Poésies Completes. Par Honoré Harmand (1883-1952) Textes Assemblés Par Alain Prevot Petit-fils du poète. Copyright 2007 Remerciements Poésies.net remercie Alain Prevot pour avoir ressemblé et fournit ces textes et pour nous autoriser à poster les poésies d'Honoré Harmand. TABLE DES MATIERES Préface Par Alain Prevot La folie du poète Ce que j'ai vu Philosophie L'ébauche La Pâquerette La chaumière La vague Nuit de septembre Le Retour Le désespoir L'heure du souvenir Rêves et réalités Les douleurs du poète L'isolement Le retour de Pierrette Nuit de Novembre Le nouvel an Souhaits à Pierrette Allusion Les ombres Fin d'illusions Amour passé C'était un rêve Présage L'heure suprême C'est pas chique s'que t'as fait là Un dîner chez Lacuite J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper L'heure profonde Lendemain de Fêtes La lettre de Pierrot Un rêve Pensées 1906 Le Printemps de Pierrot Le Papillon Le Carnaval Les Larmes J'ai peur d'aimer Frissons d'avril Philosophie Quand la cloche sonne Pierrot et la Lune Rupture Le fantôme Susceptibilité Souvenir Impressions Dactylographie Les soupirs A Pierre Corneille L'heure d'ennui Quand l'amour meurt Les larmes de Pierrot Pour oublier La foi qui trompe Fatalité L'heure passée Le poète mourrant Le spectre La cinquantaine Les adieux du poète Fleur de grève Le livre de vie Je veux aimer Soir de juin La joie du poète La maison de Clotilde Fleur fanée coeur aimé L'heure heureuse La mort de l'enfant du siècle L'heure des larmes Les Heureux Allégorie Les Naufragés L'heure fatale Les morts s'amusent L'heure d'aimer Soir d'Amour Noces d'Argent Lettre à l'absente Désillusion Présages Mes souhaits Soir d'été A Clotilde. Bouquet de pensées La famille Nuit d'août Le prix des larmes Epitre familière André Gello Papillons bleus Souffrances et consolations Acrostiche d'amour Le Poète au Poète Rassurez-vous La légende du Poète La fête de Pierrette Le Pardon de Pierrette Les épis du glaneur Les souvenirs 1906 Du Passé au Présent Le temps Premier Regret A un nouvel ami Enigme La lettre de Pierrot La réponse de Pierrette L'brassage à St-Pierre Pauvre petit Chanson du soir Les ombres de la Nuit A Ninette Bonheur parfait L'automne (1906) Feuilles mortes L'Aurore Ma gaîté L'Angélus de l'Amour Rêve d'Amour Vieilles maisons Chair ardente Papillons Roses Brumes d'automne Crève la Faim Tristesses d'automne Le chrysanthème Version 1937 Choses passées Frissons d'automne Les heures d'Amour La ptit'Rouennaise Lamartine L'Incompris Pourquoi pleurer Le Poète et la Vie Le vieux clocher Epître familière Le Poète et la Mort L'Hiver Mensonge des nuits Aux Egoïstes Coups de fouet pour arriver Le rêve du poète Coups de fouet pauvre soldat Budgétivores Pour une verrière Noël d'un gueux A ceux qui pleurent Fécondité A la Réalité L'Egalité des fleurs Vertige Toi Souvenances Le Poète et la Muse A mon Docteur Je t'aime Les frissons de la Muse Vous et moi Trop Belle Plus Tard Consolations Aux voluptés Vers l'Idéal Aux enfants Mélancolie Stances à l'Aimée La Môme Si j'étais Riche Réalités J'ai trop rêvé La lettre Mes souhaits T'en rappelles-tu ? Te rappelles-tu? Heureux qui. . . Réconciliés Les trois chimères La mort de la Dame aux Camélias Sonnet (A mademoiselle MORENO) Les épis du glaneur J'ai pas d'patience Le Petit Mousse Le ème de Falaise La lettre du forçat Ma demeure Qu' ça sembl'bon d'sortir La chanson des Misères Le Frisson d'Amour La gueuse de vague Le rêve que j'ai fait J'aime les vieux Les Brûmes A ceux qui jasent Sonnet A Monsieur VAUTIER Poète La Foi Les neiges de la France Le secret du bonheur La chanson du baiser Pourquoi Le cortège des gueux Vérité Les cloches La plus belle des fleurs Rêve et Philosophie Si vous saviez La source Pastorale Condoléances Peut-être Un saltimbanque Le retour Pour vous deux Chanson La feuille morte La dernière étape A ma fille Impressions Dans un vieux cimetière A des fleurs des champs Anniversaire (A Mme JOBERT) Deux brins de muguet Dans une mansarde Soir d'alerte Le Monde Un cher prénom Chanson sans frais Portrait Destinée La Vie La pâquerette (1936) Misère sentimentale Réponse à un faire-part Mon bon chien Au feu les pompiers L'Automne (1936) Le prix des larmes L'âme du foyer La lettre à l'enfant prodigue Le langage des yeux Si je comprenais Triptyque Je ne puis pas Le bonheur A Marina, « l'inoubliable » C'était un vendredi. . . Les souvenirs (1937) Le 3ème arrondissement En causant à « La Mort » Dans les grands yeux de mes enfants Porspoder Tonton Mathurin Huit jours après Le grand vide Réponse à un compliment A mon fils (1938) Amuse-toi, Jeunesse Le pont de l'Eure Vingt septembre Septembre Le courage A mon ami le fossoyeur Passe -- le temps La coupe de bois Mariage en deuil La neige Anniversaire (A une Grand-Mère) Pieux souvenir Tout seul Hyménée (1941) Départ Un « Au revoir » Cela fait tant plaisir aux vieux La prière du vieux sonneur Mon village sous la neige Recueillement Soir d'hiver Ma fortune Demain Un ami La soupe La famille Réplique Pour votre fête La garde Les heures noires Soixante ans La pluie Dialogue A une communiante 28 mai 1944 Remords Journal Du 20 au 31 août 1944 L'araignée et la guêpe Ils étaient douze Poème pour « Maman » A un communiant Le plus beau jour de ta vie Annie Le rêve du vieux A des yeux bleus Un bon gendarme Les jours d'échange Trois temps d'un verbe A propos d'adieux Mon compagnon Restrictions Les bienfaits du camping Pour un mariage L'orphelin Comme on change A une revenante Enigme L'heure du berger Anniversaire (A mon fils) Ma vanité Page d'amour Le bohème La Reconnaissance L'atmosphère Mon vieux clocher A ma fille Espoir Heureux le paysan Qu'êtes-vous devenues ? La lyre brisée L'illogisme de la Mort Réponse à une lettre Mes beaux lilas On a sonné Une mise en boîte La belle soirée La Saint Henri Pour Claudet 1946 Pour Jean-Marie 1946 Un fils ingrat Maman Tableau pour une mère A l'absente Impressions d'un passant Père Noël Lettre au Père Noël La bûche de Noël Jour de l'an A une servante J'ai dit à ma Muse Orgueil de mère La tétée Anniversaire (A ma fille Léone) Pour ta fête Gestes d'enfant Sainte Yvette Sainte Gisèle N'oublie jamais Page pour ton album Simonne et Pierre Pour Claudet 1947 Saint Henry Pour Jean-Marie 1947 15 août 1947 Tes premiers pas Si vous étiez ma Mie Réponse à un poème d'anniversaire La vérité Maison de retraite Leçon de choses Sainte Léone Hyménée (1948) Après la fête Au Vaudreuil Le train qui part Mise en boîte J'sais pas chanter Une rencontre Un flirt Vision macabre Réponse à un quatrain sur un accident d'auto Réponse à un quatrain sur l'art de traiter les litiges Souvenir de vacances Poème souvenir du août Le baptême de Patrick Pierre et Denise Les vingt ans de Jeannine Remerciements A propos d'une union future Un dimanche, tout seul Anniversaire (A ma fille Léone 1949) Seize ans Pensées 1949 Souvenirs 1950 Vingt neuf ans Le démon tentateur A propos d'adieux Anniversaire (A ma fille Yvette) Pensée sur « La vie » A une communiante (1950) L'équipe Trente ans O ! Muse éveille-toi. L'Eden Un enfant NOTES ET VARIANTES Remerciements Par Alain Prevot La folie du poète Version 1905 Ce que j'ai vu Version 1905 L'ébauche avec texte raturé D'après Alain Prevot La Pâquerette Version 1905 La chaumière Premiere version 1906 La vague Version 1905 Le désespoir avec texte remplacé et supprimé d'après Alain Prevot L'heure du Souvenir Version 1905 Rêves et réalités Version 1905 Les douleurs du poète Version 1905 Les douleurs du poète Version 1906, avec texte remplacé d'après Alain Prevot Fragments Sans titre 8 avril 1906 Sans titre 23 avril 1906 Sans titre Septembre 1906 La Vie (incomplet) 7 septembre 1906 Sans titre 20 septembre 1906? Anniversaire A mes Oncle et Tante 15 octobre 1906 Sans titre (incomplet) Novembre 1906 Croyez-vous q'c'est pas révoltant (incomplet) 15 novembre 1906 Sans titre 10 janvier 1907 Porspoder Texte antérieur à 1938 (incomplet) Nuit de Novembre avec texte supprimé D'après Alain Prevot J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper avec texte supprimé D'après Alain Prevot Le spectre Version 1906 Chrysanthèmes Version 1906 Les ombres Version 1906 T'en rappelles-tu? Version 1907 La plus belle des fleurs Version 1910 ********* Préface Par Alain Prevot Petit-fils du poète. Sans penser à rivaliser avec CORNEILLE, LAMARTINE, Jean-Jacques ROUSSEAU ou Philéas LEBESGUE, qu'il admirait, notre grand-père, Honoré Constant Michel HARMAND, a beaucoup écrit, principalement des poèmes, à raison d'un par jour, pratiquement, et aussi des pièces de théâtre, jouées à Rouen, dans l'île Lacroix. Souvent primé, plus souvent classé « hors concours », il pouvait parler « en vers » comme d'autres s'expriment en prose. Né le 7 novembre 1883 à Rouen (au n° 72 de la route de Darnétal), il fut d'abord, après être passé par les Beaux-Arts, « employé de commerce » puis « employé SNCF », à un grade lui conférant l'usage du train en « première classe ». Il a épousé Jeanne Laurence Alfrédine CHAPELLE, le 20 juillet 1907, à Rouen, où il a longtemps vécu avant de s'installer au Vaudreuil (au bord de l'Eure). Il est décédé le 20 mars 1952. Bon vivant, amoureux des femmes, terriblement « cérébral », considéré souvent comme un « original », il ne pouvait laisser indifférent ; de grande taille, il était surnommé « Bec de Gaz » par ses amis intimes. Au moment de son décès, ses cahiers furent dispersés et seuls six d'entre-eux, parfois en bien mauvais état, sont parvenus jusqu'à nous, ses descendants ; ils nous présentent un homme exceptionnel, n'ayant connu qu'une gloire éphémère et régionale ; nous avons donc souhaité léguer, à ses successeurs, son « oeuvre » et c'est la raison de cet ouvrage. Certes, au moment des banques de données numériques, il peut sembler désuet d'éditer un ouvrage papier n'ayant pas vocation à la vente ; il nous semblait pourtant inconcevable de ne pas présenter son oeuvre sur le support qu'il avait tant utilisé, même si une version « numérique » est aussi disponible. La méthode était donc simple : recueillir tous les « cahiers » du poète, puis saisir tous les textes sous un logiciel de traitement de texte. Pour ne pas trahir l'auteur, langage et orthographe de l'époque ont été scrupuleusement respectés ; les différentes versions des poèmes, révisés parfois des décennies plus tard, ont été présentées ; les poèmes incomplets sont aussi disponibles. Tous les textes sont présentés par ordre chronologique, sauf en fin d'ouvrage où ont été regroupés les poèmes impossibles à dater. Pour agrémenter l'ouvrage, nous avons choisi de publier aussi les quelques dessins réalisés par Honoré HARMAND, et parvenus jusqu'à nous. Nous avons par ailleurs demandé à un peintre paysagiste ami, René ELIE, l'autorisation de reproduire nombre de ses oeuvres, sans oublier André VAN BEEK, heureux propriétaire de la maison de Philéas LEBESGUE, qu'Honoré HARMAND connaissait bien, en raison de son admiration pour lui, mais aussi par une alliance de cousinage. Alain PREVOT Petit-fils d'Honoré. La folie du poète Visions 12 avril 1906 Sous la pâle clarté d'un flambeau vacillant Un crâne devant moi, j'admirais le Néant J'admirais cette image aux pénétrants mystères Qui figurent la Mort et les douleurs amères Dont l'homme est affligé dans les jours d'ici bas Récompense qu'on donne aux portes du Trépas Telle est la loi suprême et la grave sentence Qui condamne le Crime ainsi que l'Innocence Les femmes les vieillards et les petits enfants Les mortels sont égaux devant les jugements Proclamés sans raison et sans aucune preuve Par un juge inflexible aimant jeter l'épreuve Sur la route où se dresse un abîme fatal Que cache savamment la caresse du Mal Où l'homme, aveugle, va, où il tombe et trébuche Ignorant de son sort sans souci de l'embûche Qu'on a creusé pour lui dans l'ombre du malheur Qui le tient maintenant, pénètre dans son coeur Dans la joie où il cherche un baiser qui console Jusque dans la misère où se fane et s'étiole La belle fleur d'amour, la suprême beauté Richesses sans valeur dont le sort fut doté Trésor mystérieux qui flatte notre envie Qui s'efface aussitôt que disparaît la vie Qui change tristement en un spectre tremblant Drapé dans un linceul qu'on nomme le Néant. Ah ! Que vois-je grand Dieu ma raison frémissante Se trouble, s'obscurcit, l'image est ressemblante C'est bien celle que j'aime et pour qui j'ai pleuré Elle vit dans ce crâne et le crâne a parlé Dans cet os qui remue Elle vient d'apparaître C'est Elle j'en suis sûr je crois la reconnaître A ce regard troublant à ces grands cheveux noirs A cette voix plaintive au sein des désespoirs Oui ce sont ses grands yeux, son doux regard de rêve Semblable à un beau jour qui lentement s'achève Et va plus lent encor se perdre dans la nuit Où tout dort son sommeil dans le Temps qui s'enfuit Ce sont ses lèvres où je cueillais la caresse Qui grise le cerveau et chasse la tristesse Cette source où l'amant s'abreuve du baiser Cherche à calmer la soif qu'il ne peut apaiser Et ce corps tout entier qui tremblait sous l'étreinte J'y vois une blessure où se marque l'empreinte D'une douleur obscure ouvrage d'un méchant Qui doutait de l'amour que prodigue l'enfant Qui te frappais brutal et couronnant son crime D'une honte moqueuse aux yeux de sa victime Sous la pâle clarté d'un flambeau vascillant Elvire en ce temps-là je t'offris au Néant. Non c'est une folie, un repentir qui passe Comme un éclair mortel qui traverse l'espace On a peur et tremblant qu'il vienne jusqu'à soi On se cache il n'est plus ainsi que notre émoi Ce Crâne que j'ador sera toujours le même C'est la mort figurée en un tragique emblème Qu'on a peur d'admirer tant il est effrayant Pourquoi ah j'ai compris le spectacle est trop grand Notre esprit ne veut ni apprendre ni connaître (????) Quand nous ne sommes plus ce que devient notre être Le