L’Equarrissage Pour Tous. (1947) Par Boris Vian. (1920-1959) Vaudeville paramilitaire en un acte long. A Mon Ennemi Intime: Charlemagne. TABLE DES MATIÉRES. Salut A Boris Vian. Personnages. Scène I Scène II Scène III Scène IV Scène V Scène VI Scène VII Scène VIII Scène IX Scène X Scène XI Scène XII Scène XIII Scène XIV Scène XV Scène XVI Scène XVII Scène XVIII Scène XIX Scène XX Scène XXI Scène XXII Scène XXIII Scène XXIV Scène XXV Scène XXVI Scène XXVII Scène XXVIII Scène XXIX Scène XXX Scène XXXI Scène XXXII Scène XXXIII Scène XXXIV Scène XXXV Scène XXXVI Scène XXXVII Scène XXXVIII Scène XXXIX Scène XL Scène XLI Scène XLII Scène XLIII Scène XLIV Scène XLV Scène XLVI Scène XLVII Scène XLVIII Scène XLIX Scène L Scène LI Scène LII Scène LIII Scène LIV Scène LV Scène LVI Scène LVII Salut A Boris Vian. Par Jean Cocteau. Boris Vian vient de nous donner, avec L’Équarrissage pour tous, une pièce étonnante, aussi solitaire en son époque confuse que le furent à la leur les Mamelles de Tirésias, de Guillaume Apollinaire et mes Mariés de la tour Eiffel. Cette pièce, ou ballet vocal, est d’une insolence exquise, légère, lourde, semblable aux rythmes syncopés dont Boris Vian possède le privilège. Soudain, nous sommes au centre du temps, à cette minute où le temps n’existe plus, où les actes perdent leur sens au milieu immobile du cyclone, à cette place où le présent et l’avenir se nouent comme une vieille ficelle morte. Et le rire éclate où la bombe éclate, et la bombe éclate de rire, et le respect que l’on porte aux catastrophes éclate lui-même, à la manière d’une bulle de savon. Des acteurs jeunes, gais, affairés dans les coulisses où ils se changent en Allemands, en Américains, en F.F.I., en parachutistes, traversent la scène, tombent des cintres, montent des escaliers qui n’aboutissent nulle part, se cognent les uns contre les autres, se mélangent et s’isolent, dans un vide plein jusqu’au bord. Rien de plus grave que cette farce qui n’en est pas une et qui en est une, à l’image de ce qu’on nous oblige à prendre au sérieux et qui ne l’est pas, sauf par la mort de nos camarades et la certitude que la fin de cette sombre farce n’est que de la fatigue et une courte halte nécessaire à reprendre le souffle et à recommencer le plus vite possible. Oui, voilà ce qu’un homme habile à souffler dans la trompette, ou plutôt à donner la forme d’une trompette à son souffle, voilà, dis-je, ce qu’un homme rompu aux rythmes, nous jette à la figure, comme dans une infecte bataille de fleurs. Une bonne entreprise de propagande pour nous autres pauvres types, seulement capables d’opposer le singulier au pluriel et de rester libres, dans un monde où la liberté déroute et ne se porte plus. PERSONNAGES (par ordre d’entrée en scène) LE PÈRE, équarrisseur. ANDRÉ, OU JACQUELINE, apprentit. LE VOISIN. SOLDATS ALLEMANDS. SOLDATS AMÉRICAINS. MARIE, fille de l’équarrisseur. LA MÈRE. LA POSTIÈRE. HEINZ, soldat allemand. SOLDAT ANONYME. MARIE, OU CYPRIENNE, fille de l’équarrisseur. JACQUES, fils de l’équarrisseur. PARACHUTISTE JAPONAIS. CATHERINE, fille de l’équarrisseur. VINCENT, vieux F.F.I. COLONEL LORIOT. (quatorze ans) DEUX SOEURS DE CHARITÉ. KÜNSTERLICH, capitaine allemand. ROBERT TAYLOR, pasteur américain. CAPITAINE FRANÇAIS. LIEUTENANT FRANÇAIS. BOBBY, scout de France. La scène se passe le 6 juin 1944, au matin, chez un équarrisseur très gentil. Le décor représente, avec les accès nécessaires, la salle commune de la maison de l’équarrisseur à Arromanches. Établi et armoire à outils dans un coin. Tables, chaises. Portrait de cheval. Fosse à chevaux avec trappe et levier l’actionnant. Odeur sui generis. Atmosphère générale campagnarde et arromanchienne, plus précisément. Scène I LE PÈRE, ANDRÉ. (Ils sont en train de travailler, à l’établi, à remettre en état un énorme rabot) LE PÈRE. C’est dégueulasse. Le dernier cheval a complètement bousillé ce rabot. ANDRÉ. On ne peut pas l’arranger? LE PÈRE. Regarde ce fer. C’est de la dentelle! ANDRÉ. Peut-être que ça irait quand même... LE PÈRE. Il faudra bien. (il prend le fer, le regarde et crache dessus d’un air dégoûté: André lui tend un chiffon. Il essuie le fer. Dehors, bruits divers. mitrailleuse, explosions, etc. Hurlements à consonance militaire) LE PÈRE. Ils commencent à nous courir avec leur débarquement. Ah, on a eu le nez creux de venir habiter Arromanches! ANDRÉ. Oui, c’est pas malin. LE PÈRE (sévère). Dis-donc, toi!... Un peu de respect pour mon arrière-grand-père. C’est lui qui l’a eue, cette idée-là. ANDRÉ. Pardon, je ne le ferai plus. LE PÈRE. Où est ma fille? ANDRÉ. Laquelle? LE PÈRE. Marie. ANDRÉ. Elles s’appellent toutes les deux Marie. LE PÈRE. Ah! Oui, c’est vrai. Eh bien, mettons que je n’aie rien dit. ANDRÉ. Je vais la chercher. (il sort. Le père reste seul) Scène II LE PÈRE. LE VOISIN. LE PÈRE (seul). Quand on est seul, il faut en profiter. (il s’approche à pas de loup du placard au calvados et, au moment où il y porte la main, une formidable explosion retentit. Des choses tombent. Il sursaute) Nom de Dieu! Les salauds! (coups violents à la porte) Entrez! LE VOISIN (entrant). Salut! LE PÈRE. Salut. Toujours vivant? LE VOISIN. Toi aussi? LE PÈRE. Moi, c’est normal. Je suis équarrisseur. Jamais ils ne viendront jusqu’ici. Ça pue trop. LE VOISIN. Pour puer, ça pue. Comment est-ce que tu arrives à faire puer comme ça? LE PÈRE. C’est un secret de famille. Viens, je vais te le dire à l’oreille. LE VOISIN. Tu me l’as déjà dit cent fois. LE PÈRE (vexé). Tu me l’avais demandé. LE VOISIN. Je suis poli, mais il ne faut pas me prendre pour un crétin... LE PÈRE. Et alors, ce débarquement, où ça en est? LE VOISIN. Ils se tabassent toujours. LE PÈRE. Dommage que ce soit des tanks. Autrefois ça m’aurait donné du travail. Tous les chevaux que ça aurait fait!... LE VOISIN. Ils sont arrivés jusqu’en haut de la plage. Tu dois pouvoir les voir d’ici. LE PÈRE. Je ne vais pas me déranger pour ça, non? (il va à la fenêtre) Mince! Ce qu’il y en a! C’est incroyable!... LE VOISIN. Je suis sûr qu’ils sont plus de cinquante. LE PÈRE. Et qu’est-ce qu’ils disent, les autres? LE VOISIN. Les frisous? Ils ne sont pas contents. Tu penses, être réveillés à cette heure-là! LE PÈRE. C’est qu’ils n’ont pas la même heure, en Amérique. Il y a des histoires de méridiens qui entrent en ligne de compte. LE VOISIN. Ce n’est pas la peine de la ramener. On le sait que tu as été mécanicien. Et Marie? LE PÈRE. Ah! voilà. Ça, c’est important. Justement je voulais te demander un conseil. Scène III LES MÊMES. ANDRÉ. ANDRÉ. Je n’ai pas trouvé Marie. LE PÈRE. Je t’avais dit de ne pas y aller. ANDRÉ. Alors, évidemment je ne pouvais pas la trouver. Vous ne pouviez pas le dire? (il hausse les épaules, excédé) LE VOISIN. Je te demande pardon, mais tu voulais me demander conseil? LE PÈRE. Bien sûr. Voilà la chose. Marie aime son Heinz. LE VOISIN. Son frisou? LE PÈRE. Oui. Celui qui loge ici. LE VOISIN. Ah? Elle couche avec lui? LE PÈRE (gêné). Je ne sais pas. Elle couche avec lui, André? ANDRÉ (gêné). Je ne sais pas. LE PÈRE. Tu vois, on ne sait pas. Enfin, elle l’aime, hein, André? ANDRÉ. Oui. Ça, elle l’aime. LE PÈRE. Alors il l’aime aussi. LE VOISIN. Faut les marier. Deux qui s’aiment, on les marie. LE PÈRE. Bien sûr! Tu es malin! Tu crois qu’on n’y avait pas pensé? LE VOISIN. Alors, pourquoi vous ne l’avez pas fait? Si c’est pas encore fait, c’est que vous n’y avez pas pensé. (bruit formidable. Ils rentrent tous le cou dans les épaules) LE PÈRE. Ça y est. ANDRÉ. Qu’est-ce qui y est? LE PÈRE. Je ne sais pas, mais au son, ça y était en plein. Donc, je reviens à mon affaire. Qu’est-ce que tu me conseilles? LE VOISIN. Ben, il faut les marier. Il me semble, à première vue, que ça saute aux yeux. LE PÈRE. C’est une métaphore. LE VOISIN (excédé). Oh, la barbe, avec tes citations. ANDRÉ. Ils s’aiment, on ne peut rien dire. LE PÈRE. Je ne crois pas que Heinz ferait un bon équarrisseur, il est trop maigre, mais on pourra lui faire affûter le rabot. ANDRÉ (ravi). C’est une chouette idée. LE VOISIN. Quand même, il faudrait savoir s’il couche avec... LE PÈRE. Tu as raison. Comment est-ce qu’on peut savoir ça? (à André) Va me chercher ma fille. ANDRÉ. Oui, tout de suite. Scène IV LE PÈRE. LE VOISIN. LE PÈRE. C’est embêtant quand on est obligé de penser à toutes ces choses- là. Comment veux-tu qu’on dorme tranquille avec des soucis pareils? (série plus forte de rafales de mitraillette) LE VOISIN. D’abord, c’est pas l’heure de dormir. LE PÈRE. Je sais bien, mais ça me rend nerveux, cette histoire-là; si on pouvait s’occuper tranquillement de son boulot, seulement. (on tape à la porte) LE PÈRE. Entrez. (un Allemand entre. Il a un fusil et un bazooka et il tire un canon derrière lui) L’ALLEMAND (avec accent). Je peux mettre ça là? Ça me gêne pour courir. LE PÈRE. Mais oui. Faites donc. Personne n’y touchera. L’ALLEMAND. Merci. Je les prendrai en revenant. LE PÈRE. Bonsoir. (l’Allemand referme la porte et le père se retourne vers le voisin) Pourvu que cet idiot d’André trouve Marie. LE VOISIN. Laquelle? LE PÈRE. Celle qui va épouser Heinz. LE VOISIN. Ah! bon. C’est pas pratique qu’elles aient toutes les deux le même nom. LE PÈRE. C’est ce que je trouve aussi. Et songe que leur mère s’appelle Marie... LE VOISIN. Comment t’y reconnais-tu? LE PÈRE. C’est elles qui s’y reconnaissent. Mais je me demande comment elles font. (André revient) Scène V LES MÊMES. ANDRÉ. ANDRÉ. Vraiment, je ne sais pas où elle est. LE PÈRE. Tu as été dans sa chambre? ANDRÉ. Je ne peux pas. Heinz y est déjà. LE PÈRE. Alors, évidemment, il n’y a rien à faire. Écoute, c’est embêtant. ANDRÉ. Ben oui, c’est embêtant. LE VOISIN. Tu n’as pas besoin de savoir ça tout de suite. LE PÈRE. J’aurais mieux aimé. En tout cas, il y a une chose de sûre, c’est qu’il faut réunir le conseil de famille. Et ça, ça ne va pas être commode. LE VOISIN. Ça se fait tous les jours. LE PÈRE. Avec tous ces crétins d’enfants qui se battent dans tous les coins au lieu d’apprendre à équarrir proprement... LE VOISIN. Il faut qu’ils soient là. Et puis, tu ne dois pas dire du mal de tes enfants. LE PÈRE. Tu comprends, l’ennui, c’est qu’il y en a un qui est Américain, Jacques, et l’autre, Catherine, est au diable vauvert. LE VOISIN. Je croyais que c’étaient des fils tous les deux. LE PÈRE. Tu sais, Catherine, elle est parachutiste dans l’armée rouge, alors, c’est comme un homme. LE VOISIN. Ah! dans ces conditions-là, je comprends. LE PÈRE. Ils sont parachutistes tous les deux, d’ailleurs. ANDRÉ. Mais, dites donc, comment ça se fait qu’ils soient d’un tas de pays différents? LE PÈRE. Tu es idiot, avec tes questions. Est-ce que je sais, moi? C’est comme ça, c’est comme ça. On ne discute pas les enfants que le Bon Dieu vous a donnés. ANDRÉ. Vous vous reposiez, vous, pendant ce temps là? LE PÈRE. Pendant ce temps-là? Quel temps? ANDRÉ. Pendant que le Bon Dieu vous donnait des enfants... LE PÈRE. J’équarrissais, naturellement. Ou, alors, je raccommodais mon rabot. Il n’y a pas de milieu. ANDRÉ. Comment va-t-on les prévenir? LE PÈRE. On va aviser. Ah, dis donc, au fait, tu ne veux pas aller chercher... (on frappe à la porte) Entrez. (entre un soldat américain) Scène VI LES MÊMES. LE SOLDAT AMÉRICAIN. L’AMÉRICAIN (entre en sautant à la corde). Bonjour! On peut boire un coup? LE PÈRE. Bien sûr. Ça va? L’AMÉRICAIN. Ça va. Fait soif. (André prend un verre, va le remplir et le lui apporte) LE PÈRE (pointe d’orgueil). Ils vous donnent du mal, hein? L’AMÉRICAIN. C’est pas tellement ça. Mais, ces cochons-là, ils tirent avec de vraies balles. (Il boit) LE PÈRE (ravi). Mince!... Ça alors!... Ils sont culottés, tout de même. Ils tirent avec de vraies balles? L’AMÉRICAIN. Regardez. (il lui montre son casque. Derrière, il y a un trou gros comme