Voyages Aux Pays Du Coeur. (1853) Par Étienne Eggis. (1830-1867) Schlafe! was wilst du mehr? GOETHE. TABLE DES MATIERES Préface. Bohême. La Vieille Romance. L’éclat De Rire D’Un Bohême. Comment Je Mourrai. Me Tuer? -Allons Donc! Ce Qu’On Voit Dans Les Yeux D’Une Maîtresse. Où Est-Il? A Claudia Bachi. Le Chant Du Printemps. Ma Fortune. Hans Wald. Pourquoi Il Ne Faut Pas Abattre Les Chênes. A Claudia Bachi. Le Chant De La Bohême. A Ch. Alexandre. Naïvetés Enfantines. Le Coeur Humain. A Théophile Gautier. A Madame ***. Un Ange De La Terre. Si Je Pleure? Les Frères De La Lyre. La Nostalgie De L’Artiste. Un Matin Au Lever Du Soleil. Dans La Souffrance. Ce Que c’est qu’un mari. Le Secret De La Mer. Un Poète Qu’On Ne Lit Plus. Blasphème Et Prière. A Satan. Impressions D’Ivresse D’Un Poète Allemand. Chant De Route Du Juif Errant. A Madame Juliette Forestier-Luce. Une Belle Vie. Similitudes. Oh! Si Quelqu'Un L’Aimait! Un Désir De Vivant. Aspirations Insensées. Épilogue. Préface. J’aime trois choses ici-bas: Le tabac, la musique et le soleil. Ces trois choses ont fait ce livre. A Madame La Comtesse ***. Je n’ose pas mettre votre doux et beau nom en tête de ce volume où j’ai jeté en éclats de rire et en sanglots toute l’histoire de ma jeunesse solitaire et tourmentée; mais, vous, chère madame, qui avez au front deux étoiles: la beauté et la bonté, vous ne repousserez pas cette oeuvre étrange, brutale, mais sincère. Permettez à mes pauvres vers de venir vous trouver sous les ombrages de votre beau parc où se sont écoulées les plus belles heures de ma vie; puissent ces vers vous dire que vous n’avez pas ici-bas d’ami plus dévoué et plus reconnaissant que celui que vous appeliez quelquefois Votre troisième enfant, Etienne. Bohême. A mon ami Jacques Guérig. I Depuis trois ans passés ma jeunesse coureuse Errait, le sac au dos, sur le sol allemand, Le long des grands chemins ma vie aventureuse Aux chênes des forêts écrivait son roman, De Munich à Berlin, de Bâle à Varsovie, Sous la brume et l’orage avaient bondi mes pas; Rien n’avait pu lasser mou unie inassouvie, Mes robustes seize ans défiaient le trépas. II En cousant une rime aux deux coins d’une idée Je m’en allais rêveur, le bâton à la main, La tête de soleil ou de vent inondée, En laissant au hasard le soin du lendemain. Je dérobais mon lit aux mousses des clairières, Ma harpe me donnait la bière et le pain noir, Et je dormais paisible aux marges des carrières Sous le ciel qu’empourpraient les nuages du soir. III Je n’avais pour tous biens qu’une pipe allemande, Les deux Faust du grand Goethe, un pantalon d’été, Deux pistolets rayés non sujets à l’amende, Une harpe légère, et puis, la liberté! Je lisais, en passant, des vieilles cathédrales Les lieds marmoréens par les siècles écrits, Puis, au bord des forêts, dans les lueurs astrales. Des chroniques des burgs j’épelais les sanscrits. IV Plus avide toujours de course et de science, Mettant mon avenir sous la garde de Dieu, J’errais, pauvre d’argent, riche d’insouciance, Mais libre et gai toujours, sous le ciel sombre ou bleu. Je dormais tour à tour dans le foin qu’on entasse Ou les lits somptueux des seigneurs bavarois, Je buvais tour à tour dans la coupe ou la tasse, Heurtant du même bras les pâtres et les rois. V Mais, malgré tout, parfois une vague souffrance Assombrissait mon coeur et voilait ma gaîté; Une secrète voix m’appelait vers la France Et me parlait de gloire et de célébrité: La France! sol fécond, beau pays de ma mère Où de mes rêves d’or m’emportaient les chevaux; Et puis, la solitude est parfois bien amère! Je n’avais pas d’amis, je voulais des rivaux. VI Grisant mon jeune coeur d’illusions candides. Seul, et toujours à pied, je m’en vins vers Paris; J’escomptais l’avenir dans mes rêves splendides, Et l’espoir guérissait mes pieds endoloris. Je m’arrêtais parfois sur la route poudreuse Qui s’allongeait toujours comme un boa sans fin; Ma lèvre avait tari ma gourde filandreuse, Mes jambes trébuchaient de fatigue et de faim. VII Mais je ressaisissais mon bâton de voyage; J’étais trop orgueilleux pour me décourager. A défaut de la source acceptant le mirage, Je marchais de nouveau d’un pas ferme et léger. Quand la faim torturait mon estomac avide, J’entonnais, la voix haute, un vieux lied allemand: Les beaux vers empourpraient mon visage livide, Et j’oubliais la faim dans cet enivrement. VIII Je ne traduirai pas le sanglotant poëme Que lamenta mon coeur dans la grande cité; Sur mon front la misère a versé son baptême: L’orage l’a laissé pâle, mais indompté. Mes pas ont pénétré dans plus d’un bouge infâme: Mon coeur n’a pas perdu son invincible foi; Et, comme un saint trésor, j’ai gardé dans mon âme La confiance en Dieu, la confiance en moi. La Vieille Romance. A Claudia. Connais-tu la romance Qui fait toujours pleurer, Que le coeur recommence Sans se désespérer? Carl aimait Madeleine: Il eût baisé ses pas; Il buvait son haleine: -Elle ne l’aimait pas. Elle aimait un beau pâtre Qui passait sans la voir; Et souvent, près de l’âtre, Elle pleurait le soir. Le pâtre en la vallée Avait mis son amour; Son âme désolée Gémissait nuit et jour; Car son amour immense N’était pas partagé, Et parfois la démence Brûlait son sang figé. Et tous, pâles et sombres, Ils allaient par les champs. Quand la nuit met ses ombres Sur les coteaux penchants; Ils erraient, solitaires, Sans oser espérer; Et les chênes austères Les regardaient pleurer. Et quand la mort sordide A leurs yeux vint s’offrir, Chacun croyait, candide, Être seul à souffrir. Oh! la vieille romance Qui fait toujours pleurer; Que le coeur recommence Sans se désespérer. L’Eclat De Rire D’Un Bohême. Dans les beaux jours d’été, quand un soleil splendide, A l’habit riche et fin comme au haillon sordide, Verse, sans les compter, ses bienfaisants rayons, Je m’en vais bien souvent, seul avec mes crayons, Sur les grands boulevards, au travers de la foule, Qui, comme un fleuve immense, autour de moi s’écoule; Drapé dans mes haillons, je vois à mes côtés Passer et repasser, à pas précipités, Tous les acteurs divers du drame qui se joue Dans Paris, ce bourbier fait de sang et de boue. L’artiste, le banquier, l’ouvrier, le dandy, Et le capitaliste au ventre rebondi; Le poète sans pain, l’intrigant en carrosse; Le fat qui ne vaut pas la peine qu’on le rosse; L’homme de loi, d’argent, d’affaires, de palais, Pour voler ses clients achetant les valets; Les comtes, les barons, les marquis d’aventure, Qui de leurs blasons faux salissent la roture; L’exploiteur, l’exploité; le puissant, le petit, A la place du coeur n’ayant que l’appétit; Les femmes étalant des robes empruntées Sur les contours absents de leurs hanches ouatées, Et parlant longuement de tendresse et d’écus A leurs maris toujours gais, contents et cocus; Tout ce qui grouille enfin de vil, d’abject, d’immonde, Dans ce grand hôpital qu’on appelle le monde, Et je me dis alors que, pour un million, Ces hommes à genoux baiseraient mon haillon; Car l’homme des vertus rejetant la chimère, Vendrait pour un peu d’or ses enfants et sa mère Alors un noble orgueil illumine mon front; Du haut de mes haillons, vierges de tout affront, Dominant cette foule, et penché sur ma lyre, Je jette au monde entier un vaste éclat de rire. Comment Je Mourrai. Lorsque je serai las de traîner sans envie Le boulet douloureux du bagne de la vie; Lorsque mon coeur blessé sera tout à fait mort, J’irai, fier, calme et seul, sans crainte ni remord, Mourir sur une grève où la mer éternelle Chante loin des humains sa plainte solennelle. Je m’étendrai, serein, sur le sable mouvant. Et je resterai là, l’oeil dans les cieux rêvant, Jusqu’à ce que le flot qu’apporte la marée M’étreigne lentement dans sa robe éplorée. Et me transporte avec la souffrance, ma soeur, Dans le vide insondé de son roulis berceur. Nul ne saura ma mort que l’orage et la nue; L’Océan pèsera sur ma tombe inconnue; Je pourrai d’infini m’enivrer à loisir, Et mon tombeau sera grand comme mon désir. Me tuer? -Allons Donc! Me tuer? -J’aime mieux, en cachant mon ulcère, Au travers des humains que le destin lacère, Poursuivre mon chemin le scepticisme au coeur, Et jeter aux passants mon sourire moqueur. Le globe où pleure et rit la comédie humaine Vaut bien jusqu’à la fin, ma foi! qu’on s’y promène; Je ne quitterai pas ma place du balcon: Je veux boire mes jours jusqu’au dernier flacon; Marcher sans me salir dans cette fange immonde, Et rire jusqu’au bout de la farce du monde! Ce Qu’On Voit Dans Les Yeux D’Une Maîtresse. O ma belle brune aux yeux bleus, Vagabonde enfant des Bohèmes, Laisse-moi lire dans tes yeux, De ton regard les longs poèmes. Derrière le rideau des bois Le soleil va cacher son orbe; Assoupis un moment ta voix Et les refrains de ton théorbe. Et dans l’océan de tes yeux Laisse voguer ma fantaisie; Sous les plis de leurs cils soyeux Mon oeil se perd et s’extasie; Leur