Poésies. (1852) Frédéric Monneron. (1813-1837) Le Poète Alpin. POEMES RECUEILLIES PAR SES AMIS. TABLE DES MATIERES Dédicace. Note Littéraire. Préludes. L'Alouette. Ignorance. À M. Olivier. Les Alpes. Prologue. I. Un Voyageur. II. Le Complot. III. La Plainte Du Voyageur. IV. L'Arrivée Du Chasseur. V. Le Prestige. VI. L'Ascension. VII. Le Repos Du Poète. Robert Le Mineur. Le Rêve Du Poète. Chant Du Montagnard. Chant Chrétien. Sur Un Départ. À Ma Grand'Mère. Adieu. Les Deux Buveurs. Élégie. La Foi D'Enfance. À Vous. Fragments D'Un Poème Sur Davel. I. Le Soldat Vaudois. II. Le Conseil. III. Le Banquet. IV. L'Armée A Lausanne. V. La Vue. Fragment A Mme *** Le Banquet. La Foi D'Enfance. ( Variante) I II III IV V VI VII Dédicace. Et si quelqu'un de vous, poète au long espoir, Hardi, l'éclair au front, insoucieux de choir, S'il tombe, hélas! au précipice, Gardez dans votre coeur au chantre disparu, Plus sûr que l'autre marbre auquel on avait cru, Un tombeau qui veille et grandisse. SAINTE-BEUVE. Note Littéraire. par Eugène Rambert. En offrant ce recueil aux amis de la poésie, nous sommes involontairement reportés vers le passé, et nous sentons se réveiller en nous de tristes et beaux souvenirs. Le nom de Frédéric Monneron se rattache à cette époque de prospérité pendant laquelle l'Académie de Lausanne fut une des gloires de notre Suisse romande. En rassemblant les morceaux qui remplissent ce petit volume, nous avons pensé souvent à cette vie intellectuelle, patriotique et généreuse dont notre académie jouissait alors, aux professeurs éminents qui contribuaient à la répandre par un enseignement libéral, et à ces élèves dont les talents faisaient déjà l'espérance de leur pays, mais qui nous ont été enlevés au commencement de leur carrière. Olivier, Monnard, Vinet, Monneron, Lèbre, Durand, tous ces noms s'unissent, et la plupart sont déjà gravés sur la pierre d'un tombeau. Il semble que la mort ait pris plaisir à moissonner les têtes les plus chères, et qu'il faille pleurer d'avance sur tous les jeunes hommes de talent que nous voyons grandir parmi nous. Monneron a donné le signal de ces tristes départs. Son âme ardente a brisé sa fragile enveloppe; il est mort à Göttingen, à 24 ans, au moment où il s'apprêtait à passer « le plus calme et le plus méditatif des blancs hivers. » C'était le 8 novembre 1837. Le premier qui suivit fut Henri Durand. D'une nature expansive et confiante, il fut longtemps, par ses talents et sa gaîté, l'âme de cette société de Zofingen, qui a si fort contribué à entretenir parmi les étudiants suisses une vie patriotique et littéraire. Il s'abandonnait sans réserve aux charmes de l'amitié. Jouissant avec ses amis et souffrant avec eux, il chantait leurs joies et leurs douleurs communes. Comme aux bardes antiques, il lui arrivait souvent d'improviser ses vers en s'accompagnant de la harpe. Ils ne sont pas toujours irréprochables; mais ils respirent tour-à-tour une douce mélancolie ou un enthousiasme noble et candide, qui ne lassent jamais. Élevé sous les yeux d'une mère pieuse, il garda jusqu'à la fin cette foi jeune et naïve qu'on ne retrouve guères aujourd'hui, et c'est avec raison que Vinet disait de lui, au moment où l'on venait de descendre son cercueil dans la fosse: « Il chercha le coeur de Dieu; il aima son Sauveur, et il en fut aimé. » Puis ce fut le tour d'Adolphe Lèbre. Ami intime de Durand et de Monneron, nous avions reporté sur lui nos espérances déçues. De fortes études, une âme fervente, une imagination très-riche, une parole émue, tous ces dons,, toutes ces fleurs promettaient de beaux fruits. Déjà quelques articles signés de son nom avaient paru dans le Semeur et dans la Revue des deux Mondes, et l'avaient mis au rang des meilleurs écrivains de ces recueils distingués, quand une cruelle maladie l'emporta comme les autres. Enfin, et pour compléter toutes ces pertes, Vinet nous fut retiré au moment où il semblait le plus mûr pour de grandes oeuvres. Homme de bien, il porta dans son âme le flambeau du génie avec le flambeau de la foi. Son regard devançait l'avenir; il l'évoquait dans sa pensée; il le préparait par ses écrits; mais, au milieu de ses travaux et de sa gloire, il fut toujours plus grand par son humilité que par son génie: Avec Monneron, Lèbre et Durand, nous avons perdu l'espérance de voir cette vie littéraire dont nous avons joui quelque temps, se continuer parmi nous; avec Vinet, nous avons perdu celui qui en était le centre et le plus ferme soutien. Aussi ce petit volume n'a pas seulement une valeur littéraire dont nous laissons juger le public; il nous est, avant tout, précieux comme souvenir: c'est un monument d'une époque passée sans retour, mais qui fut chère à tous les amis de la patrie vaudoise. C'est sous ce point de vue que nous aimons à le considérer, et nous l'adressons d'abord à ceux qui ont connu Monneron, et aux anciens membres de la société de Zofingen. C'est donc un public restreint, un cercle intime, que nous avons en vue. Nous ne tenons pas a ce que ce recueil fasse bruit: là fleur de poésie qui s'est épanouie au pied de nos Alpes, n'a été que plus fraîche pour grandir à l'ombre. Si nous avions un but plus ambitieux, si nous pensions, en rassemblant ces morceaux épars, donner un poète de plus à la littérature française, nous chercherions à faire connaître Frédéric Monneron, et, pour donner en quelque sorte un corps à sa pensée, nous commencerions par raconter sa vie; mais pour des lecteurs dont un bon nombre l'ont connu, la chose aurait peu d'importance, et d'ailleurs, sa vie est avant tout dans sa pensée. Nous ne ferons donc ici que présenter quelques idées sur le talent de notre poète. Monneron se distingue, au premier coup-d'oeil, par une individualité très-forte. Les influences extérieures eurent peu de prise sur lui. Le témoignage de ses amis confirme ce fait, qui, du reste, ressort de ses poésies. On nous dit qu'il était fort sensible aux épanchements de l'amitié, et que pourtant, même dans les moments les plus intimes, il restait encore lui-même et paraissait ne se livrer qu'à demi. La société de Zofingen ne put donc agir que très-peu sur son talent; il l'aima, il travailla pour elle, mais il s'y tint toujours à l'écart, et n'y lut qu'un petit nombre de ses vers, ayant soin de choisir ceux dont le caractère était le moins particulier. Ce n'est point à dire qu'il n'ait rien reçu du milieu où il vivait; non, il a partagé notre condition commune, qui est de recevoir toujours beaucoup plus que nous ne donnons; mais ce qu'il a reçu, il se l'est approprié, il se l'est acquis, en le transformant selon sa nature. L'inspiration ne lui venait pas du dehors; sa muse habitait au plus profond de son âme. L'influence qu'il parait avoir ressentie le plus fortement est celle de la nature. Il devait en être ainsi: au bord de notre Léman le printemps est si doux, et l'automne, qui était sa saison favorite, a tant de charme et tant de mélancolie, que la nature pouvait être pour lui une véritable amie. Il lui confiait des souvenirs et lui demandait des espérances. Puis, chaque année, au retour de l'été, il s'armait de son bâton de voyage et du sac de l'étudiant, pour aller retremper son âme aux grandes scènes des Alpes, et devant ce ciel des hautes montagnes qui, pour être le plus beau, est aussi le plus triste. Il avait compris l'harmonie qui existe entre le monde et nous, et se plaisait à écouter cette voix de la nature qui s'élève constamment vers le ciel, et qui lui semblait, ainsi qu'à l'apôtre, un soupir de la création. Notre lac, nos montagnes ont donc une grande part dans sa poésie, et par là il appartient pleinement à notre littérature nationale, à cette littérature de la Suisse romande dont on a trop légèrement nié l'existence. De l'autre côté du Jura et même de celui-ci, on est habitué à nous considérer, au point de vue des lettres, comme une province française, une faible dépendance de la grande cité vers laquelle toute la sève reflue, « comme le sang au coeur, » et l'on nous demande de montrer notre idiome particulier avant d'élever des prétentions à une littérature particulière. Mais un idiome peut-il faire autre chose que de créer une unité factice? La vraie unité, ce qui constitue une littérature à part, n'est-ce pas avant tout un esprit commun, des sentiments communs? Sous ce rapport, Olivier, Durand, Monneron ne forment-ils pas une famille? et n'avons- nous pas au moins une poésie à nous? Quoi qu'il en soit, la poésie de Monneron porte un cachet national; elle se nourrit de notre nature et nous élève constamment vers ces Alpes, qu'il aimait et qu'il comprenait à sa façon. Le désert a eu son poète, il s'est rempli des soupirs de René. Les fantômes d'Ossian ont laissé l'empreinte de leurs pas sur les bruyères de l'Écosse. Les Alpes n'ont pas encore eu d'amant pour les chanter, et pour en faire une terre classique de la poésie. Si Monneron eût vécu, s'il fût devenu tout ce que ses talents annonçaient, il aurait rempli cette tâche, car, jusqu'ici, c'est lui qui les a le mieux comprises et le mieux rendues. En lisant ses vers, on respire les parfums de la montagne; on se rafraîchit à l'air des hautes cimes; on écoute le bruit de leurs torrents; on se perd dans leurs solitudes, qui se fatiguent à chercher le ciel. C'était bien à un de leurs enfants qu'elles devaient révéler tous les secrets de leur poésie. Rousseau a surtout admiré dans nos montagnes la richesse de la nature, la variété infinie des aspects. Monsieur de Senancour y recherchait le silence qui les enveloppe; sur leurs sommets, qui échappent à toutes les agitations de la plaine, il lui semblait que les heures étaient plus lentes, et que l'âme, à la fois plus calme et plus forte, trouvait des émotions supérieures dans cette immobilité, cette permanence de toutes choses. C'est bien; mais ce n'est pas tout. Quant à Chateaubriand, il n'en a rien saisi. Il parcourut la vallée de Chamouny, il y chercha le sublime, et n'y rencontra que le monstrueux. De bons esprits s'en sont étonnés. La chose me paraît cependant naturelle, et parfaitement d'accord avec la manière de sentir qui appartient à ce grand poète. Ce qu'il aimait, c'était la mélancolie, le mystère des grandes forêts, les horizons vaporeux qui semblent cacher des retraites où l'imagination s'élance. Ce n'est pas là le caractère des Alpes. Le calme qui repose sur les pentes de leurs vallons est plus riant; la tristesse de leurs vastes sommités est plus jeune, plus forte, plus poignante. Celui qui rêve pour tromper son ennui ne saurait les aimer, car elles sont l'image du génie, qui se tourmente à combler l'espace entre la terre et le ciel, sans se lasser de ses efforts impuissants. C'est ainsi que Monneron les comprend, et il se montre en cela plus grand poète que Rousseau, plus jeune que Chateaubriand, plus complet qu'Obermann. Il nous décrit tour-à-tour les gazons de la vallée, que la joyeuse ronde des sylphes incline sous ses pas, et les cimes désertes qui s'entassent les unes sur les autres, et montent sans cesse « Aux bords toujours plus froids d'un ciel toujours plus pur. » Tout ceci est admirablement peint dans le poème des Alpes. Monneron, car c'est bien son histoire qu'il y raconte, s'exile de la plaine et va chercher sur la montagne la force, l'espérance et la foi; mais il n'y trouve que des hauteurs glacées. Le poème se termine par ce cri d'une âme déçue: « La poésie a son vertige, Elle n'est pas le pur amour. » Par ce côté déjà, la poésie de Monneron est très-originale; mais il est temps de le pénétrer plus à fond. Monneron est avant tout poète lyrique. La corde épique ne lui est cependant pas totalement étrangère; mais il n'a essayé de la faire vibrer que dans ses premiers morceaux. Dès que ses hautes facultés se furent éveillées, il voulut tout saisir, tout embrasser, et il ne produisit qu'un amas indigeste. C'est l'histoire de l'enfance de tous les hommes et de tous les peuples. Quelques portions de Davel et le fragment intitulé le Banquet sont tout ce que nous avons admis dans ce volume de ces premiers essais. On verra par ce morceau du Banquet que, si le poète ne se possède pas encore lui-même, il a déjà cependant de hautes inspirations. C'est Hercule qui veut porter le ciel; mais il est trop jeune pour un si noble fardeau. C'est donc comme lyrique que Monneron se présente à nous. De plus, il est de ceux qu'il faut ranger dans la classe des musiciens. Il y a en effet deux espèces de poètes lyriques: les uns, et c'est le cas de Béranger, sont armés d'un crayon plutôt que d'une lyre. Le trait leur suffit, et cependant il y a dans leurs tableaux premier et second plan; une scène se passe sous nos yeux, tandis que le lointain est habilement ménagé. Ils appuient sur le dessin, et sont très-sobres de couleurs. D'autres, et c'est le cas de Lamartine, peuvent nous dire: « Je chantais mes amis comme l'homme respire. » Avec les moyens de la poésie, ils recherchent les effets de la musique; ils se saisissent de l'imagination du lecteur, et la bercent dans les espaces infinis. Leur élément c'est le vague, l'illimité, et, s'ils sont obligés de saisir le pinceau, ils répandent à profusion la couleur, et négligent volontiers le dessin. Ces deux extrêmes ne sont pas sans péril, surtout le second, mais entre deux il y a une foule d'intermédiaires où ces éléments opposés se combinent de mille façons. La perfection serait d'occuper le milieu, et de les posséder l'un et l'autre; en sorte que Pascal aurait eu raison, en littérature comme en morale, quand il a dit: « On ne montre pas sa grandeur par être en une extrémité, mais en touchant les deux à la fois et remplissant tout l'entre-deux. » Malheureusement l'homme est faible; il penche toujours d'un côté ou de l'autre. Peut-être est-ce à un poète véritablement chrétien qu'il doit appartenir de réaliser cet idéal. N'est-ce pas le christianisme seul, en effet, qui a pu le faire en morale? En tout cas, Monneron pioche aussi, et c'est du côté de Lamartine: « Quand sur les champs du soir la brume étend ses voiles, Lorsque, pour mieux rêver, la nuit, au vol errant, Sur le pâle horizon détache en soupirant Une ceinture d'or de sa robe d'étoiles; » Lorsque le crépuscule entr'ouvre aux bords lointains Du musical éther les portes nuageuses, Alors, avec les vents, les âmes voyageuses Vont chercher d'autres cieux dans leurs vols incertains. » Voilà le type de sa manière. L'infini semble s'ouvrir devant nous. Toutefois l'élément opposé ne lui est pas totalement étranger, et lui-même nous montre dans une lettre combien il sentait la nécessité de soigner davantage le dessin: « Je commence, dit-il, à être au clair sur ce que doit être la description en poésie; j'ai pris de l'effroi pour les minuties du coloris et en général pour la description moderne, où l'on devine toujours plus les ambitions du peintre que les intentions du poète. Je ne voudrais presque que du blanc et du noir, et un dessin sobre, large, antique, où la mémoire et l'imagination du lecteur fussent toujours bien à l'aise. » Cette lettre appartient aux derniers temps de sa vie, et il est facile de voir qu'il n'a pas eu dès l'abord cet idéal devant les jeux. Cependant il lui arrive parfois de tracer une ligne rapide dont le contour est infiniment pittoresque, et qui, d'un seul trait, donne à l'objet qu'il veut peindre sa forme et sa couleur. Sous ce rapport le morceau intitulé les Préludes est très-remarquable. Nous ne citerons que ces vers: « Que j'entende, accoudé sur les ais d'un vieux pont, Tonner dans les sapins le flot tiède et profond, Lorsqu'un ciel floconneux, aux bizarres images, Teint l'écume des eaux du bronze des nuages; Que je suive, à grands pas, du maigre chevrier La caravane blanche aux buissons du sentier, Quand l'aube, sur les rocs, monte pale et timide, Et du lointain clocher blanchit la pyramide, A l'heure où, solitaire, un cheval montagnard Broute sa touffe d'herbe au-dessus du brouillard, Et fait crier ses fers sur la roche esquilleuse....... A toute heure, en tout lieu, etc.... » La manière dont tous ces traits sont liés n'est peut-être pas parfaite; mais chacun, pris à part, n'est-il pas d'un pittoresque et d'une vérité admirables? N'est-ce pas la nature prise sur le fait? Mais en général la description de Monneron ressemble davantage aux deux couplets que nous avons cités plus haut, on bien encore à ceux-ci: « Je me compris peut-être en cet instant si pur Où la terre est brouillard, où le ciel est d'azur; Peut-être dans ces nuits de tristesse et de rêve, Où la lune et les flots, endormis sur la grève, Font soupirer leur ange aux paupières d'argent, J'aurai compris mon être immortel et changeant. Quand la brise d'automne hérisse le feuillage Du bois, contre lequel s'appuie un blanc village, Peut-être aurai-je vu, sur mon humble Jura, L'étoile qui m'aimait, le ciel qui m'inspira...... Et cette lyre d'or et ces cordes de flamme Que faisaient soupirer les ailes de mon âme, Avant le jour où Dieu, de ses doigts tout-puissants, L'enfermait dans la poudre et l'enchaînait aux sens. » Ce dernier fragment a l'avantage de montrer en quelque sorte réunies la description et la pensée, et surtout de laisser entrevoir un côté faible et maladif, qui perce volontiers et qui finirait par lasser. Il semble parfois, qu'à force de s'élever vers l'azur, la pensée de Monneron devienne flasque et vaporeuse, comme l'atmosphère qui l'entoure. Elle n'a plus de corps, ce n'est qu'une ombre subtile, dont le regard ne distingue pas sans peine les