les deux poings) LE PÈRE (admiratif). Tu te rends compte? LE VOISIN. Et vous n’êtes pas mort? L’AMÉRICAIN. C’est celui d’un camarade. Je lui ai donné le mien à la place. Celui là est plus léger comme ça. (silence. Il s’étire. On entend un coup de sifflet) Allez. On va y retourner. Ils viennent de siffler la mi-temps. ANDRÉ. Vous reviendrez, hein? L’AMÉRICAIN. Bien sûr. (il tire un paquet de sa poche et le lui tend) Tenez, prenez ça. Ça chasse les odeurs. ANDRÉ. Merci... Merci bien... Au revoir. (l’Américain sort) Scène VII LE PÈRE. ANDRÉ. LE VOISIN. LE PÈRE. Qu’est-ce que c’est? ANDRÉ. DU chewing-gum, c’est écrit dessus. LE PÈRE. Ah, bon, du chewing-gum. Flanque-le dans la fosse à équarrir. Dis donc, t’as remarqué? ANDRÉ (flanquant le chewing-gum dans la fosse). Quoi? LE PÈRE. Il parlait français. LE VOISIN. Mais c’est vrai, tiens. C’est un espion. (le père décroche son arbalète, va à la porte, vise longuement et tire. Bruit de verre cassé) ANDRÉ. C’est son casque ou les cloches à melon? LE PÈRE. C’est son casque. LE VOISIN (méprisant). Oui, c’est bien ce bruit-là que ça fait, la camelote américaine. LE PÈRE (réfléchissant). Mais alors... Ce ne serait pas un espion... ANDRÉ. Peut-être pas... LE PÈRE. Alors, heureusement que c’étaient les cloches à melon. (il va raccrocher son arbalète. Un temps. Puis...) J’aurais dû lui demander s’il connaissait Jacques. LE VOISIN. Ton fils aîné? Celui qui est parachutiste américain, lui aussi? LE PÈRE. Oui. ANDRÉ. Vous savez, ils ont l’air d’être plusieurs, à débarquer. LE PÈRE. Alors, on en trouvera sûrement un qui connaît Jacques. Scène VIII LES MÊMES. MARIE. LE PÈRE. Tiens, te voilà, Marie. LE VOISIN. Bonjour, Marie. Alors, tu veux épouser un frisou, il paraît. Tu m’as l’air d’être tombée amoureuse bien vite. MARIE. Ce n’est pas moi, c’est ma soeur. LE PÈRE. Mais oui, c’est sa soeur Marie. Et puis, bien vite, hein, vous exagérez... Ça fait quatre ans qu’il couche avec. (à Marie) Heinz était dans ta chambre? MARIE. Mais non, papa, il est dans la chambre de ma soeur. LE PÈRE. C’est vrai, c’est tout ce bruit qui me trouble... je confondais... LE VOISIN. Je ne sais pas comment tu peux t’y reconnaître avec ces deux filles qui ont le même nom. LE PÈRE. Tu vois, je ne m’y reconnais pas. ANDRÉ. Je vais la chercher, maintenant? LE PÈRE. Non, je vais l’appeler. (il va vers la porte de séparation, à gauche, l’entr’ouvre et appelle. Réponse à la cantonade) LE PÈRE (revenant). Elle arrive. LE VOISIN. Allons, tout ça va être réglé tout de suite. MARIE. Il faut que je reste? LE PÈRE. Naturellement. Il s’agit du mariage de ta soeur, tout de même. MARIE. Moi, Heinz, je le trouve affreux. ANDRÉ. Ça, moi aussi, alors. LE PÈRE. Écoute, Marie, ce n’est pas bien de dire du mal du fiancé de ta soeur. Ce garçon n’a pas choisi sa figure. MARIE. Il a eu tort de laisser choisir quelqu’un d’autre à sa place. Quelqu’un qui avait mauvais goût, tu ne peux pas dire. Il est tout petit, il est maigre, il a des lunettes et il sent mauvais des pieds. LE VOISIN. Je ne vois pas comment on peut s’en rendre compte dans une maison comme ici... LE PÈRE. Tu es toujours le même. On ne peut pas être équarrisseur et vivre dans le jasmin et les roses. LE VOISIN. Je ne t’en veux pas; ça ne sent pas plus mauvais que d’habitude, remarque, mais c’est simplement que je ne peux pas m’y habituer. MARIE. En tout cas, Heinz sent mauvais des pieds. ANDRÉ. C’est leurs bottes, et puis ils ne mettent pas de chemises. MARIE. Il a un vilain teint et il ne sait pas danser. LE PÈRE. Mais, puisqu’il aime ta soeur... MARIE. Bien sûr, je n’ai rien contre lui. Simplement, moi je ne pourrais pas l’épouser. Et l’avoir comme beau-frère, ça n’est pas drôle non plus. Scène IX LES MÊMES. LA MÈRE. LA MÈRE. Tu m’as appelée? LE PÈRE. Mais non, j’ai appelé Marie. LA MÈRE. Mais je suis là, enfin! ANDRÉ. Je vais la chercher. (il sort. Le voisin s’essuie le front) LE PÈRE. Tu vois, on est en train de discuter pour savoir si on va réunir le conseil de famille. À propos du mariage de Heinz et de Marie. LA MÈRE. Ils vont se marier? Mes enfants!... (elle fond en larmes) LE PÈRE (lui tapant dans le dos). Allons, allons, ne t’émotionne pas comme ça. As-tu été traire les vaches? LA MÈRE. À propos de quoi me demandes-tu ça? LE PÈRE. C’est pour te faire penser à autre chose. LA MÈRE. Eh bien, non, j’avais complètement oublié, j’y vais tout de suite. (elle sort en s’essuyant les yeux. Fausse sortie) À propos, où as-tu mis le fer à repasser? Si je n’ai pas le fer à repasser, je ne peux pas arriver à les traire proprement. LE PÈRE. Il est avec l’escabeau, sur l’étagère. LA MÈRE. Je vais le trouver, alors... (elle sort) Scène X LE VOISIN. LE PÈRE. MARIE. LE VOISIN. Tu as une femme active. LE PÈRE. Toi aussi. LE VOISIN. On a des femmes actives. (silence. Explosions, puis coups à la porte. Entre un Allemand) L’ALLEMAND (myope, avec lunettes. Fusil en bandoulière). Dites donc, vous qui êtes du pays, les gars qui débarquent, là, c’est bien des Américains? LE PÈRE. Où ça? L’ALLEMAND. Là-bas. (il montre la direction du doigt) LE PÈRE. Naturellement, c’est des Américains. Qu’est-ce que vous pensiez que c’étaient? Les Italiens? L’ALLEMAND. Merci beaucoup. (il referme la porte) MARIE. Celui-là, il était bien. LE VOISIN. Tu l’as à peine vu. Il avait des lunettes aussi, en tout cas. MARIE. Oui, mais il était bien bâti. LE PÈRE. Veux-tu que je te dise? Eh bien, toi, tu es jalouse de ta soeur. Tu la vois heureuse, elle est presque fiancée, elle va se marier, et tu es jalouse. Ah!... Ce n’est pas un beau sentiment... Mais, en un sens, un jour comme aujourd’hui, ça se justifie. LE VOISIN. Pourquoi un jour comme aujourd’hui? LE PÈRE. Écoute, ce n’est quand même pas tous les jours qu’on décide de marier sa fille, ou de marier la soeur de sa fille, ou de faire un mariage en général. Tu vois, j’en oublie même mon travail. (il se rapproche de l’établi et saisit son rabot) Il serait peut-être temps que je descende équarrir un peu. J’ai quatre bêtes en retard qui sont à peine dressées. LE VOISIN. Tu les dresses, maintenant? LE PÈRE. Oh! tu es fatigant. Il faut t’expliquer tous les termes techniques. Dressées, c’est aplanies, dégrossies, ce que tu voudras. C’est comme quand on est mécanicien, on dresse des pièces sur des marbres. LE VOISIN (frissonnant). Tu es macabre, écoute. LE PÈRE. Et toi, tu es idiot. Un marbre d’ajusteur c’est en fonte, alors, tu vois... Non, tu es comme les autres, tu as des préjugés. Je suis sûr que tu t’étonnes de me voir ici. LE VOISIN. Avec ton coffre et ta taille, je te verrais plutôt en train de te battre. LE PÈRE. C’est ce que tout le monde pense, et je le sais bien. La vérité, c’est qu’ils m’ont oublié. LE VOISIN. Tu n’as pas reçu les papiers? On ne t’a pas envoyé une lettre? Une convocation, je ne sais pas moi? LE PÈRE. Si, mais je n’ai pas ouvert la lettre. Alors, je me suis dit. « Ils m’ont oublié. » Et de fait, ils m’avaient oublié. LE VOISIN. On n’est pas venu te chercher? LE PÈRE (évasif). Un type est venu, un jour, mais il est tombé par hasard dans la fosse. Depuis, je n’ai vu personne. LE VOISIN. Qu’est-ce que tu en as fait? LE PÈRE (détaché). Du type? Qu’est-ce que tu voulais que j’en fasse? Je l’ai équarri, c’est tout. Un de plus, un de moins... LE VOISIN. Enfin, c’est un scandale, tout de même. Surtout quand on voit ces frisous tout maigres. Et puis, toi, là, avec tes cent kilos et ta mine... LE PÈRE. Oh, tu sais, je n’ai pas si bonne mine que ça. (il tousse) Écoute, tu entends, je tousse. LE VOISIN. Moi aussi. (il tousse) LE PÈRE. Toi, ça n’a rien d’étonnant. Tout le monde tousse dans le pays. LE VOISIN. C’est à cause de ta sacrée fosse. Tu crois qu’on peut conserver des poumons en bon état, en respirant des odeurs pareilles tous les jours de sa vie? LE PÈRE. Tu ne peux pas rester cinq minutes sans me rappeler ça. Tu n’es vraiment pas aimable. Je ne peux pas me souvenir d’un jour où tu ne m’aies pas charrié avec ça. LE VOISIN. Si, dimanche dernier. LE PÈRE. C’est malin... tu n’es pas venu. LE VOISIN. Je ne suis pas venu, mais j’ai toussé quand même. (il tousse) LE PÈRE. Qu’est-ce que fait donc André? Il aurait dû la trouver? (pendant tout ce temps, Marie va et vient, range les objets les plus hétéroclites) MARIE. On a beaucoup de mal à regarder dans la chambre de Marie. Il doit essayer d’agrandir le trou. LE PÈRE. Si c’est pas malheureux!... Je change la planche tous les jours, et tous les jours il y a un nouveau trou!... MARIE. Tu devrais l’enlever, carrément. (silence, puis des coups à la porte, des rafales de mitraillette, des bruits de course et des jurons) LE PÈRE. Entrez! Scène XI LES MÊMES. UN SOLDAT AMÉRICAIN. LE PÈRE. Bonjour. L’AMÉRICAIN. Bonjour. Il y a des marraines de guerre, par ici? LE PÈRE. Des quoi? L’AMÉRICAIN. Des marraines de guerre. Je cherche une marraine de guerre. LE PÈRE. Pour quoi faire? L’AMÉRICAIN (rougissant). Euh... MARIE. Tu le fais rougir, papa. Tu n’es pas gentil. LE PÈRE. Comment, je ne suis pas gentil? Je ne peux rien faire sans que tout le monde me tombe dessus. L’AMÉRICAIN. Mais vous en avez? LE PÈRE. Quoi... Ah! Çà, vous êtes inouï! On voit bien que vous débarquez. Vous vous rendez compte que les frisous sont là depuis quatre ans? Ou est-ce que vous êtes complètement idiot? L’AMÉRICAIN. J’ai dix neuf ans et je m’appelle Vladimir Krowski. MARIE. Et vous voulez une marraine de guerre comment? L’AMÉRICAIN. Comme vous. MARIE. C’est drôle, ça, alors. Vous me donnerez ça? L’AMÉRICAIN. Quoi? (elle s’approche de lui et montre les écussons de ses revers) MARIE. Vos clips, là. L’AMÉRICAIN. Je ne peux pas, je serais puni. MARIE (s’approche de lui et se frotte un peu). Oh! donnez-les moi, vous serez gentil. LE PÈRE. Dites donc, si on vous gêne, on peut s’en aller... MARIE. Oui. C’est ça. Va-t’en. J’en ai pour cinq minutes. (le père et le voisin sortent) Scène XII MARIE. L’AMÉRICAIN. MARIE. Alors, comme ça, vous n’avez pas de marraine de guerre? L’AMÉRICAIN. Si, en Amérique, mais c’est loin. MARIE. Vous êtes bien habillé. Vous voulez les enlever? L’AMÉRICAIN (reculant jusqu’à la table). Quoi? MARIE (câline). Vos clips... là... Si vous me les donnez, je serai votre marraine de guerre. Mais, au fait, pourquoi voulez-vous une marraine de guerre? L’AMÉRICAIN. C’est pour lui envoyer des colis. On a des choses à ne savoir qu’en faire. MARIE. Mais vous ne vous en servez pas? L’AMÉRICAIN. Oh, non, c’est très mauvais. Des tas de conserves, du chocolat. Vraiment, il y en a tellement qu’on ne peut plus avancer. On fait passer les tanks dessus, mais ça prend du temps. MARIE. Jetez-les. L’AMÉRICAIN. Je pensais que ça vous ferait plaisir de les avoir. MARIE. Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse? Ici, on ne mange que du cheval. L’AMÉRICAIN. Vous les vendrez aux Allemands. MARIE. Ils ne sont pas fous. Ils les prendront sans les payer. L’AMÉRICAIN. Alors je crois qu’on va être forcés de leur donner. MARIE. Bien sûr, c’est la seule solution. Et c’est tout ce que vous vouliez faire avec votre marraine de guerre? L’AMÉRICAIN. Ben... Oui... Qu’est-ce que vous voulez qu’on en fasse, de ces conserves? MARIE (le pousse, il grimpe sur la table, elle le suit). Je ne parle pas des conserves, je parle des marraines. Vous me trouvez jolie? L’AMÉRICAIN. Vous savez, je ne peux pas vous donner ces clips... MARIE. Ça ne fait rien. (un temps) Qu’est-ce que vous lui faites, en Amérique, à votre marraine? L’AMÉRICAIN. Je sors avec elle. Je vais au cinéma. MARIE. Vous l’embrassez? L’AMÉRICAIN. Vous êtes dégoûtante. MARIE. Est-ce que vous l’embrassez? L’AMÉRICAIN (descend à l’autre bout de la table). Je ne peux pas vous répondre. Ce n’est pas une conversation. (silence) À qui est-ce que je peux donner ces conserves? MARIE (mécontente). Vous pouvez les mettre ici, si elles vous gênent tant que ça. L’AMÉRICAIN (soulagé). Vous êtes gentille. Je vais les chercher. (il va pour sortir. Marie le retient par le bras) MARIE. Est-ce que vous l’embrassez? L’AMÉRICAIN. Jamais je n’aurais cru les filles d’ici aussi dévergondées. MARIE. Vous êtes un hypocrite. Je sais bien que vous l’embrassez et que vous couchez avec elle. L’AMÉRICAIN (très choqué). Ah, ça! Non, alors!... Tout mais pas ça!... MARIE. Allez, allez chercher vos conserves. Et puis, vous pouvez les garder, vos sales clips! (l’Américain baisse le nez et sort. Elle appelle par la porte) Papa! Papa! Tu peux revenir! Scène XIII MARIE. LE PÈRE. LE VOISIN. LE PÈRE. Alors, tu les as, ces clips? MARIE. Je me suis fiancée avec lui. LE VOISIN. À la bonne heure! Comme ça, on sera tranquille. Il n’y en aura plus qu’une à marier. LE PÈRE. Qui ça? LE VOISIN. Catherine, pardi! LE PÈRE. Ah, c’est vrai. J’oublie toujours que ce n’est pas un garçon. Il est bien, ton Américain? MARIE. Il est très gentil. Il a voulu qu’on se fiance tout de suite. LE PÈRE. À la bonne heure! Toi, tu n’as pas mis quatre ans à trouver un mari. Mais où est-ce qu’il est parti? MARIE. Il a été chercher ses affaires. LE PÈRE. Voilà. Alors, Marie va se marier aussi. Ça va être une belle cérémonie, on pourra faire ça le même jour. (bruits d’explosions, courses, pas, coups à la porte) Entrez! (la porte s’ouvre. Une tête passe. C’est un Allemand) L’ALLEMAND. Oh, pardon! (la porte se referme. Hurlements de douleur en allemand.) MARIE. Ils sont bien nerveux, aujourd’hui. Scène XIV LES MÊMES. ANDRÉ. LE VOISIN. Alors, André, quoi de neuf? ANDRÉ. Je ne sais pas ce qu’elle fait. Heinz est toujours dans sa chambre. LE PÈRE. Ça n’a pas d’importance, on l’interrogera par la suite. (il va vers la radio et manipule les boutons) MARIE. Ce n’est pas l’heure. LE VOISIN. Mais, si, c’est l’heure. (il regarde sa montre. On entend des crachements dans le poste.) LE PÈRE. Radio-Londres est difficile à avoir en ce moment. LE VOISIN. C’est leur satané débarquement. Il y a des parasites dans tous les coins. (on entend l’air du Troisième Homme ») Ça y est! Tu l’as. C’était bien l’heure. LE PÈRE. Enfin! Moi, je ne peux pas travailler sans musique. LE VOISIN (se frappant le front). Mais voilà! J’y pense. On va téléphoner à la postière. LE PÈRE. Pourquoi? LE VOISIN. Eh bien, pour prévenir tes enfants. (musique en sourdine) LE PÈRE. Ah! oui. C’est une bonne idée. Demande-lui de venir. (le voisin va téléphoner. Pendant ce temps, le père donne de grands coups de marteau sur son rabot. Entre la mère par la porte de gauche) Scène XV LES MÊMES. LA MÈRE. LE PÈRE. Tiens, Marie. Tu sais, ta fille épouse un Américain. LA MÈRE (fondant en larmes). Ma petite fille!... Viens dans mes bras! (Marie se jette dans ses bras) LE VOISIN (revenant). Ça, alors, c’est formidable! Elle ne s’est pas trompée de fille. LE PÈRE. Allons, allons, ne pleure pas comme ça. Tu as trait les vaches? LA MÈRE. Oui, naturellement. (elle saute en l’air) Où avais-je la tête? J’ai laissé le fer électrique chauffer. Je vais retirer la prise. (elle sort en courant, puis revient) Dis donc, elles tiennent bien moins de place, une fois repassées. LE PÈRE. Qui ça? LA MÈRE. Les vaches. (elle se dirige vers la sortie) Je ne sais pas comment je n’y ai pas pensé plus tôt. (elle sort) Scène XVI LE VOISIN. MARIE. LE PÈRE. ANDRÉ. LE VOISIN. La postière s’amène. LE PÈRE. Qu’est-ce qu’on leur envoie, comme message? Il faut le préparer, d’ici qu’elle arrive. LE VOISIN. Ça ne nous fait pas très longtemps. La poste est de l’autre côté de la rue. LE PÈRE (ils s’installent à la table). Justement, dépêchons-nous. (ils réfléchissent tous les trois) Réfléchis plus vite, André. Scène XVII LES MÊMES. LA POSTIÈRE. (La postière entre par la porte de gauche) LA POSTIÈRE. Je suis entrée par la cour. LE PÈRE. Je le vois bien, que vous êtes entrée par la cour! Comment ça va chez vous? LA POSTIÈRE. Qu’est-ce qu’on prend comme plâtras sur la gueule! LE VOISIN. Tiens! Chez vous aussi? LA POSTIÈRE. Qu’est-ce que ça déménage! LE PÈRE. Je ne sais pas comment vous faites, mais moi, je trouve que c’est calme. (grand bruit dehors. Deux Américains entrent en courant et referment la porte) Scène XVIII LES MÊMES. LES DEUX AMÉRICAINS. PREMIER AMÉRICAIN. Je te dois dix dollars. DEUXIÈME AMÉRICAIN. Donne. LE PÈRE. Bonjour, messieurs. (Il semble en colère.) LES AMÉRICAINS (ensemble): Happy birthday to you Happy birthday to you Happy birthday to you Happy birthday to you On vous dérange, peut-être? LE PÈRE. Écoutez, à la fin, ça fait cinq fois que vous venez frapper à la porte. On s’occupe de quelque chose d’important ici. Qu’est-ce que vous voulez encore? LES AMÉRICAINS. Excusez-nous... C’est très malhonnête... Mais on avait envie... avec les camarades... de voir une ferme française... Alors, on est venus... LE PÈRE. Et vous n’auriez pas pu en trouver une autre que la mienne? PREMIER AMÉRICAIN. C’est la seule qui reste debout. LE VOISIN. Nom de Dieu! Vous voulez dire que vous avez foutu ma maison par terre?... (il sort précipitamment) Scène XIX LES MÊMES moins LE VOISIN. LE PÈRE. Bon, on va vous faire visiter. Mais c’est quand même assommant si, chaque fois qu’il y a un débarquement à Arromanches, tout le monde défile ici. LA POSTIÈRE. J’aurais pas cru que les Amerlauds aimeraient les vieilles bicoques. MARIE. Ils sont bien bâtis, ces deux-là. (elle s’approche d’eux) PREMIER AMÉRICAIN. Vous ne voulez pas quelques conserves? DEUXIÈME AMÉRICAIN. Ou du chocolat? MARIE. J’aimerais que vous me donniez vos clips... PREMIER AMÉRICAIN. Nos quoi?... MARIE. Vos clips... C’est un mot anglais, non? PREMIER AMÉRICAIN (réfléchissant). Je ne vois pas... LE PÈRE. Alors, vous venez la visiter, cette maison? MARIE (elle montre les boutons de revers). Ces trucs-là. DEUXIÈME AMÉRICAIN. On ne peut pas. On serait punis. Viens, Jerry, on va visiter la maison. LE PÈRE. Voilà. Vous montez l’escalier et vous êtes au premier étage. Bon. Au-dessus, c’est le grenier. Vous visitez et vous redescendez. À gauche, c’est la cour, à droite, la cour, et en dessous, c’est l’autre bout de la fosse à équarrir. Il y a une trappe, comme ici. Au fait, qu’est-ce que vous en pensez? PREMIER AMÉRICAIN. De qui? LE PÈRE. Des frisous. Des Allemands, quoi... C’est des drôles de types, hein? Trouvez pas? Moi, je les trouve un peu bizarres. PREMIER AMÉRICAIN. Comment ça? Il y en a, par ici? LE PÈRE. Bien sûr, c’en est plein! DEUXIÈME AMÉRICAIN (tombant des nues). Ah, mince! Alors, je comprends pourquoi ils nous ont fait débarquer! C’est pour nous battre contre les Allemands! Tu crois qu’ils l’auraient dit!... PREMIER AMÉRICAIN. C’est évident, maintenant. Je me rends compte aussi pourquoi on nous tirait dessus. Vous comprenez, les opérations sont faites très discrètement. DEUXIÈME AMÉRICAIN. C’est ça, la démocratie. (ils se mettent tous deux au garde-à-vous et chantent Happy birthday to you) LE PÈRE. Ça donne de bons résultats, la démocratie? PREMIER AMÉRICAIN. On ne peut pas savoir, c’est secret. Alors, on va visiter? MARIE. Soyez gentils... Donnez-moi vos petits trucs dorés... DEUXIÈME AMÉRICAIN. On vous dit qu’on ne peut pas. Vous êtes complètement idiote, alors? MARIE. Je vais vous accompagner. LA POSTIÈRE. C’est ça, va avec eux, ça te calmera un peu. ANDRÉ. Je pourrais y aller, moi? LE PÈRE. Reste ici. On n’a pas encore décidé quel message on allait envoyer. (les Américains et Marie vont vers l’escalier. Le père les appelle) Hé, dites donc! au fait... (les Américains s’arrêtent et se retournent. L’un d’eux pelote ouvertement les fesses de Marie) DEUXIÈME AMÉRICAIN. Quoi? LE PÈRE. Est-ce que vous connaissez mon fils Jacques? DEUXIÈME AMÉRICAIN. Quelle arme? LE PÈRE. Il est dans les parachutistes. DEUXIÈME AMÉRICAIN (réfléchissant). Jacques... Jacques... Jacques, non, je ne vois pas. Il a un parachute de quelle couleur? LE PÈRE. Bleu. Bleu vif. DEUXIÈME AMÉRICAIN. Ah, non, nous, on en a des jaunes. LE PÈRE. Tant pis. (les deux Américains sortent avec Marie et le père revient vers la postière) Scène XX LE PÈRE. LA POSTIÈRE. ANDRÉ. LE PÈRE. À nous trois. ANDRÉ. Je réfléchis. Si on leur envoyait un message comme ça. « Revenez de suite pour conseil de famille. Mariage Marie. »? LA POSTIÈRE. C’est pas original, on dirait un télégramme. LE PÈRE. Ils ne l’accepteront pas à Radio-Londres. Il faut leur envoyer un message en clair. Pas de résumé. (il réfléchit) ANDRÉ. Je ne trouve rien. LE PÈRE. Attends... voilà! « L’équarrisseur attend ses deux enfants pour le mariage de leur soeur. » Je te le dis, il faut du clair, sans ça les gens peuvent comprendre de travers et en profiter pour tout saccager, chiper des tractions avant et les couvrir de peinture blanche. LA POSTIÈRE. Bon. Alors, je vais leur téléphoner à Londres. Mais vous savez, ça va bien prendre une heure d’attente. Il y a au moins cinq ou six officiers qui font la queue. J’ai trois communications sur Berlin et cinq sur Londres, alors ça ne va pas vite... (coups violents à la porte) Scène XXI LES MÊMES. DEUX ALLEMANDS EN UNIFORME. LA POSTIÈRE. Bonjour. DEUX ALLEMANDS. Bonjour... ça biche? ANDRÉ. Ça biche moyennement. LE PÈRE. Il ne faut pas exagérer. Ça pourrait aller mieux. On est embêtés par cette histoire du mariage de Marie... PREMIER ALLEMAND. On peut s’asseoir?... On est crevés. LE PÈRE. Mais oui... Asseyez-vous. (les Allemands s’assoient à une table près de la porte et le deuxième commence à retirer ses bottes. Le premier va puiser de l’eau dans son casque, puis revient et se trempe les pieds dedans avec ses bottes. L’autre pose les siennes sur la table. Une épaisse fumée s’en dégage) LE PÈRE (à la postière). Alors, vous allez le passer, ce message? LA POSTIÈRE. Vous allez bien m’offrir un coup de schnick, non? LE PÈRE. Bien sûr... À quoi est-ce que je pense, aujourd’hui? Et mon travail ne se fait pas, avec tout ça... (il va vers le placard) LA POSTIÈRE. Oh, ce n’est qu’un petit retard. Je boirai vite. (les deux Allemands se redressent, comptent jusqu’à quatre et entonnent une marche) Wenn die Soldaten Durch die Stadt marschieren, Öffnen die Mädchen Die Fenster und die Türen, Ei warum, ei darum, Ei warum, ei darum, Ein Küss wenn es stimmt Darassabum Darassassa (bis). (on entend des pas dans l’escalier et les Américains arrivent complètement débraillés, par la porte de droite) Scène XXII LES MÊMES. DEUX AMÉRICAINS. LE PÈRE. Alors, la maison vous plaît? PREMIER AMÉRICAIN (se reboutonnant). Ça sent mauvais chez vous. C’est terrible ce que ça sent mauvais... DEUXIÈME AMÉRICAIN. C’est ça, tiens! (il lui montre les deux bottes du deuxième Allemand, qui fument sur la table) LE PÈRE. Je vous donne un coup à boire? PREMIER AMÉRICAIN. Elles sont chouettes ses bottes, dis donc. DEUXIÈME AMÉRICAIN. Mon vieux, ces types-là, ils sont drôlement équipés! Leurs pistolets, tiens, c’est autre chose que nos colts. PREMIER ALLEMAND (d’un ton condescendant). Oh! les vôtres ne sont pas si mauvais. (les deux Américains se rapprochent de leur table et l’un s’appuie au dossier de la chaise) DEUXIÈME AMÉRICAIN. Regardez les casques qu’on a. DEUXIÈME ALLEMAND. Je reconnais que la forme est vraiment horrible. C’est fuyant, c’est moche... (les deux Américains s’asseyent à la table des Allemands) PREMIER AMÉRICAIN. Vous jouez au poker? LE PÈRE (s’approchant). Dites donc, vous devez avoir soif, tous les quatre. Vous boirez bien une goutte de calva? PREMIER ALLEMAND. Avec plaisir. DEUXIÈME ALLEMAND. Naturellement, merci. DEUXIÈME AMÉRICAIN. Très volontiers. PREMIER AMÉRICAIN. Vous êtes trop aimable. LE PÈRE. André, apporte les verres! PREMIER ALLEMAND. Vous avez des cartes? PREMIER AMÉRICAIN. J’en ai. LA POSTIÈRE (se rapprochant insensiblement en vidant son verre). Remplissez-moi donc le mien. On va