il y en a moins qu’en moi Où elles ne font qu’un seul cristal bleu comme les blés Un diamant divisible en autant de diamants qu’il en faudrait pour se baigner à tous les bengalis Et les saisons qui ne sont pas quatre mais quinze ou seize En moi parmi lesquelles celle où le métal fleurit Celle dont le sourire est moins qu’une dentelle Celle où la rosée du soir unit les femmes et les pierres Les saisons lumineuses comme l’intérieur d’une pomme dont on a détaché un quartier Ou encore comme un quartier excentrique habité par des êtres qui sont de mèche avec le vent Ou encore comme le vent de l’esprit qui la nuit ferre d’oiseaux sans bornes les chevaux à naseaux d’algèbre Ou encore comme la formule Les saisons remontent maille par maille leur filet brillant de l’eau vive de mes yeux Et dans ce filet il y a ce que j’ai vu c’est la spire d’un fabuleux coquillage Qui me rappelle l’exécution en vase clos de l’empereur Maximilien Il y a ce que j’ai aimé c’est le plus haut rameau de l’arbre de corail qui sera foudroyé C’est le style du cadran solaire à minuit vrai Il y a ce que je connais bien ce que je connais si peu que prête-moi tes serres vieux délire Pour m’élever avec mon coeur le long de la cataracte Les aéronautes parlent de l’efflorescence de l’air en hiver UN HOMME ET UNE FEMME ABSOLUMENT BLANCS. Tout au fond de l’ombrelle je vois les prostituées merveilleuses Leur robe un peu passée du côté du réverbère couleur des bois Elles promènent avec elles un grand morceau de papier mural Comme on ne peut en contempler sans serrement de coeur aux anciens étages d’une maison en démolition Ou encore une coquille de marbre blanc tombée d’une cheminée Ou encore un filet de ces chaînes qui derrière elles se brouillent dans les miroirs Le grand instinct de la combustion s’empare des rues où elles se tiennent Comme des fleurs grillées Les yeux au loin soulevant un vent de pierre Tandis qu’elles s’abîment immobiles au centre du tourbillon Rien n’égale pour moi le sens de leur pensée inappliquée La fraîcheur du ruisseau dans lequel leurs bottines trempent l’ombre de leur bec La réalité de ces poignées de foin coupé dans lesquelles elles disparaissent Je vois leurs seins qui mettent une pointe de soleil dans la nuit profonde Et dont le temps de s’abaisser et de s’élever est la seule mesure exacte de la vie Je vois leurs seins qui sont des étoiles sur des vagues Leurs seins dans lesquels pleure à jamais l’invisible lait bleu FACTEUR CHEVAL. Nous les oiseaux que tu charmes toujours du haut de ces belvédères Et qui chaque nuit ne faisons qu’une branche fleurie de tes épaules aux bras de ta brouette bien-aimée Qui nous arrachons plus vifs que des étincelles à ton poignet Nous sommes les soupirs de la statue de verre qui se soulève sur le coude quand l’homme dort Et que des brèches brillantes s’ouvrent dans son lit Brèches par lesquelles on peut apercevoir des cerfs aux bois de corail dans une clairière Et des femmes nues tout au fond d’une mine Tu t’en souviens tu te levais alors tu descendais du train Sans un regard pour la locomotive en proie aux immenses racines barométriques Qui se plaint dans la forêt vierge de toutes ses chaudières meurtries Ses cheminées fumant de jacinthes et mue par des serpents bleus Nous te précédions alors nous les plantes sujettes à métamorphoses Qui chaque nuit nous faisons des signes que l’homme peut surprendre Tandis que sa maison s’écroule et qu’il s’étonne devant les emboîtements singuliers Que recherche son lit avec le corridor et l’escalier L’escalier se ramifie indéfiniment Il mène à une porte de meule il s’élargit tout à coup sur une place publique Il est fait de dos de cygnes une aile ouverte pour la rampe Il tourne sur lui-même comme s’il allait se mordre Mais non il se contente sur nos pas d’ouvrir toutes ses marches comme des tiroirs Tiroirs de pain tiroirs de vin tiroirs de savon tiroirs de glaces tiroirs d’escaliers Tiroirs de chair à la poignée de cheveux À cette heure où des milliers de canards de Vaucanson se lissent les plumes Sans te retourner tu saisissais la truelle dont on fait les seins Nous te souriions tu nous tenais par la taille Et nous prenions les attitudes de ton plaisir Immobiles sous nos paupières pour toujours comme la femme aime voir l’homme Après avoir fait l’amour RIDEAU RIDEAU. Les théâtres vagabonds des saisons qui auront joué ma vie Sous mes sifflets L’avant-scène avait été aménagée en cachot d’où je pouvais siffler Les mains aux barreaux je voyais sur fond de verdure noire L’héroïne nue jusqu’à la ceinture Qui se suicidait au début du premier acte La pièce se poursuivait inexplicablement dans le lustre La scène se couvrant peu à peu de brouillard Et je criais parfois Je brisais la cruche qu’on m’avait donnée et de laquelle s’échappaient des papillons Qui montaient follement vers le lustre Sous prétexte d’intermède encore de ballet qu’on tenait à me donner de mes pensées J’essayais alors de m’ouvrir le poignet avec les morceaux de terre brune Mais c’étaient des pays dans lesquels je m’étais perdu Impossible de retrouver le fil de ces voyages J’étais séparé de tout par le pain du soleil Un personnage circulait dans la salle seul personnage agile Qui s’était fait un masque de mes traits Il prenait odieusement parti pour l’ingénue et pour le traître Le bruit courait que c’était arrangé comme mai juin juillet août Soudain la caverne se faisait plus profonde Dans les couloirs interminables des bouquets tenus à hauteur de main Erraient seuls c’est à peine si j’osais entrouvrir ma porte Trop de liberté m’était accordée à la fois Liberté de m’enfuir en traîneau de mon lit Liberté de faire revivre les êtres qui me manquent Les chaises d’aluminium se resserraient autour d’un kiosque de glaces Sur lequel se levait un rideau de rosée frangé de sang devenu vert Liberté de chasser devant moi les apparences réelles Le sous-sol était merveilleux sur un mur blanc apparaissait en pointillé de feu ma silhouette percée au coeur d’une balle LE SPHINX VERTÉBRAL. La belle ombre patiente et courbe fait le tour des pavés Les fenêtres vénitiennes s’ouvrent et se ferment sur la place Où vont en liberté des bêtes suivies de feux Les réverbères mouillés bruissent encadrés d’une nuée d’yeux bleus Qui couvrent le paysage en amont de la ville Ce matin proue du soleil comme tu t’engloutis dans les superbes chants exhalés à l’ancienne derrière les rideaux par les guetteuses nues Tandis que les arums géants tournent autour de leur taille Et que le mannequin sanglant saute sur ses trois pieds dans le grenier Il vient disent-elles en cambrant leur cou sur lequel le bondissement des nattes libère des glaciers à peine roses Qui se fendent sous le poids d’un rai de lumière tombant des persiennes arrachées Il vient c’est le loup aux dents de verre Celui qui mange l’heure dans les petites boîtes rondes Celui qui souffle les parfums trop pénétrants des herbes Celui qui fume les petits feux de passage le soir dans les navets Les colonnes des grands appartements de marbre et de vétiver crient Elles crient elles sont prises de ces mouvements de va-et- vient qui n’animaient jusque-là que certaines pièces colossales des usines Les femmes immobiles sur les plaques tournantes vont voir Il fait jour à gauche mais nuit complètement nuit à droite Il y a des branchages encore pleins d’oiseaux qui passent à toute allure obscurcissant le trou de la croisée Des oiseaux blancs qui pondent des oeufs noirs Où sont ces oiseaux que remplacent maintenant des étoiles bordées de deux rangs de perles Une tête de poisson très très longue ce n’est pas encore lui De la tête de poisson naissent des jeunes filles secouant un tamis Et du tamis des coeurs faits de larmes bataviques Il vient c’est le loup aux dents de verre Celui qui volait très haut sur les terrains vagues reparus au- dessus des maisons Avec des plantes aiguisées toutes tournées vers ses yeux D’un vert à défier une bouteille de mousse renversée sur la neige Ses griffes de jade dans lesquelles il se mire en volant Son poil de la couleur des étincelles C’est lui qui gronde dans les forges au crépuscule et dans les lingeries abandonnées Il est visible on le touche il avance avec son balancier sur le fil tendu d’hirondelles Les guetteuses se penchent se penchent aux fenêtres De tout leur côté d’ombre de tout leur côté de lumière La bobine du jour est tirée par petits coups du côté du paradis de sable Les pédales de la nuit bougent sans interruption VIGILANCE. À Paris la tour Saint-Jacques chancelante Pareille à un tournesol Du front vient quelquefois heurter la Seine et son ombre glisse imperceptiblement parmi les remorqueurs À ce moment sur la pointe des pieds dans mon sommeil Je me dirige vers la chambre où je suis étendu Et j’y mets le feu Pour que rien ne subsiste de ce consentement qu’on m’a arraché Les meubles font alors place à des animaux de même taille qui me regardent fraternellement Lions dans les crinières desquels achèvent de se consumer les chaises Squales dont le ventre blanc s’incorpore le dernier frisson des draps À l’heure de l’amour et des paupières bleues Je me vois brûler à mon tour je vois cette cachette solennelle de riens Qui fut mon corps Fouillée par les becs patients des ibis du feu Lorsque tout est fini j’entre invisible dans l’arche Sans prendre garde aux passants de la vie qui font sonner très loin leurs pas traînants Je vois les arêtes du soleil À travers l’aubépine de la pluie J’entends se déchirer le linge humain comme une grande feuille Sous l’ongle de l’absence et de la présence qui sont de connivence Tous les métiers se fanent il ne reste d’eux qu’une dentelle parfumée Une coquille de dentelle qui a la forme parfaite d’un sein Je ne touche plus que le coeur des choses je tiens le fil SANS CONNAISSANCE. On n’a pas oublié La singulière tentative d’enlèvement Tiens une étoile pourtant il fait encore grand jour De cette jeune fille de quatorze ans Quatre de plus que de doigts Qui regagnait en ascenseur Je vois ses seins comme si elle était nue On dirait des mouchoirs séchant sur un rosier L’appartement de ses parents Le père un piquet solidement enfoncé dans l’ombre la mère jolie pyramide d’abat-jour Appartement situé au quatrième étage d’un immeuble de la rue Saint-Martin Non loin de la Porte gardée par deux salamandres géantes Sous laquelle je me tiens moi-même plusieurs heures par jour Que je sois à Paris ou non La belle Euphorbe appelons la jeune fille Euphorbe S’inquiète de l’arrêt de l’ascenseur entre le deuxième et le troisième étage À six heures du soir quand le quartier Saint-Martin commence à broyer de la craie du plantain du vitrail Rester ainsi suspendue comme une aiguillette à une veste mexicaine N’a rien de particulièrement réjouissant Le palier du second à quelques pieds au-dessous d’Euphorbe charrie des planches claires l’anguille d’une rampe et quelques jolies herbes noires très longues Qui ressemblent à un vêtement d’homme La jeune fille surprise en pleine ascension se compare à un diabolo de plumes Elle a les yeux plus verts que d’ordinaire n’est verte l’angélique Et ces yeux plongent se brûlent à d’autres yeux sur lesquels glisse une flamme de bore D’en bas les mollets d’Euphorbe luisent un peu de biais ce sont deux oiseaux sombres qui doivent être plus tièdes et plus doux que tous les autres Les yeux de bore s’y fixent un instant puis le regard étincelant s’évase dans la robe Très fine qui est de Paris C’en est assez pour que ces deux êtres se soient compris Ainsi dans une hutte par temps de pluie sous les tropiques l’énervement fait merveille Les insectes à taille minuscule déployant de véritables drapeaux qui traînent partout dans les coins Une porte qui glisse sur elle-même avec le bruit d’une ombrelle qu’on ferme L’enfant est dans les bras de l’homme il sent frémir la chair au-dessus des jarrets sous la robe qui remonte un peu comme un fuchsia L’escalier mal éclairé des ombres grandissent sur le mur de faux marbre chair Ombres de chevaux lancés à toutes guides dans la tempête Ombres de buissons qui courent à leur tour largement dépassés Et surtout ombres de danseurs toujours le même couple sur une plaque tournante bordée de draps Cet instant fait dérailler le train rond des pendules La rue jette des éclairs Euphorbe sourit sournoisement entre la crainte et le plaisir Je vois son coeur à cette minute il est distrait coupant il est le premier bourgeon qui saute d’un marronnier rose Un mot et tout est sauvé Un mot et tout est perdu L’inconnu là la tentation comme nulle part ailleurs sous ce ciel à la paille de fer Mais aussi la peur sous cette voûte affolante de pas qui vont et qui viennent À faire un amas de plâtre de cette maison qui est bien loin Un amas de plâtre dans un abri duquel on commencerait à s’aimer La peur à oublier ses doigts dans un livre pour ne plus toucher À fermer ses yeux dans le sillage du premier venu pour éperdument le fuir Quelle seconde On sait le reste Pfuût houch le coup de revolver le sang qui saute lestement les marches vertes Pas assez vite pour que l’homme Son signalement un mètre soixante-cinq la concierge n’a pas osé arrêter ce visiteur inhabituel mais poli Il était d’autre part très bien de sa personne Ne s’éloigne en allumant une cigarette Plus douce que la douleur d’aimer et d’être aimé DERNIÈRE LEVÉE. La lettre que j’attends voyage incognito dans une enveloppe Que son timbre recouvre et au-delà Ce timbre est oblitéré par le zodiaque On a beaucoup de peine à déchiffrer mon nom dans sa dentelure Quand elle me parviendra le soleil sera froid Il y aura des épaves sur la place Blanche Parmi lesquelles se distinguera mon courage Pareil à un treuil d’écureuils Je l’ouvrirai d’un coup de rame Et je me mettrai à lire Cela ne pourra manquer de provoquer un rassemblement Mais je ne m’arrêterai pas Les mots jamais entendus prendront le large Ils seront de paille enflammée et luiront dans une cage d’amiante Suspendue à l’arbre à devinettes La lettre que j’attends sera de la couleur des voiliers éteints Mais les nouvelles qu’elle m’apportera leurs formes de rosée Je retrouverai dans ces formes tout ce que j’ai perdu Ces lumières qui bercent les choses irréelles Ces animaux dont les métamorphoses m’ont fait une raison Ces pierres que je croyais lancées pour me dépister moi- même Qu’elle est de petites dimensions cette lettre que j’attends Pourvu qu’elle ne s’égare pas parmi les grains de poison UNE BRANCHE D’ORTIE ENTRE PAR LA FENÊTRE. La femme au corps de papier peint La tanche rouge des cheminées Dont la mémoire est faite d’une multitude de petits abreuvoirs Pour les navires au loin Et qui rit comme un peu de braise qu’on aurait enchâssée dans la neige Et qui se voit grandir et diminuer la nuit sur des pas d’accordéon La cuirasse des herbes la poignée de la porte des poignards Celle qui descend des paillettes du sphinx Celle qui met des roulettes au fauteuil du Danube Celle pour qui l’espace et le temps se déchirent le soir quand le veilleur de son oeil vacille comme un elfe N’est pas l’enjeu du combat que se livrent mes rêves Oiseau cassant Que la nature tend sur les fils télégraphiques des transes Et qui chavire sur le grand lac de nombres de son chant Elle est le double coeur de la muraille perdue À laquelle s’agrippent les sauterelles du sang Qui traînent mon apparence de miroir mes mains de faille Mes yeux de chenilles mes cheveux de longues baleines noires De baleines cachetées d’une cire étincelante et noire LE GRAND SECOURS MEURTRIER. La statue de Lautréamont Au socle de cachets de quinine En rase campagne L’auteur des Poésies est couché à plat ventre Et près de lui veille l’héloderme suspect Son oreille gauche appliquée au sol est une boîte vitrée Occupée par un éclair l’artiste n’a pas oublié de faire figurer au-dessus de lui Le ballon bleu ciel en forme de tête de Turc Le cygne de Montevideo dont les ailes sont déployées et toujours prêtes à battre Lorsqu’il s’agit d’attirer de l’horizon les autres cygnes Ouvre sur le faux univers deux yeux de couleurs différentes L’un de sulfate de fer sur la treille des cils l’autre de boue diamantée Il voit le grand hexagone à entonnoir dans lequel se crisperont bientôt les machines Que l’homme s’acharne à couvrir de pansements Il ravive de sa bougie de radium les fonds du creuset humain Le sexe de plumes le cerveau de papier huilé Il préside aux cérémonies deux fois nocturnes qui ont pour but soustraction faite du feu d’intervertir les coeurs de l’homme et de l’oiseau J’ai accès près de lui en qualité de convulsionnaire Les femmes ravissantes qui m’introduisent dans le wagon capitonné de roses Où un hamac qu’elles ont pris soin de me faire de leurs chevelures m’est réservé De toute éternité Me recommandent avant de partir de ne pas prendre froid dans la lecture du journal Il paraît que la statue près de laquelle le chiendent de mes terminaisons nerveuses Arrive à destination est accordée chaque nuit comme un piano VIOLETTE NOZIÈRES (1933) Tous les rideaux du monde tirés sur tes yeux Ils auront beau Devant leur glace à perdre haleine Tendre l’arc maudit de l’ascendance et de la descendance Tu ne ressembles plus à personne de vivant ni de mort Mythologique jusqu’au bout des ongles Ta prison est la bouée à laquelle ils s’efforcent d’atteindre dans leur sommeil Tous y reviennent elle les brûle Comme on remonte à la source d’un parfum dans la rue Ils dévident en cachette ton itinéraire La belle écolière du lycée Fénelon qui élevait des chauves- souris dans son pupitre Le perce-neige du tableau noir Regagne le logis familial où s’ouvre Une fenêtre morale dans la nuit Les parents une fois de plus se saignent pour leur enfant On a mis le couvert sur la table d’opération Le brave homme est noir pour plus de vraisemblance Mécanicien dit-on de trains présidentiels Dans un pays de pannes où le chef suprême de l’État Lorsqu’il ne voyage pas à pied de peur des bicyclettes N’a rien de plus pressé que de tirer le signal d’alarme pour aller s’ébattre en chemise sur le talus L’excellente femme a lu Corneille dans le livre de classe de sa fille Femme française et l’a compris Comme son appartement comprend un singulier cabinet de débarras Où brille mystérieusement un linge Elle n’est pas de celles qui glissent en riant vingt francs dans leur bas Le billet de mille cousu dans l’ourlet de sa jupe Lui assure une rigidité pré-cadavérique Les voisins sont contents Tout autour de la terre Contents d’être les voisins L’histoire dira Que M. Nozières était un homme prévoyant Non seulement parce qu’il avait économisé cent soixante cinq mille francs Mais surtout parce qu’il avait choisi pour sa fille un prénom dans la première partie duquel on peut démêler psychanalytiquement son programme La bibliothèque de chevet je veux dire la table de nuit N’a plus après cela qu’une valeur d’illustration Mon père oublie quelquefois que je suis sa fille L’éperdu Ce qui tout à la fois craint et rêve de se trahir Mots couverts comme une agonie sur la mousse Celui qui dit les avoir entendus de ta bouche brave tout ce qui vaut la peine d’être bravé Cette sorte de courage est aujourd’hui le seul Il nous dédommage à lui seul de cette ruée vers une tonnelle de capucines Qui n’existe plus Tonnelle belle comme un cratère Mais quel secours Un autre homme à qui tu faisais part de ta détresse Dans un lit un homme qui t’avait demandé le plaisir Le don toujours incomparable de la jeunesse Il a reçu ta confidence parmi tes caresses Fallait-il que ce passant fût obscur Vers toi n’a su faire voler qu’une gifle dans la nuit blanche Ce que tu fuyais Tu ne pouvais le perdre que dans les bras du hasard Qui rend si flottantes les fins d’après-midi de Paris autour des femmes aux yeux de cristal fou Livrées au grand désir anonyme Auquel fait merveilleusement uniquement Silencieusement écho Pour nous le nom que ton père t’a donné et ravi On glisse où s’est posé ton haut talon de sucre Tout est égal qu’ils fassent ou non semblant de ne pas en convenir Devant ton sexe ailé comme une fleur des Catacombes Étudiants vieillards journalistes pourris faux révolutionnaires prêtres juges Avocats branlants Ils savent bien que toute hiérarchie finit là Pourtant un jeune homme t’attendait énigmatique à une terrasse de café Ce jeune homme qui au quartier Latin vendait paraît-il entre- temps L’Action française Cesse d’être mon ennemi puisque tu l’aimais Vous auriez pu vivre ensemble bien qu’il soit si difficile de vivre avec son amour Il t’écrivait en partant Vilaine chérie C’est encore joli Jusqu’à plus ample informé l’argent enfantin n’est que l’écume de la vague Longtemps après la cavalerie et la chevalerie des chiens Violette La rencontre ne sera plus poétiquement qu’une femme seule dans les bosquets introuvables du Champ-de-Mars Assise les jambes en X sur une chaise jaune L’AIR DE L’EAU (1934) Monde dans un baiser Le joueur à baguettes de coudrier cousues sur les manches Apaise un essaim de jeunes singes-lions Descendus à grand fracas de la corniche Tout devient opaque je vois passer le carrosse de la nuit Traîné par les axolotls à souliers bleus Entrée scintillante de la voie de fait qui mène au tombeau Pavé de paupières avec leurs cils La loi du talion use un peuple d’étoiles Et tu te diapres pour moi d’une rosée noire Tandis que les effrayantes bornes mentales À cheveux de vigne Se fendent dans le sens de la longueur Livrant passage à des aigrettes Qui regagnent le lac voisin Les barreaux du spectacle sont merveilleusement tordus Un long fuseau d’air atteste seul la fuite de l’homme Au petit matin dans les luzernes illustres L’heure N’est plus que ce que sonnent les pièces d’or de la bohémienne Aux volants de coréopsis Une écuyère debout sur un cheval au galop pommelé de boules d’orage De loin les bras sont toujours en extension latérale Le losange poudreux du dessous me rappelle La tente décorée de bisons bleus Par les Indiens de l’oreiller Dehors l’air essaye les gants de gui Sur un comptoir d’eau pure Monde dans un baiser monde À moi les écailles Les écailles de la grande tortue céleste à ventre d’hydrophile Qui se bat chaque nuit dans l’amour Avec la grande tortue noire le gigantesque scolopendre de racines Le poisson-télescope casse des pierres au fond des livres Et le plaisir roule ces pierres Comme vont à dos d’âne de très jeunes filles d’autrefois En robes d’acacia Le temps est si clair que je tremble qu’il ne finisse Un coup de vent sur tes yeux et je ne te verrais plus Déjà tous les récifs ont pris le large Les derniers réverbères de paille reculent devant les éteigneurs Auxquels des papillons blancs font un casque de scaphandriers Ils ne se risqueront pas dans la ville aux grands chardons Où souffle un vent blond à décorner les lucanes J’habite au coeur d’un de ces chardons Où tes cheveux sont des poignées de portes sous-marines Des anses à saisir les trésors Nous pouvons aller et venir dans les pièces frissonnantes Sans crainte errer dans la forêt de jets d’eau Nous perdre dans l’immense spath d’Islande Ta chair arrosée de l’envol de mille oiseaux de paradis Est une haute flamme couchée dans la neige La neige de t’avoir trouvée La descente de lit de loup blanc à perte de vue Je rêve je te vois superposée indéfiniment à toi-même Tu es assise sur le haut tabouret de corail Devant ton miroir toujours à son premier quartier Deux doigts sur l’aile d’eau du peigne Et en même temps Tu reviens de voyage tu t’attardes la dernière dans la grotte Ruisselante d’éclairs Tu ne me reconnais pas Tu es étendue sur le lit tu t’éveilles ou tu t’endors Tu t’éveilles où tu t’es endormie ou ailleurs Tu es nue la balle de sureau rebondit encore Mille balles de sureau bourdonnent au-dessus de toi Si légères qu’à chaque instant ignorées de toi Ton souffle ton sang sauvés de la folle jonglerie de l’air Tu traverses la rue les voitures lancées sur toi ne sont plus que leur ombre Et la même Enfant Prise dans un soufflet de paillettes Tu sautes à la corde Assez longtemps pour qu’apparaisse au haut de l’escalier invisible Le seul papillon vert qui hante les sommets de l’Asie Je caresse tout ce qui fut toi Dans tout ce qui doit l’être encore J’écoute siffler mélodieusement Tes bras innombrables Serpent unique dans tous les arbres Tes bras au centre desquels tourne le cristal de la rose des vents Ma fontaine vivante de Sivas L’aigle sexuel exulte il va dorer la terre encore une fois Son aile descendante Son aile ascendante agite imperceptiblement les manches de la menthe poivrée Et tout l’adorable déshabillé de l’eau Les jours sont comptés si clairement Que le miroir a fait place à une nuée de frondes Je ne vois du ciel qu’une étoile Il n’y a plus autour de nous que le lait décrivant son ellipse vertigineuse D’où la molle intuition aux paupières d’agate oeillée Se soulève parfois pour piquer la pointe de son ombrelle dans la boue de la lumière électrique Alors des étendues jettent l’ancre se déploient au fond de mon oeil fermé Icebergs rayonnant des coutumes de tous les mondes à venir Nés d’une parcelle de toi d’une parcelle inconnue et glacée qui s’envole Ton existence le bouquet géant qui s’échappe de mes bras Est mal liée elle creuse les murs déroule les escaliers des maisons Elle s’effeuille dans les vitrines de la rue Aux nouvelles je pars sans cesse aux nouvelles Le journal est aujourd’hui de verre et si les lettres n’arrivent plus C’est parce que le train a été mangé La grande incision de l’émeraude qui donna naissance au feuillage Est cicatrisée pour toujours les scieries de neige aveuglante Et les carrières de chair bourdonnent seules au premier rayon Renversé dans ce rayon Je prends l’empreinte de la mort et de la vie À l’air liquide Le marquis de Sade a regagné l’intérieur du volcan en éruption D’où il était venu Avec ses belles mains encore frangées Ses yeux de jeune fille Et cette raison à fleur de sauve-qui-peut qui ne fut Qu’à lui Mais du salon phosphorescent à lampes de viscères Il n’a cessé de jeter les ordres mystérieux Qui ouvrent une brèche dans la nuit morale C’est par cette brèche que je vois Les grandes ombres craquantes la vieille écorce minée Se dissoudre Pour me permettre de t’aimer Comme le premier homme aima la première femme En toute liberté Cette liberté Pour laquelle le feu même s’est fait homme Pour laquelle le marquis de Sade défia les siècles de ses grands arbres abstraits D’acrobates tragiques Cramponnés au fil de la Vierge du désir J’ai devant moi la fée du sel Dont la robe brodée d’agneaux Descend jusqu’à la mer Et dont le voile de chute en chute irise toute la montagne Elle brille au soleil comme un lustre d’eau vive Et les petits potiers de la nuit se sont servis de ses ongles sans lune Pour compléter le service à café de la belladone Le temps se brouille miraculeusement derrière ses souliers d’étoiles de neige Tout le long d’une trace qui se perd dans les caresses de deux hermines Les dangers rétrospectifs ont beau être richement répartis Des charbons mal éteints au prunellier des haies par le serpent