azur calme et souverain Reflète pour moi tout un monde, Assis, radieux et serein, Dans sa grandeur suave et monde; Des forêts que vient effeuiller L’âpre sirocco des savanes, Où passe le brun chamelier En conduisant les caravanes. De longs fleuves dont les palmiers Ombragent les flots et les berges; Des pelouses où les ramiers S’abritent sous les herbes vierges; Tout un Éden mystérieux Ivre de sa splendeur première, Où le firmament curieux Mire en souriant sa lumière; Voilà ce que dans tes grands yeux Je vois, lorsque ravi, je penche Sur l’ambre de ton front soyeux Mon oeil d’où le rêve s’épanche. Puis, au-dessus de ces splendeurs, Comme le soleil sur le monde Brille dans ses chastes candeurs Ton amour naïve et profonde. Où Est-Il? I Les pelouses des cieux où chantent les étoiles, Paisibles, s’endormaient aux genoux de la nuit, Le crépuscule humide épandait ses longs voiles Sur le front des forêts qui pleuraient leur ennui: J’étais au pied d’un mont et les rumeurs des villes M’apportaient les sanglots des discordes civiles; Alors il s’éleva. Au fond de ma poitrine un dégoût invincible, Et je criai deux fois vers le ciel impassible: Jéhovah! Jéhovah! Mais rien ne répondit à ma voix déchirante Que le vent qui passait dans la nuée errante. II Je me mis à gravir les flancs de la montagne Pour le chercher plus haut que notre sol amer. Les deux mains sur son front que le désespoir gagne, Au loin l’humanité pleurait comme la mer. Les sapins dont l’orage échevèle les cimes S’agitaient sourdement au-dessus des abîmes, Et ma voix s’éleva. Au milieu des torrents qui creusaient les ravines, Et je criai deux fois plus haut que les lavines: Jéhovah! Jéhovah! Mais rien ne répondit à ma voix déchirante Que le vent qui passait dans la nuée errante. III Je montai plus encor jusqu’aux déserts arides Où l’air devient si froid qu’il étouffe la fleur, Où le front blanc du mont ouvre ses larges rides, De l’âge du vieux monde antique receleur; Tout nageait à mes pieds dans des vapeurs diffuses, Les formes au-dessus devenaient moins confuses, Et ma voix s’éleva. Au milieu des rochers mornes et solitaires. Je criai de nouveau de toutes mes artères: Jéhovah! Jéhovah! Mais rien ne répondit à ma voix déchirante Que le vent qui passait dans la nuée errante. IV Et je montais toujours. Des souffrances humaines A peine les sanglots atteignaient-ils à moi; Des derniers glaciers je foulais le domaine, Je me sentais pâlir sous un étrange émoi. J’entendais par moments, dans l’éloignement vague, De la mer sociale encor houler la vague. Et ma voix s’éleva. Sur ces pics inconnus que n’atteint pas l’orage; Je criai de nouveau dans un spasme de rage: Jéhovah! Jéhovah! Mais rien ne répondit à ma voix déchirante Que le vent qui passait dans la nuée errante. V L’infini, l’infini, calme, incommensurable! Les cieux se déroulant sans bornes ni milieu! Le monde sous mes pieds est comme un grain de sable! Mon gosier desséché semble aspirer du feu; Tout dort autour de moi sur le lit du silence; La lampe d’or des nuits dans l’éther se balance. - Et ma voix s’éleva. Sur ce sol vierge encor de l’humain anathème, J’essayai de crier dans un effort suprême: Jéhovah! Jéhovah! Mais rien ne répondit à ma voix déchirante Que le vent qui passait dans la nuée errante. VI Épuisé, je tombai sur la neige muette, Je sentais dans mon coeur se figer tout mon sang; Un poids vague et pesant s’affaissait sur ma tête; Mes lèvres haletaient sous mon souffle impuissant; Mais recueillant en moi ma croyance stoïque, Je fis pour me lever un effort héroïque, Et ma voix acheva. Dans un râle fébrile un dernier cri d’angoisse, Et je murmurai comme un mourant que l’on froisse: Jéhovah! Jéhovah! Un long éclat de rire en la nuée errante Seul répondit alors à ma voix déchirante. A Claudia Bachi. Si Dieu venant vers moi sur l’éclair des tempêtes M’emportait, palpitant, sur un mont soucieux, Et donnant à mon oeil le regard des prophètes, Me montrait l’univers que reflètent les cieux; Et qu’il me dît: Vois-tu ces splendeurs que j’ai faites Combleront à ma voix ton coeur ambitieux, Ton front dominera les plus sublimes têtes, Sur ta lyre écloront des chants délicieux. Les hommes enivrés par ta vaste harmonie Étendront sur ton dos la pourpre du génie, Et tes jours seront beaux comme mon paradis. J’aimerais mieux, madame, être dans mon délire Celui qui fit pleurer les chants de votre lyre, Et que dans votre coeur vous aimâtes jadis. Le Chant Du Printemps Saison Des Roses Et Des Petits Pois. Le printemps, le printemps! Tout renaît et fleurit. Le vin de la jeunesse enivre la nature. Au bord de chaque haie une rose sourit, Et les fils de la Vierge errent à l’aventure; Les abeilles des bois sentent pousser leur dard; C’est le temps de chanter les baisers et les roses, -Fleurs des jardins des cieux dans nos fanges écloses, Et de se restaurer de petits pois au lard. C’est le temps où le coeur se cabre sous l’essaim Des désirs effrénés de volupté lascive, Où le bourgeois naïf s’habille de basin, Où les paletots blancs passent à la lessive. Où les collégiens s’endorment sur leurs bancs, Où les myosotis et les pommes de terre Cousent près des flots bleus du ruisseau solitaire, A la robe des prés leurs noeuds et leurs rubans. Le printemps, le printemps! Dans les bois réveillés Renaît l’hymne indistinct des sources voyageuses, Les oiseaux revenus dans les sombres halliers Emaillent de leurs chants les clairières songeuses. Les amoureux s’en vont aux marges des forêts Admirer la nature et manger des saucisses, Et le corps en sueur de ces doux exercices, Ils ramassent un rhume en quittant les marais. C’est la saison féconde où la barbe et les vers Poussent, l’une au menton, et les autres aux tempes; Où la gaîté renaît au coeur de l’univers; Où les marchands forains étalent leurs estampes. Que les flots capiteux d’un vin vieux et vermeil Pétillent dans la coupe où les bouches aspirent; Que tous les coeurs meurtris qui dans l’ombre soupirent, Se taisent pour chanter l’amour et le soleil. Car c’est un fait certain, que l’oseille et les pois Poussent dans les jardins à la saison nouvelle, Et que les épiciers préparent leurs empois Pour durcir les faux-cols où l’homme se révèle; Car il faut au printemps mettre tous les deux jours Une chemise fraîche, ainsi qu’un faux-col vierge; Attendu que le linge où notre corps s’héberge, A la sueur des reins se noircira toujours. En avant! en avant! Allons dans les prés verts, Au bord du doux sentier qu’ombrage la charmille, Manger des boudins frais et réciter des vers, En cueillant des muguets et de la camomille. Aux émanations qui montent des guérets Allons tremper nos reins qu’a délabrés la ville; Allons au grand soleil, loin d’un monde servile, Élargir nos poumons à l’air pur des forêts. Le soleil jeune et fort déborde de rayons; Les fleuves et les monts s’étreignent dans l’ivresse; Et les prés rajeunis où nous nous asseyons Répondent, au soleil caresse pour caresse. Tout se pâme et s’oublie en des baisers divins; La sève, comme un sang, dans les plantes circule; Et, lorsqu’au front des cieux s’étend le crépuscule, De longs hoquets d’amour s’exhalent des ravins. Allons chercher aux bois, derrière les grands troncs, Quelque taillis secret que nul vent ne soulève; Nous fumerons d’abord, et puis nous dormirons: L’homme est né pour dormir, car la vie est un rêve; Des songes à nos yeux écloront les séjours, Et dans un long sommeil, lourd, apathique et morne, Nous serons tout un jour heureux comme une borne: Le bonheur ici-bas c’est de dormir toujours. Ma Fortune. La mer a ses flots et ses perles; Le ciel a le soleil et Dieu; Les forets leur mousse et leurs merles, Et mon ange a son grand oeil bleu. Moi, rimeur, je n’ai qu’une harpe Pleine d’une vague langueur; J’ai pour la suspendre une écharpe, Et je la porte sur le coeur. Hans Wald. A M. Maxime Du Camp. I Je me rappelle avoir autrefois en Bavière, A la porte d’un bourg que baigne une rivière, Rencontré sur ma route un chanteur ambulant Qui suivait l’eau d’un pas mélancolique et lent; Il portait sur l’épaule une harpe ternie, Dont chacun de ses pas tirait une harmonie. Il était maigre et pâle; il avait de grands yeux; Ses cheveux sur son cou tombaient longs et soyeux. II Le bourg de Regenstauff n’a qu’une seule auberge, Où l’hôte, affable et doux pour tous ceux qu’il héberge, Donne souvent au pauvre, assis dans son jardin, Sa bière la plus fraîche, et son meilleur boudin Grassement étendu dans un plat de choucroute, Et n’a pas cependant fait encor banqueroute. Nous entrâmes tous deux chez le bon hôtelier Qui fumait, en causant avec un vieux routier. III Près des murs tapisses de guirlandes de lierre Quelques lourds paysans buvaient leurs brocs de bière. Le chanteur prit sa harpe et se mil à chanter; Et chacun aussitôt se tut pour l’écouter. Il avait une voix étrange et désolée Où sanglotait parfois une douleur