crâne parle encor et je veux l'écouter A cette longue étude il faut m'intéresser Je veux savoir aussi au-delà de cette ombre Ce qui vit et respire en la demeure sombre Que le tombeau nous cache et que savent les morts Je veux savoir aussi si nos tristes remords Trouvent un aliment dans la source profonde Qui coule sous la terre où règne un autre monde Ô Elvire, je veux connaître tes amours Depuis ton grand voyage au sein des autres jours J'avais perdu le feu qui dévorait mon âme Dans ton doux souvenir j'entretenais la flamme. De cet amour fatal à la mort condamné Je t'admirais encor en ce crâne adoré Parles ! Dis-moi bien tout, fais moi des confidences As-tu connu la joie ou les pleurs les souffrances Dis-moi ce que tu sais tes rêves entrevus En ces palais sacrés des vivants inconnus Dis-moi as-tu pleuré l'existence cruelle Que tu menais jadis où toujours la querelle Se partageait les jours ravis à la gaieté Dans l'autre monde hélas aurais-tu hérité Des larmes, des regrets dont tu fis la fortune Dans les heures fuyant, tristement une à une Vers un passé qui meurt et s'éveille parfois Pour tourmenter l'oubli aux indulgentes lois En pesant les malheurs de cette vie à l'autre La balance plus lourde a-t-elle vers la nôtre Un penchant incliné ou bien est-ce vers toi Que la douleur incline Elvire réponds-moi « Non loin de ton amour j'ai vécu dans la joie Et quand la mort te guète avide de sa proie Il ne faut pas trembler, on a peur de mourir Mais dans l'autre séjour on vit le souvenir Des heures où l'on aime et des folles chimères Le bonheur consacré aux heures éphémères Chaque jour est suivi d'un jour encor plus beau Il apporte avec lui un chant toujours nouveau Qui grise notre coeur et souvent nous enivre L'homme vit de plaisir pour le plaisir de vivre J'ai vu dans ces palais des amants s'embrasser Après des mois d'absence enfin se retrouver Dans un jardin fleuri j'ai reconnu Cythère Ce temple qu'on adore et méprise sur terre Chez nous est souriant au coeur qui sait prier Et comprendre l'amour en un mot sait aimer J'ai vu la vérité coudoyer le mensonge Le sombre repentir et son grand mal qui ronge J'ai vu le crime obscur flétri et pardonné L'instant où de regret le coupable a pleuré J'ai vu le ciel s'ouvrir et se fermer l'abîme Le pardon est sensible et sait juger le crime Sous la pâle clarté d'un flambeau vascillant Voilà ce que l'on voit dans l'ombre du Néant ». Ah ! Que je suis heureux à cette heure suprême Je ne veux pas pleurer. Mon Elvire que j'aime Vit encor et pour moi a cessé de souffrir Tout renaît avec Elle et tout sait m'attendrir La Nature elle-même a semé de verdure La plaine où le ruisseau timidement murmure Les arbres ont fleuri et le ciel azuré Semble plus souriant à mon coeur rassuré L'amour de ses chansons de son feu qui dévore Dans le crâne a gravé l'image que j'adore J'aime je veux fêter le retour du passé Je veux autour de moi voir le trouble exalté Horreur ! Ah ! Je suis fou cette lèvre glacée Réveille dans mon coeur la douleur effacée Le Crâne n'est qu'un crâne et dans ses trous obscurs J'ai trouvé le malheur dont les projets futurs Veillent déjà cruels auprès de l'Espérance Prêts à empoisonner ma fragile existence Prêts à tout condamner de ce que j'aimerai Et punir le plaisir quand je le défendrai Pourquoi m'être grisé d'une aussi folle extase Pour vider jusqu'au fond le contenu du vase Dont notre lèvre avide a soif à chaque instant Où repose caché un poison violent Le regret superflu aux trompeuses alarmes Je cherchais la gaieté qu'ai-je trouvé ? Des larmes ! Sous la pâle clarté d'un flambeau vascillant Un crâne devant moi j'ai compris le Néant. Honoré HARMAND Ce que j'ai vu 25 mai 1906. Que ne puis-je être hélas un immortel génie Pour chanter le grand rêve où j'aperçus la vie Sous les tableaux changeants de la joie aux douleurs Sous la trompeuse loi des sourires aux pleurs Sur la scène vivante aux sombres comédies Au sein même et sous l'oeil des foules étourdies Et dans l'obscurité comme aux clartés du jour Dans le vice caché au profond de l'amour. C'était par un beau soir tout imprégné de rêve Un de ces soirs d'été où l'heure passe brève, Où le temps fuit rapide emportant nos désirs Comme la brise froide aux sinistres soupirs Je voguais incertain sur l'océan du vide En guidant mon esquif sur ce grand flot stupide Qui grandit les mortels aux portes du Trépas Nom qu'on donne à la route où s'égarent nos pas. Qu'on appelle Destin, hasard ou existence Noms différents entre eux sans grande différence Les rayons affaiblis d'un beau soleil couchant Donnaient à la nature un aspect si charmant Que mon coeur endurci devant cette merveille Sentit comme un reflet de la flamme vermeille Eclairer ma souffrance et mon grand désespoir Comme un dernier rayon sur l'ombre d'un beau soir ; Un souffle de gaieté traversa ma pensée Oubliant mes chagrins ma douleur insensée Je dis à ce tableau dans l'abîme des temps Vas-tu fuir t'effacer pour renaître au Printemps Mais déjà de la nuit la grande écharpe sombre Sur le soleil couchant semblait jeter son ombre Et comme le plaisir aux trompeuses douceurs Le jour disparaissait en de faibles lueurs. Cette heure du couchant comme elle me rappelle Les jours de la gaieté dont la fin est cruelle Il est de ces instants qu'on ne peut oublier Mon frêle esquif allait au gré du nautonier. Les roseaux chancelants sous la brise légère Semblaient courber le front pour saluer la terre Les vagues s'agitaient formant un grand sillon Que la coque traçait, que creusait l'aviron Et courant en rouleaux se heurtant au rivage Elles semblaient vomir la colère et l'outrage Dans ce tableau du soir un instant entrevu Un plaisir passager voilà ce que j'ai vu. Au sein de la forêt sous ses arches profondes J'aperçus un ruisseau qui promenait ses ondes Il coulait ignoré loin des yeux indiscrets Comme les jours d'un homme aux modestes secrets Des fleurs parfums perdus à la tige chétive Etaient tout l'ornement de sa source craintive Caché sous l'herbe fraîche et sous les rameaux verts. Il figurait l'oubli loin des honneurs pervers Modeste en son domaine il coulait en silence Sans orgueil sans désirs méprisant l'opulence Du torrent qu'on admire et qui plaît à nos yeux Quand il va bondissant en flots impétueux En semant la terreur dans son onde troublée Heureux sont les mortels dont la gloire ignorée Sommeille dans l'oubli à l'ombre des grandeurs Dans un lieu solitaire on sèche mieux ses pleurs. Sur les bords du ruisseau assis dans l'herbe humide Un poète songeait sa figure timide Avait l'air de candeur du tout petit enfant Et ses yeux grands ouverts jetaient un feu troublant Comme un désir qui grise et qu'entretient l'ivresse Quand l'amour nous conduit aux bras d'une maîtresse Sa lèvre semblait chaude encor d'un doux baiser Et sans doute en ce lieu il venait pour pleurer Dans le calme si doux de la forêt profonde Pour mieux se recueillir il avait fui le monde. Aux arbres endormis confiant ses malheurs Il venait pour causer de ces instants trompeurs Qui chantent le plaisir et sont couverts de joie L'instant où l'on jouit est l'instant où la proie Est plus facile à prendre et tente mieux l'oiseau Qui la déchire aimant voir saigner le lambeau Et la chair qu'il dépouille est plus appétissante S'offrant mieux à sa faim quand elle est frémissante. Il chanta ses douleurs ses peines et ses maux Les plaintes des mortels sont comme des fléaux Qui s'abattent cruels sur l'homme sans défense Il semble à certains jours qu'on fût pour la souffrance Destinés sans merci sans aucun jugement L'homme naquît sans doute au sein du châtiment. Puis comme un doux frisson le murmure de l'onde Sema dans son coeur vide une douceur féconde Il se sentit bercé par un souffle nouveau Et le monde à ses yeux ne fût plus un bourreau. Son coeur avait parlé à la source ignorée L'onde avait répondu il était consolé Dans ce tableau suprême un instant entrevu L'amant de la nature est celui que j'ai vu Au milieu de sa chambre en des larmes amères Un amant regrettait les heures éphémères Du temps heureux d'amour et de ses voluptés Songes, rêves perdus, dans l'oubli, effacés Il disait se peut-il que l'amitié suprême Passe rapidement dans le coeur d'une femme Se peut-il que l'amour ne vive qu'un matin Et que l'âme se brise aux portes du Destin. La vie était si douce au sein de la campagne Et sur les bords du lac au pied de la montagne Quand nous rêvions tous deux elle disait souvent Sur la barque fragile allons au gré du vent. L'homme a besoin d'aimer, les douceurs d'un beau rêve Sont le consolateur quand le plaisir s'achève Quand l'espérance meurt dans les coeurs le trépas Creuse un vide effrayant qui ne se comble pas. Le temps est un fantôme on le touche il s'efface On l'implore il a fui sans laisser une trace De son passage heureux, seul le temps des douleurs Se grave dans les yeux au passage des pleurs. Vois ces rochers muets vois ces ondes limpides Quand nous les admirons les heures moins rapides Semblent chanter encor dans la brise du soir Notre coeur est fermé aux lois du désespoir Vois ces tapis de mousse humides de rosée Cet arbre reflétant son image adorée Dans le miroir du lac. Vois la lune apparaît Vois sa pâle lumière en un rayon discret Vois la nature en fête et notre âme en délire Ecoutons dans la nuit le roseau qui soupire La chanson du berger qui veille dans les champs La voix de la forêt où s'engouffrent les vents A ce concert étrange où se berce la vie Sachons pour de longs jours arrêter notre envie Sur la vague plaintive aimons le temps s'enfuit Le jour passe tu sais et bientôt dans la nuit Le rêve va mourir et sur nos fronts moroses Le chardon des douleurs va remplacer les roses Dans cet homme attristé d'un bonheur disparu Dans la mort du passé je me suis reconnu. Sous un ciel azuré des bandes amoureuses Promenaient lentement leurs cohortes rêveuses Pèlerins de l'amour au temple du plaisir Elles allaient chanter les stances du Désir La douleur de leur voix et leur marche lascive Avaient de ces flots bleus l'image fugitive Quand leur folle caresse au sein des voluptés Donne un baiser de rêve aux rivages domptés Elles allaient chanter les crimes de Cythère Goûter dans une orgie un plaisir de la terre. Une heure que l'on croît un baiser de l'amour Qui passe qu'on regrette et revit tour à tour Une heure que l'on croît être l'heure suprême Qui chante la douleur mais qu'on adore quand même. La voile de l'esquif qu'enfle un tendre zéphyr Est prête à s'envoler et semble déjà fuir Tous les êtres sont là sur la barque fragile Les amants enfiévrés dont le cerveau fébrile Exhale la folie en désirs exaltés Ont des yeux reflétant des regards enflammés Ils sont grisés d'amour et d'étranges caresses En des baisers brûlants dévorent leurs maîtresses Le départ a sonné ils s'éloignent du port Où vont ces détraqués peut-être vers la mort Ils vont insouciants déjà loin du rivage L'esquif est entraîné sous un ciel sans nuage Ils voguent ces heureux vers un lieu incertain Sur les flots argentés d'un souriant Destin Tout semble souriant dans l'avenir qui s'ouvre On ne sent pas le mal quand le Désir le couvre Les arbres oscillants sous la brise légère Chantent de ces mortels la gloire passagère Les fleurs ont un parfum troublant mystérieux Qui grise le cerveau et fait briller les yeux Les ruisseaux des forêts et les sources profondes De leurs flots enchantés semblent grossir les ondes La Nature a changé et la marche du temps Accélère son pas dans les chemins si grands. Tout chante tout est gai. La voix de la nature Pour cette heure d'amour en son faible murmure Semble chanter aussi l'heure où l'on veut aimer Que suit l'autre heure hélas celle qui fait pleurer. Eh ! Qu'est-ce cette foule au fond de cette allée Qui s'écoule en riant bruyante échevelée Quel étrange spectacle admirable odieux Des femmes des enfants, des jeunes et des vieux C'est le peuple venu aux festins aux orgies Pour consumer le feu des ses ignominies C'est la folle jeunesse et les vieillards tremblants Qui viennent s'amuser aux jeux des grands enfants C'est le flot incertain la vague qui se brise C'est le baiser perdu sur la lèvre incomprise L'esquif qui les guidait a pour nom le Bonheur Il cache dans ses flancs la trompeuse douleur Dans un baiser troublant un étrange délire Qui rôde autour de nous dans l'ombre du sourire Il s'éloigne du port, quand arrive le soir Un autre le remplace et c'est le Désespoir. Ah ! Que vois-je sortir des maisons éclairées Des êtres trébuchant et d'épaisses fumées Leurs pas sont vacillants comme sont les roseaux Que le vent, dans la nuit, incline sur les eaux Horreur ! Des femmes nues des yeux au regard sombre Des fantômes affreux qui se cachent dans l'ombre Des hommes enivrés qui murmurent des mots Des amantes pleurant de sinistres sanglots Une longue cohorte où se vautre l'ivresse Un souffle de dégoût un soupir de paresse Un rivage jonché de cadavres tremblants Un tableau de la mort et les cris déchirants Des épaves d'amour de pâles figurantes Des scènes qu'on vivait dans le temps des bacchantes Une foule éperdue aux portes de la mort Des mortels innocents des fautes de leur sort. Quel lugubre tableau la vague rugissante Ramasse tous les corps et sa bave méchante Entraîne loin du port tous ces infortunés Tous ces enfants du siècle à la mort condamnés Et dans tout ce mélange indescriptible ouvrage Etalant à nos yeux la plus sanglante page Dans la nuit de l'amour. Un fantôme égayé Sourit de voir le monde à la mort entraîné Qui es-tu spectre affreux cynique personnage Comment te nomme-t-on et quel est ton présage ? Rions désabusés ! Car je l'ai reconnu La Mort et les mortels voilà ce que j'ai vu ! Cette vision m'a été inspirée un soir de l'an dernier. Je l'ai traduite dans le rythme imposé par la littérature. Elle explique tout à fait la vie telle que je la vois à