corail qui peut passer pour un très mince filet de sang coagulé Le fond de l’âtre Est toujours aussi splendidement noir Le fond de l’âtre où j’ai appris à voir Et sur lequel danse sans interruption la crêpe à dos de primevères La crêpe qu’il faut lancer si haut pour la dorer Celle dont je retrouve le goût perdu Dans ses cheveux La crêpe magique le sceau aérien De notre amour Au beau demi-jour de 1934 L’air était une splendide rose couleur de rouget Et la forêt quand je me préparais à y entrer Commençait par un arbre à feuilles de papier à cigarettes Parce que je t’attendais Et que si tu te promènes avec moi N'importe où Ta bouche est volontiers la nielle D'où repart sans cesse la roue bleue diffuse et brisée qui monte Blêmir dans l’ornière Tous les prestiges se hâtaient à ma rencontre Un écureuil était venu appliquer son ventre blanc sur mon coeur Je ne sais comment il se tenait Mais la terre était pleine de reflets plus profonds que ceux de l’eau Comme si le métal eût enfin secoué sa coque Et toi couchée sur l'effroyable mer de pierreries Tu tournais Nue Dans un grand soleil de feu d’artifice Je te voyais descendre lentement des radiolaires Les coquilles même de l’oursin j’y étais Pardon je n’y étais déjà plus J’avais levé la tête car le vivant écrin de velours blanc m’avait quitté Et j’étais triste Le ciel entre les feuilles luisait hagard et dur comme une libellule J’allais fermer les yeux Quand les deux pans du bois qui s’étaient brusquement écartés s’abattirent Sans bruit Comme les deux feuilles centrales d’un muguet immense D’une fleur capable de contenir toute la nuit J’étais où tu me vois Dans le parfum sonné à toute volée Avant qu’elles ne revinssent comme chaque jour à la vie changeante J’eus le temps de poser mes lèvres Sur tes cuisses de verre Yeux zinzolins de la petite Babylonienne trop blanche Au nombril sertissant une pierre de même couleur Quand s’ouvre comme une croisée sur un jardin nocturne La main de Jacqueline X Que vous êtes pernicieux au fond de cette main Yeux d’outre-temps à jamais humides Fleur qui pourriez vous appeler la réticence du prophète C’en est fait du présent du passé de l’avenir Je chante la lumière unique de la coïncidence La joie de m’être penché sur la grande rosace du glacier supérieur Les infiltrations merveilleuses dont on s’aperçoit un beau jour qu’elles ont fait un cornet du plancher La portée des incidents étranges mais insignifiants à première vue Et leur don d’appropriation finale vertigineuse à moi-même Je chante votre horizon fatal Vous qui clignez imperceptiblement dans la main de mon amour Entre le rideau de vie Et le rideau de coeur Yeux zinzolins Y Z De l’alphabet secret de la toute-nécessité Il allait être cinq heures du matin La barque de buée tendait sa chaîne à faire éclater les vitres Et dehors Un ver luisant Soulevait comme une feuille Paris Ce n’était qu’un cri tremblant continu Un cri parti de l’hospice de la Maternité tout proche FINIS FONDEUR FOU. Mais tout ce qui passait de joie dans l’exhalaison de cette douleur Il me semble que j’étais tombé longtemps J’avais encore la main crispée sur une poignée d’herbes Et soudain ce froissement de fleurs et d’aiguilles de glace Ces sourcils verts ce balancier d’étoile filante De quelles profondeurs pouvait bien remonter la cloche Hermétique Dont rien la veille encore ne me faisait prévoir l’arrêt à ce palier La cloche aux parois de laquelle Ondine Tout en agitant pour t’élever la pédale du sagittaire en fer de lance Tu avais gravé les signes infaillibles De mon enchantement Au moyen d’un poignard dont le manche de corail bifurque à l’infini Pour que ton sang et le mien N’en fassent qu’un Ils vont tes membres déployant autour de toi des draps verts Et le monde extérieur En pointillé Ne joue plus les prairies ont déteint les jours des clochers se rejoignent Et le puzzle social A livré sa dernière combinaison Ce matin encore ces draps se sont levés ont fait voile avec toi d’un lit prismatique Dans le château brouillé du saule aux yeux de lama Pour lequel la tête en bas Je suis parti jadis Draps amande de ma vie Quand tu marches le cuivre de Vénus Innerve la feuille glissante et sans bords Ta grande aile liquide Bat dans le chant des vitriers Et mouvement encore Mouvement rythmé par le pilage de coquilles d’huître et d’étoiles rousses Dans les tapas des îles heureuses Je pense à un très ancien livre de voyages Où l’on conte qu’un marin abandonné dans l’une de ces îles S’était épris si éperdument d’une indigène Et s’en était fait si éperdument aimer Qu’ils parvenaient à échanger sur toutes choses des impressions parfois très subtiles Au moyen d’un langage unique de caresses Lorsque je te vois je retrouve en moi cet homme qui avait oublié trop volontiers la parole Et je souris lorsqu’un ami me reproche non sans raison De ne pas avoir en général Montré assez de défiance à l’égard de cette obsession poétique Il dit même de cette fausse intuition tyrannique Que serait la nostalgie de l’âge d’or Mais les événements modernes ne sont pas forcément dépouillés de tout sens originel et final Et la rencontre Élective vraiment comme elle peut être De l’homme et de la femme Toi que je découvre et qui restes pour moi toujours à découvrir Les premiers navigateurs à la recherche moins des pays Que de leur propre cause Voguent éternellement dans la voix des sirènes Cette rencontre Avec tout ce qu’elle comporte à distance de fatal Cette précipitation l’un vers l’autre de deux systèmes tenus séparément pour subjectifs Met en branle une série de phénomènes très réels Qui concourent à la formation d’un monde distinct De nature à faire honte à ce que nous apercevrions À son défaut De celui-ci La barbarie des civilisations n’y peut rien Je lisais tout à l’heure dans L’Humanité Qu’en Oïrotie Dans une contrée où toutes les jolies filles il y a vingt ans Étaient vendues aux beys La femme ayant acquis maintenant le droit de disposer d’elle-même On avait pu voir Un jeune homme apporter à une jeune fille un petit bouquet À ta place je me méfierais du chevalier de paille Cette espèce de Roger délivrant Angélique Leitmotiv ici des bouches de métro Disposées en enfilade dans tes cheveux C’est une charmante hallucination lilliputienne Mais le chevalier de paille le chevalier de paille Te prend en croupe et vous vous jetez dans la haute allée de peupliers Dont les premières feuilles perdues beurrent les roses morceaux de pain de l’air J’adore ces feuilles à l’égal De ce qu’il y a de suprêmement indépendant en toi Leur pâle balance À compter de violettes Juste ce qu’il faut pour que transparaisse aux plus tendres plis de ton corps Le message indéchiffrable capital D’une bouteille qui a longtemps tenu la mer Et je les adore quand elles se rassemblent comme un coq blanc Furieux sur le perron du château de la violence Dans la lumière devenue déchirante où il ne s’agit plus de vivre Dans le taillis enchanté Où le chasseur épaule un fusil à crosse de faisan Ces feuilles qui sont la monnaie de Danaé Lorsqu’il m’est donné de t’approcher à ne plus te voir D’étreindre en toi ce lieu jaune ravagé Le plus éclatant de ton oeil Où les arbres volent Où les bâtiments commencent à être secoués d’une gaieté de mauvais aloi Où les jeux du cirque se poursuivent avec un luxe effréné dans la rue Survivre Du plus loin deux ou trois silhouettes se détachent Sur le groupe étroit bat le drapeau parlementaire On me dit que là-bas les plages sont noires De la lave allée à la mer Et se déroulent au pied d’un immense pic fumant de neige Sous un second soleil de serins sauvages Quel est donc ce pays lointain Qui semble tirer toute sa lumière de ta vie Il tremble bien réel à la pointe de tes cils Doux à ta carnation comme un linge immatériel Frais sorti de la malle entrouverte des âges Derrière toi Lançant ses derniers feux sombres entre tes jambes Le sol du paradis perdu Glace de ténèbres miroir d’amour Et plus bas vers tes bras qui s’ouvrent À la preuve par le printemps D’APRÈS De l’inexistence du mal Tout le pommier en fleur de la mer Toujours pour la première fois C’est à peine si je te connais de vue Tu rentres à telle heure de la nuit dans une maison oblique à ma fenêtre Maison tout imaginaire C’est là que d’une seconde à l’autre Dans le noir intact Je m’attends à ce que se produise une fois de plus la déchirure fascinante La déchirure unique De la façade et de mon coeur Plus je m’approche de toi En réalité Plus la clé chante à la porte de la chambre inconnue Où tu m’apparais seule Tu es d’abord tout entière fondue dans le brillant L’angle fugitif d’un rideau C’est un champ de jasmin que j’ai contemplé à l’aube sur une route des environs de Grasse Avec ses cueilleuses en diagonale Derrière elles l’aile sombre tombante des plants dégarnis Devant elles l’équerre de l’éblouissant Le rideau invisiblement soulevé Rentrent en tumulte toutes les fleurs C’est toi aux prises avec cette heure trop longue jamais assez trouble jusqu’au sommeil Toi comme si tu pouvais être La même à cela près que je ne te rencontrerai peut-être jamais Tu fais semblant de ne pas savoir que je t’observe Merveilleusement je ne suis plus sûr que tu le sais Ton désoeuvrement m’emplit les yeux de larmes Une nuée d’interprétations entoure chacun de tes gestes C’est une chasse à la miellée Il y a des rocking-chairs sur un pont il y a des branchages qui risquent de t’égratigner dans la forêt Il y a dans une vitrine rue Notre-Dame-de-Lorette Deux belles jambes croisées prises dans de hauts bas Qui s’évasent au centre d’un grand trèfle blanc Il y a une échelle de soie déroulée sur le lierre Il y a Qu’à me pencher sur le précipice De la fusion sans espoir de ta présence et de ton absence J’ai trouvé le secret De t’aimer Toujours pour la première fois POÈMES DIVERS IV ET TEXTES AUTOMATIQUES. LE VAISSEAU N’AVANÇAIT PLUS... Le vaisseau n’avançait plus depuis un siècle. On avait joué aux cartes interminablement, on avait bu la liqueur de lune qui rend un peu poltron il est vrai mais la pompe géante à bras d’oiseaux blancs avait tôt fait de rassembler le soir tout le monde sur la glace qui était aussi peu cassante que possible. Et c’était le tambour de ville et c’était une roulotte foraine bien singulière que celle dont l’ours par une série de stratagèmes avait fini par regagner son pays natal. Quant à la fenêtre elle était couchée sur le gazon assez ras, ma foi, et de couleur cristalline. Quand je m’y accoudais le crissement de mes fourrures contre le verre dépoli me donnait des frissons et il m’advenait d’aller plus loin, beaucoup plus loin dans la vision que les navigateurs les plus téméraires. Un jour je m’en souviens, c’était sans espoir de retour, les acanthes glaciaires s’entrouvrirent sous mes yeux, découvrant des fes- ses de gazelle qui étaient une rose mangeant un magasin de gants et d’elles s’envolaient des perroquets qui sautaient à la corde puis les cachemires se fanèrent à leur tour et les va- peurs prirent le large montées par des spongilles étoilés. La crête des prismes scintillait d’une manière insolite comme lorsqu’on sonne à la porte d’un grand parc qui passe pour abandonné mais sait-on jamais ce qui prend possession des demeures privées de présences humaines? Dans un angle de la fosse neigeuse repose sous ses parures le génie de la Ter- rasse qui vit de privations. Les oreilles de la mer qui sont les poissons-volants ne sont pas absentes de la tapisserie, vieil intérieur de calèche, mais le cheval a été fouetté au point de disparaître dans la brume de ses naseaux. Je suis monté sur trois chaises, une bleue, une jaune et une bleue. Les papil- lons se rassemblent au-dessus de moi, c’est la voile inutile, l’occasion à crinière blanche déroulant ses anneaux pour s’endormir. LES PLANTES SONT DES COUVERTS... Les plantes sont des couverts d’étain sur une table de seigneurs à cause du brouillard et la colline bêle de milliers d’agneaux à l’approche des loups. La carrure générale des herbes laisse à désirer quand le vent est si bas et que les clo- ches intérieures de l’air s’entourent de lierre. Prenez garde: la cachette pince les premiers cordons de sa bourse et le tra- jet saigne. On va commencer par ramener le coffre jaune du fond de l’eau. Ce coffre n’a pas d’angles: il est couvert de méduses qui le rendent phosphorescent à la tombée de la nuit. Les pailles sont hautes et pailletées avec des reflets d’écritoires très vieux. Pora la charmante boit d’un vin lilas dans une clochette des prés. C’est la fée d’oubli et d’anéantissement passager. Elle est couverte de stries bleues et tient par la main une sarigue à tête d’horloge peinte en vert. Le bois d’osier ronge son frein à la cantonade, parcouru par un serpent tintant et caressant qui va se coucher. Les troubles commencent par un crochet de cuivre au-dessus d’une porte: ce crochet a dû s’échapper d’une boucherie car y pendent des draperies solaires un peu trop violentes, ce soir. La bête tuée ne doit pas être bien loin sur ses portes de sang. Je l’entends gémir dans le ruisseau supérieur de l’air que dessine en ce moment un vol de passereaux. POÈME AVEC VOCABULAIRE. 7 mai 1931, 10 heures du soir. La laitue de la cervelle devient orange en mourant Et se casse comme le gypse dans la terre Alors l’ange ses reps bleus d’ailes ses coupons de grands magasins La lumière j’ai nommé la nuit non la lumière Les licols et les lassos qui font tout le cheval Dans la Bausse les coquelicots sont certains Parmi les flaques ils ressemblent aux vieilles locomotives plaintives Dont l’accent est l’hiver L’homme se donne du bon temps Le bon vivant le cher mourant Il connaît Trafalgar et Jarnac il a suspendu ses bretelles au nuage qui est à peine au-dessus de lui Il s’est couché sur son matelas de zinc On a frappé C’était l’action de s’étonner Qui demandait la permission de passer outre Les vecteurs ensanglantés prenaient le large Ils crevaient le cerceau horizontal de leurs gueules de feu C’étaient les ressemblances mouvantes les bonnes à tout faire de la réalité Un jour c’en fut fait des fiançailles d’après Et le lendemain le satyre se promenait à travers bois Un pied par violette On l’a retrouvé on l’a pincé Mais le pinçon ne le réveillait pas Il faudrait regarder les commerçants dans leur glace Et les assureurs dans celle des avertisseurs d’incendie Le tremblement d’air est terrible les insectes sont abominables Dans le département du Gers les philosophes Les philosophes coupés en morceaux Se font une raie non plus dans les cheveux mais dans la main Les enfants descendent de leur cadre Dans des balançoires Ils ont la rougeole sur les échasses Et le lait devient de jour en jour plus sombre Le lait donne naissance aux dessins à la mine de plomb Du jour à donner et à recevoir La coquille du crâne dont on fait les pâtés d’encre La tortue de tête qui lutte dans les orties La maladie de langueur qui s’appelle penser POÈME EXHIBITIONNISTE. 7 mai 1931, 10 h 15. Je prendrai mon lit à bras le corps Et je le secouerai de tous mes rêves Les femmes rousses pourront sauter à la corde En me faisant de l’oeil comme la pensée Rien ne m’arrêtera J’enterrerai la fenêtre Les couronnes de belles de jour et de belles de nuit Puis je battrai la campagne en disposant les précieuses machines agricoles sur le papier mural Le silence qui est déjà l’aventure Sera encore les habits que j’aurai quittés Le revers qui se plaque Le volubilis qui s’enroule Il n’y aura qu’un timbre oblitéré sur deux à la lettre que je ne voudrai pas lire Remettant à demain l’acquittement du dernier criminel Les chenêts dans leur boîte Les chiens hurlant à la lune sur le coffret de l’exhibitionnisme J’entrerai dans la combinaison de la nuit Je me ferai une raison de cette combinaison J’assisterai à mon découpage en jeu de patience Plus d’angles plus ces sinistres petits mâchicoulis qu’on découvrait quand on voulait manger dans le pain Les femmes soigneusement écartelées Les femmes serties d’hommes qui brillent en les aimant Et qui répondent par cette sèche effloraison des agaves Dans les pays chauds dans les pays brûlants dans les pays tièdes Puisqu’aussi bien tout se refroidit même la lave Même le souvenir même les grands braisiers dans lesquels s’éloignent les fraises Je trouverai mon nom écrit sur l’atrocité fulgurante Les gerbes de mon nom couchées au pied des noisetiers Les flammes déjà de mon nom veillant dans le scandaleux myosotis Les Niagaras de mon nom frappés par l’attente altière des mondes Qui se ramassent sur eux-mêmes dans les épines du hérisson de mon nom Quand on le prononce à la cantonade Dans un murmure comme si l’on m’aimait encore Comme si l’on m’avait jamais aimé POÈME FIN DU MONDE. 7 mai 1931, 10 h 45. Brr ce ne sera pas encore pour cette fois-ci Les cheminées au haut des rêves sont moisies Et la vérité est couchée dans le puits Les poètes sont mobilisés depuis midi On voit que les cheveux se portent de plus en plus longs Ils rabattent les cils qui rabattent les perdrix Les chemins de fer sont désespérés Les bateaux sont à louer C’est trop Dans les horlogeries on observe que l’évidence ne tient plus à l’écart de deux aiguilles Et dans les boucheries que les moutons prennent un air méchant Un jeune homme est reçu par une jeune fille dans les bras de la statue de Fabre Ils se prennent pour des papillons et c’est tout Le métropolitain est aérien Les fumistes présentent leurs cartes à la Bibliothèque nationale Les yeux de verre sont de plus en plus demandés Quelle soif Pince-sans-rire et sceptiques se jettent les uns sur les autres L’espace est encore entre deux arbres C’est très joli Le linge à sécher en Écosse Les calibres d’armes en Asie Les pantalons de femmes ouverts l’absence de ces pantalons aussi Sont soumis à des lévitations bizarres et à des rectifications que faute de temps on est obligé de passer La belle étoile s’orne de cornes au lieu de branches Ballants et transepts Le dernier pape un grand hydrophile des marécages S’attaque à la carpe couvant dans le cerveau de l’homme Les livres térébenthinés se soulèvent une dernière fois sur leurs moustaches Ils regardent les sacs qui vont les contenir Dans les braseros où les mains travailleuses vont se nicher Les hirondelles fientent Un cocon oublié sur le bord de la table où j’écris ces dernières volontés Passe de la nuit à l’oubli L’éventail à crinière qui mouche les mouches dans le mouchoir de l’air L’intérêt composé qui s’inquiète dans le mot vivre La douleur au long cours le sommeil à forfait L’huître indéfiniment perlière la plante qui regarde l’héliotropisme Comme l’ouvrier qui ne passera jamais en rentrant de son travail par la rue de la Paix Vont encore se déguiser vont encore se coucher sur la barricade Vont encore se dépenser sans compter Vont encore se respirer pour eux seuls dans la rose des vents POÈME PROPHÉTIQUE 8 mai 1931, 2 h 30. Le petit destin est mort ce matin En bas âge À la Caponnière Hue taxi L’herbe sablée est de plus en plus longue Le calendrier aux feuilles de tremble Décore les vieilles les jeunes allées et venues Nos amis devant le triste orphéon Nos ennemis dans la pendule À la file indienne se dessinent L’un couvrant l’autre Le bras en écharpe et l’écharpe est un brassard de premier communiant Il y a aussi les femmes Ni nos amies ni nos ennemies à califourchon sur le cheval de notre différence avec les autres Le paganisme tant vanté dirige les travaux il est premier-né sans la terrasse Et se vautre dans le soleil Il va venir le messie du bois mesdames Il n’a pas passé par ici C’est un noisetier en fleur J’en appelle à l’angle inférieur du temps La forme d’un oeuf dans le coquetier mais pas l’oeuf en bois des îles Le tracé infaillible de la noix Plus tard dans une minute Un ver luisant sur l’ongle La femme que j’aimerai belle comme un troupeau d’antilopes Les seins mordus la lèvre enveloppée dans un cornet de paroles basses La femme que j’aimerai s’introduira une serrure dans les cheveux Une grande serrure blonde et c’en sera fait des revenants Qui braquent le tiroir de leurs chaînes sur l’hôtel des vaudevilles Paraissez nuages Usez-vous lanières des vents L’eau est au fond de l’arrosoir qui se lève au-dessus des statues Dans un instant d’ici plusieurs siècles Une cage pratiquée entre deux vols d’oiseaux Le piège que les souris portent à la queue pour les chats Le ballon primitif S’étourdiront de philosophie et ce sera le quai d’une ville déserte POÈME SCATOLOGIQUE. 8 mai 1931, 2 h 55. Sur la nappe brune et dans les draps du lit bruns L’homme blond La femme ni brune ni blonde la femme Soulève le verre à boire plus grand qu’elle Et demande grâce Les bois mouillés la lune oblique les hôtels borgnes Le feston et l’astragale l’un constructif et l’autre destructif Se passent la virgule le point et les autres signes de ponctuation à tête d’amphore La loi est crachée pour tous les peuples sur des tables Et les bidets sont orientés vers l’Orient Dans le grincement et entre les fameuses pincettes des pôles Le souvenir punaise du bois de lit humain Le souvenir entretenu par deux maquerelles Le souvenir isocèle et de même substance que la gomme à claquer Le souvenir prend les proportions d’un événement manqué L’or blond l’air à rendre opaque et l’eau propre plus sale La montagne individuelle la chaîne de montagne aux breloques d’animaux tués Les maisons en construction avec l’humidité bienfaisante Les maisons en démolition avec leurs immenses cabinets à écho Les sensations gustatives et gymniques les horreurs Les différentes espèces de tanks de plus en plus légers Les locations de places de théâtre Livrent passage aux taches d’huile bouillante Qui ressemblent aux hommes devant les châteaux forts POÈME GENRE SCOLAIRE. 8 mai, 3 h 15. Le mètre d’école est conservé aux Arts et Métiers Dans une robe de femme en platine Charlemagne entre aux Arts et Métiers Il dépose sa couronne au vestiaire parmi les capuchons des élèves Quelle gloire pour eux quelle gloire pour lui Ses yeux fermés sont les hémisphères de Magdebourg Qui souvent se pèse bien se connaît L’e muet de Charlemagne est la pierre angulaire du Saint- Empire que je veux prendre sur moi-même Le lait et le vin combinés rouillent le verre Dans les petites filles il y a la place des petits garçons et des hannetons Le trapèze est couvert de cerises Le losange est vert avec des anges qui jouent aux quatre coins Les taches d’encre sur les doigts et les chutes sur les genoux Sont le premier signe d’égalité revendicable La nature est la tempête le cyclone la trombe Avec une marge d’aurore boréale pour le cahier La ceinture le doigt levé parquent l’érotisme dans les préaux LES PARIS. I Merde criaient les voyageurs du car Hypnotisés par le dragon de faïence Qui crachait le ciel à pleins poumons Par les soirs d’orage Les chevaux à longue longue bride rebroussaient chemin traînant leurs cavaliers désarçonnés Autour des rosaces ancien modèle Près des poiriers derrière les murs sous la tente grelottante Les voyageuses se déclaraient particulièrement satisfaites Elles voulaient rester le soir après l’appel Elles manifestaient en outre l’intention de casser les belles assiettes de Delft Si on les avait écoutées II La cage aux oiseaux est entourée d’une serpillière humide Couleur de siphon Les oiseaux chantent catholiquement à travers le goulot C’est tout à fait ravissant ces pays chauds Les plantes à fourrures s’enveloppent dans les manchons de craie Par pure gratuité Les coeurs de loup sont plus ouverts que la fleur nommée mauve Qui est un couteau vieilli Pendant que nous y sommes le trotteur second empire élégant comme une fenêtre de septième sur la cour se soumet les pierres grimaçantes commes des fous de cour L’AMOUR SUR LE CHEMIN... L’amour sur le chemin dansait avec la peur Car je portais le feu des étoiles aux vignes. Il m’a fallu plus tard interpréter les signes Des grands puits de pétrole et du désir trompeur. Le jour se balançait, tendre comme un vapeur Par-delà les talus couverts de fleurs malignes. Les femmes qu’entraînait la lumière étaient dignes De me guider, brillant chèvrefeuille grimpeur. Une aune de ruban merveilleux s’envolait De chaque épave. Un ciel fait de bouquets de lait Aux apparitions donnait libre carrière. Mon cheval approchait au galop de minuit De ce poste le plus éloigné de la terre Où depuis je suis mort et où mon ombre luit. L’OISEAU DE FLAMME... L’oiseau de flamme apporte un message. La grille Ne s’ouvre plus qu’au doigt des anges menaçants. Aux fenêtres du nord des violons cassants S’accoudent et l’amour enlace un ciel qui brille. Au large les bijoux et leur louche escadrille, Les éventails de roche ou de verre, l’encens Pourpre des baisers morts! Tous les êtres absents Les beaux points cardinaux continuent leur quadrille. C’est toi qui viens, immense aurore, éternité. Je le sais, tu rendras ce qui fut habité Plus muet qu’une fleur et plus douteux qu’un prisme Après moi qui n’aspire à toi que par dépit Comme un papillon blanc au vague mimétisme Un épi bleu se couche et c’est un noir épi C’EST LE STYLE JAPONAIS C’est le style japonais des rosiers de la lune La tente du cirque est tirée aux cent coins par un canard mandarin Tandis que l’aimable prostituée à tête de coup de feu Fait son entrée dans le souterrain Toute la vieillerie des lilas tous les gâteaux secs des prénoms de femmes La poussière des printemps et l’abominable panique des papillons qui ont froid La jeunesse qui loue son palais la vieillesse qui fait toujours recommencer l’expérience Le petit enfer patient avec son diable doré Quels volcans d’illusions quelles ombelles de promesses Tout l’univers moins l’homme que je suis Toute la nature montrée du doigt Plus tard dans les cafés de la périphérie Dans les musées gracieux dans les manufactures tracées sur le sable S’assemblent les aigrettes d’air les bouillonnements les étincelles Et le malheur tentera la grande réconciliation Les bocaux de parfumeurs brisés au centre de la place Feront le jeu des ombres des kiosques Puis l’erreur reconnue le col relevé Les gants fermés sur des paquets d’allumettes On se retrouvera comme par le passé Avec la notion ennemie de l’un et de l’autre Tandis que l’amour rouge se déterminera Pendant l’orage J’en ai assez les tables sont troubles devant les chaises chastes Les vitres sont creuses et le paysage sent la bergamote Autour des mains dans la caresse il y a un abat-jour Et sur les mains dans l’étreinte il y a la lumière de l’osier Mais les amants s’incorporent la plus grande part de la couleur Qui sépare les tombeaux C’en est fait du dernier rameau de chêne-liège Le long du torrent qui confond l’aigle et la truite Assez d’inutiles crochets par les routes Assez de cigales appuyées jour et nuit contre l’oreille L’espace organisé fait place à une colonie de vers luisants Et la barrière du temps permet d’admirer dans son jardin de balsamines folles La beauté qui est la garde-barrière Il faut aussitôt repartir Les chats se sont si bien enroulés cette nuit sur eux-mêmes Qu’ils ont permis à l’homme de placer les