contours. Cette faiblesse, on le conçoit aisément, se retrouve dans le style. Pour vivre et prospérer, la plante a besoin d'enfoncer ses racines dans la terre; si vous ne la nourrissez que de l'air du ciel, elle ne tardera pas à dépérir. Il en est de même de la poésie. Toutefois, chez Monneron l'élan lyrique est souvent admirable. La pensée se moule dans la strophe et coule avec plénitude, comme un fleuve puissant, majestueux et profond, qui, sans déborder, ne laisse à découvert aucune partie de son lit. La pensée et la forme se fondent dans une harmonie parfaite; il y a force et mesure, souplesse et grandeur. Qu'on lise dans le Poème des Alpes la plainte da Poète et les quatre premiers couplets du chant des Sylphes, dans le même morceau. Quelquefois aussi la pensée se grave dans un vers qui deviendrait proverbial, si la morale des proverbes pouvait dépasser une certaine hauteur moyenne, qui convient parfaitement au vulgaire des hommes. En voici quelques exemples: « La vie est un exil, et la mort le retour..... Les pleurs sont du passé: regretter, c'est mourir... Les saints amours sont fils de nos douleurs, etc. » Les quelques idées que nous venons d'émettre et le rapprochement des citations, suffisent pour montrer que le poète dont il s'agit n'a pas dit son dernier mot. Si on veut le juger, nous demandons qu'on le fasse en partant de ce point de vue. Mort à 24 ans, Monneron n'a pas eu le temps d'arriver à une complète conscience de lui-même; combien moins d'achever son oeuvre! C'est à peine si nous pouvons nous faire une idée exacte du style dans lequel ce grand maître aurait finalement travaillé. Il progressait chaque jour, et, si nous voyons clairement les pas qu'il a faits, nous ne pouvons que supposer ceux qu'il aurait faits sans doute. Du reste, à le prendre simplement tel que ses poésies nous le font connaître, il déploie un riche talent. Il y a dans sa poésie et jusque dans les détails de son style une originalité profonde, qu'on ne peut guère comprendre que par sa physionomie morale. Les mots même qu'il affectionne sont remarquables. Il semble écouter dans le fond de son âme comme une musique intime, qu'il s'efforce de répandre sur la lyre et qu'il nomme lui-même: « L'idéale musique en nos coeurs répandue. » Mais parfois la lyre est trop matérielle pour ces accents célestes, et l'on sent que la corde est rebelle; parfois aussi il en tire des notes dont il eut seul le secret. Nous ne saurions mieux caractériser sa manière qu'en disant qu'elle a quelque chose d'éthéré. Riche de couleurs, il les répand à pleines mains; mais ce qu'il a surtout sur sa palette, ce sont les teintes azurées, transparentes et mélancoliques. Il en résulte souvent quelque chose d'incohérent, de lâche, de maladif, comme nous disions tout à l'heure; mais alors même on ne peut guère essayer de faire disparaître un défaut sans enlever avec lui de réelles beautés. Son vers est ordinairement plein, la rime riche et facile: on sent la force de l'inspiration. Profond dans la pensée, il rencontre sans peine des formes heureuses et nouvelles; il a en horreur la poésie factice, et, pour l'éviter, il serre de près la nature; cela est surtout remarquable dans ce qui touche à l'idylle. Il possède à un haut degré ce genre d'observation, ou plutôt cette seconde vue, qui appartient au poète et qui est nécessaire pour rendre un objet dans toute sa vérité. Malgré cela, ou, pour mieux dire, à cause de cela, il ne se laisse pas asservir. Sa veine est puissante, son génie est créateur. Même lorsqu'il s'égare, il a droit au respect, parce qu'il ne fait jamais de la poésie pour la forme; ce n'est jamais la lettre, c'est l'esprit qui est sur le trône. Il a mis son art au service de son âme. Sa période est abondante et bien distribuée; quelquefois cependant elle se fourvoie en chemin et n'arrive que d'un pied boiteux. Il en est de même de sa conception: elle réclame l'unité, elle n'y atteint pas toujours. Mais ce point demande une attention particulière. Une profonde unité de conception avec un organisme parfait, voilà ce qu'exige l'idéal suprême de toute oeuvre poétique sérieuse. II faut que, l'idée fondamentale étant donnée, tout eu découle, comme par une nécessité logique. Il faut que la vie, partant du coeur, aille nourrir tous les membres, qu'il n'y ait point de chairs mortes, que tout ait sa raison d'être, son but, sa fonction en rapport direct avec l'idée centrale. Jadis, quand la poésie était un sacerdoce, quand il y avait dans la vie des peuples un centre, une foi réelle, il semble que le barde ait eu son unité poétique en quelque sorte sous la main, et qu'elle ait passé sans peine de la réalité dans le poème; maintenant, il n'en est plus ainsi: le flot de la vie se disperse dans mille courants que rien ne rattache. Si l'on est poète, c'est en dépit de toute la société qui nous entoure, et l'on peut dire comme Monneron: « Dans ma chère patrie on ne sert pas mes dieux! » Le poète n'a donc de secours pour atteindre à cet organisme, pour réaliser cet idéal, que dans l'énergie de sa foi poétique, et surtout dans la force de sa conception; mais cette conception n'est puissante que si elle a passé de l'état d'instinct, de germe, de besoin, à celui d'une création vivante et bien ordonnée, dont le poète a le secret et la parfaite conscience. Pour cela il faut un travail d'analyse aussi difficile que nécessaire, en sorte que maintenant on pourrait, sans paradoxe, recommander l'analyse au poète et peut-être au philosophe, l'intuition. Si l'on juge notre poésie romantique en partant de ce point de vue, elle fond presque en entier dans les mains, et à travers sa richesse apparente on découvre une pauvreté réelle. Elle est riche de beaux vers, d'images hardies, d'expressions pittoresques, de pensées ingénieuses et profondes; mais il est rare de trouver des oeuvres accomplies. On a peur de la perfection; nos poètes ont l'air de mettre plus de prix à une perle fine, si elle est souillée d'une couche de terre. Ils n'ont pas pour la poésie tout le respect qui lui est dû, et l'on peut dire que parfois ce n'est qu'une monnaie courante dont ils sont prodigues. Aussi y a-t-il peu de chefs-d'oeuvre, même dans leurs recueils les plus distingués. Si donc sur le petit nombre de morceaux qui composent ce volume, il en est un ou deux qui approchent de cette perfection trop rare, nous pouvons être fiers à juste titre. Or, il y en a deux, ce nous semble. Le premier, c'est la plainte intitulée: A Vous; le second, c'est la ballade des Deux Buveurs. Peut-être l'Alouette, telle que nous l'avons donnée dans sa première forme, pourrait-elle faire le troisième. La ballade des Deux Buveurs est, à notre connaissance, la première qui ait réussi à faire passer le fantastique dans notre poésie, sans que ce soit un fantastique à froid, comme dans les essais de Victor Hugo. La véritable ballade française est dans les poèmes d'Alfred de Vigny, où elle s'inspire du passé, recherchant ses grandes ombres et s'attachant à des noms tels que celui de Roncevaux. Mais, malgré tous les caprices de la tradition, ce n'est pas encore du fantastique, c'est de la légende. La ballade, telle qu'elle a été comprise eu Allemagne, par Bürger, par exemple, est un domaine tout nouveau pour nous. Sous ce rapport, le poème des Deux Buveurs a une véritable importance. Il était naturel que ce genre étranger, quoique si riche et si profondément poétique, prît naissance sur un sol qui touche à l'Allemagne, et où son influence se combine heureusement avec l'influence française. Sous le rapport de l'unité vivante, de l'organisme complet, ce morceau paraîtra bien remarquable, si l'on songe que nous en possédons seulement un premier jet écrit au courant de la plume. Il a des taches, mais ce sont des ombres qui se jouent a la superficie; regardez un peu plus profond, et vous verres un courant très-limpide. Le poète a été cette fois parfaitement au clair avec lui-même; le dessin est ferme, et toutes les lignes concourent à former un ensemble. Au commencement la main a tremblé; mais elle ne tarde pas à se raffermir; et ce poème serait un véritable chef-d'oeuvre, s'il avait été seulement revu. Quant à la poésie intitulée: A Vous, elle est accomplie de fond et de forme. Le caractère musical dont nous avons parlé s'y trouve de la façon la plus pleine, la plus parfaite, la plus dégagée d'éléments étrangers. On dirait un soupir arraché par le vent du soir à une harpe éolienne, un de ces soupirs pareils à ceux dont parle Musset, « Profonds comme le ciel et purs comme les flots. » Considéré a ce point de vue, le Poème des Alpes qui, par sa longueur du moins, est le morceau le plus important, n'est pas tout-à-fait irréprochable. Outre la touche maladive, qui apparaît plus d'une fois dans la pensée et dans la forme, il y a dans la conception elle-même un point laissé obscur, qui pourrait bien constituer un vice radical. Ce poème est une allégorie. Or, une allégorie n'est qu'une image, mais cette image doit être claire et fidèle. Cette condition n'est pas remplie dans le Poème des Alpes. Nous comprenons fort bien ce que représente le poète; mais les sylphes? et le chasseur? Les sylphes sont-ils autre chose qu'une personnification de la nature dans ce qu'elle a de plus enjoué? Dans ce cas, qu'ont-ils à faire du poète et que se mêlent-ils de morale? Ou bien, s'ils sont quelque chose de plus, s'il leur appartient réellement de nous dire: « Ah! dans les jours de la souffrance Vivons d'amour et de silence, Ne publions pas notre deuil, » pourquoi nous sont-ils présentés comme de « jeunes fous, » de charmants écervelés qui s'amusent sur les abîmes, plus légers que le chamois? Ainsi, des deux termes de l'allégorie, l'un n'est pas clair: l'analyse n'a pas été poussée assez loin. On voit que nous ne cherchons pas à faire le panégyrique de notre poète; il n'en a pas besoin, et nous ne croyons pas devoir cacher ses défauts pour montrer sa grandeur. Ce que nous désirons, au contraire, c'est de faire bien comprendre qu'on aurait tort, en voulant juger Monneron comme un poète accompli, dont toutes les fautes sont imputables. Il est jeune, il ne se possède pas pleinement, et, si la plupart de ses morceaux sont des ébauches, ce sont au moins des ébauches admirables. Dans le domaine moral, Monneron n'est pas moins intéressant à étudier. Quelques idées fort simples, ou plutôt quelques sentiments sur les rapports entre ce qui passe et ce qui est éternel, ont dominé toute sa poésie. Pour le connaître, il faut les avoir compris. Le monde qui nous entoure, là vie que nous sommes forcés de subir, ne sont pour lui ni le véritable monde, ni la véritable vie. Il y a tant de désaccord dans l'un, tant de souffrances dans l'autre, qu'ils ne peuvent suffire à une âme de poète, avide comme la sienne. Aussi la plus ferme de ses croyances le reporte sans cesse vers un monde supérieur, seul éternel, seul vrai, qui devient l'objet de tous ses désirs. Cette vie a trop de douleurs pour être la vie réelle; ce monde, trop de ténèbres pour que l'âme, fille de la lumière, puisse y trouver sa patrie. Où donc est l'harmonie? Si elle n'est pas ici-bas, elle doit être ailleurs, car elle est quelque part. Cette conviction est au fond de toute poésie; si le poète l'oubliait, il s'abjurerait lui-même, et, comme le dit Monneron dans une lettre: « la poésie ne s'abjure pas. » Cette vie suprême, il la ressaisit à la fois par le souvenir et par l'espérance. Par le souvenir! cette idée n'est peut-être accessible qu'aux âmes habituées à lire dans leurs plus intimes profondeurs, et pour lesquelles une sorte de recueillement mystique n'est pas totalement étranger; mais elle n'en est pas moins nécessaire pour comprendre Monneron. Ce n'est pas une spéculation de son intelligence, c'est un sentiment dont il est plein, une partie de son être et de sa vie. Cet accord qu'il recherche sans cesse, il l'a rencontré quelque part; cette patrie dont l'image le remplit, il en a été citoyen, et, s'il est exilé, ce n'est que pour un temps et depuis un temps. Ce qui l'atteste, c'est une souvenance vague peut-être, mais ineffaçable. Aussi ne sépare-t-il point le souvenir de l'espoir. Il nous le dit lui-même: « Le plus vieux souvenir, la plus jeune espérance Sont deux frères jumeaux, aux pas silencieux, Qui se mirent dans l'âme en marchant dans les cieux. » De fait, cette donnée me paraît aussi rationnelle que profonde. N'est-elle pas plus belle, plus poétique, plus chrétienne que la fameuse doctrine des idées innées? Ce besoin du ciel est-il un soupir, un regret de l'âme, ou bien nous a- t-il été imposé par le Créateur comme les membres de notre corps? La conscience est-elle un souvenir, un remords, ou bien un organe dont on nous ait doués? Si c'est un organe, que ferons-nous du péché, ce frère aîné de la conscience? Serait-ce peut-être un organe aussi? Mais il n'importe. Ces idées, nous le répétons, ne sont pas pour notre poète le résultat d'une spéculation philosophique. S'il a philosophé, et il l'a fait souvent, (il s'en ressent parfois), c'est dans leur propre intérêt, c'est en les posant comme point de départ. Qu'on nous pardonne si nous insistons sur ce fait; il est nécessaire pour donner à Monneron sa vraie figure. Nous en avons la preuve dans tous ses vers et dans le témoignage de ses amis: « Ce monde premier et dernier, nous dit M. Olivier, notre ami n'y croyait pas seulement, il le cherchait. Il le poursuivait et il en était poursuivi. Ses plus intimes efforts tendaient à le ressaisir par la pensée et à l'exprimer dans ses vers........ Il semblait habiter un double monde, celui-ci et un autre, celui de tous et le sien. » Aussi c'est bien comme dans un lieu d'exil que Monneron a vécu sur la terre. Il la considérait comme un désaccord passager au milieu de l'harmonie éternelle. L'harmonie! nous saisissons le mot au passage: c'est le nom propre de cette vie supérieure à laquelle croyait Monneron; c'est l'idée centrale de son oeuvre. Peut-être aussi est-ce le mot suprême de toute poésie? Ce monde n'a de réalité propre, de vérité que par les liens qui le rattachent au monde supérieur. C'est un monde sans attraits, où, selon son expression, « L'avenir n'est qu'espoir, le passé que regrets! » C'est là-haut seulement que l'âme, rendue à elle-même, jettera sa note d'amour dans l'hymne universel. L'âme, ce n'est pour lui « Qu'une idée échappée à la ronde immortelle. » Mais elle doit la rejoindre; elle doit être renouée à cette chaîne céleste, et l'heure viendra où n'y aura plus rien qui « détonne » dans l'harmonie. Alors, « Sur la Sion des cieux, le Temps, lugubre oiseau, S'abattra pour toujours, et dans ce jour nouveau Les voyageurs lassés que cette terre ennuie Iront se reposer au seuil d'une autre vie. » Voilà le but où il aspire avec toutes choses, avec la nature aussi, dont la voix, semblable à la sienne, n'est qu'un chant de regrets, et dont il a pu dire avec raison: « Ma pensée est l'écho de sa longue souffrance, Le deuil profond de sa beauté. » Mais dans ses efforts il rencontre un obstacle, la tentation, Protée à mille formes, qui se trouve sur le chemin de chacun, et qui se présente à lui sous le manteau de la poésie. Il consacre à cette idée quelques-uns de ses morceaux les plus importants, entr'autres l' Alouette et le Poème des Alpes. Il est une seule chose qui ne conduise pas à un abîme de déceptions, c'est l'amour. La poésie elle-même a son vertige, et quand il en a goûté les charmes, il sent que son rêve retombe sur lui et il s'écrie: « C'est que les cités éternelles Aux âmes fières et rebelles Loin du monde ne s'ouvrent pas! » Voilà ce que nous pourrions appeler la théologie de notre poète. Elle n'est pas liée avec une rigueur dogmatique; mais il y a une unité réelle et vivante. Cependant on se demandera encore si l'harmonie supérieure, si le ciel qu'il recherche est bien le ciel des chrétiens, ce ciel où tout s'individualise, où tout prend un nom, une forme, des couleurs; où, quoiqu'elles s'unissent dans l'amour, il y a, selon l'expression de Jésus, des demeures pour les âmes? Ou bien, serait-ce peut-être cet espace illimité, cet ordre sans vie, ce vague néant, ce ciel décoloré du panthéisme? Quelques vers répandus ça et là nous conduiraient plutôt à. cette dernière idée, et en ceci l'on peut dire que Monneron a subi l'influence de son siècle. Siècle étrange t il est positif, matériel plus que nul autre ne le fut jamais, et sa poésie est vaporeuse comme l'horizon brumeux de la mer. Il en est de lui comme il en fut jadis des bardes de l'Écosse. « La religion s'est retirée, mais elle a laissé un vide immense, et il s'est rempli de fantômes. » Ces fantômes, plus rationnels peut-être, ne sont ni plus beaux ni plus consolants que ceux d'Ossian. Mais, si l'on examine la chose plus à fond, on arrivera à une tout autre idée. Une vie intellectuelle un peu mystique, un sentiment profond de la nature, ces angoisses, ces doutes auxquels une âme sérieuse ne saurait échapper, ont inspiré à Monneron quelques vers empreints de cette poésie incertaine, quelques accents où, dans sa tristesse, il semble invoquer le néant. Ainsi, après avoir montré l'Alouette victime de son vol téméraire, il nous invite à la suivre; car, dit- il, « Les cieux ont au moins des tombeaux Pour qui s'envole avec audace. » Ailleurs, il veut retourner à ces montagnes d'où le ciel s'ouvre mieux et où l'abîme voilé « Montre à défaut d'espoir son vague et bleu néant. » Mais ce sont là des cris passagers, et ce même morceau de l'Alouette se