boire un coup avec ces garçons- là. (les quatre commencent à jouer aux cartes) PREMIER AMÉRICAIN (au deuxième Allemand). Je vous joue vos bottes! DEUXIÈME ALLEMAND. D’accord. Contre votre vareuse. PREMIER AMÉRICAIN. O. K. (partie de cartes, au cours de laquelle ils se déshabilleront progressivement tous les quatre et finiront par avoir chacun un équipement complètement inversé) LE PÈRE. Quand même, ça fait plaisir, un petit verre. (il revient vers l’établi et commence à taper sur le rabot. Il tapera de plus en plus fort jusqu’à la fin de la scène) PREMIER ALLEMAND. Full aux as. DEUXIÈME AMÉRICAIN. Je vois venir. PREMIER ALLEMAND. Ça fait un pot. DEUXIÈME ALLEMAND. J’ouvre de dix dollars. DEUXIÈME AMÉRICAIN. Plus vingt marks. LE PÈRE (raccompagnant la postière à la porte). Au revoir, à tout à l’heure. (on entend des explosions. Le bruit devient de plus en plus fort. Coups violents vers la porte du fond. Tous regardent dans cette direction) LE PÈRE. Entrez! PREMIER ALLEMAND. Couleur! DEUXIÈME ALLEMAND. Flush royal! DEUXIÈME AMÉRICAIN. Carré d’as! PREMIER AMÉRICAIN. J’ai cinq rois! (il rafle tout. Heinz entre par la porte de gauche. Le père et les autres sursautent) Scène XXIII LES MÊMES. HEINZ. LE PÈRE (sévèrement). Comment, Heinz, vous n’êtes pas en train de vous battre avec vos camarades? HEINZ (rougissant). Le réveil n’a pas sonné. (terrible explosion. Tous courbent la tête. Silence mortel. Pas dans l’escalier. Marie entre) Scène XXIV LES MÊMES. MARIE. MARIE. J’ai renversé un vase. LE PÈRE (soulagé). Ah! c’était ça! (il se retourne vers Heinz et se croise les bras) Vous exagérez... PREMIER AMÉRICAIN. Double brelan de reines! (il rafle les enjeux) PREMIER ALLEMAND. J’ai mieux. séquence de sept cartes! (il rafle la prise du premier) DEUXIÈME AMÉRICAIN. Ça va. J’ai un flush royal de l’as au deux. (il rafle) DEUXIÈME ALLEMAND. Moi, j’ai une vraie paire de rois. (il se met en devoir de les dépouiller méthodiquement. Pendant ce temps, Heinz se tortille les mains) HEINZ (timide). Vous voulez bien me faire un petit mot d’excuse pour mon capitaine? (Marie s’approche des joueurs. Une main, de chaque côté, se glisse sous sa jupe) LE PÈRE. Vous me faites faire un joli métier. (il écrit. Rafale de mitraillette au dehors, détonations, éclairs) DEUXIÈME ALLEMAND. Deux cents dollars. PREMIER AMÉRICAIN. Plus dix marks. DEUXIÈME AMÉRICAIN. J’en ai marre, on s’en va... PREMIER AMÉRICAIN. Bon... (il se lève, il est complètement habillé en Allemand. Son copain aussi. Ils font demi-tour et sortent en chantant. Wenn die Soldaten) PREMIER ALLEMAND. O. K. DEUXIÈME ALLEMAND. On stoppe. (les deux Allemands, complètement habillés en Américains, se retournent vers le père et chantent. Happy birthday, et sortent) Scène XXV LES AUTRES. LE PÈRE. C’est gentil, à cet âge-là... LA POSTIÈRE. Oui... passez-moi un coup de schnick. LE PÈRE. Vous exagérez. (coups à la porte qui s’ouvre lentement. Un type, chancelant, entre en se tenant le ventre. Silence général) Scène XXVI LES MÊMES. UN SOLDAT. LE TYPE (haletant). Mande pardon, où sont les vatères? LE PÈRE. Ils viennent de partir. LE TYPE. Ah! Hââââââh... (il tombe raide mort) LE PÈRE. Dans la fosse... avec les honneurs de la guerre. (la postière roule le type dans la fosse) Scène XXVII LE PÈRE. MARIE. ANDRÉ. LA POSTIÈRE. Entre LA MÈRE. LA MÈRE. Dis donc, les cabinets ont disparu. LE PÈRE. Tu ne m’apprends rien. LA MÈRE. Alors, je m’en vais. Tu n’as plus besoin de moi? LE PÈRE. J’ai toujours besoin de toi, ma chérie. Viens dans mes bras. Et maintenant, discutons le bout de gras. (à la postière) Tenez, prenez le calva et emmenez ces enfants, parce que je vais être obligé de me tenir mal. LA POSTIÈRE. Venez, les enfants, on va se taper des rincettes. C’est pas tous les jours fête. (la postière sort avec André et Marie en les tenant par la main comme deux gosses) Scène XXVIII LE PÈRE. LA MÈRE. LE PÈRE. Guili, guili! LA MÈRE. Ah! Écoute, Joachim, je n’ose pas... LE PÈRE. Je ne m’appelle pas Joachim. Tu confonds avec ton premier mari. Tu sais bien, le garde-chasse. LA MÈRE. Excuse-moi, ça m’était complètement sorti de l’idée. LE PÈRE. Enfin, on va revoir nos enfants. Tu n’es pas contente? LA MÈRE. Je suis émue. Je ne sais pas ce que j’ai aujourd’hui, mais ce mariage me trouble beaucoup. LE PÈRE. Ah! ah! Ça te rappelle le tien, hein, ma poupée! LA MÈRE. Mais non, ça ne me rappelle pas le mien. Il y a longtemps que je l’ai oublié, le mien. LE PÈRE. Allons! Tout de même. LA MÈRE (le regardant fixement). Tu ne vas pas me dire que tu fasses quoi que ce soit pour me le rappeler? LE PÈRE (gêné). Heu... les circonstances ne s’y prêtent pas... J’ai quarante-deux ans... LA MÈRE. Pas moi. (silence) LE PÈRE. Au fait, tu ne crois pas qu’on devrait donner un autre nom à Marie? LA MÈRE. À laquelle? LE PÈRE. À n’importe laquelle. Pourvu qu’une des deux s’appelle autrement, c’est l’essentiel. LA MÈRE. Je ne veux pas. LE PÈRE. Mais ça sera bien plus commode. LA MÈRE. Tu n’aimes pas mon nom, en somme? LE PÈRE. Si... justement... Je voudrais te le réserver. Et je crois qu’il faudrait quand même lui donner un autre nom parce que Heinz a tendance à se tromper et ça embête Marie. Elle le trouve très laid. LA MÈRE. Si Marie n’aime pas Heinz, elle n’est pas forcée de l’épouser. LE PÈRE. Mais, justement, je parlais de l’autre Marie. Tu vois bien que ça n’est pas commode. LA MÈRE. C’est parce que tu es bête. (il lève les bras et se tape les cuisses, découragé) Enfin, c’est vrai. Voilà quinze ans qu’elle s’appelle Marie et tu voudrais changer son nom. C’est extraordinaire! Tu as toujours des idées abracadabrantes. Tu ne peux pas équarrir et rester tranquille, non? LE PÈRE. J’en ai assez de l’équarrissage. D’abord, je perds la main et ensuite mon rabot est esquinté. LA MÈRE (hochant la tête). Tu vieillis. Je ne peux pas t’empêcher de faire ce qui te plaît, après tout. Appelle-la comme tu voudras. LE PÈRE (ravi). Enfin, je te retrouve. LA MÈRE (fondant en larmes). Ma petite fille... Scène XXIX LES MÊMES. MARIE (celle d’Heinz). LE PÈRE. Tiens, la voilà. Allons, ne pleure pas comme ça, Marie, voyons. Ce n’est rien, un changement de nom. LA MÈRE. Ce n’est rien, non! Elle va déjà changer de grand nom en épousant son imbécile à lunettes, et maintenant, tu veux lui changer son petit nom... Qu’est-ce qui va lui rester, alors? MARIE. Pourquoi est-ce que vous vous disputez? LE PÈRE. Dorénavant, tu t’appelleras Cyprienne. LA MÈRE (relevant la tête, étonnée et ravie). Cyprienne?... Mais c’est ravissant! LE PÈRE (faussement modeste). Heu... tu sais... ce n’est pas de moi... CYPRIENNE. Cyprienne? Moi, ça m’est égal, au fond. Je veux bien m’appeler Cyprienne. Mais quel intérêt ça a-t-il? LE PÈRE. Marie, c’est un peu monotone. CYPRIENNE. Évidemment, ça se porte beaucoup. Mais Cyprienne Schnittermach, tu crois que ça sonne bien? LE PÈRE. Certainement. LA MÈRE. Ça fait étranger, tout de même. Enfin, tu diras ce que tu voudras, c’est ravissant. LE PÈRE (doucement flatté). Je reconnais que c’est... original. (un silence) CYPRIENNE. Tu ne travailles pas, papa, aujourd’hui? LE PÈRE. Ah non! Aujourd’hui, c’est un grand jour. CYPRIENNE. Qu’est-ce qui se passe? LE PÈRE. Ton frère et ta soeur viennent pour le conseil de famille. CYPRIENNE. Quel conseil de famille? LE PÈRE. Eh bien, mais pour ton mariage, voyons! CYPRIENNE (déçue). Ah! bon... Moi qui croyais qu’il y avait quelque chose de nouveau. LE PÈRE. Comment, tu ne trouves pas ça nouveau? CYPRIENNE. Je couche avec Heinz depuis quatre ans. LE PÈRE. Est-ce qu’il t’a fait un enfant? CYPRIENNE. Je ne crois pas... Je m’en serais aperçue... LE PÈRE. Enfin, tu es enceinte, oui ou non? CYPRIENNE. Qu’est-ce que ça peut te faire? (elle se promène dans la pièce en chantonnant) LA MÈRE. Tu sais, il faut que tu répondes, Cyprienne. (elle répète rêveusement) Cyprienne... J’aurais voulu m’appeler comme ça... CYPRIENNE. Vous m’assommez, tous les deux, avec vos questions. Vous avez assez souvent regardé par le trou du mur pour savoir si oui ou non je risque d’avoir un enfant après ce que j’ai fait avec Heinz. LE PÈRE. Comment veux-tu qu’on le sache? Tu éteins toujours la lumière et tu as graissé les ressorts de ton sommier. Et puis, d’abord, c’est André qui regarde. Moi, je remets une planche neuve tous les jours. Tu le sais très bien. CYPRIENNE. Tu viens juste la remettre tous les jours à dix heures du soir, au moment où on se couche... LE PÈRE. Tu me révoltes. Dieu sait si je suis éloigné de ces choses-là!... LA MÈRE. Dieu le sait et moi aussi. LE PÈRE. De toutes façons, tu dois nous dire si tu es enceinte. CYPRIENNE. Zut et zut!... (grand bruit au grenier. Une trappe s’ouvre et un type atterrit en parachute) Scène XXX LES MÊMES. JACQUES. LA MÈRE. Mais c’est mon petit Jacques. JACQUES. Bonjour, messieurs-dames! (embrassades) LA MÈRE. Mon petit Jacques! Ça fait combien de temps que tu n’étais pas venu voir ton vieux papa et ta maman? (elle fond en larmes) LE PÈRE. Dis donc! Pourquoi ton vieux papa? JACQUES. Elle n’a pas changé, maman. Toujours marrante! (il embrasse sa mère) Et toi, ma vieille Marie? CYPRIENNE. Bonjour, Jacques. Tu as un beau blouson, dis donc! (il l’embrasse) JACQUES. Elle est devenue pas mal, Marie. LE PÈRE. Tu peux l’appeler Cyprienne, parce qu’elle va se marier. JACQUES. Sans blague! Ça, alors, c’est renversant. (il la regarde avec stupeur) Dites donc... (il renifle) Ça cocotte toujours autant chez vous. Beaucoup de travail, papa? LE PÈRE. La fosse est pleine. JACQUES (se frotte les mains). Fameux! (la trappe se rouvre et un second parachutiste atterrit. Il est japonais) Scène XXXI LES MÊMES. LE PARACHUTISTE JAPONAIS. LE JAPONAIS. Hikra aram bul cuiculoc mic arrhoû? LE PÈRE (compte sur ses doigts). C’est pas Jacques, c’est pas Catherine. C’est pas Marie... C’est pas un de mes enfants. JACQUES. Vous vous trompez d’endroit. LE JAPONAIS (souriant largement et très poliment). Crô Huc ano maghô trucmuche? LE PÈRE. Mais comment donc!... (le Japonais tire un poignard de sa ceinture et se fait harakiri en ajoutant. « Couic! ») JACQUES. Pas d’erreur, c’est bien un Japonais. Qu’est-ce qu’on en fait? LE PÈRE. Il n’y a qu’à le mettre dans la fosse. Je le ferai avec les autres. (ils soulèvent le cadavre et le jettent dans la fosse) LA MÈRE. Cyprienne! Essuie par terre. C’est dégoûtant! (le père et Jacques reviennent. Pas dans l’escalier. Coups à la porte de droite) Scène XXXII LE PÈRE. LA MÈRE. CYPRIENNE. JACQUES (en Américain) et CATHERINE (en parachutiste pin-up. petites bottes rouges, petite jupe plissée extra-courte, blouse kaki, petite culotte rouge, poitrine terrible et bonnet de l’armée rouge. Deux étoiles rouges sur les seins.) LE PÈRE. Ah! Cette fois, c’est elle!... LA MÈRE. Bonjour ma chérie. (embrassades. Catherine embrasse sur la bouche, à la russe, son père et Jacques qui restent pantelants) CATHERINE. Ça fait plaisir de se sentir chez soi. (elle renifle) LA MÈRE. Tu n’as pas eu trop de mal à venir, ma chérie? CATHERINE. Ben, si, tu sais, d’en haut, on n’y reconnaît pas grand chose. Il y a eu du chambardement, par ici? LE PÈRE. Tu parles qu’il y en a eu! L’année dernière, le père Durosier a fait abattre ses trois ormes. LA MÈRE (réfléchissant). Et Mme Lecoin a fait bâtir un clapier de six mètres de long!... JACQUES. Sûr, ça change le paysage, mais on a trouvé quand même, tu vois! (il renifle ostensiblement) CATHERINE. Alors, Marie, c’est toi qui es fiancée? CYPRIENNE. Tu peux m’appeler Cyprienne. CATHERINE. Enfin! Ils se sont décidés à te changer de nom! JACQUES. Et où est Marie? LA MÈRE. Mais elle est là, mon petit. On te répète qu’elle s’appelle Cyprienne... LE PÈRE. Mais non, c’est l’autre, voyons... Elle vient justement de se fiancer ce matin avec un Américain, un de tes compatriotes... Tiens, au