cheminées sur les toits Le vagabond tient dans ses bras l’enfant abandonné Et la mère de cet enfant fait avorter à la ronde Toutes les bouteilles de feu Tandis que les horloges écaille sang et nacre prises dans le tourbillon Livrent passage à de très petits cavaliers Dont on n’aperçoit que les éperons Un tapis de jésuites s’étend dans la campagne Les tintinnabulantes femmes qui nous plaisent Ramènent leur mante sur leur visage Du plus loin qu’on découvre le brasier potentiel On ne demande qu’à participer au supplice Les lotus déchirés sur les étangs ventre à terre Flânent à tout vent avec une inconvenance particulière Des seigneurs authentiques qui paraissent annoncer un temps prochain S’avancent dans le hourvari qualitatif En s’aidant du gypse de la terre Les pêcheurs débordés par l’idée de leur filet même Proposent de confier Paris à la garde d’un nommé Mille- mailles On trie le verre cassé dans les bijouteries Les femmes sont là naturellement La plupart sont arrêtées devant la vitrine vide Elles prônent la substitution générale du verre à la monnaie Et l’on entend tomber de leurs mains des pièces qui se cassent À l’effigie des coqs sur le fumier Le fumier devant l’hôtel Claridge Est gouverné par l’ancien pendulaire ambassadeur Qui signa la paix sur une feuille de catalpa Le jour où le papier se fut mis à manquer C’est-à-dire un peu après que ce poème fut écrit Les marmottes sont toujours calmes elles flattent les petites filles Et rien ne sert plus de ne pas leur donner leur rang d’animaux favoris Mille naseaux fument dans la mer Les clochers portés par les hommes sur leurs épaules S’enfoncent tour à tour dans la neige Je prendrai la peine de mettre cette lettre à la poste Il y a en effet encore une boîte aux lettres sans fond Elle doit permettre d’atteindre le fantôme femme à qui j’ai toujours eu affaire Le voici je reconnais sa fourrure de gui Ses souliers aux boutons de muguet noir C’est elle c’est sa chevelure plutôt je reconnais ces grappes de cassis Le pressoir de la paresse Enfant petit martyr aux pensées pareilles aux appels des timbres nickelés Dans les maisons bourgeoises Interroge le silence du puits Les lauriers-roses qui faisaient partie de la décoration charcutière Celle qui en dernier ressort a le mieux tenu Les lauriers-roses se font rares Les lauriers rouille passent la tête par la porte de la ferronnerie En quête du fer à cheval sur lequel j’aiguise le couteau Dont je fendrai l’oreille du dernier bruit Faute de pouvoir abolir l’âme du violon Plût aux barricades de ramener le ciel à d’autres sentiments Plût à la dernière des dernières d’avoir bien voulu de moi pour amant Les personnages subalternes terrés dans leurs vêtements blancs Se portent avec force courbettes aux endroits les plus menacés Ils sont couverts de croix et de crachats de mouron Nul n’a pensé à faire valoir la blancheur de la craie et l’éclat du charbon qui sont des choses pures Le progrès est un épouvantail inséparable de l’arbre en fleur Inséparable du chant des oiseaux qu’il faut éloigner En agitant contre eux des livres de prix dorés sur tranches Je promets l’acquittement à tout ce qui se réclame de cette petite plante folâtre du bas des murs qui ressemble à l’orge Dégénéré et à laquelle j’ai entendu donner le nom de voleur Mais je serai impitoyable pour l’hermine Qui est associée au droit de juger Comme si le jugement la faculté critique et la discrimination Qui surenchérit sur la queue de rat Avaient quelque chose à faire dans les préaux glaciaux Du comportement de l’homme au coeur d’enfant Qui se contemple dans l’oeil des poissons adultes Je suis le vent qui vient soulever les rideaux dans les maisons de correction Remplies de jeunes filles et leur donne du courage Le courage de mal faire est un si joli bateau corsaire dans la carafe de leur tête Je suis l’entretien de ces plats d’argent merveilleux sur lesquels elles se passent nos têtes Aux yeux qui ne cillent même pas Quand elles jouissent d’elles et de nous Je suis l’occasion toujours insaisissable l’occasion Comme les grandes roulottes qui sillonnent la terre Pleine de lions croit-on et dans l’éclair de leur gueule ouverte Pleine de ces têtes ravissantes sur le fond rouge et or de leur palais Entre les canines lumineuses Place au sens éternel du danger maître du monde La breloque de ce qu’on ne sait pas Vient battre sinistrement le ventre terrestre Et se détache de la chaîne d’astres Le millet de la cage nocturne Finissons-en les aiguilles de la machine à coudre Sont dressées vers le ciel de la plus humble à la plus humble Le défi monte comme la sève Il aura raison de ces successions de carcasses éblouissantes Qui font à l’intérieur la marguerite immonde de la terre La gerbe des gestes l’axe des actes Et le loup blanc pour finir toi comme un autre À la longue les voitures de laitier et les carrosses d’encre Antoine Pour la tentation seulement Disparaîtront dans un nuage de poussière qui fut la vie Les rapports saisissants qui unissaient la chair à ce moins que l’ombre de la chair Dont tu te défis à peine plus lentement Ces rapports seront vains comme l’amertume qui prête sa vertu à certaines plantes Et à tout ce qui n’aura pas été qui aurait pu être Un champ de blé pour la chaleur de tes mains Une heure de musique plus belle pour ton sang Une barque échouée dans un salon pour tes larmes Des gantelets de fer pour les croiser sur ta poitrine Des gantelets de fer qui laissent libres tes mains Qui ont peut-être ouvert et refermé la porte Lyons, 20 mai 1931. CONNAIS-TU LE VERBE ÊTRE... Connais-tu le verbe être il passe dans le langage avant le verbe avoir Mais il s’agit toujours plus ou moins d’être et d’avoir Quand je ne t’ai pas cependant je suis Je suis comme l’eau qui dort sous les éphémères Il ne faut pas se fier aux éphémères non plus Si c’étaient des yeux qui meurent chaque fois qu’ils se ferment Le beau temps s’y retrouverait encore Dans chacun de tes regards n’y a-t-il pas un enlèvement Le temps est fou un seul corps est le bandeau de colin- maillard Qui est-ce que tu tiens entre tes bras le long du canal Cherche mais oui tu sais fais semblant de savoir Prends garde c’est encore le verbe être Mais il s’agit toujours plus ou moins d’être et de ne pas avoir Comme la patience d’être belle s’élance en toi Les feux follets passent d’une rive à l’autre Sur terre la balançoire fait rage elle décrit un à un les villages les plages les déserts Le revers de la médaille est qu’il fasse froid où tu n’es pas Où le bain révélateur apparaîtrait à lui seul comme la conséquence d’une révélation Et pourtant j’ai le soleil et tu l’as nous l’avons pour nous Nous avons la couleur du sang qui ne change pas d’un continent à l’autre Et jusqu’à l’écrevisse qui nous contemple dans sa marche Quand je ne suis pas je t’ai peut-être Le verbe être encore Tu dois venir te coucher près de moi Tu dois faire la lumière en vain Et le lit où je pourrais reposer doit se retirer comme la mer Je te sens peut-être peut-être m’advient-il de m’appuyer sur toi Imperceptiblement comme le moule sur le modèle Il y a dans l’aile intérieure de ton coude une lumière qui monte et descend sur le drap Même quand je veux que l’oubli fasse à perte de vue tout pâlir C’est l’étiquette merveilleuse l’étiquette orangée de la fiole de poison Le poison de tout ce que j’aime Les convulsions de l’amour les distillations chantantes Soulèvent à peine le couvercle de la marmite pâle Où l’existence flotte alternativement et baigne dans son essence Où le don mesuré bouillonne cependant Où se prépare dans la matérialité absolue Ce qui n’est pas ce qui écarte pour être Jusqu’à la dernière herbe bleue entrée dans la composition du philtre LE JOUR OÙ JE NAISSAIS. Le jour où je naissais Les tableaux noirs étaient à peine effacés Les villes s’éteignaient lentement Sur une corde au-dessus d’un précipice Une danseuse faisait des pointes Elle pouvait avoir huit ou neuf ans Dans chaque main elle tenait un pot de fleurs très simple Couleur de ses lèvres La jacinthe se perdait dans le ciel Il y avait de la neige J’avais peur des loups figurés sur les boîtes rectangulaires Les peaux de serpents des lampions se plissaient très loin Dans les fêtes bleues Les fautes irréparables étaient depuis longtemps commises Elles exigeaient les folles réparations de greniers dans les maisons La mansardisation d’à peu près tout Les oiseaux de mer faisaient triste figure Comme dans les contes que devait écrire par la suite M. Binet-Valmer La danseuse s’arrêta un moment pour s’ôter du pied Une plume d’oiseau de mer Le temps commençait à se perdre Il était monté sur une sorte de tuteur déjà envahi par les plantes grimpantes La danseuse était presque cachée par un liseron Elle était adorablement maquillée de deux rubis et une mouche verte J’étais presque oublié comme le médaillon Et je prenais la peine de regarder au-dessus de moi Les étoffes blanches dans le soleil Je comprenais tout à coup la difficulté Les yeux de l’enfant que je n’étais pas se fermaient sur la difficulté La menthe sauvage la prenait par le cou Et les libellules gaufraient la surface de la terre Je me levai alors et m’emparai des attributs qui m’étaient réservés Une hache très légère et une vingtaine d’yeux de verre Parmi lesquels deux yeux violets qui faisaient voir toute la forêt dans la hache La forêt avec ses vaporisations de mains pour tout prendre La forêt avec ses bruissements féminins La forêt avec son noyautage tragique qui ne prend toute sa valeur que dans la fine Un enfant fou on parlait de le confier à une rivière rapide Qui laisse subsister le parfum de la fleur d’acacia Je partis à la recherche du carburant nécessaire J’aimais la soude Je me souviens d’un grand rassemblement sur un toit Tout le monde voulait voir Les compagnies de perdrix venaient se réfugier autour des cheminées Malheur à tout Dans une clairière l’éternité odieuse roulait ses yeux de biche rouge Je n’eus qu’à paraître pour la faire pleurer La danseuse aux seins d’amorce m’accompagnait maintenant Je courais devant elle J’agitais la hache savante dans la lumière de laquelle passaient les grandes villes Les arbres se fendaient Et d’incompréhensibles lézardes se mettaient à sillonner en tous sens la façade des monuments Les yeux violets brûlaient derrière les chenets de marbre Et je voyais dans l’ombre antérieure avec les grands fagots en feu que j’avais rapportés Je me voyais devant la commode de la mémoire En train de défaire une liasse de lettres d’amour Parmi ces lettres il y en avait qui sentaient le salpêtre l’oeillet d’Inde J’étais tombé à la renverse quand on m’avait surpris Je massais les grandes fleurs qui croissent au bord de l’eau J’entravais la marche des arbres dans les promenades publiques J’inclinais les nuages à plus de sévérité Quand j’arrivai à la porte glaciale Déjà les jeunes femmes revenaient du confessionnal toutes brûlantes Je leur montrai mes abominables bijoux noués dans un mouchoir vert pareil à un serpent couronné Je goûtai leur terreur et je perdis là le rameau d’acanthe Par bonheur la danseuse le ramassa Mais je ne pus jamais le lui reprendre Elle volait devant moi comme une de ces petites hélices vertes qui tombent des arbres À la mi-mai et les yeux de verre se fermaient Et je mimais les êtres divers des climats Les moeurs les plus douces comme les plus compliquées N’avaient plus de secret pour celui qui était à la fois le père et le fils de cette Antigone Les embarquements se suivaient à intervalles réguliers Les débarquements ne se produisaient jamais Les bulbes de l’eau de la terre et du feu S’allongeaient toujours en tiges anciennes La jeune fille secouait ses cheveux dans mon sang Tout en me rendant mes baisers La nature m’avait marqué au fer rouge l’épaule de ce lys qui était une danseuse Je ne la perdis que le deuxième jour Elle prit le chemin qui mène à la soufflerie de diamants Ses pots étaient déjà des maisons devant lesquelles se croisaient des fusils de givre Sa robe mettait un brouillard délicieux autour des choses La vermine attaquait ses chaussons fins comme aujourd’hui l’aigrette de la pensée LYONS-LA-FORÊT TERRE DU CRIME... Lyons-la-Forêt terre du crime puisque j’y suis Royaume de l’attentat à la pudeur puisque je m’y repose Lyons-la-Forêt comme tu es faiblement nommé Beau cirque de la première époque chrétienne puisque j’ai été baptisé Où de grands lambeaux de femmes se donnent pour des rosiers Où des cercueils d’enfants voguent puisque nous sommes en mai dans les arbres verts Lyons-la-Forêt si tu me vois à trente-cinq ans C’est que j’aime tes craquements et d’une manière générale tout ce que peuvent procurer aux arbres leurs rêves de meubles Tes bandits de grands chemins Tes rançons de sang et de sperme C’est là à l’angle de ces deux murs de lave fumants Que doit être déposé ce soir tout ce dont mon imagination a besoin Les cassettes en lièvre tanné contenant toutes les plus belles chevelures Les enveloppes noires par lesquelles les ravissantes jeunes filles m’annoncent qu’elles viennent d’assassiner leurs pères C’est que j’aime les réverbères beaux comme le viol Tes vampires assoupis devant l’escalier de la mairie Les jours d’orage c’est-à-dire presque tous les jours Immense champ de dépeçage pour les femmes qui viennent de faire l’amour Borne du brigandage surmontée d’un drapeau de crêpe Là du moins les écureuils sont de consommation courante Pour le petit déjeuner dans un buisson de rouges-gorges Puisque je dois encore manger Là du moins la vermine de grande taille Vient contempler mon pouls qui bat encore LIT VIEILLE CORNEMUSE... Lit vieille cornemuse grand mouchoir plein de larmes Tendre fardeau qui nous porte et nous dispose Instant compris entre l’atténuation et l’aggravation Tas de lampes renversées verger des lilas Lutte apocalyptique du passage avec le passé Printemps spectral luzerne blanche Montagne qui se détruit sans cesse Lit forme concave de la décoloration humaine Capsule d’épreuves déroute du semblant Sonnerie ininterrompue qui ôte toute envie d’ouvrir Lit manchon de la vérité Flamme repassée par les blanchisseuses Pâturage des brebis et des loups sous l’échelle Lit défense d’afficher même des ombres aux murs Lit permis d’inhumer et d’exhumer Lit des lions rampants et des bêtes à bon dieu souriantes Porte de fer de l’aile Lait ou plutôt lit de la femme Trapèze accompli sous ta forme de quadrilatère Manteau qui saigna aux quatre coins de la couronne d’Isabeau de Bavière Lit sans fond lit enchanté dans lequel la femme avant de disparaître Apparaît infiniment noire dans un éclair et disparaît QUE LES MESURES D’ÉTAIN... Que les mesures d’étain du sentiment jettent une dernière ombre sur le paysage glacial Nous sommes venus pour consommer Nous avons laissé dehors nos chevaux aux proportions fantastiques Une femme sur chacun de nos genoux nous parle des terreurs de son enfance Et des soins qu’elle prend pour vieillir en ayant moins peur Les mots M’aimes-tu pointillent de sang la pincée de cartes l’angle blafard et fuyant La vie se tord les mains au-dessus du torrent Et couvre la pauvreté de l’amalgame Les haillons toujours changeants tirent du feu les marrons du luxe Forme de la chanson et lumière des mots à figure morale C’est l’étape extrême à brûler pas Nul être ne songe à s’envoûter lui-même lorsqu’il s’enfonce les étoiles de chaque soir dans le coeur Et c’est pourtant là au comptoir Devant l’orgue de barbarie des corbeaux En rase campagne que l’action Singulière Poème inachevé. UN TEMPS S’EST ÉCOULÉ... Un temps s’est écoulé. Ce fut d’abord un filet de pêcheur remontant à marée basse, une tapisserie marine de faible ampleur à tête d’algue, à genoux infiniment flexibles, quel- que chose comme un satan de guignol. À cette époque, je fi- nissais de gratter les miroirs de l’image qu’ils avaient bien voulu tout d’abord donner de moi comme des autres. Les au- tres fuyaient aussi. Tous les matins, me faisant un bouclier de mon oreiller je m’avançais vers le célèbre puits horizontal hérissé plutôt de plumes que de feuilles. J’utilisais pour mon travail de déblaiement une pierre creuse très curieuse que j’avais trouvée dans la cheminée le lendemain du jour où j’avais eu l’idée d’en faire peindre l’intérieur en blanc, jus- qu’au toit, un jour de neige. Cette pierre, à la surface de la- quelle les grands poudroiements moyenâgeux se produi- saient, pouvait passer, en cas de visite importune, pour un instrument de maquillage. J’en étais quitte pour donner de lamentables explications sur la paresse de certaines arcades en trompe-l’oeil, comme en Italie, de certains sillons organi- co-psychologiques, dont l’art de la Nouvelle-Zélande nous a donné le schéma théorique encore qu’imparfaitement im- pressionnant. J’avais décidé de finir par la main droite et par l’oeil droit, qui m’étaient nécessaires en tout dernier lieu pour le parachèvement de mon oeuvre secrète: me faire disparaî- tre. Je ne m’alimentais plus que de coquillages fuséiformes, roses de préférence, et d’une sorte de bouillie de prêles dont la saveur était la plus chimérique de toutes celles des épices. Un jour où les derniers mille tracas de l’hygiène m’avaient particulièrement épuisé, de l’oeil muni d’un compte-fils que je commençais à dissimuler derrière un volant, mystérieu- sement agrandi la nuit, de la taie grise, je captai la dernière image insupportable de moi-même. C’était une boucle, pou- vant rappeler celle de la fleur de népenthès, au moment où elle s’évase avec une sorte de rire sourd, particulièrement désagréable. La grande question était de savoir si j’étais en- core là. Je fis rapidement de la main le geste de faucher, sans rencontrer devant la glace aucune résistance. Parfait! Dans les ongles de la main j’apercevais l’oeil prêt à se fermer, le blanc très bas. Cette expression de l’être aux suprêmes limi- tes du conflit entre le clocher et le brouillard, me causa une remarquable satisfaction. Quelle plaque de cuivre, quelle plaque de suie, qu’un miroir d’où l’on s’en va! Peu à peu l’oeil de l’ongle se fermait. Ce n’était plus qu’un doigt de gant dans lequel coule la bague qu’on va perdre. Vouloir retenir l’eau dans une bague! Le ménisque absurde qui avait bien voulu réfléchir les apparitions momentanées de la lune ama- zone principale au cheval bleu et des papiers de cyclones nommés hommes, papiers retournés, roulés, salis, brûlés, imprimés, marchant pour le moins à quatre pattes, fuselés commes des chaises, cravatés de taffetas depuis qu’il n’y avait plus d’autres astres, ce ménisque qui est la provende de l’esprit de l’escalier, affectait des airs dont la nonchalance bien connue le disputait au double empire indéfiniment abju- ré du temps et de l’espace. Puis rien. Les facultés végétales devant lesquelles mon cas était, paraît-il, soumis, concluaient à un phénomène de déchlorophyllie massive par agrippement de serres trop hautes. J’arrivai ainsi devant le tribunal des pierres criant à mort. La voiture cellulaire dis- persée aux quatre vents, j’étendis mon absence sur la plan- che d’infamie. La principale pièce à conviction était un re- gard posé sur une femme qu’on avait fait reproduire en cire et dont la main était glissée dans un manchon plein d’abeilles. 26 juillet 1932. LE MARAIS DES CINQ-DOIGTS... Le marais des Cinq-Doigts s’ouvre et se ferme sur des rapides de feuillage, à une ou deux portées de fusil de la route vicinale de Veilleuse à Torpière. Abrité par des sureaux nains constamment aux prises avec la clématite sauvage et plafonné d’oiseaux immobiles dont les longues pattes fran- gent la couronne tout à fait dédorée de l’air visible, il presse sur plusieurs centaines de mètres le papier griffonné d’empreintes de la terre. Soulevez délicatement ces longues feuilles vipériennes, c’est par ici. Le crépuscule aux yeux de feutre vous précède: il a dû « couper » par la ferme d’Écraille, dont les vaches ont pour pis des digitales et pour oreilles des lames de verre absinthe. Le sol choisit de jouer des airs très lointains de pianos mécaniques et les découpa- ges végétaux rappellent obstinément ces diagrammes musi- caux qui laissent perplexes les petits singes habillés de rouge, gambadant à bout de chaîne dans une rue montante aux fenêtres fermées. La menthe poivrée l’accompagne de son bruit d’ailes de moulins lilliputiens et achève de droguer le paysage, même évanoui parmi ces fioles. Des animaux à tête minuscule et à corps double, leur permettant de vivre tantôt dans l’un tantôt dans l’autre, selon que leur course saccadée les fait pencher de tel ou tel côté, des animaux re- liés les uns aux autres par des cordonnets vibratiles, des animaux phosphorescents et caressants hantent seuls ce qui sous le pas commence à s’amollir au fur et à mesure que sur- gissent les grandes plantes cassantes, dont les épis parais- sent faits d’une multitude d’yeux qui clignent. On avance au moyen de cet instrument nouveau, qui fit si longtemps les frais de l’imagination des chercheurs, de cet instrument truelliforme capable de boucher aussitôt ce qui vient d’être creusé, et dont on a fini par découvrir le modèle sur ces pe- tits insectes capables de vivre sans air. Il y a ainsi moyen de passer au travers d’un mur sans laisser de brèche, de fendre une foule qui s’attend à voir sortir une taupe de la grosseur d’un cheval d’une colline qui se forme au beau milieu des grands boulevards et effectivement voici la taupe aux atta- ches incompréhensibles mais l’homme est déjà sur la taupe qu’il dresse. Un instant encore et il sera prêt à s’engager avec son admirable monture sur la route de Torpière. C’est un homme élégant, aux cheveux ras, aux yeux trop clairs pour qu’il paraisse voir et dont le geste rappelle les com- mandements brusques de certaines fleurs droites, le lys par exemple. Des étincelles merveilleuses d’intensité et de lon- gueur jaillissent de ses doigts gantelés de cuivre. La taupe frémit sous ses buffleteries pourpres, sensible au moindre appel du genou seul nu coupant le pantalon de soie vers le pied de plus en plus large et sifflant. Il approche. Le marais répond déjà de toutes ses voix malsonnantes, adorables et malsaines. La nuit presque vénitienne ce soir bande son arc au ciel et pique la première étoile de six heures. Il dépend de nous d’être ou de ne pas être comme l’amour des éphémères commence et prend fin. Jamais l’élan noir sans corne ne s’arrêtera au bord de l’eau. L’eau n’est qu’une paillette échappée dans le bal, une paillette empoisonnée qui brille trop. La robe appartient à la fille mortelle de la déesse indus- trieuse et du magicien Carrier, le propriétaire de la ferme en- chantée d’Écraille, notre ami aux semelles de cloches. Qui chante dans les nasses que ramène le soir la beauté Et qui pleure Je commence à voir mais qui donne le pain à la curiosité Par les fenêtres du bas des maisons que je vois hautes Qui passe la main fine de la santé Sur les corps éblouis jamais en reste avec les âmes Il y a des noms pour désigner les choses qui n’existent pas Des noms tremblants sur les lèvres peintes des visages aimés Qui se hisse dans les voilures de l’obscurité Où les ordres contradictoires montent aussi Demain hier à tout jamais Quel buveur assis devant la taverne déplie le journal L’a parte Si mystérieux la première fois qu’on le découvre dans un kiosque Et les saisons qui les doue de ce pouvoir d’être l’été Toutes et quand bien même vous auriez froid avant septembre Qui menace les enfants dans la grande clairière Qui suspend les amants au milieu du plus doux de leurs gestes Qui arme le bras de cette liberté qui le blesse Je dis que le jour à côté Je dis que l’heure arrière et l’instant aux oreilles d’écureuil Bornent la vue comme on vous dit Qui est-ce Ce n’est personne c’est le marbre Je vois une maison qui pousse derrière des arbres de marbre Je vois un chemin de fer éternellement immobile parmi des architectures de fumée J’assiste à l’inauguration d’un marché de bronze au centre duquel vague un homme nu des temps prochains Et toujours l’éclipse orientale La turquoise renversée dans le fond des tasses Qui borde le lit équilatéral qui saute sur le drap sans craindre le dormeur Voici les citrons sur la sellette de l’orage Devant la descente de lit à tête de tigre La chambre enfin les anneaux de feu Mariage des silences et des voix dans l’escalier qui va vers la plage Vers les rosiers de mer les lanternes profondes Les cachettes inoubliables des coquilles Du verre de la chair et de la pensée Les oubliettes Du soleil de l’ombre de cette belle de nuit qu’est la pensée Le bûcher liquide des formes dont le moule est perdu Et qui surnagent dans cette tête qui se roule dans ses cheveux Comme les épaves d’une pensée qui oserait se dire la pensée En n’étant plus que les rayons du phare les derniers rayons du phare dont les gardiens sont morts L’ombre vitale de la sphère Et les couteaux de pacotille au cran de jour Ouverts sur les Antilles égorgées Et le mur sur lequel on relève les traces de l’effraction terrestre En forme de coeurs Et les coffres-forts peints à grands traits bleus sur l’incendie Et les cartes de visite en amiante qu’on retrouvera dans les cendres Quand nous ne serons plus Je quitte à l’instant la maison du crime Où j’ai pu jouir de la qualité photogénique du désordre Comme un arbre épaissi d’oiseaux Dans un coin du tableau je vois l’idiot qui criait Terre Et j’entends le bourdonnement de la mouche-sans-raison Bien connue des bagnards Comment dites-vous comment dites-vous Il fait un temps de chien bouledogue très doux Et très fatigué la tête fumeuse sur des jambes de tunnel La femme qui avait dans les yeux Une bête à bon dieu Chantait ce soir-là à l’Alcazar On n’était pas encore très civilisés autour des lacs de l’intérieur Là où les tentes et les clapotements ne font qu’un Je t’aime et nous allons pouvoir vivre Tu n’es pas celui ou celle que je pensais Ce qui n’a qu’un temps et ce qui en a plusieurs Enfin le vison est un animal magnifique Peut-être que le monde est un plat qui se mange sans appétit Et que les convives y mettent moins de gourmandise que de politesse C’est étonnant comme le ciment armé est une chose jeune Qui fait plaisir à une certaine distance Maintenant qu’il ne s’agit plus de maintenir Je ne sais pas trop où nous en sommes Voici les rosiers en voiture de la pagaïe Qui annoncent frileusement le mois de mars ou d’avril Voici les mille becs piaillant de la forge Voici les éléphants blancs du soir calme Chargés de reines Voici l’indice obscur de ce changement imperceptible Que j’ai causé qui est comme une fenêtre dans une larme Ceci a vieilli, ceci a rajeuni et cependant le rapport du chef de train, les images du tailleur, l’enseigne humoristique de la sage-femme continuent à produire leur effet. Ce sont, on peut dire, des chefs-d’oeuvre de mesure et nous qui n’outrepassons que rarement nos droits et nos devoirs nous ne sommes pas peu fiers d’appartenir à un genre de l’histoire naturelle aussi zélé. Pendant que nous y sommes nous comptons bien qu’on