termine d'après une autre leçon d'une manière bien différente: « Oh! n'embrassons pas tant d'espace, Jeunes esprits, joyeux oiseaux, Car les cieux même ont des tombeaux Pour qui nourrit trop son audace! » D'ailleurs, l'esprit général de sa poésie proteste contre une interprétation semblable. Le ciel dont parle la Foi d'Enfance n'est-il pas le ciel chrétien? et l'idée du Poème des Alpes, son oeuvre capitale, n'est-elle pas précisément que la poésie n'est pas encore ce pur amour qui seul ne conduit pas à un abîme? Il résulte de tout ceci que les sentiments de Monneron le portent bien réellement « Vers le pauvre fils de Marie, Vers l'époux de la terre en deuil, Qui pose la lampe de vie Dans le mystère du cercueil. » Il possède donc la vérité; mais alors d'où vient ce caractère maladif qui est si fort empreint sur son oeuvre? Pourquoi la certitude du retour ne lui a-t-elle pas rendu moins amer le pain de l'exil? Pourquoi la joie ne remplit-elle pas son âme de force et de santé? Pourquoi? c'est que nous retrouvons en lui ce développement exagéré des facultés intellectuelles avec cette faiblesse de la volonté qui est le mal le plus profond, le plus affligeant de notre époque, et qui a déjà frappé d'impuissance tant d'âmes élevées. Jetez un coup-d'oeil sur la littérature, sur la poésie actuelles; étudiez en même temps l'état moral des hommes qui sont encore sérieux. Où trouverez-vous des chefs-d'oeuvre? Qu'est devenue la foi qui les produisait jadis? Et la conviction religieuse, où sont ses monuments? Où est la jeunesse, la vigueur qu'elle donne à l'âme? Hélas! en littérature la critique seule est debout: elle prend ses aises pour mesurer des ruines! Et dans le domaine spirituel c'est la raison, cette lumière sans vie, qui comprend tout, qui juge de tout, et n'aboutit à rien. Une vie basée sur un principe de foi est devenue un phénomène; l'espérance, une vertu. Partout l'intelligence est reine, et la volonté paralysée ne retrouve des forces que dans le monde matériel. Monneron, on le sent, a vécu dans cet air vicié. Poète, il aspire à la cité céleste; mais il n'a que le génie qui dévore et le désir qui consume; il n'a pas la force qui fait attendre. Les yeux levés vers le ciel, il y contemple son étoile, et les timides rayons qui en descendent vers la terre ne pouvant rassasier son âme, il pleure comme s'il l'eût perdue. Il oublie que cette terre est un champ de bataille où il n'y a place que pour des soldats. Que dis-je? il l'oublie! Il le sait; mais il est trop faible pour se mettre au nombre des combattants; il se tient à l'écart, versant en silence ces pleurs éternels, ces lacrima rerum dont parle Virgile, et que le christianisme a fait jaillir de tant de paupières; puis il meurt, dévoré de ce mal du pays qui n'atteint que les grandes âmes, et qui révèle chez celui qui y succombe autant de faiblesse que de noble ardeur. Hélas! faut-il le dire? Cette mort elle-même achève sa gloire; elle donne à sa figure toute sa poétique et douloureuse expression. Il l'avait prédite; elle vint couronner ses élans, exaucer sa prière. Il est lui-même ce poète dont il parle, et que le Christ, en prononçant ces paroles, envoie chercher par ses anges: « Il est vers mon beau ciel d'étroites avenues, Des sentiers détournés, des routes inconnues Qu'explorent vers le soir de rares exilés. Ils chantent leurs destins, qui leur restent voilés. Leur astre est une larme, et leur foi la souffrance. » Voilà son histoire. Martyr de la poésie, la souffrance est bien sa foi; son étoile est bien une larme. On dirait la victime d'une longue expiation.... Mais est-il vrai que la charité divine puisse accorder un si triste privilège? est-il vrai que pour de rares exilés elle ait tracé dans le désert des sentiers à part, plus rudes que les autres? O mon Dieu! si c'est encore un des mystères de ton éternelle sagesse, nous nous courbons devant toi, certains que tu ne rejettes pas les pleurs de ces apôtres de la souffrance, et que tu juges leurs oeuvres suivant ce que tu leur as donné. EUG. RAMBERT, stud. théol. Nous devons encore ajouter ici quelques mots, qui ne pouvaient guère trouver place dans les pages précédentes. Le projet de recueillir les poésies de Monneron date de loin. Monsieur le professeur Olivier en avait eu précédemment l'idée, et il y travaillait, lorsque des obstacles imprévus vinrent l'arrêter. Après un intervalle de plusieurs années, la Société de Zofingen a repris cette idée, et elle a chargé une commission, de trois de ses membres, de rassembler les morceaux épars de notre poète et de préparer, en même temps, une 3me édition plus complète des poésies de Durand. Cette commission se mit immédiatement à l'oeuvre, et nous sommes heureux de pouvoir offrir à nos amis le premier fruit de son travail. Le volume de Durand, dont un de nos collègues s'est plus spécialement chargé, ne tardera pas à paraître. Pour Monneron, la première difficulté que nous avons rencontrée a été de rassembler une collection complète de ses poésies, et nous devons ici remercier les personnes qui nous ont aidé, et tout d'abord M. Henri Monneron, frère du poète, qui n'a rien négligé pour cela, et M. Juste Olivier, notre ancien professeur, dont la complaisance ne s'est pas démentie un instant. Il nous a soutenus par l'intérêt qu'il portait à notre travail et par ses utiles conseils. Nous lui devons en outre plusieurs morceaux dont il était seul possesseur. Un manuscrit du Poème des Alpes, qui était entre les mains de Mr Biaudet, les nombreux papiers que nous a remis Mme G.... M..., quelques autographes appartenant à Mr Charles Secretan, et les directions précieuses de Mr Monneron, pasteur à Lausanne, nous ont de même utilement servi. Nous remercions toutes ces personnes au nom de la Société de Zofingen. Elles nous ont aidé pour une oeuvre qui est vraiment patriotique, puisqu'elle donne à notre modeste littérature de la Suisse romande un vrai poète de plus. Nous terminons en indiquant la marche que nous avons suivie dans ce travail. Ce recueil est un choix. Il y a nécessairement dans les oeuvres d'un poète mort si jeune et qui n'a jamais travaillé que pour lui, bien des morceaux que l'on ne saurait publier sans lui faire tort. Sans doute, ce volume est essentiellement destiné à ses amis; mais il tombera aussi dans d'autres mains et nous devions en tenir compte. Nous avons donc renoncé, dès l'abord, à l'idée de rassembler les poésies complètes de Monneron. Nous avons retranché: 1) les poésies de sa première jeunesse, qui sont naturellement très-faibles. Le poète ne commence à se révéler que dans le morceau de Davel, dont nous avons conservé de longs fragments, et dans une composition assez singulière, intitulée la Veille du dernier jour du monde, dont nous avons transcrit tel quel un chant tout entier, le Banquet. 2) Les poésies appartenant à une époque postérieure, mais trop inachevées pour voir le jour. 3) Un grand poème intitulé la Tentation de St-Antoine, auquel il travaillait avec ardeur lorsque la mort le surprit. Il nous en reste des fragments assez considérables, écrits sur des feuilles éparses d'une manière à peu près illisible. Nous en aurions sûrement publié quelque chose, si nous avions trouvé un seul de ces fragments qui fît un tout et qui pût être réellement compris, détaché de ce qui l'entoure. Enfin, dans les morceaux que nous avons admis, nous avons fait quelques coupures, mais avec beaucoup de circonspection. La plupart sont marquées. Les personnes qui possèdent des manuscrits de Monneron ne s'étonneront point, si elles constatent par hasard quelques différences entre le texte de ce volume et celui de leurs autographes. Nous avons eu sous la main plusieurs copies et plusieurs manuscrits pour tous les morceaux, et, en général, ils diffèrent beaucoup les uns des autres. Nous avons, autant que possible, recherché la forme dernière; mais, on doit le comprendre, ce travail était très-difficile et très- délicat. Il y aurait eu bon nombre de belles variantes à conserver; mais il eût été malaisé de s'arrêter une fois engagé dans cette voie, et d'ailleurs nous avons toujours reculé devant l'idée de charger de notes un volume de poésies. Préludes. J'aimerais vous chanter l'eau blanche du torrent, Qui dans la nuit des pins circule en murmurant, Car j'entends de ses flots les bruyantes batailles, Autour des rocs moussus, sous les grandes broussailles. Je pourrais du taureau dire le grondement, Lorsqu'aux pentes des monts, se levant lourdement, Il promène le soir son regard fier et louche Sur la plaine confuse où le soleil se couche, Des cimes d'occident les éclats veloutés, Les chalets du val frais par la lune argentés, Les flancs maigris des monts, monotones moraines Qui s'en vont expirer en vaporeuses plaines, Les rivages secrets du lac frais et profond, Où passe nonchalant le vacher gras et blond, Et les cités de glace où morne, sans murmure, L'Hiver pose ses pieds dans la fraîche verdure, Le couvent où la sainte a caché son amour, Et la noire forêt que surmonte une tour, Et les bergers en cercle autour de leur chaudière, Quand le toit du chalet tremble au bruit du tonnerre, A l'heure où, s'échangeant de longs éclats de voix, Ils travaillent leur jatte et leur cuiller de bois Mais ma muse a banni ces molles habitudes: Voici les jours d'oubli, l'heure des lassitudes! Que j'erre au bord des lacs, où du long peuplier La feuille qui jaunit danse sur le gravier, Que je demande un rêve aux derniers jours d'automne, En écoutant leur voix plaintive et monotone, Que j'entende, accoudé sur les ais d'un vieux pont, Tonner dans les sapins le flot tiède et profond, Lorsqu'un ciel floconneux, aux bizarres images, Teint l'écume des eaux du bronze des nuages; Que je suive, à grands pas, du maigre chevrier La caravane blanche aux buissons du sentier, Quand l'aube sur les rocs monte pâle et timide, Et du lointain clocher blanchit la pyramide, A l'heure où solitaire un cheval montagnard Broute sa touffe d'herbe au dessus du brouillard, Et fait crier ses fers sur la roche esquilleuse...... A toute heure, en tout lieu, mon âme soucieuse Poursuit d'autres tableaux, n'aime à s'entretenir Que de graves pensers et de jours à venir. Venez, chantons du Christ la céleste figure, Alors qu'aux cieux il remonta, Et qu'à force d'amour ce Dieu de la nature Vengea les pleurs de Golgolha. Cohéritier du pauvre, il a brisé les armes Que la mort trempait aux enfers; Tendre ami de Lazare, il a versé nos larmes, Et d'un souffle a fait l'univers. Adam, rêvons ce jour où ton âme ravie, Au berceau de l'humanité, Éclose du néant, palpitante de vie, D'un jour conquit l'éternité! Devant ses légions froides et décharnées, Voici Satan, baissant les yeux, Tout dégouttant de pleurs, d'or et de fleurs fanées, Et maudissant l'azur des cieux. Du jugement dernier écoulez les préludes, Ces voix rauques de l'ouragan; Voyez du genre humain les noires multitudes Onduler comme un océan. Et le saint réveillé qui fuit dans l'étendue, Et remonte au trône éternel, Jetant de cieux en cieux à la terre perdue Un dernier adieu solennel; Et l'archange, entrouvrant ses ailes virginales Aux vives fraîcheurs de Sion, Indiquant de l'Eden les clartés matinales Aux fidèles de sa légion. Vierges qui vont danser aux noces de village Avec leurs boucles d'or et leur plus frais corsage! Active oisiveté! lectures de Noël, Près du feu qui pétille au foyer paternel! Jours où l'étudiant qui se croit un grand barde Chante la liberté du haut de sa mansarde! Fumeurs qui, vers leur chaume, au crépuscule, ont soin De conter leurs exploits sans appel au témoin! Charmes des premiers jours! rien ne peut me sourire... Il faut un autre thème aux cordes de ma lyre. Oui, nos bois et nos cieux sauraient bien m'enchanter, Mais c'est l'âme et Dieu seuls que l'homme doit chanter. Hélas! qu'est le présent pour une âme immortelle? On n'étanche sa soif qu'à la source éternelle. Faut-il pour nous remplir le vague de l'espoir, Et ces grands horizons qu'on ne fait qu'entrevoir? De mon siècle géant l'âme est plus sérieuse: Il lui faut une voix forte et religieuse, Une main de martyr, qui puisse, dans nos maux, Tracer le nom du Christ aux plis de nos drapeaux. Pleurs, amour inquiet, vague espoir qui l'enflamme, Cri de l'éternité qui retentit dans l'âme, Pressentiment, écho de la voix de son Dieu, Qui jamais ne se lasse et l'appelle en tout lieu: Voilà d'un chant mortel la plus noble mesure...... Laisse à l'oiseau des bois à fêter la nature: Il chante mieux que nous le monde d'ici-bas! C'est sa seule patrie!.... Et si, triste et rêveur, passant les bois, les plaines, Les rochers buissonneux qu'ornent les croix lointaines, Tu t'arrêtes un soir sur ce roc colossal, Où l'azur s'assombrit autour d'un froid cristal; Si ton regard, perdu sur les neiges des cimes, Rencontre le matin dans la nuit des abîmes, Et si, tout haletant de surprise, d'effroi, Tu planes sur ce monde où Dieu t'a créé roi, D'un ineffable amour que ta veine s'enflamme...... Car un monde n'est rien au prix d'une seule âme! Alors, chante plutôt, chante ce grand réveil Où l'âme secouera sa fange et son sommeil.... En un hymne d'amour répands ta poésie A ce banquet funèbre où nous rêvons la vie, Ne chantons plus, mon âme, un monde sans attraits, Où, pour nous rappeler la seconde patrie, L'avenir n'est qu'espoir, le passé que regrets! L'Alouette. À M. CH. Secrétan. « J'ai dépassé le peuplier Que la brise humide et plaintive Incline, argenté et fait plier Sur les eaux calmes de la rive. » J'ai surmonté le vert coteau, La source et les moelleux ombrages Dont la tourelle du château Voile ses antiques vitrages. » J'ai dépassé ce roc plus fier, Où la cascade qui se dore, De son nuage blanchit l'air, Autour du gouffre obscur encore. » Salut! beau ciel! libre, perlé! Ciel nuancé d'or et d'opale! De là-haut le lac est voilé! Les blés sont gris, le monde est pâle! » Mon léger vol toujours poursuit La lueur tendre et matinale, Les dernières ondes du bruit, La rêveuse étoile qui luit La nuit. » Ma voix limpide et pure Coule des sons d'amour, Même avant la nature Je vole vers le jour. Mon aile qui scintille Fend l'air! Je frétille Et grésille Dans l'éther! » Mais soudain j'ai vu le zéphyre, Fatigué de suivre mon vol, S'asseoir au ciel et me sourire Et dire: « Petit oiseau, n'es-tu pas fol, » Oh! bien fol de risquer ton aile » Si loin dans la voûte éternelle, » Trop haut, » Trop tôt? » Par delà le ciel qui s'azure » La nuit s'ouvre, je te l'assure, » Mugissante, insondable, obscure. » Petit oiseau, descends, descends, » Pendant qu'il en est encor temps! Mais l'alouette et la jeune âme Ont trop d'amour et trop de flamme Pour demeurer en bas, Hélas! Oh! n'embrassons pas tant d'espace, Jeunes esprits, joyeux oiseaux, Car les cieux même ont des tombeaux Pour qui nourrit trop son audace! 29 avril 1835 Ignorance. Vous qui réfléchissez sous les cils de vos yeux Le sourire inspiré de votre ange pieux, Vous dont la harpe d'or sur ses cordes pressées Rend l'écho musical des célestes pensées, Vous dont l'âme vibrant au ton de tous les coeurs, A des chants pour nos chants, et des pleurs pour nos pleurs, Pardonnez mes soupirs; tout chantre a son partage: Le ciel pour me parler n'a point d'autre langage. Ces vers sont mes secrets, s'ils ne sont inspirés.... C'est la voix de mon coeur, vous les écouterez. Il est, il est des soirs où l'âme solitaire, Loin des songes du ciel et des bruits de la terre, Dans l'ombre d'elle-même hasardant un coup d'oeil, Y rencontre le vide et le froid du cercueil. Sans pouvoir ressaisir dans son morne voyage Ni les câbles du port, ni les flots de l'orage, Asseyant sa pensée aux rives du néant, Elle en entend rouler le murmure effrayant, Voix confuse d'un flot que nul zéphir n'annonce, Qui n'eut jamais de borne, et n'a point de réponse. Et ce flot redisait à mon coeur abattu: « Tu te vantais de vivre, hélas! te compris-tu? » As-tu sondé l'abîme où germe ta pensée, » Comme l'éternité dont elle est enlacée, » Le vent qui t'enleva des profondeurs de Dieu » Pour te jeter vivant, à ton heure, en ton lieu? » Sais-tu le mot d'amour que la Toute-Puissance » Pour t'immortaliser grava dans ton essence? » Sais-tu pourquoi ton âme, échappée à ses bras, » Se ressouvient de Dieu, mais ne l'adore pas? » Ignorer l'avenir, est-ce là se connaître? Ne pouvoir ici-bas assigner à son être De rang suprême et sur dans le choeur des esprits... Se savoir seulement un céleste débris, Une idée échappée à la ronde immortelle, Qui glissa du zéphir où s'appuyait son aile... Ne remonter jamais, redescendre toujours, Avec un souvenir et des pleurs sans amours, Se dire détaché d'une chaîne infinie, Savoir que l'on détonne au sein de l'harmonie, Et qu'il est par delà l'étoile et les cieux d'or Un invisible ami qui nous appelle encor, Ami que trop souvent nous refusons d'entendre... Est-ce là se connaître? est-ce là se comprendre? Je me compris peut-être en cet instant si pur Où la terre est brouillard, où le ciel est d'azur. Peut-être dans ces nuits de tristesse et de rêve, Où la lune et les flots, endormis sur la grève, Font soupirer leur ange aux paupières d'argent, J'aurai compris mon être immortel et changeant. Quand la brise d'automne hérisse le feuillage Du bois, contre lequel s'appuie un blanc village, Peut-être aurai-je vu, sur mon humble Jura, L'étoile qui m'aimait, le ciel qui m'inspira... Et cette lyre d'or et ces cordes de flamme Que faisaient soupirer les ailes de mon âme, Avant le jour où Dieu, de ses doigts tout puissants, L'enfermait