Poésies Et Chansons, Oeuvre Complète. Par Gaston Couté. (1880-1911) TOME III TABLE DES MATIERES Le Pantalon Du Cousin Jules. Le Patois De Chez Nous. La Paysanne. Petit Porcher. Petit Poucet. Les Petits Chats. Les Pies. Pourquoi? Pour Un Viol. Le Pré D'Amour. Les P’tits Oiseaux Chantaient Trop Fort. Renouveau. Le Sacrilege Impuni. Saoul, Mais Logique. Sapré Vin Nouveau! La Separation. Sera Celle Qui M’Aimera. Stances A La Chatelaine. Sur Le Pressoir. Sur Un Air De Reproche. Les Tâche. T'As-T'y Ben Fêté Mon Jacques? La Tête De Mort. La Toinon. Le Tournevire Aux Vaisselles. Le Trèfle A Quatre Feuilles. Un Bon Metier. Va Danser! Vengeance. Les Vignes Sont Gelées. Le Vilain Gas! Les Yeux Bleus. OEUVRES DE JEUNESSE. L'aveu. Ballade A Jehanne. La Bombe. Chanson De Messidor. La Chanson Du Gui. Comme Les Gaulois. Dans Vos Yeux. DE L'Influence Que Peut Avoir Un Simple Palmipède Sur Les Opinions Politiques D'un Brave Rentier. Le Deuil Du Moulin. Deuxième Lettre Ouverte. Les Ecus De La Vielle. Gueux. Le Gueux Des Grandes Routes. Idylle Rouge. «J'En Aurait Le Coeur Net!» Le Pauvre Gars. La Paysanne. Le Petit Qui Pleure. Le Plus Volé Des Deux. Pour Les Petits. Requiescat In Pace. La Rose De L'Absent. Son Dernier Bouquet. Sur La Grand'Route. Les Trois Chansons Du Carillon. Les Trois Quenouilles D'Audeberthe. Un Crêpe Au Bras. Une Lessive Qui Tombe Un Jour De Fête-Dieu. Valse Mystique. Variation Sur L'Air De Malbrough. Le Vieux Trouvère. Note. Le Pantalon Du Cousin Jules. J’suis d’un’ famill’qu’on estime honorable; Mon cousin est un garçon très capable, Et mon oncle un fort honnête épicier; Mais, ceci est incontestable, Ils manqu’nt de chic pour s’habiller: Refrain Le pantalon de mon cousin Jules Est beaucoup trop long, c’est bien ridicule. Le pantalon de mon oncle Éloi Est beaucoup trop court, il a l’air d’une oie. Lorsqu’il débit’ du sucre ou d’la chandelle, L’un est toujours à monter ses bretelles; Et quand l’aut’ part pour aller déposer Quelque chos’chez sa clientèle, Il est toujours à les baisser. L’premier n’trouv’ pas d’balayeur qui l’dégotte Pour ramasser la poussière ou les crottes, Et le second, lorsqu’il s’indigne après La tenu’ des dam’s en culotte, Fait voir le poil de ses mollets. Un jour que Jul’s s’était flanqué la cuite (C’est rare! et puis chez lui ça n’a pas d’suite!) Dans son grimpant il vint à s’oublier; Un jour seul’ment après... sa fuite Il vit ses souliers tout mouillés. L’été dernier, sur une très chic plage, Mon oncle put entendr’ sur son passage L’mond’qui disait: «Où sont donc les gardiens Pour interdire à ce sauvage D’passer en ville en cal’çon d’bain. Et si jamais un ami leur réclame La raison d’leur accoutrement infâme Ils répond’nt: «Si not’ culott’ fait pitié, C’est simplement pour que not’ femme Ne soit pas tenté’ d’la porter. Le Patois De Chez Nous. Dans mon pays, dès ma naissance Les premiers mots que j'entendis Au travers de mon «innocence» Semblaient venir du paradis C'était ma mère, toute heureuse, Qui me fredonnait à mi-voix Une simple et vieille berceuse, En patois... Le joli patois de chez nous Est très doux! Et mon oreille aime à l'entendre. Mais mon coeur le trouve plus doux, Et plus tendre! Dans mon pays, au temps des sèves, A l'âge où d'instant en instant, L'amour entrevu dans nos rêves Se précise dans le Printemps. Cueillant les fleurs que l'avril sème Un jour, pour la première fois, Une fille m'a dit: «Je t'aime» En patois... De mon pays blond et tranquille Quand je suis parti «déviré» Par le vent soufflant vers la Ville, Mes vieux et ma mie ont pleuré. Pourtant, jusqu'au train en partance M'ont accompagné tous les trois Et m'ont souhaité bonne chance En patois... Loin du pays, dans la tourmente Hurlante et folle, de Paris, Où ma pauvre âme se lamente Un bonheur tantôt m'a surpris! Des paroles fraîches et gaies Ont apaisé mes noirs émois: J'ai croisé des gens qui causaient Mon patois... La Paysanne. Paysans dont la simple histoire Chante en nos coeurs et nos cerveaux L'exquise douceur de la Loire Et la bonté -des vins nouveaux, (bis) Allons-nous, esclaves placides, Dans un sillon où le sang luit Rester à piétiner au bruit Des Marseillaises fratricides?... Refrain En route! Allons les gâs! Jetons nos vieux sabots Marchons, Marchons, En des sillons plus larges et plus beaux! A la clarté des soirs sans voiles, Regardons en face les cieux; Cimetière fleuri d'étoiles Où nous enterrerons les dieux. (bis) Car il faudra qu'on les enterre Ces dieux féroces et maudits Qui, sous espoir de Paradis, Firent de l'enfer sur la «Terre»!... Ne déversons plus l'anathème En gestes grotesques et fous. Sur tous ceux qui disent: «Je t'aime» Dans un autre patois que nous; (bis) Et méprisons la gloire immonde Des héros couverts de lauriers: Ces assassins, ces flibustiers Qui terrorisèrent le monde! Plus -de morales hypocrites Dont les barrières, chaque jour, Dans le sentier des marguerites, Arrêtent les pas de l'amour!... (bis) Et que la fille-mère quitte Ce maintien de honte et de deuil Pour étaler avec orgueil Son ventre où l'avenir palpite!... Semons nos blés, soignons nos souches! Que l'or nourricier du soleil Emplisse pour toutes nos bouches L'épi blond, le raisin vermeil!... (bis) Et, seule guerre nécessaire Faisons la guerre au Capital, Puisque son Or: soleil du mal, Ne fait germer que la misère. Petit Porcher. Il a dans les treize ans; chez eux, On est malheureux! Il a mis un brin de bruyère A sa boutonnière Et tristement s'en est allé Au pays du blé, A la louée où quelque maître Le prendra peut-être?... Petit porcher Ho!... T'es embauché!... Le maître charretier t'attend, pauvre petiot! Ho!... Les coqs ne chantent pas encor, Rien ne bouge, il dort Avec «la Noiraude» et «la Rousse» Dans l'étable douce, L'étable close où le fumier Tient chaud en janvier, Et tandis que l'aube se lève Il fait un beau rêve... Petit porcher Ho!... Faut dénicher! Le maître charretier a besoin d'un seau d'eau, Ho!... Sur la table où mangent les gens Au des champs On apporte une miche noire Et de l'eau pour boire. Il mord dans son triste chanteau Comme en du gâteau; Et ses yeux, tandis qu'il dévore Réclament encore!... Petit porcher Ho!... Assez mangé!... Le maître charretier a fermé son coutieau Ho!... Hier c'était la fête chez nous Les gâs étaient saouls: Ils ne sont rentrés qu'à l'aurore Demi saouls encore; Le charretier au vin méchant Jure, lui cherchant A tout propos un tas de noises, Bêtes et sournoises. Petit porcher Ho!... Faut pas broncher Le maître charretier a mis ses gros sabots Ho!... Ainsi toujours peinant, souffrant, Il deviendra grand; Et son tour enfin, viendra d'être Le charretier-maître Faisant peiner, faisant souffrir Un autre martyr Selon la routine suivie Puisque c'est la vie!... Petit porcher Ho!... Sera changé En maître charretier pour le porcher nouveau! Ho!... Petit Poucet. Puisqu’on ne trouve plus sa vie Au bout des sillons de chez nous, Un jour, j’ai dû quitter ma mie Pour la ville où pleuvent les sous; Et, ce jour-là, dans ma mémoire: Lit clos des contes du passé, J’ai vu se réveiller l’histoire, L’histoire du Petit Poucet. Refrain En partant chez l’ogresse, L’ogresse qu’est la vie, J’ai semé des caresses Pour retrouver ma mie! Poucet semait parmi les sentes Son pain bis et ses cailloux blancs. Sur le corps blanc de ma charmante Quel semis de baisers brûlants! Sur son front et ses yeux en fièvres, Sur son ventre et ses seins en fleurs, Le geste rose de mes lèvres A semé l’Amour de mon coeur. Plus tard, pour retrouver ma mie: «Où sont mes baisers d’autrefois?» Les baisers sont de blanches mies Sous le bec des oiseaux des bois. Plus un seul! sur sa chair impure, Un seul! de mes baisers brûlants! Tous sont partis sous la morsure Du baiser des autres galants! Ma mie qui ne se souvient guère Se rappelle pourtant qu’un jour, Je l’ai frappée dans ma colère D’une gifle de mon poing lourd. Elle me reproche ce geste Toujours avec la même ardeur. Le mal est un caillou qui reste Dans les pauvres sentiers du coeur! Les Petits Chats. Hier, la chatt' gris’dans un p'quit coin D’nout' guernier, su' eun' botte de foin, Alle avait am'né troués p'quits chats; Coumm' j’pouvais pas nourri' tout ça, J'les ai pris d'eun' pougné' tertous En leu-z-y attachant eun' grouss’ piarre au cou. Pis j’m'ai mis en rout' pour l'étang; Eun' foués là, j’les ai foutus d'dans; Ça a fait: ppllouff!... L'ieau a grouillé, Et pis pus ren!...Ils 'tin néyés... Et j’sé r'parti, chantant coumm' ça: "C'est la pauv' chatt' gris’qu'a pardu ses chats. " En m'en allant, j'ai rencontré Eun' fill’qu'était en train d’pleurer, Tout' peineuse et toute en haillons, Et qui portait deux baluchons. L'un en main! c'était queuqu's habits; L'autr', c'était son vent'e oùsqu'était son p'quit! Et j'y ai dit: «Fill', c'est pas tout ça; Quand t'auras ton drôl’su' les bras, Coumment don' qu’tu f'ras pour l'él'ver, Toué qu'as seul'ment pas d'quoué bouffer? Et, quand mêm' que tu l'élév'rais, En t'saignant des quat'vein's... et pis après? Enfant d’peineuse, i' s'rait peineux; Et quoiqu'i fasse i' s'rait des ceux Qui sont contribuab's et soldats... Et, - par la tête ou par les bras ou par... n'importe ben par où! - I' s'rait eun outil des ceux qu'a des sous. Et p't-êt qu'un jour, lassé d'subi' La vie et ses tristes fourbis, I' s'en irait se j'ter à l'ieau Ou s’foutrait eun' balle dans la pieau, Ou dans un bois i' s'accroch'trait Ou dans un «cintiéme» i' s'asphysquerait. Pisqu'tu peux l'empêcher d’souffri, Ton pequiot qu'est tout prêt à v'ni, Fill', pourqoué don' qu'tu n'le f'rais pas? Tu voués: l'étang est à deux pas. Eh! bien, sitout qu’ton p'quiot vienra, Pauv' fill', envoueill'-le r'trouver mes p'tits chats!...» Les Pies. Je suis un gâs du tour de France Qui chemine depuis huit jours Pour ner au bourg d'enfance Où nichent ses amours. J'ai le coeur gai comme un pinson En suivant le bord de la Loire, Mais soudain, malgré ma chanson, Voilà que j'ai des idées noires. Refrain A main gauche, vers les semeurs, J'ai vu s'envoler des pies: (A main gauche, c'est du malheur!) Et je songeais à ma mie! Que se passe-t-il de si grave A la maison vieille où fleurit La giroflée dessus la cave Et jusque dans le puits?... Je vois des gens noirs sur le seuil, Quatre chandelles allumées, Et, sur le bois blanc d'un cercueil, Les fleurs en croix des giroflées! Qu'arrive-t-il de si terrible?... Je vois ma belle allant au puits, Tous les soirs, quand le voisin crible L'orge pour l'écurie... Et cette gueuse, chaque fois, Lui jette un brin de giroflée: Il n'en restera plus pour moi, Pour fleurir mon jour d'arrivée. Ah! que ces choses sont affreuses! Mais, dis-moi que ça n'est pas vrai Et que les pies sont des menteuses O semeur des guérets?... - Ne zyeute pas de tous côtés, Passe, passe, le gâs qui passe! Laisse venir les destinées Et regarde la vie en face... Refrain A main gauche, vers les semeurs, J'ai vu s'envoler des pies. (A main gauche, c'est du malheur!) Et je songeais à ma mie! Pourquoi? Mes vieux, autant que j’m'en rappelle, Avint eun' bell’maison en tuile: l's m'él'vint coumme eun' demouéselle Et j'allais au couvent d'la ville, Pis, crac!... V'là les mauvais's années! La bell’ maison qu'est mise en vente, Toute ma famill’ qu'est ruinée, Et moué que j'm'embauch' coumm' servante... Pourquoué? pourquoué? Je l’sais't-y, moué... L’souleil se couch' sans dir' pourquoué! Adieu mon bieau corsag' de mouére! Faut qu’je pouille un cotillon d’serge, Et, v'là qu'un jour qu'i' voulait bouére, L’gâs au chât'lain rent'e à l'auberge; Je l’voués r'veni' le lend'main même Et, de l’vouér, v'là mon coeur qui saute! I' r'vient toujou's et v'là qu’je l'aime! Pourquoué c'ti-là putôt qu'eun aut'e?... Pourquoué? pourquoué? Je l’sais-t-y, moué? Les ros's fleuriss'nt sans dir' pourquoué! V'là que j'i cède et qu'i m'engrosse, Pis, i' s'ensauv' devant mon vent'e, N' voulant pas traîner à ses chausses L'amour douloureux d'eun' servante. Ah! l’scélérat, et quelle histouére! Mais dans l’vin rouge et pur des vignes, La dargniér' foués qu'il est v'nu bouére J'ai trempé des herbes malignes... Pourquoué? pourquoué? Je l’sais-t-y... moué? L'tonnerr' tomb' ben sans dir' pourquoué? Si j'avais fait coumm' la vouésine, Quand qu’son galant s'est tiré d’l'aile, Alle en a r'pris deux, la mâtine! Pourquoué qu’j'ai pas pu fair' comme elle? J’s'rais pas là, sous les yeux des juges, Ces homm's juponnés coumm' des femmes Qu'ensev'liss'nt un crim' sous l’déluge D'un tas d'aut's crim's 'cor pus infâmes. Pourquoué? pourquoué? Je l’sais-t-y, moué? Eux non pus, i's sav'nt pas pourquoué? Pour Un Viol. J'étais, quand c'tte affèr' m'a fait fout'e au d'dans, Calouche, songeux, cloch'patte et brèch'dents, Et j'sors de prison avec la mêm' touche: Brèche-dents, cloch'patt', songeux et calouche. Pourtant, y a Cath'rin', la femme au juré, D'pis que le jug'ment d'son homm' m'a taré, A' veut, avec moué, vouèr comment qu'ça s'joue, Refrain Et la v'là qui rit et qui m'donn' ses joues... Tiens don', gadoue! Et tra la la la la la! Pour un viol au coin du boués, Pasque j'étais laid et qu'j'avais pas d'filles, On m'a condamné; mais c'était pas moué... Et v'là qu'à présent j'ai toutes les filles, Pour un viol au coin du boués! Et pis y a la bell’chât'lain' du chatieau Qu'est lass’ des baisers polis d'bourgeouésieaux, Si lass’ que sa chair de vic's en désire L'étreinte baveuse et foll’ du satyre. Et la v'là qui m'suit par les ch'mins du boués Dans l'espouèr que j'vas r'nouv'ler mes explouèts Et qu'j'vas la rouler sur les feuill's éparses; Mais j'm'en dérang' pas... j'y fais c'tte bonn' farce! Ben fait, sal’garce!... Et tra la la la la la! Eune avait l'air blanch' coumme un mouès de Mai... Après tout, cell'-là j'aurais pu l'aimer; A' v'nait m'vouèr au bouès, dans l'après-dînée Qu'j'abattais les chên's à grands coups d'cognée. J'me trouvais trop