va nous passer gratuitement l’indicateur et que les messageries Hachette, qui sont distributrices du programme de voyage, y joindront la superbe prime en couleur que nous avons bien méritée. Pensez donc: c’est nous qui avons créé le vide-poche. Rien dans les mains non plus. Simplement un encrier en bronze doré très bon marché mais plein de sang, voilà notre horizon quand nous fermons les yeux; un buvard noir comme une petite souris d’hôtel, alors tout le monde pense, tout le monde a des visions. Tout le monde croit que c’est arrivé; quoi? L’égratignure de la pensée est bien jolie. On se croirait en balançoire. Fêtes, ô fêtes, et vous courses, et toi mort! Les banquettes de velours grenat jetées sur les bancs de pierre, ce sont des engagements précis. Les petits papiers purs font le tour de la table De la pensée en miettes Et le sapin est toujours le fameux arbre vert Le gypse végétal et le complément indispensable du mur de briques Présent Présent Présent c’est l’appel qui se poursuit dans les casernes Et dans les écoles à trompes Puis les jeunes filles vont se promener sous prétexte d’étoiles Et nul ne dort plus dans les lits triomphaux L’exil est la première marche du perron vieux Et tous les serviteurs en larmes sont réunis Les robinets de cuivre rouge crient comme des toucans au- dessus de leur nid d’eau Les parquets cirés à la débandade lorgnent les fausses danseuses des suspensions La cour pavée de coeurs résonne des pas de l’hiver Qui va et vient en bras de chemise Sur le mont Valérien la groseille la framboise blanches Dans leur parfum adorable Se collettent avec les ombres bleues des grilles et des roues d’autos On entre on entre au Chat noir Mais le spectre de Charles Cros le spectre à tête de moineau S’enfonce dans la désespérante Rue-qui-baisse L’attente couronnée de fleurs transparentes Brise très loin ses petites bottines vernies À la barrière Et les insectes d’eau se surpassent entre les longues herbes Ce sont des navettes d’argent qui ne s’arrêtent jamais Et la robe d’eau n’en sera jamais que plus belle Dans la main du Septentrion Il a été perdu un trophée de la guerre des Deux-Roses Le rapporter au dernier descendant de la famille Plantagenêt Qui fait le guet le soir sous le pont de Crimée Récompense Les boas constrictors ont du plomb dans les yeux Ils sont plus à craindre qu’à charmer Ils sont décoratifs sur les locomotives La nature tend d’ailleurs de plus en plus à s’encrasser Le petit renard n’est pas mort. Il est seulement blessé et il nous regarde d’une manière tellement suppliante que les larmes nous viennent aux yeux, à moins que ce ne soit un effet de la réverbération. La réverbération est un poulailler dans lequel des plumes blanches tombent depuis deux heures comme de la neige. Hier soir il faisait si beau. Alors voilà que tu as mis le piège et moi je ne voulais pas, parce qu’on dit qu’il est dangereux de poser des pièges à l’heure du soleil couchant. La lumière est une si belle braconnière. L’aurons-nous assez vue s’introduire dans les taillis presque sans bruit, écarter du doigt l’épaulette verte des généraux placides, quand la mode végétale est aux fausses cérémonies militaires, et couper les aiguillettes à la manière de ces exquises rôdeuses du temps jadis, l’aurons-nous assez vue détailler fiévreusement aux vitrines les lueurs secondes des bijoux qui peuvent être violettes dans la perle et roses dans la topaze, l’aurons-nous assez vue élever dans ses arcs-en- ciel de Babylone des oiseaux qui ne se ressemblent plus au bout de quelques générations et qui tourmentent le sommeil des races? Tu crois que le renard va mourir, que ce pauvre feu de bois va s’éteindre, que le fil de platine va se rompre, que l’avalanche va montrer patte blanche inutilement à la porte de la petite maison? Où sont les dés à jouer? J’ai peur de ne plus pouvoir les jeter tout à coup. Le temps calque mes mains partout. Sur les plantes, sur les étoiles, sur l’eau. Les piles électriques chantent. À la lisière du bois de chair, là où le soleil est comme un lys au fer rouge, s’élèvent des gymnastes pervers. Le chant de l’alouette immobile comme un oeuf au-dessus d’un jet de pieds d’alouette, toute la campagne est, si tu te penches, là-bas, le racinien désert soulevé par le vent des passions, qui transporte vainement des collines et fait les grandes bouteilles vides de sable qui se brisent avant qu’on ait songé à boire, les grandes bouteilles pour l’usage externe, selon l’expression bien connue des prêtres. Le petit renard paraît se remettre dans sa crèche, entre le coq et les raisins. Ses dents sont de minuscules étincelles bleu ciel. Les losanges d’espace tordus de capucines et de lierre absorbent les scènes de plusieurs théâtres sur les scènes desquels nous jouons. Ici ce sont les sorcières, ici ce sont les estafettes et là, au milieu de la plate- bande spécialement désignée par l’écriteau illisible et noir, de toute importance, ce sont les joueurs qui n’ont plus pu se lever. Le tout est dans l’oeil du renard, cet oeil beige à plusieurs faces cerné du bord extérieur de la coupelle d’un gland depuis plusieurs jours tombé. L’aspect de tout rentre dans un sac de bonbons anglais dans lequel un bonbon central est une petite lampe. Comme c’est la veille de Noël, l’aigrette d’air qui tremble à un coin de fenêtre parmi les cristaux de givre détourne des Mille et une Nuits une dernière révérence de vizir. C’est toujours toi Shéhérazade, l’enfant tôt ou tard promise au bourreau. Rappelle-moi tout ce que ce renard a incendié. Le magasin du Printemps même? Oui il s’était glissé, tout allumé, parmi les décors de l’Opéra. On jouait Les Maîtres chanteurs. Une autre fois c’était dans la Caroline du Sud où tu es née. Les musiciens traînaient à cheval dans la contrée, tirant aux carrefours des violons laqués blanc d’une boîte à doublure écossaise. Le renard, car c’était lui, dansait devant la troupe. Le gardénia se promenait seul, coupé, à hauteur de boutonnière. Maintenant les meubles rustiques comblent seuls la lacune, à commencer par le superbe vaisselier Louis XIII. Et le lit vert qui est un paon de feuilles Et la femme si émouvante qui porte dans sa poitrine un coeur renversé Et la musique que j’écoutai le soir dans un café de Saverne Pendant qu’on construisait à grand bruit une porte-tambour Et que tous les démons du recueillement se prenaient à la gorge Et l’angle du péril avec la sécurité là parmi les moulures charmantes Des corps enlacés et la rivière cassée comme une épée sur le genou de l’averse Place au clair féerique et immortel dédain de ces choses orgueilleuses Nuit sur les places qui furent occupées Nuit sur les cérémonies qui laissent un voile de mariée dans les arbres Nuit sur les fontaines de rire Nuit sur les ventres blancs des danseuses en robes grises Nuit sur les champs de tir et dans la prunelle du tireur Nuit sur les usines vermeilles Nuit sur les algues glissantes qui tombent des toits Nuit sur les jardins profonds toujours trop calmes Nuit sur les verres fumés dans lesquels on boit Nuit sur les arbres en fleur Nuit sur les pavillons toujours ennemis Nuit sur les mains qui défont les agrafes Nuit sur les appareils de protection au déclic brusque Nuit sur les sujets extérieurs comme les nids d’aigles Nuit sur les oasis scandaleuses Nuit sur les passages des étoiles à telle heure Nuit sur le grand midi des champs de blé mûr Nuit sur les statues des révoltés immenses Nuit sur les roulottes crevées des antiques reines d’Égypte Nuit sur les rails déboulonnés Nuit sur les expéditions marquantes Nuit sur les tonneaux gémissants de la Halle aux vins Nuit sur les marches les palissades les barrières Nuit sur les étoffes chantantes Nuit sur les vers luisants Nuit sur les attentes de nouvelles Nuit sur les poignées de portes Nuit sur les perspectives à têtes de perroquets Nuit sur les bastions et sur les cabanes d’ermites Nuit sur les secrets les chances les viols Nuit sur les précipices les combles les fouilles Nuit sur les recherches parodiques de remèdes pires que le mal Nuit sur l’histoire Nuit sur la profanation des autels nacrés Nuit sur les bonbonnes de rêves Nuit sur les alambics naturels des régions inexplorables Nuit sur les jeux les suicides les promenades Nuit sur les noms Nuit sur les bouches C’était moi cet homme et cette femme, ce couple de pigeons voyageurs photographes, cette fleur double éclose par hasard dans une main. Le nombre de la fidélité et de la danse, la fameuse crosse arabe qui s’enroule vers le bas, bondissait en tête de la procession bizarre dans laquelle était portée une enfant de quinze ans en bas noirs entrouvrant son peignoir d’acacia. On voyait passer sur une litière supportant une baignoire quelques-unes des loueuses de charmes de tout temps les plus réputées et le chant plieur de roseaux soulevait de grands espaces humides et finement ensoleillés, matés à la minute par des écureuils croqueurs. Le défilé durait depuis mille ans et plus. Quelques landaus morts de la couleur de la pluie passaient parfois en sens inverse à grand train. C’était moi ce brillant qui jette les feux de la mort dans la vie, ce papier qui froissé ne laisse plus rien deviner de la condamnation ou du pardon, ce croisement mystérieux sur la place d’un rayon de jour avec toutes les lumières connues, parmi lesquelles il faut retenir celle des bougies, celle des euphorbes, celle du gaz, celle de certains poissons. Mais l’âme, ce célèbre petit chat-huant de nos greniers, pailletait à peine de quelques étincelles d’orage la robe déteinte de ce début de matinée. On était assez tranquille de ce côté-là et rien de grave n’entravait la marche aux allures d’abeille. Toutefois l’existence était contestée. J’ai déjà dit qui j’étais, entouré de lierre et flottant, avec une volonté touchante d’induire les uns et les autres en erreur. La monture des dernières étoiles n’avait rien de remarquable mais le doigt du ciel était si joli que cette pauvreté lui allait à ravir. Il y avait des têtes de plomb qui se cachaient dans des bras de plumes, des yeux de feu qui plongeaient dans des cheveux de cendres, des barrières de mouvement qui cinglaient des poneys d’excentricité sur le passage décoratif des prisons à escalier extérieur tendu de velours rouge, des hôtels particuliers à enseignes lumineuses très faibles, des terrains de sport brusquement inondés de myosotis. De-ci de-là se fendait sous nos yeux une amande verte grande comme une cabane et nous y entrions une seconde ou encore éclatait une châtaigne aventureuse comme un buisson où toujours quelque chose remue et nous la frappions d’une légère badine blanche dans l’espoir de n’avoir plus à y revenir. Des papillons tournaient si vite au-dessus des tiges de verre de l’air que c’était à songer aux premières ombrelles qui pénétrèrent en Amérique du Sud. Le moment serait venu de dire ce qui se passa quand l’aigle de mer fondit sur le troupeau aigu et que la brise désigna plus clairement les ouïes des clochers. La procession approchait à ce moment de la Maison aux gouttières, ainsi nommée en souvenir du miracle. Un jour qu’il avait fait trop beau, les gouttières de cette maison avaient sauté sur le sol et s’étaient mises à jouer devant la porte comme de jeunes arbres. C’étaient plutôt des enfants bleues toutes nues dont les cheveux maintenant défaits avaient été de véritables nids. Depuis qu’elles étaient parties, quand il ne pleuvait nulle part ailleurs, un ruissellement perpétuel glaçait délicieusement la façade comme j’ai vu la glace toute d’eau glissant d’une devanture de fleuriste. La Vierge de quinze ans aux grands yeux charbonnés jusqu’aux joues fut alors déposée précieusement à terre et nous étions là qui la reçûmes, douce comme les parfums de gantier. Elle tenait à la main un revolver bleu ciel dans la crosse duquel je reconnus celle qui menait tout à l’heure la procession et qui n’était plus qu’un minuscule et imprononçable chiffre de nacre surmonté d’une couronne sur la plus haute pointe de laquelle basculait le plus petit des oiseaux-mouches, pareil à une double croche à corps rouge. Nous entrâmes alors dans la maison à la porte étoilée, intérieurement tendue d’ailes de mouettes. La foule immobile reprit au-dehors ses apparences de grille sauvage et le dragon à la crinière de scandale, aux griffes fumantes recommença à aller et à venir le long des fenêtres battant d’une aile unique les fenêtres de rose pâle à coeur cramoisi jusqu’à ce qu’enfin les prières même d’amour cessassent et qu’à ceux qui espèrent encore, le verre qui se renverse toujours, le verre vraiment divin fût rendu. JEUNES GENS DÉCOUVREZ... Jeunes gens découvrez la terre très curieuse Soyez assez riches pour faire poser l’électricité dans les vallons Disposez des spectacles naturels comme peut faire une grue métallique qui puise des matériaux précieux derrière la montagne et les laisse choir à vos pieds dans la plaine J’avais un ami qui un jour ramena d’Amérique un couple de puces en habits de mariés Tout ce que je puis dire est que cela ne lui a pas porté bonheur et qu’il s’est suicidé Jeunes gens soyez corrects je vous en prie dans la présentation des choses surprenantes Ce n’est pas une raison parce que vous mordez la poussière de l’éternité Qu’il faut vous avancer la tête renversée en arrière à toucher vos talons À part le hérisson et une certaine espèce de pigeon Je ne vois guère d’animaux à qui cette manière de faire la roue n’inspire quelque cri rauque Vous sucez le lait de votre mère ce qui est bien et sans cela vous ne pourriez voir les étoiles Qui sont de très belles choses impossibles Vous atteignez la puberté ce qui est mieux et sans cela vous ne pourriez vous faire une idée De l’anse perfide en forme de bras de femme qui soulève l’homme au moment où il s’engage le soir sur une route blanche déserte Ceci a d’ailleurs lieu une ou deux fois pas plus Jeunes gens faites apparaître pendant qu’il en est temps dans le cadre riant de votre vie Le portrait de la plus belle jeune femme de la vie Celle qui ne sera pas comme les autres et vous parfumera de sa présence toute la vie Que vos yeux ne soient pas le tombeau de cette merveille C’est pour elle pour elle seule que vous pouvez vous perdre Sur la mer et par les sillons entrelacés du ciel et des champs Jeunes gens les arbres les machines les constellations les jeux Sont encore de trop humbles vestiges de ce qui n’a pu être Faute du consentement total qui ne donne que les yeux fermés Du consentement qui anticipe sur la saison totale où les jours n’étant plus faits que d’une certaine quantité de liberté active on tend des pièges où les bêtes ne se prennent plus que le temps d’embellir L’inconscience d’être devient une maison hantée éblouissante Jeunes gens avez-vous vu passer Hélène Smith En robe de soirée gris perle toute déchirée Quand elle allait aux provisions par les petites rues de Genève Et qu’elle avait trente ans Les libellules immenses éclataient comme le caprice humain le long des rails Et les êtres qui la frôlaient étaient des êtres inhumains et trop beaux Des animaux qui atteignaient le stade parfait où les a trop rarement fixés l’espoir de tout un peuple Des chevaux à la crinière de rideau blanc Des aigles à serres de pinces à sucre des poissons volants à paradis de vannerie Des plantes marines qui s’étaient assimilé pour toujours des formes de lampes à pétrole À cette hauteur où il n’y a plus que des globes semant la mort Et où un platane ressemble à s’y méprendre à une torpille verte Sur le chemin d’Hélène tout s’entrouvrait les maisons transparentes et rayonnantes Les voitures ailées les foules à rumeur de goudron frais Tout s’entrouvrait les marchés dont la porte était un torrent desséché par lequel descendaient en ramant des chauves-souris blanches Les étalages de fruits et de fleurs qui livraient passage à des cortèges de reines nues cachant leurs seins de leurs mains et n’osant respirer tant elles craignaient de se trahir par le parfum intérieur La terre ancienne où se cache le lingot de chair Qui donnera l’étoile à cinq branches au bouquet du feu central Dont naîtra la femme avant l’homme contrairement à la légende La terre ancienne aux jointures d’écaille blanche Tend ses filets et ses pièges naturels dans ma tête Mirée par les soleils qui ne dureront pas Livrée au murmure de la soie au croisement de ses fils gigantesques Qui donneront l’envers de ma pensée Où viennent se jeter la nuit les climats à coeur de cataractes et se découper les zones inquiétantes qui me sont favorables Tandis que les essences qui seront plus tard en circulation Errent comme des musiques en peine du côté de mes mains Qui voilent les objets usuels La terre ancienne annelée de mirages stérilise la vie Qui monte et descend et fait rage La vie dans laquelle je puise les cercles obscurs Qui s’étendent ensuite autour de moi avec un parfum déchirant Semblable à l’image de ce que j’aime dans une glace envahie par l’air du temps Lui-même fait d’une multitude de tendres corps emmêlés La terre ancienne figurée par les saisons souriantes à la crête verte La terre ancienne faite de tous les métaux dont le rêve sertit les pierres qui existeraient sous les noms de guyolle de fermantère de cilletée Et dont pourraient se couvrir les femmes les plus pauvres et les plus belles Qui passent la nuit dans les jardins de varech immense Découpées dans le bois odoriférant de certains crayons de couleur qui auraient grandi démesurément Et d’où les sèves pailletées se fondraient avec les sucs des dernières graminées éclairantes La terre ancienne toute rose qui chante dans la matrice des ongles Me fait un chapeau de verre et une ceinture de sable Pour que je puisse m’élever parmi les oriflammes qui battent au haut des tours fumeuses de l’eau en ruines DU LIT QUI EST FAIT... Du lit qui est fait de poings serrés comme l’approche d’une rixe Et de torsades de sable qui s’élèvent vertigineusement S’éloignent les apparences de deux têtes Dont l’une est la mienne Cette tête est le talon d’Achille de la nature Une chose qui attire les guêpes et dans la composition de laquelle entrent du sucre candi et de la vapeur Et qui s’éperonne de rire et qui jette des fils de tous côtés Des fils de gazon qui s’enroulent à la taille de l’échassier de l’eau Je n’ai plus d’oreilles ce sont des poursuites qui m’en tiennent lieu Une automobile des motocyclettes tout un train À la portière duquel une femme au buste renversé dont les cheveux menacent terriblement de se prendre aux broussailles Et dont la bouche est le verre de lampe rouge dans lequel je vois les baisers Quand je suis animé par la crainte de n’avoir pas su vivre Et que j’ouvre les bras à la nouvelle de ma disparition Bel et bien signalée dans le journal il y a même un portrait je ne comprends pas Ce portrait est celui d’un enfant qui cueille des horloges minuscules ayant longtemps séjourné dans la mer Les parfums de la nuit les calices invisibles d’une cerise à noyau d’adonide goutte de sang qui s’ouvre dans un coquelicot Les parfums de la nuit les changements de direction du bois tendre bravé par le rossignol à coeur de navette couronné de son nid Les parfums de la nuit les angoisses de la force qui monte des roues et des ronces Quand la grande ourse est embourbée dans le vaste terrain calcaire en forme de livre Je mets pied à terre aussitôt le tableau noir se couvre de signes bizarres Sous des pas de papillons il paraît que mon cerveau est cloué sur la porte Je ne m’en porte pas plus mal Mais alors ma tête depuis quelque temps il est vrai que je la trouvais bien légère sur mes épaules Les parfums de la nuit La chambre est vide je chasse avec un chat sur les toits Mais chaque coup de feu est un jour de beau temps huppé fièrement d’une averse Je crois que la nuit est une sorte de poudre de riz Si l’on ajoute le cerne de la lune et une grande blessure Qui se rapporte à l’idée de laisser en souffrance tout ce qui est nécessaire La ressemblance est parfaite L’autre tête est toujours à côté de la mienne sur l’oreiller On dirait qu’elle apparaît à un soupirail Ses cheveux sont formés de petits sacs de meunier en plein soleil Et derrière les yeux il y a mon étoile qui brille dans une serrure Sur nous la potence de la grêle agite une boule de sureau qui en coupe donne le ciel QUI TEND L’OREILLE... Qui tend l’oreille qui veut vraiment entendre à perdre l’ouïe Entrez glissez sous le second couvercle du tonnerre et de la grêle Elle a des dents de riz celle qui chante Et ce qu’elle chante est la paresse d’un lavoir plein de jeunes filles Dans une nuit boréale très loin où est-ce mais à quoi bon Et ce qu’elle chante est la toile d’une tente de cirque soulevée par le vent Le vent qui rend les cheveux nomades et qui fait les yeux de papier voletant Et ce qu’elle chante est un dressoir dans un asile sur la mer Un asile où les unes se croient vagues les autres mouettes Elle a des cils comme du lilas de Perse celle qui chante En ramassant des branches douces aux éperviers Qui ouvre en évitant de se piquer le front et les joues les yeux Et ces yeux risquent de ne plus se refermer sur le plaisir d’avoir vu Qui consent à ne plus voir jamais que l’intérieur du puits plein d’ailes Au fond duquel a lieu la moisson des grands épis de verre Ces épis qu’on apportait en grand secret au moulin du regard Elle a l’ombre du prisme celle qui aveugle Et ce qu’elle montre est une coquille de larmes Qu’on peut s’appliquer pour toujours sur la joue c’est du plus bel effet trompeur Aussitôt les soleils s’assaillent dans la chambre Et dans leurs rayons se balancent des aiguilles à coudre tous les objets les uns avec les autres Et tout un attirail de bergers moutonniers soufflant dans des cornes Au moment où le soir tombe et le chien vert qui manque à la réparation des porcelaines Et ce qu’elle montre est un tombereau rempli de culs de bouteilles Dans chaque cul de bouteille il y a un regard fascinant Un regard qui dore la grande distance existant entre les êtres Elle a le front de l’oubli au panier d’acétylène celle qui aveugle Je le demande encore qui se moque de renoncer à la caresse pour caresser À la caresse du tulle de l’air dont les écharpes descendent à longs plis des arbres À la caresse de la paille d’un autre corps dont les volutes se délacent dans la pensée À la caresse des claies intérieures sur lesquelles mûrit le coeur comme une bobine de fils de la vierge et de vers luisants Elle a des doigts de plume celle qui rend insensible Et ce qu’elle touche est un paysage de sable qui se défait sans cesse Et aussi un pays dans lequel la rose est munie d’une cuirasse brillante et rose Elle a des lèvres de la couleur du temps celle qui s’habille de cocaïne LA MAISON BLONDE. Maison prise dans une chevelure peignée de mésanges Et toujours rebouclée de nids de mésanges Grande caisse marquée des mots printemps et danger Suspendue au hissement et au déhissement de la grue bleue Dans un port qui bout de voyelles La danseuse à la barre des croisées Devant les fortes armoires à glace des montagnes Et tout ce linge fin étendu sur les coquelicots Me rappellent les belles promesses de la transparence Alors qu’elle n’était pas encore un verre À pied comme l’idée que se fait l’homme qu’il a à lever son verre À la gloire de l’éternel Absent Qui ne parvient pas à soulever de bulles le cresson des fontaines C’est ici qu’on vient prendre les ordres Ordre de tenir prêt le compartiment compris entre le ventre et l’intérieur des cuisses de la jeune girafe Ordre de ramper toute la nuit autour d’un pommier Ordre de retrouver la clé des caves à liqueurs des bordels Ordre de tenter les femmes sur les routes qui montent Au moyen de phallus processionnaires Et le plus secret de tous ordre De faire disparaître tous les miroirs en les jetant dans les puits Les initiés des deux sexes lorsqu’ils se rencontrent rasent les lambris D’un bleu de lessive où clignent des étoiles de contrebande Et la boule du monde surmontée naguère d’une croix Apparaît renversée dans la main de celles qui passent en la caressant à rebrousse-poil Les chevaux mènent grand tapage dans l’écurie célèbre Ils tournent sur eux-mêmes comme lorsqu’on les dételle Et se cabrent comme des mantes religieuses Dans l’attente des vibrations communiquées à la moelle aérienne Par l’éperon du soleil C’est là que ces laques dont le secret appartient aux Indiens Saignent le long des meubles que les événements qui me concernent Fleurissent comme d’un arbre d’amadou Maison crispée maison sans timbre Qui pour anse de panier n’admet que l’arc-en-ciel Maison qui est le soufflet à faire chanter la braise Aux rosaces de vitraux C’est la maison d’écorce à la porte d’amande amère Et au marteau de plume Maison du gardien des pensées défendues Il passe jour et nuit derrière mes cils Et son pas est semblable à la chute des pommes Il est vêtu d’un manteau traînant découpé dans un rideau d’emballage chamarré Et agite un trousseau de chardons bleus Quand il me parle, c’est dans une langue inconnue Il a beaucoup voyagé ses malles s’ouvrent et se ferment bruyamment dans le grenier Et je pense qu’il a surtout beaucoup oublié En raison de sa tête d’oiseau de mer Il feuillette parfois un livre fait de vitres la pluie la poussière la grêle Il porte en bandoulière le moulin des anciens petits marchands de plaisir Un perpétuel crépuscule suspend ses fruits à la treille du bateau échoué près de moi Je suis assis sur le banc de sable Un bras passé autour de la taille insaisissable de la viorne à tête humaine La bouche entrouverte comme si j’allais mourir Quel sang s’achemine le long du fossé de la route Il est limpide et roule des galets de braise sur tout ce que j’ai entrepris jamais Une femme endormie glisse dans sa lumière C’EST LE TEMPS QUI VEUT... C’est le temps qui veut l’homme aux yeux de catastrophe La femme elle est esclave de l’attroupement seulement Seulement de l’attroupement des saisons qui font et défont le lit de la clairière Tous les oiseaux de l’oreiller tous les papillons des persiennes sur le drap Et tout encore le treillis qui vole balancé par une main invisible au-dessus des champs de blé Au-dessus des champs de blé blanc ou de blé noir Pour que la fiction de la vie Allège définitivement ce qui serait tenté de tirer du coeur un son autre que celui du cristal Et les germinations entières de plantes incrustées d’yeux laminées par le rouleau d’air et changeantes Les mouvements illusoires comme les cillements les ponctuations rapides Pour que le dragon minuscule qui garde les moindres interstices vacants entre les esprits aériens De l’homme et de la femme à la langue d’eau Prenne un repos gagné sur la folie de toutes les paroles qu’on articule Qu’on articule dans l’amour comme s’il était besoin de jeter de la tour de feu des brindilles et des fleurs sèches Ou encore de ramener la peur par la main dans les bois Que les diamants sont pâles ce matin quoique troubles Que l’haleine de la pensée est douce et cruelle en partant de ce qui va mourir Je n’ai jamais