dans la poudre, et l'enchaînait aux sens. Les voilà, les soupirs que la mélancolie Parfois a réveillés sur ma lyre appauvrie; Voix de ce qui m'échappe et ne reviendra pas, C'est toi qui me prédis un précoce trépas!... Ah! sans doute, trop tôt j'ai cru voir disparaître Ces demeures d'iris d'où s'élança mon être!... Trop tôt j'avais connu l'attrait du souvenir. Les pleurs sont du passé.... Regretter, c'est mourir! Si du moins nous savions conserver à nos larmes Leur céleste parfum, leurs mystérieux charmes, Et si, pour les répandre, on en sauvait le miel, Souvenir des beaux jours, triste gage du ciel!... Mais l'homme qui vieillit en détruit le mystère. Les pleurs que Dieu lui donne, il les rend à la terre, Et quand s'ouvre des cieux l'éternel horizon C'est sa fange qu'il pleure.... et sa froide prison! ... Oui, quand viendra la mort, peut-être oublierons-nous Ces premiers jours où l'âme, ange aux regards si doux, Déjà prenait son vol, riante d'innocence, Vers la sphère où tout s'use, où rien ne recommence!... Peut-être oublierons-nous que nos fronts ont quitté Leur couronne d'amour et d'immortalité!... Reviendrez-vous encore, ô lueurs idéales! Comme on voit, vers le soir, sur les montagnes pâles Une seconde aurore interrompre la nuit, Repentir fugitif du soleil qui s'enfuit. Ou bien ne fûtes-vous au fond de ma pensée Qu'un rayon pâlissant sur une onde glacée? Le passage d'un ange, au vol capricieux, Qui, plongeant dans mon sein la clarté de ses yeux, S'enfuit, intimidé par les bruits de la terre, Dormir dans les rayons d'une plus chaste sphère? Ainsi j'aurais voulu, sur la terre d'exil, Des deux éternités renouant le long fil, Que l'on vécût de force et non de souvenance, De regrets superflus, de stérile espérance; Qu'entre naître et mourir, ces pôles lumineux, On pût dormir la vie, on pût rêver les deux. O foi! muet langage! ineffables échanges Du Dieu qui s'est fait homme à nous qu'il fit des anges! Sommeil anticipé dans les palais de Dieu! Sois-moi pour ce qui passe un éternel adieu! Verse sur moi l'oubli! Cette vie accablante Est si brève en arrière, et devant moi si lente, Qu'abandonnant l'espoir plutôt qu'un souvenir, Je dis: j'ai vu les cieux; il me reste à mourir! Redescendre au néant! Oh non! plus de blasphème! Mon souvenir du ciel est un gage qu'il m'aime. Croyez-en les regrets!....... Et si l'esprit divin, dévoilant sa prunelle, Peignit l'azur des cieux sur la nuit éternelle, Dans la nuit de mon âme un seul regard d'amour Suffira pour verser la lumière et le jour. Avril, 1835. À M. Olivier. Quand les chênes moussus, vieillis dans les bruyères, Sur un sol clairsemé d'ombres et de lumières, Se dorent aux rayons du soir... Lorsqu'aux pentes des monts parfumes et plus sombres Danse sous les noyers un léger réseau d'ombres, Souvent j'ai cru vous entrevoir. Je vous vois quand, le soir, le meunier paît sa mule, Ombre mélancolique assise au crépuscule, Sur des éclats de rocs herbus... Ou rêveur, accoudé sur des ponts solitaires Dont la poutre verdâtre enjambe les eaux claires, Au travers des sapins barbus. Alors je crois aussi vous entendre redire Ce chant limpide et doux que tout oiseau soupire: « Daignez accueillir mon amour! » -Poète, croyons-nous à l'amour sur la terre, Nous qui pour nos chansons réclamons le mystère, Nous qu'épouvante le grand jour? Non, non, ce n'est qu'au ciel que veut être entendue L'idéale musique en nos coeurs répandue! Silence!... est le mot d'ici-bas! Ah! ce pauvre exilé qui passe sur la route, Pourquoi, quand vous chantez, voulez-vous qu'il écoute? Du ciel il ne se souvient pas!... Pourtant il en est un qu'émeut ta poésie, Seule fleur que son âme au passage a saisie, Pour être moins lasse en chemin. A vos accents mon âme errante, soucieuse, Revêt cette jeunesse aimante, harmonieuse» Qui n'aura point de lendemain. Poète!... tu vois donc, puisque j'aime à t'entendre, Qu'il faudra bien m'aimer un jour; Car deux âmes jamais ne pourront se comprendre Qu'au rendez-vous du Dieu d'amour. Mai, 1835. Les Alpes. L'horizon change et la vérité reste. (LES DEUX VOIX. Le poète.) Prologue. Au ciel te souviens-tu, mon aïeule chérie, De ce soir automnal de paix, de rêverie, Où près du Livre d'or de Celui que tu sers, Assise à ton rouet, tu me disais tes vers? Ta voix tremblante et douce, arrivant à mon âme, Y rallumait soudain une céleste flamme, Et penché sur le bras d'un fauteuil de douleurs, Dans ma honte d'enfant dissimulant mes pleurs, J'écoutais, attentif, ta charmante élégie. Oui, mon âme ignorante en comprit la magie. Dès lors j'eus une lyre, et le premier accord Qu'en a tiré ma main fut pour pleurer ta mort... Mais aussi j'ai voilé la Muse qui m'inspire, Car nul autre, après toi, n'encouragea ma lyre. Accepte donc ces chants intimes, sérieux, Et s'ils restent dans l'ombre épure-les aux cieux! I. Un Voyageur. Où va le soucieux poète, Les yeux éteints, le front pensif? D'un pas chancelant et tardif, Il s'éloigne en baissant la tête. Puis, par degrés se ranimant, Il vole, et monte en ce moment Le rude sentier qui serpente Parmi la mousse et les débris, Dans les prés mouillés et fleuris Qu'ombragent les bois sur la pente. Plus haut encore il disparaît Sous les voûtes de la forêt, Et ses pieds, plus légers encore, Parmi les rocs qu'il faut gravir, Sous leur acier font rejaillir Le feu dans cette nuit sonore. Toujours plus rapide et vaillant Il sort des bois l'oeil pétillant Et, plus haut, longe sur la côte Le torrent des monts désolés, Qui dans les pins maigres, pelés, Rebondit, s'écrase et ressaute... Au chêne rampant et tordu Voyez comme il s'est suspendu. Et voici les rochers sublimes, Labyrinthes où par degrés Les sentiers moussus, colorés Se dévident sur les abîmes. Il voit de là les monts neigeux Et les hauts vallons nuageux, Puis il entend les cornemuses Des chevriers libres et fiers, Perdus dans la pâleur des airs Par dessus les plaines confuses! Si libre et fier est son essor Qu'à grand'peine il peut voir encor Des châteaux les hautes façades Reluire dans l'abîme obscur, Et fumer aux plaines d'azur Les silencieuses bourgades. Il monte encor, malheur à lui! Du fond des vallons, aujourd'hui L'ont vu les Nains de la montagne. Tandis que le barde orgueilleux Relève et s'aventure aux cieux, Un charme maudit l'accompagne. Lui qui l'ignore en ce moment Perce les airs effrontément, Gravit le pic à perdre haleine; Puis, échappant à tout regard, Il se plonge dans le brouillard, Maudissant le bruit et la plaine, II. Le Complot. Mais que faisiez-vous donc là-bas, esprits charmants, De la belle nature insoucieux amants? Nains et sylphes, pourquoi déclariez-vous la guerre Au barde voyageur qui chante aussi la terre? C'est votre frère, amis; il adore à genoux Le Dieu de la nature, et l'aime autant que vous; Et voici que pourtant vos âmes courroucées, Machinant tout d'un coup de sauvages pensées, Dans vos secrets vallons, séjour de volupté, Ce soir, ont contre lui méchamment comploté. Sur les bords de l'eau claire, à l'ombre des mélèzes, Leurs doigts avaient cueilli le rosage et les fraises, Et, cadençant leur vol aux divines chansons, Dans leur danse indécise ils rasaient les gazons. Sur la brise réglant leur suave harmonie, lis chantaient du bleu ciel la douceur infinie, Et sous leurs pas légers le gazon incliné Remplissait de senteurs le val abandonné. Mais quand à son d'airain la chapelle isolée Pleura son chant du soir dans l'humide vallée: -« Frères, dit l'un d'entr'eux, dont les yeux purs et noirs » Dans les bois s'allumaient à la lueur des soirs, » D'ici, j'ai vu monter un barde tout en larmes » Sur le rebord des rocs. Or, c'est l'heure des charmes. » Ce soir notre nature aura tant de beauté!... » Amis, qu'en son honneur il soit précipité » De là haut dans ce val! Car notre destinée » Est de mieux resserrer les liens d'hyménée » Dont nature enchaîna les bardes amoureux. » Or, la mort est toujours un fort lien pour eux. » Vous savez, en effet, rien ne meurt sur la terre, » Et ce qu'on dit la mort n'est qu'un profond mystère, » Un hymen plus intime entre le monde et nous! » Et c'est pourquoi, faisant au barde un sort plus doux, » Je voudrais à nos jeux l'amorcer dans l'abîme, » Et lui donner la mort en le rendant sublime... » -« Frères, dit l'un d'entr'eux, frères, connaissez-vous... » Auriez-vous traversé les ténébreuses Joux » Qui voilent de nos monts la côte orientale? » Plus loin, sur le revers, dans la nuit infernale, » S'ouvre bruyant, étroit, un abîme enfumé. » Là gravissent les pins et le souffle embaumé » Des gazons de la pente où tremblent les rosées, » Qu'un vent de la cascade au loin a déposées. » Endormons le poète en cet affreux chaos, » Au sifflement des pins, au tonnerre des flots; » Et bientôt, de ces rocs descendant la crevasse, » Vers nous dans la vallée il viendra prendre place. » -« Le conseil est fort beau, dit en tremblant de peur » Un ange de la rive aux ailes de vapeur; » Mais pour l'exécuter il nous faudrait enfreindre » Le droit du roi des eaux... Or, il est tant à craindre! » Brisons-là, mes amis; sinon, malheur à nous! » -« Eh mais, dit son voisin, de vous contenter tous » Il n'est point mal aisé! L'ardente poésie » Dont l'âme du jeune homme est sur nos monts saisie, » N'est qu'un poison d'amour qui nous secondera. » Laissez-moi le poursuivre, et bientôt il viendra » Danser aux vents du soir dans la ronde éternelle! » Quoi! ne sauriez-vous pas, ma peuplade si belle, » Que toute poésie est un pacte avec nous? » Nous, fils de la nature! enchanteurs! jeunes fous! » Qui courons sur les lacs, par les bois, dans l'abîme, » Et pour qui cette terre est un rêve sublime..., » Encore un jour! une heure! et le poète aussi » Pourra rire avec nous et chanter sans souci. » Reposez-vous sur moi du soin d'un tel prestige. » Il dit, et, reployant les ailes du vertige, Sur son épaule blanche il déroule un manteau. Il imite les traits du chasseur pâle et beau Dont le soir, au chalet, les blonds vachers devisent, Près de l'âtre, à voix basse. En temps d'orage ils disent Que, descendant des monts, ce chasseur colossal Aux portes des chalets va frapper dans le val, Criant: « Hourrah!».. De plus, l'esprit des monts s'apprête à revêtir Les pâleurs de la mort; car il sait que, martyr De la lyre et du chant, l'infortuné poète S'exila de la plaine et par les monts répète: « Ange des premiers jours! O muse! volupté! » Doux souvenir du ciel, pourquoi m'as-tu quitté? » Sur l'aile de la mort, que mon âme inspirée » Retourne visiter ta céleste contrée! » Là, je vécus de foi, d'espérance et d'amour! » Viens!... sur ces monts glacés j'implore ton retour! » Au prix de tout mon sang rends-moi, rends-moi ma lyre, » Et par un dernier chant couronne mon martyre! » Ma tombe à la montagne! oh! viens m'y transporter! » Là je ne mourrai plus, car mourir c'est douter! » C'est pourquoi le chasseur, afin de le séduire, De la mort empruntait la pâleur et la lyre; Et mêlant son vertige à celui du chanteur, Par la montagne allait, triste consolateur, L'entraîner dans l'abîme en sa chute inouïe, Et lui rendre la lyre en lui prenant la vie. Le chasseur cependant, sur les pas de sa proie, Se perd dans les forêts... Une rumeur de joie Confuse, fantastique, accompagne ses pas. Des vaporeux danseurs la peuplade, là-bas, Au pied des bruns rochers, sur de fraîches pelouses, Glisse... et l'on dirait voir de nouvelles épouses, Dans leurs folâtres jeux pressant leurs pas tremblants, Sveltes, le front caché sous de longs voiles blancs. Mais le bruit de leurs pas devient plus faible encore, Et l'on n'entend frémir que le blanc sycomore, Aux fentes du rocher, confiant à la nuit Les pleurs ou les secrets du danseur qui s'enfuit. III. La Plainte Du Voyageur. Mais lui? Mais le poète? Indiquez-nous sa voie; Tandis qu'à l'engloutir les monts tremblent de joie, Que le subtil chasseur par les monts et les vaux S'égare et le poursuit, et de cris indévots Ébranle la forêt... Où donc est le poète? Venez, je trouverai sa sauvage retraite... Mais qu'entends-je? et quels cris ont frappé le vallon? La neige qui se lève en épais tourbillon D'une sombre musique emporte les bouffées, Et déjà du chasseur les clameurs étouffées Près des cieux ont repris un accent clair et fort, Sinistre avant-coureur de tempête et de mort. Il fait froid dans mon âme! Adieu! mais non, silence! De l'Alpe rembrunie un autre chant s'élance. C'est lui! c'est le poète! Au sein des noirs débris, Dans les vallons de l'air la nuit l'avait surpris. Ralentissant l'ardeur de sa course rapide, Il tourne vers les cieux une paupière humide, Et tente, pour distraire un instant sa douleur, Ce chant mélancolique échappé de son coeur: « Viens! Le lac nébuleux dans les neiges frissonne; Sur les âpres granits dont cette eau s'environne L'aigle pesant s'élève et circule sans bruit. Les rois des blancs sommets brillent dans la tempête, Et l'orage lugubre a couronné leur tête Du diadème de la nuit! » Viens! la nature aussi m'a compris dans cette heure; Elle a pleuré l'amour et le Dieu que je pleure; Notre rêve à tous deux monte en éternité! Même regret des cieux, même cri d'espérance: Ma pensée est l'écho de sa longue souffrance! Le deuil profond de sa beauté! » Dans ces franges de glace où se couche l'étoile, Sur les aiguilles d'or que l'Occident dévoile, Bel ange inspirateur, descends du fond des airs! Par ces mornes glaciers dont la mer en tourmente Sur les champs de la mort se déroule écumante, Franchis ces montueux déserts. » Ah! viens! nous serons seuls! Toi seul auras mes larmes; Celles qu'on ne voit pas ont pour moi tant de charmes; Je te les consacrai pour épurer mes yeux. Toi seul! premier ami! consolateur de l'âme! Tu verras au désert ce qu'il restait de flamme Dans mon coeur fier et soucieux! » Oui, du jour où ta main n'éveilla plus ma lyre J'eus de profonds secrets et des pleurs à te dire. Gardien du berceau, des naïves amours, Dans mes rêves du soir souvent ma voix t'implore; Et, tourné vers les deux, je crois t'ouïr encore Comme un écho de mes beaux jours. » Les hommes n'ont jamais accueilli d'un sourire Les accords méconnus de mon intime lyre... Depuis ton jour d'adieux tout mon rêve est passé! Comme un pavillon noir, ils ont sur ma ruine Arboré le manteau de ma muse enfantine, Et l'avenir s'est effacé! » Effacé pour toujours! Les pensers d'espérance Ferment leurs ailes d'or au vent de la souffrance. La mort seule m'apporte en son vol soucieux Son arc-en-ciel de pleurs et sa lyre de flamme, Dont la plainte sublime éveille au fond de l'âme Tant de désirs harmonieux. » Effacé pour toujours! Déjà, dans ma paupière, Goutte à goutte ont tari les pleurs de la prière, Que les cieux recueillaient dans leurs coupes d'amour. Plus d'aspiration d'une céleste vie! Plus de lyre ou de voix, pour que du moins j'oublie L'exil... en chantant le retour. » Efface l'avenir! ô jeunesse! ô mystère ï Age où l'on voit les cieux sans comprendre la terre! Il fait jour! je le sens aux glaces de mon coeur! Mais à l'heure où l'amour n'est qu'un songe funeste, On n'a pour remonter à la source céleste Que les ailes de la douleur! » Des douces voluptés il faut fuir la mémoire. Adieu, matin d'enfance! adieu, rêve de gloire! Dans ma chère patrie on ne sert pas mes dieux... Jamais on n'y comprit le souffle qui m'inspire. Je n'y sais que deux lots.... dans la plaine on expire, Ou l'on se cache dans les cieux. » Aussi t'ai-je perdue, ô foi naïve et sainte! La lampe au sanctuaire aujourd'hui s'est éteinte; Rien n'est mûr dans cette âme où tout a pu fleurir. Les ombres de la terre ont voilé mon génie, Et je n'ai rien gardé de sa pure harmonie, Sinon qu'il est doux de mourir. » Qui ne sait pas aimer sous sa lyre succombe! Ange des premiers jours! viens, je veux dans ma tombe, Du Dieu que j'ai pleuré, déposer le long deuil. Là, tu m'attends peut-être, inspirateur fidèle, Pour entonner les chants de la noce éternelle Sur les roses de mon cercueil! » Peut-être qu'attendant ces fleurs d'un autre monde, Tu dors enseveli dans cette nuit profonde, Où mon étoile encor s'égare pour un temps... Ou m'as-tu devancé vers de plus beaux rivages, Hirondelle du coeur, qui crains tous les orages, Pour m'y prédire un doux printemps? » Je ne sais!... Au désert je te poursuis encore. L'instinct de la beauté, dont le barde s'honore, Sur les Alpes m'a dit qu'on trouvait le bonheur. J'ignore le destin que la lyre y prépare; Mais j'ai maudit la plaine, et là-haut je m'égare... Poète, éternel voyageur! » -Il dit! Sur le vallon la lune tendre et pâle A blanchi tout d'un coup la zone orientale, Argentant les sommets neigeux et décharnés Que le ciel de brouillards au loin a couronnés. Sur le col âpre et froid sa face encor voilée Errait comme un esquif dans la neige perlée, Puis, s'inclinant au fond du précipice obscur, Y sillait sur un lac, dans des ombres d'azur. Pareils aux choeurs voilés qui blanchissent les dalles, Prosternés sur le soir au fond des cathédrales, Les pics se prolongeaient pâles, mystérieux, Sous le profond cristal du lac silencieux. Inondés par les pleurs des cascades plaintives, Là s'entassaient les rocs, dressés le long des rives; Là, dominant les eaux, sur des tertres fleuris Que disputait la neige au rivage en débris, Fumait d'un chevrier la cabane isolée, Seule habitation de la morne vallée. Mais sur les flancs du val, au pied des monts neigeux, De loin en loin groupés sous un ciel orageux Les alisiers, les pins qui peuplaient ces décombres, Sous les pas du chasseur résonnaient dans les ombres, Murmures qui