nouèr pour causer d'amour, Fallait que j'essplique, et j'y dis un jour: "Moué, j'étais pour ren dans c'tte histouèr' pâs prop'e!" Et, depis c'jour-là, j'ai pas r'vu sa robe... Ah! la salope!... Et tra la la la la la! Fill's! v'avez tué l'amour d'un pauv' gâs D'pis l'jour ousque v'êt's tombé's dans ses bras; Car, tout en prenant vos baisers d'débauche, J'ai vu-z-au travers de vout' téton gauche, Qu'vout' coeur n'était ren qu'eun' butte d'fumier Su' qui qu'vous plantez des fleurs en papier Pour nous fère accrèr' qu'aux amours nouvelles Y pouss’des bluets et des roses belles... Bon guieu d'fumelles!.. Et tra la la la la la! Le Pré D'Amour. Lorsque Gros-Jean se maria, Londerira, Avec la coquette Toinette, En dot son père lui donna Un pré tout blanc de pâquerettes. Or, la Toinette le trompa, Londerira, Un beau soir sous les talles d'aunes Et, par le pré, soudain leva Un carré de boutons d'or jaunes. Quand Gros Jean s'aperçut de ça, Londerira, Tua le galant et l'amante Et, par tout le pré, ce jour-là Fleurirent des roses sanglantes. Maintenant oublis et frimas, Londerira, Ont fané les fleurs illusoires Et, dans le pré, sur le verglas, Rampent de grandes ronces noires. Les P’tits Oiseaux Chantaient Trop Fort. Voilà: ce matin je voulais Honorer d’un brin de romance L’éveil des nids pleins d’oiselets Et le doux printemps qui commence J’ai débouché mon encrier, Pris une plume et du papier Refrain J’ai voulu faire une chanson Mais tireli tirelirette Dans mon champ rempli de moisson Mais tireli tirelirette Les p’tits oiseaux chantaient trop fort (bis) Au bout des vers de ma chanson Tombèrent d’un vol unanime Fauvette, bouvreuil et pinson Dont le bec pilla chaque rime Et leur refrain assourdissant Étouffa le mien en passant. Ainsi ce soir auprès de vous Froissant nerveusement des roses Je cherche les mots les plus doux Pour vous dire certaines choses J’en trouve trop... qui sont très bien J’ouvre la bouche et ne dis rien. Refrain final Je voudrais vous causer d’amour Mais tireli tirelirette Dans mon coeur qu’enfête le jour Mais tireli tirelirette Les p’tits oiseaux chantent si fort (bis). Renouveau. Ben oui, notre amour était mort Sous les faux des moissons dernières, (la javelle fut son suaire...) Ben oui, notre amour était mort, Mais voici que je t’aime encor! Pan pan! pan pan! à grands coups sourds Comme lorsqu’on cloue une bière, J’ai battu les gerbes sur l’aire; Pan pan! pan pan! à grands coups sourds Sur le cercueil de notre amour Et pan pan! les fléaux rageurs Ont écrasé, dessous leur danse, Le bluet gris des souvenances (Et pan pan! les fléaux rageurs!) Avec le ponceau qu’est mon coeur! Dedans la tombe des sillons Quand ce fut le temps des emblaves, Comme un fossoyeur lent et grave, Dedans la tombe des sillons J’ai mis l’amour et la moisson Des sillons noirs un bluet sort Tandis qu’une autre moisson bouge; Avec un beau ponceau tout rouge, Des sillons noirs un bluet sort, Et voici que je t’aime encor! Le Sacrilege Impuni. La Mari’ s’en va-t’à l’office Y prier pour son bon ami Qu’v’là déjà un mois qu’est parti Au régiment prend’ du service. Comme elle mettait l’pied dans l’église L’facteur y donne un mot d’écrit, Un mot d’écrit qu’son bon ami Y’envoi’ d’ousqu’i’ fait son service. Ell’ rentre et prend de l’ieau bénite, Et pis s’ag’nouille, et pis s’assit En songeant à son bon ami Qui souffre loin d’elle, au service. Pendant ben longtemps ell’résiste Mais, à la fin, elle ouvre et lit Le billet doux d’son bon ami Qu’est en train de fair’ son service. Là-d’ssus, les vieux saints d’pierr’ frémissent Et le petit Jésus rougit D’voir la lett’ de son bon ami Qui l’aime en faisant son service. Pour la punir d’la faut’ commise Dieu décid ’qu’elle aura un p’tit Dans les neuf mois qu’son bon ami S’ra encore à fair’ son service. Mais, il envoya vers la p’tite Inutil’ment son Saint-Esprit, Car le gâs avait fait l’petit Avant que d’partir au service. Saoul, Mais Logique. N'me parlez pas de tous ces gens Qui crient à tout l’monde, après boire: «J's'rai décoré au jour de l'an!» Ou: «J'porte un nom qu'est dans l'histoire!» Moi, j’prends souvent mon p'tit plumet, C'est permis, même en République! Mais alors, je n' détonn' jamais... Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique! L'autre jour, un typ' très calé Me contait, en payant un verre, Qu'on doutait, du temps d'Galilée De la rotation d’la terre. "Croir' que la terr' ne tourne pas, Mais, nom de nom! que j'lui réplique, On s’saoûlait donc pas dans c’temps-là! " Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique! En rentrant chez moi, un beau soir Qu’mes jamb's me r'fusaient tout service, J'restai allongé su' l'trottoir "Eh ben!... m' fit un agent d’police Qu'attendez-vous-là su' l’pavé? " Et j'eus cett' réponse magnifique: "J'attendais qu’vous veniez m' rel'ver... " Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique! Sur le boul'vard, sous un vent fou Et par un temps froid de décembre, Un' petit' dam' me dit " Mon loup, Viens-tu? Y a du feu dans ma chambre! - Du feu dans ta chambr'!... Bon!... Alors Je s'rais enchanté qu’tu m'expliques Pourquoi qu’tu rest's à g'ler dehors... " Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique! En prenant l’train, gar' Saint Lazar', Un' fois qu’j'étais saoûl comme un' grive, Voilà qu’j'entends, à mon départ, Siffler une locomotive; Alors, par la portier' j’lui cri': " Tu peux pas la fermer... bourrique! On n'est pas dans un' écuri'. " Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique! Enfin, hier, mon médecin, Désolé d’me voir toujours ivre, M'dit: "Si vous continuez d’ce train Vous n'avez plus grand temps à vivre! " Bon! Si j’dois claquer prochain'ment J’m'en vais vous r'tirer ma pratique: Plus la pein' de m' soigner, maint'nant Quand j’suis saoûl, j’suis saoûl... mais logique! Sapré Vin Nouveau! Malgré la souéxantain' qu'est là, Poure c’qu'est d’la pogn' j'en crains point J’fais l’cric sous eun' vouéture ed’foin Et j’porte un sac ed’blé coumm' ça. Non, c'est pas les lutteux d’la fouére Qui m' f'rin toucher l'épaule à bas... ... Allons, buvons un coup, les gâs! C'est du p'quit vin, mais i' s’laiss’bouére. Ah! mon sapré p'quit vin nouvieau Qu'est 'core au bercieau! C'est don' qu’t'es déjà pus fort que ton père? Ah! mon sapré p'quit vin nouvieau Qu'est 'core au bercieau! Et que j'sens qui va, qui va m' fout' par terre! Moué, j’ses tétu coumme un mulet, C'que j'ai-z-en tét' j’l'ai pas aux pieds: Y a Jean-Pierr' qui veut s’marier Avec ma fille à qui qu’ça plait. "Non, mon vieux, tant pis si tu l'aimes! Moué ça m'va pas... tu l'auras pas!... ... Et pis, buvons un coup, mon gâs! Tu la veux?... j’te la donn' tout d’même!" Ah! mon sapré p'tit vin nouvieau Qu'est 'core au bercieau! C'est don' qu’t'es déjà pus fort que ton père? Ah! mon sapré p'tit vin nouvieau Qu'est 'core au bercieau, Et qui fout comm' ça mes projets par terre! Si queuqu'un m' fait des mauvais'tés J'garde un chien d’ma chienne à c'ti-là! Avec mon vouésin Nicolas J'ai pardu quand qu'on a plaidé; D'pis, i' vourait qu'on s'rapatrie... "Non, que j'dis, non! j’te r'caus'rai pas!... ... Eh! dis don', vouésin Nicolas? Viens trinquer, c'est moué que j’t'en prie! " Ah! mon sapré p'tit vin nouvieau Qu'est 'core au bercieau! C'est don' qu’t'es déjà pus fort que ton père? Ah! mon sapré p'tit vin nouvieau Qu'est 'core au bercieau, Et qui fout comm' ça ma rancun' par terre! Quand on compte, un sou c'est un sou! J'compte! et j'aim' pas donner c'que j'ai! C'est un traîneux qui veut loger Et qui dit qu'il a souéf comm' tout! «T'as souéf? Va bouére à la rivière, Et dans un fossé tu couch'ras... ... Non, reste icite et boués, mon gâs! Mais, boués don'!... que j'rempliss’ton verre!» Ah! mon sapré p'tit vin nouvieau Qu'est 'core au bercieau! C'est don' qu’t'es déjà pus fort que ton père? Ah! mon sapré p'tit vin nouvieau Qu'est 'core au bercieau, Et qui fout en moué l'intérêt par terre! La Separation. Réflexion D'Un Traîneux. Ah! bon! v'là d’quoué alleumer l’feu Pou' fer' ma popott' de traîneux: C’joumal qui roul’dans la venelle! Mais, avant, lisons les nouvelles: Bon guieu! Y a 'cor la guerr' là-bas. Ces pauv's Russ's lumérot'nt leu's memb'es. Quiens! Paraît qu'on cause à la Chambre D'séparer l'Eglise et l'Etat! L'Eglis’! quoué qu’ça peut êt' pour nous? Si gna un bon guieu qui fait tout, C'est don' li qui fait la misère Et les malheureux su' la terre? Mais, si l’bon guieu n'existe pas, Pourquoué entret'ni tout' leu' vie Les curés à dir' des ment'ries? Séparons l'Eglise et l'Etat! Mais l'Etat? Quoué qu’c'est don' itou? C'est les gendarmes su' not' dous Qui nous traqu'nt coumm' des bêt's sans gîte, C'est l’tas des mauvais jug's qu'acquittent Toujou's en haut, jamais en bas, Et c'est les loués qui sont matines Pour nous, pou's les gâs qui cheminent. Séparons l'Eglise et l'Etat! Z'yeutez par ci, z'yeutez par là: V'là c’qu'est l'Eglis’! v'là c’qu'est l'Etat! Qu'i's divorc'nt ou ben qu'i's s'raboutent, J'me d'mande un peu c'que ça peut m'fout'e: J'en s'rai-t-y moins peineux pour ça? C'est bon pou' les gens à leu-z-aise De s'occuper d’tout's ces foutaises. Séparons l'Eglise et l'Etat! Sera Celle Qui M’Aimera. Ronde Tout en dansant la ronde Héla! celui qu’est au mitan! Faut que tu nous répondes, Mais lorgne ben auparavant, Hé là! dis-nous laquelle Est la plus belle? Refrain La plus belle?... Dam’ je n’sais pas. La plus belle Sera celle Qui m’aimera Tout en dansant la ronde Oh! ces yeux que vous a Margot! Et la nuque si blonde De Suzon, quel nid à bécots! Et les lèvres de Lise, Quelles cerises! Toutes après la ronde, Margot comme Lise et Suzon, Se sont, au bout du monde, Ensauvées au bras d’un garçon; M’est restée la Mariotte Laide et boscotte. Dernier refrain La plus belle?... Eh ben! la v’là... La plus belle Sera celle Qui m’aimera! Stances A La Chatelaine. Madame, c'est moi qui viens. Moi, cela ne vous dit rien! Je viens vous chanter quand même Ce que mon coeur a rimé Et si vous voulez m'aimer? Moi: c'en est un qui vous aime! Oh! vos mains, dont les pâleurs Bougent, en gestes de fleurs Qu'un peu de brise caresse! Oh! vos beaux yeux impérieux! Un seul regard de ces yeux Dit assez votre noblesse! Vos aïeules ont été, Sous le grand chapeau d'été Fleuries comme un jour de Pâques, Marquises de Trianon, Et moi, fils de gens sans nom, J'ai des goûts à la Jean-Jacques! Votre parc est doux et noir: Il y ferait bon ce soir Pour achever ce poème Que mon coeur seul a rimé. Donc, si vous voulez m'aimer, J'y serai, moi qui vous aime! - Je chantais cela tantôt, Aux grilles de son château. A la fin, compatissante, Elle dit à son larbin: «Joseph, portez donc du pain Au pauvre mendiant qui chante!» Sur Le Pressoir. Sous les étoiles de septembre Notre cour a l'air d'une chambre Et le pressoir d'un lit ancien; Grisé par l'odeur des vendanges Je suis pris d'un désir étrange Né du souvenir des païens. Couchons ce soir Tous les deux, sur le pressoir! Dis, faisons cette folie?... Couchons ce soir Tous les deux sur le pressoir, Margot, Margot, ma jolie! Parmi les grappes qui s'étalent Comme une jonchée de pétales, O ma bacchante! roulons-nous- J'aurai l'étreinte rude et franche Et les tressauts de ta chair blanche Ecraseront les raisins doux. Sous les baisers et les morsures, Nos bouches et les grappes mûres Mêleront leur sang généreux; Et le vin nouveau de l'Automne Ruissellera jusqu'en la tonne, D'autant plus qu'on s'aimera mieux! Au petit jour, dans la cour close, Nous boirons la part de vin rose OEuvrée de nuit par notre amour; Et, dans ce cas, tu peux m'en croire, Nous aurons pleine tonne à boire Lorsque viendra le petit jour! Sur Un Air De Reproche. A l'assemblée du pays Quand j'étais petit, petit, Guère plus haut qu'une botte, Mon père, un bon paysan, Me disait, en me glissant Un gros sou dans la menotte: Refrain Tiens, p'tit gàs V'là deux sous pour ton assemblée... Tiens, p'tit gàs V'là deux sous, mais n' les dépens’pas. Avec les autres morveux Je courais, le coeur joyeux, Jusque sur la place en fête Ecoutant le carillon De l'inutile billon Qui tintait dans ma pochette. Les prestes chevaux de bois Obéissant à la voix Des orgues de Barbarie, Les chevaux de bois tournaient Habillés de beaux harnais Où brillaient des pierreries. Chez le marchand de gâteaux Installé dessous l'ormeau C'était la galette au beurre, Et les sucres d'orge blonds, Et la roue aux macarons Qu'une plume d'oie effleure! Devant tout ce Paradis Je restais abasourdi, N'osant rien dire et rien faire, Et je nais chez nous Pleurant, avec les deux sous Que m'avait donnés mon père. Ainsi, belle aux yeux charmants Qui dites m'aimer vraiment, Sans vouloir me laisser prendre Parmi votre corps rosé Ce que j'appelle un baiser, Prés de vous je crois entendre: Refrain Tiens, p'tit gâs V'là deux sous pour ton assemblée! Tiens, p'tit gàs V'là deux sous, mais n' les dépens’pas! Les Tâche. L'matin, au coup d’clairon des oés On saute à bas au grand galop, Et l'on s'en va-t-aux champs piocher Jusqu'à midi à nout' clocher. A midi, on casse un morceau Pis on r'pioch' tout le temps du tantôt. Le souér, on rentre à la maison Pour manger la soupe au cochon, Et, prés d'sa femme eun' foués couché, Avant d’dormi' faut 'cor... bûcher. Et v'là comm' ça qu'est cheu nous: On se r'pos’qu'un coup dans l’trou. On trim' comme eun' bête el’lundi, On fait la mêm' chous’le mardi, Et, pou se r'poser l’méquerdi, On fait comm' lundi et mardi; L'jeudi, à seul’fin d’se changer, On va vend’ son beurre au marché. Le venterdi et le sam'di On r'prend la tach' du méquerdi Et, l’dimanch' quand on prend du r'pous, On n' le sent pas pasqu'on est saoul. Et v'là comm' ça qu'est cheu nous: On se r'pos’qu'un coup dans l’trou. Tout l'hiver on bat à grands coups Su' l'air' des granges le blé d'août. Un coup qu'arrive el mois de mars On peign' les champs avec sa harse. Grobants sous