fait, il n’est pas encore revenu. Qu’est ce qu’il fiche, encore, celui-là? Elle doit être en train de se faire belle pour votre arrivée. Tu vas la trouver dans sa chambre. Scène XXXIII Arrive MARIE. LE PÈRE. Tiens, la voilà. JACQUES (se précipitant sur elle et l’embrassant dans le cou). Bonjour, ma poulette. LE PÈRE. Eh bien, Jacques, veux-tu laisser ta soeur tranquille... elle n’a plus douze ans... Tu ne vas pas coucher avec elle, quand même? JACQUES. Tu ne l’as jamais fait, toi, non? LE PÈRE (indigné). Certainement que non! Espèce de cochon! JACQUES. Eh bien, ça suffit d’un crétin dans la famille. (il rit) CATHERINE. Dis donc, Cyprienne, il est là ton fiancé? CYPRIENNE. Non, c’est l’heure où il se bat... Oh, il était en retard, papa a été obligé de lui faire un mot pour son capitaine... ils sont très sévères avec lui... LE PÈRE. Allons, tas de chenapans, venez boire; asseyez-vous autour de cette table et restez tranquilles. (tous s’approchent et s’installent de telle sorte que Cyprienne se trouve seule, isolée du groupe, comme une accusée. Après avoir bu, Catherine casse son verre contre le mur. Personne n’y fait attention) LE PÈRE (se levant). Maintenant, venons au fait, Cyprienne! CYPRIENNE. Oui, papa? LE PÈRE. Tu es fiancée à Heinz. Tu as l’intention de l’épouser. Tu comprends bien qu’il n’est absolument pas question (il martèle ses mots) de te marier sans le consentement de ta famille. Par conséquent, c’est la logique même, tu dois répondre à tout ce que nous allons te demander, en donnant des détails précis, afin de nous permettre de formuler un jugement en toute objectivité, sur la foi duquel tu te marieras, ou non, suivant la décision prise en fin de compte. (il s’effondre, épuisé) JACQUES (se levant). Tu te rends bien compte que nous n’avons pas fait tout ce chemin pour rien. En sorte qu’il paraît nécessaire que tu nous donnes les renseignements circonstanciés qui, seuls, auront pour effet de nous éclairer. (Il se rassied) CATHERINE (se levant). Je ne sais pas quoi dire, car il me semble qu’ils ont tout dit. (elle se rassied. Silence. Ils la regardent tous. Le père se redresse peu à peu) LE PÈRE. Alors, pour la dernière fois... réponds à ma question. Est-ce que tu es enceinte des oeuvres du dénommé Heinz Schnittermach? JACQUES (se levant). C’est un nom affreux. (il s’assied. La mère fond en larmes. Marie la calme) LE PÈRE (à la mère). Marie, est-ce que tu as rentré la grande échelle? LA MÈRE. Mon Dieu!... j’avais complètement oublié. (elle sort, affolée) LE PÈRE. Cyprienne!... Réponds!... CYPRIENNE. Je ne répondrai pas. LE PÈRE. Il va donc falloir que nous ayons recours à des mesures draconiennes, du nom de leur inventeur. JACQUES. Comme la lune. LE PÈRE. Marie, remonte dans ta chambre. (Marie se lève et va vers la porte, suivie de Jacques) Jacques! Reste ici. JACQUES. Vous êtes bien assez sans moi. (il se rassied) CYPRIENNE. Je comprends pourquoi tu m’as fait changer de nom. Sans ça, je serais remontée dans ma chambre aussi et tu n’aurais rien pu dire. (Marie sort) Scène XXXIV LES MÊMES, moins MARIE. LE PÈRE. Couchez-la sur l’établi. (Catherine et Jacques s’emparent de Cyprienne) JACQUES. Avec quoi va-t-on la travailler? (ricanement diabolique) CATHERINE. J’ai des cigares. LE PÈRE. Je ne peux pas supporter l’odeur du cigare. (Catherine hausse les épaules. Elle et Jacques ficellent Cyprienne sur l’établi) CYPRIENNE. Moi non plus, mais je ne voudrais pas que mon opinion puisse vous influencer en quoi que ce soit. LE PÈRE. Quand je dis que je ne peux pas supporter l’odeur du cigare, ce n’est pas une figure de rhétorique. Positivement, il y a deux choses que je ne peux pas supporter. d’une part, un rabot mal affûté, et, d’autre part, avoir les pieds humides. JACQUES. Qu’est-ce que tu fais de l’odeur des cigares? LE PÈRE. À la longue, ça se dissipe. Et puis, ici, tu sais, on ne la sentirait pas. Moi, je crois qu’il vaut mieux la chatouiller. (ils achèvent de lier Cyprienne, qui ne fait pas un mouvement. Le père cherche des instruments) JACQUES. Écoute, Cyprienne, on a l’air de revenir pour t’embêter, mais c’est pourtant bien simple, ce qu’on te demande. Si tu voulais répondre tout de suite, tu nous épargnerais une scène spectaculaire, je le reconnais, mais pénible. CYPRIENNE. Qu’est-ce que tu veux que je te dise, Jacques, vous êtes tous là à vous jeter sur moi comme des poux sur un crâne. Je suppose que vous êtes aussi gênés que moi. Remarque, à votre place, j’en ferais autant, parce que je sais que c’est le seul moyen de me faire parler. Je suis têtue comme une mule et je ne veux pas vous répondre. JACQUES. Eh bien, ma vieille, on va te chatouiller. (il s’approche et commence. Cyprienne se tord) LE PÈRE. N’aie pas peur d’y aller, elle est forte comme un cheval... et je m’y connais. Tiens, voilà une plume de pintade, ça n’a pas d’équivalent. JACQUES. Apporte-moi un brin de paille. (Cyprienne hurle de joie) Oh!... Cyprienne, je t’en prie... tu me fais mal à la tête. (Cyprienne redouble) LE PÈRE. Fais attention à cette plume, Jacques... J’y tiens. Quelle entêtée... Vas-tu répondre, petite dinde? (Cyprienne remet ça) CATHERINE (se remettant du rouge). Tu sais, Cyprienne, tu me déçois, je ne pensais pas que tu sois si renfermée. J’aurais cru qu’avec tes frère et soeur, tu te montrerais plus confiante, plus affectueuse, enfin. JACQUES (s’essuie le front). Vraiment, c’est idiot. Pourquoi est-ce que tu ne veux pas répondre? Enfin, voilà un type avec qui tu couches depuis quatre ans, tout le monde le sait, tout le monde vous a vus; d’ailleurs, il n’y a aucun mal à ça, je m’empresse de l’ajouter; et, stupidement, par mauvaise volonté, pour on ne sait quelle raison, tu refuses de nous dire si tu es enceinte ou non. Ça n’a pas le sens commun. On se demande ce que tu ferais s’il t’arrivait vraiment quelque chose de sérieux. CATHERINE. On revient ici. On est tous contents de te voir, de voir ton fiancé. On s’apprête à se réjouir gentiment, en famille, à revoir papa et maman. (elle essuie une larme) Et puis tu ne veux rien nous dire; tu es plus étrangère que si tu n’étais pas de la famille. JACQUES (ému, lui aussi, voix entrecoupée). Nous étions en droit d’attendre autre chose que cette réception là. (il renifle) LE PÈRE (sanglotant). Cyprienne... Ma petite fille... Jamais je n’aurais cru que tu nous traites comme ça!... CATHERINE (essuie ses yeux à la dérobée et va s’asseoir). Cyprienne, nous avons tous de la peine à cause de toi, et tu restes là, sans rien dire. (Cyprienne se tord de rire) LE PÈRE. Tenez, je vais vous donner des clous. On va la fixer un peu plus solidement. On s’obstine toujours à attacher les gens avec des cordes, alors que c’est tellement plus facile de les clouer. JACQUES. Ça va abîmer l’établi. LE PÈRE. Ça ne fait rien. Malgré tout, on ne va pas tenir compte d’une question d’établi dans un cas comme celui-là, où le mariage de ta soeur est en jeu. Tiens, voilà le marteau, Jacques. JACQUES. Non, après tout, on va prendre du chatterton. LE PÈRE. Prends-le, Catherine, il est dans l’armoire à outils. CATHERINE. J’y vais. (elle y va, et pendant ce qui suit, elle s’emmêlera affreusement dans le chatterton) JACQUES. Ça me coupe les jambes, papa... J’ai jamais pu supporter les chatouilles et c’est comme si on me le faisait à moi... Relaie- moi, papa... LE PÈRE. Allons, allons, toi, un héros! De mon temps, en 1890, on n’aurait pas admis qu’un parachutiste se dégonfle. JACQUES. Vous receviez une éducation de sauvages, aussi, de ton temps. (Cyprienne s’enroue et tousse) LE PÈRE (sévère). Jacques, ne fais pas tousser ta soeur. Ce n’est pas toi qui lui paies des leçons de chant à 200 francs par mois. JACQUES. Toi non plus. LE PÈRE. Non, mais j’en avais l’intention... Allons, Catherine, veux-tu cesser de faire l’imbécile? Oh! ces enfants... CATHERINE (emmêlée affreusement). Aide-moi, papa, coupe tout ça. (il s’exécute en maugréant) CATHERINE (revient à sa soeur). Réponds, est-ce que oui ou non Heinz t’a fait un enfant? CYPRIENNE. Je ne dirai rien, je ne dirai rien... Ouille!... Laisse-moi... (vaincue, elle explose, hystérique) Arrêtez... Je vais le dire. LE PÈRE. Elle connaît les endroits, hein, Catherine. C’est un vrai garçon manqué. Allons Cyprienne, est-ce que tu vas avoir un enfant? CYPRIENNE. Non... JACQUES. C’est bien vrai? CYPRIENNE. Oui... CATHERINE. Tu ne mens pas? CYPRIENNE. Je dis la vérité. LE PÈRE. Eh bien, tu sais, tu n’es pas bavarde!... (il se laisse tomber assis sur une chaise) JACQUES (d’une voix brisée). Donne-moi à boire, papa... (tous s’empressent autour de lui) CYPRIENNE (furieuse, les calotte l’un après l’autre, à l’improviste. Ils se tiennent tous la joue). Pourquoi m’avez-vous fait ça?... Pourquoi m’avez-vous fait ça?... Je ne voulais pas le dire... là... (coups à la porte) LE PÈRE. Pour savoir s’il fallait que tu épouses Heinz. Maintenant, nous savons qu’il ne t’a pas fait d’enfant. Tout est donc à recommencer. Il faut réparer ça au plus vite. Tu vas l’épouser aujourd’hui même. Tu es contente, hein? Imbécile! Scène XXXV LES MÊMES. UN GRAND F.F.I. SIMPLE SOLDAT, avec une barbe noire et cinquante ans. UN PETIT F.F.I., COLONEL de quatorze ans. Brassards. LE PÈRE (allant ouvrir). Entrez! LE VIEUX F.F.I.. Je nous présente. Vincent, dit Barbeblanche, F.F.I., et le colonel Loriot. LE COLONEL LORIOT. Repos! LE PÈRE. Vous désirez? VINCENT. Il paraît qu’il y a un Amerlaud, chez vous? LE COLONEL LORIOT. Oui... On nous a dit que... On l’a vu, quoi... LE PÈRE. Ah, ça doit être mon fils Jacques. Mais entrez donc. Faites comme chez vous!... VINCENT (à Jacques, très mondain). Alors, comme ça, vous avez débarqué? JACQUES. Oh!... Je suis revenu marier ma soeur, c’est tout. LORIOT. Comment est-ce en Amérique? JACQUES. Je ne sais pas, moi, vous savez, je suis d’ici. VINCENT (déçu). Ah... Excusez-nous. On croyait que c’était l’uniforme américain... LE COLONEL LORIOT. Vous savez, nous, on n’a pas l’habitude; on est F.F.I. depuis ce matin. LE PÈRE. Vous m’avez fauché ma voiture? VINCENT. Qu’est-ce que c’est? LE PÈRE. Une Delage. LE COLONEL LORIOT. Une Delage traction avant? VINCENT. Mais non, colonel, tu déconnes, il n’y a pas de Delage traction avant... LE COLONEL LORIOT. Ah... bon... VINCENT (expliquant). Vous savez, nous, c’est les tractions avant qui nous intéressent. LE PÈRE. Vous devriez prendre celle du voisin. Elle est toute neuve. LE COLONEL LORIOT. Quel numéro? LE PÈRE. Cinq milliards quatre cent quatre-vingt-sept millions six cent mille zéro deux. VINCENT. C’est ça, c’est celle du colonel. Mais on en cherchait une pour moi. LE PÈRE. Je suis désolé... LE COLONEL LORIOT. Ça ne fait rien... VINCENT. Tu t’en fous, toi, tu en as une. (à Jacques:) Les jeeps, comme ils disent (il prononce gèpes), ça marche? JACQUES. Je ne sais pas, moi, je me sers d’un parachute. VINCENT (à Catherine). Vous savez, vous, mademoiselle? CATHERINE. Je suis parachutiste aussi... VINCENT ET LORIOT (se levant). Ah... Eh ben, alors... On s’en va. Bonsoir messieurs-dames. LE PÈRE. Bonsoir. À bientôt. VINCENT. Oh non... Une Delage, ça ne nous tente pas. C’est trop voyant... LE PÈRE. Je regrette... (il les conduit à la porte. Catherine a fini de dégager Cyprienne et l’entraîne vers l’escalier) Scène XXXVI LE PÈRE. JACQUES. LE PÈRE (à Catherine qui sort). Ramène Marie. JACQUES (brisé). Il faut appeler maman. CATHERINE. Oh, Jacques, écoute, tiens-toi un peu. Qu’est-ce que ça sera quand on te mariera si tu es déjà dans cet état-là pour ta soeur... (elle sort) JACQUES. Maman!... Maman!... (remue-ménage du côté de la fosse. Émerge le voisin, tout couvert de terre et de merde et les doigts écartés, tâtonnant) Scène XXXVII LES MÊMES. LE VOISIN. LE PÈRE. Tiens, qui sort de ma fosse? (il regarde attentivement) Mais c’est notre voisin... LE VOISIN. C’étaient