roulaient et montaient tour-à-tour, D'un plus secret orage annonçant le retour. Soudain, dans l'épaisseur des lointaines ténèbres, Le chasseur répéta ses hurlements funèbres Mais, gravissant du lac le sauvage récif, Le barde dans la hutte entra d'un pas tardif. IV. L'Arrivée Du Chasseur. Là, le blond chevrier, sous son chalet de pierre, Du foyer, en sifflant, détournant la chaudière, Aux lueurs du mélèze, odorant et fumeux, Promenait ses regards dans le lait écumeux, Que d'un oeil satisfait longtemps il considère, S'applaudissant tout haut de sa voix solitaire. « Entrez, » dit le berger, ranimant la clarté Des tisons; et pour voir ce passant anuité, Ses obliques regards erraient dans la fumée. Mais à peine au foyer la flamme est ranimée Qu'une clameur subite et lugubre, trois fois, Descend de la montagne et roule au fond des bois. L'écho, longtemps ému, peuplant ces solitudes, Remuait sous les rocs d'obscures multitudes, Peuples accumulés dans les jours du chaos Pour crier: « Le désert lui-même est sans repos. » Le pâtre cependant, sous son chalet de pierre, Tendit au voyageur sa main hospitalière. Déjà du gai foyer le rayon clair et pur De la hutte mousseuse argentait le vieux mur; Vers la cendre bleuâtre accroupis en silence, Ils attisent le feu que l'orage y balance, Parmi l'épais brouillard qu'un vent bruyant et froid Refoule à chaque instant sous les lambeaux du toit. De son hôte épiant la muette colère, -« Où vas-tu? » dit le pâtre (et sa longue paupière Voilait le clair azur de son oeil curieux.) L'autre lui répondit, sans relever les yeux: -« Mon âme est endormie! Elle aspire en voyage » A retremper sa foi dans l'éternel orage. Et sa main désignait les faîtes crénelés Des châteaux du désert au ciel accumulés; -« Frère! crois-moi! Là-haut jamais l'âme ne doute, » Et dans sa noble extase, aux Alpes, elle écoute, » Se rencontrant au loin par le vague des airs, » Les promesses des cieux et les cris des déserts! » -« Mais la Mort? dit le pâtre. » -« Eh! la mort! qu'elle vienne! » J'aime sa voix sublime, et sa lyre est chrétienne. » Vienne l'esprit d'orage!... Ami, je veux demain » Monter à sa rencontre et croiser son chemin! » -« Ton audace est folie et tes voeux sont blasphème, » Dit l'autre et ses deux mains voilaient sa face blême, « Sais-tu qu'en temps d'orage il descend de ces monts » Un chasseur colossal, digne ami des démons. » -« Tu mens! dit le Poète, et puisqu'il faut le dire, » S'il vient un ange ici, c'est l'ange de ma lyre! » Oui, ma lyre, en ces lieux où s'égarent mes pas » Lui demande la foi, des chants ou le trépas. » Mais à peine a-t-il dit, qu'une épaule pesante Ébranla par trois fois la porte palpitante... -« Hourrah! dit le chasseur.... C'est l'orage! ta voix » Des rivages du lac est montée en mes bois; » Ta plainte a des échos dans mon coeur solitaire; » Ouvre, de ta douleur j'ai compris le mystère. » -« Sur mon âme, c'est lui! dit le pâtre à genoux, » Qu'il vienne cependant, je ne crains pas ses coups. » Car je sais à qui croire au fort de la tempête. » Lors, auprès du foyer penchant sa blonde tête, Et présentant sa Bible à la pâleur du jour, Dans la page divine il lut avec amour. Le rire du Chasseur accueillit sa lecture; Comme pour étouffer la voix de l'Écriture, Sa voix de l'avalanche eut le mugissement On eût dit dans l'abîme un vaste éboulement, Les chariots d'airain d'une armée en défaite, Roulant par les vallons dans un vent de tempête? Mais, ô surprise!... Il entre, il s'assied au foyer. D'un souvenir du ciel son front parait briller. Rien n'altère des traits cette chaste harmonie, Primitif hyménée où l'âme au corps unie, L'un et l'autre toujours s'empruntant leur clarté, Sont le double reflet d'une même beauté. Quelle pâleur!... pourtant, la mort qui s'y révèle N'a pas encore éteint sous sa froide prunelle L'amour de ses yeux bleus par un songe voilés. Ses cheveux sur sa nuque en anneaux sont roulés, Tandis que sa main gauche, appuyée à sa hanche, Dissimule du sang sur sa tunique blanche. Ses doigts sur son épaule ont aussi déroulé Un ténébreux manteau par la neige étoile, Symbole des frimas et de la nuit austère Dont s'enveloppe aux cieux la cime de la terre. Mais près d'un clair foyer ce manteau long et noir Imitait les lueurs des montagnes du soir, Lorsque l'Alpe, endormant son riant élysée, Couvre sa tête en fleurs d'un voile de rosée. V. Le Prestige. Des plis de ce manteau, débarrassant son bras, « Barde, dit le Chasseur, ne me connais-tu pas? Je fus le gardien de ton adolescence, Et l'ange inspirateur dont tu pleures l'absence; Dans des songes d'amour souvent je te berçai, Quand, de mon aile d'or doucement caressé, Aventurier du ciel, endormi dans ta couche, Tu recueillais d'en-haut mes baisers sur ta bouche. Ignorant d'où soufflait ce vent harmonieux, Souvent tu t'éveillas et tu pleuras mes cieux; C'est moi qui, sur le soir, parlant à ton oreille, Parfois ranime encore ton âme qui sommeille, Et t'épanouissant d'un amour infini, Au choeur des immortels souvent t'ai réuni. C'est moi qui confiant à ton âme amoureuse, Ces intimes pensers qu'en pleurant elle creuse, Secrets que l'ignorance aima tant à flétrir, De la lyre à ton tour t'ai rendu le martyr. Viens donc, cède aujourd'hui, cède à ma voix profonde, Qui t'entraîne au désert, loin des mépris du monde. Le monde... Son caprice a créé ton devoir; Rends-lui ce vain fardeau. Toi, tu vis pour savoir, Pour bercer de tes chants les souffrances humaines, Pour leur parler des cieux et mourir loin des plaines! Je sais bien qu'ils t'ont dit: « Renonce à ces plaisirs, » Vains rêves corrupteurs qui charmaient tes loisirs; » Borne cet horizon que t'ouvrit la pensée; » La vie est dure! Il faut qu'étroite, ramassée, » L'âme, pour la braver, se fasse des trésors » De sacrifice austère, et non de vains accords. » Les chants sont pour le ciel; mais les pleurs pour la vie. » La terre est un malheur; mais Dieu nous y convie; » Pourquoi s'en plaindre encor? » Voilà ce qu'ils t'ont dit. Frère, c'est que de moi l'ignorance a médit. Mais s'il arrive encor que leur voix te confonde, Te disant qu'une larme est l'étoile du monde, Et que le sacrifice est sa première loi... Regarde: sur mes flancs le sang grava ta foi! Dis-leur que si la terre a les pleurs en partage, Tout poète, ici-bas, de ce noble héritage Eut le don le plus riche et la meilleure part. » Il dit, et la colère allumant son regard, Du simple chevrier dispersait les pensées; Et les pages du ciel que ses doigts ont froissées, Tremblent sous ses regards fatigués et distraits; Car du malin chasseur les perfides attraits, Parfois interrompant sa lecture chérie, Y faisaient succéder la molle rêverie, Ou les sombres élans de désirs inconnus... Tristes trésors! hélas! des deux nouveaux-venus! Mais bientôt le berger, rappelant son courage, Dit au barde rêveur: « N'entends-tu pas l'orage » Qui roule autour de loi? Demeure à mon foyer; » Jusqu'au pâle matin, tous deux, il faut prier. » Ton voisin m'est suspect! Mon frère, je redoute » Pour ton bel avenir ce compagnon de route. » Regarde, n'a-t-il pas l'allure d'un mourant? » -« Demeure auprès de moi, dit le pâtre en pleurant, » Le barde en son ivresse est sourd à sa prière. Contenu cependant par le regard austère Du pauvre chevrier, par son air de douceur, Il hésite à frapper dans la main du chasseur. Mais, mariant l'orage au ton de la caresse: « Suis-moi, dit le chasseur, ici-bas le temps presse. » Puis, écartant le crêpe où souriaient ses yeux, Il leva vers le ciel un doigt mystérieux; De son brillant manteau détacha son écharpe, Et sur de graves tons il accorda sa harpe: « Sur la vague gelée où l'orage s'endort, Suis-moi, lui disait-il, vers mes pâles royaumes; Là, couvrant de sa voix le tumulte des hommes, Sur des trônes déserts, seule s'assied la mort. » De l'éternelle fête écoutant les préludes, Tu pourras oublier au fond des solitudes Le temps que Dieu mesure aux pas du genre humain; Car c'est l'oubli des cieux et nos inquiétudes Qui font à l'âme un lendemain. » Des frais jardins de l'air adorant les mystères, Jusqu'aux libres sommets des Alpes solitaires Viens cueillir le sommeil parmi mes chastes fleurs. Que, saluant l'Éden, tes arides paupières Du souvenir versent les pleurs! » Viens du roi des hivers contempler la couronne; Ses joyaux sont de neige et la nuit l'environne; Pour lui chantent l'abîme et les forêts d'azur; La gentiane bleue et la pâle anémone Bordent au loin son trône obscur. » Là, ta douleur n'aura ni larmes, ni colère. Comme l'aigle qui monte en son vol circulaire, Sous les souffles de l'aube, aux limites des cieux, Les pleurs et les brouillards ne pourront de la terre Troubler le cristal de tes yeux. » Un vent céleste et pur rafraîchit la prunelle; Le vertige au doux vol qui vous prend sous son aile, Par l'orage ou l'azur tourbillonnant toujours, Vous pousse, indifférent, vers la nuit éternelle Ou vers l'aube de plus beaux jours! » -« Ah! s'il en est ainsi, répondit le poète, » Jeunesse! liberté! mon âme est satisfaite! » Et, séduit par son ange aux yeux pleins de douceur, Il frappa sans délai dans la main du chasseur. Mais un prompt repentir succède à sa folie. Il soupire du poids de sa mélancolie... Mais déjà le chasseur s'apprête à l'entraîner... Sur l'horrible montagne il va l'abandonner. Des Alpes d'alentour l'immense amphithéâtre Blanchit aux feux de l'aube. Et le chalet du pâtre Se dore sur le lac, dont l'abîme incertain Voile les hauts récifs des vapeurs du matin. « Des monts, dit le chasseur, vois, le front se nuance! » Les Alpes sur la nue ont rougi d'espérance, » Et leurs vastes parois nous barrent le chemin; » Mais ces pics orgueilleux seront vaincus demain! » Gage de poésie et de gloire éternelle, » Ta main est dans ma main, et tu fuis sur mon aile! » Poète, il faut partir; nous les vaincrons ce soir! » -Sur quoi le chevrier répondit: « Au revoir! » Mais sitôt que le barde eut dit: «Quand reviendrai-je? » Le manteau se noircit, et s'étoila de neige. Puis la porte est franchie. Et tous deux, lestement, Ils s'en vont par le val. Point de bruit; seulement Un chevrier là-bas, qui finit sa prière, Siffle, épanchant du lait dans sa noire chaudière. VI. L'Ascension. Où vont-ils? Leurs bâtons, aux parois du sentier, Ont fait crier le roc sous le brûlant acier. Ils montent. Le val fuit; de nouvelles vallées Sous le mont qui s'écrase au loin sont dévoilées. Ils montent. Les sapins de silence et de nuit Voilent le front désert de ce plateau détruit. Ils montent; des rochers la masse ténébreuse En spirale se tord, en abîme se creuse, Tout à l'entour du pic où s'impriment leurs pas. Dans leur fuite, ils ont peine à deviner, là-bas, Et le chalet qui fume au fond des pâturages, Et les vallons étroits des verdoyants alpages, Et l'érable plaintif, et les grands aliziers, Et ces lits de rochers vêtus de framboisiers. Le lac aux bords fleuris dans la Joux qui se voile, Ouvrant sa nuit d'azur où se couche l'étoile, Réfléchit sous leurs pas les rochers enfumés Et les neigeux sommets que l'aube a rallumés. Ils planent dans les airs sur cette onde limpide, Et dépassent bientôt dans leur course rapide Les dômes souriants des monts inférieurs, Où rampent les bosquets des rosages en fleurs. Dans l'or voilé des cieux, la paix des rêveries Rayonnait au sommet de ces hautes prairies; Et le vent vif et pur des glaciers d'alentour, Ravissant des parfums à ces déserts d'amour, Errait sur les gazons. Plus haut, du pin sauvage Fatigué de gravir par delà le nuage, La grande pyramide aux flancs secs, dépouillés, A l'abîme éperdu tend ses bras éraillés. Pour eux, ils vont toujours. L'horizon s'ouvre immense, Il se gonfle, il se perd, et toujours recommence; Confus, inépuisable, il s'enfuit, reculant L'orageuse étendue au flot étincelant. Et les monts sur les monts s'accumulent sans cesse; Le haut plateau succède au plateau qui s'abaisse, Bordant de ces créneaux lugubres, désolés, Les horizons de neige au clair azur mêlés. Le glacier, qui se roule en vagues cristallines, Allume aux feux du jour ses verdâtres collines. Un vent glacé se lève, et du subtil chasseur Le manteau dans les cieux palpite avec fureur. Leur visage pâlit, et se ride à la bise. N'importe. Ils vont encor. La sommité s'aiguise, Le roc pyramidal s'effile sous leurs pas; Et, de ses flancs neigeux, s'ils regardent en bas, C'est la terre sans borne où tout fuit et s'azure, Et l'ombre, gravissant la neige unie et pure, Semble un voile éternel dont Dieu va recouvrir Le Néant sous leurs pas! -« Eh quoi! toujours souffrir » Pour contempler des cieux la figure du monde! » Dit le barde tremblant; d'ici jetons la sonde » Et regardons la plaine; ami, ne monte plus! » Du barde cependant les jours sont révolus. Ils vont, ils vont encor; l'inexorable guide A fasciné sa proie, et, toujours plus rapide, De son chant mâle et fier le pousse en ces frimas. -« Oh! que la terre est belle! Eh bien! n'entends-tu pas » De ce grand piédestal où ton âme élancée » Sur le monde abaissé fait régner sa pensée, » N'entends-tu pas, ami, de sublimes concerts? » Le barde répliqua: « Non, du roi des hivers » Les grands ongles d'airain m'écorchent le visage; » Mes yeux se sont troublés. Descendons; c'est plus sage. » -« Poète, c'est donc là le fruit de tes labeurs! » Vivre dans la poussière, offusqué de vapeurs, » Pour expirer plus bas que la cime du monde!... » -« Sur le bord de ce gouffre où, pour jeter la sonde, » Mon esprit orgueilleux vole et va s'abîmer, » L'homme, qui passe un jour, n'a que le temps d'aimer. » De quel droit près des cieux porterais-je ma cendre? » Vers la plaine et le bruit, laissez-moi redescendre; » Mon coeur se glace à voir la terre de si haut. » -« Oui, mais sa face est blanche et n'a plus de défaut, » Dit l'Esprit, élevant dans sa grâce funeste Des yeux où se peignaient un souvenir céleste. « Courage! le sol manque et nous touchons aux cieux! » Ranimé par son chant, le poète orgueilleux S'élève avec effort sur la neige épaissie; Mais le soleil penché sur la plaine éclaircie, Comme une roue ardente au bras illimité, De ses obliques feux dore l'immensité. L'ombre se précipite... Un chant des bois s'élève, Cantique de soupirs, musique d'un beau rêve, Dont le ciel a bercé nos sommeils d'autrefois. On dirait dans la plaine ouïr les mille voix Des archanges tombés, pleurant dans la poussière, Qui, dans leurs longs regrets et leur vaste prière, Ensemble vers le ciel poussent un cri d'espoir. -« Vois, reprit le chasseur, Dieu t'accorde un beau soir; » Rends grâce à mon amour, grâce à ma poésie, » Grâce au sublime élan dont ton âme est saisie. » Sans mes ailes, poète, eh! qui donc eût plané » Sur ce monde à tes pieds aujourd'hui prosterné? » Mais ils ont disparu. La neige fine et dure Tourbillonne autour d'eux, dévore leur figure, Et le souffle âpre et noir qui siffle et les poursuit Les porte vers la cime et l'éternelle nuit. Et voici la limite, et l'Alpe étincelante Expire en rayonnant dans l'ombre mugissante. Aux bords toujours plus froids d'un ciel toujours plus pur Les Alpes entassaient en groupes fantastiques Les informes donjons, et les dômes antiques De leurs pâles cités qu'ensevelit l'azur. Dormant au fond des nuits, ces blanches Babylones Dans les champs éthérés découpent leurs remparts, Et leurs portiques d'or, perdus dans les brouillards, Sans bruit fument au loin sur ces tremblantes zones. De ce pic isolé tout vêtu de frimas Se déroulent sans fin de longs tapis de neige, Étincelants parquets où le pied qui s'allège Se meut sans avancer, crie et ne s'entend pas. Dans les ombreux vallons de la neige éternelle Se plonge le chamois libre et silencieux. Voyez, rien dans la glace et le souffle des cieux N'a troublé le velours de sa robe isabelle. Il s'éclipse! et bientôt sur ce pic écarté, Pour goûter seul encor le bonheur de son être, Dans les roses du soir il s'en va reparaître, Aspirant loin du monde un vent de liberté. Cependant le chasseur, las d'un jeu qui l'accable, Sans plus dissimuler son rôle inconcevable, Du vertige entrouvrit les ailes de cristal; Puis, étendant la main dans un geste royal, Il désignait au barde une étroite vallée, Au pied des monts fleuris, de noirs chalets peuplée. -« Du voyage, dit-il, tu me semble lassé, » Et d'être ici, je crois, tu te fusses passé. » Bien qu'un chanteur là-bas ne soit guère à son aise, » Viens donc dans mes vallons cueillir aussi la fraise, » Tendre une main de frère à mes sylphes légers, » Sur la verte pelouse au milieu des rochers. » Si tu savais, ami, que la nature est belle » Lorsqu'au creux du vallon, l'alizier pâle et frêle » Sur le bord de mes lacs roule son chant du soir, » Et que là, dans les fleurs, nous allons nous asseoir! » Alors, du val d'amour nous chantons le mystère; » De parfums et de fleurs nous arrosons la terre, » Et sur ce grand autel, au Seigneur consacré, » Pour lui, nous cultivons le calice doré » De l'anémone.... ou bien notre robe distille » Des gouttes de cristal parmi le bleu myrtille. » Ah! viens! si tu savais qu'il est de volupté » A sonder en secret la terre et sa beauté, » A vivre devant Dieu d'amour et de silence, » D'extase et de repos! Puis le vent nous balance » Dans nos robes d'azur au miroir des lacs frais. » Sous les rocs buissonneux, à l'ombre des forêts, » En jouant, nous cueillons d'immortelles pensées, » Et nos tailles de sylphe, au bruit des eaux bercées, » Sur la mousse profonde, effleurent dans le val » Des vieux bois jaunissant le tapis automnal. » II dit. L'oeil du poète et s'exalte