l’souleil en été On fane el’foin, on fauche el’blé. En automne on coupe el raisin. On fait l'vin doux, on sème el’grain. Et quand que r'vient les moués d’janvier, Reste pas qu'à s'chauffer les pieds. Et v'là comm' ça qu'est cheu nous: On se r'pos’qu'un coup dans l’trou. Quand on est tout petit petiot On va-t-à l'écot' de l’hamieau. Quand qu'on attrap' douze à treize ans Faut s'en aller piocher aux champs. A vingt ans on sert sa Patrie, En s'en r'venant d’là on s'marie, On fait des petits à soun heure, On est patriote, électeur, Contribuabe!... et ça continue Jusque là ousqu'on n'en pouv' pus... Et v'là comm' ça qu'est cheu nous: On se r'pos’qu'un coup dans l’trou. T'as-t'y ben fêté, mon Jacques... T'as-t'y ben fêté, mon Jacques, La fêt' de la Libarté? T'as-t'y ben fêté, mon Jacques, T'as-t'y ben fêté? J'on envoueyé fout' la bon guieu d'ouvrage Qui press’coumme el diab'e à l'entré d’mouésson, Et pis, j’son partis traîner sous l'ombrage Ousque les pompiers buvint au poinson; On s’n'est mis dans l’col tant qu’j'en pouvint mett'e, Si qu’v'auriez vu ça quand qu'on s'est l'vé d’là!... I' disint: «Hu' mon Jacqu's!» et j'allint à dia! (Jusqu'à nous vieill's jamb's qui voulint pus d’maîte!) J'ons mis des lantarn's su' l’devant des f'nêtes Pour qu’l'Egalité trouv' son compte itou En fesant r'ssembler les maisons hounnêtes A d'auceun's maisons qui l’sont point en tout! Voueyons! core un r'frain! core eun' rinçounette! Pour bouére et chanter, parsounn'ne r'naclait: On lichait tertous après chaqu’couplet Et la Marseillais’servait d’Pomponnette! I' régnait partout la mêm' bounne entente: Nout' maire dit: «Je... je... je n' men rappell’pus!» Au bieau d'un discours plein d'phras's éloquentes Et j'ons fait: «Tant mieux!» nous qu'avions trop bu! C’brav' maire, ben qu'il 'tait itou coumme eun' boule, Par un coup qu’nout' vin s'en v'nait d’nous r'monter (C'est-y, voui ou non, d'la Fraternité?) A pris soun' écharp' pou' torcher nout' goule! Y a temps pour tout' chose, et c'est fini d'rire! T'es lib'e ed’cracher les impôts qu’tu doués: V'là m'sieu l'Parcepteur et sa grouss’tir'-lire! T'es l'égal de tous les peineux coumm' toué Qu'ont des gâs qu’nous faut pour fair': portez armes!... V'là l’major avec eun' toués sous son bras!... Et si tu r'chign's trop, mon Jacqu's tu goût'ras D'la Fraternité d’tes frèr's les gendarmes!... Le 14 juillet. La Tête De Mort. Un jour, en nant la terre D’un coin de c’champ-ci où, jadis, Se trouvait l’ancien cimetière Qui reçut les vieux du pays, En nant la terre nue, Au creux d’un sillon noir et d’or, Soudain, une tête de mort Buta dans mon soc de charrue. Et, prenant dans ma main calleuse, Afin de mieux l’examiner, Cette tête à grimace hideuse, Sans lèvres, sans yeux et sans nez, J’ai rêvé de filles jolies Aux lèvres donneuses d’amour, Aux yeux clairs comme un rai de jour, Pour qui j’aurais fait des folies. Voyant ce crâne à l’ossature Jaune et verte, et dont le cerveau Avait dû servir de pâture Aux vers qui vivent des tombeaux, J’ai rêvé d’un bourgeois très riche, Gros de ventre et fort d’appétit, Dont j’aurais servi, comme outil A faire le boire et la miche! Et jetant à travers la plaine Selon mon désir, n’importe où, Cette chose qui fut humaine, Comme on jetterait un caillou, J’ai rêvé d’un grand capitaine Qui m’aurait emmené mourir... Ou faire mourir, pour servir Son oeuvre de gloire et de haine! Mais, en r’trouvant soudain la tête Reposant en l’ombre d’un pré Comme vont reposer mes bêtes Lorsque mon champ s’ra labouré, J’ai rêvé du travailleur blême Pour qui l’existence est un poids, D’un pauvre bougre comme moi, Mort... comme je mourrons moi-même! Variante des quatre derniers vers J’ai rêvé d’un pauvr’ prolétaire Pour qui l’existence est un poids, D’un pauvre bougre comme moi, Et pieusement j’l’ai r’mise dans la terre. La Toinon. Paraît qu’la Toinon qu'est parti' coumm' bonne Pour aller sarvi' cheu des gens d'Paris S'appelle à pésent: Mame la Baronne; Moué, je suis resté bêtement au pays. Ça ne m'a jamais v'nu dans la caboche Ed’coller un "De" par devant mon nom... Et pourtant, du temps qu’j'étais tout p'tit mioche, J'allais à l'école avec la Toinon! A ses «tous les jours» all’port' robe ed’soie, All’sait s’parlotter à chaqu’mot qu'all’dit; Moué, je suis resté bête coumme eune oie, J'porte la mêm' blous’l’dimanche et l’sam'di. Tout' la s'maine, all’mang' d’la dinde à la broche; Moué, tout' moun anné', j’bouff' que du cochon... Et dir' que, du temps qu’j'étais tout p'tit mioche, J'allais à l'école avec la Toinon! All’reçoué cheu-z-ell’des moncieux d'la ville, Des gens coumme i’faut qui li font la cour... Et qui la fourniss'nt de bieaux billets d’mille; Moué, j’suis un pauv' gâs sans l’sou, sans amour! Ell', du moins, all’vit sans que l’monde i' r'proche; Moué, quand que j’bracounne, on m' fout en prison... Et dir' que, du temps qu’j'étais tout p'tit mioche, J'allais à l'école avec la Toinon! Ça m'gên' d’la vouèr riche et d’me vouèr si pauve, Ça m' saigne ed’songer qu'alle aime un tas d’gàs Qu'entr'nt avec leu's sous au fond d’soun alcôve Et qu'ont les bécots qu'all’me baill'ra pas... Aussi, j’dounn'rais ben tout c’que j'ai en poche: Ma pip', mon coutieau, mes collets d’laiton, Pour ét' 'core au temps oùsque, tout p'tit mioche, J'allais à l'école avec la Toinon! Le Tournevire Aux Vaisselles. Su' la grand’place, y a des baraqu's et des roulottes, Des bohémiens qu'ont des brac'lets d’cuiv' au pougnet, Et les p'tiots, du fin fond des seigl's ou des genêts Accourent avec de grous sous dans leux menottes. L'assemblée est jolie à plein; mais c’qu'est l'pus biau, C'est c’tourniquet là-bas, qu'a des vaissell's dessus, Des assiett's qu'ont des coqs roug's et verts peints dans l’cul, Des tass's pareill's! - Et qui qui prend un numério? - - Ah! les bell's tass's! Les bell's assiett's! En gangner une... C'est ça qu'aurait bon genr' su' l’dressoir à la mère... Et, pour prendr' el numério qui gangne... ou qui perd D'vant l’tourniquet qui gric', les p'tiots lâch'nt leux fortune. D'aucuns pard'nt. Et d'autr's gangn'nt eune assiette ou eun' tasse, Ceux là, d'vant les vaissell's qu’leux doigts vont tournaillant Trouv'nt qu'a font moins d'effet qu'a n'en f'sin cheu l'marchand Et tertous r'niffl'nt la galett' chaud’su' la grand'place. La galett' chaud’! La galett' qu'a du beurr' dedans - Un sous l'quarquier! La bonn' galette aux croustill's d'or -... Mais les p'tiots s'en r'tourn'nt cheux eux avec la creus'dent, Et c't'odeur de galett' qui les suit... Coume un r'mords... - M'man, j'ai pardu mes sous à mettre au tourniquet. - Qu'i geignouss'ront, la têt', dans l'devantiau des vieilles Et l’pèr' dira: - Hou! queux michants couyons qu’ça fait, Qui s'laiss'nt 'cor encancher par des foutais's pareilles! - Pourtant les p'tiots en s'ront p't'êtr' là quand i's'ront vieux. Du rest' el’père a jamais cessé d’fair' coume eux. Il tourne au long d’sa vie l’tourniquet aux vaissell's... Y a qu'les vaissell's qui chang'nt et all's n' sont pas pus belles. Il tourn' le tourniquet su' l'autel du curé Y a des paradis bleus qui nag'nt dans les assiett's, Des bons Gieux qui vous ouvr'nt leux bras pleins de bonté... Et quoué, tout c’que l’bagoût d’ces gâs-là sait y mett'. Il tourn' le tourniquet su' l’canon d’la patrie: Y a des souleils de glouér' dans des plats tricolores, Des couronn's de lauriers verts, des branch's de chên' d'or Et des band'roll's ousqu'est les dévis's héroïques! - Il tourn' le tourniquet su'l'dous d'son député Y a des tass's aux r'bords dorés, coum' des bell's promesses: V'aurez toujou' d’la soup' grass’dans vos tass's dorées Et mêm' du vin vieux pour dorloter vot' vieillesse! - Quand qu'il aura jité ses sous, ses gâs, sa vie Su' l'tourniquet qui tourn' pour le bien d'ceux qu'en vivent, Il pens'ra que la loi, la r'ligion, la patrie, C'est des imag's de fouér' dans des culs d'vaisséll’vide Et la Raison cri'ra d'vant li: La galette! chaude! Le Trèfle A Quatre Feuilles. Il faut abattre la moisson Et la serrer en gerbes grosses; Tous les gens solides se sont Loués chez les fermiers de Beauce. Au départ des gâs s’en allant Prendre leur place aux tâches blondes Les garçailles, à leurs galants, Ont dit à la ronde Refrain Faucheur, mon beau faucheur, Si vous trouvez un trèfle à quatre feuilles Gardez-le pour que je le cueille. Faucheur, mon beau faucheur, Ça porte bonheur! Mais au travers des chaumes roux Le trèfle à bonheur est bien rare Depuis qu’il pend à tous les cous Des belles dames qui s’en parent; Et tous les gâs, des champs aux prés, N’ont pu trouver, sous leurs faucilles, Qu’un brin du trèfle désiré Par toutes les filles. Un seul brin! Et tous les galants L’ont voulu pour sa bonne amie; Le fer des faux soudain sanglant S’est dressé dans les mains roidies. Et dans la Beauce aux longs champs plats Quand la moisson s’écarte et bouge Le brin de trèfle est encore là Tout rouge, tout rouge! Un Bon Metier. Pas ça, vieux gâs! V'là qu’tu prends d’l'âge, Faudrait vouèr à vouèr à t' caser; Tant qu'à faire, aut' part qu'au village, Pasqu'au villag' faut trop masser Pour gangner sa bouguer' de vie! Dis donc, ça n' te fait point envie?... Si j'étais que d'toué, j'me mettrais Curé! Tu f'rais tes class's au séminaire Où qu’nout' chât'tain, qu'est ben dévot, T'entertiendrait à ne rien n' faire; Et tu briff'rais d’la tête d’vieau, Du poulet roûti tout' la s'maine, En songeant qu’d'aucuns mang'nt à peine... Si j'étais que d’toué, j’me mettrais Curé! Et pis, quand t'aurais la tonsure, Tu rabed'rais vouèr au pat'lin Où qu’l'existenc’nous est si dure, Où qu'all’t' s'rait agréable à plein... Tu fourr'rais du foin dans tes bottes, Avec les sous des vieill's bigottes... Si j'étais que d’toué, j’me mettrais Curé! Tu prêch'rais l'abstinence en chaire, Et tu f'rais maigr' les venterdis... Tout's les fois qu’la viand’s'rait trop chère; Tu confess'rais l’mond’du pays Et, dans l’tas des fill's brun's ou blondes, Gn'en a pas mal qui sont girondes Si j'étais que d’toué, j’me mettrais Curé! Tu s'rais queuqu'un dans la commune; Monsieu l'Maire s'rait ben avec toué, Et j'profit'rais d’cette bonn' fortune Pour am'ner un ch'min d'vant cheu moué... Dam, fais c’que tu veux, j’forc’parsonne! Mais v'là l'bon conseil que j'te dounne: Si j'étais que d'toué, j'me mettrais Curé! Va Danser! Au mois d'août, en fauchant le blé, On crevait de soif dans la plaine; Le corps en feu, je suis allé Boire à plat ventre à la fontaine: L'eau froide m'a glacé «les sangs». Et je meurs par ce tendre automne Où l'on danse devant la tonne Durant les beaux jours finissants... J'entends les violons... Marie! Va, petiote que j'aimais bien; Moi, je n'ai plus besoin de rien!... Va-t'en danser à la frairie, J'entends les violons... Marie!... Veux-tu bien me sécher ces pleurs? Les pleurs enlaidissent les belles! Mets ton joli bonnet à fleurs Et ton devantier en dentelle: Rejoins les jeunesses du bourg Au bourg où l'amour les enivre; Car, si je meurs, il te faut vivre... Et l'on ne vit pas sans amour! Entre dans la ronde gaiement; Choisis un beau gâs dans la ronde, Et donne-lui ton coeur aimant Qui resterait seul en ce monde... Oui, j'étais jaloux cet été Quand un autre t'avait suivie; Mais on ne comprend bien la vie Que sur le point de la quitter... Après ça, tu te marieras... Et, quand la moisson sera haute, Avec ton homme au rude bras, Moissonnant un jour côte à côte Vous viendrez peut-être à parler, Emus de pitié grave et sobre, De Jean qui mourut en Octobre D'un mal pris en fauchant les blés... Vengeance. Me voici que j’entre au bourg, Tiens, mais cette grande rue Ne m’est-elle pas connue? Mais si da! c’était un jour, Mon coeur était jeune et tendre: Une fille vint le prendre! Et ce gros homme ventru Ne l’ai-je pas déjà vu? Ah! c’est l’épicier du coin! Qui m’a refusé sa fille En disant: «Je ne veux point D’un tel gueux dans ma famille!» Puisque l’on a marié Proprement la demoiselle Au comptoir qui donc m’appelle? - C’est la femme à l’épicier Qu’une chaude quarantaine Pousse aux pires prétentaines! Quand on a pas ce qu’on veut, Il faut prendre ce qu’on peut! La conjointe à l’épicier M’offre, à défaut de la fille, Pour rentrer dans la famille Un chemin déjà frayé, Et me voici donc, en somme, Plus que proche du brave homme A qui je laisse goûter Cette étrange parenté Les Vignes Sont Gelées. La vendange s'annonçait belle Et l'espoir, pour nous, En sourires de fleurs nouvelles S'ouvrait au bout des jeunes pousses, Mais, cette nuit, la lune rousse A fait de ses coups! Mon bel ami, les vignes sont gelées! Tes deux arpents si verts sur le coteau, Faut pas y songer! Si l'on ne boit pas de vin cette année, On boira de l'eau! Si ta belle vendange est morte La nuit du grand froid, Nos vingt ans toujours bien se portent! Les bourgeons roulent sous les souches Mais il reste encor sur ma bouche Des baisers pour toi! Oui, nous n'irons pas en vendange Dans les arpents blonds Lorsque viendra la mi-septembre, Mais dans le champ de nos caresses, L'an tout au long, sans fin ni cesse, Nous vendangerons! Le vin doux dont l'âme pétille Ne jaillira pas Du pressoir aux rondes sébilles, Mais de ton coeur tendre et farouche, Comme du creux d'un pressoir rouge L'Amour jaillira! Le Vilain Gas! Ohé! Là-bas, Vous qui dansez en rondes claires, Écoutez ça: c’était un pauvre gâs! Au temps des contes de grand’mères, C’était un rustaud si laid, Si laid, si pauvre, et si bête Que, pour danser dans les fêtes, Nulle fille n’en voulait! Ohé! Là-bas, Vous qui tournez par couples roses, Écoutez ça: c’était un pauvre gâs! Ses vingt ans murmuraient des choses Et son coeur n’était point sourd. Il en eut telle souffrance Qu’il mourut, un soir de danses, Au son des crincrins d’amour. Ohé! Là-bas, Vous qui savez les baisers tendres, Écoutez ça: c’était un pauvre gâs! Le vieux sonneur alla descendre Son méchant corps au tombeau. Mais