voilée; Son chant secouait l’âme et la faisait pleurer. -Un souvenir amer semblait le torturer. - IV Les nuages du soir empourpraient les croisées; Sur les lianes onduleux des montagnes boisées Les troupeaux répandaient dans un écho lointain Le murmure assourdi de leurs cloches d’étain; Sur les fronts absorbés des buveurs taciturnes S’étendaient lentement les ténèbres nocturnes; Et du chanteur debout près des murs assombris Le front se détachait, pâle, sur les lambris. V Ses yeux étincelaient comme des escarboucles, Et ses longs cheveux noirs qui retombaient en boucles, Se crispaient sur sa tempe; et, comme un corps humain. Les cordes de la harpe haletaient sous sa main. Debout dans les accords de sa vaste harmonie, Il courbait l’auditoire aux pieds de son génie, Et jetait dans les coeurs vaguement torturés Tout un monde inconnu de rêves ignorés. VI J’écoutais, éperdu, comme on écoute en rêve, Cette voix qui pleurait une douleur sans trêve; Et je croyais ouïr, sous le ciel indompté, Sangloter dans la nuit la vieille humanité. Il se tut; et, mettant sa harpe en bandoulière, Il s’en vint recueillir l’obole hospitalière Que les bons Allemands, comme aux âges anciens. Ne refusent jamais aux pauvres musiciens. VII Quand le chanteur nomade eut fini sa tournée, Il s’assit pour manger le pain de la journée. Je m’approchai de lui. Mon admiration S’exhala de mon coeur avec émotion, Et je lui demandai pourquoi vers le théâtre Il n’allait pas chercher ce public idolâtre Qu’enthousiasmerait sa magnifique voix, Et qui de gloire et d’or lui ferait un pavois. VIII Un sourire poignant crispa sa lèvre paie, Son grand front se marbra d’une teinte d’opale, Mais il resta muet, et dans cette pâleur Je devinai soudain une immense douleur. - Mais bientôt malgré lui le flot des confidences S’échappa de son coeur à mes douces instances; Nous passâmes la nuit, l’un près de l’autre assis, A déverser nos coeurs en de communs récits. IX Il s’appelait Hans Wald. Allemand de naissance, Il avait à vingt ans, riche d’insouciance, Quitté le sol natal pour venir à Paris. Son rêve avait foulé bien des sentiers fleuris, En logeant sans pâlir dans sa mansarde triste La misère et la faim, ces deux soeurs de l’artiste. Il marchait devant lui vers un but arrêté; Son courage indomptable avait tout surmonté. X La renommée enfin, si longtemps poursuivie, Commençait vaguement à colorer sa vie. Le soleil de l’espoir embrasait sa prison, La gloire se levait à son morne horizon. Son âme rajeunie aspirait enivrée Cet air pur qui calmait sa jeunesse navrée, Et tout un avenir, vaste et resplendissant, Déroulait à ses yeux son monde efflorescent. XI Quand un amour immense, où s’énerva sa vie, Jeta son poison lent dans son âme ravie. Il avait vingt-cinq ans et n’avait pas aimé; A l’amour jusqu’alors son coeur resté fermé, Versa tous les trésors de son vaste génie Dans une passion absorbante, infinie. Rien de ce qu’il sentait n’était superficiel; Son saint amour était vaste comme le ciel. XII La femme qu’il aimait s’appelait Aloète; Elle faisait des vers et se croyait poète; -Mais quand Dieu la fit naître, il oublia le coeur. - Hans Wald ne recueillit qu’un sourire moqueur. Elle ne comprit pas cet amour saint et vaste, Puissant comme la mort dans les coeurs qu’il dévaste, Elle le jeta comme un vêtement usé Après qu’elle s’en fut quelque temps amusé. XIII Dans sa poitrine, Hans, livide, les yeux mornes, Sentit alors monter une douleur sans bornes. Puis il voulut mourir. Il partit un matin, Disant qu’il s’en allait vers un pays lointain. Il cacha sa douleur. Des larmes incisives, Sans monter à ses yeux, coulèrent corrosives, Dans l’abîme profond de son coeur déchiré. -Mais nul ne s’aperçut que l’artiste eût pleuré. XIV La femme rit toujours de l’amour des poètes, Elle ne comprend pas ces âmes inquiètes Que torture la soif d’un baiser infini Qui ne descend jamais sur leur front de banni. Leur amour est trop grand, il passe, solitaire Comme un prince exilé, dans sa grandeur austère. Le poète toujours monte seul au trépas. On l’admire parfois, mais on ne l’aime pas. XV Un soir la mer versait sur la grève isolée Sa lamentation terrible et désolée. Les vagues se tordaient sous l’ouragan lointain, Quelques esquifs fuyaient sous le vent incertain, Et la lune couvrait les grèves nuageuses Que battaient lourdement les vagues voyageuses, D’un long drap de rayons où comme des cercueils, Immobiles, gisaient les flancs noirs des écueils. XVI Calme comme la mort et muet comme un rêve, Hans, pâle, mais serein, arriva sur la grève. Il s’assit sur un bloc de rochers froids et nus, Et pleura dans les flots ses amours méconnus. Sa douleur s’exhala dans les bruits de la lame, Le sanglot de la mer répondit à son âme, Et ces deux incompris, l’un vers l’autre penchés, Échangèrent leurs pleurs immenses et cachés. XVII Hans Wald voulait mourir quand la vague apaisée Au soleil du matin se déroule irisée, Car l’artiste voulait s’en retourner à Dieu Le front dans la lumière et l’oeil dans le ciel bleu. Dans le miroir du rêve il fit monter sa vie, Ses enivrants espoirs, la gloire poursuivie, Puis le but entrevu que dérobait la mort, Et ce long souvenir n’avait pas un remord. XVIII L’horizon s’empourprait d’une teinte orangée, Et de rayons naissants la nue au loin frangée Ouvrait son voile noir au baiser du matin. Le flot s’aplanissait sous le soleil lointain, Et la création, douce et mélodieuse, Aux approches du jour se levait radieuse. Des cités bruissait le murmure éloigné. L’artiste se leva, pâle, mais résigné. XIX Il n’avait pas voulu de cette mort hideuse, Par la morne asphyxie ou la Seine bourbeuse. Pour tombe à sa douleur il lui fallait les mers. Avec un souris triste, au bord des flots amers. Il s’assit, attendant la montante marée Qui mugissait au loin sous la vague azurée. Puis dans le désespoir où son coeur s’abîmait, Il se mit à prier pour celle qu’il aimait. XX A ce moment suprême, au bord des grandes lames, Le soleil se leva comme un monde de flammes, Et la nature entière, à genoux devant Dieu, Chanta l’hymne du jour vers l’orient en feu; Et l’on vit s’embrasser, dans la vague laineuse, Le ciel éblouissant et la mer lumineuse - L’artiste s’affaissa sous un ravissement Où toute sa douleur s’éteignit un moment. XXI Dans ce baiser divin de la terre et la nue, Sa grande âme cueillit une extase inconnue; Quand le flot qui montait à ses pieds vint courir, Il ne se trouva plus la force de mourir; Il s’enfuit, et debout sur la vague impuissante, Il contempla longtemps la mer resplendissante. Puis en face du ciel et de l’immensité, La fièvre s’apaisa dans son coeur agité. XXII Il se promit d’aller sa route douloureuse En dérobant à tous sa vie aventureuse: Il se tut devant l’homme et pleura devant Dieu. Mais il dit à la gloire un invincible adieu, Car sa main ne voulait cueillir la renommée Que pour l’épanouir sur une femme aimée, Et pour cicatriser son coeur sanguinolent, Il se mit à courir en chanteur ambulant. XXIII Cachant de sa douleur l’incurable cautère, Sous tous les cieux connus il passa, solitaire, La harpe sur l’épaule et le bâton en mains Ossifiant son coeur au vent des grands chemins. Mais il aimait toujours. Cet amour invincible Rouvrait à chaque pas sa blessure irascible. Il allait vers la mort d’un pas désespéré, Calme, le front serein, mais le flanc déchiré. XXIV Il se tut, je pleurais et nous nous embrassâmes. Une même souffrance étreignait nos deux âmes, Mais la mienne déjà commençait à guérir. Tandis que lui, brisé, se penchait pour mourir. Je n’osai pas chercher par des paroles vaines, A verser de l’espoir le baume dans ses veines. Il est de ces douleurs qu’on ne console pas, Et qui n’ont que la mort pour refuge ici-bas. XXV Nous partîmes tous deux le lendemain pour Vienne. De cette capitale, autant qu’il m’en souvienne, Il porta sa douleur qui le suivait partout, Jusqu’au Sâhra brûlant qui mène à Tombouctou. Je ne l’ai plus revu. -Le coeur de son cadavre, Au pays de la mort aura trouvé son havre, Il aura déposé dans ses bras attendus Son grand coeur solitaire et ses vingt ans perdus. XXVI La morne immensité du désert impassible Étouffe maintenant son amour impossible, Et peut-être éteignant ses pleurs inconsolés, Dans ses flots sablonneux roule ses os brûlés. Confondant dans son vol les sables et la nue, Le sirocco bondit sur sa tombe inconnue, Et l’artiste incompris dort son dernier sommeil Sur les flancs du désert, à l’ombre du soleil. Pourquoi Il Ne Faut Pas Abattre Les Chênes. Un jour un prince allemand Fit abattre un bois de chênes Qui couvrait, sombre et dormant, Quelques collines prochaines. Et des arbres qu’abattit L’ingrate et sourde cognée, On dit qu’alors il sortit Comme une voix éloignée: Prends garde, prince allemand; Malgré ta nombreuse garde, Nous nous vengeons sûrement; O prince allemand, prends garde! Le prince en passant sourit. Peu