présent. Peut-être la critique la condamnerait-elle mais ceux qui ont vécu ne changeront rien au fond du poème c'est la vérité en vision. Je n'ai pas écrit cette poésie sous l'inspiration d'une lecture. C'est ce que j'ai vu un soir en regardant dans la nuit c'est que voient les poètes quand les muses se bercent dans l'ombre. Honoré HARMAND Philosophie A mon ami Justin RENARD 24 août 1905 Au sein de l'existence où se joue notre envie Des êtres malheureux un instant voient le jour Et les sombres ténèbres de la Philosophie Sont un baiser de rêve à leur fatal amour. Bien loin de cette foule où l'esprit égaré Se perd insouciant dans un vaste chemin Ils méprisent la vie comme un songe effacé Comme un jour de plaisir resté sans lendemain Ils luttent pour la joie et leurs yeux pleins de larmes Semblent dire au bonheur, pour nous tu n'es pas né Donnes à tes favoris la douceur de tes charmes Que demande un coupable quand il est condamné Rien des jours d'aujourd'hui, rien pour ceux de demain Il vogue sans espoir sur les flots du malheur Il est né pour souffrir. Qu'importe son Destin Les coups de l'infortune ne frappent pas son coeur Il rit de la souffrance et loin de l'effrayer Ce mot plein d'amertume qu'on ne peut adoucir Lui semble naturel comme le mot aimer Puisque l'un comme l'autre fait tout autant souffrir. Justin reconnais-tu dans cette sombre image Notre vie incertaine, nos tourments nos douleurs Je veux faire un volume et la première page Semble attendrir déjà la source de mes pleurs Depuis longtemps ami, unissant nos idées Nous avons vu la vie sous le même horizon Mais aussi des nuages, traversant tes pensées De leur incertitude ont frappé ta raison Tu as crû que l'amour a des heures suprêmes Où la vie moins cruelle adoucit tous les maux Tu as été trompé ; ces heures elles-mêmes D'un langage sacré t'ont parlé des tombeaux Tu les as écoutées ; bien d'autres avant toi Sur cette longue route ont égaré leurs pas Ton coeur comme les autres soumis à cette loi Au seuil de l'espérance a heurté le trépas Je n'ai pas échappé à la lourde caresse Des lèvres enfiévrées dont le feu nous dévore Et dans les bras tremblants d'une folle maîtresse J'ose le confesser oui je me berce encore Mais ce n'est plus le feu des heures du passé Qui consume le coeur de la foule en délire C'est le souffle divin d'un beau rêve effacé C'est le son qui s'échappe des accords de ma lyre Ah quand ton coeur usé par l'amour adultère Aura désaltéré sa fièvre dévorante A la source maudite aux lèvres d'une mère Tu rougiras du crime en méprisant l'amante Tu seras comme moi ami écoutes bien Et tu n'auras pas peur de voir la mort en face Dans la belle nature cherchant un vrai soutien Tu oublieras ton mal, tout en perdant sa trace Jetons un grand linceul sur ce qui est passé Et parlons d'autres choses ; de notre caractère Pourquoi ? Comme un pendule ton cerveau balancé Va-t'il de la gaieté au temple solitaire ? Pourquoi suivant les heures, ton esprit incertain Aime-t'il d'un enfant la suprême caresse Ou bien dans un beau rêve entrevu le matin Adores-tu l'image d'une jeune maîtresse Ou bien du fatalisme en discutant les lois Jettes-tu ta colère aux pieds de l'existence Ou bien allant rêver à l'ombre des grands bois Du côté de la vie penches-tu la balance. Ou la voix de la mort t'appelle et tu l'écoutes Tu n'es plus philosophe et la vie te fait peur Tu es découragé et tu crois à tes doutes Le matérialisme est maître de ton coeur Ecoutes ta raison seule philosophie Que j'aime retrouver quand vient l'incertitude Le coeur change souvent, bien fol est qui s'y fie Je le sais, cher Justin, car j'en ai fait l'étude Aujourd'hui dans l'aisance ma triste vie s'écoule Demain dans la misère un instant égaré Peut-être recevrai-je le mépris de la foule Mais dans mon existence rien ne sera changé Je n'irai pas plus loin étendre mon envie Je n'irai pas plus loin glorifier mon sort Et malgré les douleurs dont m'a doté la vie Je me sens éloigné des affres de la mort Je ne demande rien aux bienfaits de la terre Je ne voudrais adoucir sa cruelle agonie Il existe un remède à ta dure souffrance Ce remède suprême, c'est la philosophie. Honoré HARMAND L'ébauche (Les visions du poète) A mon ami Robert BUSNEL 28 août 1905 Depuis longtemps déjà on parle de la vie Sous mille et un costumes, bien souvent travestie On nous l'a présentée, riante échevelée Suivant que des poètes la muse tracassée Etait dans la gaieté ou bien le désespoir Alors ! On l'habillait dans un grand linceul noir Et les poisons suprêmes, fatales espérances La faisaient se traîner dans des flots de souffrances Et l'on voyait son spectre au regard languissant Sonder d'un oeil fiévreux les portes du néant. La vie, qu'est-ce après tout ? Un souffle, une fumée L'étincelle que donne la bûche consumée Quand dans l'âtre noircie, de sa douce chaleur Elle adoucit du froid la mortelle rigueur La vie, mais c'est l'image d'une joie passagère C'est l'ombre d'un beau rêve, d'une gloire éphémère C'est le dernier regard d'un mortel expirant C'est les derniers rayons qu'exhale le couchant C'est la plainte du coeur que l'amour a blessé C'est dans un avenir les regrets du passé La vie, c'est autre chose ! Pour ceux qui savent lire Dans son livre sacré. Moi, je vais te le dire La vie, c'est une ébauche, c'est une mise en place C'est une allégorie que le Destin nous trace ; Suivant que le cerveau la méprise ou l'ador Elle est faite d'argile où sur un socle d'or On la voit s'élever, grandir, être chef d'oeuvre Sous la main de l'artiste qui sourit à son oeuvre Hier j'ai fait un rêve ; je me croyais artiste Dans un grand atelier à l'aspect fantaisiste Je modelais le socle d'une oeuvre originale D'un style bien moderne, d'une idée peu banale Je voulais de ma vie reconstruisant l'image Adorer mon passé dans ce précieux ouvrage Mais de sombres lueurs éclairant ma détresse Ont frôlé mes visions d'une lourde caresse Ce que j'ai vu Robert, comme c'était étrange Une traînée de boue, un grand ruisseau de fange Coulait sur les tombeaux d'un vaste cimetière Tout était endormi dans la nature entière Pas un souffle, un murmure, un gazouillis d'oiseaux Un remuement de feuilles, un soupir de roseaux Rien qu'une plainte aiguë, un grand cri de douleur Un râle répété par un écho moqueur J'étais seul au milieu de ce tableau de mort Assis sur une pierre je discutais mon sort Je revoyais cette heure où dans de petits langes Je dormais, comme au ciel doivent dormir les anges Je revoyais ces masques qui font peur aux enfants Je veux parler de ceux qu'on appelle parents Criminels et bourreaux qui pour l'heure d'amour Se soucient peu des suites d'une folie d'un jour Je revoyais mes pas, égarés dans le vice Et je pleurais, Robert, d'être le sacrifice Offert à cet autel que l'on nomme la vie Fatalité néant, beau rêve qu'on oublie Je revoyais l'amour et ses trompeuses lois Les regrets d'aujourd'hui les désirs d'autrefois Une voix me parla, tout tremblait dans on être J'entendis un mot, un vague mot « Peut-être » La vie tient à ce mot et vous l'aimez quand même Pourquoi ? Parce qu'un jour une extase suprême A laissé dans le coeur une goutte de miel Mais au fond de la coupe, il reste encor du fiel Et les lèvres avides buvant jusqu'à la lie Au fond du vase impur trouvent leur agonie On rit de ces grands mots, mais ne sont-ils pas vrais La mort ne prévient pas elle nous suit de près En vain on veut lutter mais elle est le plus fort On veut la fuir à droite elle nous frappe à gauche La vie c'est une étude et j'explique la mort D'un côté le chef d'oeuvre et de l'autre l'ébauche. Honoré HARMAND La Pâquerette 31 août 1905 Loin du bruit, vivant ignorée Je suis la fleur, chère aux amants Et que cueille la bien aimée Dans les jours heureux du printemps Ma tige fragile et légère Se balance au souffle du vent Comme se berce une chimère Dans les rêves d'un jeune enfant Mon nom aisément se devine Je vis modeste dans les champs Mes pétales couleur d'hermine Semblent de grands papillons blancs Je suis le symbole suprême Le grand conseiller des amours Et l'on m'admire quand on aime En effeuillant mes beaux atours J'explique aux amants le problème Qui se cache aux yeux des jaloux Quand mon pétale dit je t'aime Les coeurs méchants se font plus doux Parfois de trompeuses chimères Tout bas soupirent un aveu Les douleurs semblent moins amères Quand mon pétale dit « un peu » Il est des jours dans l'existence Où le bonheur vient tout à coup Apportant avec l'espérance Le doux murmure du « beaucoup » Dans les heures qui passent brèves Au sein de mon isolement Sous la caresse des beaux rêves On aime « Passionnément » Mais dans le ciel de gros nuages Jettent parfois l'obscurité Sur le grand livre aux belles pages L'oubli souvent s'est arrêté Alors tristement on me cueille On me méprise un peu partout C'est la colère qui m'accueille Quand on arrache un « Pas du tout » Je suis le symbole suprême Le grand conseiller des amours Et l'on m'admire quand on aime En effeuillant mes blancs atours Honoré HARMAND La chaumière 6 avril 1906 Dans un coin retiré d'une sombre campagne Se dresse un petit toit de chaume recouvert C'est là où bien souvent ma lyre s'accompagne Aux derniers bruits du soir dont j'aime le concert Le voyageur qui passe en voyant ma chaumière S'arrête et sur ses murs grave parfois son nom Comme on grave des mots sur les tombes de pierre Où l'herbe pousse et croît à la belle saison C'est là où j'ai connu le Plaisir, la jeunesse Là où j'ai feuilleté le livre des amours C'est là où j'ai connu le Baiser, la Caresse Du temps qui fuit rapide emportant les beaux jours C'est là où j'ai rêvé des folles espérances Que l'on cherche à vingt ans au sein du vrai bonheur Quand j'étais à l'abri des cruelles souffrances Qui surgissent Hélas des blessures du coeur Je vivais très heureux dans mon petit domaine Rien ne troublait mon rêve et mon illusion Grandissait chaque fois que sa troublante haleine Exhalait la gaieté en ma confusion Je ne demandais rien aux lois de la Richesse N'avais-je pas l'amour, qui calmait mes désirs Les yeux couleur d'azur de ma douce maîtresse De leur regard troublant effaçaient mes soupirs Mais le temps a passé comme passent les roses Qu'on respire aujourd'hui pour les cueillir demain Le bonheur disparut et les heures moroses Ont bien avant le soir assombri mon Destin Un jour vers d'autres cieux mon amante infidèle S'est enfuie oubliant tous nos pensers secrets Seul avec ma douleur pour me consoler d'Elle J'ai chanté du passé les funèbres regrets Je suis venu pleurer où jadis le sourire Me grisait follement de ses accents moqueurs Dans ce palais obscur, j'aime revoir et lire Les mots qu'elle traçait dans ses aveux menteurs J'aime souffrir encor pour Celle qui m'est chère Malgré sa trahison je ne peux l'oublier Je suis fou il est vrai, mais j'aime la chimère Il est des jours heureux qu'on doit se rappeler Je suis un voyageur les murs de ma chaumière S'offrent à mon ciseau je veux graver son nom Sur ce temple sacré où l'amour éphémère Viendra peut-être un jour implorer le pardon. Honoré HARMAND La vague A mon ami Justin RENARD, Souvenir de mon voyage à Dieppe le 18 septembre 1905 Version du 6 avril 1906 Ce soir, j'ai parlé à la grosse Vague, Et j'ai dit : « pourquoi ta caresse vague Touche-t-elle au port Pour se retirer bien loin de la rive, Comme un pâle enfant à l'âme chétive Effrayé du Sort ? » La Vague m'a dit : « je suis une amante Qui frôle en passant de sa lèvre errante Un front inconnu Quand tout endormi dans un grand mystère Semble agonisant et que sur la Terre Le soir est venu » J'ai dit à la Vague : « au fond de l'abîme Pourquoi plonges-tu la faible victime Le pauvre marin Quand il va joyeux, bien loin du rivage Et revient le soir, traqué par l'orage Qui signe sa fin ? » La Vague m'a dit : « je suis de la vie L'image qui plait et que l'homme envie Quand il est heureux Mais souvent hélas je deviens obscure Comme Elle je change et tout bas murmure Mes chants douloureux » J'ai dit à la Vague : « au sein de tes ondes Pourquoi caches-tu les heures profondes Et le Désespoir Pourquoi lances-tu ta folle colère Contre le pêcheur dont la vie amère Est si dure à voir ? » La Vague m'a dit : « quand l'heure est venue Tu ris et la mort est la bienvenue Dans ton coeur souffrant Mais elle s'en va jeter sa vengeance Dans un autre asile où son inconstance Berce l'Innocent » J'ai dit à la vague : « au sein des ténèbres Combien comptes-tu de drames funèbres De fatales morts ? Le nombre en est grand et l'Heure suprême Doit en accusant ta colère extrême Noircir tes remords » La Vague m'a dit : « à l'heure du Rêve Quand l'amour arrache une extase brève A tes longs soupirs De tes yeux rougis s'échappent des larmes Et le repentir grandit les alarmes De tes souvenirs ». Honoré HARMAND Nuit de septembre 18 septembre 1905 C'était dans la nuit d'un jour de septembre Que Pierrot tremblant entra dans ma chambre Me conter ses maux Et ses yeux pleuraient d'innocentes larmes Et son coeur meurtri disait les alarmes Des coeurs en lambeaux Il avait perdu sa douce Pierrette Enfant aux beaux yeux, fragile conquête Au sein du Plaisir Offre du destin que la mort réclame Baiser de l'amour et enivrante flamme Faite d'un désir Ils s'aimaient bien fort dans une mansarde Où se balançait dans la lueur blafarde D'un pâle flambeau Mais il suffisait, et dans leur détresse Ils vivaient heureux dans une caresse Que le monde est beau Ils vivaient heureux mais dans cette vie Où dans la douleur l'extase ravie Passe tristement Il existe peu de bonheur durable La même sentence atteint le coupable Comme l'innocent Il me raconta son touchant poème A peine ébauché et sa face blême Disant sa douleur N'avait plus le feu des douces caresses Songes effacés, suaves promesses Que dicte le coeur Je le consolais mais peine perdue Le pauvre Pierrot de la