vu le val éblouissant des rayons se creuser si profondément sous mes yeux Que les attaches de la nuit sont fines quand elle marche en essayant de se mettre au pas mâle du jour Il faut saisir au vol les coupables paroles Il faut traquer les joies jusque dans l’ombre des peines LA FOUDRE EST TOMBÉE... La foudre est tombée cette nuit sur les oiseaux Il y a longtemps qu’elle tournait autour du manteau des anciens chefs d’Hawaï Et voici qu’elle est arrivée à ses fins Tous les chevaux sont à genoux devant leurs cavaliers en rase campagne Les barreaux des prisons serpentent bleus dans l’herbe Des sages-femmes vont en courant de porte en porte Elles dessinent une étoile sur la porte quelquefois deux De loin on pourrait se croire revenus aux beaux temps de la peste Mais non cela veut dire que le nuage de sauterelles humaines Prend au contraire une extraordinaire densité Ce n’est pas à tort qu’on annonçait le vrai commencement du monde pour l’an deux mil Un pêcheur est apparu couvert d’écailles il a dit Que l’on ne revenait pas autrement du bal des Lisses Qui laissait loin celui des Ardents Les statues des places publiques se mettent à mendier À commencer par les plus fières Dans les gares les trains se nouent bizarrement Un couple s’enlace sans rien voir et sans rien entendre derrière un mur d’usine Parmi les joncs de cinq mètres et les gerbes d’enfer La femme est blonde encore et les martres font cercle autour d’elle Ses bras autour du cou de l’homme sont des comètes de paille Et quand elle renverse la tête les neiges s’allument au soleil levant sur les montagnes LES COURSES DE HAIES... Les courses de haies en sac Qu’on a eu l’idée d’organiser récemment Ont connu le plus grand succès Reconnu sur la pelouse la marguerite noire la mésange charbonnière Le papillon des brumes la murène Et je n’ai garde de vous oublier Vous portiez un admirable hennin noir ma surprenante Et une robe légère couleur d’éclipse Des girls du ciel aux pas naguère tant admirés Ne luisait plus que le cache-sexe d’étoiles Je sens que vous me faites trop aimer cette trahison des choses Quels sont ces parfums sur lesquels se serre en rêve le poing des pierres Il suffit que je parle pour que ces pierres s’ouvrent c’est votre mouchoir La musique de la nuit ne respecte pas mon sommeil J’ouvre les yeux sur des persiennes grises Je les ferme sur des persiennes blanches Faut-il que vous ayez toujours à me gronder DANS LA BARQUE D’UN RIRE Dans la barque d’un rire Sur la mer aux doigts bleus de craie L’on craint que les désirs ne sonnent C’est ta robe couchée comme un cor de chasse sur les rochers Dalila pensée de l’existence d’une étoile Quand l’ardeur de l’aigle défait les monts Les oiseaux pompent l’eau des grands puits couverts Le marécage paillette les pieds du vent On apporte sur le plat d’une gerbe une tête cavalcadante Qui descend la côte dans une voiture fermée Au galop des ruches et dans le silence des actes Mort prends tes aises et cache le travail exaspérant des glaciers rutilants De roses et de victuailles tes épaules prennent feu dans la bagarre du rêve LA CAGE AUX SENS ET SA PORTE OUVERTE. Le plus difficile n’est pas de s’évader les hommes n’ont jamais su bâtir de prisons Que sur des endroits qui sonnent le creux de leur morale À la place des barreaux de la veille Il n’est pas rare de découvrir une belle panoplie de maréchal- ferrant Et les murs de toute épaisseur offrent à peine moins de coulisses Qu’un petit théâtre de barrière Je ne parle pas des rivières de Guyane Qui roulent des pommes de pin incendiées Des métiers de dentellière tout en ivoire Et des regards pareils à de grandes écharpes fleuries Sous les coups de feu Le danger n’est pas de trop avec l’espoir pour faire... Poème inachevé. SUR L’ÉTANG DES PARESSES... Sur l’étang des paresses dans la chasse aux doigts bleus Derrière les buissons de guerriers qui avancent Revêtus d’armures glissantes comme les rivières S’évase une robe plissée qui est celle des rêves et des filtres Pour la naissance de la fille de la danseuse de corde Celle qui courbe les paupières vers les étoiles grenat On saute à cette heure des précipices on traque les tranquilles bourreaux Dans leurs maisons de haches Sans que pour cela les mèches de fougère allument les coeurs Car le vent est tombé du mur Veillez encore petites forces planétaires couleuvres d’artichauts L’émail des routes s’use peu à peu sous le poids des racines Penchez le verre à luisants sur la falaise tournez le moulin des ronces Comme je revenais de la messe noire Il y a eu d’atroces petites cassures dans le quartier d’orange que je mangeais LA PÊCHE AUX ÉCREVISSES. Par l’aigrette et la coque une jeune rétine Se forge le murex adorable du soir Une ombrelle de sang saute dans le parloir Le drap fleure la menthe et la térébenthine Le mobilier savant dans l’ombre s’agglutine Un tamis poussiéreux a fait place au pressoir Il faut interroger les grands trous de miroir Que la mouche de mai de loin en loin satine L’enfant sous la rosée au bon dard qui le lèche Voit poindre les deux six qui dorment tête-bêche Charger du fond des temps le vrai chevalier bleu Celui qui s’offrira plus tard à le conduire S’il rêve du castel sans retour où il pleut Vers le buisson caché brûlant toujours de luire JUGEMENT DE L’AUTEUR SUR LUI-MÊME Héraclite mourant, Pierre de Lune, Sade, le cyclone à tête de grain de millet, le tamanoir: son plus grand désir eût été d’appartenir à la famille des grands indésirables PLEINE MARGE. (1940) À Pierre Mabille. Je ne suis pas pour les adeptes Je n’ai jamais habité au lieu dit La Grenouillère La lampe de mon coeur file et bientôt hoquette à l’approche des parvis Je n’ai jamais été porté que vers ce qui ne se tenait pas à carreau Un arbre élu par l’orage Le bateau de lueurs ramené par un mousse L’édifice au seul regard sans clignement du lézard et mille frondaisons Je n’ai vu à l’exclusion des autres que des femmes qui avaient maille à partir avec leur temps Ou bien elles montaient vers moi soulevées par les vapeurs d’un abîme Ou encore absentes il y a moins d’une seconde elles me précédaient du pas de la Joueuse de tympanon Dans la rue au moindre vent où leurs cheveux portaient la torche Entre toutes cette reine de Byzance aux yeux passant de si loin l’outre-mer Que je ne me retrouve jamais dans le quartier des Halles où elle m’apparut Sans qu’elle se multiplie à perte de vue dans les glaces des voitures des marchandes de violettes Entre toutes l’enfant des cavernes son étreinte prolongeant de toute la vie la nuit esquimau Quand déjà le petit jour hors d’haleine grave son renne sur la vitre Entre toutes la religieuse aux lèvres de capucine Dans le car de Crozon à Quimper Le bruit de ses cils dérange la mésange charbonnière Et le livre à fermoir va glisser de ses jambes croisées Entre toutes l’ancienne petite gardienne ailée de la Porte Par laquelle les conjectures se faufilent entre les pousse- pousse Elle me montre alignées des caisses aux inscriptions idéographiques le long de la Seine Elle est debout sur l’oeuf brisé du lotus contre mon oreille Entre toutes celle qui me sourit du fond de l’étang de Berre Quand d’un pont des Martigues il lui arrive de suivre appuyée contre moi la lente procession des lampes couchées En robe de bal des méduses qui tournoient dans le lustre Celle qui feint de ne pas être pour tout dans cette fête D’ignorer ce que cet accompagnement repris chaque jour dans les deux sens a de votif Entre toutes Je reviens à mes loups à mes façons de sentir Le vrai luxe C’est que le divan capitonné de satin blanc Porte l’étoile de la lacération Il me faut ces gloires du soir frappant de biais votre bois de lauriers Les coquillages géants des systèmes tout érigés qui se présentent en coupe irrégulière dans la campagne Avec leurs escaliers de nacre et leurs reflets de vieux verres de lanternes Ne me retiennent qu’en fonction de la part de vertige Faite à l’homme qui pour ne rien laisser échapper de la grande rumeur Parfois est allé jusqu’à briser le pédalier Je prends mon bien dans les failles du roc là où la mer Précipite ses globes de chevaux montés de chiens qui hurlent Où la conscience n’est plus le pain dans son manteau de roi Mais le baiser le seul qui se recharge de sa propre braise Et même des êtres engagés dans une voie qui n’est pas la mienne Qui est à s’y méprendre le contraire de la mienne Elle s’ensable au départ dans la fable des origines Mais le vent s’est levé tout à coup les rampes se sont mises à osciller grandement autour de leur pomme irisée Et pour eux ç’a été l’univers défenestré Sans plus prendre garde à ce qui ne devrait jamais finir Le jour et la nuit échangeant leurs promesses Ou les amants au défaut du temps retrouvant et perdant la bague de leur source Ô grand mouvement sensible par quoi les autres parviennent à être les miens Même ceux-là dans l’éclat de rire de la vie tout encadrés de bure Ceux dont le regard fait un accroc rouge dans les buissons de mûres M’entraînent m’entraînent où je ne sais pas aller Les yeux bandés tu brûles tu t’éloignes tu t’éloignes De quelque manière qu’ils aient frappé leur couvert est mis chez moi Mon beau Pelage couronné de gui ta tête droite sur tous ces fronts courbés Joachim de Flore mené par les anges terribles Qui à certaines heures aujourd’hui rabattent encore leurs ailes sur les faubourgs Où les cheminées fusent invitant à une résolution plus proche dans la tendresse Que les roses constructions heptagonales de Giotto Maître Eckhardt mon maître dans l’auberge de la raison Où Hegel dit à Novalis Avec lui nous avons tout ce qu’il nous faut et ils partent Avec eux et le vent j’ai tout ce qu’il me faut Jansénius oui je vous attendais prince de la rigueur Vous devez avoir froid Le seul qui de son vivant réussit à n’être que son ombre Et de sa poussière on vit monter menaçant toute la ville la fleur du spasme Paris le diacre La belle la violée la soumise l’accablante La Cardière Et vous messieurs Bonjour Qui en assez grande pompe avez bel et bien crucifié deux femmes je crois Vous dont un vieux paysan de Fareins-en-Dôle Chez lui entre les portraits de Marat et de la mère Angélique Me disait qu’en disparaissant vous avez laissé à ceux qui sont venus et pourront venir Des provisions pour longtemps Salon-Martigues, septembre 1940. FATA MORGANA. (1940) Ce matin la fille de la montagne tient sur ses genoux un accordéon de chauves-souris blanches Un jour un nouveau jour cela me fait penser à un objet que je garde Alignés en transparence dans un cadre des tubes en verre de toutes les couleurs de philtres de liqueurs Qu’avant de me séduire il ait dû répondre peu importe à quelque nécessité de représentation commerciale Pour moi nulle oeuvre d’art ne vaut ce petit carré fait de l’herbe diaprée à perte de vue de la vie Un jour un nouvel amour et je plains ceux pour qui l’amour perd à ne pas changer de visage Comme si de l’étang sans lumière la carpe qui me tend à l’éveil une boucle de tes cheveux N’avait plus de cent ans et ne me taisait tout ce que je dois pour rester moi-même ignorer Un nouveau jour est-ce bien près de toi que j’ai dormi J’ai donc dormi j’ai donc passé les gants de mousse Dans l’angle je commence à voir briller la mauvaise commode qui s’appelle hier Il y a de ces meubles embarrassants dont le véritable office est de cacher des issues De l’autre côté qui sait la barque aimantée nous pourrions partir ensemble À la rencontre de l’arbre sous l’écorce duquel il est dit Ce qu’à nous seuls nous sommes l’un à l’autre dans la grande algèbre Il y a de ces meubles plus lourds que s’ils étaient emplis de sable au fond de la mer Contre eux il faudrait des mots-leviers De ces mots échappés d’anciennes chansons qui vont au superbe paysage de grues Très tard dans les ports parcourus en zigzag de bouquets de fièvre Écoute Je vois le lutin Que d’un ongle tu mets en liberté En ouvrant un paquet de cigarettes Le héraut-mouche qui jette le sel de la mode Si zélé à faire croire que tout ne doit pas être de toujours Celui qui exulte à faire dire Allô je n’entends plus Comme c’est joli qu’est-ce que ça rappelle Si j’étais une ville dis-tu Tu serais Ninive sur le Tigre Si j’étais un instrument de travail Plût au ciel noir tu serais la canne des cueilleurs dans les verreries Si j’étais un symbole Tu serais une fougère dans une nasse Et si j’avais un fardeau à porter Ce serait une boule faite de têtes d’hermines qui crient Si je devais fuir la nuit sur une route Ce serait le sillage du géranium Si je pouvais voir derrière moi sans me retourner Ce serait l’orgueil de la torpille Comme c’est joli En un rien de temps Il faut convenir qu’on a vu s’évanouir dans un rêve Les somptueuses robes en tulle pailleté des arroseuses municipales Et même plier bagage sous le regard glacial de l’amiral Coligny Le dernier vendeur de papier d’Arménie De nos jours songe qu’une expédition se forme pour la capture de l’oiseau quetzal dont on ne possède plus en vie oui en vie que quatre exemplaires Qu’on a vu tourner, à blanc la roulette des marchands de plaisir Qu’est-ce que ça rappelle Dans les hôtels à plantes vertes c’est l’heure où les charnières des portes sans nombre D’un coup d’archet s’apprêtent à séparer comme les oiseaux les chaussures les mieux accordées Sur les paliers mordorés dans le moule à gaufre fracassé où se cristallise le bismuth À la lumière des châteaux vitrifiés du mont Knock-Farril dans le comté de Ross Un jour un nouveau jour cela me fait penser à un objet que garde mon ami Wolfgang Paalen D’une corde déjà grise tous les modèles de noeuds réunis sur une planchette Je ne sais pourquoi il déborde tant le souci didactique qui a présidé à sa construction sans doute pour une école de marins Bien que l’ingéniosité de l’homme donne ici sa fleur que nimbe la nuée des petits singes aux yeux pensifs En vérité aucune page des livres même virant au pain bis n’atteint à cette vertu conjuratoire rien ne m’est si propice Un nouvel amour et que d’autres tant pis se bornent à adorer La bête aux écailles de roses aux flancs creux dont j’ai trompé depuis longtemps la vigilance Je commence à voir autour de moi dans la grotte Le vent lucide m’apporte le parfum perdu de l’existence Quitte enfin de ses limites À cette profondeur je n’entends plus sonner que le patin Dont parfois l’éclair livre toute une perspective d’armoires à glace écroulées avec leur linge Parce que tu tiens Dans mon être la place du diamant serti dans une vitre Qui me détaillerait avec minutie le gréement des astres Deux mains qui se cherchent c’est assez pour le toit de demain Deux mains transparentes la tienne le murex dont les anciens ont tiré mon sang Mais voici que la nappe ailée S’approche encore léchée de la flamme des grands vins Elle comble les arceaux d’air boit d’un trait les lacunes des feuilles Et joue à se faire prendre en écharpe par l’aqueduc Qui roule des pensées sauvages Les bulles qui montent à la surface du café Après le sucre le charmant usage populaire qui veut que les prélève la cuiller Ce sont autant de baisers égarés Avant qu’elles ne courent s’anéantir contre les bords Ô tourbillon plus savant que la rose Tourbillon qui emporte l’esprit qui me regagne à l’illusion enfantine Que tout est là pour quelque chose qui me concerne Qu’est-ce qui est écrit Il y a ce qui est écrit sur nous et ce que nous écrivons Où est la grille qui montrerait que si son tracé extérieur Cesse d’être juxtaposable à son tracé intérieur La main passe Plus à portée de l’homme il est d’autres coïncidences Véritables fanaux dans la nuit du sens C’était plus qu’improbable c’est donc exprès Mais les gens sont si bien en train de se noyer Que ne leur demandez pas de saisir la perche Le lit fonce sur ses rails de miel bleu Libérant en transparence les animaux de la sculpture médiévale Il incline prêt à verser au ras des talus de digitales Et s’éclaire par intermittence d’yeux d’oiseaux de proie Chargés de tout ce qui émane du gigantesque casque emplumé d’Otrante Le lit fonce sur ses rails de miel bleu Il lutte de vitesse avec les ciels changeants Qui conviennent toujours ascension des piques de clôture des parcs Et boucanage de plus belle succédant au lever de danseuses sur le comptoir Le lit brûle les signaux il ne fait qu’un de tous les bocaux de poissons rouges Il lutte de vitesse avec les ciels changeants Rien de commun tu sais avec le petit chemin de fer Qui se love à Cordoba du Mexique pour que nous ne nous lassions pas de découvrir Les gardénias qui embaument dans de jeunes pousses de palmier évidées Ou ailleurs pour nous permettre de choisir Du marchepied dans les lots d’opales et de turquoises brutes Non le lit à folles aiguillées ne se borne pas à dérouler la soie des lieux et des jours incomparables Il est le métier sur lequel se croisent les cycles et d’où sourd ce qu’on pressent sous le nom de musique des sphères Le lit brûle les signaux il ne fait qu’un de tous les bocaux de poissons rouges Et quand il va pour fouiller en sifflant le tunnel charnel Les murs s’écartent la vieille poudre d’or à n’y plus voir se lève des registres d’état civil Enfin tout est repris par le mouvement de la mer Non le lit à folles aiguillées ne se borne pas à dérouler la soie des lieux et des jours incomparables C’est la pièce sans entractes le rideau levé une fois pour toutes sur la cascade Dis-moi Comment se défendre en voyage de l’arrière-pensée pernicieuse Que l’on ne se rend pas où l’on voudrait La petite place qui fuit entourée d’arbres qui diffèrent imperceptiblement de tous les autres Existe pour que nous la traversions sous tel angle dans la vraie vie Le ruisseau en cette boucle même comme en nulle autre de tous les ruisseaux Est maître d’un secret qu’il ne peut faire nôtre à la volée Derrière la fenêtre celle-ci faiblement lumineuse entre bien d’autres plus ou moins lumineuses Ce qui se passe Est de toute importance pour nous peut-être faudrait-il revenir Avoir le courage de sonner Qui dit qu’on ne nous accueillerait pas à bras ouverts Mais rien n’est vérifié tous ont peur nous-mêmes Avons presque aussi peur Et pourtant je suis sûr qu’au fond du bois fermé à clé qui tourne en ce moment contre la vitre S’ouvre la seule clairière Est-ce là l’amour cette promesse qui nous dépasse Ce billet d’aller et retour éternel établi sur le modèle de la phalène chinée Est-ce l’amour ces doigts qui pressent la cosse du brouillard Pour qu’en jaillissent les villes inconnues aux portes hélas éblouissantes L’amour ces fils télégraphiques qui font de la lumière insatiable un brillant sans cesse qui se rouvre De la taille même de notre compartiment de la nuit Tu viens à moi de plus loin que l’ombre je ne dis pas dans l’espace des séquoias millénaires Dans ta voix se font la courte échelle des trilles d’oiseaux perdus Beaux dés pipés Bonheur et malheur Au bonneteau tous ces yeux écarquillés autour d’un parapluie ouvert Quelle revanche le santon-puce de la bohémienne Ma main se referme sur elle Si j’échappais à mon destin Il faut chasser le vieil aveugle des lichens du mur d’église Détruire jusqu’au dernier les horribles petits folios déteints jaunes verts bleus roses Ornés d’une fleur variable et exsangue Qu’il vous invite à détacher de sa poitrine Un à un contre quelques sous Mais toujours force reste Au langage ancien les simples la marmite Une chevelure qui vient au feu Et quoi qu’on fasse jamais happé au coeur de toute lumière Le drapeau des pirates Un homme grand engagé sur un chemin périlleux Il ne s’est pas contenté de passer sous un bleu d’ouvrier les brassards à pointes acérées d’un criminel célèbre À sa droite le lion dans sa main l’oursin Se dirige vers l’est Où déjà le tétras gonfle de vapeur et de bruit sourd les airelles Voilà qu’il tente de franchir le torrent les pierres qui sont des lueurs d’épaules de femmes au théâtre Pivotent en vain très lentement J’avais cessé de le voir il reparaît un peu plus bas sur l’autre berge Il s’assure qu’il est toujours porteur de l’oursin À sa droite le lion all right Le sol qu’il effleure à peine crépite de débris de faulx En même temps cet homme descend précipitamment un escalier au coeur d’une ville il a déposé sa cuirasse Au-dehors on se bat contre ce qui ne peut plus durer Cet homme parmi tant d’autres brusquement semblables Qu’est-il donc que se sent-il donc de plus que lui-même Pour que ce qui ne peut plus durer ne dure plus Il est tout prêt à ne plus durer lui-même Un pour tous advienne que pourra Ou la vie serait la goutte de poison Du non-sens introduite dans le chant de l’alouette au-dessus des coquelicots La rafale passe En même temps Cet homme qui relevait des casiers autour du phare Hésite à rentrer il soulève avec précaution des algues et des algues Le vent est tombé ainsi soit-il Et encore des algues qu’il repose Comme s’il lui était interdit de découvrir dans son ensemble le jeune corps de femme le plus secret D’où part une construction ailée Ici le temps se brouille à la fois et s’éclaire Du trapèze tout en cigales Mystérieusement une très petite fille interroge André tu ne sais pas pourquoi je résédise Et aussitôt une pyramide s’élance au loin À la vie à la mort ce qui commence me précède et m’achève Une fine pyramide à jour de pierre dure Reliée à ce beau corps par des lacets vermeils De la brune à la blonde Entre le chaume et la couche de terreau Il y a place pour mille et une cloches de verre Sous lesquelles revivent sans fin les têtes qui m’enchantent Dans la suspension du sacre Têtes de femmes qui se succèdent sur tes épaules quand tu dors Il en est de si lointaines Têtes d’hommes aussi Innombrables à commencer par ces chefs d’empereurs à la barbe glissante Le maraîcher va et vient sous sa housse Il embrasse d’un coup d’oeil tous les plateaux montés cette nuit du centre de la terre Un nouveau jour c’est lui et tous ces êtres Aisément reconnaissables dans les vapeurs de la campagne C’est toi c’est moi à tâtons sous l’éternel déguisement Dans les entrelacs de l’histoire momie d’ibis Un pas pour rien comme on cargue la voilure momie d’ibis Ce qui sort du côté cour rentre par le côté jardin momie d’ibis Si le développement de l’enfant permet qu’il se libère du fantasme de démembrement de dislocation du corps momie d’ibis Il ne sera jamais trop tard pour en finir avec le morcelage de l’âme momie d’ibis Et par toi seule sous toutes ses facettes de momie d’ibis Avec tout ce qui n’est plus ou attend d’être je retrouve l’unité perdue momie d’ibis Momie d’ibis du non-choix à travers ce qui me parvient Momie d’ibis qui veut que tout ce que je puis savoir contribue à moi sans destination Momie d’ibis qui me fait l’égal tributaire du mal et du bien Momie d’ibis du sort goutte à goutte où l’homéopathie dit son grand mot Momie d’ibis de la quantité se muant dans l’ombre en qualité Momie d’ibis de la combustion qui laisse en toute cendre un point rouge Momie d’ibis de la perfection qui appelle la fusion incessante des créatures imparfaites La gangue des statues ne me dérobe de moi-même que ce qui n’est pas le produit aussi précieux de la semence des gibets momie d’ibis Je suis Nietzsche commençant à comprendre qu’il est à la fois Victor-Emmanuel et deux assassins des journaux Astu momie d’ibis C’est à moi seul que je dois tout ce qui s’est écrit pensé chanté momie d’ibis Et sans partage toutes les femmes de ce monde je les ai aimées momie d’ibis Je les ai aimées pour t’aimer mon unique amour momie d’ibis Dans le vent du calendrier dont les feuilles s’envolent momie d’ibis En vue de ce reposoir dans le bois momie d’ibis sur le parcours du lactaire délicieux Ouf le basilic est passé tout près sans me voir Qu’il revienne je tiens braqué sur lui le miroir Où est faite pour se consommer la jouissance humaine imprescriptible Dans une convulsion que termine un éclaboussement de plumes dorées Il faudrait marquer ici de sanglots non seulement les attitudes du buste Mais encore les effacements et les oppositions de la tête Le problème reste plus ou moins posé en chorégraphie Où non plus je ne sache pas qu’on ait trouvé de mesure pour l’éperdu Quand la coupe ce sont précisément les lèvres Dans cette accélération où défilent Sous réserve de contrôle Au moment où l’on se noie les menus faits de la vie Mais les cabinets d’antiques abondent en pierres d’Abraxas Trois cent soixante-cinq fois plus méchantes que le jour solaire Et l’oeuf religieux du coq Continue à être couvé religieusement par le crapaud Du vieux balcon qui ne tient plus que par un fil de lierre Il arrive que le regard errant sur les dormantes eaux du fossé circulaire Surprenne en train de se jouer le progrès hermétique Tout de feinte et dont on ne saurait assez redouter La séduction infinie À l’en croire rien ne manque qui ne soit donné en puissance et c’est vrai ou presque La belle lumière électrique pourvu que cela ne te la fane pas de penser qu’un jour elle paraîtra jaune De haute lutte la souffrance a bien été chassée de quelques- uns de ses fiefs Et les distances peuvent continuer à fondre Certains vont même jusqu’à soutenir qu’il n’est pas impossible que l’homme Cesse de dévorer l’homme bien qu’on n’avance guère de ce côté Cependant cette suite de prestiges je prendrai garde comme une toile d’araignée étincelante Qu’elle ne s’accroche à mon chapeau Tout ce qui vient à souhait est à double face et fallacieux Le meilleur à nouveau s’équilibre de pire Sous le bandeau de fusées Il n’est que de fermer les yeux Pour retrouver la table du permanent Ceci dit la représentation continue Eu égard ou non à l’actualité L’action se passe dans le voile du hennin d’Isabeau de Bavière Toutes dentelles et moires Aussi fluides que l’eau qui fait la roue au soleil sur les glaces des fleuristes d’aujourd’hui Le cerf blanc à reflets d’or sort du bois du Châtelet Premier plan de ses yeux qui expriment le rêve des chants d’oiseaux du soir Dans l’obliquité du dernier rayon le sens d’une révélation mystérieuse Que sais-je encore et qu’on sait capables de pleurer Le cerf ailé frémit il fond sur l’aigle avec l’épée Mais l’aigle est partout sus à lui il y a eu l’avertissement De cet homme dont les chroniqueurs s’obstinent à rapporter dans une intention qui leur échappe Qu’il était vêtu de blanc de cet homme bien entendu qu’on ne retrouvera pas Puis la chute d’une lance contre un casque ici le musicien a fait merveille C’est toute la raison qui s’en va quand l’heure pourrait être frappée sans que tu y sois Dans les ombres du décor le peuple est admis à contempler les grands festins On aime toujours beaucoup voir manger sur la scène De l’intérieur du pâté couronné de faisans Des nains d’un côté noirs de l’autre arc-en-ciel soulèvent le couvercle Pour se répandre dans un harnachement de grelots et de rires Éclat contracté de traces de coups de feu de la croûte qui tourne Enchaîné sur le bal des Ardents rappel en trouble de l’épisode qui suit de près celui du cerf Un homme peut-être trop habile descend du haut des tours de Notre-Dame En voltigeant sur une corde tendue Son balancier