du froid cercueil de planches Son coeur, au temps des pervenches, Monta vers l’amour nouveau. Ohé! Là-bas, Vous qui passez, les gais dimanches, Écoutez ça: c’était un pauvre gâs! Son âme prit corps de pervenche... Et, comme une fille allait Vers les danses coutumières, Cueillit la fleur printanière Pour la mettre à son corset... Ohé! Là-bas, Vous qui tournez en rondes claires, Écoutez ça: c’était un pauvre gâs!... Les Yeux Bleus. A une dame aux yeux noirs Vous m'avez dit dans un sourire, Que les yeux bleus (souvent songeurs), Semblaient refléter et décrire Les intimes penchants des coeurs. Vous m'avez dit - lèvres sincères - Que vous aimiez ce bleu profond, Où vos yeux trouvaient plus sévères Ces regards où tout se confond. Ces regards fixes qui résument La haine ou la joie ou l'amour, Ces regards bleus qui vous consument Et font tout un siècle d'un jour. Vous les adorez, chère Dame, Aussi je les chante pour vous, Mystique, divine est leur flamme; Vous les trouvez si doux.., si doux! Vous m'avez dit dans un sourire Que ces yeux dictaient les espoirs. Pourtant... (laissez-moi vous le dire) Pourquoi vos beaux yeux sont-ils noirs? OEUVRES DE JEUNESSE. L'aveu. (Sonnet) A Ma Dame. Ton âme avait alors la blancheur des grands lys Que berce la chanson des vents rasant la terre; L'Amour était encor pour toi tout un mystère, Et la sainte candeur te drapait dans les plis De sa robe... Ce fut par les bois reverdis, A l'heure où dans le ciel perce la lune austère. Je te vis, je t'aimai, je ne pus te le taire Et tout naïvement alors je te le dis. Tu fixas sur mes yeux tes yeux de jeune vierge, Brillants de la clarté douce et pure d'un cierge, Ton front rougit.... tu n'osas pas me repousser. Et l'aveu tremblotant, dans un soupir de fièvre, S'exhala de ton coeur pour errer sur ta lèvre, Où je le recueillis dans un premier baiser. Pierre Printemps Moulin de Clan, août 1897. Ballade A Jehanne. Jehanne la pastourelle au cotillon de laine, Un soir qu'elle gardait ses moutons dans la plaine, Mystique, au bas du vieux clocher de Domrémy, Ouît de saintes voix qui voltigeaient parmi Les blés en deuil, et les bluets aux yeux en larmes Et les coquelicots saignants: «Ma fille, aux armes!» Criaient les voix: «Il faut obéir au bon Dieu, Ma fille, mets l'épée à la main, dis adieu Aux tiens, et va porter ces mots de délivrance: - L'Anglais sera bouté hors de la doulce France!... Alors Jehanne quitta son cotillon de laine Et laissa ses moutons au milieu de la plaine, Pour chevaucher au loin, bien loin d'eux, en habit De fer, allant combattre et chasser l'ennemi. Elle arriva devant Orléans plein d'alarmes, Hérissé de bastions, flanqué de tours «aux armes!... Sus!... en avant!...» fit-elle, ardente, l'oeil en feu, Piquant son destrier et levant au ciel bleu Son étendard baisé par les vents d'espérance: - «L'Anglais sera bouté hors de la doulce France!... Jehanne ne remit plus son cotillon de laine, Et mourut sans revoir ses moutons, dans la plaine Où les blés bruient au loin, tel le flot endormi De la mer... Quand il eut bien souffert et gémi, Son beau corps fut brûlé, mais, comme sous des charmes Puissants, un cri partit dans le royaume: «Aux armes!... Aux armes!...» Fils des preux d'antan qui faisaient voeu De vaincre ou de périr! Bon peuple! Jehanne veut Vous bénir tous!... Finis sont vos jours de souffrance! - L'Anglais sera bouté hors de la doulce France!... Envoi: Bonne Lorraine, hélas! quand crieront-ils: «Aux armes!.. Tes neveux du pays de l'Est, là-bas, un peu, Dans la brume... Espérons! car ta chère âme peut Faire luire pour eux l'astre de la délivrance. - Et bouter l'Allemand hors de la doulce France!... Gaston Koutay La Bombe. (Conte fantaisiste) Les agents sont de braves gens (Yon-Lug) Hier soir à la sortie des ateliers, deux ouvriers se promenaient paisiblement sur le trottoir, causant entre eux et fumant leurs cigarettes. Soudain l'un d'eux s'écria en s'adressant à son camarade «Mon vieux, avec Erness on a fait une bombe, une bombe à tout casser!» Un bon bourgeois recueillit avec effroi cette bribe de conversation et s'en alla la porter, aussi terrifié que s'il eût porté une marmite à renversement, à un sergot qui dormait à côté d'un bec de gaz. «Ils ont fait une bombe, ceux-là», fit-il, très pâle, au représentant de l'autorité qui ouvrit les yeux. «Comment ça... Ils ont fait une bombe!... Les attentats a... narchistes vont reprendre... Gare à nous!...» s'éclata le sergot devenant violent. Et après avoir rassemblé une douzaine de ses camarades pris de peur comme lui, il arrêta avec toutes les précautions possibles les deux paisibles ouvriers qui se promenaient sur le trottoir causant entre eux et fumant leurs cigarettes. Et les deux infortunés ont couché au violon; on les a relâchés au jour, il est vrai... Mais vous avouerez qu'il est un peu dur de passer une nuit sur la paille parce qu'on en a passé une autre à s'amuser... et faire la bombe. Gaston Coûté. Chanson De Messidor. Dame (1)! vois-tu les grands blés d'or Sous les couchants de Messidor Saillir longs et droits de la glèbe. Ils ne sont pas encor si longs Que les flots de tes cheveux blonds Où je cache mon front d'éphèbe. Dame! écoute la voix du vent Dont l'aile caresse en rêvant Une par une chaque tige. Elle est moins vibrante d'émoi Que ta chanson qui fait en moi Courir des frissons de vertige. Dame! regarde voltiger Les abeilles en l'air léger Et se reposer sur les roses. Leur miel plein d'arôme est moins doux Que le baiser pris à genoux Sur tes lèvres fraîches écloses. Dame! en ton geste noble et lent Cueille un coquelicot sanglant Pour l'épingler sur ta poitrine. Il est moins rouge que mon coeur Quand ton rictus aigre et moqueur Le met en doute ou le chagrine... Août 1897. La Chanson Du Gui. Le soir étend sur les grands bois Son manteau d'ombre et de mystère; Les vieux menhirs, dans la bruyère Qui s'endort, veillent, et des voix Semblent sortir de chaque pierre. L'heure est muette comme aux temps Où, dans les forêts souveraines, Les vierges blondes et sereines Et les druides aux cheveux blancs Allaient cueillir le gui des chênes. Réveillez-vous, ô fiers Gaulois, Jetez au loin votre suaire Gris de la funèbre poussière De la tombe et, comme autrefois, Poussez votre long cri de guerre Qui fit trembler les plus vaillants, Allons, debout! brisez vos chaînes Invisibles qui vous retiennent Loin des bois depuis deux mille ans. Allez cueillir le gui des chênes. Barde, fais vibrer sous tes doigts Les fils d'or de la lyre altière, Et gonfle de ta voix de tonnerre Pour chanter plus haut les exploits Des héros à fauve crinière Qui, devant les flots triomphants Et serrés des légions romaines Donnèrent le sang de leurs veines Pour sauver leurs dieux tout puissants Et le gui sacré des grands chênes. Envoi Gaulois, pour vos petits-enfants, Cueillez aux rameaux verdoyants Du chêne des bois frissonnants Le gui aux feuilles souveraines Et dont les vertus surhumaines Font des hommes forts et vaillants. Cueillez pour nous le gui des chênes. Copie d'une production polycopiée portant le cachet du lycée d'Orléans en date du jeudi 17 décembre 1896 Seconde moderne. Comme Les Gaulois. A Da Costa. Partout, sans cesse, on nous reproche D'aimer trop l'amour et le vin. Si notre coeur n'est pas de roche Pour les filles au corps divin, Si nous remplissons notre verre Pour le vider souventes fois, Français! nous n'y pouvons rien faire Car c'est de la faute aux Gaulois. Les vieux Gaulois, nos joyeux frères, Pour se reposer des combats Faisaient en leurs sombres repaires Les plus gais festins d'ici bas Dont les bruits aux ailes légères Aient jamais rempli les grands bois... Nous sommes les fils de nos pères! Nous sommes les fils des Gaulois! En leurs coupes la Vierge blonde Versait l'hydromel à pleins bords, Et chacun buvait à la ronde Le nectar que buvaient les morts, Au Walhala grave, en des crânes Pour récompenser leurs exploits... Et nous!... par respect pour leurs mânes Nous faisons comme les Gaulois! Le barde chantait sur sa lyre Les passes d'armes et d'amour Que les convives en délire Racontaient chacun à leur tour: Et l'ombre magique et sonore Redisait l'écho de leurs voix... Qui trouve mal qu'on fasse encore Ce que faisaient les vieux Gaulois? Maintenant, si l'on nous reproche D'aimer trop l'amour et le vin, De n'avoir pas un coeur de roche Pour les filles aux corps divin, Et d'emplir aussi notre verre Pour le vider souventes fois Qu'ils aillent se faire lanlaire Ceux qui nous trouvent trop... Gaulois! Moulin de Clan, août 1897. Dans Vos Yeux. Dans vos yeux J'ai lu l'aveu de votre âme En caractères de flamme Et je m'en suis allé joyeux Bornant alors mon espace Au coin d'horizon qui passe Dans vos yeux. Dans vos yeux J'ai vu s'amasser l'ivresse Et d'une longue caresse J'ai clos vos grands cils soyeux. Mais cette ivresse fut brève Et s'envola comme un rêve De vos yeux. Dans vos yeux Profonds comme des abîmes J'ai souvent cherché des rimes Aux lacs bleus et spacieux Et comme en leurs eaux sereines J'ai souvent noyé mes peines Dans vos yeux. Dans vos yeux J'ai vu rouler bien des larmes Qui m'ont mis dans les alarmes Et m'ont rendu malheureux. J'ai vu la trace des songes Et tous vos petits mensonges Dans vos yeux. Dans vos yeux Je ne vois rien à cette heure Hors que l'Amour est un leurre Et qu'il n'est plus sous les cieux D'amante qui soit fidèle A sa promesse... éternelle Dans vos yeux. Pierre Printemps (1897). DE L'Influence Que Peut Avoir Un Simple Palmipède Sur Les Opinions Politiques D'un Brave Rentier. Vous ne l'avez pas connu, vous, Monsieur Patafiol? C'est regrettable, car il vous aurait paru, certes, très intéressant, surtout quand il développait ses théories (aussi changeantes que les figures d'un kaléidoscope) sur la question sociale. C'était du reste un bien brave homme, et je puis vous certifier que, dans le cours de sa longue existence, il n'a jamais fait un centime de tort à son prochain (qu'il s'est toutefois bien gardé d'obliger). C'était le vrai type du petit rentier égoïste. De plus - il ressemblait en cela à bon nombre de nos politiciens fin de siècle - il avait le privilège de changer d'opinions aussi facilement que de chemises, qu'est-ce que je dis là?, aussi facilement, c'est une manière de parler, car Madame Patafiol, pour restreindre les frais de blanchissage, ne lui donnait une chemise propre qu'une fois par mois, le dimanche où il la conduisait à la grand'messe, et à de telles conditions vous ne vous étonnerez pas que souvent le brave homme tournait sa veste avant d'avoir changé de linge sale. A l'époque où il fut victime d'une petite aventure que je m'efforcerai de vous conter, il était abonné à un certain «Courrier...», organe de l'évêché, journal quotidien politique, littéraire (oh! combien...), agricole, industriel et financier, et naturellement le brave homme «tombait» toujours du même avis que «son» journal. Il glorifiait bien haut l'évêque et sa suite, accusait les républicains d'avoir fraudé aux dernières élections, et au besoin les traitait du haut en bas. Mais on ne peut pas toujours invectiver les gens du matin au soir, c'est un métier qui devient fatigant. M. Patafiol choisit comme autre genre de distraction la pêche à la ligne. Tous les après- midis, il se rendait au bord du ruisseau, un peu «au-dessus» du moulin, et là, se livrait à l'attrayant plaisir de tremper du fil dans l'eau. Il s en nait régulièrement bredouille car les poissons étaient aussi rares à l'endroit qu'il avait choisi (permettez-moi la comparaison) que les cheveux sur sa tête, ce qui n'est pas peu dire, le brave homme ayant le dessus du crâne aussi nu, aussi poli, que la face postérieure d'un quadrumane. Or un beau jour il vint à sa place habituelle, s'assit sur l'herbe comme de coutume, assujettit ses lunettes sur son nez, amorça avec un ver de terre, jeta sa ligne au beau milieu de la rivière, tira son journal de sa poche, jeta un coup d'oeil sur une bande de canards dont les plongeons troublaient la tranquillité de l'onde, et se plongea lui-même dans la politique. Son journal avait le monopole d'être très intéressant, des fois... pas toujours (il serait plus exact de dire: pas souvent). Justement, ce jour-là il était encore plus vide de faits et plus mal rédigé que de coutume, si bien que, la chaleur aidant, notre homme ne tarda pas à s'endormir, laissant échapper des ronflements d'ogre ou d'orgue (comme il vous plaira). Il lâcha sa ligne qui s'en alla à la dérive, le fil s'accrocha dans les nénuphars, le ver revint à la surface. Aussitôt, un canard, par l'odeur alléché, se précipita goulûment (la sale bête) sur l'infortuné lombric qu'il avala d'une seule bouchée, puis, satisfait de son aubaine, il voulut ner vers ses compagnons, mais il ne put, et pour cause, il avait avalé l'hameçon. Le réveil fut triste. M. Patafiol, en se frottant les yeux, aperçut le meunier (son plus grand ennemi politique), qui accourait vers lui, criant, la face pourpre de colère «Espèce de feignant! Faut pus t'gêner. Si tu veux que j't'aide à prend' mes canards à la ligne!» M. Patafiol, forcé de s'incliner, fit des excuses, paya le malheureux volatile dont on ne put extraire l'hameçon ancré dans les intestins, et tout en s'en allant la tête basse par les sentiers fleuris, sa sainte bouche prononça une bordée d'injures à faire rougir le plus mal embouché des francs-maçons, contre un N... de D... de journal qui l'avait endormi. Quelque temps après, il remplaça la feuille de l'Evêché par le «Radical», chauffa la candidature aux élections municipales du meunier aux canards (maintenant son ami sur le terrain politique) et ne conduisit plus Madame Patafiol à la messe... jusqu'à ce qu'un nouveau revirement s'opérât en lui. Et il est mort, trois ans après, le cher homme, après avoir changé cinq fois encore