disparue Conservait le deuil D'un consolateur la caresse vaine Ne peut protéger la faiblesse humaine Des lois du cercueil Puis sous ses yeux bleus j'ouvris un grand livre Où j'avais écrit comment on doit vivre Dans les jours d'ennuis Il lut mon passé mes heures suprêmes Les pages d'amour sont toutes les mêmes Aux yeux de l'oubli Le vent agitait les feuilles jaunies Emblèmes frappants dont les agonies Expliquent le sort Pierrot regardant la route jonchée Me dit « la nature est-elle touchée Aussi de la mort ? » Mais quand de l'hiver les tristes ravages Ont tout effeuillé et que les orages Semblent disparus Aux clartés du jour tout semble renaître En est-il ainsi des lois de notre être Quand l'homme n'est plus Dans un lieu plus pur chante-t-il sa gloire Est-il pour la lutte un peu de victoire Au pauvre mortel Tout ce qui s'éteint qui meurt sur la terre Dans une autre vie a-t-il sa chimère L'azur d'un beau ciel Ou bien malheureux dans un autre monde Voit-il s'écouler la source profonde Des grands désespoirs D'un signe fatal marque-t-il la page Où se dessinait la suprême image De ses rêves noirs Puis un grand silence aux lourdes caresses Du pauvre Pierrot grandit les tristesses De peine et d'effroi Les feuilles mortes frappant aux fenêtres Semblaient expliquer ce que sont les êtres Comme lui et moi. Honoré HARMAND Le Retour A mon ami Auguste PAIN En souvenir de mon voyage à Fécamp 28 septembre 1905 Déjà tout est changé dans la vieille cité D'un frisson de terreur le peuple est agité Cette foule haletante familles de pécheurs Semble avec le retour attendre des malheurs On a dit que là-bas dans le vaste horizon Des barques revenaient de la grande saison On a dit ! Mais c'est vrai. Regardez sur la grève Cette masse compacte, cette image de rêve Voyez ces faces blêmes et ces coeurs angoissés Ces regards pleins de fièvre presque désespérés Voyez ! Le peuple attend le retour de la vie Car avec les pécheurs elle semblait partie Une voile oscillante apparaît tout là-bas On croit la deviner ! Mais on ne la voit pas C'est la voile d'un tel ! Non, c'est celle d'un autre ! Une vieille en pleurant, tout bas dit, c'est la nôtre Elle appartient à tous et tous ils croient la voir A cette heure suprême tout leur parle d'espoir Les enfants souriants en causant à leur mère Disent, les innocents, tiens voilà petit frère Regarde donc, maman, tu vois dans le lointain C'est sa barque qui vient, c'est elle, j'en suis certain Les petits s'intéressent aux angoisses des grands Les fiancées sont là pour revoir leurs amants Les parents inquiets du retour de leur « fieu » En remuant leurs lèvres semblent parler à Dieu Au loin un point jaunâtre se berce mollement C'est la première barque elle vient doucement Elle avance, on la voit, c'est celle de Jean-Pierre Cette fois, c'est bien lui, dit, tout heureux, son père Eh, quoi, on ne meurt pas pour un si court voyage Je l'ai fait plusieurs fois ! Mais quand on a mon age La rame semble lourde à nos bras fatigués Eh ! Puis mes picaillons je les ai bien gagnés Jean fera comme moi quand on a du courage On n'a pas peur des flots et l'on brave l'orage Une autre barque, encore, s'avance vers le port Et chacun se demande dans un frisson de mort Ils vont nous raconter ce qu'ils sont devenus Nos gens reviennent-ils ? Où sont-ils disparus ? Mon fils est-il vivant ? Mon homme est-il à bord ? Voilà ce qu'on entend, ah, quel suprême accord Se mêle au bruit du vent qui agite les flots Les épouses en larmes les mères en sanglots Elles pleurent d'avance, car un triste présage Est venu cette nuit sous une folle image Leur parler de tempête de voiles déchirées D'hommes fous de terreur et de barques sombrées Les voiles déployées s'enflent au gré du vent Bientôt pour quelques-uns va cesser le tourment Et bientôt pour les autres apprenant du nouveau Les gars en larmoyant vont parler d'un tombeau D'un long jour de brouillard d'une barque perdue D'une lutte terrible de la mort entrevue D'un rayon d'espérance en voyant des beaux jours Puis cruauté du sort ! Disparus pour toujours. Les voilà débarqués ! Ah, voyez ces étreintes Ces baisers, ces caresses qui se heurtent aux plaintes Voyez ces grosses larmes échappées de leurs yeux Ces pleurs disant la joie des tendres amoureux Et ces baisers d'enfants sur le front de leur père Qui oublie maintenant les longs mois de misère Puis voyez le linceul jeté sur l'existence Les mauvaises nouvelles qui expliquent l'absence De ceux qui sont restés pour ne plus revenir Ecoutez les sanglots qu'on ne peut retenir Suivez ce long cortège de veuves d'orphelins Et comme eux en pleurant insultez les destins Mais l'année passera et quand le gai soleil Chantera du printemps le fragile réveil Vous verrez ceux-là mêmes qui sourient aujourd'hui S'apprêter et partir et vous verrez l'ennui Planer sur la cité comme plane le deuil Sur la chère dépouille que garde le cercueil Vous entendrez les vieux expliquer leur Destin « L'Au revoir d'aujourd'hui », c'est l'adieu pour demain. Honoré HARMAND Le désespoir Version 8 avril 1906 Eh quoi toujours bercé par les flots du malheur Mon esquif ira-t-il emportant ma douleur Vers le même horizon Et n'aurai-je ici-bas pour consoler mes larmes Que ma philosophie et de sombres alarmes Pour guider ma raison N'aurai-je pour tout bien qu'une lyre plaintive Pour toujours regretter la gaieté fugitive Et le plaisir qui passe Et verrai-je toujours le bonheur s'effacer Comme tous les mortels ai-je droit de l'aimer Et de suivre sa trace N'aurai-je qu'à pleurer mes tendres souvenirs Et dans mon coeur meurtri, verrai-je les désirs Trop vite consumés Jeter leur fiel brutal et leur longue souffrance Ou bien ai-je encor droit à la douce espérance Qui plait aux affligés Eh si j'avais osé braver la loi suprême Dans les ordres divins concentrer le blasphème J'eus compris la sentence Qui frappe sans pitié tous les usurpateurs D'une loi qui punit de ses foudres vengeurs La désobéissance Je n'ai rien demandé aux plaisirs ici bas Je n'ai rien accepté de la part des combats Qui revient au guerrier Je voulais seulement dans mon petit domaine Loin de la médisance encor plus de la haine Voir mes jours s'écouler Je voulais dans le sein d'une épouse chérie Goûter tout le bonheur que procure la vie Aux douces hyménées Je voulais le baiser d'un enfant qu'on ador Et sur sa tête chère aux épais cheveux d'or Voir passer les années Je voulais les frissons du suprême bonheur Le Destin me donna comme consolateur La Plainte qui fait mal Il me faut l'embrasser comme une douce amante Il me faut retenir sur ma lèvre brûlante Son murmure fatal Je ne demandais rien qu'un peu de jouissance Un peu de cette joie où le rire et l'aisance Se disputent une place Mais j'ai reçu les pleurs la tristesse ne retour C'est peu pour adoucir l'amertume d'un jour Où la gaieté s'efface Pourquoi me frappez-vous aussi injustement Quel crime ai-je commis pour un tel châtiment Que serait la sentence ? M'élevant contre vous, si j'osais proclamer Que vous êtes des dieux faits pour vous amuser Des lois de l'existence Mais j'ai peur que la foudre qui gronde dans vos mains Se répande et entraîne dans ses flots inhumains Ma dernière chimère Peut-être mes insultes excitant vos projets Grossiraient follement la source des regrets Qu'exhale ma colère Peut-être que la joie qui passe dans mon coeur Est un bienfait perdu et qui vient par erreur Me parler d'espérance En frappant lentement la douleur la plus vive Peut-être enfantiez-vous la gaieté fugitive Pour grandir ma souffrance Eh ! Pourquoi prodiguer votre rage incertaine Que frappez-vous en moi une chimère humaine Un corps qui fut votre oeuvre Pourquoi cette harmonie et pourquoi de grand art Pourquoi donc enfanter si quelques ans plus tard Vous brisez le chef d'oeuvre Il vous plaisait sans doute, aujourd'hui de construire D'adorer vos travaux et demain les détruire Quelle étrange folie Ah je comprends pourquoi nos plaintes opportunes Et nos menaces vaines, nos grandes infortunes Sont les lois de la vie Je n'irai plus jamais importuner le sort Dans cette vie infâme l'homme n'a point de port Il ne fait que passer Ô mort délivres-moi de ces fers qui m'enchaînent Laisse moi m'éloigner sur tes flots qui m'entraînent Où tout doit s'effacer. Honoré HARMAND L'heure du Souvenir 10 avril 1906 Dans l'aspect douloureux d'un sombre cimetière Se dresse un monument dont la simplicité Frappe tous les regards en ce lieu solitaire Où le passant rêveur s'est souvent arrêté Sur une croix de fer se lit une préface Qui dit l'âge et le nom du mortel endormi Dans ce séjour suprême où chacun a sa place Où règne le silence et la mort et l'oubli En lisant l'inconnu sent passer dans son âme Un frisson de pitié et de grand désespoir Vingt ans l'âge d'amour l'âge d'or de la femme L'âge où le coeur n'est pas enveloppé de noir L'âge du vrai bonheur de la folle jeunesse L'âge où loin des soucis qu'enfantent certains jours L'homme sait ignorer la brutale caresse De la douce gaieté aux trompeuses amours Mais pourquoi m'arrêter aux sentiments du monde Associer mes pleurs aux larmes du passant N'ai-je donc pas assez de ma douleur profonde Pour insulter le Sort et blâmer le Néant Oui ma douleur suffit à ma juste colère Et le Temps qui s'envole emportant mes soupirs N'adoucira jamais la fatale chimère Qui vivra malgré tout dans mes grands souvenirs Le soir je viens souvent consoler ma tristesse Près de celle qui dort son éternel repos Je crois la voir dans l'ombre où ma lourde détresse Cherche un peu du Passé dans le sein des échos J'interroge ces lieux où ma timide enfance S'écoulait à l'abri des pleurs et des tourments Sublime en son partage avec la bienveillance D'une enfant comme moi plus vieille de deux ans Mais la nature en deuil me répond plus étrange Qu'au temps où le plaisir sur nos fronts innocents Gravait son nom sacré comme l'âme d'un ange Qui vole dans le ciel aux mystères si grands La source qui s'écoule au sein de la prairie Les arbres entassés dans la grande forêt N'ont plus comme autrefois un air de féerie Une voix qui troublait le rêveur indiscret Il semble qu'un fléau caché dans les ténèbres Veille sur les tombeaux des mânes endormis Et d'un zèle expliqué en des plaintes funèbres Il garde ces palais aux vivants interdits Il semble que la nuit pour moi se fait plus sombre Que ma douleur grandit l'image du passé Il semble que tout meurt dans l'oubli et dans l'ombre De ce que je réclame à mon rêve effacé Je comprends le Destin a changé cette vie Lui la cause du deuil des choses d'ici bas Il a droit de frapper sans jamais que l'on crie Son injuste courroux ne se conteste pas Il commande au Trépas à la belle Nature Inflexible et cruel il méprise le Bien Il rit de la prière et du tendre murmure Il est maître absolu, près de lui Tout est Rien. Honoré HARMAND Rêves et réalités 11 mars 1906 Combien de frissons de belles images Le rêve prodigue à nos faibles coeurs Quand son livre d'or nous montre les pages Où se lit partout le doux mot « bonheurs » Calme est le séjour où notre chimère Nous conduit bien loin des sombres douleurs Grand est le destin qui rend moins amère La dure caresse de nos malheurs Cette paix suprême oui je l'ai connue A l'âge ou l'enfant ne sait pas douter Mais plus tard hélas je l'ai trop vécue Et j'ai trop souffert pour la regretter Je vivais heureux et dans cette vie Où tout disparaît jusqu'aux souvenirs J'ignorais pourquoi l'extase ravie Change notre joie en tristes soupirs Le jour commençait et la nuit affreuse Pour moi n'avait pas la grande frayeur Qui trouble souvent notre âme peureuse Comme un spectre noir au rire moqueur C'était l'âge d'or et de la jeunesse L'âge dont les vieux ont souvent parlé L'âge où sans souci d'aucune détresse L'homme est à l'abri de l'adversité Quinze ans ont passé et de gros nuages Dans l'azur du ciel se sont arrêtés Alors j'ai compris les nombreux ravages Que le rêve fait aux réalités L'Espérance a fui les noires ténèbres Qui m'enveloppaient de chagrins nouveaux Depuis ce temps-là les rêves funèbres Au sein de la nuit me semblent plus beaux Honoré HARMAND Les douleurs du poète 1er novembre 1905 Le 11 mars 1906 Souvent dans le silence où se berce mes rêves Quand mon grand désespoir me parle du passé Je pleure les beaux jours aux chimères si brèves Qui passent ici-bas comme un songe effacé. Je pleure et les échos de la forêt profonde Répètent le secret de mes sombres douleurs Comme l'écho troublé des murmures de l'onde Chante du nautonier les joyeuses clameurs Pourquoi ravir ainsi de belles espérances A mon coeur malheureux d'avoir trop regretté Dis-moi destin cruel gardes-tu des souffrances Pour me frapper encor l'instant de la gaieté Dis-moi si chaque fleur au sein de la nature D'un langage sacré me parlera d'amour Et si je guérirai de l'affreuse blessure Que me fit du passé le funeste retour Je t'interroge en vain que vas-tu me répondre Des choses que je sais déjà depuis longtemps J'ai senti ma raison obscure se confondre Dans l'abîme profond qu'on appelle le Temps. Je comprends le problème et les lois de la vie Le bonheur n'est pas fait pour un désabusé Un beau rêve vécu une extase ravie Et dans le monde hélas pour moi tout est usé Si je cueille une fleur bien vite elle se fane Comme mon espérance aux rayons du malheur La caresse innocente est un baiser profane A ma lèvre qui tremble à la moindre frayeur La cloche au son plaintif d'une voix plus étrange Ne chante plus pour moi que d'amers souvenirs Elle a tout confondu dans un triste mélange Ma gaieté souriante et mes profonds soupirs Eh ! Qu'importe après tout la source du mystère Qui jette son linceul sur mon rêve effacé Pourquoi troubler mes jours d'une vaine colère Je ne demandais rien on ne m'a rien donné. Honoré HARMAND L'isolement 16 novembre 1905 Quand le crépuscule embrassant la terre Jette la douleur comme une misère