des blagues, mon vieux. LE PÈRE. Quoi? Quelles blagues? LE VOISIN. La maison n’était pas du tout par terre. Alors, je m’amène, je vois ça, tu penses, ça m’a fichu un choc. J’ai fait le tour de la cave au grenier, pour être sûr que tout était en place. Du grenier à la cave, plutôt. Je suis rassuré. LE PÈRE. Pourquoi sors-tu de ma fosse à équarrir? LE VOISIN. Eh bien, juste au moment où j’allais remonter, j’ai entendu du bruit et le plafond de ma cave m’est tombé sur la gueule. Alors, j’ai creusé vers toi... au jugé. (il renifle) Mais je suis quand même content que la maison n’ait rien. LE PÈRE. Ah, bon... Alors je comprends. LE VOISIN. Faudra que tu m’aides à réparer le plafond de ma cave. LE PÈRE. Oh, on fera ça demain. Aujourd’hui, on s’occupe de la petite. Tout est pour elle, maintenant. JACQUES. Papa, va chercher maman... LE PÈRE. Mais oui, mon petit, je vais l’appeler. J’allais le faire. LE VOISIN. Ne lui passe donc pas tous ses caprices... LE PÈRE. Jacques a toujours été plus affectueux que les autres. Et puis ce n’est pas un caprice; tu te figures qu’on va marier Cyprienne sans sa mère? (Pendant ce temps, il range des outils, puis il va vers la porte de droite et appelle: Marie!... Elle entre par la porte du fond) Scène XXXVIII LES MÊMES. LA MÈRE. LA MÈRE. Me voilà. (affolée) Qu’est-ce qu’il y a? Jacques est couché? (elle fond en larmes) Un accident? Mon petit garçon! LE PÈRE. Dis donc, Marie, as-tu vu si le troisième cochon a eu sa soupe? LA MÈRE. Le troisième cochon?... Il y a un troisième cochon et tu ne me l’as pas dit?... Je vais le voir. (elle va pour sortir. Le père lui court après) LE PÈRE. Mais non, mais non, reste ici, voyons. C’est une blague! LA MÈRE (vexée). Tu me fais toujours des blagues... (on s’attend à ce qu’elle fonde en larmes, mais elle se ressaisit et envoie un formidable direct dans l’estomac du père) LE PÈRE (suffoqué). Ouille!... (il se tient le ventre et saute sur place. La mère regarde son poing étonnée, puis laisse retomber sa main) Mais, enfin, Marie... Tu deviens folle? LA MÈRE (fondant en larmes). Aussi... pourquoi me racontes-tu toujours des blagues? JACQUES. Maman!... Viens me consoler!... LA MÈRE (s’élançant vers lui). Oui, mon chéri! Tu n’as rien de grave, au moins!... JACQUES. Je voulais te voir... (elle le dorlote. Le père, chancelant, revient vers son établi. Le voisin se tord silencieusement) LE PÈRE (au voisin). Ça te fait rire, vieux débris? LE VOISIN (offensé). Vieux débris? Je suis du même jour que toi!... LE PÈRE. Tu es né trois heures avant moi. LE VOISIN (maté). Je le reconnais. (silence) Peux-tu me prêter un outil? Je voudrais gratter cette terre. LE PÈRE. Tu m’embêtes, tu vas tout faire rouiller. (il lui tend un gros clou en maugréant) LE VOISIN. La peste soit des avares et des avaricieux. (coups à la porte) Scène XXXIX Entrent LES DEUX ALLEMANDS et LES DEUX AMÉRICAINS chanteurs. Ils ont complètement mélangé leurs uniformes. PREMIER AMÉRICAIN. Écoutez ça... on vient de répéter... Ein, zwei... (Choeur. Wenn die Soldaten.) PREMIER ALLEMAND. Merci de votre aimable attention. (ils font la révérence et sortent) Scène XL LES MÊMES. LA MÈRE. LA MÈRE. Allez, mon Jacquot, je t’ai assez dorloté, maintenant... JACQUOT. Oh!... non... encore... LA MÈRE. Écoute, Jacquot... ce n’est pas de ton âge... LE VOISIN. Là, je suis à peu près propre. LA MÈRE. Si la jeunesse dansait un peu? LE VOISIN (se levant). C’est ça, je vais chercher mon violon. (il va à la porte et sort) Scène XLI LE PÈRE. LA MÈRE. JACQUES. LE PÈRE. Allons, Jacques... On t’a assez cajolé, maintenant. Lève-toi et aide ton père à débarrasser la pièce. LA MÈRE. Mettez la table à gauche, là, je la dresserai tout à l’heure pour le repas. (ils déménagent la table. Rentre le voisin) Scène XLII LES MÊMES. LE VOISIN. LE VOISIN (tenant à la main un violon flambant neuf). J’ai eu de la veine de le trouver du premier coup. (au père) Il était sous l’évier, au beau milieu du salon. Dis donc, pour le plafond de la cave, on commencera par enlever ce qui reste de la maison. Comme ça, on verra ce qu’on fait. LE PÈRE. Oui... oui... on verra ça demain. Mais, dis donc... (il est frappé d’une idée subite) LE VOISIN. Quoi? LE PÈRE. Tu vas toucher des dommages de guerre... (ils se tordent tous les deux à en perdre la respiration. Entrent Catherine et Marie) Scène XLIII LES MÊMES. CATHERINE. MARIE. MARIE (a changé de robe. Très pute). Oh! mais qu’est-ce que vous avez fait, ici? (battant des mains) On va danser? LA MÈRE. Tu as mis ta robe neuve? MARIE. L’autre était déchirée... LE VOISIN. Allez, en place, les danseurs. (il prend son violon et commence à jouer un air vachement swing) LE PÈRE. Allez, Catherine, viens danser avec moi... (le violon s’arrête) LE VOISIN. En réalité, il vaudrait mieux que les fiancés ouvrissent le bal. LA MÈRE. Je vais les chercher. LE PÈRE. Je vais téléphoner à Heinz. (à la mère) Où se bat-il en ce moment? LA MÈRE. Oh! il est à cinq cents mètres. Demande son capitaine, Künsterlich, il s’appelle. LE PÈRE. Bien. (il téléphone. La mère sort. Le voisin accorde son violon. Catherine regarde autour d’elle et Jacques se lève et s’étire. Marie esquisse toute seule quelques pas de danse au milieu de la pièce vide. Masquant le récepteur de la main, au voisin:) Tais-toi donc, vieux crétin. Je n’entends pas un mot de ce qu’il dit. (violente explosion, puis crépitement ininterrompu de mitrailleuse. Le père termine posément et raccroche. Le bruit diminue) Il arrive tout de suite. Le capitaine me l’envoie dans un instant, ils ont encore trois mètres à faire et ça y est. Ils finissent leurs heures supplémentaires. D’après ce qu’il dit, ça se présente bien. JACQUES (indifférent). Pour qui? LE PÈRE. Oh, pour les deux. Pour les Américains et les Allemands. Le capitaine n’est pas très fixé, mais il est optimiste. (entrent la mère, puis Cyprienne avec un petit sparadrap) LE PÈRE. À la bonne heure! Voilà ma grande fille. (elle se laisse embrasser) Eh bien, voilà qui est parfait. Tu es en forme, au moins? CYPRIENNE. Oui, naturellement. LA MÈRE. On va te faire une surprise. Ton fiancé sera là dans cinq minutes. Tu ouvriras le bal avec lui. LE PÈRE. Tu vois qu’on fait tout ce qu’on peut pour que tu sois heureuse. CYPRIENNE. Vous ne pourriez pas me trouver un autre fiancé, pendant que vous y êtes? LE PÈRE (riant aux éclats). Ah! ah! Sacrée Cyprienne. Allons, tu es bien contente de l’épouser, ton Heinz!... (Cyprienne approuve, l’air dégoûté) LE VOISIN. Je ne sais pas ce qu’a mon violon, je ne peux plus changer de vitesse. (il manoeuvre un petit levier sur le violon. Détonation sèche) Ah! ça marche... LE PÈRE. Tu nous as fait peur. JACQUES. Vous pouvez jouer le « Bon Petit Vin blanc »? LE VOISIN. Non, je ne connais pas ça. Moi, je n’aime que la musique américaine. JACQUES. Alors, vous jouez Sweet Adeline... LE VOISIN. Mais non, des trucs comme Sweet Sue, Swanee River... LA MÈRE. Est-ce que tous les airs américains commencent donc par un S? JACQUES. Mais non, maman, tu es idiote. LA MÈRE (détachée). Ah bon! LE VOISIN. Qu’est-ce qu’il fabrique, le fiancé? Il faudrait qu’il se dépêche pendant que mon violon marche encore. (coups à la porte) TOUS. Ah!... Oh!... Le voilà! (entrent deux soeurs de charité) Scène XLIV LES MÊMES. DEUX SOEURS DE CHARITÉ. PREMIÈRE SOEUR. Pour les pauvres de la paroisse, s’il vous plaît! TOUS. Hou! hou!... (ils se précipitent sur les soeurs et les éjectent) LE PÈRE. Un jour comme ça! C’est du culot!... (coups à la porte, silence de mort) Scène XLV LES MÊMES moins LES DEUX SOEURS plus HEINZ et LE CAPITAINE. (Timides et rougissants, ils saluent en portant la main à la casquette) HEINZ. Bonjour, Marie. CYPRIENNE. Bonjour, Heinz... Il faut que tu m’appelles Cyprienne, maintenant. HEINZ. Oui? Tu es blessée? CYPRIENNE. Ce n’est rien. J’ai ouvert des boîtes de conserves. HEINZ (amer). Des boîtes de conserves américaines, naturellement... CYPRIENNE. Mais non, mon chéri, des conserves de rutabaga. (elle va vers lui et l’embrasse. Détente générale) CATHERINE. Alors, c’est vous le fiancé de Cyprienne? CAPITAINE KÜNSTERLICH. Est-ce que je peux dire quelques mots? LE PÈRE. Mais nous vous en prions, capitaine. Mes enfants, je vous présente le capitaine Künsterlich. (sourires, hoche-tête, etc.) Alors, capitaine, ça va, là-bas? LE CAPITAINE. C’est justement ça... À vrai dire, ça va comme ci, comme ça... LE PÈRE. Tout à l’heure, au téléphone, ça allait bien, pourtant; vous aviez l’air content. LE CAPITAINE. Eh bien, bien sûr, ça n’était pas la même chose. Tout à l’heure, j’en avais encore cent neuf sur cent vingt dans mon corps d’armée, et maintenant, tout d’un coup, là, il reste Heinz et moi. LA MÈRE. Oh!... mais, alors, les amis de Heinz ne vont pas pouvoir assister à son mariage? LE CAPITAINE. J’en suis bien désolé, madame, j’ai bien peur que Heinz ne puisse pas se marier maintenant. Heinz, mon vieux Heinz! (Heinz se blottit dans les bras de Cyprienne) LE PÈRE. Mais pourquoi? CATHERINE. Ça n’a pas d’importance, si ses camarades ne peuvent pas venir. LE CAPITAINE. Ce n’est pas ça, c’est que si je n’ai plus de soldats, je ne suis plus capitaine. LA MÈRE (enjôleuse). Vous y tenez tant que ça à être capitaine? LE CAPITAINE. On est considéré, vous savez. Allez, Heinz, dis au revoir à ces messieurs-dames et viens chercher notre téléphone. C’est tout ce qui reste. Ces Américains cassent absolument tout. (s’avisant de la présence de Jacques) Ne vous vexez pas surtout, je ne disais pas ça pour vous. (geste de Jacques. Le capitaine constate l’hostilité générale) Vous comprenez la délicatesse de ma position. (à la mère) Madame, ne me regardez pas comme ça... Ça n’est pas ma faute si les cent dix-huit autres sont morts. Qu’est-ce que vous voulez, il me faut au moins un soldat, n’est-ce pas?... Faites-moi sentir que vous me comprenez!... (pendant ce temps, Catherine furette sur l’établi et se trouve derrière lui. Elle saisit un marteau et l’assomme. Il tombe dans la fosse que le voisin vient d’ouvrir en manoeuvrant le levier) CATHERINE. Allez, on va les marier en vitesse. Toi, maman, tu vas vite préparer le dîner de mariage. (elle regarde sa montre) Et comme ça, si on s’y met tous, on peut être prêts à l’heure et tout sera réglé. JACQUES. Je reviens tout de suite. (il sort) LA MÈRE. Heinz, Cyprienne, venez chercher des oeufs avec moi. (ils sortent) Mettez le couvert, vous autres. (entre André) André, nous manquons de femmes. Tu vas aller t’habiller en fille. ANDRÉ. Vous êtes folle? Non, mais alors! Je ne veux pas!... CATHERINE. Mais si... Tu veux bien... (elle le regarde d’une certaine façon. André sort. Le père s’étire et regarde Catherine avec admiration) Scène XLVI CATHERINE. LE PÈRE. LE VOISIN. LE PÈRE. Toi, au moins, tu en as une drôle de paire... LE VOISIN. Ça c’est vrai, tu en as, un drôle de père... LE PÈRE (sèchement). Ce n’est pas du tout ça que j’ai dit, sinistre vieillard. Aide-moi à préparer tout pour le déjeuner. Catherine, tu veux mettre la nappe? CATHERINE. Mais papa, la table est encombrée. LE PÈRE. C’est rien, on va débarrasser. (au voisin) Débarrasse la table, toi, au lieu de te tourner les pouces sans arrêt. LE VOISIN (maugréant). J’ai jamais su me tourner les pouces et tu viens me reprocher ça. (à la dérobée, il essaie de se tourner les pouces) LE PÈRE. T’as pas fini? (il lui donne une grande claque sur la main) Débarrasse la table, je te dis. LE VOISIN. Va te faire... (oeil terrible du père) Va te faire un peu la barbe, voyons, pour le mariage de ta fille... (le voisin va à la table, prend un grand bout de bois et racle tout par terre) LE PÈRE. Enfin, tu t’y mets. (Catherine arrive avec une nappe) Allez-y, mes enfants. Scène XLVII LE PÈRE. CATHERINE. LE VOISIN. ANDRÉ. (entre André en fille) ANDRÉ (pleurnichant). Pourquoi