AMÉTHYSTES TABLE DES MATIÈRES Page de titre et Dédicace: A Marie AMÉTHYSTES 1860-1861 On sait que le prince des poëtes décréta la suppression de l'hiatus et l'entrelacement régulier des rimes masculines et féminines; mais, par malheur, on a été plus royaliste que le roi en se privant de certains rhythmes exquis, ou composés seulement de rimes d'un seul sexe, ou offrant des rencontres de rimes diverses du même sexe. Notice sur Ronsard. AMÉTHYSTES Nouvelles Odelettes Amoureuses composées sur des rhythmes de Ronsard A Marie Les Baisers Plus de fois, dans tes bras charmants Captif, j'ai béni mes prisons, Que le ciel n'a de diamants; Et pour tes noires trahisons 5 J'ai versé plus de pleurs amers Que n'en tient le gouffre des mers. Mes chants ailés, je te les dois! Plus haineuse que les bourreaux, Mon coeur a saigné sous tes doigts; 10 Mais que de fois, comme un héros Qui vient de voler son trésor, J'ai dormi sur tes cheveux d'or! Tu m'as versé le vin du ciel! Et mes maux seront pardonnés 15 A ton désoeuvrement cruel, Si les baisers que m'a donnés Ta lèvre pareille à des fleurs Sont aussi nombreux que mes pleurs. Nice, février 1861. Caprice Quand je baise, pâle de fièvre, Ta lèvre où court une chanson, Tu détournes les yeux, ta lèvre Reste froide comme un glaçon, 5 Et, me repoussant de tes bras, Tu dis que je ne t'aime pas. Mais si je dis: Ce long martyre M'a brisé, je romps mon lien! Tu réponds avec un sourire: 10 Viens à mes pieds! tu le sais bien, Ma chère âme, que c'est ton sort De m'adorer jusqu'à la mort. Février 1861. Inviolata Avec ces traits harmonieux, pareils A ceux des Nymphes pures, Et ce teint rose et ces anneaux vermeils Entre les chevelures, 5 Avec les noirs sourcils et les grands cils Dont l'ombre solennelle Se joue, orgueil de tes regards subtils, Sur ta vague prunelle, Ta beauté, lys exalté, vêtement 10 Joyeux, que rien n'offense, Garde, malgré l'épanouissement, Comme un duvet d'enfance. Telle Artémis éveille les chasseurs Dans la forêt sonore 15 Et parmi nous tu n'as pas d'autres soeurs Que la neige et l'aurore. Pareille aux Dieux, dont le généreux flanc, Qu'un parfum rassasie, Sentait courir sous la chair, non du sang, 20 Mais un flot d'ambroisie, On voit frémir un rayon embaumé Sur ton sein d'héroïne, Et l'on sent bien que ton corps est formé D'une essence divine. 25 Comme Cypris, qui porte un ciel d'amour Dans son âme étoilée, Et qui, malgré ses délires d'un jour, Demeure inviolée, Cruelle et rose et répandant l'effroi, 30 Femme au front de Déesse, Tu sais que rien ne peut faner en toi L'immortelle jeunesse. Tu vois nos maux d'un oeil indifférent, Car tes attraits insignes 35 Sont invaincus plus que l'eau du torrent Et la plume des cygnes; Et tant d'amours, hélas! faits pour flétrir Leur fraîcheur matinale, O mon trésor, n'ont pas pu défleurir 40 Ta grâce virginale. Février 1861. En silence Oui, lève encor ton sourcil noir! Oui, puisque tu le veux, j'oublie Ce vin amer du désespoir, Ce vin noir dont j'ai bu la lie, 5 Et tranquillement je m'enivre Du bonheur de te sentir vivre. Mon coeur brûlé d'un long souci, Tu le veux, s'emplira de joie. Laisse-moi me coucher ainsi 10 A côté du coussin de soie A fleurs d'or, où ton pied se pose Fier, avec