Sur nos espérances Je chante mes maux au jour qui s'enfuit Et je dis aussi à la sombre nuit Toutes mes souffrances J'aime respirer cet air qui m'enivre Quand dans la nature tout cesse de vivre Jusqu'au lendemain Et que les échos, la brise du soir Répètent mes pleurs et mon désespoir Aux lois du Destin J'aime entendre aussi les tristes concerts Les sons de la cloche qui trouble les airs De ses harmonies Comme la jeunesse aime les plaisirs J'aime le silence et ses longs soupirs Faits de rêveries J'aime les regards du soleil couchant Quand à l'horizon il va lentement Perdre sa lumière Et que ses rayons d'un baiser de rêve Embrassent encore le jour qui s'achève Comme une chimère Cette heure suprême m'explique la vie Et tous les secrets qu'elle me confie Chantent les douleurs Que mon coeur exhale aux ombres errantes Aux heures qui passent tristes figurantes De tous mes malheurs Puis quand tout s'efface et que les ténèbres Ont développé leurs voiles funèbres Sur le jour qui fuit Je confie mes peines au profond silence Qui de son baiser glace l'existence Au sein de la nuit Et je dis pourquoi, la belle nature Les arbres qui perdent leur verte parure Au seuil des hivers Semblent ils renaître avec les beaux jours En est-il de même de tous nos amours Aux regrets amers Hélas le bonheur quand il disparaît Emporte avec lui le triste secret Des illusions Il ne reste plus à nos coeurs usés Que quelques débris de jouets brisés Des confusions L'homme ainsi frappé d'un cruel Destin Féconde aujourd'hui les pleurs de demain Et dans sa colère Il nourrit sa haine des mépris du sort Il a peur de vivre et parle de mort Dans chaque prière Moi je suis cet être, je n'espère plus Dans mon existence tout est superflu Jusqu'à mes douleurs Ô mort qui prends soin des maux d'ici-bas Emporte avec toi vers d'autres trépas Mes ombres malheurs Honoré HARMAND Le retour de Pierrette 20 novembre 1905 Depuis longtemps déjà qu'elle avait disparu Pierrot ne songeait plus à sa douce Pierrette Il disait en riant son amour imprévu N'a duré qu le temps d'une folle amourette Le Plaisir l'appela, écoutant ses accords Et voulant oublier ses misères passées Il partit le coeur gai et l'âme sans remords Vers le palais du rêve aux chères hyménées Mais un jour le plaisir aux joyeuses clameurs Ne chanta plus hélas ses chansons éphémères Et Pierrot chancelant sous le poids des douleurs S'enfuit loin de la joie emportant ses chimères Il partit loin du bruit au sein de la forêt Et dans les murs glacés d'une sombre demeure Seul avec sa tristesse il vécut en secret Espérant dans la vie une place meilleure C'est là que je l'ai vu, des larmes plein les yeux Ecrire du passé les pages d'espérance C'est là que j'ai trouvé un être malheureux Se traîner languissant au seuil de l'existence Il pleurait les beaux jours où la franche gaieté Chante aux coeurs des amants son langage suprême Il pleurait les douleurs de ce temps regretté Le temps de la jeunesse et le temps où l'on aime Tout à coup les échos de la brise du soir Apportèrent au seuil de la demeure sombre Un murmure, une plainte, un cri de désespoir Et près de lui, Pierrot crut voir passer une ombre Dans le calme profond de la grande forêt Une voix murmurant une faible prière Dit dans l'isolement j'ai suivi le regret Ecoute cher Pierrot c'est la voix qui t'est chère C'est la voix de Pierrette elle t'aime toujours Peut-être dans ton coeur des pages effacées Ne gardent plus le feu de nos tendres amours Dis-moi ces pages d'or sont-elles oubliées Vois de mes yeux rougis les pleurs du repentir S'échappent tristement sur ma lèvre expirante En songeant au passé tu dois te souvenir Des pleurs qui disent tout d'une voix si touchante Pierrot depuis ce jour d'un style harmonieux Ecrit pour l'avenir les lois de l'existence Et quand Pierrette pleure il ouvre sous ses yeux Le livre des amours au doux mot Espérance. Honoré HARMAND Nuit de Novembre 2 novembre 1905 Onze heures sonnaient l'heure du repos Troublant de la nuit le profond silence Onze heures sonnaient et tous les échos De la vieille cloche hâtaient la cadence La nuit était sombre et le froid brutal D'un souffle glacé ébranlait ma porte Comme fait l'amour au baiser fatal Quand il vit encor sur la lèvre morte La neige tombait en gros tourbillons De son blanc linceul recouvrant la terre Elle ressemblait à des papillons Voltigeant le soir près de la lumière Dans ses tourbillons la voix du passé Chantait mes douleurs au sein des ténèbres Et les souvenirs d'un rêve effacé Et la lourde plainte aux accents funèbres Une histoire ancienne un conte bien vieux Que celui d'un coeur pleurant ses chimères Un serment d'amour un ciel radieux Une heure vécue et puis des misères Pour un autre coeur celle que j'aimais Quitta ma mansarde une nuit d'automne Depuis ce temps là je vis des regrets Et des désespoirs que le jour me donne Sans doute l'hiver mon sort malheureux Aurait assombri son règne éphémère Et le beau tableau qu'enviaient ses yeux Frôla d'un désir sa lèvre adultère Mais pourquoi pleurer le temps qui n'est plus Et graver l'ennui sur mon front morose Pourquoi caresser des voeux superflus Quand mon coeur se ferme au beau rêve rose Quand la neige tombe en gros tourbillons Pourquoi me griser de mes souvenances L'enfant malheureux couvert de haillons Est-il moins que moi sujet aux souffrances Pourquoi regretter les folles amours Les soirs de la vie ont des heures brèves L'amertume est là qui guète nos jours Et sème l'ennui dans nos plus beaux rêves Une heure sonnait l'heure du repos Troublant de la nuit le profond silence Une heure sonnait et tous les échos A mon coeur guéri parlaient d'Espérance. Honoré HARMAND Le nouvel an 1er janvier 1906 Déjà le jour s'enfuit vers les sombres ténèbres Que garde le passé Déjà vers le tombeau les cortèges funèbres Dans la vie ont passé A cette heure de joie où tout semble sourire Au grand jour de demain Seul avec ma douleur tristement je soupire Méditant mon destin Je pleure et les échos ont répété mes larmes A mes jours malheureux Dis-moi, nouvelle année, auras-tu d'autres charmes Pour exaucer mes voeux Déjà sont arrivés sur le seuil de ma porte Les enfants souriants Cette image, Destin, est-ce toi qui l'apporte Entrez chers innocents Venez je vous invite à chanter vos romances A mon coeur déjà vieux Venez consolateurs dans les grandes souffrances Venez sécher vos yeux Venez me rappeler les heures disparues Dans l'abîme du Temps Venez me rappeler les gaietés entrevues Dans les jours du Printemps Comme vous autrefois j'ai connu la jeunesse Je n'ai fait que passer Dans cette vie heureuse où règne la tendresse Quand l'homme sait aimer Comme vous j'ai parlé un langage suprême En ce jour des souhaits Mais hélas tout s'efface et le coeur quand il aime Est chargé de regrets Quand vous aurez senti sur vos lèvres moroses Le baiser du malheur Vous saurez chers enfants combien nos rêves roses Exhalent de douleur Et quand le nouvel an aux cruelles romances Tremblera sous vos pas Vous lui demanderez pour calmer vos souffrances Le baiser du trépas Honoré HARMAND Souhaits à Pierrette A Jeanne CHAPELLE 1er janvier 1906 Pierrette voici les beaux jours Annonçant la nouvelle année Heures chères dont l'hyménée Ressemble bien à nos amours Ils viennent semer dans nos coeurs Les doux germes de l'espérance Et semblent à notre souffrance S'offrir comme consolateurs Ils apportent pour nos désirs Une abondance de chimères Faites pour rendre moins amères Les heures des grands souvenirs Ils donnent à nos coeurs joyeux De l'amour des douces caresses Avec d'innombrables promesses Qu'on exprime comme des voeux Pierrette écoute mes aveux L'année apporte tant de charmes Que l'image de nos alarmes S'effacera vite à nos yeux Je veux que nos coeurs souriants Aux douces choses de la vie Ne connaissent plus d'agonie Et n'écoutent plus les méchants Je veux que les lois du bonheur Se lisent toujours sur nos lèvres Que les gaietés qui passent brèves Nous éloignent de la douleur Et si la cruauté du sort Nous reprochait l'amour qu'il donne Je dirais au Dieu qui pardonne Qu'il nous entraîne vers la mort Pourquoi pleurer en ces beaux jours Annonçant la nouvelle année Pierrette c'est notre hyménée Que je veux chanter pour toujours ; Honoré HARMAND Allusion 26 janvier 1906 Il est des heures dans la vie Où l'homme doit tout pardonner Il est des douleurs qu'on oublie Quand le temps peut les effacer Honoré HARMAND Les ombres 31 mars 1906 Dans les profondeurs de la nuit Deux ombres se glissaient sans bruit Sous les grands arbres effeuillés On eût dit le baiser d'un rêve Où les frissons de l'heure brève Aux ineffables voluptés L'amour de sa grande aile rose Semblait couvrir leur front morose Et leur corps vibrant de caresses Près de moi le les vis passer Puis disparaître et s'effacer Comme de trop belles promesses Un mois après tard dans la nuit Une ombre se glissait sans bruit Sous les grands arbres effeuillés En dépit de l'heure suprême Une amante à la face blême Cherchait de folles voluptés Mais l'amour a des ailes noires Et comme souvent nos victoires Du deuil des heures éphémères Quand tout disparaît ici bas Combien d'Etres dans le Trépas Croient encor trouver des chimères Honoré HARMAND Fin d'illusions 26 janvier 1906 Dans un petit coin de village A l'ombres des grands peupliers Deux amants d'un tendre langage Causaient sur les coeurs ignorés Ils disaient pour toute la vie Faisons mille voeux de bonheur Et que les serments qu'on oublie Ne touchent jamais notre coeur De la gaieté l'heure est si brève Jurons de nous aimer toujours Que la caresse d'un beau rêve Soit un lien pour nos amours Mais le lendemain ô surprise Le fol amant vers d'autres cieux Fuyait, laissant là sa promise Et son séjour délicieux Il partit bien loin de la belle Emportant ses illusions Comme s'envole l'hirondelle Quand viennent les froides saisons Et le coeur brisé, l'âme en peine L'amante pleura mais en vain Comme une sainte madeleine Toute la nuit, le lendemain Puis lasse de trop d'espérance Et des injustices du sort Pour mettre un terme à sa souffrance Elle appela l'affreuse mort Depuis ce temps dans le village A l'ombre des grands peupliers Une croix figure l'image Des serments trop vite oubliés. Honoré HARMAND Amour passé 31 janvier 1906 Rien n'est changé à cette place Où jadis vivait notre amour La nature a gardé la trace De nos serments du premier jour Sur l'écorce de ce vieil arbre Son nom près du mien est gravé Comme sur un tableau de marbre Le nom d'un être regretté En vain j'implore la caresse Du temps qui ne peut revenir Et pour consoler ma tristesse Les frissons d'un cher souvenir En vain je chante à l'infidèle Les douces choses du passé Quand l'indifférence cruelle Dans son coeur a tout effacé Rien n'est changé à cette place Où jadis vivait notre amour Mais l'amante a perdu la trace De nos serments du premier jour Honoré HARMAND C'était un rêve Les visions du passé (corrigé de fin 1905) 2 février 1906 Que de fois dans la vie oubliant mes douleurs N'ai-je pas écouté une trompeuse chimère Amante à la gloire éphémère Comme la gaieté dans nos coeurs Ce soir je suis heureux, pourquoi je ne sais pas Le rêve m'a touché de sa douce caresse Et semble éclairer ma détresse Dans l'obscurité du trépas Dans la nature en fête où règne le plaisir La mort ne chante plus et son image noire A confondu dans ma mémoire La tristesse et le souvenir D'où viennent ces accords est-ce un monde nouveau Qui d'un dieu ignoré célèbre les louanges Ou la voix des spectres étranges Qui surgissent de leur tombeau D'où viennent ces concerts, ces accents inconnus On dirait le frisson de mes amours passées Pages trop vite effacées Du temps qui ne reviendra plus C'est la voix qui m'est chère annonçant le retour Des serments oubliés et de nos rêves roses Quand elle disait mille choses A mon coeur enivré d'amour Toi qu'un fatal oubli chassa vers d'autres cieux Reviens me dire encor ton langage suprême Viens sécher sur ma face blême Les pleurs échappés de mes yeux Déjà tu disparais, pour ne plus revenir Tout commence ici bas mais hélas tout s'achève Ma gaieté n'était qu'un beau rêve Et mon amante un souvenir Honoré HARMAND Présage A Justin RENARD 13 février 1906 Sauvages pensées Sont souvent cachées Sous un faux plaisir La gaieté sommeille Et prête l'oreille Au profond soupir Aussi tes pensées Que j'ai devinées Ont une valeur Le mal qui sommeille Souvent se réveille Au sein du malheur Honoré HARMAND L'heure suprême 16 février 1906 Dans la nuit affreuse La bande joyeuse Passe et disparaît Glissant comme une ombre Son image sombre Cache un grand secret Aimant le vertige Elle se dirige D'un pas triomphal Vers l'antre cruelle Où l'amour l'appelle Aux portes du bal Déjà pour la danse Brillant d'élégance La jeunesse attend Le moment propice L'instant de délice Au baiser troublant Enfin l'heure sonne Chaque amant se donne Des baisers discrets Les couples s'enlacent Des prénoms se tracent Sur de blancs carnets La musique entraîne L'amour que déchaîne L'étrange chanson Les cerveaux se grisent Les lèvres se brisent D'un charnel frisson On se dit des choses Des paroles roses Qu'on ne pense pas La douce caresse D'une folle ivresse Masque le trépas Mais dans les ténèbres Des spectres funèbres Viennent de surgir C'est la mort qui passe En touchant l'espace D'un profond soupir Le regard des femmes Jette moins de flammes Calme s'obscurcit Les danses s'achèvent Des plaintes s'élèvent Le bonheur s'enfuit La gaieté rêveuse Triste douloureuse Passe et disparaît Et l'heure s'écoule Entraînant la foule Au sein du regret. Honoré HARMAND C'est pas chique s'que t'as fait là A mon ami PANY 22 février 1906 Enfin te v'la parti pauv'copain que j'regrette Te v'la mort pour toujours on ne t'eurverra plus Toi l'ami des bistros le pilier d'la goguette Tu n'chant'ras plus jamais les beaux jours disparus Les