de temps après la guerre Où même son fils périt, Sous un prétexte vulgaire Ensanglanta sa cité, Et fit passer la couronne, De son front déshérité, Sur le fils d’une baronne. Il fut à mort condamné, Et conduit, une nuit sombre, A l’échafaud, enchaîné: Et nul ne priait dans l’ombre. A la lueur d’un fallot Il vit, en portant sa chaîne, Que l’estrade et le billot, Tout était en bois de chêne. A Claudia Bachi. Cette fleur de l’amour que les âmes nerveuses Arrosent lentement avec des pleurs divins, Jette ses doux parfums dans vos strophes rêveuses Ecloses au soleil dans les bruits des ravins. Le sourire et les pleurs que les brises coureuses, En passant dans la vigne où blondissent les vins, Enlèvent dans leur course aux lèvres amoureuses, Palpitent dans vos vers, veufs de sentiments vains. Vous ne vous fardez pas de souffrances postiches; Les cris de votre coeur scandent vos hémistiches, Et votre désespoir vous a fait trouver Dieu. De l’amour dans vos vers pleurent les longs orages; Votre livre, oasis aux verdoyants parages, Est doux comme: Je t’aime, et triste comme: Adieu. Le Chant De La Bohême. A mon ami Alexandre Guérin. I La poésie au coeur et la harpe à l’épaule, Libres comme l’éclair dont s’embrase le pôle; Nous marchons sous le grand ciel bleu. Appuyant notre main sur un bâton de saule, En chantant l’avenir et Dieu. De notre vie, amis, voilà te beau poëme; Vive la poésie et vive la Bohême! II Nous aimons Beethoven, Shakspeare et Véronèse, Et les grands boulevards où l’on dort à son aise Au doux soleil des nuits d’été; Nos jours splendides comme une nuit javanaise Vivent d’art et de liberté. III Comme les anciens rois, de longues chevelures Déroulent sur nos cous leurs brunes annelures; Nous n’avons pas de haine au coeur; Vivant seuls bien souvent, nous avons nos allures Et nous gardons notre vigueur. IV Les murs de nos salons sont riches en lézardes; La misère souvent s’assied dans nos mansardes; -Quand je dis souvent, c’est toujours! - Et la faim sur nos fronts met des teintes blafardes Au fond de nos sombres séjours. V Mais nous avons pour nous l’art et la poésie, Cieux d’azur et de lune où l’âme s’extasie; Nous avons Shakspeare et Mozart: Dans nos rêves souvent nous buvons l’ambroisie, Et notre espoir c’est le hasard! VI Nous ne connaissons pas les ennuis des richesses; Sur nous tombent pourtant les beaux yeux des duchesses, Nous, des loisirs gais vendangeurs! Nous n’avons vu de l’or, dans nos folles ivresses, Qu’aux étalages des changeurs. VII Quand on a le soleil, à quoi servent les lustres? Dans quarante ans d’ici nous serons tous illustres, Et notre front reste joyeux: Aucun de nous encor n’a dépassé six lustres, Et nous avons la flamme aux yeux. VIII Nous sommes les seuls rois qu’aiment les républiques; Nous ne trônons jamais sur les places publiques: Parfois nous y dormons l’été. Nous n’adressons jamais ni placets ni suppliques, Car nous avons la liberté! De notre vie, amis, voilà le beau poème; Vive la poésie et vive la Bohême! A Ch. Alexandre. Votre livre paisible est comme ces clairières Où les myosotis rêvent sous les fraisiers; Où les brises, du jour folles avant-courières, Baignent leurs doux parfums dans les blancs cerisiers; Où l’on voit au travers des chênes des carrières L’infini resplendir aux yeux extasiés; Où le rêve parcourt l’espace sans barrières Aux chants de l’oiseau bleu caché sous les rosiers; Ce vêtement de Dieu qu’on nomme la nature, De la famille humaine y cache la torture, Et calme sa souffrance au doux baiser de l’art. Dans son flux musical où voguent les idées, Ce livre où vit la soif des choses insondées, Est vaste comme Haydn et doux comme Mozart. Naïvetés Enfantines. Quand j’avais dix-huit ans je croyais que les grès Qu’un peuple jette aux rois cimentent le progrès; Je croyais qu’il est beau, sur la place publique, De crier, l’arme au poing: Vive la République! J’aurais voulu mourir dans ma naïveté Pour la démocratie et pour la liberté; Le peuple était pour moi ce champ encore en friche Où germe l’avenir dans un sol gras et riche; Je croyais qu’au bonheur chacun aurait sa part. Et que l’humanité s’en allait quelque part! Oh! que j’étais enfant dans ma noble croyance! Les leçons du malheur et de l’expérience Ont corrigé mon coeur, et mon rêve est brisé. « Des vieilles royautés le vase est épuisé, » Dites-vous; « nous voulons du temple populaire Gâcher avec du sang le ciment séculaire. » Hommes! infirmes nains qui faites les géants. Qui remuez les cieux pour bâtir des néants, Et croyez recueillir l’héritage d’Hercule, Que votre orgueil stupide est vain et ridicule! O mouches, vous croyez d’un effort martial Faire avancer d’un pas le coche social! Et vous ne voyez pas que le monde sans terme Tourne autour d’un poteau comme un cheval de ferme: Que vos efforts sont vains, et que l’humanité Est un coucou traîné par la fatalité. Le Coeur Humain. De la psycologie un soir prenant la lampe, J’osai, seul, m’avancer jusqu’au bord de la rampe D’où l’on voit tout au fond vivre le coeur humain. Je bondis en arrière à moitié du chemin, Frissonnant, éperdu, pâle, les lèvres blanches, Comme lorsque vers vous viennent les avalanches; Le vertige faisait tourbillonner mon front, Tant l’abîme à mes yeux avait paru profond! A Théophile Gautier. O grand Théophile Gautier, Roi des ciseleurs fantastique, Toi qui touches d’un vol altier Toutes les cimes artistiques: O toi que l’Arabie ambra. Hahroun-al-Raschid des Bohèmes. Permets que dans ton Alhambra Je chante au pied de tes poèmes. Tes strophes d’azur ont bercé Mes premiers jours en Allemagne. Avant que mon pied n’eût pressé Le sol fécond de Charlemagne. Elles chantaient dans mon esprit. Au bruit des forêts germaniques. Et mon coeur, avec Goethe, apprit Tes vers benvnutocelliniques. Au fond de mon oeil curieux Ils faisaient passer les mésanges Que les temples mystérieux Cachent dans leurs sveltes losanges. Au pays des lacs constellés Où du rêve naissent les orbes, Sous l’azur des cieux étoiles Qu’émeut la plainte des théorbes: Les parfums des blonds orients Où les Turcs vers Mahmoud s’aigayent, Des Otahitis souriants Que les larges baisers égayent; Les vagues modulations De la danse des Bayadères, Les ardentes émotions Des coupes pleines de madères; La valse au vol silencieux Des esprits couronnes de nimbes Dont le corps frêle et gracieux Tremble, inachevé, dans les limbes; Sous les taillis des bois sacrés La course douteuse des nymphes, Dont les tons blancs des dos nacrés Révèlent de secrètes lymphes; Les chants du pâtre montagnard, Aux refrains alpestres et simples, Pendant qu’avec un vieux poignard Il coupe les tiges des simples; Les hymnes des coeurs amoureux Se souvenant de baisers acres, Volés quand les parents entr’eux De leurs biens supputaient les acres; Les jeux divers des rayons-bleus Sur l’or et la pourpre des guêpes, Quand le crépuscule onduleux Au front du jour met ses longs crêpes; Les souvenirs des bruns pigeons Qui voyagent toujours par couples Et blanchissent où nous nageons L’ivoire pur de leurs cous souples; L’éblouissement du conteur Emporté par les djinns, tandis que Deux péris à l’oeil enchanteur De la lune voilaient le disque; Les susurres des arbrisseaux Que fleurit l’approche de Pâques, Le clapotement des ruisseaux Que jadis aimait tant Jean-Jacques; Le miroitement du glacier, Près des pins que l’orage scalpe, Et des grands lacs, lames d’acier, Que tord le vent qui vient de l’alpe; Du monde embrasé des couleurs Les splendeurs tout ensoleillées; Dans tout l’éclat des vieux mouleurs Les formes grecques réveillées; Les horizons bleus et fuyants Des cieux des mondes invisibles, Parmi nos tourbillons bruyants Eclos, empourprés et paisibles; Tous les ghazels épanouis Dans le front du conteur arabe Qui de diamants inouïs Illumine chaque syllabe; Les marbres aux seins opulents Ce la savoureuse Ionie, Les blocs aux contours turbulents, Pâmés au pouce du génie; Les découpement copieux Des cathédrales dentellées, Dont le moyen-âge pieux Dore les voûtes constellées; La foi dans l’art malgré les cris De ceux qui vont avec le siècle, Qui marcheraient sur des cricris Et se moquent de sainte Thècle; Voilà ce qui palpite et vit Dans tes oeuvres éblouissantes Où l’oeil de l’âme se ravit En visions incandescentes. Les hommes chanteront tes vers, Miroir de la terre première, Aussi longtemps que l’univers Boira les flots de la lumière. A madame *** Comme Dieu dans le sein des mers mystérieuses A dérobé la perle aux yeux des matelots, J’ai, dans mon âme, loin des foules curieuses, Enfoui mon amour et caché mes sanglots. Oh! de mon coeur blessé le douloureux mystère, Madame, à vos regards restera toujours clos; La fleur de mon amour s’éteindra, solitaire, Beau lis que le soleil n’aura jamais éclos. - Votre doux nom, madame, embaumera ma lyre, Le reflet de vos yeux éclairera ma nuit, Et si vos lèvres d’or me donnaient