ce talon de rose! Laisse-moi regarder longtemps En silence, comme un avare, 15 Tes grands cheveux, d'or éclatants, Ta prunelle, ce joyau rare Qu'une frange noire protège, Et ton sein! et ton sein de neige! Février 1861. Nuit d'étoiles La nuit jette sur la dune Ses diamants comme un roi. Elle est blanche comme toi, Sous les doux rayons de lune. 5 Tes yeux, ô magicienne, Confondent leur ciel obscur Avec l'implacable azur De la mer Tyrrhénienne. Mille fleurs s'épanouissent 10 Près de son riant bassin, De même que sur ton sein De folles roses fleurissent. Elle sait, la Nuit sacrée, Mère des enchantements, 15 De quels épouvantements J'ai l'âme encor déchirée. O saphir! azur sans voiles! O calme délicieux! La mer est comme les cieux 20 Resplendissante d'étoiles. Mais de ta bouche fleurie, Pour calmer ce mal cuisant Tu me baises en disant Que ma blessure est guérie. Février 1861. Le Rossignol Vois, sur les violettes Brillent, perles des soirs, De fraîches gouttelettes! Entends dans les bois noirs, 5 Frémissants de son vol, Chanter le rossignol. Reste ainsi, demi-nue, A la fenêtre; viens, Mon amante ingénue; 10 Dis si tu te souviens Des mots que tu m'as dits, Naguère, au paradis! La lune est radieuse; La mer aux vastes flots, 15 La mer mélodieuse Pousse de longs sanglots De désir et d'effroi, Comme moi! comme moi! Mais non, tais-toi, j'admire, 20 A tes genoux assis, Ta lèvre qui soupire, Tes yeux aux noirs sourcils! C'était hier! je veux Dénouer tes cheveux. 25 O toison! ô parure Que je caresse encor! Non, tu n'es pas parjure, Ma belle aux cheveux d'or, Mon ange retrouvé! 30 J'étais fou. J'ai rêvé. Juin 1860. Reste belle Que ton feu me dévore! Plaisir ou bien effroi, Tout me ravit; j'adore Tout ce qui vient de toi, 5 Et la joie ou les larmes, Tout a les mêmes charmes. Ta voix qui se courrouce, Quand j'en étais sevré, Pourtant semble plus douce 10 A mon coeur enivré Que les chansons lointaines Qui tombent des fontaines. Garde ta barbarie, Tes méchants désaveux; 15 Tu ne peux, ma chérie, Empêcher tes cheveux, Où le soleil se mire, De vouloir me sourire! Tes pensives prunelles 20 Ont emprunté des cieux Leurs splendeurs éternelles; Ton front délicieux Prend en vain l'air morose, Ta bouche est toujours rose. 25 Malgré tes forfaitures, Les roses de l'été Ornent de lueurs pures Ta sereine beauté A ta haine rebelle. 30 Il suffit, reste belle! Non, ta grâce de femme, Rien ne peut la ternir; Elle est un sûr dictame, Et tu vins pour tenir 35 La quenouille d'Omphale Dans ta main triomphale. Février 1861. Printemps d'Avril Ma mie, à son toit fidèle, La frétillante hirondelle Revient du lointain exil. Déjà le long des rivages 5 S'égaie un sylphe subtil, Qui baise les fleurs sauvages: Voici le printemps d'Avril! C'est le moment où les fées, De volubilis coiffées, 10 Viennent, au matin changeant, Sur le bord vert des fontaines, Où court le flot diligent, Charmer les biches hautaines De leurs baguettes d'argent. 