et s'égare; Puis la voix du chasseur redevient la fanfare Des torrents, des forêts, des glaciers et des cieux! Son guide, qui triomphe et pourtant le protège, Ouvrant le manteau noir étoile par la neige, De ses plis ténébreux l'enveloppe sans bruit, Et le poète errant dans l'éternelle nuit, De montagne en montagne et d'abîme en abîme, Se berçait dans sa chute, au gré d'un vent sublime. VII. Le Repos Du Poète. Il tombe, il rebondit, il tombe, il tombe encor; Et de son oeil sanglant jaillit l'étoile d'or. Abîmes, vous chantiez, vous résonniez de joie! Toi, terre! tu tremblais en accueillant ta proie! Et les rocs de la pente, entr'ouverts ou rompus, La cascade écrasée entre les pins barbus, Et les vents de l'abîme et les flots du feuillage, L'applaudissaient au loin à son sanglant passage. Sous la brume il se plonge, et le voilà, gisant Dans l'herbe des vallons..... Voyez, sur ces gazons le vent qui la parfume Soulève enfin son âme aux traits aériens, Et la berce amoureuse en la nuit des sapins. Les voici! les voici! Nature, du silence! Des sylphes du vallon la ronde recommence; Réveillant leur poète avec un léger bruit, Ils mêlent ce doux chant à la paix de la nuit. « O jeunesse! voilà ton rêve! Voilà ton rêve de grandeur! La foi le nourrit et l'élève, Puis dans les regrets il s'achève, En retombant de sa hauteur. » C'est que la foi n'a pas des ailes Pour nous arracher d'ici-bas; C'est que les cités éternelles Aux âmes fières et rebelles Loin du monde ne s'ouvrent pas. » La poésie a son vertige; Elle n'est pas le pur amour. Mais ce monde qui nous afflige Dans l'ombre conserve un prestige Qui doit nous consoler un jour. » Sur notre terre d'espérance Tout est grand, excepté l'orgueil. Ah! dans les jours de la souffrance Vivons d'amour et de silence; Ne publions pas notre deuil! » Dans la vallée il est des charmes Qui nous consolent de l'oubli. On y répand d'intimes larmes; Loin de la gloire et des alarmes, Là, chaque jour est mieux rempli. » Là, nous dansons sous le feuillage, Dans les nuits calmes de l'été; Et quand survient le vent d'orage Sous les pins, sous le roc sauvage, Chacun de nous est abrité. » Nous ne sortons de la retraite De ce val ombreux et désert, Que pour sauver de la tempête L'âme imprudente du poète Qui de nos monts brave l'hiver. » Accourez donc, esprits folâtres, Venez célébrer son retour; Délogez du foyer des pâtres, Des rocs fendus, des lacs bleuâtres; Délogez de l'antique tour. » Accourez donc, plus vite encore! Courez, glissez le long des bois; Distillez du blanc sycomore; Comme les larmes de l'aurore Volez sur le dos des chamois. » Et rangés à l'entour du poète plus sage, Esprits aux blonds cheveux, esprits au frais corsage, Esprits légers, esprits mutins, Esprits au gai visage, Dansaient dans les ravins, Sous les pins, De leur ronde rapide ébranlant le feuillage. « Eh bien! dit le chasseur, ne vous disais-je pas » Que je l'entraînerais à vos joyeux sabbats? » Et d'un air triomphant saluant son cortège, De son manteau lugubre il secouait la neige. -« Ne vous disais-je pas qu'un barde a nos amours; » Qu'au chant de la nature il s'attendrit toujours; » Que toute poésie est un pacte avec elle, » Et que chez nous son âme y resterait fidèle? » Ce propos fut suivi d'un applaudissement, Et la vallée entière était en mouvement. Élargissant au loin leur fantastique danse, Tous les esprits alors répétaient en cadence: « Il a vaincu! gloire au chasseur! » Gloire au vertige du poète! » Voyez, à l'éternelle fête » Il amène un nouveau danseur. » Robert Le Mineur. Creusez, jeune ouvrier... Dans la nuit souterraine Le vent du ciel apporte un parfum de printemps. L'air est bleu, l'air est frais, remontez vers la plaine; Là, peut-être l'amour vous pleure dés longtemps. « Bientôt je reverrai la blonde Eléonore, » Se disait le pâle Robert; Et dans ce vague espoir, il creuse, il creuse encore; La roche éclate sous son fer. Dans ce vivant cercueil son oeil noir étincelle, Comme s'il devinait les cieux; Puis, s'essuyant le front, il dit: « Elle est trop belle; » Et des pleurs voilent ses grands yeux. Pleurez, jeune ouvrier. Dans la nuit souterraine Le vent du ciel apporte un parfum de printemps; L'air est bleu, l'air est frais; mais, hélas! dans la plaine Les premières amours ne durent pas longtemps! Pour un nouvel hymen, l'airain dans la chapelle Chante son hymne aérien: La blonde Eléonore aurait été fidèle; Mais un comte a reçu sa main. La foule qui s'empresse à l'église s'étonne De voir pâlir un front si beau Sous les fleurs de l'hymen, comme si la couronne Eût mieux fleuri dans le tombeau. Creusez, jeune ouvrier. Dans la nuit souterraine Le vent du ciel apporte un parfum de printemps; L'air est bleu, l'air est frais; mais oubliez la plaine: Les premières amours n'y durent pas longtemps. Un soir, rêveuse et pâle, Eléonore assise Berçait le fruit de son amour. Et le comte lui dit: « Permettez que je lise » La seule aventure du jour: » Dans la mine prochaine, aujourd'hui l'on publie » Qu'un roc a croulé par malheur. » Mais l'on m'a rassuré. Nul n'a perdu la vie, » Excepté Robert le Mineur. » Dors bien, jeune ouvrier... Dans la nuit souterraine L'avenir te prépare un éternel printemps. Adieu, l'air est encor frais et bleu dans la plaine; Mais les anges du ciel t'aimeront plus longtemps. 1836. Le Rêve Du Poète. « De qui me parles-tu, céleste rêverie, Mystérieux concert de mon âme attendrie? D'un temps sans origine es-tu l'écho secret, Un espoir que j'ignore, ou mon dernier regret? Es-tu l'hymne nouveau de la harpe infinie Dont le coeur des élus comprend seul l'harmonie? Ou bien l'appel trompeur de quelque esprit subtil? » Peut-être est-ce mon âme au retour de l'exil, Qui du ciel entr'ouvrant le lointain sanctuaire, Contemple son image errante sur la terre, Ou quelque ange éploré qui regarde ici-bas, Et, jetant un adieu que je ne comprends pas, Laisse tomber d'en haut sur l'ombre de lui-même Quelques pleurs... souvenir de sa beauté suprême. Oh! qui me l'apporta, cet adieu si lointain! Est-ce le vent d'un soir ou le vent d'un matin? » Terre, couche glacée où mon âme se voile, Rentre donc dans ta nuit! j'y verrai mon étoile. Son rayon prophétique et sa haute clarté Aiment les cieux déserts et leur immensité... Que me fait ici-bas le soleil qui se lève? Je n'y vois guères mieux, et j'y perdrais un rêve. » Chant Du Montagnard. (Air connu) Qu'un Suisse est fort! son âme est répandue Sur la terre, et les cieux sont sa part. Il est roi de l'étendue. Dans l'azur ou le brouillard, Le pouvoir du montagnard C'est l'air du ciel! C'est l'air du ciel! Qu'il est heureux, le roi des froides cimes! Dans l'azur il plonge un long regard, S'accoudant sur les abîmes, Sur la neige et le brouillard. Le palais du montagnard C'est l'air du ciel! C'est l'air du ciel! Si, pour pleurer les destins d'Helvétie, Sur les pics il s'élève à l'écart, Sa peine en est adoucie; Il ne craint plus de hasard, Car l'espoir du montagnard C'est l'air du ciel! C'est l'air du ciel! Chant Chrétien. Quel est ce roi sublime et tendre Qui, vers nos déserts attiédis, Les yeux en pleurs, paraît descendre Les bleus coteaux du paradis? C'est le pauvre Fils de Marie; C'est l'époux de la terre en deuil, Qui pose, la lampe de vie Dans le mystère du cercueil! C'est celui qui, pour nous prédire Le soleil d'amour éternel, Avec nos pleurs et son sourire Sut faire un nouvel arc-en-ciel. Les lacs, frais miroirs du nuage, Et nos fronts, miroirs de la mort, Verront s'enfuir leur sombre image À son souffle amoureux et fort. 1835. Sur Un Départ. J'ai vu l'ange de la prairie, Au crépuscule, dans les fleurs, Interrompant sa rêverie, Entr'ouvrir ses yeux tout en pleurs. Le vieux saule était sans murmure, Dans les vagues clartés du jour, Et l'eau du lac était moins pure, Et nos cieux étaient sans amour. J'écoutais la triste pensée, Ce chant de mon ange Ariel, Parmi les fleurs et la rosée Éclos de son âme et du ciel. « Qui réjouira ma vallée? » On m'a pris la reine des fleurs; » Au loin leur nymphe est exilée; » Rien ne console ma douleur. » Oh! dites-moi, mon coeur, qu'une si belle rose Aux soleils étrangers ne peut s'épanouir, Et que les premiers cieux dont elle était éclose Auront seuls le secret de la voir refleurir! Mais non! j'en crois l'instinct de ma mélancolie: Les amours d'ici-bas peuvent vivre de pleurs. Oh! vous qui l'emportez, allez, et qu'on m'oublie; Mais protégez toujours la reine de nos fleurs! À Ma Grand'Mère. Ainsi cette mère chérie Échangea la pâle clarté Du triste soir de cette vie Pour l'aube de l'éternité. Bénissons son heure dernière! Ne la cherchons plus dans ces lieux. Rien n'étant parfait sur la terre, Dieu la rappela dans les cieux. Adieu donc, tu repars pour un ciel sans nuage; Tu mettais ton espoir dans ce grave voyage. Auprès des séraphins reprenant son essor, Ton âme sur tes traits a laissé son image: Au dernier de tes jours tu souriais encor. Résignée à tes maux, c'était pour ceux des autres Que tu réservais tous tes pleurs, Et tes soupirs n'étaient que les échos des nôtres; Nos chagrins, tes seules douleurs. Ah! venez donc pleurer la plus tendre des mères, Et rendre sur sa tombe hommage à son amour; Mais n'y répandez pas des larmes trop amères. Dans ses bras, ses enfants se reverront un jour... La vie est un exil, et la mort le retour! Adieu. Je veux pour toi dire mon chant suprême; Car pour une âme inhabile à s'ouvrir, Il est si doux de redire qu'elle aime, Quand ceux qu'elle aime ont dit: « Il faut partir. » Oui, j'ai goûté rêve, avenir, tendresse; Sur moi des cieux il tomba quelques fleurs; Et cependant il manque à ma richesse: Toi qui t'en vas, laisse-moi de tes pleurs. Je t'avais dit (ô rêve plein de charmes!): Je te suivrai loin de ton beau pays; Pour le pleurer nous confondrons nos larmes; Nous redirons nos jours évanouis. Mais non, toujours il fallut à ma vie Cet autre exil... solitude des coeurs! Adieu! là-bas, si quelque ami t'oublie, Pauvre exilé, souviens-toi de mes pleurs. Au loin les cieux ont des clartés sereines; Leur tendre amour t'y fait un avenir. Vas, comme ici, là-bas, traîner tes chaînes, Aimant beaucoup pour ne pas trop souffrir. Et dans la nuit, quand naîtra ton étoile, L'âme attentive à ses blanches lueurs, Au vent natal tu livreras ta voile, Et sur ces bords tu sécheras tes pleurs. Pars, n'attends pas, délaisse nos rivages; Contre le coeur, l'espace est impuissant. L'amitié, forte au travers des orages, Plus nettement articule son chant. Oh! dans quel rire a-t-on pu se comprendre? Les saints amours sont fils de nos douleurs. Joyeux élans doivent se désapprendre; Le ciel toujours se ressouvient des pleurs. Les Deux Buveurs. Ballade. L'airain sonne; aux clartés de la lune sereine, Sous des voiles d'azur, la nuit d'été ramène Les larmes dans les bois et la rosée aux fleurs. Dans l'échoppe, au vallon, boivent deux voyageurs. Voyez, au travers du vitrage, Où l'ormeau berce son feuillage, Le croissant les montre à demi. Souriant avec amertume A sa coupe, où la bière écume, L'un d'entr'eux dit à son ami: « Ici dorment tout près les morts au cimetière; Ma mère aussi; car Dieu m'a tout pris sur la terre. Sous ce chêne, là-bas, que j'ai versé de pleurs! Mais Dieu n'entendra plus le cri de mes douleurs. » -« Prions! dit l'autre, qui s'incline En signant sa large poitrine. Prions; sous la croix du coteau, Ami, si tu fais ta prière, Aux cieux tu reverras ta mère: Les anges naissent au tombeau. » -« Ah! non, répondit l'autre en essuyant ses larmes, La prière au cercueil est sans effet, sans charmes! Dieu ne nous entend pas, te dis-je, et je crois fort Que des plombs du cercueil ne revient pas un mort. « Hohé! c'est le hasard lui-même Qui nous unit à ceux qu'on aime, Puisqu'ils nous laissent en chemin. Plus de pleurs, plus de triste veille; Hohé! vidons cette bouteille Pour noyer encor ce chagrin. » Le pauvre voyageur buvait, buvait encore. La croix sur le tombeau déjà se décolore. Il boit, il boit toujours, dans des flots de liqueur Il boit la sombre ivresse, et dit dans sa douleur: « Après tout, la plaisante idée De voir cette vieille ridée Me tendre les bras dans les cieux. » L'autre, à ces mots, tremblant et pâle, Se signe la tête et détale, En poussant un cri douloureux. C'en est fait, du buveur le cerveau se dévide; Il a rêvé déjà tout un songe livide. Dans les affreux déserts de ton âme qui dort, Rêve: on dirait là-bas les cloches de la mort. Au creux du vallon, minuit sonne. Holà! n'entendez-vous personne Dans les bois... les bois... cheminer? Un bruit naît au fond du silence, Il grossit, grossit, et s'avance. J'entends les sapins frissonner. Ouvrez! ouvrez! la Nuit amène un nouvel hôte; Près du joyeux buveur il s'assied côte à côte, Ah! sur ses blanches dents le rire est glacial! N'importe; présentant sa coupe de cristal: « Frère, dit-il avec mystère, Verse donc, verse un peu de bière. Le chemin m'a tant altéré! Mon sort est de n'avoir en poche Jamais d'argent; mais dans mon coche En retour je te conduirai. » -« Par ma tête! j'en suis, dit l'autre en son ivresse; Je brûle d'éprouver ta ruse et ton adresse. Quand nous aurons tout bu, roule-moi, roule-moi Chez ma mère, entends-tu? chez elle, où qu'elle soit! » Il dit. Ces deux hommes, plus pâles, Se lèvent. Le cri des cavales Se prolonge dans la forêt. Le claquement du fouet se mêle Au bruit du tonnerre, à la grêle. « Monte, monte; le coche est prêt! » Ils partent; voyez-les. La roue au loin s'allume; L'air pétille, et des pins la sommité qui fume Craque sous les sabots des chevaux écumeux. Les voilà disparus dans l'horizon brumeux. Hourrah! l'horizon se recule! Le char, qui longtemps y circule, En spirale perce les cieux, De la nuit déchire les voiles Et là-haut, croisant les étoiles, Fait étinceler les essieux. Où vont-ils? aux rayons des lunes passagères, Les chevaux emportés argentent leurs crinières. Puis, franchissant d'un bond le soleil qui s'enfuit, Vont s'éclipser plus haut dans la céleste nuit. L'éther! l'éther! séjour des âmes! Voyez sur leurs ailes de flammes, L'une après l'autre apparaissant; Du fond des rêveuses campagnes Elles appellent leurs compagnes Alentour du char bondissant. Les musiques de l'air aux vagues harmonies Bercent leur ronde au fond des plaines infinies, Et, guirlande d'amour, en chantant l'Éternel, Elle embrasse à la fois et la terre et le ciel. « Holà! cocher, arrête! arrête! Voici ma mère à cette fête, Qui passe et me tend ses deux bras! Oh! je ne suis pas infidèle Je crois en Dieu, je crois en elle... Cocher, ne t'arrêtes-tu pas? » Mais le joyeux cocher, poursuivant son voyage, Ne s'arrête jamais; plus vite que l'orage, Ses cavales, du fouet fuyant le sifflement, En hennissant d'effroi, fendent le firmament. Déjà dans son vol circulaire Le char, au bout de la carrière, S'incline au cri du conducteur Vers la nuit muette et sublime, Et dans les profondeurs s'abîme, Emportant le blasphémateur. Cloches des trépassés, sonnez, sonnez encore: Le Buveur qui rêvait est mort avant l'aurore. Cloches des trépassés, sonnez bien tristement: Qu'il dorme jusqu'au jour du dernier jugement. Élégie. Sur le flot tiède et noir à l'écume de neige, Qui roule et se confond avec l'ombre des cieux, Près du lierre des murs que le roulis assiège, Un poète rêvait; des pleurs mouillaient ses yeux. Dernier regard plaintif de la lune voilée, Un reflet velouté; doux comme un souvenir, Se joue avec caprice au creux de la vallée, Sur les rides d'un lac qui commence à brunir. « Lève-toi du cercueil, ô pâle jeune fille! Avec moi sur la rive, ah! laisse errer tes pas. Près des grands peupliers, vois-tu briller la quille De ma nef? disait-il. Quoi! tu ne reviens pas? » Oh! n'entendrai-je pas de voix mélancolique Se bercer dans les airs, murmurer sous l'ormeau, Au pied des vieilles tours, dans l'ombre fantastique De l'églantier, qu'un vent fait vaciller sur l'eau? » La nuit n'a-t-elle point tes secrets à m'apprendre? Sur les ailes des vents, sur ce nuage noir, Ne te verrai-je pas une fois redescendre, Pour me dire, je t'aime, et m'embrasser un soir? » Mon regard abusé voit ta taille légère Glisser sous les sapins et puis s'évanouir; J'entends au loin tes pas qui froissent la bruyère. Songe vain! dont mon coeur n'ose se réjouir. » Lorsque tes pas foulaient l'herbe de nos prairies J'allais auprès de toi rêver à nos amours; Et nous passions le temps en douces causeries, Près de ce grand rocker qui scintille toujours. » L'hiver auprès de l'âtre, assise vers ton père, Tu lui faisais conter les récits d'autrefois; Ou bien vous écoutiez une voix solitaire Qui murmurait là-bas, sous les neiges des bois. » Alors le bon vieillard, prenant ta main tremblante, Sur toi laissait tomber ses pleurs silencieux: « Écoute, disait-il, c'est ta mère qui chante. » C'est ta mère au tombeau qui nous bénit tous deux. » Hélas! depuis longtemps son ombre, errant sans cesse, » M'a laissé seul et vieux ici près du foyer. » Toi seule, ô mes amours! console ma vieillesse; » Ta mère te l'a dit, ne vas pas m'oublier. » » A ces mots quelques pleurs tremblaient sous ta paupière Et t'approchant de lui, tu lui baisais le front: « Bientôt, lui disais-tu, nous reverrons ma mère; » En attendant nos coeurs ici-bas s'aimeront. » » Et pourtant te voilà les mains jointes, muette, Dormant» sous le linceul qui te voilé aujourd'hui; Tandis que le vieillard, la paupière inquiète, En vain sous l'humble toit te cherche auprès de lui. » J'ai vu ses cheveux blancs agités par la brise; Il pleurait, appuyé sur son bâton noueux, Là-bas, sur