de flambeaux leur lueur insolite au grand jour Le buisson des cinq sauvages dont quatre captifs l’un de l’autre le soleil de plumes Le duc d’Orléans prend la torche la main la mauvaise main Et quelque temps après à huit heures du soir la main On s’est toujours souvenu qu’elle jouait avec le gant La main le gant une fois deux fois trois fois Dans l’angle sur le fond du palais le plus blanc les beaux traits ambigus de Pierre de Lune à cheval Personnifiant le second luminaire Finir sur l’emblème de la reine en pleurs Un souci Plus ne m’est rien rien ne m’est plus Oui sans toi Le soleil Marseille, décembre 1940. POÈMES DIVERS V MONDE. Dans le salon de madame des Ricochets Les miroirs sont en grains de rosée pressés La console est faite d’un bras dans du lierre Et le tapis meurt comme les vagues Dans le salon de madame des Ricochets Le thé de lune est servi dans des oeufs d’engoulevent Les rideaux amorcent la fonte des neiges Et le piano en perspective perdue sombre d’un seul bloc dans la nacre Dans le salon de madame des Ricochets Des lampes basses en dessous de feuilles de tremble Lutinent la cheminée en écailles de pangolin Quand madame des Ricochets sonne Les portes se fendent pour livrer passage aux servantes en escarpolette LE PUITS ENCHANTÉ. Du dehors l’air est à se refroidir Le feu éteint sous la bouillotte bleue des bois La nature crache dans sa petite boîte de nuit Sa brosse sans épaisseur commence à faire luire les arêtes des buissons et des navires La ville aux longues aiguillées de fulgores Monte jusqu’à se perdre Le long d’une rampe de chansons qui tourne en vrille dans les rues désertes Quand les marelles abandonnées se retournent l’une après l’autre dans le ciel Tout au fond de l’entonnoir Dans les fougères foulées du regard J’ai rendez-vous avec la dame du lac Je sais qu’elle viendra Comme si je m’étais endormi sous des fuchsias C’est là À la place de la suspension du dessous dans la maison des nuages Une cage d’ascenseur aux parois de laquelle éclate par touffes du linge de femme De plus en plus vert À moi À moi la fleur du grisou Le ludion humain la roussette blanche La grande devinette sacrée Mieux qu’au fil de l’eau Ophélie au ballet des mouches de mai Voici au reflet du fil à plomb celle qui est dans le secret des taupes Je vois la semelle de poussière de diamant je vois le paon blanc qui fait la roue derrière l’écran de la cheminée Les femmes qu’on dessine à l’envers sont les seules qu’on n’ait jamais vues Son sourire est fait pour l’expiation des plongeurs de perles Aux poumons changés en coraux C’est Méduse casquée dont le buste pivote lentement dans la vitrine De profil je caresse ses seins aux pointes ailées Ma voix ne lui parviendrait pas ce sont deux mondes Et même Rien ne servirait de jeter dans sa tour une lettre toute ouverte aux angles de glu On m’a passé les menottes étincelantes de Peter Ibbetson Je suis un couvreur devenu fou Qui arrache par plaques et finirai bien par jeter bas tout le toit de la maison Pour mieux voir comme la trombe s’élève de la mer Pour me mêler à la bataille de fleurs Quand une cuisse déborde l’écrin et qu’entre en jeu la pédale du danger La belle invention Pour remplacer le coucou l’horloge à escarpolette Qui marque le temps suspendu Pendeloque du lustre central de la terre Mon sablier de roses Toi qui ne remonteras pas à la surface Toi qui me regardes sans me voir dans les jardins de la provocation pure Toi qui m’envoies un baiser de la portière d’un train qui fuit COURS-LES TOUTES. À Benjamin Péret. Au coeur du territoire indien d’Oklahoma Un homme assis Dont l’oeil est comme un chat qui tourne autour d’un pot de chiendent Un homme cerné Et par sa fenêtre Le concile des divinités trompeuses inflexibles Qui se lèvent chaque matin en plus grand nombre du brouillard Fées fâchées Vierges à l’espagnole inscrites dans un étroit triangle isocèle Comètes fixes dont le vent décolore les cheveux Le pétrole comme les cheveux d’Éléonore Bouillonne au-dessus des continents Et dans sa voix transparente À perte de vue il y a des armées qui s’observent Il y a des chants qui voyagent sous l’aile d’une lampe Il y a aussi l’espoir d’aller si vite Que dans tes yeux Se mêlent au fil de la vitre les feuillages et les lumières Au carrefour des routes nomades Un homme Autour de qui on a tracé un cercle Comme autour d’une poule Enseveli vivant dans le reflet des nappes bleues Empilées à l’infini dans son armoire Un homme à la tête cousue Dans les bas du soleil couchant Et dont les mains sont des poissons-coffres Ce pays ressemble à une immense boîte de nuit Avec ses femmes venues du bout du monde Dont les épaules roulent les galets de toutes les mers Les agences américaines n’ont pas oublié de pourvoir à ces chefs indiens Sur les terres desquels on a foré les puits Et qui ne restent libres de se déplacer Que dans les limites imposées par le traité de guerre La richesse inutile Les mille paupières de l’eau qui dort Le curateur passe chaque mois Il pose son gibus sur le lit recouvert d’un voile de flèches Et de sa valise de phoque Se répandent les derniers catalogues des manufactures Ailés de la main qui les ouvrait et les fermait quand nous étions enfants Une fois surtout une fois C’était un catalogue d’automobiles Présentant la voiture de mariée Au speeder qui s’étend sur une dizaine de mètres Pour la traîne La voiture de grand peintre Taillée dans un prisme La voiture de gouverneur Pareille à un oursin dont chaque épine est un lance-flammes Il y avait surtout Une voiture noire rapide Couronnée d’aigles de nacre Et creusée sur toutes ses facettes de rinceaux de cheminées de salon Comme par les vagues Un carrosse ne pouvant être mû que par l’éclair Comme celui dans lequel erre les yeux fermés la princesse Acanthe Une brouette géante toute en limaces grises Et en langues de feu comme celle qui apparaît aux heures fatales dans le jardin de la tour Saint-Jacques Un poisson rapide pris dans une algue et multipliant les coups de queue Une grande voiture d’apparat et de deuil Pour la dernière promenade d’un saint empereur à venir De fantaisie Qui démoderait la vie entière Le doigt a désigné sans hésitation l’image glacée Et depuis lors L’homme à la crête de triton À son volant de perles Chaque soir vient border le lit de la déesse du maïs Je garde pour l’histoire poétique Le nom de ce chef dépossédé qui est un peu le nôtre De cet homme seul engagé dans le grand circuit De cet homme superbement rouillé dans une machine neuve Qui met le vent en berne Il s’appelle Il porte le nom flamboyant de Cours-les toutes À la vie à la mort cours à la fois les deux lièvres Cours ta chance qui est une volée de cloches de fête et d’alarme Cours les créatures de tes rêves qui défaillent rouées à leurs jupons blancs Cours la bague sans doigt Cours la tête de l’avalanche 29 octobre 1938. LA MAISON D’YVES. La maison d’Yves Tanguy Où l’on n’entre que la nuit Avec la lampe-tempête Dehors le pays transparent Un devin dans son élément Avec la lampe-tempête Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus Et la toile de Jouy du ciel -Vous, chassez le surnaturel Avec la lampe-tempête Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus Avec toutes les étoiles de sacrebleu Elle est de lassos, de jambages Couleur d’écrevisse à la nage Avec la lampe-tempête Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus Avec toutes les étoiles de sacrebleu Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes L’espace lié, le temps réduit Ariane dans sa chambre-étui Avec la lampe-tempête Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus Avec toutes les étoiles de sacrebleu Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes Avec la crinière sans fin de l’argonaute Le service est fait par des sphinges Qui se couvrent les yeux de linges Avec la lampe-tempête Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus Avec toutes les étoiles de sacrebleu Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes Avec la crinière sans fin de l’argonaute Avec le mobilier fulgurant du désert On y meurtrit on y guérit On y complote sans abri Avec la lampe-tempête Avec la scierie si laborieuse qu’on ne la voit plus Avec toutes les étoiles de sacrebleu Avec les tramways en tous sens ramenés à leurs seules antennes Avec la crinière sans fin de l’argonaute Avec le mobilier fulgurant du désert Avec les signes qu’échangent de loin les amoureux C’est la maison d’Yves Tanguy CARTE POSTALE. À Benjamin Péret. N’y aurait-il que la guerre Rien de tel pour faire renaître La vie hermétique Je joue à cesser d’être Je joue à qui gagne perd Les alouettes polissent le miroir Les barricades sont coupées par le milieu de l’air C’est la saison des mouches de pique Qui ravalent les maisons neuves En leur tapant sur l’épaule Voici les cachettes au blanc de baleine Plus femmes que les maisons qui tournent Dix doigts pour un homard évidemment c’est trop Fini le temps des crises Mars 1940. QUELS APPRÊTS. Les armoires bombées de la campagne Glissent silencieusement sur les rails de lait C’est l’heure où les filles soulevées par le flot de la nuit qui roule des carlines Se raidissent contre la morsure de l’hermine Dont le cri Va mouler les pointes de leur gorge Les événements d’un autre ordre sont absolument dépourvus d’intérêt Ne me parlez pas de ce papier mural à décor de ronces Qui n’a rien de plus pressé Que de se lacérer lui-même Les flammes noires luttent dans la grille avec des langues d’herbe Un galop lointain C’est la charge souterraine sonnée dans le bois de violette et dans le buis Toute la chambre se renverse Le splendide alignement des mesures d’étain s’épuise en une seule qui par surcroît est le vin gris La cuisse toujours trop tôt dépêchée sur le tableau de craie dans la tourmente de jour Les gisements d’hommes les lacs de murmures La pensée tirant sur son collier de vieilles niches Qu’on me laisse une fois pour toutes avec cela Les diables-mouches voient dans ces ongles Les pépins du quartier de pomme de la rosée Ramené du fond de la vie Le corps tout en poissons surgit du filet ruisselant Dans la brousse De l’air autour du lit L’argus de la dérive chère les yeux fixes mi-ouverts mi-clos Poitiers, 9 mai 1940. POÈME POUR HÉLÈNE LAMI. Dans la prochaine feuille du printemps Il y aura deux ailes pour Hélène Dont le regard est la mouche de mai Sur la gaze de tout ce que nous aimons Hélène vous n’êtes pas là aujourd’hui Vous qui mettez des roses persanes dans le soir Mais l’avenir est une chambre dans laquelle vous mettez l’ordre des perles Et je n’ai jamais allumé de bougie dont la flamme soit aussi multicolore Que vos lèvres quand elles sautent d’une langue à l’autre Pour articuler tout ce qui est sensé tout ce qui est sensible Comme les adorables marionnettes de notre ami von Kleist Votre existence Hélène parfume les rochers de ce temps de pensées au coeur d’éclairs Je vous vois distinctement dans ce filet qui se retire Pour séparer ce qui doit être de ce qui n’est plus Dans ce filet comme une branche de corail Qui a ceci d’incomparable avec les bois du cerf Qu’elle ne peut se diviser ni pâlir avec les années Marseille, 19 janvier 1941. POÈMES PUBLIÉS DANS «VVV.» (1943) FRÔLEUSE. Mes malles n’ont plus de poids les étiquettes sont des lueurs courant sur une mare Sera-ce assez que tout pour cette contrée où mène bien après sa mise au rebut la diligence de nuit Toute en cristal noir le long des meules tournant de cailles Château qui tremble et j’en jure que vient de poser devant moi un éclair Lieu frustré de tout ce qui pourrait le rendre habitable Je ne vois qu’étroits couloirs enchevêtrés Escaliers à vis Seulement au haut de la tour de guet Éclate l’air taillé en rose Bannie superstitieusement la place primitive d’une brassée de joncs pour s’étendre L’architecte fou de ce qui restait d’espace libre Semble avoir rêvé un garage pour mille tables rondes À chacune d’elles sont présumés souper au caviar au champagne Avec moi des bustes de cire plus beaux les uns que les autres mais parmi eux méconnaissable s’est glissé un buste vivant Bustes car il n’y a qu’une nappe à reflets changeants pour toutes les tables Assez lacunaire pour emprisonner la taille de toutes ces femmes fausses et vraies Tout ce qui est ou manque d’être au-dessous de la nappe se dérobe dans la musique Oracle attendu de la navette d’un soulier Plus brillant qu’un poisson jeté dans l’herbe Ou d’un mollet qui fait un bouquet des lampes de mineur Ou du genou qui lance un volant dans mon coeur Ou d’une bouche qui penche qui penche à verser son parfum Ou d’une main d’abord un peu en marge à l’instant même où il apparaît qu’elle n’évite pas un rapport d’ailes avec ma main Ô ménisques Au-delà de tous les présents permis et défendus À dos d’éléphants ces piliers qui s’amincissent jusqu’au fil de soie dans les grottes Ménisques adorable rideau de tangence quand la vie n’est plus qu’une aigrette qui boit Et dis-toi qu’aussi bien je ne te verrai plus PASSAGE À NIVEAU D’un coup de baguette ç’avaient été les fleurs Et le sang Le rayon se posa sur la fenêtre gelée Personne Pfff on comprit que l’espace se débondait Puis l’oreiller d’air s’est glissé sous le sainfoin Les avalanches ont dressé la tête Et à l’intérieur des pierres des épaules se sont soulevées Les yeux étaient encore fermés dans l’eau méfiante Des profondeurs montait la triple collerette Qui allait faire l’orgueil de l’armoire Et la chanson des cigales prenait son billet À la gare encore enveloppée de tous ses fils La femme mordait une pomme de vapeur Sur les genoux d’une grande bête blanche Dans les ateliers sur les établis silencieux Le rabot de la lune lissait les feuilles coupantes Et la meule crachait ses papillons Sur la bordure du papier où j’écris PREMIERS TRANSPARENTS. À Charles Duits. Comment veux-tu voici que les plombs sautent encore une fois Voici la seiche qui s’accoude d’un air de défi à la fenêtre Et voici ne sachant où déplier son étincelante grille d’égout Le clown de l’éclipse tout en blanc Les yeux dans sa poche Les femmes sentent la noix muscade Et les principaux pastillés fêtent leur frère le vent Qui a revêtu sa robe à tourniquet des grands jours Mandarin à boutons de boussoles folles Messieurs les morceaux de papier se saluent de haut en bas des maisons New York. PLUS QUE SUSPECT. Les chênes sont atteints d’une grave maladie Ils sèchent après avoir laissé échapper Dans une lumière de purin au soleil couchant Toute une cohue de têtes de généraux LA LANGUE BIEN PENDUE. Les bêtes qui n’ont que la bouche au-dessous du front Et dont la joue lisse remonte comme le sable A des oreilles en chardons de mer Caressent le bruit de mes pas INTÉRIEUR. Une table servie du plus grand luxe Démesurément longue Me sépare de la femme de ma vie Que je vois mal Dans l’étoile des verres de toutes tailles qui la tient renversée en arrière Décolletée en coup de vent GUERRE. À Max Ernst. Je regarde la Bête pendant qu’elle se lèche Pour mieux se confondre avec tout ce qui l’entoure Ses yeux couleur de houle À l’improviste sont la mare tirant à elle le linge sale les détritus Celle qui arrête toujours l’homme La mare avec sa petite place de l’Opéra dans le ventre Car la phosphorescence est la clé des yeux de la Bête Qui se lèche Et sa langue Dardée on ne sait à l’avance jamais vers où Est un carrefour de fournaises D’en dessous je contemple son palais Fait de lampes dans des sacs Et sous la voûte bleu de roi D’arceaux dédorés en perspective l’un dans l’autre Pendant que court le souffle fait de la généralisation à l’infini de celui de ces misérables le torse nu qui se produisent sur la place publique avalant des torches à pétrole dans une aigre pluie de sous Les pustules de la Bête resplendissent de ces hécatombes de jeunes gens dont se gorge le Nombre Les flancs protégés par les miroitantes écailles que sont les armées Bombées dont chacune tourne à la perfection sur sa charnière Bien qu’elles dépendent les unes des autres non moins que les coqs qui s’insultent à l’aurore de fumier à fumier On touche au défaut de la conscience pourtant certains persistent à soutenir que le jour va naître La porte j’ai voulu dire la Bête se lèche sous l’aile Et l’on voit est-ce de rire se convulser des filous au fond d’une taverne Ce mirage dont on avait fait la bonté se raisonne C’est un gisement de mercure Cela pourrait bien se laper d’un seul coup J’ai cru que la Bête se tournait vers moi j’ai revu la saleté de l’éclair Qu’elle est blanche dans ses membranes dans le délié de ses bois de bouleaux où s’organise le guet Dans les cordages de ses vaisseaux à la proue desquels plonge une femme que les fatigues de l’amour ont parée d’un loup vert Fausse alerte la Bête garde ses griffes en couronne érectile autour des seins J’essaie de ne pas trop chanceler quand elle bouge la queue Qui est à la fois le carrosse biseauté et le coup de fouet Dans l’odeur suffocante de cicindèle De sa litière souillée de sang noir et d’or vers la lune elle aiguise une de ses cornes à l’arbre enthousiaste du grief En se lovant avec des langueurs effrayantes Flattée La Bête se lèche le sexe je n’ai rien dit MOT À MANTE I LA COURTE ÉCHELLE À Matta. Passe un nuagenouillé Devant les mots qui sont la lune (Les cornes de la girafenêtre) J’ai demandé un cafélin ... Non pas de croissantos-dumont Ce qui était espacétoine Se fait muscadenas Pour l’action toute neuve Voici le vitrier sur le volet Dans la langue totémique Mattatoucantharide Mattalismancenillier II LA PORTE BAT La por por porte por La fe nê tre Sur l’odeur amère du limurerre Qui me rappelle Milady de Winter Lissant son cheautru derrière les losanges de la pluie Brifrouse-bifrousses le plancher est si vieux Qu’à travers on voit le feu de la terre Toutes les belles à leur coumicouroir Comme les hirondelles Sur les fils où je joue dans les gouttes D’un instrument inconnu Oumyoblisoettiste Au coeur de ce noeud de serpents Qu’est la croix ses quatre gueules fuyantes suspendues aux pis cardinaux Novembre 1942 -janvier 1943. LES ÉTATS GÉNÉRAUX (1944) Dis ce qui est dessous parle Dis ce qui commence Et polis mes yeux qui accrochent à peine la lumière Comme un fourré que scrute un chasseur somnambule Polis mes yeux fais sauter cette capsule de marjolaine Qui sert à me tromper sur les espèces du jour Le jour si c’était lui Quand passe sur les campagnes l’heure de traire Descendrait-il si précipitamment ses degrés Pour s’humilier devant la verticale d’étincelles Qui saute de doigts en doigts entre les jeunes femmes des fermes toujours sorcières Polis mes yeux à ce fil superbe sans cesse renaissant de sa rupture Ne laisse que lui écarte ce qui est tavelé Y compris au loin la grande rosace des batailles Comme un filet qui s’égoutte sous le spasme des poissons du couchant Polis mes yeux polis-les à l’éclatante poussière de tout ce qu’ils ont vu Une épaule des boucles près d’un broc d’eau verte Le matin Dis ce qui est sous le matin sous le soir Que j’aie enfin l’aperçu topographique de ces poches extérieures aux éléments et aux règnes Dont le système enfreint la distribution naïve des êtres et des choses Et prodigue au grand jour le secret de leurs affinités De leur propension à s’éviter ou à s’étreindre À l’image de ces courants Qui se traversent sans se pénétrer sur les cartes maritimes Il est temps de mettre de côté les apparences individuelles d’autrefois Si promptes à s’anéantir dans une seule châtaigne de culs de mandrills D’où les hommes par légions prêts à donner leur vie Échangent un dernier regard avec les belles toutes ensemble Qu’emporte le pont d’hermine d’une cosse de fève Mais polis mes yeux À la lueur de toutes les enfances qui se mirent à la fois dans une amande Au plus profond de laquelle à des lieues et des lieues S’éveille un feu de forge Que rien n’inquiète l’oiseau qui chante entre les 8 De l’arbre des coups de fouet Il y aura D’où vient ce bruit de source Pourtant la clé n’est pas restée sur la porte Comment faire pour déplacer ces énormes pierres noires Ce jour-là je tremblerai de perdre une trace Dans un des quartiers brouillés de Lyon Une bouffée de menthe c’est quand j’allais avoir vingt ans Devant moi la route hypnotique avec une femme sombrement heureuse D’ailleurs les moeurs vont beaucoup changer Le grand interdit sera levé Une libellule on courra pour m’entendre en 1950 À cet embranchement Ce que j’ai connu de plus beau c’est le vertige Et chaque 25 mai en fin d’après-midi le vieux Delescluze Au masque auguste descend vers le Château-d’Eau On dirait qu’on bat des cartes de miroir dans l’ombre toujours Ah voilà le retomber d’ailes inclus déjà dans le lâcher D’emblée la voûte dans toute son horreur Le mot polie rouillée et poule mouillée Qui ronge le dessin de l’orgue de Barbarie Il n’est pas trop tôt qu’on commence à se garer À comprendre que le phénix Est fait d’éphémères Une des idées mendiantes qui m’inspirent le plus de compassion C’est qu’on croie pouvoir frapper de grief l’anachronisme Comme si sous le rapport causal à merci interchangeable Et à plus forte raison dans la quête de la liberté À rebours de l’opinion admise on n’était pas autorisé à tenir la mémoire Et tout ce qui se dépose de lourd avec elle Pour les sous-produits de l’imagination Comme si j’étais fondé le moins du monde À me croire moi d’une manière stable Alors qu’il suffit d’une goutte d’oubli ce n’est pas rare Pour qu’à l’instant où je me considère je vienne d’être tout autre et d’une autre goutte Pour que je me succède sous un aspect hors de conjecture Comme si même le risque avec son imposant appareil de tentations et de syncopes En dernière analyse n’était sujet à caution une pelle La cassure de la brique creuse sourit à la chaux vive L’air mêle les haleines des bouches les plus désirables La première fois qu’elles se sont abandonnées Et le mouvement de l’ouvrier est jeune c’est à croire Que le ressort du soleil n’a jamais servi Pleine de velléités d’essors tendue de frissons Une haie traverse la chambre d’amour À l’heure où les griffons quittent les échafaudages Montre montre encore Conjuguant leurs tourbillons Volcans et rapides De la taille d’une ville à celle d’un ongle Disposent de l’homme font jouer à plein ses jointures Dans la fusion mondiale des entreprises industrielles Et plus singulièrement obtiennent de lui Qu’il réprime jusqu’au cillement Au microscope Dans une tension héritée de l’affût primitif Lorsqu’il lui est donné en partage Non plus seulement de les subir mais de les déceler tout au fond de la vie Et le manoeuvre N’est pas moins grand que le savant aux yeux du poète L’énergie il ne s’agissait que de l’amener à l’état pur Pour tout rendre limpide Pour mettre aux pas humains des franges de sel Il suffisait que le peuple se conçût en tant que tout et le devînt Pour qu’il s’élève au sens de la dépendance universelle dans l’harmonie Et que la variation par toute la terre des couleurs de peau et des traits L’avertisse que le secret de son pouvoir Est dans le libre appel au génie autochtone de chacune des races En se tournant d’abord vers la race noire la race rouge Parce qu’elles ont été longtemps les plus offensées Pour que l’homme et la femme du plus près les yeux dans les yeux Elle n’accepte le joug lui ne lise sa perte Chantier qui tremble chantier qui bat de lumière première L’énigme est de ne pas savoir si l’on abat si l’on bâtit au vent Jersey Guernesey par temps sombre et illustre Restituent au flot deux coupes débordant de mélodie L’une dont le nom est sur toutes les lèvres L’autre qui n’a été en rien profanée Et celle-ci découvre un coin de tableau anodin familial Sous la lampe un adolescent fait la lecture à une dame âgée Mais quelle ferveur de part et d’autre quels transports en lui Pour peu qu’elle ait été l’amie de Fabre d’Olivet Et qu’il soit appelé à se parer du nom de Saint-Yves d’Alveydre Et le poulpe dans son repaire cristallin Le cède en volutes et en tintements À l’alphabet hébreu je sais ce qu’étaient les directions poétiques d’hier Elles ne valent plus pour aujourd’hui Les chansonnettes vont mourir de leur belle mort Je vous engage à vous couvrir avant de sortir Il vaudra mieux ne plus se contenter du brouet Mijoté en mesure dans les chambres clignotantes Pendant que la justice est rendue par trois quartiers de boeuf Une fois pour toutes la poésie doit resurgir des ruines Dans les atours et la gloire d’Esclarmonde Et revendiquer bien haut la part d’Esclarmonde Car il ne peut y avoir de paix pour l’âme d’Esclarmonde Dans nos coeurs et meurent les mots qui ne sont de bons rivets au sabot du cheval d’Esclarmonde Devant le précipice où l’edelweiss garde le souffle d’Esclarmonde La vision nocturne a été quelque chose il s’agit Maintenant de l’étendre du physique au moral Où son empire sera sans limites Les images m’ont plu c’était l’art À tort décrié de brûler la chandelle par les deux bouts Mais tout est bien plus de mèche les complicités sont autrement dramatiques et savantes Comme on verra je viens de voir un masque esquimau C’est une tête de renne grise sous la neige De conception réaliste à cela près qu’entre l’oreille et l’oeil droits s’embusque le chasseur minuscule et rose tel qu’il est censé apparaître à la bête dans le lointain Mais emmanchée de cèdre et d’un métal sans alliage La lame merveilleuse Découpée ondée sur un dos égyptien Dans le reflet du quatorzième siècle de notre ère L’exprimera seule Par une des figures animées du tarot des jours à venir La main dans l’acte de prendre en même temps que de lâcher Plus preste qu’au jeu de la mourre Et de l’amour dans les sables Il passe des tribus de nomades qui ne lèvent pas la tête Parmi lesquels je suis par rapport à tout ce que j’ai connu Ils sont masqués comme des praticiens qui opèrent Les anciens changeurs avec leurs femmes si particulières Quant à l’expression du regard j’ai vu plusieurs d’entre elles Avec trois siècles de retard errer aux abords de la Cité Ou bien ce sont les lumières de la Seine Les changeurs au moment d’écailler la dorade S’arrêtent parce que j’ai à changer beaucoup plus qu’eux Et les morts sont les oeufs qui reviennent prendre l’empreinte du nid Je ne suis pas comme tant de vivants qui prennent les devants pour revenir Je suis celui qui va On m’épargnera la croix sur ma tombe Et l’on me tournera vers l’étoile polaire Mais tout testament suppose une impardonnable concession Comme si dans le chaton de la bague qui me lie à la terre Ne résidait suprême la goutte de poison oriental Qui m’assure de la dissolution complète avec moi De cette terre telle que je l’ai pensée une échappée plus radicale Sinon plus orgueilleuse que celle à quoi nous convie le divin Sade Déléguant au gland à partir de lui héraldique Le soin de dissimuler le lieu de son dernier séjour Comme je me flatte dit-il Que ma mémoire s’effacera de l’esprit des hommes Pile ou face face la pièce nue libre de toute effigie de tout millésime Pile La pente insensible et pourtant irrésistible vers le mieux Il ne me reste plus qu’à tracer sur le