15 Elles dansent à l'aurore Sur l'herbe, où les suit encore Un troupeau de nains velus. Ne va pas, enfant sereine, Au fond des bois chevelus; 20 Elles te prendraient pour reine, Et je ne te verrais plus! Avril 1860. Tisbe En cet habit d'étoffe ancienne, Tu sembles, au siècle des cours, Une noble Vénitienne. Cette dentelle aux mille jours 5 Est un nid fait pour les Amours: Watteau, de la grâce idolâtre, T'eût peinte en tes riches atours Avec ce manteau de théâtre. C'est vers vous, les enchanteresses, 10 Que l'oiseau bleu tourne son vol! A présent déroule ces tresses, Jette ces perles sur ton col; Donne ta voix de rossignol A Tisbe, l'ange aux mains fiévreuses, 15 Car c'est elle avec do¤a Sol, Qui sont toujours nos amoureuses. Février 1861. Le Charme de la voix Quand s'élancent leurs strophes d'or, Il faut aux Odes qu'on admire, Pour leur faire prendre l'essor, Les instruments et leur délire. 5 Mais toi, mais toi, tu peux les lire! Car la Muse t'aime, et tu vois Qu'elle n'a plus besoin de lyre Avec les chansons de ta voix. Ta grave, ta charmante voix, 10 Pure comme un cristal féerique, Est parfois si douce! et parfois Brûlante comme un vent d'Afrique. Telle, à son rhythme symétrique Prêtant les colères des Dieux, 15 Sappho, la déesse lyrique, Parlait aux flots mélodieux. Février 1861. Vers sapphiques Ma foi, mon espoir, mes chants fiers et doux, Je t'ai tout donné, jusqu'à mon courroux. Ce n'est pas assez, dit ton coeur jaloux. Il a bien raison! 5 Il me faut bénir ta blonde toison, Tes beaux yeux armés pour la trahison, Et ton sein de neige, et le noir poison Qu'a versé ta main! Je les bénirai! cher ange inhumain, 10 Fleurisse ta bouche au riant carmin! Et toi, si ton pied le trouve en chemin, Foule aux pieds mon coeur. Oui, sers de complice au passant moqueur, Et du noir oubli rhapsode vainqueur, 15 Mes vers frémissants chanteront en choeur Ton nom adoré. Jusqu'aux astres clairs je l'emporterai, Et mon luth, peut-être un jour admiré, Fera que l'éclat de ton front doré 20 Demeure immortel. Puisse-t-il, flambeau de mon cher autel, Éblouir de feu les divins sommets, Et sur les piliers de saphir du ciel Briller à jamais. Février 1861. Apothéose C'est bien fait, ô ma soeur, Et je succombe, Mais avec la douceur D'une colombe. 5 En noyant ma raison Dans mon extase, J'ai béni le poison Et le beau vase. Même, j'ai traversé 10 Sans épouvante L'heure où tu m'as versé L'horreur vivante. J'ai bu le flot profond Avec délice; 15 L'ivresse était au fond Du noir calice. Je te donne à présent, (Car je t'adore!) Le laurier verdissant 20 Qui me décore. Arraché par mes vers A l'onde noire, Mes chants à l'univers Diront ta gloire. 25 Près du ciel azuré Qui nous menace, Joyeux, je t'assoierai Sur le Parnasse. Là, recueillant le fruit 30 De mon délire, Ta voix sera le bruit Que fait ma lyre; Et tu joueras, enfant Né de Thalie, 35 Dans le flot triomphant De Castalie. Dans les bois écartés, Ces lèvres roses Jetteront des clartés 40 D'apothéoses; Mon sang versé par jeu, Sainte blessure! Sera la pourpre en feu De ta chaussure; 45 Et, comme en ce dessein Je t'ai choisie, Tu laveras ton sein Dans l'ambroisie. Mais, couronnant ton front 50 Pur de souillure, Des rayons d'or seront Ta chevelure; Et tes yeux, où sourit Ma douleur morte, 55 Reflèteront l'esprit Qui me transporte. O ma divinité Victorieuse, Pendant l'éternité 60 Mystérieuse, Tes yeux, insoucieux De nos désastres, Seront comme des cieux Éclatants d'astres. Février 1861. Source: http://www.poesies.net