chansons du bon vin, les refrains du pressoir Les couplets du poivrot, d'la cuit'et cétéra T'es foutu l'camp mon vieux sans mêm'me dir'aur'voir C'est pas chique s'que t'as fait là. Après avoir vidé durant ta vie entière Des fûts d'pernod d'l'amer du cognac et du vin V'la qu'tu fais des mélanges et qu'tu veux dans la bière Endormir tes tristess' et noyer ton chagrin Tu m'lach'comm'un crétin pour aller dans l'aut'monde Voir si l'liquide est bon ou meilleur qu'dans cuilà Ça doit être la mêm'chos'puisque la terre est ronde C'est pas chique s'que t'as fait là. Le per'Bacchus hélas, d'une injuste colère T'a frappé cruell'ment de ses foudres vengeurs J'sais pas si t'es comm'moi mais de beaucoup j'préfère Les foudres qu'l'on empil'chez tous les vendangeurs Tu dors bien tranquill'ment dans ta tomb'recouverte De vieux tessons d'bouteill'on voit qu't'aimais bien ça Quand j'pens'que t'es parti sans nous payer un'verte C'est pas chique s'que t'as fait là. Dir'que l'aut'jour encor on en buvait ensemble De ce liquid'si doux à nos coeurs délicats Et qu'aujourd'hui hélas c'est tout seul que je tremble En rentrant au foyer incertain sur mes pas Au moins si tu m'sout'nais j'm'en irais plus tranquille J'craindrais pas les r'montranc'et tout leur tralala Tu m'donn'mêm'pas l'courag'de concentrer ma bile C'est pas chique s'que t'as fait là. Enfin j'veux t'pardonner car c'est p'têt'pas ta faute La bière est p'têt'trop fort'pour ton faible cerveau Mais s't'égal s'qui fait chaud à monter la vieill'côte Pour voir un vieux copain pleurer sur son tombeau Comme j'suis prévoyant j'ai ach'té un'bouteille Pour trinquer avec toi tu m'eurfus'ras pas ça Allons un bon mouv'ment à ta santé ma vieille C'est très chique s'que t'as fait là. Ben quoi tu n'te lèv'pas pour siffler un'chopine Tu m'eurfus'ça à moi eh ben mon vieux salaud Quand j'eur'viendrai d'si loin pour que tu t'paie ma mine Je l'jur'sur ton cercueil en hiver il f'ra chaud Va t'en sal'camaro sal'bandit sal'crapule Empoisonné d'la vigne et du philoxéra Pour moi c'est dans la tomb'qu't'as trouvé le scrupule C'est pas chique s'que t'as fait là. Honoré HARMAND Un dîner chez Lacuite A mon ami PANY 23 février 1906 Dans la vie on en voit d'cruelles On vous en compt'qui tienn'pas d'bout Des homm'qu'aval'des bouts d'chandelles Et des sauvag'qui mangent de tout Ben moi j'connais des rigolades Des chos'qui vont vous épater Si j'vous les dit vous s'rez malades Ça fait rien j'viendrai vous soigner L'aut'jour mon brav'copain Lacuite M'dit c'est pas ça mais j'compt'sur toi Sam'di prochain ou bien tout d'suite A v'nir manger la soup'chez moi Com'j'suis pas méchant d'caractère J'lui dis j'voudrais pas t'refuser Surtout n'invit'pas ta bell'mère Parsque j'pourrais pas boulotter L'sam'di d'après à l'heur'précise J'm'amèn'chez l'copain en question Sa fem'me dit j'suis indécise Ma mère'refus'l'invitation Lacuit'me dit t'as l'air tout chose J't'ai pourtant fait un chiq'repas Non j'lui réponds j'ai autre chose Tu comprendras mon embarras Pressé d'questions y veut qu'j'avoue La caus'de ma contrariété C'est qu'j'ai fait tomber dans la boue Le bouquet d'ma Félicité Ça t'fait rir'mais c'est un'bell'fille J'dis à Lacuit'j'vas t'la tracer Elle a des yeux percés en vrille Des ch'veux com'du poil à gratter Son corps est rond com'un'futaille Son visag'blanc com'du café Aussi quand j'la prends par la taille J'te jur'que j'suis embarrassé Lad'su vla sa fem'qui m'dispute Parler ainsi d'l'êt'bien aimé Am'trait'de crapul'de vieill'brûte Si vous saviez s'qua m'a conté J'os'pas vous l'dir'mais oui tout d'même A m'a dit qu'j'étais un sans coeur Qu'j'avais pas l'respect de moi-même Qu'j'étais un poivrot un noceur Moi qui prends qu'douz'cuit'par semaine M'accuser m'salir pareill'ment A m'a traité d'défroqu'humaine De crèv'tout d'bout d'têt'd'enterr'ment Pour pas met'le troubl'dans l'ménage Quand j'ai vu ça j'ai dit j'm'en vas J'invit'Lacuit'à mon mariage Mais sa ménagèr'y s'ra pas. Allez donc fair'des confidences A des amis qu'vous aimez bien Y vous agonis'd'insolences Si j'meurt'nais pas ben j'leur frai'rien. Honoré HARMAND J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper A mon ami PANY 24 février 1906 D'mon nom d'famill'j'm'appell'Lacuite Un nom qu'est caus'de mes malheurs J'me tromp'tout l'temps encor tout d'suite J'viens d'êt'victim'de mes erreurs J'me sentais pris d'un'fort'colique Et j'suis entré pour m'soulager Dans un'cabin'téléphonique J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper Des agents m'arrêt'et m'entraînent Vers le violon directement Puis au commissair'ils apprennent La raison de mon soulagement Par respect d'la magistrature J'cherch'un endroit pour cracher Mais j'lui flanq'tout dans la figure J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper L'autr'jour ma femm'me dit Hilaire J'ai un sacré mal au bidon Chez l'pharmacien tu me f'ras faire Des cachets de pyramidon * J'dis au pobard Adèl'enceinte Voudrait quèq'chos'pour s'soulager Y m'a donné un lit'd'absinthe J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper Dernièr'ment j'vais à la mairie Pour déclarer mon p'tit salé Ah il en faut un'comédie C'est rempli que d'formalité L'employé m'a d'mandé son âge J'savais pu quoi lui raconter J'lui dit il est bon pour l'mariage J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper Un soir mon brav'copain Lamoule M'dit cher Lacuit'j'viens t'inviter A mon mariage y aura foule J'lui dis j'voudrais pas t'refuser Il m'dit mon épous'est charmante J'y réponds t'as dû la payer Dans les grands prix d'trois francs cinquante J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper Jeudi bell'maman s'trouv'malade A grands cris a d'mandait l'méd'cin J'y dis mettez-vous d'la pommade Vous guérirez ça c'est certain A voulait pas a m'dit j'préfère Tout d'mêm'que vous alliez l'chercher Et j'ai ram'né l'vétérinaire J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper Honoré HARMAND L'heure profonde 27 février 1906 A l'âge où la gaieté ouvre son aile rose Et s'envole légère au sein de nos plaisirs Un grand voile de deuil couvre mon front morose Où se lit à jamais l'affre de mes soupirs Je suis jeune à vingt ans tout semble nous sourire Tout se cache à nos yeux les maux et les douleurs Heureux sont les amants qui savent d'une lyre Tirer de l'espérance où je tire des pleurs Ils sont insouciants sur la route fleurie Dans le bois où le rêve a semé le bonheur Ils vont sans un regret, ils embrassent la vie D'une étreinte innocente à l'étrange douceur Moi je m'en vais rêveur dans la forêt profonde Ecouter les frissons de la brise du soir Je m'éloigne du bruit pour expliquer le monde Aux ombres de la nuit à leur grand spectre noir J'aime la cruauté qui s'est appesantie Sur mon coeur déjà vieux pour avoir trop aimé J'aime le dur baiser de la sombre folie Qui trouble de mes jours le rêve échevelé Le malheur la tristesse et toutes les misères Sont les seuls éléments qui parent mon Destin J'ignore maintenant ce que sont les chimères Qu'on adore aujourd'hui pour les pleurer demain Il est fini pour moi ce temps de la jeunesse Ce temps que les regrets trop vite ont effacé Pourquoi me souvenir de sa douce caresse Pour pleurer de jadis l'amère volupté Fuyez chers souvenirs et vous, coulez, mes larmes A l'heure où mon cercueil me parle du néant Eloigne toi, passé, que m'importent tes charmes Un fantôme est là-bas c'est la mort qui m'attend Elle m'appelle hélas de sa voix redoutable Bientôt je vais dormir sous son grand linceul noir Dans ses habits de deuil comme elle est admirable Et combien elle est douce à mon grand désespoir Honoré HARMAND Lendemain de Fêtes 28 février 1906 Le jour tant désiré est déjà disparu Il a passé rapide au milieu du silence Et vous tous qui rêviez de ce bel inconnu Vous pleurez maintenant sa douce souvenance Votre coeur est blessé de son glaive tranchant Qui frappe sans pitié l'innocente victime Votre lèvre a touché la lèvre du néant Et vous avez pleuré sur le bord de l'abîme Comme vous cette nuit j'ai senti ma raison Trébucher en chemin dans sa course fatale Comme vous j'aperçois là-bas à l'horizon Un grand nuage noir à la forme brutale Il avance vers nous et dans son lourd manteau Nous allons nous cacher comme s'il fut la vie Il est une démence où l'on voit le tombeau Sous l'aspect ravissant d'une route fleurie Pleurons le carnaval, à l'heure du plaisir Le bonheur est sensible au murmure des larmes Souhaitons que demain son tendre souvenir Emporte loin de nous nos funestes alarmes Peut-être la gaieté qu'on regrette aujourd'hui Reviendra-t-elle heureuse adoucir nos misères Et sous un ciel plus pur effaçant notre ennui N'aurons-nous à pleurer que des peines légères Honoré HARMAND La lettre de Pierrot 7 mars 1906 Loin de toi ô ma bien aimée Je pleure hélas comme un enfant La flamme trop tôt consumée De notre amour mort maintenant Je pleure seul dans ma mansarde Où jadis nous vivions heureux La lune pâle me regarde Comme elle est triste dans les cieux Il fut un temps où sa lumière Se faisait plus douce à nos yeux Mais tout passe sur cette terre Le bonheur, les jours malheureux Quand la nuit sombre, de ses voiles A couvert la grande cité Et que les nombreuses étoiles Dans les ténèbres ont brillé Je rêve des heures passées Les soirs où tu m'aimais bien fort Des chimères vite effacées Comme une image dans la mort Parfois j'écoute la folie Qui me parle de ton retour Je crois te revoir plus jolie Plus aimante qu'au premier jour Je crois te voir encor plus belle Dans l'ombre de nos souvenirs Mais l'heure s'écoule cruelle Longue dans l'affre des soupirs Reviens apaiser mes alarmes Mes grands chagrins et ma douleur Reviens tu sècheras mes larmes Pierrette si tu as un coeur Alors dans ma vieille mansarde La lune au regard douloureux La lune morose et blafarde Brillera plus douce à nos yeux Honoré HARMAND Un rêve 14 mars 1906 A mon ami Auguste Cette nuit cher ami la caresse d'un rêve A frôlé en passant mon fragile sommeil Elle était si sublime et son heure si brève Qu'on eût dit en Hiver un rayon de soleil Berthe qui bien souvent riait de ma souffrance D'une étrange folie a troublé mon cerveau J'ai crû que sa douleur me parlait d'espérance J'ai crû la posséder dans un amour nouveau Elle avançait vers moi et sa marche lascive Expliquait simplement qu'elle devait souffrir Ses yeux chargés de pleurs et sa face chétive Depuis longtemps déjà avaient su m'attendrir D'une voix ressemblant à celle du mystère Elle dit je reviens te parler du passé Ecoutes si tu veux mes larmes ma prière Si dans ton coeur meurtri tout n'est pas effacé Allons comme autrefois marchant l'un près de l'autre Te souviens-tu encor de nos premiers aveux Ce langage sacré c'est le tien, c'est le nôtre C'est le temps disparu qui nous vit bien heureux Allons en nous grisant d'une folle caresse Dans le petit chemin où j'aimais revenir Les jours où ma douleur avait besoin d'ivresse Où pour me consoler j'avais le souvenir Emu car je l'étais sur sa lèvre suprême Pour apaiser ma soif je cueillis un baiser Un silence et tout bas Elle dit quand on aime Il est une heure chère où tout doit s'oublier Autrefois pauvre ami Esclave de ton doute J'ai souffert comme toi et je t'ai consolé Pourquoi déchirais-tu aux ronces de la route L'avenir qui s'ouvrait pour nous plein de gaieté Pourquoi avoir troublé d'une injuste colère Le temps si fugitif si rapide en son cours Pourquoi avoir blessé notre douce chimère Et jeté le grand deuil sur nos tendres amours Pourquoi ah je comprends ton front se fait morose Nous avions un bonheur que tu n'as pas compris Tu souffres trop veux-tu qu'on parle d'autre chose Des contes amusants que nous avons appris Mais soudain le réveil à mon âme troublée Ne parla plus hélas des amours disparus L'image que j'aimais vite s'est envolée Et dans mes yeux les pleurs abondants sont venus. Honoré HARMAND Pensées 17 mars 1906 La vie est un sillon creusé par nos douleurs. Le souvenir est un caméléon ; il change de couleur suivant qu'il nous rappelle les joies ou les tristesses du passé. L'amour est un souffle de vie sur la lèvre expirante ; sur l'aile de ses espérances nous nous envolons vers la mort. Les larmes, qu'est-ce que c'est ? Des gouttes d'eau jetées dans le sable du désert ; les baisers brûlants de l'oubli les ont vite séchées. L'amour est un enfant qui joue avec des coeurs. Que de tombes n'a-t-il pas creusées de ses petites mains ! Chacune de nos illusions qui s'envole est un pas de fait vers la mort. Simple histoire Un arbre, dans mon verger, inclinait sensiblement vers le sol ; je tournais autour cherchant le moyen de le redresser sans toucher à une de ses branches. Un homme passait sur la route ; il rît de mon embarras ; je l'ai arrêté et je lui ai dit : « songez à tous les esprits qui s'inclinent vers le matérialisme et jugez de toutes les précautions qu'il faudrait prendre pour élever leurs sentiments sans toucher à leur amour-propre ! » Il partit sans me répondre, mais j'ai lu dans ses yeux combien il avait compris qu'il est des êtres qui penchent dans la vie comme les arbres dans mon verger. Les regrets sont parfois comme les vagues de la mer ; ils s'enfuient aussi rapidement qu'ils sont venus. Vous riez de quelqu'un parce qu'il est très laid ; quelle heureuse tranquillité d'être aveugle pour soi ! L'espérance est à nos projets ce qu'une cage est à l'oiseau ; elle les empêche de s'envoler. Nos passions ressemblent bien à la poussière soulevée par le vent ; les unes aveuglent autant que l'autre. Si vous rencontrez quelqu'un qui vous dise : « je n'ai jamais pleuré », tournez- lui les talons, il vous prend pour un imbécile. Nos désirs sont l'image d'un rêve ; quand ils sont satisfaits, l'amertume s'empare de notre coeur. La Réflexion est une balance, elle pèse nos actes et nos paroles. Un tout petit enfant enfonçait de grosses pointes dans