leur sourire, Je comprendrais le ciel. -mais j’apprendrais l’ennui! Un Ange De La Terre. A mes chers petits amis Carl Et Max De Drechsel. Enfants, connaissez-vous un ange de la terre. Aussi pur, aussi beau que les anges des cieux? Il embaume ici-bas le sentier solitaire Et rend doux et sereins tous les fronts soucieux. Autour de son grand front palpite la lumière. Il est venu vers nous pour faire croire en Dieu, Il vit dans les palais comme dans la chaumière, Et son regard d’azur resplendit en tout lieu. Le chant doux et berceur de sa voix cristalline Fait pleuvoir le sommeil sur le front de l’enfant, Et des rêves remplis des bruits de la colline Planent sur les berceaux que son aile défend. Dieu l’a placé tout près de vos jeunes années Pour soutenir vos pas et remplir votre coeur, Son doigt fait refleurir les croyances fanées. Et ses lèvres jamais n’ont de rire moqueur. Quand sur vos jeunes fronts s’étend la maladie, Il reste nuit et jour la main dans vos deux mains. Votre âme, à son appel, se relève agrandie, Si votre voix s’est jointe aux murmures humains. On le trouve partout où l’on verse des larmes, Son amour est le seul qui ne s’éteigne pas; Il a des mots d’espoir pour toutes les alarmes, Et sa main quelquefois arrête le trépas. Eclos dans un souris de la vierge mystique, Un soir il est tombé du séjour éternel; Cet ange de la terre est doux comme un cantique, Et son nom, mes enfants, c’est l’amour maternel. Si Je Pleure? O mon pâle rêveur! me disait une femme. Toi dont le coeur est mort dans ton sein déchiré, Et dont l’oeil cependant reluit sous tant de flamme, Sceptique de vingt ans, as-tu jamais pleuré? Hélas! lui répondis-je, aux faiblesses humaines Je n’ai pu m’arracher encore tout entier; La suprême apathie a de vastes domaines Où ne s’est point encor posé mon pied altier. Si j’ai pleuré, dis-tu, femme aux lèvres heureuses, Je suis un homme, hélas! et j’en porte le nom; J’ai versé bien souvent des larmes douloureuses, -Je pleure chaque fois que j’épluche un oignon. Les Frères De La Lyre. A un poète. Dans les vastes forêts de la vieille Allemagne Que nivela jadis le doigt de Charlemagne, Je me rappelle avoir entendu bien souvent Une vieille ballade au refrain émouvant. Ce chant nerveux et doux, de date séculaire, Éclos dans le grand front d’un rimeur populaire, Est venu bien souvent -lorsque je m’en allais En chanteur ambulant, sans argent ni valets, Riche d’un beau soleil et de ma fantaisie, Au fond de la Bohême ou de la Silésie, Et puis que, m’arrêtant au bord d’une forêt, Dans mon coeur accablé d’un malaise secret, Je sentais lentement comme une mer sans digue, Le découragement sourdre avec la fatigue, - Ce chant naïf et grand est bien souvent venu Comme une voix d’ami dont le timbre est connu. Vivifier l’espoir dans mon âme affaissée Et colorer de foi ma jeunesse lassée. Le front dans mes deux mains, sur la marge du bois. Où des chiens des chasseurs mouraient les longs abois. J’écoutais les sanglots des cascades lointaines Et des chênes froissés les rumeurs incertaines; Tous ces bruits étonnants, étranges et secrets, Qui passent, vers le soir, dans les grandes forêts. Et bientôt à côté des sources voyageuses. Au milieu des frissons des clairières songeuses. J’entendais s’élever dans le chemin croulant La voix au timbre d’or d’un chanteur ambulant, Qui chantait en passant derrière les arbustes, Ce beau lied allemand, plein de strophes robustes. Car la tradition a colporté ce chant Dans toute l’Allemagne, et de la ville au champ Son refrain a bercé le poêle malade. Et voici maintenant ce que dit la ballade: Du pays de Bohême, enfants aventureux, Riches de poésie et de leurs longs cheveux. Les chanteurs sont, dit-elle, une grande famille, Tous éclos, ici-bas, sous la même charmille, Et que sur tous les points des mondes habités, Le doigt de Dieu conduit au travers des cités Calmes, l’étoile au front, la harpe en bandoulière, Ouvrant aux coeurs meurtris leur hymne hospitalière, Et reversant aux fronts noircis d’impiété Ce baptême divin: l’amour de la beauté. Ces chanteurs dispersés dans l’univers malade. Ces Frères de la Lyre, ajoute la ballade, Se rencontrent parfois sur le bord des chemins Où marchent à leur voix les océans humains, Et se reconnaissant aux lueurs de l’étoile, Dont leur front large et pur sur les tempes s’étoile, Ils échangent entr’eux avec sérénité Le baiser chaste et doux de la fraternité; Puis à ceux qui sont loin, ils donnent sur la voie Un salut d’amitié que le vent leur renvoie. O poëte de France à la voix de cristal, Douce comme un refrain de mon pays natal, Dont la strophe toujours belle et fière sans morgue Est pleine de parfums et de murmures d’orgue! O poëte de France aux distiques cambrés! Que de leurs rayons d’or deux soleils ont ambrés, Car on voit resplendir, en effluves mystiques, Deux immenses soleils à travers vos distiques: Le grand soleil de l’art et le soleil de Dieu, Dont l’un luit dans le coeur, l’autre dans le ciel bleu. A vous, noble poëte à la harpe divine, Moi, rimeur inconnu, qui viens de la ravine Sur ce sol étranger où j’ai porté mon luth, J’envoie avec ces vers mes voeux et mon salut Franc comme un Allemand d’Augsbourg ou de Mayence, Plein de naïf espoir et de jeune croyance, Je suis venu vers vous pour vous remercier Du bonheur que m’ont fait au bord de mon glacier Vos vers étincelants, vos strophes souveraines, D’azur, d’or et d’airain, splendides et sereines! La Nostalgie De L’Artiste. A Mademoiselle Louise Bader. I Beaux vallons inconnus, Des bois onde bruyante Où l’ondine fuyante Baigne ses beaux pieds nus; Dans les mousses cachées Comme un bonheur secret, Sources de la forêt Des amants recherchées; O ravins murmurants, Près des montagnes blanches, Où l’on jette deux planches Pour franchir les torrents; Pelouses solitaires Où viennent les chamois Cacher leurs doux émois Sous les chênes austères; Mes Alpes, mes glaciers Aux vierges dentelures, O sapins! chevelures Couvrant nos pics altiers; Monts où dort mon enfance, Où près de mes chevreuils Chantaient les gais bouvreuils Dans l’enclos sans défense; Où je courais joyeux Dans les neiges fondues Des hauts monts descendues Sur le gazon soyeux; Où les faons aux doux yeux dé la biche frileuse Dorment paisiblement à l’ombre du buisson, Pendant que les rayons de la lune onduleuse Argentent les sentiers qu’embaume le cresson; Où l’on entend chanter les sources éloignées Et bramer les grands cerfs piqués des moucherons, Quand les chênes tremblants sous Je choc des cognées Mêlent leurs bruits confus aux chants des bûcherons. II Dans les grandes forêts, au parfum des écorces, Dans cet air âpre et pur où vous trempez vos forces, Que belle est votre vie à vous tous bûcherons! Ces bois où vous errez à travers les grands troncs, Les émanations des clairières lointaines, Et ces longues chansons que disent les fontaines; Tous ces bruits étonnants, étranges, inouïs, Dans les vieilles forêts le soir épanouis, A vos jours inconnus donnent un charme étrange Qui vous fait refuser la couronne en échange. C’est que tout au-dessus de vos vierges forêts, Au-dessus des vapeurs qui montent des marais, Au-dessus des grands vents qui dans les solitudes Arrachent les sapins de vos rocs hauts et rudes, S’étend calme et limpide en sa virginité, Ce baptême de Dieu qu’on nomme liberté! Vous couchez sur la mousse à l’ombre des grands chênes, Fiers et libres, au bas des collines prochaines, Et vous vous endormez, sous la paix du ciel bleu, Avec votre forêt, à la garde de Dieu! III Laissez-moi, laissez-moi vers mes neiges lointaines, Mes vallons souriants où chantent les fontaines, Vers mes monts éperdus, vers mes larges glaciers, Où l’avalanche dort près des sapins altiers, Laissez-moi, laissez-moi chercher les brises neuves; Je veux baigner mon front aux flots de nos grands fleuves, Ma poitrine a besoin de l’air vierge des monts, Des plaines trop longtemps j’ai foulé les limons, Rendez-moi, sur les pics, le soir, le ranz des vaches, Les boeufs vers l’abreuvoir bondissant sans attaches, Rendez-moi les grands prés où paissent les brebis, La jatte de lait chaud, le savoureux pain bis, Au bord des bois fleuris la mousse et la bruyère, Rendez-moi le soleil de ma verte Gruyère, Rendez-moi la montagne ou bien je vais mourir. Oh! c’est que sur ses flancs j’aimais tant à courir! Aux pentes des ravins où rougissent les fraises Que de fois n’ai-je pas fait rôtir sons les braises De beaux fruits empruntés au verger du voisin, Ou dans son grand enclos volés à mon cousin! Pour ma mère en allant recueillir quelques simples, Je chantais du pays les refrains doux et simples, En poursuivant au loin quelque chevreuil fuyard Qui passait et glissait dans le bois de Fayard. Oh! que j’étais heureux, là bas, sur la montagne! Avec la liberté pour amie et compagne! Ce souvenir amer en moi ne peut tarir! Oh! le mal du pays, amis, fait bien