d'opinions politiques. Pour un mois ou deux je crois que le Bon Dieu aurait dû le laisser vivre jusqu'à la demi- douzaine. Le Deuil Du Moulin. Le vieux meunier dort, au fond d'un cercueil De chêne et de plomb, sous six pieds de terre, Et, dans le val plein d'ombre et de mystère, Le moulin repose en signe de deuil. La nuit a drapé ses murs de longs voiles Crêpes aux plis noirs et silencieux, Et sur le velours funèbre des cieux Roulent des pleurs d'or tombés des étoiles. La voix du vent dit, dans les roseaux roux, Un hymne au bon Dieu pour la paix de l'âme Du défunt, et l'onde égrène sa gamme, Lente comme un glas, sur de gros cailloux. Les saules ont mis leurs branches en berne Au bord du ruisseau, dans l'obscurité, Et le sentier même est comme attristé Par l'air douloureux et lourd qui le cerne. Et le vieux moulin, le pauvre moulin Dont le maître est mort un matin d'automne, Gît parmi les champs, sous la lune atone, Seul et délaissé comme un orphelin. Gaston Koutay Meung-sur-Loire, mars 1897 Revue littéraire et Sténographique du Centre, n° 8, du 8 avr l 1897 Deuxième Lettre Ouverte. Monsieur le Curé, Je ne suis pas précisément de vos fidèles les plus pratiquants et vous ne me voyez pas souvent assister à la messe, me confesser, communier à la sainte table, mais malgré la divergence de nos idées sur l'opération du Saint-Esprit, vous me permettrez néanmoins de publier un plaidoyer en votre faveur. Figurez-vous que de mauvaises langues veulent vous faire passer pour cabaretier et prétendent que dans votre «Cercle Saint-Joseph» vous vendez des bouteilles de bière et de limonade. Si le fait était vrai, comme vous ne payez point patente, vous feriez ainsi aux débitants du pays une concurrence dont ils auraient droit de se plaindre. Je ne peux pas souffrir qu'une pareille accusation pèse sur vous, car je sais que vous vous désintéressez des biens matériels d'ici- bas; vous n'aimez ni l'argent, ni les profits, ni les petits cadeaux (à moins qu'ils n'aient pour but d'entretenir l'amitié) et à vous tout seul, vous surpassez Job et saint Martin. Je m'inscrirai toujours en faux contre ceux dont l'audace prétend que vos petites soirées du «Cercle Saint-Joseph» vous rapporte bon an, mal an, une somme assez rondelette. J'irai même jusqu'à dire que vous payez des droits à la Société des auteurs et compositeurs dramatiques pour les pièces que l'on joue sur votre scène. Une chose cependant m'intrigue et je vous la dirai aussi franchement que si j'étais dans l'ombre sainte du confessionnal: Pourquoi changez-vous parfois les titres et modifiez-vous le texte des pièces en question? Il est probable que vous ne manquez pas d'en avertir les auteurs en leur expédiant par mandat-poste, le montant de leurs droits. Quant à la sortie de vos spectacles, si les jeunes gens et les jeunes filles entretiennent des conversations en regagnant nuitamment leurs demeures, c'est certainement sur le Saint-Rosaire et autres sujets pieux que portent leurs dialogues. D'ailleurs, Monsieur le Curé, ne leur prêchez-vous pas l'exemple de toutes les vertus? Vous qui êtes de ceux qui marchent bien heureux, chastes et immaculés dans la voie du Seigneur: Beati et immaculati qui ambulant in via Domini. Quand on mène, comme vous, M. le Curé, une vie d'abnégation et d'ascétisme, on n'entasse rien dans son coffre-fort: heureusement que vous n'avez pas de filles à doter ni de fils à caser. Après cette apologie de votre personne et de votre caractère, je puis bien risquer une remarque sans méchanceté: Je trouve que votre costume de curé avec large chapeau et ample manteau, donne trop beau jeu aux mauvais plaisants qui vous accusent déjà de tenir un cabaret et qui vous comparent au fameux chansonnier Aristide Bruant, ancien seigneur du «Mirliton». Il est vrai que, si vous aviez sa cravate rouge et ses larges bottes, vous lui ressembleriez un peu tout de même, Monsieur le Curé. J'espère que vous me pardonnerez volontiers cette plaisanterie, à moi qui, sur tous les autres points, me suis fait votre avocat, sans même vous demander d'honoraires. Agréez, Monsieur le Curé, etc. Revue littéraire et Sténographique du Centre, n° 8, du 8 avr l 1897 Les Ecus De La Vielle. (Comédie en un acte de Gaston COUTE) La mé Rapiat Le pé Rapiat La vieille tante Le maître Narcisse La scène représente une vaste cuisine de campagne. C’est Dimanche. - La famille Rapiat vient de finir de déjeuner. La fille est montée dans sa chambre pour faire sa toilette; la mé dessert la table et cause avec le pé qui fume sa pipe; la vieille tante reste immobile sur sa chaise, les yeux bestialement rivés au fond de son assiette vide. Au moment où le rideau se lève, on voit Julie ouvrir une porte et disparaître. Le pé Rapiat Dis donc la mé, où donc que c’est qu’est partie Julie? La mé Rapiat Je crois ben qu’alle a été faire un brin de toilette parce que le gâs au maître Narcisse doit venir la chercher ce soir pour aller au bal. Le pé Rapiat Ah! Ah!... Tiens mais, comme je vois, ça fait mine de marcher les amours. Le gâs en pince pour not’fille, y a pas de doute, et dam! not’fille... La mé Rapiat ... M’étonnerait pas qu’alle en pince itou pour le gâs! Le pé Rapiat Bah! laisse donc faire, c’est ce qui nous faut. La mé Rapiat Ben sûr que c’est ce qu’i’nous faut. Le pé Rapiat Ça n’a pas l’air d’être un mauvais garçon; on le dit seulement un peu dur comme ça avec les domestiques mais bah! quand même que ça serait vrai, quoi que ça peut faire: pour qu’une femme soit heureuse en ménage, faut que son homme la batte de temps en temps, pas vrai, la mé! Et pis tout ça c’est ren, c’est négligeable; cé qu’est à regarder de pus près c’est que son père est le pus riche fermier de cheu nous. La mé Rapiat Le pus riche!... ah oui, l’pus riche!... Persounne saurait dire comben qu’il l’est. Il a un champ à côté de celui à Pierre, il en a un autre à côté de c’ti-là à Jacques, il en a un à côté de celui à tout le monde, il en a partout! Le pé Rapiat Et pis, tu parles de la terre! Je veux ben que c’est que’qu’chose déjà, mais a’n’hui que ça a ben pardu de sa valeur faut considérer que c’est le moindre de tout ce qu’i’possède, le bonhom’. Il a des maisons d’éparpillées dans tout le bourg; il a dans son coffre... ah dam! ça je le savons pas, mais je sommes certains que y en a pus que dans le nôtre... et des actions su’les chemins de fer... La mé Rapiat Et des héritages à faire... Le pé Rapiat Mais voui, tiens encore, je songeais pas à ça... Ah bon Dieu!... si jamais on peut la caser là, not’Julie, a pourra se vanter d’être chouettement casée. La mé Rapiat Oui mais, ça sera pour en arriver là que ça sera peut-être pas commode... On dit le maître Narcisse un peu regardant, un peu près de ses intérêts et dam! pourrait ben se faire qu’i’ne se laisse pas faire tout seul! Le pé Rapiat Je sais ben, je sais ben! mais il est fin, va, le bonhomme. Il est comme nous, i’s’attend... i’... i’compte sur autre chose que sur ce que je donnons à not’fille. I voit ben que si on s’est donné le mal d’avoir recueilli eune vieille cruche de tante, qu’on l’héberge, qu’on la soigne comme un p’tit enfant, qu’on la traite quasiment comme si c’était not’mère, ça doit pas être pour des prunes... La mé Rapiat ... Mais pour ses écus parce qu’alle en a, elle aussi, la vieille!... Ah! le jour oùs qu’a’claquera... (se rapprochant de la vieille; portant à sa bouche ses deux mains en forme de porte-voix et criant à tue-tête tout en s’efforçant d’adoucir ses paroles). Dites donc, hé! ma tante, v’avez l’air d’avoir froid, si vous v’lez que je vous fasse un peu de feu. La vieille Non va; t’es ben gentille de songer à moi, mais c’est pas la peine: quand la fin arrive, y a pas de feu qui fasse, on a toujou’ froid. La mé Rapiat (s’éloignant et reprenant sa voix naturelle) Bon! Bon!... tant mieux... ça sera de l’ouvrage de moins. A’m’en donne assez comm’ça, la vieille bête. Alle est sourde comme un pot depuis eun’an qu’alle est avec nous; ça l’a pris comme eune tape le jour oùs qu’alle est rentrée. J’avons fait venir le médecin qui nous a ben pris quarante bons sous pour nous dire que y avait ren à faire, que c’était la vieillesse, qu’on pouvait pas guérir de ça... Ca m’n’est eune charge que de l’avoir su’le dos, celle-là. Heureusement qu’à présent la v’la ben mal, alle est à la fin comme a’disait tout à l’heure et c’est pus qu’eune quesquion de jours; et dam!... sitôt qu’a sera enterrée, nous autres je pourrons aller déterrer ses écus: derrière son linge, dans son ormoire... C’est là la cachette. Le pé Rapiat Mais en attendant, je sommes toujours point sûrs qu’a’ nous a mis su’ le testament. La mé Rapiat Non mais, voyons si a’ ne nous mettait pas qui donc que c’est que tu voudrais qu’a’ mette. Le pé Rapiat C’est vrai, je ne vois personne, je pouvons dormir tranquille. Alle a pus pas un parent... excepté nous autres. (On frappe à la porte.) La mé Rapiat Entrez! (Paraît le maître Narcisse.) Le pé Narcisse Bonjour la compagnie! La mé Rapiat Salut, maître Narcisse que’ bon vent vous amène, prenez donc eune chaise. Le pé Rapiat Hé la mé! va donc nous tirer eune chopinée de vin; v’allez voir ça maître Narcisse, c’est du nouvieau. Je m’en vas vous y faire goûter. (Les deux hommes sont alors assis à table, l’un en face de l’autre.) Le pé Narcisse Je veux ben après tout parce que ça fait jamais de mal, mais je suis pas venu exprès pour goûter ton vin nouvieau. Voyons, parlons sérieusement; tu t’es pas aperçu de que’qu’chose toi? Le pé Rapiat Moi!... non!... pourquoi?... de ren! Le pé Narcisse En ben, moi, je me suis aperçu que t’as eune fille qui plaît bougrement à mon gâs, la preuve c’est qu’on les voit souvent, même un peu trop souvent ensemble, ce qui fait jaser le monde. Et comme mon gâs arrive du service, qu’il a besoin d’eune femme pour s’établir je te viens demander ta fille... pour li... et de sa part. Ça sera un moyen de renouer nos liens de parenté, parce que j’avons été parents dans un temps. La vieille tante qu’est là, eh ben! alle était cousine par sa mère avec défunt la mienne. Seulement le gâs, il est jeune encore, il ne sait pas ce que c’est que l’intérêt; il se sait avoir quelque chose et y ne regarde pas si en se mariant avec ta fille, i’ ne va pas faire eune mésalliance. Moi, je veille là-dessus. Voyons; dis-moi si t’es dans le dessein de donner ta fille à mon gâs, et dans ce cas-là comben que tu dois y donner. Le pé Rapiat Heu!... Heu!... ça demande réflexion. (A la mé qui rentre et pose la chopine pleine sur la table.) Dis donc la mé! tu te doutais-t-y pas de ça, toi? V’là le maître Narcisse qui vient me demander Julie en mariage pour son garçon... Quoi que t’en penses?... La mé Rapiat (d’un air désintéressé) Hélas, mon Dieu!... si c’est les jeunes qui le veulent, moi je demande pas mieux. Le pé Rapiat Moi, j’y mets pas d’empêchements non plus (servant à boire et buvant). Tenez maître Narcisse, j’allons boire un coup d’abord, je voirons plus clair dans nos affaires, après... A vot’santé! Le pé Narcisse A la tienne Rapiat... Voui mais, c’est pas ça, tu me dis toujou’point comben que t’y donnes à ta fille... Voyons, faudrait tout de même s’entendre. Le pé Rapiat Dam! écoutez maître Narcisse, j’ai que c’t’enfant-là, j’peux faire un sacrifice; j’y donnerai... et la grande vigne qui fait suite à vot’champ de betteraves, de l’autre côté du bourg. Le pé Narcisse T’y donnes que ça. Bon Dieu! C’est guère. Pense donc, moi je donne à mon gâs... et... arpents de terre, y en a eune différence, c’est énorme!... Je suis comme qui dirait en perte dans ce marché-là. Le pé Rapiat Dam! maître Narcisse, écoutez encore que je vous dise. De ce moment v’là tout, mais tout ce que je peux donner, seulement... dans que’que temps d’ici je pourra donner à ma fille presque autant que vous donnez à vot’gâs. Le pé Narcisse Et comment que tu feras? Le pé Rapiat Eh ben!... et la vieille tante, pourquoi donc qu’a’compte? Alle en a assez, alle en a des écus. (Renouvelant le même manège que la mé.) Hé la tante! Vous v’lez boire un coup avec nous?... La vieille T’es ben gentil, mais je te remercie, j’ai pas soif. Le pé Rapiat (reprenant sa voix naturelle) Bon! Bon!... Tant mieux, vieille bougresse, je l’aurons de reste. Tu nous uses assez comme ça. C’est des visites du médecin, c’est des remèdes du pharmacien, c’est... ça n’en finit pas!... Ah la vieille! Allez maître Narcisse, le jour de sa mort, ça sera le premier jour de sa vie ous qu’a’ nous aura été utile... ... Ca s’ra un bieau jour itou pour nous. Le pé Narcisse Voui mais, voyons, c’est pas tout, quoi qu’on décide? Le pé Rapiat Eh ben mais, ça ne tient qu’à vous. Marions-les tout de suite, le pus tôt sera le mieux parce que si l’on attend trop longtemps avant que de faire la noce et que la vieille vienne à claquer pendant ce temps là, faudra commencer par l’enterrement, et puis après, faudra porter le deuil pendant six mois, parce que c’est eune question de convenances, encore ça; si on ne le faisait pas on trouverait à redire sur not’compte et faut point de ça... Faisons donc pas traîner les choses en longueur... et sitôt que la vieille sera passée, eh ben! je rajouterai à la dot de ma fille ce qui y manque pour qu’a’ soit assez grosse (pas ma fille, la dot quoique après tout la fille pourrait ben l’être aussi à ce moment- là). Le pé Narcisse Eh ben, à ces conditions-là je veux ben, allons pé... On va prévenir les enfants et pis on va passer chez le notaire. La vieille Eh!... eh!... où donc qu’v’allez?... chez le notaire... Ecoutez donc avant que je vous parle de mon testament à tous les deux!... Hé Rapiat!... Le pé Rapiat (à part) Ah ben bon Dieu!... ah ben!... a’ m’a entendu!... ah ben!... alle est donc pus sourde! (A la vieille.) Eh ben, ma tante, v’êtes donc pus sourde. La vieille Mais, mon neveu, je l’ai jamais été. Le pé Rapiat (à part) Ah