les degrés de cette vieille église, Où tu priais pour lui dans des jours plus heureux. » Et moi, je pleure aussi sur mon triste hyménée. De ses mains, arrachant des roses à l'amour, Élise, en ton cercueil, la mort t'a couronnée, Disant d'un ton railleur: « Attends encore un jour. » » Non, je n'attendrai pas; je puis aller près d'elle. Dans son séjour les coeurs sont-ils moins amoureux? Non: l'amour d'ici-bas, c'est la pâle étincelle De cet immense amour que l'on retrouve aux cieux! » Il chantait, et sa voix était grave et tremblante; Mais soudain, sur les eaux j'entendis un grand bruit: Le chantre en expirant rejoignait son amante... L'horloge du clocher avait sonné minuit. La Foi D'Enfance. "Leurs anges sont toujours en la présence de Dieu." O nuit! fille des cieux! vierge à demi voilée! Cache-moi sous les plis de ta robe étoilée! Je veux rêver en paix, et toi, Père d'amour, Ne me réveille plus qu'au matin du grand jour. Oh! ce n'est qu'au berceau, sous l'aile maternelle, Que s'entrevoit l'Eden de la vie éternelle; C'est l'âme vierge encore et le coeur enfantin Qui savent pressentir l'invisible matin, Céleste vision des âmes innocentes, Qui des secrets d'en haut seules sont confidentes. Oui, les jeunes enfants, archanges inconnus, Des rivages sans nom sont les nouveaux venus. Et l'étoile et l'azur et ses molles nuances Pour eux sont tout remplis de douces souvenances. La musique des cieux est pour eux seulement. Tout parle poésie au coeur du jeune enfant. La nature avec lui, secrètement unie, De tout lui fait sentir l'idée et l'harmonie. Ces grands nuages blancs sont les cités du ciel, Où monte en souriant l'archange Gabriel; Et souvent, réchauffé d'une divine flamme, Il voit dans le miroir de sa jeune et tendre âme Les tours aux cloches d'or, les portes de Sion, Des anges et des saints la blanche légion, Et puis il tend les bras, regrettant tous ces charmes, Et son oeil innocent laisse tomber des larmes. O si fraîche rosée! ô pleurs du séraphin! Vous ne reviendrez plus rafraîchir notre sein! Tout souvenir des cieux passe avec les années. Sous l'étreinte du temps, nos âmes ruinées Rejoignent dans les pleurs ce bord d'éternité Que l'enfance, en riant, jadis avait quitté. Cercle mystérieux, triste et secret voyage, Qui commence et finit dans la mer sans rivage. Je me perds aujourd'hui sur cet obscur chemin, Dont les extrémités n'ont ni soir, ni matin.... Mais c'est encor l'amour, l'espérance infinie, Qui sont les feux sacrés d'où sort la poésie. Beaux souvenirs d'enfance! ô jours où j'aimais tant! Dans un monde nouveau mon âme vous attend! J'aime votre fraîcheur, vos amours si naïves, Vos horizons si bleus, vos peintures si vives, Vos clochers tout en or, dessinés dans les cieux, Le soir, autour du lit, vos anges gracieux, Et votre âme où n'éclôt qu'à demi la pensée, Et vos pleurs cristallins, purs comme la rosée. Voilà les doux trésors de là-haut descendus, Et que jusqu'au cercueil le poète a perdus! Mais que dis-je? Jésus aussi nous purifie; Il aime l'homme simple et sans philosophie; Il aime les enfants, car l'empire des cieux Appartient, il l'a dit, à ceux qui sont comme eux. Oh oui! soyons enfants pour devenir des anges, Et le Dieu de Sion recevra nos louanges. Amour, c'est le secret du Seigneur éternel; Tout n'est-il pas compris dans ce mot solennel? Ne crains plus d'exister. L'avenir, c'est l'enfance! Le plus vieux souvenir, la plus jeune espérance Sont deux frères jumeaux aux pas silencieux Qui se mirent dans l'âme en marchant dans les cieux. Aussi l'homme souvent, sur les bords de sa route, Pose un doigt sur sa lèvre, et souvent il écoute S'il n'entend pas venir quelque réalité!... Mais tout n'est qu'un soupir du vent d'éternité. Qu'il poursuive sa route et monte la colline; Là, s'ouvre un horizon où la croix s'illumine; Là sur les flots pressés de l'immense océan L'amour lui tend les bras. Par delà l'ouragan, Loin, dans les profondeurs de la plage éternelle, Dieu nous réserve encore une enfance nouvelle. Ainsi, relève-toi; poursuis ton long chemin; Tâche bien d'éviter le vent froid du ravin, Et puis le jour viendra qu'à sa forte parole Dieu fera de Sion scintiller la coupole! Sur son dôme doré le temps, lugubre oiseau, S'abattra pour jamais, et dans ce jour nouveau Les voyageurs lassés, que cette terre ennuie, Viendront se reposer au seuil d'une autre vie. Adieu, fille du ciel, sous tes crêpes voilée! Je dégage mon front de ta robe étoilée; Il faut fuir! déjà l'aube aux longs cheveux épars Illumine à demi les franges des brouillards. Chaque repli des monts se déroule et chatoie; Clochers, noires forêts, débris de vieille tour, Solitude des eaux, tout revient au grand jour. Adieu, de nos pensers que tes soeurs se souviennent, Et que, sur cette plage, un soir elles reviennent! À Vous. Quand sur les champs du soir la brume étend ses voiles, Lorsque, pour mieux rêver, la Nuit au vol errant, Sur le pâle horizon détache en soupirant Une ceinture d'or de sa robe d'étoiles. Lorsque le crépuscule entr'ouvre aux bords lointains Du musical éther les portes nuageuses; Alors, avec les vents, les âmes voyageuses Vont chercher d'autres cieux dans leurs vols incertains. La mienne s'en retourne auprès de vous, fidèle; Mais bientôt un remords la surprend en chemin, Et, jeune mendiante, implorant votre main, Elle vous tend la sienne, en se voilant d'une aile. Car c'est le repentir d'avoir aimé trop peu, Qui, de l'exil, vers vous la rappelle angoissée, Comme une ombre sortant de sa tombe glacée, Surprise par la mort sans avoir fait d'adieu. Non! je n'ai pu comprendre et votre âme et la terre Que de loin, quand les ans sont venus tout finir, Et mon coeur n'a fleuri qu'autour du souvenir, Comme autour du tombeau l'églantier solitaire. Ces jours où ma jeunesse a fait souffrir les coeurs, Je n'en pourrai gémir que seul avec moi-même, Alors qu'il n'est plus temps de dire à ceux qu'on aime: « À genoux, me voici! pardonnez-moi vos pleurs. » Ainsi, c'est le passé, c'est la fuite des choses, Le souvenir des maux qu'on ne peut réparer, Qui m'évoquent vers vous, quand la nuit vient errer Sur le large horizon, parmi l'or ou les roses. FRAGMENTS ET VARIANTE(S). Fragments D'Un Poème Sur Davel. I. Le Soldat Vaudois. Sur d'humbles escabeaux, à l'angle d'un vieil âtre, Où tremblait dans la cendre une flamme bleuâtre, Deux soldats devisaient, l'un près de l'autre assis. De leur lampe mourante un reflet indécis Projetait sur le mur des ombres fantastiques. A la porte, jasaient les vents mélancoliques. -« Eh bien! dit l'un, puisant le feu de son regard, Dans le vieux gobelet que dorait le nectar, « En dépit des Deux-Cents, dont la bouche sévère » Maudit l'aridité de notre pauvre terre, » Voyez, major Davel, quelle pure liqueur! » Le fumet en est doux et retrempe le coeur. » A ces mots, le soldat, tout fier de sa bravade, Du doigt, en souriant, lui montrait la rasade. -« Oh oui! reprit Davel, l'éclat en est vermeil! » Buvons-le, sans porter la santé du Conseil, » Car je suis las, ami, de traîner cette chaîne, » Et Davel aujourd'hui la briserait sans peine. » Faudra-t-il donc toujours, qu'au prix de ses sueurs, » Le Vaudois paie un joug et d'injustes seigneurs? » Non, non, il n'est pas loin, le jour de délivrance; » Dis-moi, comme Davel, en as-tu l'espérance? » Parle, car je crains bien que plus d'un bon Vaudois » N'adore encor sa chaîne et les seigneurs bernois. » -« Prenez garde, major, car les vents ont des ailes, » Et peut-être sont-ils des messages fidèles. » D'ici jusqu'au Conseil, il est court le trajet; » Croyez-moi, discourons sur un autre sujet. » Aussi bien, nos seigneurs sont de haute naissance, » Et nous leur devons tous entière obéissance. » Puis le soldat vaudois, à demi souriant, Et reprenant sa pipe en homme insouciant, Sous l'acier du briquet fit jaillir l'étincelle, Se berçant doucement sur sa vieille escabelle. Mais Davel frémissant levait ses grands yeux bleus Vers les sombres vitraux, où l'étoile des cieux Peignait son oeil d'argent. Il croyait, vaine attente! De notre liberté voir l'étoile éclatante; Espoir bientôt déçu. Comme un nuage noir Parfois laisse échapper sur les neiges, le soir, Un reflet velouté de lune, en temps d'orage, Qui brille et disparaît sous les plis du nuage. Mais le major Davel, sur la table accoudé, A quelque grand projet paraissant décidé, Le poing fermé, la lèvre à demi contractée, Couvait notre avenir dans son âme exaltée. -« Vous me semblez, Davel, rêveur, silencieux. » Craignez-vous pour vos ceps quelques vents orageux? » Le silence des nuits dans cette solitude » Peut-être vous remplit le coeur d'inquiétude? » Mais demain nos amis fêtent mon nouveau-né; » A mon banquet Davel sera plus fortuné. -« Non, non, je dois partir, il ne faut plus m'attendre. -« En vérité, major, je ne puis vous comprendre! -« J'ai reçu du Conseil quelques ordres secrets; » Demain, reprit Davel, mes soldats seront prêts. -« Sonne-t-on sur le Rhin la cloche des alarmes? » Les hommes de Glaris ont-ils repris leurs armes? » Demanda le soldat. -« Mets ta main sur mon coeur, Lui répondit Davel, qui paraissait rêveur; » Je sens par intervalle y battre quelque chose; » Nous combattrons, je crois, pour une bonne cause. » Pourtant du clocher noir le sommet blanchissait; Par delà les peupliers que la brise froissait, La lune se penchait sur les lointains rivages, Argentant tour-à-tour les caps et les villages, Des lambeaux de vieux murs, quelques sillons des eaux, Ou les sapins épars sur les riants coteaux. Et l'immense soupir des airs purs et tranquilles Se mariait au bruit des hameaux et des villes: Alors l'oeil de Davel peut-être aurait cru voir Quelque ange du Léman couvert d'un crêpe noir, Et, sur le roc mouillé par la vague plaintive, Au milieu des roseaux qui tremblent sur la rive S'asseyant pour pleurer. Mais Davel est parti; Son camarade est seul, vers son foyer blotti, Comme le paysan l'est parfois au village, D'un oeil tranquille et lent observant le nuage Qui monte de sa pipe et roule en se berçant. II. Le Conseil. Le froid soleil de mars allait en s'abaissant, Sur les coteaux neigeux où Lausanne s'élève... La baïonnette au loin scintillait sur la grève; C'était encor Davel qu'entouraient ses soldats. Davel, fais tes adieux! tu ne reviendras pas! Tu souris dans l'espoir de ton indépendance; Mais la mort prend souvent pour signal l'espérance. Aux portes des hameaux tous accouraient pour voir: Blonds enfants, jeune fille avec son corset noir. Cependant les soldats montaient tous la colline. Ils regardaient briller dans leur joie enfantine Le mors de leurs chevaux, leur panache empourpré, Le cuivre de leur casque, ou l'écusson doré, Et leur drapeau de soie, hélas! tout neuf encore, Qu'aucun lambeau noirci dans ce jour ne décore! Cependant le Conseil, à la hâte assemblé, Fait paraître Davel. Davel n'est pas troublé, Car le premier Vaudois en lui venait de naître. Seul, joyeux, libre et fier, il ose comparaître! « Eh bien! demandait-on, qu'espérez-vous, Davel? -« La liberté, seigneurs, que nous promet le ciel! -« Vous pensez noblement, reprirent des voix graves, » Nous aimons parmi nous à voir des hommes braves! » Mais ton bras n'est pas fort. Pour sonner le réveil, » De la mort, des combats, où donc est l'appareil? » Penses-tu sans boulets faire tomber ta chaîne, » Et briser des Deux-Cents la verge souveraine? » Tous tes brillants soldats ne sont pas valeureux, » Malgré leur noble orgueil et leurs drapeaux soyeux. » En face du trépas, penses-tu que leur bouche » Puisse encor, sans trembler, déchirer la cartouche? » Renonce à tes projets, abats cet étendard » Que le soleil du soir montre sur les remparts. » -« Vos doutes, dit Davel, pour moi sont une injure, » Car, pour la liberté, je mourrai, je le jure. » Eh! qu'importe le nombre et la longueur des bras! » L'ours peut nous déchirer, mais ne nous vaincra pas. » Dieu ne mesure point au tranchant des épées » La justice des droits; les nôtres sont trempées » Dans les pleurs de l'esclave! Il faut nous racheter! » Davel parlait ainsi, plein d'un bouillant courage. Alors, vous eussiez vu plus d'un blême visage, Plus d'une main tremblante au gothique fauteuil... Car l'un aimait l'argent, et l'autre son orgueil. Lâches par habitude, et non par caractère, Ils servaient des Bernois le despotisme austère. Qui sait? Déjà Davel les changera peut-être! Le conseil en ce jour semble tout lui promettre. Sa voix semble répondre au cri de liberté: O mon pays! bientôt tu seras racheté! Alors, que ton Léman sera pur et limpide! Qu'il fera beau chanter sur ton rivage humide, A l'heure ou le soleil, penché sur le Jura, Dans les brouillards pourprés mollement flottera. En vain dans son sommeil la nature soupire; O fraîche liberté! tu reprendras ta lyre! Qu'une corde en vibrant résonne sous tes doigts, Et la terre et les deux répondront à la fois; Et la vague et le chêne, et la roche brunie, Et le vallon caché rendront leur harmonie! Tout reprendra couleur et parfum et concert! Mais dans cette heure, hélas! tout est morne et désert. La retraite a sonné!... Déjà, par intervalles, Brillent quelques lueurs aux fenêtres des salles. Voyez, dans le conseil, ces ombres s'allonger, Et sur les lambris blancs sans bruit se prolonger! Ils jurent aux Bernois entière obéissance; Car il n'est pas venu, le jour de délivrance. -Dans la nuit qui s'étend au fond des corridors, J'entends, pauvre Davel, de sinistres accords. Ainsi, quand vient l'orage aux forêts, aux prairies, Sont des vents et des eaux les vagues causeries; Ou bien, quand vient l'hiver, on entend quelquefois Le feuillage frémir sur l'océan des bois. Mais déjà tout s'éteint; les fontaines des villes Livrent aux vents le bruit de leurs ondes mobiles; Aux murs de la Cité le brouillard redescend. Adieu, major Davel, plus d'un traître t'attend. Un trompeur adoptant pour mot d'ordre: patrie, A son joyeux banquet aujourd'hui le convie. Là, la mort remplira sa coupe en souriant. Mais Davel est Vaudois!... il n'est pas défiant... A la table d'un hôte il se place sans crainte; Davel est trop loyal pour soupçonner la feinte! III. Le Banquet. Aux jours de sa jeunesse on le vit maintes fois Ranimer les banquets aux accents de sa voix; Mais, moins jeune, à la table il rêvait en silence, A moins qu'il n'eût au coeur une ferme espérance. Et Davel espérait. -« Oh! le temps est venu, » Disait-il à son hôte, où l'ours sera vaincu: » Nous rognerons sa griffe, et, la tête enchaînée, » Nous le ferons rôtir à notre cheminée. -« Bien parlé! disait-on, riant avec malice. » Buvez, major Davel; nous briserons nos fers, » Et nous nous vengerons de ces baillis si fiers. » Dès que l'aube aura lui, Davel, je vous répète, » Vous verrez près de vous plus d'une baïonnette. » Notre puissant conseil secondera vos voeux; » On parlera de vous chez nos derniers neveux. -Mais Davel soupirant: « Pourquoi parler de gloire? » Dit-il. Je ne demande à Dieu que la victoire. » Et si, du bon combat, le prix est remporté, » Que nos derniers neveux goûtent la liberté! » Mais, qu'on m'oublie! » Alors, rompant ce ton sévère, De son hôte sans coeur Davel choqua le verre; Mais le cristal heurté ne put pas résonner, Et Davel un instant se sentit frissonner. La lumière tombait, vacillante et moins vive. -« Au revoir, à demain! disait chaque convive; » Demain, c'est un grand jour! » IV. L'Armée A Lausanne. La scène a donc changé; du banquet à la chaîne, Du plaisir à la mort, ainsi tout nous ramène. » Allons, se disaient-ils, fêler son beau réveil, » Et, pour le prévenir, surprenons son sommeil. » Mais Davel cependant sur sa couche sommeille, Rêvant à son pays, aux amis de la veille. Il croit voir ses soldats, découverts, à genoux, Prier pour la patrie, et ce rêve était doux. Mais prends garde, Davel, que ton coeur ne s'y fie; Ah! qu'il faut retrancher aux rêves de la vie! Pour fêter son retour, il voyait au village Ses nièces préparer son pain et son laitage. Seulement, à l'écart (il ne savait pourquoi), Tandis qu'il conversait sans trouble et sans effroi, Isaline et Marie essuyaient quelques larmes, Et ce songe indiscret avait pour lui des charmes. Mais au bruit de leurs pas le guerrier s'éveilla. Les sylphes souriants qui sous ses yeux passaient Dans un rayon du jour doucement s'effaçaient. Ainsi le ver luisant qui resplendit dans l'ombre, Aux lueurs des flambeaux se ternit, pâle et sombre. Ainsi les doux secrets qui descendent du ciel Sur les ailes des nuits, pour l'âme du mortel, Se perdent au grand jour.. Mais Davel de son coeur bannit ces rêves d'or; C'est à la liberté qu'il veut songer encor. Ses hôtes cependant environnaient sa couche, Épiant son réveil, le sourire à la bouche. -« Voyez, lui disaient-ils, voyez quel beau soleil » De notre indépendance éclaire le réveil! » A cheval! à cheval! » Davel, la tête nue, Faisait signe aux soldats qui marchaient dans la rue, Et lui-même déjà, le pied dans l'étrier, Caressait de la main les flancs de son coursier. Sourde au commandement, la troupe est immobile, Et son coursier lui-même, à sa voix indocile, Se dresse en frémissant, car une forte main Fait jaillir son écume en lui pressant le frein. « Davel! » dit un soldat, d'une voix de tonnerre, Et, relevant sa crosse, il en frappait la terre: « Descends de ton cheval, et ne résiste pas, » Car vois-tu ces drapeaux qu'on arbore là-bas! » Trahison!... murmura Davel mélancolique. Sur les crins du coursier se penchant, sans réplique, Pour y cacher les pleurs qui roulaient dans ses yeux, Davel s'achemina, grave