m’avez-vous fait habiller comme ça, Catherine? J’ai l’air d’un crétin. CATHERINE. Mais non, tu es très gentil. (silence. Ils arrangent la table. Fleurs sur la table. Une grosse varlope sur la table. Des squelettes de têtes de chevaux sur chaque assiette, une serviette entre les dents) ANDRÉ. Catherine, est-ce que je peux remettre mes souliers bas? Chaque fois que je marche, je me casse la gueule. LE VOISIN. Entraîne-toi, sacré nom! Ce n’est pas plus difficile que de faire du trapèze, quand même! ANDRÉ. Je ne sais pas faire de trapèze non plus. (Catherine hausse les épaules. Silence. André se lève, essaie de marcher, et se fout par terre après une cabriole invraisemblable) ANDRÉ. Oh!... Mâerde!... LE PÈRE. Passe-moi tes souliers, je vais t’arranger ça. (André, assis par terre, se déchausse et donne ses souliers au père, qui visse sous chaque talon une large plaquette de bois, puis les lui rend) ANDRÉ. Comme ça, ça va aller mieux, sûrement. (il les met, marche avec, se prend un pied dans l’autre. Nouvelle chute encore plus effrayante. Il reste là quelques instants) LE VOISIN. Je vais faire pipi. (il sort) LE PÈRE. Fais un peu attention, Jacqueline... (André ne bouge pas) Tu entends? ANDRÉ. C’est à moi que vous parlez? LE PÈRE. Oui. Je ne peux pas t’appeler André, habillé comme tu es. J’ai l’impression de parler à un pédéraste. J’ai horreur de ça. ANDRÉ (effondré). Moi aussi. (il se relève. Coups à la porte) Scène XLVIII LE PÈRE. ANDRÉ. L’ALLEMAND DU PREMIER ACTE (qui avait laissé son fusil pour mieux courir). L’ALLEMAND. Bonjour, monsieur, bonjour, mademoiselle. (André fait un sourire et une révérence) Vous me reconnaissez, oui oui? LE PÈRE. Non. L’ALLEMAND. J’avais laissé là, ce matin, un fusil, un canon et des armes. Est- ce que je peux les reprendre, oui oui? LE PÈRE. Si vous les trouvez. On les a peut-être rangés. L’ALLEMAND. Vous préparez la table? C’est pour célébrer l’événement, oui oui? LE PÈRE. Quand on marie sa fille, on peut bien mettre les petits plats dans les grands. L’ALLEMAND. Certainement, oui oui, ça tient moins de place dans la totalité. LE PÈRE. Au fait, vous voulez peut-être rester là? C’est qu’il n’y a plus beaucoup de place, je crois... (il regarde avec inquiétude du côté de la fosse) L’ALLEMAND. Je ne veux pas vous déranger dans vos préparatifs. (il jette un coup d’oeil à André qui baisse la tête en rougissant) Mais je resterais volontiers, certainement monsieur. LE PÈRE. Alors, habillez-vous en fille. Et, comme ça, vous aiderez Jacqueline à mettre la table. L’ALLEMAND (déçu). Ah!... C’est un garçon... LE PÈRE. Bien sûr!... Vous me croyez incapable de faire travailler des garçons? L’ALLEMAND. Excusez-moi, mais je dois aller rejoindre mon unité, oui oui. Car nous ne sommes plus qu’une dizaine et on était une centaine. LE PÈRE. Je regrette. Passez tantôt si vous voulez. Vous connaissez Heinz? L’ALLEMAND. Naturellement. LE PÈRE. Alors, venez lui serrer la main, ça lui fera plaisir. (il regarde la fosse) L’ALLEMAND. Alors, pour mes affaires, monsieur, elles sont là? Oui oui? LE PÈRE. Voyez dans la cour. (l’Allemand sort) Scène XLIX LE PÈRE. ANDRÉ. CATHERINE. (Elle arrange le couvert, sort, entre, etc.) ANDRÉ. Ils ne reviennent pas vite. LE PÈRE. Tu n’es jamais contente. Tu as le temps de mettre le couvert, comme ça. ANDRÉ. Mes bas ne tiennent pas. LE PÈRE. Attache-les à quelque chose. Tu ne sais pas encore t’habiller, à ton âge? ANDRÉ. Je sais parfaitement m’habiller, mais mes seins tombent tout le temps aussi. LE PÈRE. Passe-toi une ficelle autour du cou, comme ça... C’est ce que fait ta mère. Scène L LES MÊMES, puis rentrent HEINZ et CYPRIENNE, (Heinz a l’air fâché). LE PÈRE. Et ces oeufs? HEINZ (râleur). Oh, c’est pas la peine de se baisser pour des oeufs, surtout quand il n’y en a pas. Moi, je ne m’occupe plus de rien. Les Américains sont là, qu’ils se débrouillent. CYPRIENNE. Heinz, tu ne vas pas bouder aujourd’hui? HEINZ. Non, enfin, c’est formidable... on est là depuis quatre ans, et il suffit que des étrangers arrivent, il n’y en a plus que pour eux... LE PÈRE. Qu’est-ce qu’il y a? Il n’a plus envie de se marier? CYPRIENNE. Heinz! Je t’en prie... ne fais pas la tête... HEINZ. D’abord, qu’est-ce que c’est que celle-là? (il désigne André) ANDRÉ. Ça va, Heinz, tu vas dire que tu ne me reconnais pas! (Heinz hausse les épaules) LE PÈRE. Vous pouvez l’appeler Jacqueline, ça lui va mieux. HEINZ (hausse les épaules). Faut toujours que vous vous déguisiez, vous autres, les Français. Vous ne pouvez pas vous mettre en uniforme, comme tout le monde? CYPRIENNE. Heinz, mon chéri... sois gentil avec papa, je t’en prie. HEINZ. Moi, je me lave les mains de tout ça, je te dis... C’est pas la peine qu’on se crève pendant des années à remonter un pays, à protéger les gens, à les aider et tout, pour arriver à ce résultat-là... À partir de maintenant, ça sera mon tour de me faire entretenir. Et maintenant, quand est-ce qu’on mange? LE PÈRE. Il faut attendre que Jacques revienne. S’il a été chercher le pasteur, ça peut lui prendre un bout de temps. Il n’y en a pas à dix kilomètres à la ronde. HEINZ (acerbe). Oh, je suis sûr que les Américains n’ont pas débarqué sans pasteur. (il s’étire. Entre le voisin) Scène LI LES MÊMES. LE VOISIN. ANDRÉ. Est-ce que je peux aller remettre mon pantalon? LE PÈRE. Écoute, Jacqueline, tu vas nous ficher la paix. CATHERINE. Tu peux bien garder ta robe pour faire plaisir à ton père!... LE PÈRE. Le curé aussi, porte une jupe, crétin!... Est-ce qu’il proteste? LE VOISIN. En tout cas, il m’a dit hier que c’était bien emmerdant pour grimper aux arbres... Et si je vous jouais un peu de violon pour passer le temps? (coups et voix de Jacques) Scène LII LES MÊMES, plus JACQUES. (Jacques entre, suant et soufflant. Il fait un signe pour qu’on vienne l’aider) JACQUES. André! ANDRÉ. Quoi? JACQUES. Viens m’aider. ANDRÉ. C’est pas un travail de femme, ça. Je ne suis pas habillé pour... LE VOISIN. Je vais vous donner un coup de main, si vous voulez. JACQUES (le regarde). Si vous voulez... (ils sortent et reviennent avec deux grosses boîtes pesantes) LE VOISIN. Putain! C’est pesant!... (même jeu. Ils rentrent la seconde caisse et la déposent dans un endroit qu’on ne peut voir de la salle) JACQUES. Merci. Je vais chercher la troisième. LE PÈRE. Qu’est-ce qu’il y a, là dedans? JACQUES. C’est un pasteur. Il est démonté. Je vais chercher ses vêtements. Tu peux commencer à ouvrir les caisses. (le père et André prennent des outils et vont vers les caisses tandis que Jacques ressort, prend la troisième caisse, plus petite, et revient vers eux) LA MÈRE (s’approchant d’eux, suivie du voisin qui, pendant ce temps, s’est escrimé avec son violon, lui collant du sparadrap en croix). Où l’as-tu trouvé, Jacques? (Jacques se redresse et revient) JACQUES. Il y en avait des caisses et des caisses plein la plage. On les distribue à qui en demande. HEINZ (railleur). Vous êtes pas mal organisés... J’ai l’impression qu’on n’a plus qu’à se laisser vivre... (il regarde Jacques. Celui-ci se rengorge) JACQUES. J’en ai pris un du grand modèle. CATHERINE. Des pasteurs, du coca-cola et des voitures... C’est toujours à ça que ça revient, la démocratie occidentale. Et c’est pour ça que ces imbéciles-là se font casser la figure. Tu peux le laisser en pièces détachées, ton pasteur, pour ce qu’il va servir! JACQUES. Ne t’en fais pas. Il servira. Et il est monté avec un radar. CATHERINE. Ça lui fait une belle jambe. (elle ricane, méprisante) Ça ne vaut pas l’artillerie russe. LA MÈRE. Allons, Jacques. Allons, Catherine, veux-tu laisser ton frère tranquille!.. . (au père) Dis donc, si vous vous arrêtiez de remonter ce truc-là, et si vous veniez déjeuner... Je crois qu’il vaut mieux qu’on fasse le déjeuner avant le mariage... avant la cérémonie, je veux dire... LE PÈRE. Cyprienne, appelle ta soeur. CYPRIENNE. Oui, papa. (elle va à la porte) Marie, à table! (elle revient) LA MÈRE. Allons, installez-vous. Jacques, tu te mettras à ma gauche. (Jacques passe. Catherine lui fait un croc-en-jambe. Chute retentissante. Il se lève, se déchausse posément un pied et flanque son soulier à la tête de Catherine. Le soulier la rate et passe juste à travers la fenêtre. La mère continue à placer ses invités) Cyprienne à ma gauche, Heinz à ma gauche, les autres... à ma gauche. (ils s’approchent tous de la table et s’installent) LE PÈRE (se relève). Écoute, Marie, puisque Marie n’est pas là, je vais finir de remonter le pasteur. Ce n’est pas aimable de le laisser là-bas comme il est, avec le foie à l’air et les jambes détachées. Ça me gêne. (il passe à droite et va terminer le pasteur qui se lève, en uniforme avec les petites croix au revers, un peu abruti. Pendant ce temps-là.) LE VOISIN. Vous n’avez pas de porto? J’aime bien un verre de porto avant de commencer le repas. LA MÈRE. Je n’ai que du Martini. LE VOISIN. Ah, non! Pas de Martini! Le directeur de la maison est protestant. JACQUES (menaçant). Vous avez quelque chose contre les protestants? LE VOISIN. Oui. Une dent. JACQUES. Peut-on connaître la raison? LE VOISIN. Ils n’ont pas de cravate. JACQUES. Si ça vous dérange, vous n’avez qu’à vous faire protestant aussi. LE VOISIN (songeur). Mon Dieu... Mais, au fait... JACQUES. Et puis, à la fin, vous m’emmerdez! LE VOISIN. Écoute, Jacques, tu vas trop loin. (il brandit son violon et le casse sur la tête de Jacques. Puis le regarde avec désolation) Mince! Tout mon travail à refaire... (il s’éloigne vers l’établi) LE PÈRE (s’approchant avec le pasteur). Je vous présente le révérend... (il se tourne vers le pasteur, interrogatif. Le pasteur fouille dans sa poche et tire un petit morceau de papier qu’il déplie) LE PASTEUR. Taylor... Robert Taylor... CYPRIENNE. Oh! c’est Robert Taylor. (elle se précipite et l’attrape par la manche) Venez-vous asseoir à côté de moi. JACQUES. Qu’est-ce qu’il y a? J’ai dû me tromper de caisse... (au révérend) Vous êtes bien pasteur? LE PASTEUR. Mais certainement. JACQUES. Excusez-moi, c’est ce nom... Je ne comprends pas... CATHERINE (ricane). C’est bien ça, la civilisation américaine. De la propagande et toujours de la propagande. Ils ont des pasteurs, il faut qu’ils leur collent des noms de vedettes de cinéma. Et vous marchez tous... LE VOISIN. Eh! Ça a du bon! (au révérend) Vous touchez les mêmes rations que les soldats? LE PASTEUR. Non, nous sommes assimilés aux lieutenants ou aux capitaines suivant notre âge. Six bouteilles de whisky par mois. (il regarde son verre et s’adresse à Jacques) Voulez-vous voir dans la caisse. Il doit y en avoir une. LE VOISIN (s’y rue). Macarelle!... Fille de pute... CYPRIENNE. Vous voulez me donner un autographe? Vous êtes toujours marié à Barbara Stanwyck? HEINZ. Elle est juive, hein? (soupir nostalgique) Ah, Sarah! Ils m’ont donné mille marks quand je l’ai dénoncée. (soupir de regret. À bien noter la différence entre le soupir de nostalgie et le soupir de regret. Le second se produit en hochant la tête) J’ai tout dépensé. JACQUES. Mon révérend, ne croyez-vous pas qu’il serait plus normal de les unir tout de suite, avant de déjeuner? LA MÈRE. Mais enfin, qui vous presse? Vous aurez bien le temps après!... Scène LIII LES MÊMES, plus MARIE. (Marie a changé de robe, un peu déshabillée. Genre Dior) CATHERINE. Ah! Enfin, te voilà! (la mère les regarde l’un après l’autre, et Cyprienne regarde le pasteur avec des yeux ronds) MARIE. Qu’est-ce qu’il y a? J’étais pas perdue! Vous savez qu’il y a trois Américains, là-haut. CATHERINE. Il y en a partout, évidemment. HEINZ. C’est des vrais doryphores, ces types-là! (il rit) LE PÈRE (sert à boire). Tenez, monsieur Taylor, je vous sers le premier. CATHERINE. Oh, là là, en voilà des embarras, pour ce type. CYPRIENNE. Mais enfin, Catherine, laisse-nous. C’est