souffrir! IV Mais dans mon coeur malade une pensée ardente Arrête les sanglots et calme la douleur, Car je veux que la foule à ma voix fécondante Retrouve la croyance à côté du malheur; Pour exhaler, là haut, seul, son hymne épurante, Le poète aujourd’hui ne doit plus sur les monts Porter, roi sans sujets, sa harpe murmurante, Loin des fleures humains qui traînent leurs limons. Il doit rester en bas. -Dans ma cellule austère, Par la voix du devoir mon esprit excité Fera, grave et serein, son oeuvre solitaire, Au-dessus des rumeurs de la grande cité. Car je veux au milieu des voix tumultueuses, En jetant sur la foule un triangle de feu, Illuminer soudain ses routes tortueuses En lui parlant de l’art, de l’amour et de Dieu. Un Matin Au Lever Du Soleil. O poëte niais! pauvre arrangeur de rimes, Tu veux chanter, dis-tu, mais qui t’écoutera? Eh! les vers aujourd’hui se débitent en primes; On en fait à la toise et nul ne les lira. Dans La Souffrance. A Claudia. Oh! ne laissons jamais sous le doute énervant Notre âme s’affaisser comme le flot au vent; Recevons, sans pâlir, les coups de la souffrance, Que le bien seulement ait notre souvenir; Oublions le passé pour croire à l’avenir, Et buvons en marchant le vin de l’espérance! Si l’orage ou le vent bat notre front mortel, Ne craignons pas d’aller, aux marches de l’autel, Dire l’Ave Maria que disait notre mère; Lorsque l’on a souffert, on croit toujours en Dieu, Et souvent à la paix qu’exhale le saint lieu, Se rassérène enfin notre existence amère! Que les hommes jamais ne voient notre mépris, Trouvons des mots d’amour pour les coeurs incompris, Sachons être assez grands pour bannir toute haine. Si nous avons en nous quelque ulcère rongeur, -N’étalons pas à tous sa sanglante rougeur, Avec le tronc pourri restons droit comme un chêne. Sachons vivre isolés au milieu des humains, N’allons pas, à genoux, sur le bord des chemins Mendier aux passants l’aumône d’une larme, Que l’hymne sanglotant de nos sombres ennuis Ne verse ses accords qu’au silence des nuits, Ayons dans le combat le silence pour arme! Oublions l’homme pour nous souvenir de Dieu, Ne devançons jamais le moment de l’adieu, Méprisons la pitié que la foule sait feindre. Si des douleurs sans nom rongent nos coeurs ardents, Souffrons et sourions; n’ayons pour confidents Nul ami, nulle femme et mourons sans nous plaindre. Ce Que C’Est Qu’Un Mari. Quand Christophe Colomb eut enfin découvert Ce continent lointain qu’on croyait chimérique, Il mourut loin du sol qu’il avait entr’ouvert, Et Vespuce donna son nom à l’Amérique. Si la femme portait le nom doux et chéri De son premier amant, Anglais, Français ou Russe, Ce serait rarement celui de son mari. -Un mari n’est jamais qu’un Améric Vespuce. Le Secret De La Mer. A Mon Ami Auguste De Vaucelle. Sous le vent de la nuit la mer tumultueuse S’agitait dans le lit que Dieu fit à ses flots; Et de son sein troublé, sombre et majestueuse, Montait une hymne sourde où roulaient des sanglots. La vague bondissait vers la grève immobile, Reculait, s’abîmait et toujours renaissait, Et les cités au loin mêlaient leur voix débile A ces sourdes rumeurs que la houle accroissait. Et les flots turbulents brisés par le rivage Chantaient en retombant sur recueil froid et bleu, Ils parlaient cette langue inconnue et sauvage Que parle l’ouragan quand il cause avec Dieu. CHANT DES VAGUES. Nous sommes le miroir où le ciel se reflète, Nous savons l’avenir que l’univers attend, Car sur nos fronts meurtris que l’orage souffleté, Souvent la main de Dieu se repose et s’étend. Dans le sombre infini de nos gouffres immenses Dorment éblouissants des mondes ignorés, Et notre sein puissant féconde les semences Des jeunes continents nouvellement créés. Un secret éternel tourmente nos abîmes, Car nous savons le mot qui créa l’univers, Ce mot mystérieux aux syllabes sublimes Bondit dans notre sein en mille accords divers. Quand sous leurs grands palais les cités turbulentes Couvrent leurs larges flancs du manteau de la nuit, Quand les étoiles d’or naissent étincelantes Au portique azuré du palais de minuit; Quand la science humaine ouvre ses astrolabes Pour compter les soleils qui pavent l’infini, Alors nous épelons les étranges syllabes De ce mot incréé que Dieu seul a fini Les monts qu’aime l’éclair, les forêts murmurantes, Les fleuves, les torrents, les sources et les vents, Les émanations dans les brises errantes, Et les cieux insondés inconnus aux vivants, Épèlent avec nous dans l’immensité sombre Ce mot resplendissant que nul oeil n’a rêvé, Mais il reste toujours dans notre flot qui sombre, Sur nos lèvres jamais il ne s’est achevé. Car ce mot échappé d’une bouche mortelle Ébranlerait soudain l’univers confondu, Et comme un fer bouillant que le forgeur martelle, Les deux s’aplatiraient sur le monde éperdu. Et Jéhovah debout dans ce désordre immense, Devrait dans le chaos repétrir l’univers, Créer un nouveau rhythme aux sphères en démence, Et de son doigt puissant clore les cieux ouverts. Par un pouvoir fatal nos lèvres enchaînées Palpitent sous ce mot qui contient l’avenir; Depuis les jours lointains où nos vagues sont nées, Nous répétons toujours sans jamais le finir. Et c’est là le secret que dans les vents nocturnes Nos seins tumultueux murmurent sourdement, Ce qui fait que du fond de nos flots taciturnes Une plainte sans fin monte éternellement Roulons, roulons, roulons vers la rive inconnue, Le vent pousse les flots et Dieu pousse le vent, Et dans notre miroir qui reflète la nue, Nous voyons Dieu parfois se pencher en rêvant. * * * La rumeur s’éteignit, les vagues se calmèrent, Sous les baisers du jour l’océan s’affaissa, Aux parfums du matin les cités s’embaumèrent, Et la voix de la mer dans leurs bruits s’effaça. De tous côtés monta cette hymne éblouissante Que la nature chante au sortir du sommeil, Et la création se pencha frémissante Sous cette ombre de Dieu qu’on nomme le soleil. Un Poète Qu’On Ne Lit Plus. Il existe un poète aux odes insondées, Plus vaste que les cieux, plus grand que l’infini; Son coeur est l’océan où naissent les idées, L’univers à genoux chante son nom béni. Son regard rajeunit les croyances ridées; Il sculpte au coeur humain l’espoir dans le granit, Il calme de la mer les vagues débordées; Aigle impossible, il a l’immensité pour nid. Sa plume est le soleil; son poème, le monde; Les monts et les forêts que la tempête émonde, Les océans profonds que tord le vent du flux, Sont les notes sans fin de sa vaste harmonie; L’homme est l’écho complet de son oeuvre infinie. Ce poète, c’est Dieu; mais on ne le lit plus. Blasphème Et Prière. A C. B. I Je n’aimerai jamais, je n’ai jamais aimé; Aux lâches passions mon coeur reste fermé. Mon front est libre et fier; aucun joug ne le blesse, Je ne veux rien avoir de l’humaine faiblesse, Et l’amour est un bât dont le sanglon de fer S’imprime pour toujours au front qui l’a souffert, Et je méprise trop toute l’humaine espèce Pour me joindre au troupeau que la femme dépèce. II Mon bras dans aucun champ n’a tracé de sillons, La soie ou l’or jamais n’ont sali mes haillons; Ne croyant plus à rien, nulle loi ne me gêne, Au travers des humains, grand comme Diogène, Je passe, libre et fier, en me moquant de tout. Drapé dans mes haillons, j’ai promené partout Ma misère sans tache et mon orgueil inculte, Sans avoir jamais fait rien de bas ni d’occulte. III Dieu m’a volé ma mère au sortir du berceau, En brisant de mes jours lé plus large morceau, Et jusqu’à quatorze ans ces mots de la tendresse, Si doux au jeune coeur auquel on les adresse, N’ont jamais répandu sur mon coeur qui pleurait, Leur ivresse divine où ma bouche aspirait. Mon enfance a grandi sur elle repliée, Et les soufflets ont clos ma bouche humiliée. IV A quatorze ans j’ai fui le seuil où j’étais né, J’ai cherché dans l’exil un sort plus fortuné, Pauvre et fier vagabond, j’ai traîné ma sandale Jusqu’aux pays brumeux où dort le Kamtchadale, Au travers des forêts, sous l’orage ou le vent, Dans les ravins des monts où j’ai dormi souvent, Dans les bourgs ignorants, dans les cités fangeuses,. J’ai porté, toujours seul, mes douleurs voyageuses. V J’ai marché, tour à tour, à travers les palais Où croupit sons les pieds la fange des valets, Au travers des cités où la bête de somme Vit loin des chariots où l’on attèle l’homme; Les âpres vents du nord et les feux du midi Ont bronzé ma poitrine où l’orage bondit. Et j’ai vu, sur mon front durci par les voyages, Le vent de bien des cieux promener les orages. VI L’eau de l’indifférence a, sous ses flots glacés, Pétrifié mon coeur et mes esprits lassés, Je suis mort; rien ne bat sous ma mamelle gauche; Je suis trop orgueilleux pour que dans la débauche Ou dans l’amour jamais je laisse ma vigueur S’énerver et moisir de stupide langueur, Je veux rester plus grand que tous ces nains difformes, Et n’avoir rien d’humain que les traits et