sol la grande figure quadrilatère Au centre gauche l’ovale noir Parcouru de filaments incandescents tels qu’ils apparaissent avant que la lampe ne s’éteigne Quand on vient de couper le courant du secteur L’homme et ses problèmes Inscrit dans le contour ornemental d’une fleur de tabac Puis tour à tour Regardant chacun des côtés et disposées symétriquement par rapport aux axes Les quatre têtes rondes d’être quatre fois bandées Le pansement du front le loup noir le bâillon bleu la mentonnière jaune Les fentes des yeux et de la bouche sont noires En bas le passé il porte des cornes noires de taureau du bout desquelles plongent des plumes de corbeau Du sommet et de la base partent les fils lilas noisette de certains yeux À gauche le présent il porte des cornes blanches de taureau d’où retombent des plumes d’oie sauvage Il s’avive par places de mica comme la vie au parfum de ton nom qui est une mantille mais celle même dans l’immense vibration qui exalte l’homme-soleil et je baisse les yeux fasciné par cette partie déclive de ta lèvre où continuent à poindre les rois mages En haut l’avenir il porte des cornes jaunes de taureau dardant des plumes de flamant Il est surmonté d’un éclair de paille pour la transformation du monde À droite l’éternel il porte des cornes bleues de taureau à la pointe desquelles bouclent des plumes de manucode Un arc de brume glisse tangentiellement aux bords sud ouest et nord et s’ouvre sur deux éventails de martin-pêcheur cet arc enveloppe les trois premières têtes et laisse libre la quatrième gardée sur champ de pollen par une peau de condylure tendue au moyen d’épines de rosier C’est par là qu’on entre On entre on sort On entre on ne sort pas du rêve Mais la lumière revient Le plaisir de fumer L’araignée-fée de la cendre à points bleus et rouges N’est jamais contente de ses maisons de Mozart La blessure guérit tout s’ingénie à se faire reconnaître je parle et sous ton visage tourne le cône d’ombre qui du fond des mers a appelé les perles Les paupières les lèvres hument le jour L’arène se vide Un des oiseaux en s’envolant N’a eu garde d’oublier la paille et le fil À peine si un essaim a trouvé bon de patiner La flèche part Une étoile rien qu’une étoile perdue dans la fourrure de la nuit New York, octobre 1943. DES ÉPINGLES TREMBLANTES. LE BRISE-LAMES. Dans la lumière noyée qui baigne la savane, la statue bleutée de Joséphine de Beauharnais, perdue entre les hauts fûts de cocotiers, place la ville sous un signe féminin et tendre. Les seins jaillissent de la robe de merveilleuse à très haute taille et c'est le parler du Directoire qui s'attarde à rouler quelques pierres africaines pour composer le philtre de non-défense voluptueuse du balbutiement créole. C'est le Palais-Royal enseveli sous les ruines du vieux Fort-Royal (prononcez Fô-yal), le bruit des grandes batailles du monde - Marengo, Austerlitz contées galamment en trois lignes -ne pas ennuyer les dames -expire à ces genoux charmants entrouverts sous les riantes tuiles de la Pagerie. L’INSCRIPTION BI-AILÉE. Le long des rues bruissantes, les belles enseignes polychromes déteintes épuisent toutes les variétés de caractères romantiques. L’une d'elles un moment me tient sous le charme pervers des tableaux de l'époque négativiste de René Magritte. Mais ce que je contemple de loin est d'un Magritte extrêmement nuancé -avec la réalité en voie de rupture ou de conciliation? Qu’on se représente, de la taille d'un aigle, un papillon bleu ciel sur lequel se lit en lettres blanches le mot PIGEON. Au demeurant, un naturaliste de ce nom, simplement... FERRETS DE LA REINE NOIRE. À l’autre extrémité de l’archet, le marché aux poissons déroule ses fastes aux lueurs sidérales du diodon, du coffre et de toute la gamme, du jaune soufre au violet évêque par les plus hardies zébrures, les plus savants mouchetages, les plus capricieux glaçages, de vrais poissons-paradis ardents comme des gemmes. Ce qui confère à cette pauvre lucarne en plein ciel son trouble caractère, c’est aussi que viennent mourir à elle quelques étincelles du luxe et du feu des grandes profondeurs. Sous l’étal miroitant à l’infini, dans l’ombre s’amoncellent, gorgées de roses rouges et roses, les conques vides de lambis dans lesquelles fut sonnée la révolte noire très sanglante de 1848. LA PROVIDENCE TOURNE. Ailleurs, à l’échelle des saveurs, les étranges fruits éveillent toutes les surprises -auxquelles se mêlent savamment quelques déceptions -de l’inéprouvé. Sous sa robe oblongue hérissée, le corossol, mi-lampion mi-feuillage, livre sa chair de sorbet neigeux; près d’un puits le caïmite fait glisser au centre d’un automne fondant sa chaîne de pépins noirs; sans oublier cette figue de fard violine dans laquelle il est défendu de mordre: entre le palais et la langue toutes sortes de petits diables-couvreurs tisseraient aussitôt des fils de glu et tendraient les ardoises de la pire astringence. Et ces rois du verger tropical, que Giorgio de Chirico s’est plu à immobiliser en pleine puissance auprès de la tête de Jupiter. POUR MADAME SUZANNE CÉSAIRE. Puis les cloches de l’école essaiment aux quatre coins les petites Chabines rieuses, souvent plus claires de cheveux que de teint. On cherche, parmi les essences natives, de quel bois se chauffent ces belles chairs d’ombre prismée: cacaoyer, caféier, vanille dont les feuillages imprimés parent d’un mystère persistant le papier des sacs de café dans lequel va se blottir le désir inconnu de l’enfance. En vue de quel dosage ultime, de quel équilibre durable entre le jour et la nuit -comme on rêve de retenir la seconde exacte où, par temps très calme, le soleil en s’enfonçant dans la mer réalise le phénomène du « diamant vert » -cette recherche, au fond du creuset, de la beauté féminine ici bien plus souvent accomplie qu’ailleurs et qui ne m’est jamais apparue plus éclatante que dans un visage de cendre blanche et de braises? LA LANTERNE SOURDE. À Aimé Césaire, Georges Gratiant, René Ménil. Et les grandes orgues c’est la pluie comme elle tombe ici et se parfume: quelle gare pour l’arrivée en tous sens sur mille rails, pour la manoeuvre sur autant de plaques tournantes de ses express de verre! À toute heure elle charge de ses lances blanches et noires, des cuirasses volant en éclats de midi à ces armures anciennes faites des étoiles que je n’avais pas encore vues. Le grand jour de préparatifs qui peut précéder la nuit de Walpurgis au gouffre d’Absalon! J’y suis! Pour peu que la lumière se voile, toute l’eau du ciel pique aussitôt sa tente, d’où pendent les agrès de vertige et de l’eau encore s’égoutte à l’accorder des hauts instruments de cuivre vert. La pluie pose ses verres de lampe autour des bambous, aux bobèches de ces fleurs de vermeil agrippées aux branches par des suçoirs, autour desquelles il n’y a qu’une minute toutes les figures de la danse enseignées par deux papillons de sang. Alors tout se déploie au fond du bol à la façon des fleurs japonaises, puis une clairière s’entrouvre: l’héliotropisme y saute avec ses souliers à poulaine et ses ongles vrillés. Il prend tous les coeurs, relève d’une aigrette la sensitive et pâme la fougère dont la bouche ardente est la roue du temps. Mon oeil est une violette fermée au centre de l’ellipse, à la pointe du fouet. PORTEUSE SANS FARDEAU. Comme un esprit qui reviendrait à intervalles réguliers tant leur maintien est le même et n’appartient qu’à elles et tant elles semblent portées par le même rythme, des jeunes filles de couleur passent souvent seules et chacune est la seule à qui Baudelaire semble avoir pensé tant l’idée qu’il en donne est irremplaçable: Avec ses vêtements ondoyants et nacrés, Même quand elle marche on croirait qu’elle danse... De quelle nuit sans âge et sans poids cette messagère muette dont, au défi de toutes les cariatides, la cheville et le col lancent plutôt qu’elles ne soutiennent la construction totémique qui dans l’invisible se confond -en vue de quel triomphe? -avec le rêve d’un monument aux lois de l’imprégnation? LA CARTE DE L’ÎLE. La Jambette, Favorite, Trou-au-Chat, Pointe La Rose, Sémaphore de la Démarche, Pointe du Diable, Brin d’Amour, Passe du Sans-Souci, Piton Crève-Coeur, Île du Loup-Garou, Fénelon, Espérance, Anse Marine, Grand’-Rivière, Rivière Capot, Rivière Salée, Rivière Lézard, Rivière Blanche, Rivière La Mare, Rivière Madame, Les Abîmes, Ajoupa-Bouillon, Mont de la Plaine, Morne des Pétrifications, Morne d’Orange, Morne Mirail, Morne Rouge, Morne Folie, Morne Labelle, Morne Fumée. ANCIENNEMENT RUE DE LA LIBERTÉ. Le grand industriel noir exhibe une serviette en peau d’iguane blanche Dans les plaidoiries de vents chargés de fleurs Le léger catafalque de la créole Démesurément exhaussé d’autruches Fait eau de tous les reflets de la savane Pouvoir des pointes les lucioles m’ont traversé de part en part La nuit tropicale conjugue toutes les sonneries de l’entracte À jamais balancée de vases modem style et de parfums dans le flot de lave Je m’assure qu’une lampe de l’ancien Saint-Pierre fonctionne encore La vie intermittente est le crépitement d’un colibri vert Et prête-moi ton murmure marché marin Du comptoir de Bien bon beau À Allons nous cacher mes amis En compliments de l’autre siècle Surtout races prétendues ennemies décriées À ma faim épandez l’arbre aux mille greffes De la souche de celui qui parle seul Que j’ai tenu dès longtemps à réhabiliter en moi-même Ici les fontaines Wallace étourdies de lianes prennent un aspect mythologique Pour la beauté rien qu’à sa marche la reine passe sur l’autre bord Sa gorge du crépuscule clair des roses du Sénégal Sa main toute jeune joue le long des grilles du palais. Fort-de-France, mai 1941. XÉNOPHILES. (extraits.) (1948) LA MOINDRE RANÇON. Au pays d’Élisa. Toi qui ronges la plus odorante feuille de l’atlas Chili Chenille du papillon-lune Toi dont toute la structure épouse La tendre cicatrice de rupture de la lune avec la terre Chili des neiges Comme le drap qu’une belle rejette en se levant Dans un éclair le temps de découvrir De toute éternité ce qui me prédestine à toi Chili De la lune en septième maison dans mon thème astral Je vois la Vénus du Sud Naissant non plus de l’écume de la mer Mais d’un flot d’azurite à Chuquicamata Chili Des boucles d’oreilles araucanes en puits de lune Toi qui prêtes aux femmes les plus beaux yeux de brume Touchés d’une plume de condor Chili Du regard des Andes on ne saurait mieux dire Accorde l’orgue de mon coeur aux stridences des hauts voiliers de stalactites Vers le cap Horn Chili Debout sur un miroir Et rends-moi ce qu’elle est seule à tenir Le brin de mimosa encore frémissant dans l’ambre Chili de catéadores Terre de mes amours KORWAR. Tu tiens comme pas un Tu as été pris comme tu sortais de la vie Pour y rentrer Je ne sais pas si c’est dans un sens ou dans l’autre que tu ébranles la grille du parc Tu as relevé contre ton coeur l’herbe serpentine Et à jamais bouclé les paradisiers du ciel rauque Ton regard est extra-lucide Tu es assis Et nous aussi nous sommes assis Le crâne encore pour quelques jours Dans la cuvette de nos traits Tous nos actes sont devant nous À bout de bras Dans la vrille de la vigne de nos petits Tu nous la bailles belle sur l’existentialisme Tu n’es pas piqué des vers ULI. Pour sûr tu es un grand dieu Je t’ai vu de mes yeux comme nul autre Tu es encore couvert de terre et de sang tu viens de créer Tu es un vieux paysan qui ne sait rien Pour te remettre tu as mangé comme un cochon Tu es couvert de taches d’homme On voit que tu t’en es fourré jusqu’aux oreilles Tu n’entends plus Tu nous reluques d’un fond de coquillage Ta création te dit haut les mains et tu menaces encore Tu fais peur tu émerveilles DUKDUK. Le sang ne fait qu’un tour Quand le dukduk se déploie sur la péninsule de la Gazelle Et que la jungle s’entrouvre sur cent soleils levants Qui s’éparpillent en flamants À toutes vapeurs de l’ordalie Comme une locomotive de femmes nues Au sortir d’un tunnel de sanglots Là-haut cône Gare TIKI. Je t’aime à la face des mers Rouge comme l’oeuf quand il est vert Tu me transportes dans une clairière Douce aux mains comme une caille Tu m’appuies sur le ventre de la femme Comme contre un olivier de nacre Tu me donnes l’équilibre Tu me couches Par rapport au fait d’avoir vécu Avant et après Sous mes paupières de caoutchouc RANO RARAKU. Que c’est beau le monde La Grèce n’a jamais existé Ils ne passeront pas Mon cheval trouve son picotin dans le cratère Des hommes-oiseaux des nageurs courbes Volettent autour de ma tête car C’est moi aussi Qui suis là Aux trois-quarts enlisé Plaisantant des ethnologues Dans l’amicale nuit du Sud Ils ne passeront pas La plaine est immense Ceux qui s’avancent sont ridicules Les hautes images sont tombées OUBLIÉS. (1948) ÉCOUTE AU COQUILLAGE. Je n’avais pas commencé à te voir tu étais AUBE Rien n’était dévoilé Toutes les barques se berçaient sur le rivage Dénouant les faveurs (tu sais) de ces boîtes de dragées Roses et blanches entre lesquelles ambule une navette d’argent Et moi je t’ai nommée Aube en tremblant Dix ans après Je te retrouve dans la fleur tropicale Qui s’ouvre à minuit Un seul cristal de neige qui déborderait la coupe de tes deux mains On l’appelle à la Martinique la fleur du bal Elle et toi vous vous partagez le mystère de l’existence Le premier grain de rosée devançant de loin tous les autres follement irisé contenant tout Je vois ce qui m’est caché à tout jamais Quand tu dors dans la clairière de ton bras sous les papillons de tes cheveux Et quand tu renais du phénix de ta source Dans la menthe de la mémoire De la moire énigmatique de la ressemblance dans un miroir sans fond Tirant l’épingle de ce qu’on ne verra qu’une fois Dans mon coeur toutes les ailes du milkweed Frètent ce que tu me dis Tu portes une robe d’été que tu ne te connais pas Presque immatérielle elle est constellée en tous sens d’aimants en fer à cheval, d’un beau rouge minium à pieds bleus Sur mer, 1946. JE REVIENS. Mais enfin où sommes-nous Je lustre de deux doigts le poil de la vitre Un griffon de transparence passe la tête Au travers je ne reconnais pas le quartier Le soir tombe il est clair que nous allons depuis longtemps à l’aventure Doucement doucement voyons Et moi je vous dis qu’il y avait une plaque là à gauche Rue quoi Rue-où-peut-être-donné-le-droit-à-la-bonne-chère Et dix-sept cents francs au compteur c’est insensé Qu’attendez-vous pour consulter votre plan nom de Dieu Mais le chauffeur semble sortir d’un rêve La tête tournée à droite il lit à haute voix Rue-des-chères-bonnes-âmes Eh bien Ça ne lui fait ni chaud ni froid Bien mieux il parle de reprendre la course Il a déjà la main sur son drapeau Où allions-nous j’ai oublié Nous entrons dans un tabac vermoulu Il faut écarter d’épais rideaux de gaze grise Comme les bayahondes d’Haïti Au comptoir une femme nue ailée Verse le sang dans des verres d’éclipse Les étiquettes des bouteilles portent les mots Libres Pêcheurs Gondine on dirait de l’eau-de-vie de Dantzig Evita de Martines Et les boîtes de cigares flamboient d’images d’échauffourées La merveille au mur est un éventail à soupiraux Madame sommes-nous encore loin de Chorhyménée Mais la belle au buisson ardent se mire dans ses ongles Des joueurs au fond de la pièce abattent des falaises de vitraux Nous rebroussons La route est bordée de maisons toutes en construction Dont pointe le pistil et se déploient en lampe à arc les étamines SUR LA ROUTE DE SAN ROMANO La poésie se fait dans un lit comme l’amour Ses draps défaits sont l’aurore des choses La poésie se fait dans les bois Elle a l’espace qu’il lui faut Pas celui-ci mais l’autre que conditionnent L’oeil du milan La rosée sur une prêle Le souvenir d’une bouteille de Traminer embuée sur un plateau d’argent Une haute verge de tourmaline sur la mer Et la route de l’aventure mentale Qui monte à pic Une halte elle s’embroussaille aussitôt Cela ne se crie pas sur les toits Il est inconvenant de laisser la porte ouverte Ou d’appeler des témoins Les bancs de poissons les haies de mésanges Les rails à l’entrée d’une grande gare Les reflets des deux rives Les sillons dans le pain Les bulles du ruisseau Les jours du calendrier Le millepertuis L’acte d’amour et l’acte de poésie Sont incompatibles Avec la lecture du journal à haute voix Le sens du rayon de soleil La lueur bleue qui relie les coups de hache du bûcheron Le fil du cerf-volant en forme de coeur ou de nasse Le battement en mesure de la queue des castors La diligence de l’éclair Le jet de dragées du haut des vieilles marches L’avalanche La chambre aux prestiges Non messieurs ce n’est pas la huitième Chambre Ni les vapeurs de la chambrée un dimanche soir Les figures de danse exécutées en transparence au- dessus des mares La délimitation contre un mur d’un corps de femme au lancer de poignards Les volutes claires de la fumée Les boucles de tes cheveux La courbe de l’éponge des Philippines Les lacés du serpent corail L’entrée du lierre dans les ruines Elle a tout le temps devant elle L’étreinte poétique comme l’étreinte de chair Tant qu’elle dure Défend toute échappée sur la misère du monde ODE À CHARLES FOURIER En ce temps-là je ne te connaissais que de vue Je ne sais même plus comment tu es habillé Dans le genre neutre sans doute on ne fait pas mieux Mais on ne saurait trop complimenter les édiles De t’avoir fait surgir à la proue des boulevards extérieurs C’est ta place aux heures de fort tangage Quand la ville se soulève Et que de proche en proche la fureur de la mer gagne ces coteaux tout spirituels Dont la dernière treille porte les étoiles Ou plus souvent quand s’organise la grande battue nocturne du désir Dans une forêt dont tous les oiseaux sont de flammes Et aussi chaque fois qu’une pire rafale découvre à la carène Une plaie éblouissante qui est la criée aux sirènes Je ne pensais pas que tu étais à ton poste Et voilà qu’un petit matin de 1937 Tiens il y avait autour de cent ans que tu étais mort En passant j’ai aperçu un très frais bouquet de violettes à tes pieds Il est rare qu’on fleurisse les statues à Paris Je ne parle pas des chienneries destinées à mouvoir le troupeau Et la main qui s’est perdue vers toi d’un long sillage égare aussi ma mémoire Ce dut être une fine main gantée de femme On aimait s’en abriter pour regarder au loin Sans trop y prendre garde aux jours qui suivirent j’observai que le bouquet était renouvelé La rosée et lui ne faisaient qu’un Et toi rien ne t’eut fait détourner les yeux des boues diamantifères de la place Clichy Fourier es-tu toujours là Comme au temps où tu t’entêtais dans tes plis de bronze à faire dévier le train des baraques foraines Depuis qu’elles ont disparu c’est toi qui es incandescent Toi qui ne parlais que de lier vois tout s’est délié Et sens dessus dessous on a redescendu la côte Les lèvres entrouvertes des enfants boudant le sein des mères dénudées Et ces nacres d’épaules et ces fesses gardant leur duvet S’amalgament en un seul bloc compact et mat d’écume de mer Que saute un filet de sang Sur un autre plan Car les images les plus vives sont les plus fugaces La manche du temps hume la muscade Et fait saillir la manchette aveuglante de la vie Sur un autre plan D’aucuns se prennent à choyer dans les éboulis au bord des mares Des espèces qui paraissent en voie de s’encroûter définitivement Mais qui les circonstances aidant ne semblent pas incapables d’une nouvelle reptation Et passent pour nourrir volontiers leur vermine On répugne à trancher leurs oeufs sans coque Leur frai immémorial glisse sur la peur Tu les a connues aussi bien que moi Mais tu ne peux savoir comme elles sont sorties lissées et goulues de l’hivernage Tu pensais que sur terre la création d’essai qui avait nécessité des modèles carnassiers d’ample dimension n’avait pas résisté au premier déluge alors que précisais-tu une deuxième création sur l’Ancien Continent et une troisième en Amérique avaient trouvé grâce devant un second déluge de sorte que l’homme qui en était issu pouvait attendre de pied ferme et même qu’il lui appartenait de précipiter à son avantage les créations 4, 5, etc. Dieu de la progression pardonne-moi c’est toujours le même mobilier On n’est pas mieux pourvu sous le rapport des contre-moules antirat et antipunaise Par ma foi les grands hagards de la faune préhistorique Ne sont pas si loin ils gouvernent la conception de l’univers Et prêtent leur peau halitueuse aux ouvrages des hommes Pour savoir comme aujourd’hui le commun des mortels prend son sort Tâche de surprendre le regard du lamantin Qui se prélasse au zoo dans sa baignoire d’eau tiède Il t’en dira long sur la vigueur des idéaux Et te donnera la mesure de l’effort qui a été fourni Dans la voie de l’industrie attrayante Par la même occasion Tu ne manqueras pas de t’enquérir des charognards Et tu verras s’ils ont perdu de leur superbe Le rideau jumeau soulevé Tu seras admis à contempler dans son sacre Une main de sang empreinte à l’endroit du coeur sur son tablier impeccable le boucher-soleil Se donnant le ballet de ses crochets nickelés Pendant que les cynocéphales de l’épicerie Comblés d’égards en ces jours de disette et de marché noir À ton approche feront miroiter leur côté luxueux Parmi les mesures que tu préconisais pour rétablir l’équilibre de population (Nombre de consommateurs proportionné aux forces productives) Il est clair qu’on ne s’en est pas remis au régime gastrosophique Dont l’établissement devait aller de pair avec la légalisation des moeurs phanérogames On a préféré la bonne vieille méthode Qui consiste à pratiquer des coupes sombres dans la multitude fantôme Sous l’anesthésique à toute épreuve des drapeaux Fourier il est par trop sombre de les voir émerger d’un des pires cloaques de l’histoire Épris du dédale qui y ramène Impatients de recommencer pour mieux sauter Sur la brèche Au premier défaut du cyclone Savoir qui reste la lampe au chapeau La main ferme à la rampe du wagonnet suspendu Lancé dans le poussier sublime Comme toi Fourier Toi tout debout parmi les grands visionnaires Qui crus avoir raison de la routine et du malheur Ou encore comme toi dans la pose immortelle Du Tireur d’épine On a beau dire que tu t’es fait de graves illusions Sur les chances de résoudre le litige à l’amiable À toi le roseau d’Orphée D’autres vinrent qui n’étaient plus armés seulement de persuasion Ils menaient le bélier qui allait grandir Jusqu’à pouvoir se retourner de l’orient à l’occident Et si la violence nichait entre ses cornes Tout le printemps s’ouvrait au fond de ses yeux Tour à tour l’existence de cette bête fabuleuse m’exalte et me trouble Quand elle a donné de la tête le monde a tremblé il y a eu d’immenses clairières Qui par places ont été reprises de brousse Maintenant elle saigne et elle paît Je ne vois pas le pâtre omnitone qui devrait en avoir la garde Pourvu qu’elle reste assez vaillante pour aller au bout de son exploit On tremble qu’elle ne se soit contaminée dès longtemps près des marais Sous la superbe Toison si sournoisement allaient s’élaborer des poisons Le drame est qu’on ne peut répondre de ces êtres de très grandes proportions qu’il advient au génie de mettre en marche et qui livrés à leurs propres ressources n’ont que trop tendance à s’orienter vers le néfaste à plus forte raison si le recours à un néfaste partiel et envisagé comme transitoire à l’effet même de réduire dans la suite le néfaste entre dans les intentions dont ils sont pétris Sans prix À mes yeux et toujours exemplaire reste le premier bond accompli dans le sens de l’ajustement de structure Et pourtant quelle erreur d’aiguillage a pu être commise rien n’annonce le règne de l’harmonie Non seulement Crésus et Lucullus Que tu appelais à rivaliser aux sous-groupes des tentes de la renoncule Ont toujours contre eux Spartacus Mais en regardant d’arrière en avant on a l’impression que les parcours de bonheur sont de plus en plus clairsemés Indigence fourberie oppression carnage ce sont toujours les mêmes maux dont tu as marqué la civilisation au fer rouge Fourier on s’est moqué mais il faudra bien qu’on tâte un jour bon gré mal gré de ton remède Quitte à faire subir à l’ordonnance de ta main telles corrections d’angle À commencer par la réparation d’honneur Due au peuple juif Et laissant hors de débat que sans distinction de confession la libre rapine parée du nom de commerce ne saurait être réhabilitée Roi de passion une erreur d’optique n’est pas pour altérer la netteté ou réduire l’envergure de ton regard Le calendrier à ton mur a pris toutes les couleurs du spectre Je sais comme sans arrière-pensée tu aimerais Tout ce qu’il y a de nouveau Dans l’eau Qui passe sous le pont Mais pour mettre ordre à ces dernières acquisitions et qui sait par impossible se les rendre propices Ton vieux bahut en coeur de chêne est toujours bon Tout tient sinon se plaît dans ses douze tiroirs I ÉTAT DES RESSORTS SENSUELS. 1° LE TACT: a) sur le plan des faits tangibles -hiver d’une rigueur jusqu’alors inconnue en Europe (destruction des foyers, pénurie de vêtements, abaissement calorique dû à la sous- alimentation), b) dans le domaine des idées -« expliquer c’est identifier » (tu l’avais mieux dit) mais expliquer = rechercher la vraie réalité. Or, plus on traque de près cette réalité, plus elle se dérobe. L’école: « L’effort réaliste en quête de l’authentique nature physique aboutit en fin de compte à un immatérialisme. » 2° LA VUE: a) vers l’extérieur -elle est déchirée de toutes parts (les camps de concentration, les bombardements massifs l’ont tenue à l’extrême limite du supportable); b) vers l’intérieur - elle venait de se découvrir tout un nouveau continent dont l’exploration se poursuivra (grands repères déjà pris en psychopathie et en art). 3° L’OUÏE: obstruée systématiquement par le caquetage le plus éhonté et le plus nocif de tous les temps (radiophonie). La note poétique en plein discord poste du mont Everest. 4° LE GOÛT: a) langue et palais -rétrogradation de la gastronomie cabalistique au-delà de l’enfance de la terre par retrait pur et simple de tous les comestibles qui n’étaient pas réservés au bétail. Premier accès de convoitise à l’apparition de la conserve américaine qui sauvegarde du moins la belle apparence du petit pois; b) au sens de discernement du beau - passons. 5° L’ODORAT: On n’a pas surpassé les parfums de Paris. II ÉTAT DES RESSORTS AFFECTUEUX. 6° L’AMITIÉ: En croissante et presque complète aliénation d’elle- même. Une des malédictions d’aujourd’hui: qu’aux plus rares affinités, aux accords initiaux les plus vastes sur lesquels se fonde l’amitié entre deux êtres succède au moindre frottement comme par renversement de signe un antagonisme sans appel qui les porte aux mouvements les plus contradictoires et dans les cas de plus vive rancoeur va jusqu’à fausser le témoignage de leur vie (maladie à étudier: elle affecte d’autant plus la collectivité qu’elle frappe de préférence des individus placés en vedette). 