un mur ; il s'y prit si maladroitement qu'il se frappa sur la main. Combien de fois avons-nous frappé la conscience d'autrui sans que notre maladresse ait eu pour nous de tristes effets ? Nous sommes cet enfant et, souvent, nous avons frappé notre propre conscience en attaquant celle des autres. Ne dites jamais, « je ferai ceci », « je ferai cela » : l'avenir ne nous appartient pas. La vengeance est la force des lâches ; elle n'attaque jamais en face. Les livres d'amour sont comme les roses ; ils cachent souvent par de belles pages les épines de la réalité. Que de fois ai-je souhaité d'être aveugle pour ne pas voir les grimaces du monde, et sourd pour ne pas entendre les méchancetés qui se disent contre moi. Que d'existences problématiques, qui se partagent les faveurs de l'inexplicable. La vie est un théâtre où l'on joue le drame et la comédie. Honoré HARMAND Le Printemps de Pierrot 19 mars 1906 Quand des longs hivers surgit le Printemps Et que le soleil daigne d'apparaître La folle gaieté des petits enfants Les Arbres géants tout semble renaître Mais pour moi qu'importe un brillant soleil Ou bien le jour sombre ou la nuit suprême L'amour ne vient plus sur mon front vermeil Poser le baiser de Celle que j'aime Vers le cimetière auprès du château Comme l'an passé seul je m'achemine Dans l'étroit chemin qui mène au hameau Dans l'étroit chemin où pousse l'épine J'aperçois là-bas le temple sacré Où je suis venu faire la prière Qu'on dit à genoux près de l'être aimé Quand nos coeurs émus croient à la Chimère J'arrive et déjà mes gais compagnons Les petits moineaux chantent leurs romances Comme dans la nuit loin dans les vallons Les hiboux en deuil chantent leurs souffrances Les fleurs ont poussé dans le grand jardin Que je confiais aux soins de Pierrette Je verrai toujours sa petite main Cueillir la pensée ou la pâquerette La Maison vieillie a l'aspect plus noir Qu'au temps où l'amour nous parlait de rêve Quand pour méditer nous venions le soir L'heure s'écoulait plus douce et si brève Elle seule change et dit la douleur Que j'ai retrouvée au seuil de sa porte Quand le souvenir a touché mon coeur Des derniers frissons de la lèvre morte C'était au Printemps et comme aujourd'hui Les moineaux moqueurs chantaient leurs romances Le soleil brillait, sans aucun souci Nous vivions heureux dans nos espérances Lorsque vers le soir l'heure du retour Dans le grand silence eut jeté sa plainte Et que les échos des bruits d'alentour Eurent exhalé leur chant plein de crainte Pierrette revint d'un pas chancelant Elle était souffrante et sa face blême Ne souriait plus en me regardant Comme si Pierrot ne fût plus le même Quelques jours plus tard le Destin jaloux De notre douleur se fit une fête Dans sa cruauté il mit entre nous La Mort qui ravit ma pauvre Pierrette Depuis ce temps-là quand le renouveau D'un baiser fécond embrasse la terre Je viens pour pleurer sur le froid tombeau Où repose en paix celle qui m'est chère. Honoré HARMAND Le Papillon 22 mars 1906 Où vas-tu ainsi joli papillon Que le vent emporte en sa course folle Au coeur de l'amant que le doute affole Viens-tu annoncer la belle saison Es-tu l'espérance ou bien la raison Qui soutient nos coeurs quand la foi s'envole Es-tu de l'amour le profond symbole Qui sème la joie au sein du pardon Ou bien du trépas image fatale Viens-tu pour frapper d'une mort brutale Des êtres tremblants devant les douleurs Je sais des printemps où tes ailes blanches Touchaient sans regrets des amitiés franches Et jetaient le deuil dans de jeunes coeurs. Honoré HARMAND Le Carnaval 23 mars 1906 Neuf heures dans la nuit un cortège s'avance On dirait les élus de la franche gaieté Tant de ses cris de joie il trouble la Cité Qui repose déjà sous l'aile du silence C'est le peuple qui va s'abreuver de plaisir Au sein de la Folie ivresse passagère Qui demain changera la suave chimère En regrets douloureux comme un grand souvenir L'heure passe rapide et les couples s'enlacent La fièvre dévorante a touché bien des coeurs Les désirs ont grandi à l'ombre des douleurs Qui germent sans pitié quand les lèvres se glacent Quel étrange spectacle et quel triste tableau Bientôt s'offre à nos yeux dans des flots de dentelle Une femme trébuche, elle avance, chancelle Et tombe lourdement comme un coup de marteau Là-bas des gens masqués enhardis se rassemblent Autour d'un travesti quelque fleur de pavé Puis confus s'excusant ils se sont retiré En ces lieux pervertis tant de gens se ressemblent L'air est chargé d'odeurs, de chair de voluptés Les êtres sont frappés des frissons de l'orgie Et déjà les échos d'une sombre élégie Jettent le désarroi dans les cerveaux troublés La nuit touche à sa fin les figures maussades Se montrent sans pudeur car tous on se connaît Chacun à sa valeur à présent apparaît Le Pierrot maladif et les pierreuses fades Cinq heures à l'aurore un cortège a passé On dirait des mortels que hante le suicide Tant on lit de douleurs sur leur face livide Et de regrets amers dans leur coeur abîmé. Honoré HARMAND Les Larmes 29 mars 1906 Les larmes disent bien des choses Au coeur qui veut les écouter Image de nos jours moroses Elles savent nous consoler Larmes de joie ont un langage Qu'on aime entendre murmurer De la gaieté fol héritage Rien ne pourrait les arrêter Larmes d'enfant sont des chimères Que l'oubli vient vite effacer Comme les plaisirs éphémères Rapides on les voit passer Larmes d'amour sont plus cruelles Et plus longtemps savent couler Quand les coeurs se font infidèles Sans qu'on cesse de les aimer Larmes de joie ou de tristesse Savent toujours nous consoler Heureux qui reçoit leur caresse Quand il a besoin de pleurer Honoré HARMAND J'ai peur d'aimer 31 mars 1906 J'ai peur d'aimer. Bien des souffrances Se cachent dans un doux baiser Quand l'amour parle d'espérances Mon coeur me dit j'ai peur d'aimer J'ai peur d'aimer, dans ma folie Je ne saurais pas raisonner L'amour d'une femme jolie Quand Elle n'a pas peur d'aimer J'ai peur d'aimer les soirs d'Automne Quand le soleil va s'effacer Et que la vieille cloche sonne Quand la nuit vient, j'ai peur d'aimer J'ai peur d'aimer dans la campagne Qu'un grand hiver vient de frapper Quand une femme m'accompagne Dans la forêt, j'ai peur d'aimer J'ai peur d'aimer dans ma mansarde Où le bonheur vient expirer Et le souvenir que je garde Fait souvent que j'ai peur d'aimer J'ai peur d'aimer l'heure jalouse Qui nous fait parfois tant douter D'une amante ou bien d'une épouse Je suis jaloux, j'ai peur d'aimer J'ai peur d'aimer en cette vie Où toujours il nous faut pleurer Chaque heure qui nous est ravie Je crains l'amour j'ai peur d'aimer J'ai peur d'aimer l'heure est rapide La Mort qu'il nous faut redouter Déjà sur ma face livide Grave trois mots j'ai peur d'aimer Honoré HARMAND Frissons d'avril A Mademoiselle Maria DIVET (Souvenirs) 2 avril 1906 Avril a déjà murmuré Sa chanson douce et guillerette Dans le coeur plus d'une fillette A quelque chose de changé L'amour a passé dans les heures Propices aux lois du baiser Bientôt les oiseaux vont chanter Le soir sous l'abri des demeures Bientôt les jeunes amoureux Vont cueillir la fleur préférée Sur les champs, la tendre rosée La nuit, va descendre des cieux Bientôt dans la forêt obscure Les poètes vont méditer Heureux qui sait se consoler Des caresses de la nature Tout renaît avec le soleil Les douleurs semblent effacées Les larmes sont vite séchées Au retour du Printemps vermeil Mais aussi les heures méchantes Viendront pour nous faire pleurer Le Temps qu'il nous faut regretter Comme on regrette des amantes Avril a déjà murmuré La chanson douce et guillerette Semblable à la folle amourette Demain, Avril aura passé. Honoré HARMAND Philosophie Aux amis PANY et RENARD 4 avril 1906 Pourquoi pleurer sur cette terre Les larmes sont, bienfait perdu La plainte de toute chimère Qu'on base sur de l'Inconnu Parce qu'aujourd'hui la fortune Se présente à nos appétits On l'aime et l'on trouve importune La misère des tout petits Orgueil de tous ceux qui grandissent Erreur du siècle où nous vivons Il est tant de gens qui finissent Quand nous autres nous commençons ! Que la raison qui nous éclaire Devrait parler en votre coeur Mortels dont la vie éphémère Ressemble en tous points au Bonheur Pourquoi souffrir d'une amourette Se frapper d'un lâche abandon Quand à mépriser il s'apprête Le coeur sent naître le pardon Il faut rire de cette histoire Comme sait en conter l'Amour Son aile aujourd'hui lourde et noire Deviendra rose un autre jour Pourquoi regretter l'Espérance Vieillard incertain sur tes pas En vain tu sondes la distance Qui te séparait du Trépas Tu vois la Jeunesse et l'Envie A l'ombre de ton souvenir Fait éclore un germe de vie Dans ton coeur qui veut rajeunir Pourquoi retourner en arrière En quête de chagrins nouveaux Sachons que dans notre carrière Les jours sont autant de tombeaux Où dorment toutes les ivresses Du Désir qu'on a vite usé Les Heures, fragiles maîtresses Du Temps qui garde le Passé Sachons que la Mort nous réclame Quand notre règne est achevé Aimons la Loi qui nous proclame Elus pour l'autre « Eternité ». Honoré HARMAND Quand la cloche sonne 7 avril 1906 Quand la cloche sonne Dans le vieux clocher Sa plainte me donne Sujet à pleurer Elle me rappelle Les jours du Passé Quand chaque fidèle De neuf habillé Vers la sombre Eglise Allait lentement Comme une promise A l'air innocent Tout semblait sourire A mes jeunes ans Et j'entendais dire A mes bons parents Il aime les cloches Leurs douces chansons Mieux que les taloches Que nous lui donnons Mais hélas tout change La cloche a vieilli Et sa voix étrange D'un son affaibli Trouble la nature Et n'exhale plus Qu'un triste murmure Aux airs inconnus Ainsi dans la vie Quand tout disparaît Notre âme vieillie Sent naître un regret Nous laissons des larmes Couler de nos yeux En songeant aux charmes Du temps bienheureux Quand la cloche sonne Dans le vieux clocher Sa plainte nous donne Sujet à pleurer Honoré HARMAND Pierrot et la Lune 9 avril 1906 Un soir Pierrot s'acheminait Vers le demeure de Pierrette Et tout bas en route il chantait Il avait la folie en tête La Lune pâle regardait Sa fantastique silhouette Et tout bas Pierrot répétait Ce soir j'ai la folie en tête Alors le voyant si distrait La Lune orgueilleuse et coquette Doucement et d'un air discret Descendit des cieux sur sa tête Là-bas Pierrette l'attendait Patiente en sa maisonnette Mais la Lune le retenait Et se reposait sur sa tête Très jalouse Elle l'empêchait D'aller retrouver la pauvrette Qui peut-être déjà pleurait L'amour qui trouble tant la tête Enfin l'intrigante laissait Pierrot aller vers la fillette Mais trop tard l'amant arrivait L'enfant avait perdu la tête Déjà son corps sur l'eau flottait De la rivière qui reflète La Lune pâle qu'Elle aimait Quand elle brillait sur sa tête Un soir Pierrot tout bas pleurait Sur la tombe de sa Pierrette La Lune à ses pleurs répondait Moqueuse au-dessus de sa tête. Honoré HARMAND Rupture A Henriette X. 20 avril 1906 Enfin l'heure a sonné de la lâche rupture Et tu ris maintenant de celui qui t'aimait Ta lèvre s'est gonflée en exhalant l'injure Qui figurait le point atteint par ton forfait Tu peux rire il est vrai de ma douleur amère Tu peux braver la honte où s'enfonce ton coeur Tu es femme jolie et ne crains la misère Tes yeux savent si bien tenter l'adorateur On a vu cependant de ces beautés suprêmes S'effacer tristement dans un sombre hôpital Les marchandes d'amour furent toujours les mêmes Elles sont et seront les dignes fleurs du mal Tu jettes loin de toi un amour sans caprices Qui n'est pas attiré par le fol imprévu Je t'offrais l'amitié tu n'aimes que les vices Qui grisent beaucoup mieux ton cerveau corrompu Tu n'aimes pas celui qui t'offre des caresses Des baisers où l'on sent le mot sincérité Il te faut le mensonge aux factices promesses On ne t'a pas appris à toi la « vérité » Jeune tu commençais à chercher et connaître Le moyen le plus sûr pour gagner de l'argent Tu disais ici-bas il faut toujours paraître Plus riche que l'on est il faut être brillant Sans fortune orgueilleuse et d'autant plus coquette Il te fallut trouver un quelqu'un généreux Qui prenne soin de toi surtout de ta toilette C'est facile il est vrai quand on a de beaux yeux Tu trouvais un amant d'un âge respectable Un vieillard amoureux de tes charmants attraits Tu lui plaisais beaucoup tu mangeais à sa table Bonne, devant le monde et gouvernante après Cela dura le temps d'un beau songe d'un rêve Tu quittais celui-ci pour prendre celui-là Tu vivais sans tristesse au sein de l'heure brève Heureuse chaque jour que le temps te donna Tu partis à travers les milieux où l'on aime Il te fallait à toi le bel amant de coeur Aux yeux vifs enflammés dans une face blême Où se lit aisément le réputé noceur Tu le trouvais un soir en ma faible personne Tu devinais sans doute en moi la volupté La fièvre de la chair et l'amour qui se donne J'étais fou de ta lèvre au baiser velouté Tu m'aimais quelque temps et les billets de banque Furent pour moi jetés sans regrets ni soupirs Mais le bonheur n'est pas où la passion manque Et l'argent assombrît bien vite tes désirs Pour un autre aujourd'hui tu t'élances cruelle Sur le passé troublant que tu veux oublier Que me reproches-tu est-ce l'heure charnelle Ou l'argent disparu qu'il te faut regretter Il te plait Celui-là mais je sens la colère Monter à mon cerveau je vais faire un malheur Reviens pour me quitter d'une façon plus chère L'homme devient méchant quand il frôle l'honneur Un crime ! Jamais encor moins la vengeance Restes avec celui qui te parle d'amour S'il existe une loi jugeant la conscience Puisse-t-elle pour moi te condamner un jour Va sur la longue route aux affreux précipices Va consacrer tes jours au caprice du sort Il est une douleur qui s'attache aux cilices Qui grandit