les formes. VII Quand je vais, pâle et fier, au travers des salons, Bien des femmes souvent, aux yeux ardents et longs, Ont jeté sur mon front que le dégoût harcelle, De leurs yeux veloutés la brûlante étincelle. Non pas que je sois beau. -Mais dans mes yeux distraie Sous mes longs cheveux noirs j’ai gardé quelques traits De l’âpreté des monts, où sur mes lèvres rudes, J’ai bu, près des torrents, le vent des solitudes. VIII Bien des femmes auraient sur mon front basané Pressé de leur amour le fruit empoisonné; Mais je veux rester grand et l’amour rapetisse; Sans que jamais la femme à mes côtés bâtisse L’édifice fangeux de son amour menteur, N’ayant pour seul ami que mon luth de chanteur, Sous tous les cieux connus qui joignent les deux pôles, J’irai, fier, calme et seul, en haussant les épaules. * * * Malgré cela pourtant, dans mon coeur épuisé, Autel nud et désert que le doute a brisé, S’élève, indélébile, une foi solitaire. Elle reste debout dans sa grandeur austère, Comme ces vieux débris de temples écroulés, Ces portiques assis sur des bords désolés, Dont les vents des déserts et les vagues débiles Battent sans les courber les granits immobiles; Restes d’un cuite mort et qui montrent le lieu Où jadis tout un peuple adorait le vrai Dieu. Ce débris éternel de mon âme en ruines Que ne verdissent pas le vent et les bruines, Ce socle d’airain, c’est la foi dans l’avenir. Comme deux fiancés que l’amour vient d’unir, La souffrance et mon coeur ont marché dans la vie, L’idéal a rongé ma lèvre inassouvie, La misère a tordu ma robuste vigueur, Mais ne l’a pas brisée et j’ai du sang au coeur. Non, je ne suis pas mort! Comme un débile arbuste, Je ne veux pas plier mon épaule robuste Sous le vent passager du découragement! Si j’ai senti faiblir ma croyance un moment, C’est une eau salutaire où mon âme irascible S’est trempée en passant; elle en sort invincible! La nature frissonne aux baisers du soleil, Le chant du jour renaît à l’horizon vermeil, Les enfants prosternés dans les temples paisibles Me réchauffent le coeur de leurs chants invisibles; Les forêts et les mers versent sur les cités Le cantique sans fin de leurs flots agités; Tout chante, tout renaît; de suaves haleines Pleines de doux parfums palpitent dans les plaines, Et l’humanité semble au milieu du ciel bleu Poser un long baiser sur le grand front de Dieu. Oh! mon âme a brisé son trop long crépuscule, Le vin de la jeunesse en mes veines circule, Je n’ai que vingt-un ans, je veux croire à l’amour, Comme Goethe, je dis: Du jour! encor du jour! Je veux fouler aux pieds mon cynisme factice; Oh! non, il n’est pas vrai que l’amour rapetisse; La femme trompe et meurt, mais l’amour est divin, Et nul être ici-bas ne l’a maudit en vain. C’est la fête de Pâque où l’âme renaissante Sort comme Jésus-Christ de la tombe impuissante, Et monte vers les cieux dans un suave émoi. Oh! mon coeur reverdit sous l’espoir et la foi. Je vis, j’aime et je crois! ô ma harpe fidèle! Allons au temple saint qu’embaume l’asphodèle, Et chantons à genoux, dans l’exaltation, L’hymne rassérénant de la rédemption! Si le blasphème amer a passé sur ma lèvre, Pardonnez-moi, mon Dieu! j’écrivais dans la fièvre. C’est que j’ai tant souffert! je ne suis qu’un enfant; L’épreuve était trop forte et mon coeur étouffant Sous le pied des douleurs, n’a pas eu la puissance De monter au Calvaire avec reconnaissance. Pardonnez-moi, mon Dieu, j’ai vaincu mon orgueil; Quand mon coeur faiblira sous le doute et le deuil, Je m’agenouillerai comme aux jours du jeune âge, Et vous me verserez la force et le courage! A Satan. Ange terrible et fier, j’aime ta hauteur sombre! Tu fus plus grand que Dieu, car tu le combattis; Ton pas fit vaciller comme un vaisseau qui sombre Sur leurs axes nouveaux les cieux dont tu sortis. Le soleil s’éteignit en passant dans ton ombre, l’éternité trembla. Les mondes trop petits Pour tes membres géants, ennemis du pénombre, Craquèrent sur ton dos lorsque tu les vêtis. Tu préféras, debout dans ta fierté sublime, Au servage des deux le sceptre de l’abîme Où tu moules à tous un funèbre cercueil; Agrandissant l’enfer pour y mettre tes haines, Tu règnes maintenant dans les feux des géhennes, Plus puissant que la mort et plus grand que l’orgueil. Impressions D’Ivresse D’Un Poète Allemand. A Ch. Alexandre. O vous qui m’ayez envoyé dans ma solitude la douce et généreuse parole de sympathie qui réconforte et qui relève; VOUS qui, sans me connaître, êtes venu me serrer la main et me dire: Courage! -cher ami inconnu, daignez accepter la dédicace de ce poème, came de croyant et d’artiste. Vous qui aimez la sainte et vieille Allemagne, la robuste et féconde poésie germanique, éclose au pied des cathédrales, dans les bruissements des forêts, vous lirez peut-être avec indulgence l’oeuvre bizarre, mais sincère, que je vous offre. Ce poëme a été écrit d’abord en allemand dans une brasserie de Leipsick, entre un tonneau de bière, ma pipe et un piano, puis, traduit, à Paris, quand le vent des voyages eut poussé ma jeunesse vagabonde vers la grande ville. Cette oeuvre est l’écho de souffrances profondes et vraies; vous me pardonnerez l’excentricité de sa forme en faveur de la pensée qu’elle renferme et de la foi qui l’a dictée. Pauvre et humble artiste, je n’ai ni opale ni émeraude à vous offrir en échange du diamant de vos beaux vers que vous m’avez envoyé; mais ne repoussez pas mon caillou des montagnes. Qui sait? au doux soleil de votre généreuse amitié il reluira peut-être assez pour ne pas assombrir votre radieux écrin. Etienne Eggis. Chant De Route Du Juif Errant. Satrapes au front pâle, Rois des fières cités, Dont la verge papale Bat les peuples matés, Serfs de la glèbe immonde Dont le front pleure ou rit, Place! place au Maudit Sur la route du monde! Les cèdres des Libans et les rois des humains Se courbent en tremblant sous mon pied invincible; J’ai bravé tous les cieux, foulé tous les chemins, Mon orteil n’a pas vu de mont inaccessible. Les rumeurs des cités et la houle des mers Dans leurs lits orageux pleurent lorsque je passe, Un sanglot convulsif tord les gouffres amers, Et l’ouragan dompté s’aplatit dans l’espace. Quand la mort veut briser le granit de mes jours, Elle ébrèche sa faux à mes reins immobiles; Vagabond éternel, je chemine toujours, En chassant devant moi les empires débiles; Mon pied heurte en passant des générations Les cadavres épars dans les sables des âges; Les tigres affamés des révolutions Pantelants sous mon oeil lèchent mes mains sauvages. J’ai compté les soleils qui pavent l’infini, Les atomes de sable où la mer se dérobe; J’ai fait dix-huit cents fois le tour de ce vieux globe, Nul gouffre n’a voulu de mon front de banni. Satrapes au front pâle, Rois des fières cités, Dont la verge papale Bat les peuples matés, Serfs de la glèbe immonde Dont le front pleure ou rit, Place! place au Maudit Sur la route du monde! Nul ne sait d’où je viens, nul ne sait où je vais, Je ne me souviens plus du nom qu’avait ma mère-,. Ni des rêves fleuris qu’autrefois je rêvais, Ni des flots qu’a battus mon enfance éphémère. Je n’aime ni ne hais. Je marche toujours seul. Mon éternel ennui fait ma seule famille. Mon regard morne et froid glace comme un linceul Les rires doux et frais éclos sous la charmille. Quand je passe le soir aux marges des forêts, les baisers des amants se fanent sur leurs lèvres; Leur étreinte se meurt en des frissons secrets, Et l’effroi sur leur joue épand sa morne fièvre. La flamme de la joie et des rires humains N’a jamais coloré mon grand visage pâle, Mon existence n’a ni soirs ni lendemains, Elle suit une route éternelle et fatale. Parfois un regret morne aime à me torturer; Son cri vague et lointain au souvenir ressemble; Alors dans ces moments quelquefois il me semble Que je serais heureux si je pouvais pleurer. Satrapes au front pâle, Rois des fières cités Dont la verge papale Bat les peuples matés, Serfs de la glèbe immonde Dont le front pleure ou rit, Place! place au Maudit Sur la route du monde! Oh! la fatigue lourde écrase mes vieux reins, La lassitude abat mes ennuis solitaires, - J’ai sondé tour à tour les abîmes marins, Les torrents des vieux monts, les laves des cratères, J’ai présenté mon front aux bises des glaciers, Aux simouns des déserts, aux foudres des tourmentes, J’ai versé dans mes os les philtres des sorciers, Ma poitrine a plongé sous les mers écumantes; Mais le vent comme un souffle a caressé mes yeux, Le simoun s’est enfui loin de mes pas avides, La foudre à mon approche a remonté les cieux, La mer m’a rejeté de ses abîmes vides. Le repos, le repos! la tombe ou le sommeil! Mais le repos paisible à l’ombre des feuillages, Loin des plaines sans fin où pèse le soleil, Près de la source ombreuse où causent les villages. -Mais le ciel s’est ouvert et le Maître a parlé; Il faut marcher toujours sur ma route éternelle, Il n’est