ben!... en ce cas, c’est du joli. La vieille Non, j’ai jamais été sourde; j’ai encore bon pied, bon oeil... et bonne oreille par dessus le marché, ce qui fait que je n’ai pas laissé échapper toutes les mauvaises choses que t’as dit de moi: et je suis pas encore si près de claquer que t’avais l’air de le croire tout à l’heure, va, sois tranquille. «Ah la vieille bête!...» comme tu disais, alle est pas encore si bête que tu croyais, tiens! Ah! mon Rapiat tu viendras te moquer des anciens jusque sous leu’nez, toi! Ah! tu guetteras l’heure de ma mort pour avoir mes écus, toi! eh ben! je vas t’ôter c’te peine là, moi. Mes écus!... tu peux te fouiller mon vieux si t’as des poches. Mes écus... tiens, je n’ai pus ren qu’un parent de ben loin que je viens de me connaître tout à l’heure et qu’en a pas besoin de mes écus, eh ben!... c’est li qui va les avoir... V’entendez ben Narcisse, v’êtes mon héritier, v’allez m’emmener cheu vous; je veux pus rester ici... Allons-nous en tout de suite... Vous reviendrez après pour signer le contrat si le coeur vous en dit. Le pé Narcisse Le contrat!... quoi faire à présent, c’est pus la peine... Tiens Rapiat, tu vois, le mariage n’est pus possible... Tu comptais su’la succession de ta tante pour amortir la différence que y aurait eu entre la dot de ta fille et celle de mon gâs... et c’est moi qui l’ai, la bougre de succession! quoique j’y comptais pas, c’est vrai qu’on dit toujours que le bien vous vient en dormant... C’est pus possible à présent! Le pé Rapiat Hein!... Ah ben!... c’est comme ça que t’arrange ça, toi, espèce de canaille, sale cochon! Tu viens me voler eune succession... et pis tu veux pus de ma fille, fripouille. Le pé Narcisse (suivant la vieille qui s’en va, des paquets sous le bras) Ha! Ha! Ha! voyons Rapiat je pouvons tout de même pas tout te prendre, t’aurais été trop malheureux après. J’avons à choisir; j’ai pris ce qui me plaisait le mieux: l’argent de ta tante, et je te laisse ta fille... sans argent!... Au revoir!... Le pé Rapiat (à la mè qui se lamente) Ah ben! Nom de Dieu!... N’en v’là d’un tour... la vieille saleté!... Qui qu’aurait jamais cru ça d’elle?... Pierre Printemps Moulin de Clan, août 1897 N. d. E.: Ce texte jusqu’ici inédit nous a été communiqué par un de nos lecteurs que nous remercions. Gueux. Un soir d'hiver, quand de partout, Les corbeaux s'enfuient en déroute, Dans un fossé de la grand'route, Près d'une borne, n'importe où Pleurant avec le vent qui blesse Leurs petits corps chétifs et nus, Pour souffrir des maux trop connus, Les gueux naissent. Pour narguer le destin cruel, Le Dieu d'en haut qui les protège En haut de leur berceau de neige Accroche une étoile au ciel Qui met en eux sa chaleur vive, Et, comme les oiseaux des champs, Mangeant le pain des bonnes gens Les gueux vivent. Puis vient l'âge où, sous les haillons, Leur coeur bat et leur sang fermente, Où, dans leur pauvre âme souffrante, L'amour tinte ses carillons Et dit son éternel poème; Alors blonde fille et gars brun, Pour endolir leur chagrin Les gueux s'aiment! Mais bientôt, et comme toujours, - Que l'on soit riche ou misérable - L'amour devient intolérable Et même un poison à leurs jours, Et sous tous leurs pas creuse un gouffre Alors, quand ils se sont quittés, Pour les petits qui sont restés Les gueux souffrent! Et, quand le temps les a fait vieux, Courbant le dos, baissant la tête Sous le vent qui souffle en tempête, Ils vont dormir un soir pluvieux, Par les fossés où gît le Rêve, Dans les gazons aux ors fanés, Et - comme autrefois ils sont nés - Les gueux crèvent!... Meung-sur-Loire, le 19 août 1898 Revue Littéraire et Sténographique du Loiret, n° 17, du 20 août 1898 Le Gueux Des Grandes Routes. Hélas! Combien de fois l'avons-nous rencontré sur notre chemin, ce pauvre hère que le peu charitable jugement des hommes taxe souvent de lâcheté et de paresse! La plupart du temps, ouvrier sans ouvrage et parfois sans famille, il va, de ville en ville, à la recherche d'un emploi, d'une place, mais une sorte de discrédit est jeté sur lui: on ne le connaît pas, et par cela même on est tout disposé à lui supposer des vices qu'il n'a pas (pris), du reste, pauvre gueux! Il a ordinairement une mine si peu encourageante avec ses vêtements fripés, ses souliers troués, sa barbe hirsute, son visage blême où la misère a déposé une expression de tristesse méfiante et dure. Partout on refuse ses services. Alors après maintes tentatives infructueuses, il s'en va, découragé et la mort dans l'âme, il marche devant lui au *hasard, sur la grande route poudreuse ou blanche de neige, moderne juif errant, condamné par la loi immuable et cruelle de la Fatalité. Au printemps, quand la violette fleurit dans les haies et sur les talus des fossés, quand les premières feuilles paraissent, plaquant de vert tendre les carcasses brunes des arbres de la route, quand l'oiseau chante, quand tout est gai dans la nature, lui seul est triste, et comment peut-il en être autrement? Comment l'homme (je parle de l'homme de coeur) peut-il être joyeux quand il en est réduit pour vivre à tendre la main? Mais aux approches des mauvais jours, sa mélancolie se transforme en une tristesse plus sombre et plus noire encore. Oh, l'hiver! oh, la saison morne et grise I C'est elle qui recevra les derniers soupirs de ce miséreux. Ses jours brumeux et ses nuits glaciales l'auront tué. Oh, l'hiver! quand vient le soir, pendant que nous veillons dans une salle bien chaude, il est là, lui, sur la grand'route, blotti dans un fossé, au long d'un mur, au pied d'une borne, n'importe où. La bise aigre lui fouette le visage et pénètre au travers de ses haillons. La neige tombe et amoncelle autour de lui sa ouate qui glace et paralyse, le couvre, l'enveloppe de ses draps blancs comme le linceul, froids comme la mort. Là-haut les étoiles scintillent. Quand le matin terne et blafard aura pris leur place, un voyageur matinal le trouvera étendu, sans mouvement, sans vie, les membres tordus et bleus par le froid. Oh! la triste existence. Oh! le triste trépas. Et dire qu'ils sont comme cela des mille et des mille en France qui meurent de cette mort, vivent de cette vie, se nourrissent de l'air des champs et de pain mendié, sans avoir d'autre domicile, sans même avoir d'autre patrie que la grand'route. Septembre 1896 Etude qui donnera naissance au poème: «Sur la grand’route» Idylle Rouge. Le chemineux s'est dit: «Je veux Cette jouvencelle aux cheveux D'aurore blême». Mais la jouvencelle a du bien Tandis qu'est gueux, gueux comme un chien Le gâs qui l'aime! Et la belle, aux riches galants Seuls! ouvrira les rideaux blancs De son alcôve; Elle course le miséreux... Alors, par les chemins poudreux, Le gâs s'ensauve! Errant le jour, de ci de là Il geint, et la nuit lorsque la Lune pâlotte L'éveille au fond de son fossé, Laissant saigner son coeur blessé Le gâs sanglotte. Dans l'ombre des vieux cabarets Où le vin, des pichets de grés A grands flots coule, Il va se reposer un brin Et, pour oublier son chagrin, Le gâs se saoule! Enfin, il vient de faire don De sa raison aux femmes dont L'amour s'achète. Il va par les quais, triste et seul... Le grand fleuve ouvre son linceul... Le gâs s'y jette... Meung-sur-Loire, 5 août 1898 Progrès du Loiret, n° 8, du 11 août 1898 «J'En Aurait Le Coeur Net!» Conte Fantaisiste. A ceux qui se disent trop vieux pour apprendre la sténographie. Elle allait avoir dix-huit ans, la demoiselle au maître Belaud, le fermier de la Bousie. Elle venait de sortir de pension emportant de là son inévitable brevet et, sans posséder ce qu'on peut appeler des connaissances sérieuses, c'était une petite personne d'un esprit assez agréablement cultivé. Le pé Belaud, qui avait perdu sa femme et n'avait plus que cette fille-là, la traitait en véritable enfant gâtée. Il lui avait acheté un piano dont elle tapotait gentiment-peut-être un peu plus souvent que les gens de la maison en avaient besoin; il lui laissait prendre des leçons de dessin et passait par toutes ses fantaisies... Ah! j'allais oublier quelque chose et quelque chose de très important: la demoiselle faisait aussi de la sténographie. Elle allait avoir dix-huit ans (je l'ai déjà dit, mais mieux vaut deux fois qu'une) et ses grands yeux noirs, qui flambaient comme des braises lorsqu'ils rencontraient ceux d'un gars, semblaient en dire plus long qu'on ne le pensait. Mais cependant, on ne lui supposait pas encore d'amoureux... on se trompait! Un jour, le facteur apporta une lettre à l'adresse de la jeune fille «Mlle Berthe Belaud». Celle-ci s'empressa de la lui prendre des mains et se sauva pour aller la lire dans sa chambre. Comme elle était occupée à cette intéressante... besogne, son père entra: «Tiens, quoi que tu fais donc là, Berthe? Tu vois bien, papa, c'est une ancienne camarade de pension qui vient de m'écrire. Ah!...» fit le vieux et, curieux comme une dévote, incrédule comme saint Thomas, il s'approcha dans l'espoir de pouvoir lire un peu, sans en avoir l'air...; mais, va au diable! la lettre était écrite d'un bout à l'autre en sténographie. Alors, il s'éloigna mécontent et grognant entre ses dents: «Tout ça n'est pas clair, des «hiérogriffes», comme ça, on n'y comprend goutte... ça fait rien, j'en aurai le coeur net.» Et dès ce jour, le bonhomme, à la tête aussi dure qu'une souche de vigne, se mit à étudier la sténographie en cachette. Avec un entêtement rageur, un journal sous les yeux, un bout de crayon à la main, il se mit, lui qui n'écrivait qu'avec beaucoup de difficulté, à tracer des signes, à combiner des sons pour faire des mots et, au bout d’une semaine, il était capable de lire en ânonnant; mais il pouvait lire. Sur ce, une nouvelle lettre arriva... toujours au nom de sa fille! Ce fut lui qui la reçut, il brisa l'enveloppe, tira le billet et le déplia: toujours de la sténographie; Enfin, il lut: «Ma mignonne, Si tu savais comme je m'ennuie à la caserne et comme je souffre loin de toi. Enfin, heureusement que l'heure va bientôt sonner où je pourrai te presser de nouveau sur mon coeur et te dire de vive voix: «Ma petite Berthe, je t'aime...». Je pense qu'il serait indiscret pour nous autres de vouloir connaître la suite et, du reste, qu'y apprendrions-nous de bien intéressant? Cette lettre n'échappait pas à la sublime banalité des missives amoureuses. Alors le pé Belaud, malin comme un vieux renard, alla porter ce précieux billet à sa fille: «Hé Berthe!... Berthe!... Ta camarade qui t'a écrit... seulement c'est encore en géo... en stén... o... en sténographie. Lis-m'en un petit bout, je serais curieux de voir comment qu'on peut comprendre quelque chose à ça?». La jeune fille, très embarrassée, en prit pourtant son parti et, inventant au fur et à mesure qu'elle parlait, elle lui lut une lettre supposée écrite par la supposée camarade. Quand elle eut fini, tant bien que mal, rougissant et se troublant à chaque étape du mensonge qu'elle faisait, le vieux lui dit, un rire narquois sur la lèvre: «Eh ben, tu sais pas, Berthe, j'ignore si ces petits signes-là ont deux sens; mais, moi, v'ià ce qui me disent. > Et il relut la lettre... du soldat. Après quoi, il s'en alla, joyeux, laissant la jeune fille toute confuse et lui pardonnant du fond du coeur en se disant: «Bah! il faut ben que jeunesse se passe!... et pis, après tout, ça a encore eu un bon côté; à présent, je sais la géo... lo... stén... o... la sténographie!... Mais ça me prouve aussi qui faudra que je marie la Berthe au plus tôt.» Pierre Printemps. Revue Littéraire et Sténographique du Centre, n° 18, du 5 septembre 1897 Le Pauvre Gars. Il était une fois un gars si laid, si laid Et si bête! qu'aucune fille ne voulait Lui faire seulement l'aumône d'un sourire; Or, d'avoir trop longtemps souffert l'affreux martyre De ne pas être aimé lorsque chante l'amour, Le pauvre gars s'en vint à mourir un beau jour... On l'emmena dormir au fond du cimetière, Mais, son âme, un Avril, s'échappa de la terre Et devint une fleur sur sa tombe, une fleur Qu'une fille cueillit et mit près de son coeur. Moulin de Clan, octobre 1898 Progrès du Loiret, n° 70, du 12 octobre 1898 La Paysanne. (dédiée aux gâs de Saint-Ay) Paysans dont la simple histoire Chante en nos coeurs et nos cerveaux L'exquise douceur de la Loire Et la bonté des vins nouveaux (bis) Allons-nous esclaves placides, Dans les sillons où le sang luit Rester à piétiner au bruit De chants guerriers et fratricides? Refrain En route! Allons les gâs! Pour un nouvel été Marchons! Marchons! Semons le grain de la fraternité! Sarclons les herbes parasites Et que le chiendent soit brûlé! Pour que ces racines maudites N'étouffent plus le jeune blé! (bis) Arrachons à coups de science L'erreur qui s'en vient infester Les germes de la Vérité Dans le champ de nos consciences! Ne déversons plus l'anathème, En gestes grotesques et fous, Sur tous ceux qui disent: «Je t'aime» Dans un autre patois que nous! (bis) Assez de sang, assez de larmes! - De la joie et de la beauté! - Jetons hors de l'humanité La gloire homicide des armes! Soignons nos blés, soignons nos souches! Que l'or nourricier du soleil Emplisse pour toutes les bouches L'épi clair, le raisin vermeil! (bis) Mais que tous les bras collaborent vec le tendre soleil blond! - Dans la ruche, pas de frelon Qui la pille et la déshonore! - Saluons les vieux qui s'éteignent, Et choyons leur dernier moment! Ils ont lutté durant leur règne A nous de lutter maintenant! (bis) Si la récolte s'est accrue De ce que le père a pioché, Il reste encore à défricher! Poussons plus avant la charrue! Le Petit Qui Pleure. Un gosse qui n'a pas sept ans Chiale au sortir du vieux faubourg Où ça sent la peine et l'amour. Et je m'arrête, là longtemps: Moi, dont le coeur saigne ce soir Tout rouge, en un silence atroce. Je m'arrête sur le trottoir A regarder