7° L’AMOUR: Je ne m’explique pas ce qui t’a fait occulter ici le Grand Brillant et nous tendre une perle baroque mais l’attraction passionnée ou révélation sociale permanente n’en est pas moins la projection enthousiaste de ce Brillant dans toutes les autres sphères. Vérité embryonnaire en philosophie moderne: « Celui qui n’aime que l’humanité n’aime pas mais bien celui qui aime tel être humain déterminé » (c’est au plus haut période de l’amour électif pour tel être que s’ouvrent toutes grandes les écluses de l’amour pour l’humanité non certes telle qu’elle est mais telle qu’on se prend à vouloir activement qu’elle devienne). Accorder sans autre chicane au même auteur que « c’est dans le fait d’être soi-même de la façon la plus décisive que prend racine notre amour le plus pur pour la nature ». 8° L’AMBITION: Babiolisme -la tombola-infernale de la guerre a eu pour effet dérisoire de combler les adultes des satisfactions que tu proposais d’accorder à un enfant de trois ans, haut lutin -il aurait déjà pour le moins une vingtaine de dignités et décorations, comme celles de: Licencié au groupe des allumettes, Bachelier au groupe d’égoussage, Néophyte au groupe du réséda, etc..., etc... avec ornements distinctifs de toutes ces fonctions (certaines prétentions non moins puériles mais plus inquiétantes n’impliquant pas aujourd’hui le port extérieur de rubans). 9° LA FAMILLE: Lieu actuel de culmination du système deux poids deux mesures: fils à papa et enfants perdus. Dans l’oeil vacillant du serf l’aplomb du château féodal. La famille ressort d’aparté, de piétinement, d’égoïsme, de vanité, de division, d’hypocrisie et de mensonge tel que le sanctionne le scandale persistant et sans égal de l’héritage. III ÉTAT DES PASSIONS MÉCANISANTES. 10° LA CABALISTE: Vient d’être assujettie en masse aux cadres les plus contraires à sa raison d’être, aussi désadaptée que possible du besoin de consommation, de préparation et de production qui peut la motiver. L’esprit du lendemain ne hasarde pas plus de trois poils de moustache hors du terrier. Maigre feu d’artifice. Haute feuille d’acanthe de l’ornière. 11° LA COMPOSITE: À peine moins rétive à se reconnaître. Encore sous le coup de l’invitation peu déclinable à penser sur commande, tout au moins à se mouvoir par rangs arbitraires, aux creux impalpables. Tout à retrouver, à rapporter au réseau de la solidarité humaine. 12° LA PAPILLONNE: Cri du sphinx Atropos. Travail à la chaîne. Fourier qu’a-t-on fait de ton clavier Qui répondait à tout par un accord Réglant au cours des étoiles jusqu’au grand écart du plus fier trois-mâts depuis les entrechats de la plus petite barque sur la mer Tu as embrassé l’unité tu l’as montrée non comme perdue mais comme intégralement réalisable Et si tu as nommé « Dieu » ç’a été pour inférer que ce dieu tombait sous le sens (Son corps est le feu) Mais ce qui me débuche à jamais la pensée socialiste C’est que tu aies éprouvé le besoin de différencier au moins en quadruple forme la virgule Et de faire passer la clé de sol de seconde en première ligne dans la notation musicale Parce que c’est le monde entier qui doit être non seulement retourné mais de toutes parts aiguillonné dans ses conventions Qu’il n’est pas une manette à quoi se fier une fois pour toutes Comme pas un lieu commun dogmatique qui ne chancelle devant le doute et l’exigence ingénus Parce que le « Voile d’airain » a survécu à l’accroc que tu lui as fait Qu’il couvre de plus belle la cécité scientifique « Personne n’a jamais vu de molécule, ni d’atome, ni de lien atomique et sans doute ne les verra jamais » (Philosophe). Prompt démenti: entre en se dandinant la molécule du caoutchouc Un savant bien que muni de lunettes noires perd la vue pour avoir assisté à plusieurs milles de distance aux premiers essais de la bombe atomique (Les journaux) Fourier je te salue du Grand Canon du Colorado Je vois l’aigle qui s’échappe de ta tête Il tient dans ses serres le mouton de Panurge Et le vent du souvenir et de l’avenir Dans les plumes de ses ailes fait passer les visages de mes amis Parmi lesquels nombreux ceux qui n’ont plus ou n’ont pas encore de visage Parce que persistent on ne peut plus vainement à s’opposer les rétrogrades conscients et tant d’apôtres du progrès social en fait farouchement immobilistes que tu mettais dans le même sac Je te salue de la Forêt Pétrifiée de la culture humaine Où plus rien n’est debout Mais où rôdent de grandes lueurs tournoyantes Qui appellent la délivrance du feuillage et de l’oiseau De tes doigts part la sève des arbres en fleurs Parce que disposant de la pierre philosophale Tu n’as écouté que ton premier mouvement qui était de la tendre aux hommes Mais entre eux et toi nul intercesseur Pas un jour qu’avec confiance tu ne l’attendisses pendant une heure dans les jardins du Palais-Royal Les attractions sont proportionnelles aux destinées En foi de quoi je viens aujourd’hui vers toi Je te salue du Névada des chercheurs d’or De la terre promise et tenue À la terre en veine de promesses plus hautes qu’elle doit tenir encore Du fond de la mine d’azurite qui mire le plus beau ciel Pour toujours par delà cette enseigne de bar qui continue à battre la rue d’une ville morte - Virginia-City -« Au vieux baquet de sang » Parce que se perd de plus en plus le sens de la fête Que les plus vertigineux autostrades ne laissent pas de nous faire regretter ton trottoir à zèbres Que l’Europe prête à voler en poudre n’a trouvé rien de plus expédient que de prendre des mesures de défense contre les confetti Et que parmi les exercices chorégraphiques que tu suggérais de multiplier Il serait peut-être temps d’omettre ceux du fusil et de l’encensoir Je te salue de l’instant où viennent de prendre fin les danses indiennes Au coeur de l’orage Et les participants se groupent en amande autour des brasiers à la prenante odeur de pin-pignon contre la pluie bien aimée Une amande qui est une opale Exaltant au possible ses feux rouges dans la nuit Parce que tu as compris que l’état surcomposé ou supra- mondain de l’âme (qu’il ne s’agit plus de reporter à l’autre monde mais de promouvoir dans celui-ci) devait entretenir des relations plus étroites avec l’état simple ou infra-mondain, le sommeil, qu’avec l’état composé ou mondain, la veille, qui leur est intermédiaire Je te salue de la croisée des chemins en signe de preuve et de la trajectoire toujours en puissance de cette flèche précieusement recueillie à mes pieds: « Il n’y a pas de séparation, d’hétérogénéité entre le surnaturel et le naturel (le réel et le surréel). Aucun hiatus. C’est un « continuum », on croit entendre André Breton: c’est un ethnographe qui nous parle au nom des Indiens Soulteaux » Parce que si le serpent à sonnettes était une de tes bêtes noires du moins tu n’as pas douté que les passions sans en excepter celles que la morale fait passer pour les plus indignes égarements de l’esprit et des sens constituent un cryptogramme indivisible que l’homme est appelé à déchiffrer Et que tenant pour hors de question que la nature et l’âme humaine répondent au même modèle Dare-dare tu t’es mis en quête de repères dans le potager Je te salue du bas de l’échelle qui plonge en grand mystère dans la kiwa hopi la chambre souterraine et sacrée ce 22 août 1945 à Mishongnovi à l’heure où les serpents d’un noeud ultime marquent qu’ils sont prêts à opérer leur conjonction avec la bouche humaine Du fond du pacte millénaire qui dans l’angoisse a pour objet de maintenir l’intégrité du verbe Des plus lointaines ondes de l’écho qu’éveille le pied frappant impérieusement le sol pour sceller l’alliance avec les puissances qui font lever la graine Fourier tranchant sur la grisaille des idées et des aspirations d’aujourd’hui ta lumière Filtrant la soif de mieux-être et la maintenant à l’abri de tout ce qui pourrait la rendre moins pure quand bien même et c’est le cas je tiendrais pour avéré que l’amélioration du sort humain ne s’opère que très lentement par à coups au prix de revendications terre à terre et de froids calculs le vrai levier n’en demeure pas moins la croyance irraisonnée à l’acheminement vers un futur édénique et après tout c’est elle aussi le seul levain des générations ta jeunesse « Si la série des cerisistes est en nombreuse réunion à son grand verger, à un quart de lieue du phalanstère, il convient que, dans la séance de quatre à six heures du soir, elle voie se réunir avec elle et à son voisinage; 1° Une cohorte de la phalange voisine et des deux sexes, venue pour aider aux cerisistes; 2° Un groupe de dames fleuristes du canton, venant cultiver une ligne de cent toises de Mauves et Dahlias qui forment perspective pour la route voisine, et bordure en équerre pour un champ de légumes contigu au verger; 3° Un groupe de la Série des légumistes, venu pour cultiver les légumes de ce champ; 4° Un groupe de la Série des mille fleurs, venu pour la culture d’un autel de secte, placé entre le champ de légumes et le verger de cerisiers; 5° Un groupe de jouvencelles fraisistes, arrivant à la fin de la séance, et sortant de cultiver une clairière garnie de fraisiers dans la forêt voisine; À cinq heures trois quarts, des fourgons suspendus partis du phalanstère amènent le goûté pour tous ces groupes: il est servi dans le castel des cerisistes, de cinq heures trois quarts à six un quart, ensuite les groupes se dispersent après avoir formé des liens amicaux et négocié des réunions industrielles ou autres pour les jours suivants » Pointant sur champ d’étoiles la main hardiment portée vers la ruche où la reine Herschel rassemble ses satellites connus et non encore découverts en haine irréductible de la frustration en tous genres qui découvre à la honte des sociétés les plus arrogantes le visage noirci d’un enfant près d’un four d’usine et s’abîme dans la douceur des coups frappés par l’horloge de Pol de Limbourg ton tact suprême dans la démesure Au grand scandale des uns sous l’oeil à peine moins sévère des autres soulevant son poids d’ailes ta liberté Les lacés du serpent corail L’entrée du lierre dans les ruines Elle a tout le temps devant elle L’étreinte poétique comme l’étreinte de chair Tant qu’elle dure Défend toute échappée sur la misère du monde 1948. CONSTELLATIONS. LE LEVER DU SOLEIL. Il était dit que le jeu de mains devait mal finir. C’en est fait, une bonne fois le canut et le gnaf ont réglé leur compte; on en est quitte pour une tourbe à ne pas démêler la soie du chégros. Voilà pour le spectacle extérieur: il a pris fin sur les hauts cris du petit monde que les mères entraînent et rassurent. Mais l’enfant décidément oublié à son banc bien après l’heure est seul à pouvoir montrer, dans le gland du rideau qu’attisent les spasmes de la veilleuse, la patte héraldique haut levée du tout jeune lion qui s’avance et qui joue. L’ÉCHELLE DE L’ÉVASION. Tout est encore froncé comme un bouton de coquelicot mais l’air baille de chausse-trapes. Il n’est que de mettre le nez dehors pour évoluer entre des boîtes à surprise de toutes tailles d’où ne demande qu’à jaillir de son corps d’annelé la tête de Pierre-le-Hérissé devenu adulte épandant sa barbe de braise. Nantis au grand complet de leur attirail, les ramoneurs échangent leurs plus longs « Ooooh-Ooooh » par le tuyau de la cheminée. PERSONNAGES DANS LA NUIT GUIDÉS PAR LES TRACES PHOSPHORESCENTES DES ESCARGOTS. Rares sont ceux qui ont éprouvé le besoin d’une aide semblable en plein jour, -ce plein jour où le commun des mortels a l’aimable prétention de voir clair. Ils s’appellent Gérard, Xavier, Arthur... ceux qui ont su qu’au regard de ce qui serait à atteindre les chemins tracés, si fiers de leurs poteaux indicateurs et ne laissant rien à désirer sous le rapport du bien tangible appui du pied, ne mènent strictement nulle part. Je dis que les autres, qui se flattent d’avoir les yeux grands ouverts, sont à leur insu perdus dans un bois. À l’éveil, le tout serait de refuser à la fallacieuse clarté le sacrifice de cette lueur de labradorite qui nous dérobe trop vite et si vainement les prémonitions et les incitations du rêve de la nuit quand elle est tout ce que nous avons en propre pour nous diriger sans coup férir dans le dédale de la rue. FEMMES SUR LA PLAGE. Le sable dit au liège: « Comme le lit de sa plus belle nuit je moule ses formes qui suspendent en leur centre la navette de la mer. Je la flatte comme un chat, à la démembrer vers tous ses pôles. Je la tourne vers l’ambre, d’où fusent en tous sens les Broadways électriques. Je la prends comme la balle au bond, je l’étends sur un fil, j’évapore jusqu’à la dernière bulle ses lingeries et, de ses membres jetés, je lui fais faire la roue de la seule ivresse d’être. » Et le liège dit au sable: « Je suis la palette de son grain, je creuse le même vertige à la caresse. Je l’abîme et je la sublime, ainsi les yeux mi-clos jusqu’à l’effigie de la déité immémoriale au long du sillage des pierres levées et je vaux ce que pour son amant, la première fois qu’elle s’abandonne, elle pèse dans ses bras. » FEMME À LA BLONDE AISSELLE COIFFANT SA CHEVELURE À LA LUEUR DES ÉTOILES. Qu’y a-t-il entre cette cavité sans profondeur tant la pente en est douce à croire que c’est sur elle que s’est moulé le baiser, qu’y a-t-il entre elle et cette savane déroulant imperturbablement au-dessus de nous ses sphères de lucioles? Qui sait, peut-être le reflet des ramures du cerf dans l’eau troublée qu’il va boire parmi les tournoiements en nappes du pollen et l’amant luge tout doucement vers l’extase. Que sous le pouvoir du peigne cette masse fluide, mûrement brassée de sarrasin et d’avoine, tout au long épinglée de décharges électriques, n’est pas plus confondant dans sa chute le torrent qui bondit couleur de rouille à chaque détour du parc du château de Fougères aux treize tours par la grâce du geste qui découvre et recouvre le nid sournoisement tramé des vrilles de la clématite. L’ÉTOILE MATINALE. Elle dit au berger: « Approche. C’est moi qui t’attirais enfant vers ces caves profondes où la mer en se retirant gare les oeufs des tempêtes que lustre le varech, aux myriades de paupières baissées. Seulement à la lumière frisante, comme on met la main sur les superbes fossiles au long de la route qui se cherche dans la montagne dynamitée, tu brûlais de voir jaillir l’arête d’un coffre de très ancien ouvrage qui contînt (ce n’est même pas la peine de le forcer) tout ce qui peut ruisseler d’aveuglant au monde. Je te le donne parce que c’est toi comme chaque jour pour que tes sillons grisollent et que, plus flattée qu’aucune, ta compagne sourie en te retrouvant. » PERSONNAGE BLESSÉ. L’homme tourne toute la vie autour d’un petit bois cadenassé dont il ne distingue que les fûts noirs d’où s’élève une vapeur rose. Les souvenirs de l’enfance lui font à la dérobée croiser la vieille femme que la toute première fois il en a vu sortir avec un très mince fagot d’épines incandescentes. (Il avait été fasciné en même temps qu’il s’était entendu crier, puis ses larmes par enchantement s’étaient taries au scintillement du bandeau de lin qu’aujourd’hui il retrouve dénoué dans le ciel.) Cette lointaine initiation le penche malgré lui sur le fil des poignards et lui fait obsessionnellement caresser cette balle d’argent que le comte Potocki passe pour avoir polie des saisons durant à dessein de se la loger dans la tête. Sans savoir comment il a bien pu y pénétrer, à tout moment l’homme peut s’éveiller à l’intérieur du bois en douce chute libre d’ascenseur au Palais des Mirages entre les arbres éclairés du dedans dont vainement il tentera d’écarter de lui une feuille cramoisie. FEMME ET OISEAU. Le chat rêve et ronronne dans la lutherie brune. Il scrute le fond de l’ébène et de biais lape à distance le tout vif acajou. C’est l’heure où le sphinx de la garance détend par milliers sa trompe autour de la fontaine de Vaucluse et où partout la femme n’est plus qu’un calice débordant de voyelles en liaison avec le magnolia inimitable de la nuit. FEMME DANS LA NUIT. À dix heures du soir toutes les femmes en une courent au rendez-vous en rase campagne, sur mer, dans les villes. C’est elle qui fait la vole des cartons de la fête et des tamis de rosée dans les bois. Par-dessus les toits la reine des cormorans, le point de guêpe au niveau du sablier, fait tinter de son bec le sac des présages fermé giclant entre les promesses. « Mir Bernat, dit Sifre adossé au rempart de Carcassonne, d’une dame j’ai la moitié, mais je n’ai pas bien pu décider s’il me vaut mieux le bas ou le haut. » Rien ne résonne encore plus loin dans les folies, les gares, les hôtels. Une vie protoplasmique profuse se taille dans la Voie lactée, à hauteur de soupir, une amande qui germe. Du ciel de la journée reste un nid d’accenteur. DANSEUSES ACROBATES. Parlez-moi de ces femmes dont la double huppe de coq de roche déploie à volonté l’arc semi-circulaire qui relie leurs narines à leurs talons, leur nuque à leur pubis et qui dans un bruit sourd toujours déchirant choisissent de s’abîmer en étoile à même la terre. L’écuyère dérive sur son patin de soie, c’est la plume au vent et son cheval n’a laissé qu’un fer étincelant dans le ciel. Corsetée de mousse, en maillot de lumière, l’exquise Marie Spelterini s’avance sur un fil au- dessus du Niagara. Rien non plus en esprit ne se gouvernera sans le trait d’éperdu à l’expiration duquel le plus haut période d’assouplissement commande l’abandon au radar qui aiguille infailliblement les rencontres et, le doute au rebut, de tropisme en giration, doit toujours permettre de ressaisir par la main. LE CHANT DU ROSSIGNOL À MINUIT. ET LA PLUIE MATINALE. La clé de sol enjambe la lune. Le criocère sertit la pointe de l’épée du sacre. Un voilier porté par les alizés s’ouvre une passe dans les bois. Et les douze gouttes du philtre s’extravasent en un flot de sève qui emparadise les coeurs et feint de dégager cette merveille (on ne peut que l’entrevoir) qui, du côté bonheur, ferait contrepoids au sanglot. Les chères vieilles croches tout embrasées reposent le couvercle de leur marmite. LE 13 L’ÉCHELLE. A FRÔLÉ LE FIRMAMENT. Celle qu’aima l’Amour, on sait que, pour avoir voulu le voir en l’éclairant d’une lampe alors qu’il dormait, elle le mit en fuite en lui laissant tomber sur la main une goutte d’huile enflammée. Il lui est dit qu’elle ne le retrouvera que tout en haut de la Tour dont l’escalier commence comme celui de l’Hôtel de la Reine Blanche à Paris mais se rompt et se hérisse de toujours plus d’obstacles en s’élevant labyrinthe vertical en coupe de murex tombé en ruines. On la voit sans souffle atteindre le sommet, sa gaze plus lacérée et plus lucide qu’une nuit d’été. Hélas, le dieu n’y est pas et les tentations d’en bas, innombrables joueuses de tympanon à tête de courtilière, y vont de leur ronde pour lui pomper le coeur: chérie, c’en sera fait, tu ne sentiras plus rien. C’est alors, mais seulement alors, que dans l’inouï s’assure et à toute volée retentit la voix de la Tour: « Les yeux fermés redescends par où tu es venue. Tu ne t’arrêteras pas au niveau du sol. C’est quand à nouveau tu seras parvenue ici en reflet que te sera révélé l’équilibre des forces et que tu poseras le doigt sur le coffret de parfums. » LA POÉTESSE. La Belle Cordière de nos jours retrouve sa mission, qui est de faire grésiller le sel de la terre. Elle mire l’instant où le soleil doit devenir « noir comme un sac fait de poil » et le vent joncher la terre de figues vertes. C’est, il semble, amorcé, quoique la lune persiste à répandre l’odeur de seringa. Les jeux de l’amour et de la mort se poursuivent sous le péristyle dans des détonations d’armes à feu. Des taillis où couve une chanson ensorcelante perce par éclairs et ondule la pointe du sein de la belladone. Lamiel, le tison aux doigts, s’apprête à incendier le Palais de Justice. LE RÉVEIL AU PETIT JOUR. À tire-d’aile s’éloigne le bonnet de la meunière et voilà qu’il survole le clocher, repoussant les cerfs-volants de la nuit, comme les autres en forme de coeurs et de cages. La charrue à tête d’alouette le contemple de l’herbe grasse. Au diapason de tout ce qui s’étire au-dehors, une dernière flamme se cambre au centre du lit frais défait. En contrepoint, dans le murmure qui s’amplifie s’essore une barcarolle dont jaillit tintinnabulant notre grand ami Obéron, qui règne sur le cresson de fontaine. Chut! Sans plus bouger il nous convie à entendre le beau Huon frapper à la fois aux Cent Portes. En effet le cor magique brame en chandelier dans le lointain. Le sang coulera mais il ne sera pas dit que le Chevalier manque à nous rapporter les quatre molaires et les moustaches au prix desquelles est Esclarmonde et s’accomplit le sacrifice quotidien. VERS L’ARC-EN-CIEL. « 22, 23, 24... » D’un froment plus fondant que la neige la rose monstre du saut à la corde s’évase dans la chère cour grise quitte enfin de ses fenêtres piaillantes. D’entre les volutes de la fleur sableuse s’élance un coeur d’enfant toujours plus haut jusqu’à se détacher en diabolo vers le fuchsia de la mansarde. « 38, 39, 40... » Le leurre passe avec la muleta du sang qui bout et, dans l’éblouissant, la manche de vers luisants seule fuse de la garde insensible à force de prestesse. Tandis que, du chaudron immémorial d’où sa chevelure se soulève par saccades à flots d’ailes de corbeau, s’exhale le haut fumet des esquives et des feintes, Concha épelle jusques et y compris le mot défaillir l’alphabet de l’amour. FEMMES ENCERCLÉES. PAR LE VOL D’UN OISEAU. « Il est sur mon talon, il en veut à chacune de mes boucles, il me traite comme un violon qu’on accorde, il m’oublie dans son labyrinthe où tourne l’agate oeillée! -Où ai-je déjà vu cette plume en fronde de capillaire filer vermeille dans l’éclair d’un fleuret? -Tous les soirs que fait l’engoulevent, il regagne, moi en croupe, son poste d’aiguilleur, d’où il a la haute main sur les cônes, trompes, lanternes, balises, pavillons et flammes. » FEMMES AU BORD D’UN LAC À LA SURFACE IRISÉE PAR LE PASSAGE D’UN CYGNE. Leur rêverie se veloute de la chair d’une pensée proportionnée aux dimensions de l’oeil cyclopéen qu’ouvrent les lacs et dont la fixité fascina qui devait se faire le terrible héraut du Retour Éternel. Le beau sillage partant du coeur innerve les trois pétales de base de l’immense fleur qui vogue se consumant sans fin pour renaître dans une flambée de vitraux. Ce sont les oratoires sous-jacents, plus que profanes, où se retirent les belles, chacune dans son secret. Elles s’y rendent en tapis volant, sur le merveilleux nuage d’inconnaissance. C’est là que la vapeur des alambics fait ruche et que le bras, qui reflète à s’y méprendre le col de cygne, pointe tout distraitement sur l’angle du miel. Plus, entre les mots, la moindre brise: le luxe est dans la volupté. -Toute femme est la Dame du Lac. L’OISEAU MIGRATEUR. Sur les murs des petits bourgs, des hameaux perdus, ces beaux signes à la craie, au charbon, c’est l’alphabet des vagabonds qui se déroule: un quignon de pain, peut-être un verre à trois maisons après la forge; château: gare au molosse qui peut sauter la haie. Ailleurs le petit homme nu, qui tient la clé des rébus, est toujours assis sur sa pierre. À qui veut l’entendre, mais c’est si rare, il enseigne la langue des oiseaux: « Qui rencontre cette vérité de lettres, de mots et de suite ne peut jamais, en s’exprimant, tomber au- dessous de sa conception. » Sous les ponts de Paris, le fleuve monnaye, entre autres méreaux, le souvenir des priapées au temps où le chef des jongleurs levait tribut sur chaque folle femme. Et chacun de nous passe et repasse, traquant inlassablement sa chimère, la tête en calebasse au bout de son bourdon. CHIFFRES ET CONSTELLATIONS. AMOUREUX D’UNE FEMME. Au globule de vie toute la chance et pour cela qu’il s’agglomère à lui-même autant de fois que la goutte de pluie sur la feuille et la vitre, selon les tracés pas plus tôt décidés que disparus dont elle garde le secret et cela en autant de sens qu’indiquent les rayons du soleil. C’est comme les perles de ces petites boîtes rondes de l’enfance jouet comme on n’en voit plus qui ne tenaient pas quitte tant qu’au prix d’une longue patience on n’en avait pas ponctué jusqu’au dernier alvéole une bouche esquissant un sourire. La tête d’Ogmius coiffée du sanglier sonne toujours aussi clair par l’ondée d’orage: à jamais elle nous offre un visage frappé du même coin que les cieux. Au centre, la beauté originelle, balbutiante de voyelles, servie d’un suprême doigté par les nombres. LE BEL OISEAU DÉCHIFFRANT L’INCONNU. AU COUPLE D’AMOUREUX. Les bancs des boulevards extérieurs s’infléchissent avec le temps sous l’étreinte des lianes qui s’étoilent tout bas de beaux yeux et de lèvres. Alors qu’ils nous paraissent libres continuent autour d’eux à voleter et fondre les unes sur les autres ces fleurs ardentes. Elles sont pour nous traduire en termes concrets l’adage des mythographes qui veut que l’attraction universelle soit une qualité de l’espace et l’attraction charnelle la fille de cette qualité mais oublie par trop de spécifier que c’est ici à la fille, pour le bal, de parer la mère. Il suffit d’un souffle pour libérer ces myriades d’aigrettes porteuses d’akènes. Entre leur essor et leur retombée selon la courbe sans fin du désir s’inscrivent en harmonie tous les signes qu’englobe la partition céleste. LE CRÉPUSCULE ROSE. CARESSE LES FEMMES ET LES OISEAUX. Le sorbier entre dans la lyre ou bien la lyre dans le sorbier. Vous pouvez fuir, les belles, la poursuite ne sera pas longue! Le souffle des chevaux lacère d’un nuage les vestes des piqueurs et les disperse comme il ne peut advenir qu’à l’approche du Grand Veneur en personne. Vous n’arriverez pas jusqu’à la grille... C’était bien la peine, votre gorge est un flot de bouvreuils. Saviez-vous qu’à la cathédrale de Sens on montra des grelots de vermeil dont le rôle fut de tinter aux franges d’une étole et d’un manipule? LE PASSAGE DE L’OISEAU DIVIN. Le monde se distend comme la pelure en impeccable hélice d’un citron vert. En scintille la boucle de celle qui supplia: « Encore une minute, monsieur le bourreau! » Et la bouleversante cornemuse, conçue en des temps toujours reculables pour épouser les mouvements du coeur auquel elle s’applique étroitement quoi qu’il arrive, donne de tous ses bourdons à l’étoile du berger. Où se délace -d’un flot de rubans de Riemann -la beauté, qui l’appréhende a déjà le pied sur la pédale: « La partie matérielle de la plante est tout à fait consentante à être mangée. » C’est très volontiers que la chenille qui la dévore, se fit-elle arrogante comme celle de la dicranure vinule, s’expose, dans le subtil du devenir, à être la proie de l’oiseau. Plus rien n’en transparaît dans l’aromal: « Un oiseau, un papillon ne sont jamais tristes. Les papillons sont très élevés en esprit; ils jouent avec les enfants; le papillon le sait et s’en amuse: il s’échappe toujours, même quand on l’attrape et qu’on le tue. » Paris, octobre-décembre 1958. Source: http://www.poesies.net