pas d’avenir ouvert à ma prunelle, Le passe ne luit pas sur mon front désolé. Satrapes au front pâle, Rois des fières cités Dont la verge papale Bat les peuples matés, Serfs de la glèbe immonde Dont le front pleure ou rit, Place! place au Maudit Sur la route du monde! Mais un jour, jour suprême! un immense ouragan Broîra comme un épi la terre vermoulue, Le monde finira d’un bond extravagant Dans le chaos sans fond sa route révolue. L’infini s’abattra sur les cieux fracassés, Le soleil s’éteindra comme un flambeau sans huile, Les peuples et les rois l’un sur l’autre entassés, Dormiront pour toujours leur sommeil immobile. Le chaos éternel comme un monde de plomb Pèsera sur les os du cadavre des mondes; Et l’univers perdant l’axe de son aplomb Croulera dans l’abîme où s’égarent les sondes. Et moi calme et debout an milieu des débris Que voileront déjà les dernières bruines, J’applaudirai des mains aux soleils assombris, Et les morts m’entendront rire dans les ruines, Jusqu’à ce que le Maître à mes pas indomptés Ouvre au fond de l’espace un nouveau monde en germe, Où je continûrai mon voyage sans terme, -Car je suis éternel comme l’humanité. Satrapes au front pâle, Rois des fières cités, Dont la verge papale Bat les peuples matés, Serfs de la glèbe immonde Dont le front pleure ou rit, Place! place au Maudit Sur la route du monde! A madame Juliette Forestier-Luce. Improvisé Pendant Qu’Elle jouait Au Piano Une De Ses Admirables Fantaisies. Madame, j’écoutais le piano frémissant Sous vos doigts créateurs évoquer tout un monde De rêves embaumés que nulle main n’émonde Et qui montent aux cieux comme un soleil naissant. Je cachais dans mes mains mon front incandescent; Votre inspiration sublime et vagabonde Dans mon coeur enivré d’une extase profonde Faisait sourdre les vers comme un fleuve puissant. Mais les vers, bois grossier qu’à sculpter je m’efforce, Rendent un vain accord incomplet et sans force, Et ne font qu’assombrir votre orient vermeil. Penché sur le piano dont le chant m’extasie, Je disais, -en pensant à vous, -la poésie N’est que la lune, et la musique est le soleil. Une Belle Vie. A Ferdinand F. I Voyager! voyager! Sur un sol étranger A travers le danger Promener, libre et seul, sa vie aventureuse; Près des vieux matelots, Écouter les grands flots A côté des îlots Chanter pendant la nuit sous la lune amoureuse. Au fond d’une forêt Dans un vallon secret S’arrêter où serait Une source limpide et de gazons bordée. Puis, reprendre son sac, Et rejoindre le bac Qui traverse le lac En suivant vaguement le doux vol d’une idée. Voyager! voyager! Dans les bois s’engager Sans savoir où manger, Errer toujours à pied et fuir les grandes roules, Avec vingt ans au coeur, Dans les reins la vigueur, Et sans vaine langueur, Traverser les forêts qui se courbent en voûtes. II Dans les champs sans clôture. A travers la nature, Errer à l’aventure Du village aux ravins, des forêts aux hameaux, Soit qu’il vente ou qu’il pleuve Boire la brise neuve Qui monte d’un grand fleuve Sous les saules pleureurs qui perdent leurs rameaux. Dans les vierges savanes Avec les caravanes De la Grèce aux Havanes, De Venise à Moscou, de Lisbonne à Canton, Des grèves nuageuses Aux montagnes neigeuses Dans ses mains voyageuses Promener sans repos sa lyre et son bâton. III Errer, errer toujours, Dans de nouveaux séjours, Promener ses beaux jours, Voir enfin tous les cieux qui couvrent notre globe, Aux marges du glacier Où l’orage s’assied, Poser son front d’acier, Écouter les torrents que l’abîme dérobe; Sous le ciel vaste et bleu Vivre seul avec Dieu, Et des volcans en feu Passer dans les gazons qui dorment près des sources, Sous les cieux entr’ouverts Aux calmes des champs verts Chercher quelques beaux vers Sur sa harpe brunie en de lointaines courses; En laissant son coeur veuf Des appétits du boeuf, Pour un ciel toujours neuf Fuir les vieilles cités où se meurt la palombe, -Lorsqu’à bout de désir L’homme, las de souffrir, S’arrête pour mourir, Pour couche n’a-t-il pas le lit frais de la tombe? Similitudes. L’Océan n’adoucit son onde acre et salée Que lorsque le soleil l’a pompée au ciel bleu, Et reversée en pluie au sein de la vallée, La mer c’est le génie, et le soleil c’est Dieu. Oh! Si Quelqu'Un L’Aimait! I Oh! si quelqu’un l’aimait! -De son âme ulcérée Un baiser éteindrait la voix désespérée Et l’amer souvenir; Oh! si quelqu’un l’aimait! -Ses lâches défaillances Reviendraient boire aux flots des divines croyances Que rien ne peut ternir; Oh! si quelqu’un l’aimait! -Comme un vaste incendie Il voudrait que son nom sur la terre agrandie Flambât dans l’avenir! II Mais qui les aimerait, les rimeurs solitaires, Au regard fixe et triste, aux visages austères, Au front pâle et pensif; Une étoile éternelle illumine leur marche, Pendant que les mortels sentent sombrer leur arche Au choc sourd du récif; Ils traversent la vie en suivant leur étoile, On les voit passer, seuls, -comme on voit une voile Au travers d’un massif. III Ils n’ont jamais d’amis, car leur regard est triste, Et la femme répond à leur amour d’artiste Par des rires moqueurs; Au travers des cités que le lucre lacère Ils s’en vont en cachant sous leurs haillons l’ulcère Qui dévore leurs coeurs; Sans avoir éveillé ni l’amour ni la haine Ils meurent inconnus dans les bruits de l’arène, Ni vaincus, ni vainqueurs! Un Désir De Vivant. I Je rêvais cette nuit A peu près vers minuit Que j’étais étendu mort, au fond d’une tombe, Et que ce froid brouillard qui, des monts, la nuit, tombe, Étendait sur le sol Son brumeux parasol; II Quelques fleurs désolées Surgissaient isolées Au pied des buissons gris où le givre tremblait; Cette nature, morne et navrante, semblait Une face jaunie Que tordait l’agonie. III Que j’étais bien au fond De mon tombeau profond! Des vapeurs de la nuit quand l’horizon s’embrume Je voudrais que ce rêve, épanché de la brume, Pour mon coeur agile Fût la réalité! Aspirations Insensées. A Mon Ami Georges Bader. I Vagues immensités des sombres océans, Que laboure sans fin la houle impétueuse, Abîmes insondés, gouffres noirs et béants Qu’illumine d’éclairs la foudre tortueuse; O forêts, qui penchez vos sapins éperdus Sur les torrents fangeux des vallons taciturnes, Montagnes de granit dont les rocs confondus Se heurtent au choc sourd des rafales nocturnes. Vastitudes des cieux sans limite et sans fin, Où les mondes toujours recèlent d’autres mondes, Où chaque étoile d’or cache un blond séraphin; Éthers immaculés, bordés d’horizons mondes, Où penché sur son trône où s’arrête la nuit, Un bras sur le soleil et l’autre sur là lune, Dieu pleure incessamment son éternel ennui Avec un bruit pareil à la mer sur la dune; Douloureuses rumeurs des humaines cités, Où le blasphème sourd s’accouple au rire impie, Où les cris de l’orgie à tous les vents jetés Hurlent près de la faim sur la borne accroupie; Bruits des mers, bruits des cieux, clameurs des ouragans, Murmures souterrains des méditerranées, Avalanches des alps aux bonds extravagants, Universelles voix ici-bas déchaînées; Quelle douleur immense éplore vos accents? Qui jeta dans vos seins cette plainte infinie? Pleurez-vous l’homme mort ou les mondes naissants, Ou la croyance en Dieu de la terre bannie? Pourquoi tous vos accords sanglotent-ils toujours? Vos lamentations sont-elles le suaire Où l’espoir et la foi tombent avec les jours Pour combler da néant l’immobile ossuaire? II Il est de ces moments Où je voudrais étreindre, Où je voudrais atteindre De mes embrassements Tous les êtres qui pleurent Et dont le coeur meurtri N’a plus même de cri Pour bénir ceux qui meurent. Je voudrais sur mon sein Presser l’onde, la terre, La femme solitaire, Et l’enfant orphelin; Les âmes torturées Qui s’en vont vers l’amour, Puis, à la fin du jour, Reviennent, déchirées; Tout ce qui sous les cieux En soi porte un ulcère Qu’incessamment lacère Quelque deuil anxieux, Tout coeur qui se retire Pour pleurer en secret Et dont nul ne connaît L’invisible martyre. III Mais le monde est immense, et bien avant le soir, Sous mon propre deuil je succombe; - Mais je puis dire à tous: -Mes frères, au revoir Au grand rendez-vous de la tombe. Épilogue. Eh bien! mon cher lecteur, comment me trouvez-vous? D’être lu jusqu’au bout me jugez-vous indigne? Les plus sages, mon Dieu! sont souvent les plus fous, Et Kant sans déroger peut pêcher à la ligne. Et puis, qui trop pleura, -ceci dit entre nous, - Souvent, faute de mieux, à rire se résigne. Oui! mais trop rire aveugle et gare aux casse-cous. -C’est pourtant si joli de danser sur la ligne. Mais vous ne dites rien. -Qui ne dit mot consent. Ainsi, sans me flatter, je suis intéressant, Charmant, spirituel. -Mon Dieu! si j’étais bête! Cela pourrait bien-être, aussi je me tairai. Mais avant de finir, lecteur, je vous dirai Que le coeur vaut chez moi beaucoup mieux que la tête. Source: http://www.poesies.net