chialer ce gosse... Refrain Pleure, pleure mon petit gâs Dis, pourquoi pleures-tu? Pour rien! Mais pleure: ça me fait du bien! Pleure pour moi, qui ne peux pas! Le Plus Volé Des Deux. Conte Fantaisiste. A Mon Ami Abel Renault. Si nos gros fermiers beaucerons exploitent de larges domaines et possèdent pour la plupart, un bien large ventre qui ballotte sous leur blouse comme une barrique d'alcool qu'on dissimulerait pour passer à l'octroi, il en est très peu qui soient... larges, comme on dit. Il en est même si peu que, moi qui les connais tous, je n'en connais pas un seul auquel cette épithète puisse être applicable. Ils sont tous aussi serrés... au moral, que certaines petites demoiselles le sont dans leur corset et si près de leurs intérêts, que de jeunes mariés ne le sont pas davantage, l'un de l'autre, la première nuit de leurs noces. Et cependant, tous, excepté un et en comparaison de celui-là, ils peuvent passer pour des prodigues. Oh! mais celui-là, par exemple!... sa rapacité lui a joué... par l'intermédiaire de ses domestiques, un tour que vous n'hésiterez pas à qualifier de vilain tour, quand vous le connaîtrez. Oyez plutôt. Un beau jour, un beau jour qui fut le commencement de mauvais jours pour lui, il trouva quatre de ses poules étendues sur le flanc, à côté de son tas de fumier. «Zut!...» fait-il en donnant à cette exclamation une amplification que se refuse d'écrire ma chaste plume de jeune homme bien élevé. «Quoi que ça veut donc dire ça! v'la mes poules qui se mettent à crever à présent... oh!» Et ramassant les quatre cadavres, il s'en fut vers la cuisine de la ferme en se disant à part lui: «Je fais déjà comme ça une perte sensiblement sensible, c'est pas la peine de perdre davantage, du temps que je peux m'en dispenser. J'ai quatre poules crevées, quinze domestiques en bonne santé et qui cassent bien la croûte; les domestiques mangeront les poules et du moins comme ça, si je sais pas comment que les sacrées volailles ont passées, je saurais par où qu'y passeront...» Les poules furent plumées, vidées, fricassées et servies aux domestiques qui les mangèrent sans dégoût... Le lendemain, il trouva de même, quatre poules de «quervées». Le surlendemain encore! Le sur-surlendemain toujours! Et bien entendu, elles subirent toutes le même sort que les premières. Alors pour enrayer l'épidémie, il fit venir le vétérinaire: celui- ci qui avait fait des études classiques avant d'entrer à Alfort, en perdit son latin et ne sut que lui réclamer trois francs pour prix de sa visite. «Si c'est pas une maladie, c'est qu'y m'a jeté un sort!» bougonna le vieux en payant. Cà dura, comme ça un mois, puis, un soir qu'il se coucha, propriétaire seulement de quatre poules, fatalement appelées à ne pas voir le lever de l'aurore. C'était écrit!... Il ne put clore yeux, de la nuit, gémissant qu'il était sur ses pertes. Pertes, plus grandes, pour que c'en était, de faire manger de la charogne à ses domestiques, au risque de faire naître aussi une épidémie parmi eux. Enfin, au petit jour il sauta du lit et s'en alla faire un tour dans la vaste cour de sa ferme. Là, il vit! trois poules sur le dos, au pied du tas de fumier et, non loin de là, le maître charretier en train d'étouffer la quatrième sous son gilet... Il préparait le repas du lendemain!... Pierre Printemps. Revue Littéraire et Sténographique du Centre, n° 22, du 5 novembre 1897 Pour Les Petits. Le vent siffle au travers des trous de la mansarde Où l'ouvrière coud sous la lampe et regarde Ses deux petits, couchés dans le même berceau. Et parfois, écartant un pan du grand rideau A ramages pâlis, elle porte à sa lèvre, Une blanche menotte et dit «Dieu, quelle fièvre!... Heureusement pour eux que mon brave mari Doit rapporter ce soir la paye du samedi Et que, dans le quartier, j'irai de mon plus vite Leur acheter du pain, des remèdes ensuite... Soudain, des pas pesants font, dans l'escalier noir, Tout trembler et sauter. Curieuse elle va voir S'éclairant de la lampe à pétrole qui fume. «Toi déjà!... Te voilà plus tôt que de coutume Mon pauvre homme! viens voir, les petits sont souffrants.» S'écrie-t-elle, mais lui, reste les bras ballants, L'air égaré, les yeux rouges comme une braise Et, aussitôt rentré, tombe sur une chaise. «Mais voyons! Mais qu'as-tu? - Ah! ne m'en parle pas! J'ai... J'ai... sale patron! faut-il que tu sois bas... Dire que ce sans coeur m'a jeté à la porte Prétextant poliment que, vu la saison morte Il ne peut occuper tant d'ouvriers chez lui; Il m'a donné mon compte, alors je suis sorti, Et me voilà, hélas! sans travail à cette heure Devant mes deux enfants et ma femme qui pleure, Dans mon bouge où tout sent la misère et la faim... Allons vite! il faut que cela ait une fin, Et puisqu'il faut mourir, mourons donc tout de suite Nous ne connaîtrons point la misère maudite Et les repas sans pain.» Ce disant il saisit Un réchaud à charbon et farouche se mit A calfeutrer les joints de l'unique fenêtre... La femme regardait son époux et son maître Travailler à leur perte et, le coeur plein d'effroi, Songeait aux chérubins qui, sans savoir pourquoi S'éveilleraient au ciel parmi les anges roses Et chercheraient en vain les visages moroses De la mère sans âme et du père assassin. «Non, arrête dit-elle en bondissant soudain, Arrête, malheureux!... Grand Dieu qu'allions-nous faire? Tuer nos enfants, nous tuer! J'aime mieux la misère Moi, et puisqu'il le faut, eh bien je te défends De mourir... tu te dois à ces chers innocents Et je veux bien encor que ta vie t'appartienne Mais la leur, insensé! Mais la leur et la mienne! Pourquoi la comptes-tu? Apaise-toi un peu Ouvre-nous la fenêtre, éteins vite ton feu Vis et laisse-les vivre ou sinon je te crache Au visage ces mots: «Meurs, va, tu n'es qu'un lâche.» Les enfants assoupis sur le même oreiller Toussotaient alors comme pour approuver Ce qu'avait si bien dit leur courageuse mère Protectrice et sauveur;... pendant ce temps le père Bégayait à mi-voix, la honte sur le front «Pardonne! j'étais fou... femme tu as raison!» Requiescat In Pace. Comme s'effeuille une rose L'amante dolente aux traits Ravagés par la chlorose Est morte au soir des regrets Et sur le bord de sa fosse Le vieux prêtre au dos cassé A glapi de sa voix fausse Requiescat in pace!... Et maintenant pauvre chère Elle git loin du soleil Sous le grand champ en jachère Où tout est paix et sommeil Défunts tous les jours d'ivresse Et les nuits de l'an passé Défunts comme ma maîtresse Requiescat in pace!... Plus n'ai la force de vivre Et par les tristes hivers Sertis de larmes de givre J'erre en sanglotant mes vers Dans le vent qui les emporte Mon pauvre coeur trépassé Dort sur celui de la morte Requiescat in pace!... Moulin de Clan, 20 janvier 1898. Revue Littéraire et Sténographique du Centre, n° 40, du 5 août 1898 La Rose De L'Absent. Légende Du Moyen Age. Le beau chevalier était à la guerre... Le beau chevalier avait dit adieu A sa dame aimée, Anne de Beaucaire Aux yeux plus profonds que le grand ciel bleu. Le beau chevalier, à genoux près d'elle, Avait soupiré, lui baisant la main: «Je suis tout à vous! soyez-moi fidèle; A bientôt!... je vais me mettre en chemin.» Anne répondit avec un sourire: «Toujours, sur le Christ! je vous aimerai, Emportez mon coeur! allez, mon beau sire, Il vous appartient tant que je vivrai.» Alors, le vaillant, tendant à sa dame Une rose blanche en gage d'amour, S'en était allé près de l'oriflamme De son Suzerain, duc de Rocamour. Le beau chevalier était à la guerre Anne, la perfide aux yeux de velours, Foulant son naïf serment de naguère, Reniait celui qui l'aimait toujours; Et, sa blanche main dans les boucles folles D'un page mignard, elle murmurait Doucement, tout bas, de tendres paroles A l'éphèbe blond qui s'abandonnait. Mais, soudain, voulant respirer la rose Du fier paladin oublié depuis, Elle eut peur et vit perler quelque chose De brillant avec des tons de rubis. Cela s'étendait en tache rougeâtre Sur la fleur soyeuse aux pétales blancs Comme ceux des lis et comme l'albâtre... La rose échappa de ses doigts tremblants; La rose roula tristement par terre Une voix alors sortit de son coeur; Cette voix était la voix du mystère, La voix du reproche et de la douleur. «Il est mort, méchante, il est mort en brave! Et songeant à toi, le beau chevalier; Son âme est au ciel, chez le bon Dieu grave Et doux, où jamais tu n'iras veiller; Où tu n'iras pas, même une seconde, Car ta lèvre doit éternellement Souffrir et brûler, par dans l'autre monde, Au feu des baisers d'un démon méchant...» Et la voix se tut sous le coup du charme, La fleur se flétrit, Anne, se baissant N'aperçut plus rien, plus rien qu'une larme Avec une goutte épaisse de sang. Pierre Printemps. Revue Littéraire et Sténographique du Centre, n° 12, du 5juin 1897 Son Dernier Bouquet. Nouvelle. Ils s'aimaient!... le gars, nerveux et brun, aux épaules robustes, à la poigne solide, était farinier chez son père, le meunier du village; la fille, mièvre et blonde, aux lourds cheveux tordus en chignon au-dessus de la nuque, était orpheline et vivait chez sa tante, une vieille lavandière qui l'employait à blanchir le linge au ruisseau. Ils s'aimaient!... ils se l'étaient juré, un soir, en revenant de la danse, et, depuis ce temps-là, ils n'avaient jamais cessé de se le dire et de se le répéter; mais comme ils ne pouvaient se voir qu'après journée faite, l'amoureux possédait un poétique moyen de correspondance pour parler au coeur de sa bien-aimée, à chaque instant, en une langue muette mais éloquente. Souvent, dès l'aube, on le voyait se pencher sur le bord de la rivière et y jeter de petits bouquets de violettes ou d'églantiers, selon la saison; ces fleurettes s'en allaient au fil de l'eau chantante, sans jamais s'accrocher aux roseaux de la rive et, quand elles arrivaient devant le lavoir communal, la belle fille essuyait, à un coin de son tablier, ses mains blanches où le savon moussait en bulles légères, cassait une branche au saule voisin et les amenait à elle. Puis, les prenant délicatement entre ses doigts fins, elle aspirait avec délices les parfums de jeunesse et d'amour qui s'envolaient de leurs corolles où les gouttelettes d'eau dansaient et roulaient, brillantes comme des perles fines. Ils s'aimaient!... mais l'hiver approchant, les fleurs devinrent plus rares, les bouquets moins fréquents et leur amour, fragile comme les violettes, éphémère comme les roses, devait comme elles, avoir une fin. La belle s'amouracha d'un beau clerc de notaire, toujours tiré à quatre épingles, beau parleur qui s'empara de son coeur sans qu'elle eut la force de s'en défendre. Fini le bonheur! Le coeur du pauvre gâs saigna bien fort, sous ces hardes blanches de farine et on le surprit souvent, lui, le solide gaillard d'autrefois, à pleurer sur son malheur. «C'est le mai d'amour, on n'en guérit pas!» chuchotaient autour de lui les commères; pour cette fois, elles devaient avoir raison. Une grise après-midi de novembre qu'il errait, morose et rêveur, il vint à passer devant la serre du château où se trouvaient des plantes rares et fragiles; la porte était ouverte: il entra précipitamment comme un voleur, comme un fou, cueillir une branche d'oranger encore fleurie et s'en courut vers le vieux moulin au tic-tac langoureux. Là, comme les vaguelettes clapotaient doucement sous la roue brune, il se laissa tomber d'un air résigné dans l'onde claire où jouait un dernier rayon de soleil... Pouf!... Puis plus rien; son corps reparut à la surface un peu plus loin et s'en alla au fil de l'eau chantante, sans s'accrocher aux roseaux de la rive, vers la belle fille, comme les fleurs de jadis... Et lorsqu'il passa, les yeux fermés et les membres roidis devant celle qui l'avait si traîtreusement renié, il serrait encore, en une étreinte convulsive, la branche d'oranger - bouquet d'union nouvelle avec une nouvelle amante: la Mort! Gaston Koutay. Sur La Grand'Route. Nous sommes les crève-de-faim Les va-nu-pieds du grand chemin Ceux qu'on nomme les sans-patrie Et qui vont traînant leur boulet D'infortunes toute la vie, Ceux dont on médit sans pitié Et que sans connaître on redoute Sur la grand'route. Nous sommes nés on ne sait où Dans le fossé, un peu partout, Nous n'avons ni père, ni mère, Notre seul frère est le chagrin Notre maîtresse est la misère Qui, jalouse jusqu'à la fin Nous suit, nous guette et nous écoute Sur la grand'route. Nous ne connaissons point les pleurs Nos âmes sont vides, nos coeurs sont secs comme les feuilles mortes. Nous allons mendier notre pain C'est dur d'aller (nous refroidir) aux portes. Mais hélas! lorsque l'on a faim Il faut manger, coûte que coûte, Sur la grand'route. L'hiver, d'aucuns de nous iront Dormir dans le fossé profond Sous la pluie de neige qui tombe. Ce fossé-là leur servira D'auberge, de lit et de tombe Car au jour on les trouvera Tout bleus de froid et morts sans doute Sur la grand'route. Les Trois Chansons Du Carillon. A M. Bertrand, pour le remercier de l'accueil tout... évangélique qu'il m'a fait dans ses bureaux du Patriote. Quand les nouveau-nés, en leurs langes Dorment sur les bras des marraines Tels, de doux et blonds petits anges Tombés des étoiles sereines Digue digue dig, digue digue don! Chante aux enfançons le grand carillon Digue digue dig, digue digue don! Pour qu'on vous baptise Casquez, casquez donc!... Quand sous les cieux des épousailles Où le soleil d'amour scintille, S'envolent des coeurs, les grisailles Et s'en va le gars vers la fille. Digue digue dig, digue digue don! Chante aux amoureux le grand carillon Digue digue dig, digue digue don! Pour qu'on vous marie Casquez, casquez donc!... Quand s'éteignent comme des cierges, Les grands-pères et les grand'mères Et que gisent, emmi les serges Des linceuls, leurs corps éphémères. Digue