très amusant. C’est moi qui me marie, à la fin! LE VOISIN (se retournant et agitant son débris de violon). Je ne peux pas arriver à le réparer. (Catherine donne un coup de poing au verre qui passe et le renverse sur Jacques. Le verre saute en l’air et se fracasse avec bruit. Tous se lèvent) CATHERINE. Va chercher un autre verre dans tes caisses, tiens, celui-là n’est pas solide. (Jacques lui verse le sien dans le cou) Salaud! Sac à roubles! Enfant de singe! Ta grand-mère était une guenon trotskiste!... LE PÈRE (sévèrement). Catherine! Je ne sais pas si c’est au Kremlin qu’on t’a appris à parler comme ça, mais... (Catherine se jette sur Jacques. Ils roulent à terre) LA MÈRE. Écoutez, Catherine et Jacques, voulez-vous finir! (elle prend une carafe et revient la vider sur les deux combattants. Ils se relèvent) CATHERINE. Tout ça, c’est de la faute de Jacques. LA MÈRE. Catherine, laisse ton frère. CATHERINE. On n’avait pas besoin de Jacques pour marier Cyprienne et Heinz. (elle envoie un direct à Jacques) JACQUES. Maman!... LA MÈRE. Oh! et puis battez-vous, moi je m’en moque. (au père) Viens déjeuner. (au pasteur) Monsieur, je vous en prie, asseyez-vous. Cyprienne, fais asseoir les invités. (Jacques et Catherine s’asseyent) LE VOISIN. Après vous. LE PASTEUR. Je n’en ferai rien. LA MÈRE. Qui va dire le bénédicité? Ce n’est pas que j’y tienne mais ça vous fera sans doute plaisir. LE VOISIN (brandit son violon). Ça y est, il marche! (le manche se recasse) Merde! (il s’approche de la table, laissant son violon sur l’établi) Je peux dire le bénédicité, si vous voulez. LE PASTEUR. Attendez... On va compter. (il compte) Pa-pa-ni-ca-le-roi-des-pa-pi-llons-en-jou-ant-à-la-balle s’est cassé le menton. (il triche) À vous, monsieur. (au voisin) LE VOISIN. Ah! Pour une fois... On peut bien s’en passer. (il s’assied) Je boirais bien un coup de Martini. LE PASTEUR. À la bonne heure! Vous y venez. MARIE. Maman, je peux embrasser le révérend? Puisque mon fiancé ne revient pas? LA MÈRE. Marie! (elle fond en larmes) Je n’ai plus d’enfants! LE PÈRE. Allons! Allons!... Marie, calme-toi... LE PASTEUR. Ce Martini est délicieux. LE PÈRE. Je le fais moi-même avec les os de chevaux que je trouve quand je nettoie la fosse, à la raclette. LE PASTEUR. Vraiment? (il boit) Voulez-vous m’en donner un peu plus? (le père le sert) LE VOISIN (ricane). Ah! Ah! Tu ne l’as pas eu. Tu te crois malin, hein? (il tend son verre) LE PÈRE. Et toi? (il se verse ce qui reste. Tête du voisin) LA MÈRE. Un peu de maquereau, monsieur Taylor? LE VOISIN. Allez-y... Il va vous dire que c’est lui qui l’a péché. LE PÈRE. Oui, je l’ai péché. Évidemment. (il tend la boîte de conserves au pasteur) Mais je ne me rappelle plus quand. LE VOISIN. À quoi tu les reconnais quand ils sont en boîte? LE PÈRE. Je leur fais une marque sous la queue. TAYLOR. Je vous demanderai du sel. CATHERINE. Attendez un peu qu’on vous envoie en chercher dans les mines, du sel. (la mère lui passe le sel. Catherine, au passage, fait voler le sel. Jacques se rue sur elle) LE PÈRE. Vous croyez que c’est raisonnable de se battre comme ça? CATHERINE (revenant très vite à son assiette). Passe-moi du maquereau. (elle retourne se battre) MARIE (très pin-up, l’air détaché). Dis, maman, je peux me battre avec eux? (pendant toute la bagarre, les combattants échangent de temps en temps de brèves injures:Salaud! Cannibale! Fille de pute! etc.) LE PÈRE. Marie! Passe le poulet à monsieur le pasteur. TAYLOR. Il a l’air parfait. Coupez-moi une cuisse, c’est le morceau que je préfère. LA MÈRE. André, tu peux venir manger avec nous, maintenant. (les combattants accrochent l’établi qui s’effondre) LE VOISIN (se levant de table). Nom de Dieu! Mon violon. (il y va, le saisit et revient à table. Catherine se relève) CATHERINE (au révérend). Alors, je me bats à cause de vous et vous bouffez du poulet, espèce de réactionnaire. Qu’est-ce que vous croyez? Que ça va s’arrêter comme ça? TAYLOR. Mais... Heu... Je ne vous ai pas demandé de vous battre. Et d’abord, effectivement, vous vous battez à cause de moi, mais pas pour moi. Faut pas confondre! CATHERINE. Allez! Au boulot! (elle le met sur ses pieds et le précipite dans la bagarre. Hurlements de Jacques) JACQUES. Lâche ça, Robert! C’est mon pied! LE PASTEUR. Je m’en fous. Je ne connais plus personne. (il se redresse un instant) Est-ce que mon fond de teint tient toujours? (un direct de Catherine l’atteint au menton. Il s’effondre. Catherine saute en l’air comme au rugby et retombe sur le groupe) MARIE (criant et trépignant). Oh, maman, laisse-moi y aller! CYPRIENNE. Laisse-la aller, maman, je t’en prie, pour le jour de mon mariage... Puisque ça l’amuse... LA MÈRE (se tournant vers le père). Est-ce que tu crois qu’il faut? LE PÈRE. Si tu savais ce que je m’en fous! (au voisin qui revient et se verse à boire) Dis donc, vieille crapule, tu m’en laisseras? HEINZ. Ma Cyprienne... (il devient tendre) Donne-moi du poulet. (elle le sert) LE VOISIN (examine son violon avec attention). Ils ont brisé mon violon... Car il avait l’âme française. (il se précipite. Taylor sort du tas à ce moment-là, il lui fracasse le violon sur le crâne. Taylor regarde en l’air, se tâte et recommence à se battre. Le voisin recule, prend son élan, loupe son coup, se fout la gueule par terre et reste inerte) LE PÈRE. Le capitaine Künsterlich est toujours dans la fosse, je crois? HEINZ. Oui, je ne l’ai pas revu. (grande explosion au dehors) LA MÈRE. Ça y est. Ils recommencent à faire du bruit. On ne peut pas marier sa fille tranquillement. Qu’est-ce que ça serait si on avait invité des amis!... LE VOISIN (relevant la tête de son coma). Je ne suis pas un ami, moi? LE PÈRE. Si, mais on ne t’a pas invité. (le voisin retombe dans son coma) TAYLOR. Voulez-vous lâcher ma jambe. Oh! Ah!... Cent jours d’indulgence si vous lâchez ma jambe. Aïe! (furieux) Espèce de noeud volant, vas-tu lâcher ma jambe? (il fait un coup de judo à Jacques qui se retrouve debout, tourne sur lui même comme une toupie et tombe dans la fosse à équarrir. Bruit métallique effrayant) HEINZ. Quel drôle de bruit! Vous aviez laissé ses médailles au capitaine Künsterlich, sans doute? LE PÈRE. Oui, c’est vrai. Je vais voir. (il se lève, fait un mouvement tournant et s’approche de la fosse. À ce moment, les combattants roulent sur eux mêmes et la table s’effondre sur eux dans un vacarme indescriptible. Marie se lève, elle enlève ses souliers et se précipite) MARIE. Oh!... Je ne peux plus tenir! LA MÈRE. Jacqueline, aide-moi à mettre la table debout. (André l’aide. Le père revient en hochant la tête. Il ramasse une assiette, s’assied par terre et commence à manger) TAYLOR. Seigneur! Seigneur! À l’aide! Lâchez-moi, espèce de folle! (il se dégage, poursuivi par Marie. Elle lui court après et il disparaît dans la fosse. Elle saute en l’air et se laisse retomber dedans avec un ricanement terrible) HEINZ. C’est la punition du ciel. Il n’avait qu’à ne pas embêter les autres. ANDRÉ. Est-ce que je peux aller remettre mon pantalon? LE PÈRE. Tu n’es pas bien, comme ça, Jacqueline? Tu sais, tu auras plus de succès avec les Amerlauds si tu restes comme ça. ANDRÉ. J’aime mieux aller remettre mon pantalon et ne pas avoir de succès. Et puis, ça me fait froid aux fesses, à la fin. (à ce moment-là, la porte s’ouvre. Entrent les deux F.F.I.) Scène LIV LES MÊMES plus DEUX F.F.I. LE COLONEL (criant très fort). Nous revoilà!... LE PÈRE. Bonjour! Vous avez faim? VINCENT. Non. On a réfléchi. On vient prendre la Delage. Faut pas être trop regardant. LE PÈRE. Bien sûr, faut pas être trop regardant. Passez par là. (ils sortent par la cour. Catherine se lève, titube et s’abat dans la fosse) LE PÈRE. Marie, il reste du pâté de foie? LA MÈRE. Mais oui. Tiens, le voilà. (elle prend le plat, s’approche et le lui casse sur la tête, puis, chancelante, s’approche de la fosse et tombe, la main sur le coeur) ANDRÉ. Je crois que je vais aller remettre... (il sort discrètement. Il reste sur la scène le voisin, toujours étendu par terre, le père qui mange et Heinz et Cyprienne qui commencent à se peloter ferme. Au bout d’un instant, entrent les quatre soldats chanteurs qui attaquent Happy Birthday To You. Cette fois, ils sont tous en uniforme de l’Armée du Salut. Ils restent autour de Heinz et Cyprienne en chantant I Love You Truly en fond sonore) Scène LV LE PÈRE. LE VOISIN. CYPRIENNE. HEINZ et QUATRE SOLDATS. LE PÈRE (au voisin). Hé... Toi... (le voisin grouille vaguement et se redresse sur les avant-bras, en grognant) Tu te sens mieux? LE VOISIN (se tenant le menton). Pas mal. (il crache quinze dents) Ça s’est bien passé? LE PÈRE. Quoi donc? LE VOISIN. Ce mariage? LE PÈRE. Eh bien, tu étais là? Tu as vu? LE VOISIN. Non. (un temps) Où est mon violon? LE PÈRE. Oh... On ne va pas danser maintenant... Je suis un peu fatigué... Si on mettait un peu d’ordre ici? Il va falloir que je songe à travailler. Où est ce rabot? LE VOISIN. Je crois que je vais aller m’occuper de ma maison. (coups à la porte. Heinz, Cyprienne et les quatre soldats ont monté lentement l’escalier en cortège) LE VOISIN et LE PÈRE (en choeur). Entrez! (entrent deux officiers français) Scène LVI LE VOISIN. LE PÈRE. DEUX OFFICIERS FRANÇAIS. LE VOISIN et LE PÈRE (en choeur). Bonjour, mes officiers. LE CAPITAINE FRANÇAIS (hilare). La maison vous appartient? (il inspecte le désordre effarant) À la bonne heure! Vous vous en êtes tiré sans beaucoup de mal, vous au moins! LE VOISIN et LE PÈRE (en choeur). Ah? LE LIEUTENANT. Si vous voyiez le reste du village... LE VOISIN et LE PÈRE (en choeur). Tout est par terre? (l’autre hoche la tête) LE CAPITAINE. J’ai une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Et une bonne aussitôt après. LE VOISIN et LE PÈRE (en choeur). J’aime mieux la bonne d’abord. LE CAPITAINE. Eh bien, d’abord, vous êtes libérés. LE VOISIN. Oui? (il se met au garde-à-vous, voit que le père ne fait rien et reprend sa position normale) LE CAPITAINE. Et ensuite... (il s’arrête, gêné) LE PÈRE. Ne vous gênez pas. LE CAPITAINE. Eh bien... (il s’arrête et change de ton) Je dois d’abord vous dire que je représente le ministère de la Reconstruction. (le père ne dit rien) À ce titre... Euh... Je m’occupe du Plan Futur. (au lieutenant) Hum... Allez-y, lieutenant, je l’ai prévenu avec des ménagements. LE LIEUTENANT (au père). Votre maison n’est pas dans l’alignement. LE PÈRE. C’est la première fois qu’on me dit ça. LE CAPITAINE (prenant le père par le bras et se dirigeant vers la fenêtre). Il y aura là, dans l’avenir, une vaste perspective, plantée de peupliers résineux du Japon. Des vasques et des fontaines compléteront le tableau. Des plantes rustiques parfumeront l’air. LE LIEUTENANT (fait signe à la porte). Boby? Scène LVII LES MÊMES, entre UN SCOUT qui se met au garde-à-vous scout. BOBY. Scout de France toujours prêt, le coeur sur la main. LE LIEUTENANT. Vous pouvez apporter la chose. (le scout sort et rentre avec une caisse de dynamite. Il allume la mèche et sort. Explosion qui fait la nuit complète sur la scène. Les décors s’envolent. Toile de fond. Ruines couvertes de verdure. Tas de débris au premier plan. Le capitaine et le lieutenant sont assis à côté du père, étendu mort. Le voisin lui tient la tête et la laisse retomber) LE CAPITAINE (se relevant). Bah! On ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs... LE VOISIN (lui prenant son revolver et lui tirant dessus). C’est mon avis. (il tire ensuite sur le lieutenant qui le tue à son tour d’un coup de pistolet) LE LIEUTENANT. Et vive la France!... (une Marseillaise abominablement fausse éclate. Le lieutenant se redresse et sort en marchant au pas de l’oie. Rideau) FIN (qui, par un heureux hasard, coïncide avec celle de la pièce) Source. http://www.poesies.net