et silencieux, Au château baillival. Les tourelles rougeâtres Aux toits pyramidaux flanquent les murs grisâtres; Là, sous l'humide voûte, un silence éternel Se roule dans la nuit. C'est là qu'allait Davel. A l'instant où son pied se posa sur la dalle, Davel se ressouvint du soir où, dans la salle, Sous un masque trompeur, son hôte s'égayait; Cet ami dédaigneux, Davel le revoyait: « Eh bien! lui cria-t-il d'une voix presque amère, » La mort a donc rempli ta coupe hospitalière! » Mais, va, je te pardonne et je prîrai pour toi; » Adieu, dans tes festins ne songe plus à moi! » On trahissait Davel. Un jour, ô ma patrie! Nous te verrons rougir de cette félonie, Lorsque la liberté, quittant l'habit de deuil, Évoquera Davel de son triste cercueil. V. La Vue. Déjà c'était le temps des sombres violettes, Des cerisiers en fleurs. Déjà les alouettes Jetaient au tiède azur leur fraîche voix d'amour; Et le vieux mendiant respirait au grand jour, Courbé sur son bâton, vers la muraille blanche. Partout c'était amour, chansons et gaîté franche. Mais Davel, ce martyr de notre liberté, Celui qu'on trahissait par hospitalité, Que faisait-il? Venez; nous le verrons peut-être Au travers des barreaux croisés sur sa fenêtre. Je l'aperçois dans l'ombre, à genoux, et priant Sur l'humide pavé... Son oeil est doux, riant. Il espère sans doute. Oh oui!... sur la colline Le soleil à ses yeux bien lentement décline; Et lorsque ses rayons, jouant sur ses barreaux, Viendront dorer encor ses humides vitraux, Il reverra le ciel... Oh oui! Davel l'espère! Son âme s'ouvre à Dieu, mais se ferme à la terre. Le temps fuit, mon ami; venez, l'air est si pur, Humer sur le coteau la fraîcheur de l'azur! Écoutez dans (es bois les lointaines clochettes. Voyez cet horizon aux teintes violettes, Et vers la vieille tour penchée au bord des eaux La voile du pêcheur tremblant dans les roseaux, Et ces blanches maisons, dans la nuit des feuillages, Qui se groupent le long des gracieux rivages. Assis sur ce banc vert qu'ombrage le platane, Regardons à nos pieds cette antique Lausanne Dont les murs par degrés gravissent les coteaux, Descendent aux vallons, se plongent dans les eaux; Elle semble dormir sur les monts, sur les plaines, Fière de présider aux fastueuses scènes Des rives du Léman. -Là, succombe Davel; Écoutez ces clameurs qui se perdent au ciel... Sur l'échafaud sanglant, on l'applaudit sans doute. Voyez ce jeune enfant qui s'ébat sur la route; Il faut l'interroger. -« Que font-ils dans ces prés, » Vers ces saules pleureurs par le lac effleurés? » -« C'est Davel, -dit l'enfant d'une voix attendrie, - » Qu'on regarde mourir. Il fait à sa patrie » Un triste et long adieu! » -Mais voyez cet éclair! Le soleil, du bourreau faisait briller le fer!... Fragment A Mme *** L'envoi des vers suivants était accompagné de ces mots: « Puisque vous voulez des vers qui, détachés du reste, ne signifient absolument rien, je vous envoie ceux-ci; agréez, Madame, cet envoi comme la preuve irrécusable de mon obéissance et de ma parfaite abnégation. » Il se terminait ainsi: « Vous voyez bien que vous n'en savez pas plus après qu'avant. » » N'est-il plus sur la terre, où l'âme est asservie, D'exil à notre foi, de refuge à la vie? Plus de secrets berceaux où l'on renaisse encor, Sous les doigts de son ange, à son bel âge d'or? Plus d'ombre où la jeune âme indolente et divine, Dans un doux souvenir rêvant son origine, Et de l'intime lyre écoutant un accord, De la terre à son Dieu remonte sans effort? » N'est-il plus pour le barde indocile et sauvage D'amoureuses fraîcheurs, de solitaire ombrage, Où d'un lointain passé l'écho mélodieux Nous parle d'un ami qui nous entend des cieux? Dans l'oubli des ingrats, jurant à ceux qu'on aime Un amour sans mélange, une foi sans blasphème... Ne pourrons-nous revoir quelque vallée en fleurs, Où nos yeux fatigués désapprennent les pleurs? » Tu glissas sur la terre, âme jeune et plaintive, Comme aux cordes d'un luth une main fugitive, Pour en tirer toujours les doux chants du regret, Ou l'écho passager d'un céleste secret. » Mais quand les oublieux, dédaignant cette lyre, N'en écouteront pas les accords que j'en tire, Moi, gardien jaloux de leur virginité, Je ne veux que la nuit et que l'éternité. » Viens donc, emporte-moi, souffle libre et sublime! Des frais gazons du val aux neiges de la cime. Là-haut! fuyons là-haut. De ces monts radieux Notre tombe s'éclipse, et le ciel s'ouvre mieux. Là, j'aurai pour flambeaux les murmurants mystères Des abîmes voilés... pour mes seules prières L'hymne sourd qu'entonna leur bouche de géant... Puis, à défaut d'espoir, leur vague et bleu néant! » C'est ainsi qu'il chantait, et la voile sifflante Fuyait du frais Léman la rive nonchalante. Aux feux dorés du soir, ses regards soucieux Sous la vague sondaient le bleu chemin des cieux. Docile amour des airs, la voile ondule et plie. À l'horizon du lac, dans leur mélancolie, Les Alpes et les cieux rougissent tour-à-tour, S'entretenant au loin d'un mutuel amour. De la brillante nuit, messagère plaintive, Une vague indolente expirait sur la rive, Comme un signe d'adieu, sur les sables du bord Secouant de son eau les fraîches perles d'or. Plus blanche était l'écume, et les rives plus noires... Et les longs peupliers au bout des promontoires, Se berçant dans leur rêve, au souffle frais et pur, Mariaient leur feuillage aux pâleurs de l'azur. C'était l'heure douteuse où l'Alpe au front de rose, Dépassant dans les cieux l'ombre de toute chose, Voit bleuir à ses pieds de profondes forêts, Aspirant les parfums de ses gazons plus frais; L'heure où les pâtres blonds, à la taille grossière, Accroupis dans la cendre, autour de la chaudière, Mêlant un long silence au doux son de leur voix, Travaillent leurs cuillers ou leurs jattes de bois. Le Banquet. Fragment d'un Poème Intitulé: La veille du dernier jour du monde. « Enfants, dit le démon, notre siècle s'approche; » Il faut s'y préparer; écoutez cette cloche; » Je vous annonce, amis, qu'il n'est plus de retour. » Déjà marche à grands pas le soir du dernier jour. » Mais comme de ma joie il reste une étincelle, » J'invite à mon banquet mon bataillon fidèle. » À ce mot gracieux, le mort, pâle et muet Prit son siège et s'assit à ce fatal banquet. Nectar, son de la cloche, appel de la trompette, Roses, festins, enfer, tout était de la fête. Et des dragons ailés, au farouche regard, Sur l'horrible montagne arboraient l'étendard; Tandis qu'un vent brûlant, montant jusqu'à sa cime, Leur apportait parfois des tisons de l'abîme. -« Mes enfants, dit le diable, imaginons un jeu, » Et pour accoutumer chacun de nous au feu, » Je vous propose, avant l'heure de nos étrennes, » D'exercer vos esprits à concevoir mes peines. » Puis, montrant Harpagon, qui jadis était mort Pour économiser sur son vieux coffre-fort: « Invente, lui dit-il, un tourment qui m'effraie; » Voyons, peins-moi l'Enfer, il faut que je m'égaie. » Ami, ton coffre-fort nous sépare de Dieu; » Parle, il n'entendra pas discourir sur le feu. » De sa propre pensée épouvanté lui-même: « Prince, dit Harpagon, le visage tout blême, » Je vois couler sur toi des flots d'argent fondu; » Au bord du fleuve, on crie: « Éternité d'angoisses.. -Mais Satan répondit: « À peine tu me froisses; » C'est un chatouillement, un rien, qui fait pitié; » Le plus lâche des coeurs n'en fût pas effrayé! » -« Eh bien, » lui dit un autre, habile philosophe Qui, croyant son esprit d'une plus rare étoffe Que le vulgaire esprit, ici-bas, aux humains Expliquait de son Dieu les éternels desseins: « Je te suppose, moi, plongé dans les ténèbres, » Pleurant à tout jamais, sous ces voiles funèbres.. » Un rayon de lumière, un doux regard d'amour » De ce Dieu tout-puissant, créateur du vrai jour... » Un gros rire à ces mots fit trembler la vallée. A cet étrange bruit, la nombreuse assemblée Se rappela soudain cette folle gaîté Du monde, ancien berceau de leur félicité, Souvenir trop confus des seules jouissances Qui durent embellir leurs longues existences. -« Docteur, reprit Satan, orgueilleux animal, » N'est-on pas clairvoyant quand on est Dieu du mal? » D'ailleurs, mes yeux jamais, malgré leur nuit entière, » Ne pourront oublier la céleste lumière. » Moi, j'ai vu ce grand Dieu, qu'aujourd'hui je maudis; » Je suis un exilé d'un plus pur paradis. » Puis, en disant ces mots, des pleurs involontaires Malgré tous ses efforts tombaient de ses paupières. -« Bravo! victoire à nous! dit le vieux charlatan; » Je vous prends à témoin, j'ai fait pleurer Satan! -« Moi! reprit l'accusé; tais-toi, c'est un mensonge; » Sur ces larmes d'ailleurs je vais passer l'éponge; » Écoutez... » Et Satan, droit sur le roc obscur, Semblable à quelque orfraie au lambeau d'un vieux mur, Envoya dans l'espace un effrayant blasphème; Et sa voix rugissante, au trône de Dieu même, Comme un gémissement du boulet qui s'enfuit, Aux parvis de Sion vint s'éteindre sans bruit. A ce dernier effort, tombé de lassitude, Lentement il reprit sa première attitude. Et puis, interrogeant chaque mort à son tour, Il s'en vint demander l'avis d'un troubadour. « Ah! » dit cet amoureux, qui pleurait une amie Pour laquelle il avait sacrifié sa vie, « Pour qui saurait aimer, ciel! quel affreux tourment » Mon esprit en délire invente en ce moment! » Vois-tu, » disait l'amant, du doigt montrant au diable L'abîme tout fumant, l'abîme infranchissable, Où, par delà l'espace, un matin frais et pur Rayonnait de fort loin dans des plaines d'azur, « Suppose à l'horizon ton amante elle-même » Qui te tend les deux bras en te criant: Je t'aime! » Et toi vis-à-vis d'elle!... Éternité d'amour! » -« Eh bien, depuis l'enfer je lui ferais la cour, » Je dirais des douceurs, » ricana le génie. D'un rire général la sauvage harmonie Accueillit le plaisant, et l'amère gaîté Du monde que jadis ils avaient habité Réveilla chez les uns d'antiques souvenances. Hélas! et quelques-uns, oubliant leurs souffrances, S'entretenaient entr'eux des beaux jours d'autrefois, Des bals, des longs festins, des nocturnes exploits. Un seul, près de son verre accoudé, sans rien dire, A ce banquet de deuil ne semblait pas sourire. C'était un philanthrope.......... Il avait défendu sur notre terre inique Les droits, la liberté, même la république. Généreux au dehors, athée au fond du coeur, De tout aristocrate ayant la sainte horreur» Il n'avait pas douté, durant toute sa vie, Qu'il n'eût conquis l'Eden pour seconde patrie. Il était mort, rêvant un code universel, Croyant rendre par là service à l'Éternel. « Qu'as-tu donc, philanthrope?... interrompit le diable, » Ton humeur au banquet me semble détestable. -» J'ai trouvé ton tourment, prince! démon menteur! » Repartit le faux sage, enflammé de fureur. -» Eh bien, dit le démon, qu'a trouvé ta cervelle? » Parle! ta fiction peut-être sera belle. » Rigide doctrinaire, allons, fais-moi trembler. » Le sage s'accouda, cherchant à rappeler Ses anciennes douleurs, et les ingratitudes Qui vinrent couronner ses pénibles études; Puis, comprimant sa lèvre, avec un froid mépris; « Ton tourment, reprit-il, moi seul je l'ai compris. » Faire de son bonheur un sacrifice immense, » Qui, toujours méconnu, sans cesse recommence... -« Oh! cria le démon, en reculant d'effroi, » Un seul a pu le faire, et ce ne fut pas toi. » Ce fut l'Agneau de Dieu. » Le vain philosophiste, Méconnu dans l'enfer, se rassit pâle et triste. La cloche avait cessé; l'ange continuait; Inébranlable encor, de ses maux il riait. Mais soudain une voix commanda la souffrance. L'abîme de l'enfer s'entr'ouvrit en silence; Un long cri de douleur remplit l'immensité. Le mal s'était enfui. Tout était charité!... La Foi D'Enfance. ( Variantes) I Fille du crépuscule! Ombre à demi voilée Cache-moi sous les plis de ta robe étoilée. Par ta mélancolie et ton rêve amoureux, Tu sauras consoler le barde malheureux, A l'heure où l'astre d'or s'attiédit et décline, Derrière les sapins de la noire colline, Délaissant par degrés, dans un doux clair-obscur, Mon vieux lac qui soupire et sa rive d'azur. Là, souvent exilé des scènes de notre âge, Je foulais en pleurant les graviers du rivage, Avec la voix du siècle appelant l'avenir, Et le rêvant toujours sans jamais l'obtenir. Sublime poésie! ô parole profonde! Hymne qu'on doit à Dieu, qu'on prostitue au monde! J'écoutais attentif les accords désappris Que me disaient nos cieux et nos gazons fleuris. J'y cherchais des débris de divines pensées, Ces images de Dieu sur la terre effacées, Pâles rayons d'amour, rayons consolateurs, Qui n'arrivent à nous qu'en traversant nos pleurs. « Oh! disais-je aux sapins, aux plus pâles nuages, » L'amour reviendra-t-il habiter nos rivages? » Dans l'hymne universel qu'il faut chanter un jour » Jetterons-nous aussi notre note d'amour? » -« Non, » répondait mon coeur; et secouant la télé Je disais: « L'avenir n'a plus de jours de fête. » Liberté sans amour! triste orgueil du savoir! » Froides religions au temporel espoir, » Sur le monde actuel jetant de grandes ombres! » Et je reste étouffé sops ces pâles décombres! » Mais tu m'en retiras pour m'appeler à toi, » O Dieu! car tu m'appris qu'il me fallait la foi. » II Des rêves d'avenir que mon âme oppressée N'aille plus désormais fatiguer sa pensée! La fraîcheur de l'enfance et ses instincts naïfs Viendront seuls embellir mes rêves fugitifs. N'avez-vous pas, mon âme, au seuil de mon matin, Dans les parfums du ciel, aux fraîcheurs de l'Eden, Rêvé parmi les choeurs des âmes innocentes, Qui des secrets d'en haut seules sont confidentes? Oui! les jeunes enfants, archanges inconnus, D'un rivage sans nom sont les nouveaux venus. La fleur de la montagne, et les chaudes nuances Des automnes, pour eux, ne sont que souvenances. Qu'il essaie un sommeil, ou qu'il aille rêvant, Tout parle poésie au coeur du jeune enfant, Et la nature à lui secrètement unie Lui parle d'autres cieux et d'une autre harmonie! Il voit les clochers d'or, les portes de Sion, Des anges et des saints la blanche légion; Puis il tend ses deux bras, regrettant tous ces charmes, Et son oeil enfantin laisse tomber des larmes. Oh! si fraîche rosée! oh! pleurs du séraphin! Vous ne reviendrez plus rafraîchir notre sein! III Souvenirs du passé! silencieuses ombres, Qui glissez dans la nuit sous des feuillages sombres! Aujourd'hui je vous vois au chevet de mon lit Étendre vos deux mains sur mon front qui pâlit. Mais vous n'êtes pour moi que ces subtils fantômes, Dont se joua longtemps le caprice des hommes. Tels, sur les lacs blanchis par la lune du soir, Des vieillards trépassés, ensemble vont revoir Sous leurs manteaux tremblants leur antique hermitage, Leurs enfants endormis, le clocher du village, Et, remontant leur barque en quittant ces doux lieux, Murmurent sur les eaux de paternels adieux. Tels vous réapparaissez, doux souvenirs d'enfance! Mais la froide raison, le doute, la souffrance, Les rires soupçonneux d'un siècle sans amour De mon coeur refroidi vous bannirent un jour. IV Tout souvenir des cieux passe avec les années; Sous l'étreinte du temps, nos âmes ruinées Regagnent dans les pleurs ce bord d'éternité Que l'enfance en riant, jadis, avait quitté... Cercle mystérieux, triste et secret voyage Qui commence et finit dans la mer sans rivage. Aujourd'hui je me perds sur cet obscur chemin, Dont les extrémités n'ont ni soir, ni matin. Sur ce monde inconnu, rêveur et solitaire, J'ai beau me redresser: tout redevient mystère! V Eh bien, oui! c'est l'amour et sa chaste ignorance D'où fleurissait jadis ma première espérance! Purs instincts de l'enfant! foi naïve en son Dieu! Jusqu'au jour de la mort je vous dis mon adieu! VI Pour moi plus de fraîcheur, plus d'amours si naïves, Plus d'horizons si bleus, plus d'étoiles si vives! Plus de monts vaporeux à la suave pose, Noyés dans un lointain d'olivâtre et de rose, Où l'archange du soir, sous la vague clarté, M'entretienne d'amour et de l'éternité! Plus d'âme où vienne éclore à demi la pensée! Adieu! premiers trésors de là-haut descendus, Et que jusqu'au cercueil le poète a perdus! Mais que dis-je? Le Christ aussi nous purifie; Il aime l'homme simple et sans philosophie; Il aime les enfants! Le royaume des cieux N'est-il pas, dit Jésus, à ceux qui sont comme eux? Ah oui! soyons enfants pour devenir des anges, Et le Dieu de Sion recevra nos louanges. Amour, c'est le secret du Dieu juste, éternel. Tout se laisse expliquer par ce mot solennel. VII Ne crains plus d'exister! L'avenir, c'est l'enfance! Le plus vieux souvenir, la plus jeune espérance, Sont deux frères jumeaux, aux pas silencieux, Qui se mirent dans l'âme en marchant dans les cieux. Aussi l'homme souvent, sur les bords de sa route, Pose un doigt sur sa lèvre; en secret, il écoute S'il n'entend point descendre une réalité; Mais tout n'est qu'un soupir du vent d'éternité. Marchons fermes pourtant; gravissons la colline; Là, s'ouvre un horizon où la croix s'illumine; Là, sur les flots pressés d'un rivage éternel, Dans les gouffres de l'être idéal et réel, Dans l'abîme azuré de la pure lumière, Où ne descend jamais aucun bruit de la terre, Sous les plus frais cristaux de l'éternel matin, Dieu nous consolera des longueurs du chemin. Courons; sous nos manteaux fuyons les vents d'orages, Hâtons-nous, descendons vers d'amoureux rivages! Sur la Sion des cieux, le temps, lugubre oiseau S'abattra pour toujours et, dans ce jour nouveau, Les voyageurs lassés, que cette terre ennuie, Viendront se reposer au seuil de l'autre vie. Source: http://www.poesies.net