digue dig, digue digue don! Chante aux trépassés le grand carillon Digue digue dig, digue digue don! Pour qu'on vous enterre Casquez, casquez donc!... Orléans, 25 août 1898. Le Progrès du Loiret, n° 23, du 26 août 1898 Les Trois Quenouilles D'Audeberthe. Légende Magdunoise. A Frottier. En ce temps-là vivait, au manoir de Meung, un vieux baron, si vieux que ses cheveux étaient blancs comme la neige ou le duvet des grands cygnes et si triste que, depuis la mort de son épouse, nul n'avait aperçu le moindre sourire sur sa lèvre tremblante. Il avait auprès de lui sa fille Audeberthe, surnommée «la Pâle» à cause de la carnation de son teint. Elle allait avoir seize ans et, malgré l'affection qu'elle avait pour son père, elle s'ennuyait à mourir dans la solitude maussade qu'il lui faisait partager; parfois aussi, de vagues et nuageuses bouffées d'amour passaient dans son âme avec les brises d'avril et lui donnaient comme la soif ardente des tendresses inconnues. Un soir que, du haut d'une tour, elle regardait, sans trop bien comprendre encore, ses bons vilains des deux sexes qui s'en allaient, par couples enlacés, au bord de la Loire, sous la splendeur du soleil couchant, elle s'écria, transportée: «Notre- Dame! que ces gens-là ont l'air heureux; tout gueux qu'ils sont, ils me font envier leur sort!» Ses paroles furent entendues par un saint charitable et bon enfant qui se hâta d'accourir des profondeurs azurées du Paradis pour lui dire: «Ma fille, ton souhait sera exaucé; prends ces trois quenouilles; use des deux premières et fasse le bon Dieu que tu ne te serves jamais de l'autre!» Audeberthe remercia le saint et s'en fut, ravie... Le lendemain, comme elle était remontée au haut de la tour, elle aperçut un jeune chevalier qui la regardait d'en bas. «Bonjour, belle dame!» lui dit-il; elle répondit: «Salut, noble sire!» «Belle dame...» continua le chevalier «vous avez devant vous une pauvre créature en grand péril et que vous pouvez sauver... Mes gens ont été défaits, les ennemis me poursuivent... Je tombe de fatigue, cachez-moi un instant pour que je puisse me reposer afin de mieux combattre ensuite...» Cette fois, Audeberthe ne répondit rien, mais ses grands yeux noirs se fixèrent si étrangement sur ceux du beau chevalier que celui-ci comprit tout de suite qu'il n'avait plus rien à craindre. Alors, naïve, la pauvrette saisit la première quenouille et se mit à filer le chanvre avec une vitesse qui tenait du vertige; au bout de quelques instants, un fil d'or souple et soyeux sortit de ses doigts; elle le noua en forme d'échelle, accrocha d'un des bouts au sommet de la tour et jeta l'autre par terre. Le beau chevalier monta et... Audeberthe connut l'amour. Quelques mois après, il revint, le courtois seigneur! il revint pour demander au vieux baron la main de sa fille. Celui-ci l'ayant accordée, on s'occupa des préparatifs des épousailles et Audeberthe prit la seconde quenouille dont elle fila la soie chatoyante qui devait servir à tisser sa robe de fiancée. Mais avant que le mariage fût célébré, le beau chevalier devait partir encore une fois à la guerre. Il fit ses adieux à sa dame, et après lui avoir posé un dernier baiser sur la bouche, il s'éloigna au grand galop de son destrier de batailles. Il ne revint pas! et quand Audeberthe apprit la nouvelle de sa mort, elle prit en pleurant la dernière quenouille et fila le lin du linceul dans lequel on devait ensevelir le corps de son amant. Et Audeberthe, qui avait aimé et souffert pendant l'existence des trois quenouilles, vécut en bienheureuse durant le reste de ses jours, car son coeur avait trop saigné pour pouvoir aimer ou souffrir encore. Pierre Printemps Et Bodey. Revue Littéraire et Sténographique du Centre, n° 14, du 5juillet 1897 Un Crêpe Au Bras. L'an dernier, je les vis encor Le petit frère aimable et rose Dans sa tunique à boutons d'or Avec sa soeur que la chlorose Emportait - oh! bien doucement Vers la tombe muette et blanche. Je les vis en me promenant Sur le boulevard, le dimanche Ils s'en allaient à petits pas Tous les deux, dans l'allée ombreuse, La fillette appuyant son bras Maigriot et sa main fiévreuse Sur le bras droit du garçonnet Qui, tirant deux sous de sa poche, Allait lui chercher un bouquet A la marchande la plus proche. Et le père aux cheveux tout gris Fumait tristement son cigare Sous les grands marronniers fleuris Ecoutant le concert bizarre Des petits pierrots batailleurs Quand la petite était trop lasse Vite, il prenait un des meilleurs Bancs pour elle, sur la grand'place Suivis de leur père, un monsieur A barbiche, un vieux militaire, Qui portait la légion d'honneur En ruban à la boutonnière. Et pas trop tard, avant la nuit, Tous regagnaient leur domicile Sans étalage, ni sans bruit, Au travers du bruit de la ville. Maintenant on peut les revoir Ils sont deux. Dans la tombe blanche La soeur dort. Un long crêpe noir Un crêpe est cousu sur la manche De la tunique à boutons d'or Du petit frère aimable et rose Et le père est plus triste encor Dans sa redingote morose. Le 12 janvier 1897. Une Lessive Qui Tombe Un Jour De Fête-Dieu. Récit De Gaston Couté. Dans la rue jonchée de pauvres fleurs condamnées, par une coutume bête, à périr sous les pieds de la foule, entre deux rangées de draps qui - ainsi que les ivrognes - seraient mieux à leur place au lit que sur la voie publique, sous le dais de velours grenat, filigrane d'or, le curé s'avançait, gras, lent, majestueux, imposant, orné, chamarré - tel un boeuf gras un jour de Mi-carême. Les chantres suivaient, coassant, croassant (comment dois-je dire? leur chant tient à la fois de celui de la grenouille et du corbeau) - enfin par respect pour des supérieurs (en âge) - je préfère écrire: entonnant les cantiques d'usage. Ensuite venaient les enfants de choeur en surplis blancs, en petites calottes rouges, rouges à faire pâlir un drapeau de la Sociale, puis la marmaille des écoles, dont le nez morveux et l'air agacé de la plupart de ses représentants témoignaient du goût qu'ils avaient pour cette petite promenade où l'on ne pouvait ni remuer, ni causer. Enfin, a l'arrière-garde se tenait le high-life féminin de notre petite ville dont les belles dames étaient en grand nombre à l'église pour prier, pour élever leur âme vers Dieu, pour l'implorer, pour... etc. (voir la suite de la définition de la prière dans le catéchisme, chap., page ), mais n'oublions pas le principal, elles étaient venues aussi et surtout pour exhiber leurs toilettes neuves. Enfin, bref... après avoir cheminé un certain temps par les rues habitées du monde «comme il faut», la procession s'engagea dans un vilain quartier peuplé d'individus qui se ruinent en frais de lampions au 14 juillet et qui se feraient couper la tête plutôt que de tendre des draps le jour de la Fête-Dieu. Enfin, heureusement qu'il existe des gens de coeur pour racheter leurs vilenies car à peine arrivé à la moitié de la prière qu'on venait de commencer, que tout le monde tourna la tête (oh! la distraction...) du côté d'une petite maison basse à la porte de laquelle on apercevait deux draps, une chemise probablement placée là par inadvertance, ainsi que deux paires de chaussettes. Cela constituait un décor assez grotesque, mais bah! quand l'intention y est!... Quelque quinze jours après, Monsieur le Curé passait par hasard dans le mauvais quartier dont je viens de parler, il aperçut la locataire de la maison aux draps occupée à balayer le devant de sa porte. Comme cette pauvre vieille avait l'air minable, avec sa robe en loques et ses savates éculées, il s'approcha d'elle et la questionna, bien résolu d'apporter un soulagement à sa misère. C'était charitable sans doute, mais le brave homme aurait mieux fait de passer son chemin, car aux premières paroles, la vieille se rebiffa: - «Vous dites, Môssieu le Curé; vous v'lez nous mettre au bureau de Bienfaisance, nous aut' qu'avons point d'enfants... et ça, du temps qu'y a des malheureux voisins qui crèvent la faim avec leurs ribambelles de gosses... Ça s'rait du prop', ça, par exemple! - Vos voisins? grommela le saint homme de prêtre, je sais... Mais ne peuvent-ils pas vous imiter? Ne peuvent-ils pas tendre des draps comme vous? - Mais, sauf vot' respect, j'en avons point tendu non plus, nous, d'draps! - Comment?... Mais, enfin, pourtant... - Ah! j'y suis. Faites excuse, Môssieu le Curé, mon homme devait aller le lendemain à la noce du cousin Léonard, et comme i'n'avait plus ni bas, ni ch'mises de prop' a fallu que j'y en blanchisse! Par la même occasion, j'ai lavé les deux draps d'not' lit. Et dame, j'sommes si mal logés; point d'grenier, point d'eour, j'ai été forcée d'faire sécher ma lessive dans la rue!» Moulin de Clan, 15 juillet 1896. Valse Mystique. A Mon Ami Abel Renault. Le soir, quand paraît la première étoile, Les coeurs de tous ceux qui sont morts d'amour Viennent vers la terre et fendent le voile Qui les cache aux yeux des vivants, le jour. Alors, dans la nuit brune et fantastique, Leur sang meurtri pleut et retombe en pleurs Sur l'herbe, troublant la mélancolique Chanson de sanglots du vent dans les fleurs. Et les coeurs en peine, et les pauvres coeurs Dansent dans les airs la valse mystique!... Ils accourent tous!... le coeur du poète Et de son amante aux yeux langoureux, Le coeur de l'éphèbe à la blonde tête, Le coeur torturé des vieux amoureux, Le coeur de la vierge aimante et pudique, Le coeur de la femme aux baisers trompeurs, Ils accourent tous!... pris d'un nostalgique Besoin de revoir le val des douleurs. Et les coeurs en peine, et les pauvres coeurs Dansent dans les airs la valse mystique!... Ils tournent noyés dans des flots d'extase, Parmi des parfums lourds et capiteux Tandis que la lune au front de topaze Etincelle au fond du ciel nébuleux; Et leur tourbillon noir et magnétique Poursuit son chemin, semant des lueurs D'or en fusion dans la magnifique Splendeur de l'espace aux vagues pâleurs. Et les coeurs en peine, et les pauvres coeurs Dansent dans les airs la valse mystique!... Mais, sitôt que perce un clair rayon d'aube Et qu'un chant d'oiseau bruit dans le vallon, Leur essaim léger au loin se dérobe Et plus rien!... alors, plaintifs, ils s'en vont, Pour rentrer, passer sous le grand portique D'azur diaphane enlacé de fleurs D'opale où le Dieu calme et pacifique Dénombre, un par un, le troupeau des coeurs. Et le lendemain, tous les pauvres coeurs Reviennent danser la valse mystique. Pierre Printemps. Variation Sur L'Air De Malbrough. Au bon temps de naguère Mironton, ton, ton, mirontaine, Au bon temps de naguère C'était comme aujourd'hui, (bis) Le duc est à la guerre Mironton, ton, ton, mirontaine, Le duc est à la guerre Sa dame pense à lui. (bis) Quand, par une vesprée, Mironton, ton, ton, mirontaine, Quand, par une vesprée, Aux portes du manoir, (bis) Frappe mine atterrée, Mironton, ton, ton, mirontaine, Frappe mine atterrée, Un page en pourpoint noir, (bis) Dame! ma gente dame! Mironton, ton, ton, mirontaine, Dame! ma gente dame! Ton seigneur est défunt (bis) Vois-tu voler son âme Mironton, ton, ton, mirontaine, Vois-tu voler son âme Sous l'horizon sans fin (bis) Lui dit-il, tout en larmes, Mironton, ton, ton, mirontaine, Lui dit-il, tout en larmes, Mais comme il est joli (bis) La duchesse, que charment, Mironton, ton, ton, mirontaine, La duchesse, que charment, Les yeux de ciel pâli (bis) Va prendre en sa main blanche, Mironton, ton, ton, mirontaine, Va prendre en sa main blanche, Celle du damoisel. (bis) Vers sa lèvre se penche, Mironton, ton, ton, mirontaine, Vers sa lèvre se penche Et, douce comme miel: (bis) «Le duc est mort en guerre, Mironton, ton, ton, mirontaine, Le duc est mort en guerre, J'ai trouvé mieux que lui.» (bis) Au bon temps de naguère, Mironton, ton, ton, mirontaine, Au bon temps de naguère C'était comme aujourd'hui. Orléans Le Progrès Du Loiret, n° 58, du 30 septembre 1898 Le Vieux Trouvère. Chanson. Dans ce temps-là, je n'avais rien, Rien du tout dans mon escarcelle, Et ma lyre était tout mon bien; Dans ce temps-là je n'avais rien Que de grands trous à mon pourpoint Et le coeur de ma damoiselle. Dans ce temps-là je n'avais rien, Rien du tout dans mon escarcelle. J'allais chanter dans les manoirs La geste du vieux Charlemagne, Et, gueux d'argent, riche d'espoirs, J'allais chanter dans les manoirs Devant les dames aux yeux noirs Dont les barons faisaient compagne. J'allais chanter dans les manoirs La geste du vieux Charlemagne. On m'aimait... j'étais adoré Car j'avais ce qu'il faut pour plaire: Le regard vif, l'air déluré; On m'aimait... j'étais adoré Et m'étais toujours figuré Qu'on vivait d'amour et d'eau claire On m'aimait... j'étais adoré Car j'avais ce qu'il faut pour plaire. Je payais souvent un baiser D'un rondel ou d'une ballade Lorsqu'on voulait bien me laisser, Je payais souvent un baiser Comme ça, sans jamais toucher A ma bourse toujours malade, Je payais souvent un baiser D'un rondel ou d'une ballade. Quand ma toute belle voulait Un collier d'or aux lueurs folles Pour entourer son cou fluet, Quand ma toute belle voulait!... Je lui faisais un chapelet D'éblouissantes lucioles, Quand ma toute belle voulait Un collier d'or aux lueurs folles. L'avenir était devant moi Comme un jardin couvert de roses Et, plus riant que pour un roi, L'avenir était devant moi... Mais, maintenant, au vieux beffroi Vont sonner mes heures moroses. L'avenir était devant moi Comme un jardin couvert de roses. Riche et vieux!... las! m'ont dit adieu Jeune pastoure et gente dame Que mes cheveux blancs tentaient peu. Riche et vieux!... las! m'ont dit adieu Car je n'attends qu'un mot de Dieu Pour voir, vers lui, voler mon âme. Riche et vieux!... las! m'ont dit adieu Jeune pastoure et gente dame!... Pierre Printemps. Note. (1) variante: Chère. Source: http://www.poesies.net