lentement et conduit à la mort C'est le mal qui te guète et qui pour toi se cache Dans la caresse impure ou le brutal baiser Il germe d'un désir pénétrant il s'attache Au coeur qui le méprise et semble s'en moquer C'est le consolateur de la Raison qui sombre C'est le bienfait qui dort au sein du souvenir Il pénètre partout même jusque dans l'ombre Ce fléau apprends-le c'est le grand Repentir. Honoré HARMAND Le fantôme 23 avril 1906 On a dit et j'ai su Que timide dans l'ombre Un Être inaperçu Vivait sa douleur sombre Cet Être qui m'est cher Dans le monde s'efface Son langage est amer Et son baiser de glace Quiconque ose approcher De cette triste épave Sent en lui tout trembler Et s'en va d'un air grave Emportant dans la nuit Une effrayante image De Celles qui sans bruit Meurent avec courage C'est une femme, au coeur Qui saigne et qui se brise Etouffant sa douleur Sa caresse incomprise On peut suivre le soir Son étrange manège Quand le temps se fait noir Que l'ombre la protège Elle va d'un pas lent Vers la route déserte Au sentier somnolent Où dans la plaine verte Elle cause tout bas Et parfois fait entendre Des mots, durs, le Trépas Faute de se comprendre Elle regarde au loin Puis après autour d'Elle En fouillant chaque coin De sa grande prunelle Ses cheveux vont au vent Sa gorge est découverte Son coeur bat haletant Et de sa lèvre ouverte S'échappent de vains mots Où l'on sent la colère Puis ce sont des sanglots Coulant de sa paupière Qui troublent le repos De la plaine endormie Dans l'éternel chaos Avant l'heure assoupie Ce spectre est de l'amour L'image et le fantôme Il vit au jour le jour Il n'est plus qu'un atome Qu'on pousse sans savoir Sur un coin de la Terre Au sein du Désespoir Où règne le mystère Il est la vision De l'amante qui aime Et meurt dans la prison Qu'ouvre l'heure suprême. Honoré HARMAND Susceptibilité 24 avril 1906 Dans mon jardin poussait une belle pensée J'admirais sa couleur aux reflets de velours Son coeur d'un jaune clair dans sa robe foncée Sa frêle tige verte et ses riches atours. Un soir que nous allions moi et ma fiancée Dans l'unique chemin aux bizarres détours Elle aperçut la fleur et l'eut vite cassée Ce jour là à jamais périrent nos amours. Le lendemain, méchant, j'écrivis à la belle Quand on fait un bouquet d'une main si cruelle On ne doit pas savoir ce que c'est que d'aimer Je regrette vraiment d'écouter la rupture Mais je ne saurais pas chérir la créature Qui ne pourrait cueillir des fleurs sans les froisser. Honoré HARMAND Souvenir 25 avril 1906 Un jour, t'en souvient-il, nous allions tous les deux Rêver dans la forêt ; nous aimions le silence Et le souffle du vent qui grise, harmonieux Les coeurs vibrants d'amour, d'extase et d'espérance. Le soir avait jeté de l'ombre dans nos yeux Tout dormait à l'entour au sein de l'existence L'heure contemplative avait compris nos voeux Comme nous étions loin de l'amère souffrance. Dans le lointain obscur une cloche sonnait Au son pur argentin que la brise emportait Tout avait un murmure à cet instant suprême Et ta lèvre effleurant ma lèvre d'un baiser Dit des mots que l'oubli ne saurait effacer Pour toujours sais-tu bien cher adoré je t'aime. Honoré HARMAND Impressions A mes amis Mme RENARD ma famille PINSON, DUPRE et mon intime Justin en souvenir de son passage au conseil de révision et de son dîner à cette occasion 28 avril 1906 La politesse exige une civilité Aussi mes chers amis pardonnez la manie Qui à propos d'un rien ou d'une quantité Me fait dire aux bons coeurs que je les remercie Je suis vraiment heureux de votre bon accueil De votre empressement à me compter des vôtres Aussi ai-je pensé demain sur mon recueil Je veux se souvenir écrit auprès des autres D'abord mes compliments une table d'autel N'eut pas mieux exhibé ses atours symétriques La vôtre ressemblait en ce jour solennel A la réception des corps diplomatiques Passons vite au dîner mais ne nous pressons pas Disséquons chaque plat faisons en une étude Jamais je n'avais vu un aussi bon repas Il est vrai que chez moi je n'ai pas l'habitude D'être reçu en prince en vicomte ou baron Mais n'importe et soit dit sans mainte flatterie A vous le premier prix de chic et de bon ton Pour dresser une table en genre hôtellerie Le potage était doux et je l'ai savouré Le boeuf dans le persil entrée appétissante Avait cet air confus que prend le condamné Quand il compte un profit de justice indulgente Puis c'est une faveur vrai nous sommes gâtés Dans un plat, souriant la bouchée à la reine Etale sa couleur à nos yeux épatés Puis dans nos estomacs succombant à la peine Elle va fourvoyer dans les profonds secrets De notre corps heureux d'être ainsi de la fête Pâté de champignons et hachis de poulets Flottaient joyeusement dans la sauce blanquette Puis c'est l'inoffensif et tranquille lapin Qu'on offre en sacrifice en ce jour remarquable Délicieux civet pauvre bête, sa fin Fût un plaisir sans doute aux yeux du misérable Qui la prit le matin et presque au saut du lit Sans même lui donner un quart d'heure de grâce L'exécuteur est dur et jamais ne fléchit Devant la loi suprême au baiser qui nous glace Mais ce n'est pas fini sans doute il est trop tôt Il faut encor manger notre faim est calmée Qu'importe et l'on attaque un morceau de gigot Qui tenterait bien plus, une bouche affamée Le dessert annoncé est des plus succulents Les gâteaux pralinés, les cornets à la crème Chacun selon ses goûts choisit ou les friands Ou les babas au rhum ou bien celui qui l'aime Ensuite le café suivi de la liqueur Fine par excellence au grand nom de chartreuse Mit un comble de joie au fond de notre coeur Comme l'amour troublant qui grise l'amoureuse Le jeu nous appelait il fallut l'écouter Une partie eh puis encor une partie Aucun de parlait plus d'aller se reposer Le perdant imploré meilleure répartie De la veine au baiser exultant de douceur Tout le monde riait mais c'est la bourse vide Que plus d'un décavé perdant tout fort l'honneur S'en retournait chez lui un tant soit peu lucide Ainsi voilà comment je veux me souvenir De cette inoubliable et superbe soirée Espérant l'an prochain une fois revenir Fêter la révision tout comme en cette année Chers amis relisez souvent ces quelques vers Que j'écris simplement dans le style des fables Et s'il est ici bas des jours par trop amers Souvenez-vous aussi qu'il en est d'agréables. Honoré HARMAND Dactylographie 30 avril 1906 Que feras-tu encor Progrès toujours nouveau Toi que les inventeurs appellent la Lumière Doit-il naître et jaillir des sources du cerveau Quelque trésor caché du profond de la Terre La machine à écrire arrêtait le niveau Dans un temps déjà vieux quoique peu en arrière Son art dont l'agrément semble être le tableau Devient indispensable au seuil d'une carrière Que pourrais tu trouver dans l'ombre du génie De plus fort de plus grand et de grâce infinie Que se rapproche plus au doigté pour pianos En éclairant l'esprit ainsi que la pensée ? Rien ! Puisque à ce travail une main exercée Sait courir sur la gamme en jouant sur les mots. Honoré HARMAND Les soupirs 1er mai 1906 Les soupirs qu'on exhale ont, dit-on, un langage Ils expriment la joie ou l'ennui et les pleurs Comme le ciel tout noir nous annonce l'orage Ils ont de nos chagrins les signes précurseurs Ils sont de la tristesse une frappante image Le prologue assombri de nos grandes douleurs C'est souvent dans leur sein que s'étouffe la rage Qui frapperait trop fort de lâches insulteurs Ils ont le sentiment de l'amante incomprise La plainte qui fait mal quand notre coeur se brise Contre l'indifférence insensible au martyr Le soir quand le silence adoucit nos alarmes Et quand leur souffle meurt ils vivent dans les larmes Qu'on verse sur l'oubli d'un tendre souvenir. Honoré HARMAND A Pierre Corneille 3 mai 1906 En ce jour ô Corneille en foule on vient fêter Ta mémoire si chère à notre âme normande Toi l'illustre écrivain qui cessant d'exister Vivait et vit encor par ta gloire si grande Dans l'ombre de l'oubli n'a-t-on pas vu briller Tes oeuvres et ton nom sans mainte propagande Cinquante lustres d'or savent seuls expliquer Que tu étais célèbre au temps de la légende Le temps passe et s'enfuit mais tu nous es resté Tu fus élu par tous dieu d'immortalité Et depuis nombre d'ans on te lit on t'admire Que la reconnaissance au sein de notre coeur Ne vieillisse jamais pour toi triomphateur Qui attachais des pleurs aux cordes de ta lyre. J'ai adressé ce sonnet à « Ma Normandie » pour le concours poèmes à l'occasion du tri centenaire de Corneille. Je n'espère pas une récompense. Un homme qui s'avertit n'en vaut-il pas deux qui s'illusionnent ? Honoré HARMAND Quadricentenaire du lycée Pierre Corneille L'heure d'ennui 8 mai 1906 En vain je cherche autour de ce qui m'environne Un lien qui m'attache aux choses d'ici bas J'implore une caresse et le Destin me donne Tout ce qui fait plaisir et que je n'aime pas. Chaque heure qui s'écoule au sein de l'existence M'apporte le regret des douceurs du passé Le souvenir méchant frappe ma conscience Et me reproche encor le temps que j'ai pleuré. J'étais heureux jadis tout avait un sourire A l'été quand les fleurs aux parfums enivrants Embaumaient la prairie et semaient le délire Dans nos cerveaux troublés dans nos cerveaux d'enfants. Puis quand le soir venu j'allais retrouver celle Qui fut toute ma vie ainsi que mon amour La Nature chantait et la nuit moins cruelle Passait rapidement sous le regard du jour. La cloche au son plaintif savait tirer ses larmes A nos yeux pleins de rêve et de parfait bonheur Comme le temps fuyait à l'abri des alarmes Que je connus plus tard ainsi que la douleur. Aujourd'hui dans les champs les fleurs poussent encor Le soir vient et la nuit étend son linceul noir La cloche sonne aussi mais sa plainte sonore N'exhale plus hélas qu'un cri de désespoir. Tout est mort dans la vie au sein de la Nature Et ce que la jeunesse appelle le plaisir Ne trouble plus mon coeur de son tendre murmure Et change ma gaieté en un affreux soupir. En vain je cherche autour de ce qui m'environne Un lien qui m'attache aux choses d'ici bas J'implore une caresse et le Destin me donne Tout ce qui fait plaisir et que je n'aime pas. Honoré HARMAND Médaille du quadricentenaire du lycée Pierre Corneille gravée selon un dessin d'Hélène PREVOT, arrière petite-fille d'Honoré. Quand l'amour meurt 10 mai 1906 Quand l'amour meurt dans cette vie Il n'est plus rien d'intéressant Pas un désir pas une envie Ne viennent pour tenter l'amant. Quand l'amour meurt la froide brise Qui souffle au sein de la forêt Attire l'amante incomprise Pour lui confier son secret Quand l'amour meurt adieu le rêve Qui grise dans les jours heureux Les coeurs amis de l'heure brève Qui sonne pour les amoureux Quand l'amour meurt, dans le silence Les amants vont perdre leurs pas Ils causent avec leur souffrance De la caresse du Trépas. Quand l'amour meurt fuyant le monde L'amante au sein du désespoir Pleure et dans sa douleur profonde Va méditer, seule, le soir Quand l'amour meurt dans cette vie Il n'est plus rien d'intéressant Il n'est plus rien que l'on envie Autour de soi c'est le Néant. Honoré HARMAND Les larmes de Pierrot 14 mai 1906 Un soir Pierrot dans sa chambrette Pleurait les fragiles amours Et le souvenir de Pierrette Dans son coeur gravé pour toujours. La nuit était silencieuse La lune dans le ciel brillait La lune méchante et moqueuse A sa fenêtre regardait. Elle vit Pierrot l'âme en peine Sur le papier traçant des mots Ses yeux étaient brillants de haine Et son coeur gonflé de sanglots. Elle aperçut sous sa paupière Des larmes prêtes à couler Elle surprît une prière Sur sa lèvre où fût le baiser. Il se leva et dans sa chambre Promenant un regard confus Il chercha la « nuit de Septembre » Et tous les serments disparus. Les yeux rougis pleins de tristesse Il lut les pages du passé La lune éclairait sa détresse De son rayon pâle et glacé. Puis il chercha jusque dans l'ombre Un souffle de ses souvenirs La mort dans sa demeure sombre Répondit seule à ses soupirs. Alors Pierrot dans sa chambrette Pleura les fragiles amours Et le souvenir de Pierrette Dans son coeur gravé pour toujours Honoré HARMAND Pour oublier 14 mai 1906 Pour oublier j'ai dans l'ivresse Cherché le calme et la douceur J'ai crû entrevoir ma détresse Briller aux rayons du malheur J'ai bu quelques verres d'absinthe Et j'ai senti dans mon cerveau L'Engourdissement de la plainte Le plaisir dans un chant nouveau J'ai bu de ce mauvais liquide Qui détruit nos tempéraments Le monde m'a semblé moins vide Qu'au jour des découragements J'ai bu en de larges rasades Aux coupes de la volupté Les heures m'ont semblé moins fades Et le Temps plus précipité J'ai crû déjà que l'Espérance Dans mon coeur avait tout changé Je n'ai plus senti ma souffrance Et ce soir je n'ai pas pleuré Mais l'ivresse s'est envolée Le Temps a repris sa langueur Et ma pauvre âme désolée A frôlé l'aile du malheur Le monde est devenu l'abîme Que mes yeux ne voulaient plus voir J'ai repris mon nom de victime Que me donna le désespoir J'ai rejeté bien loin mon verre Où dort la désillusion Et j'ai vu s'enfuir ma chimère Dans les brouillards de l'horizon Mon cerveau devenu lucide A compris les lois de mon sort Sur ma face creuse et livide La vie a reflété la mort Pour oublier loin de l'ivresse Cherchant le calme et la douceur J'ai fui méprisant la caresse De l'absinthe au baiser moqueur. Honoré HARMAND La foi qui trompe A mon ami Auguste PAIN 16 mai 1906 Ami je ne sais pas quoi faire Et je suis seul dans mon bureau J'ai dit, je vais pour me distraire Ecrire un poème nouveau. Mais voilà que je prends la plume Pour quelques mots te griffonner Le fer est posé sur l'enclume Et je ne sais plus le frapper. Je veux te dire bien des choses Rien que tout ce que tu connais Que les heures ne sont pas roses Et que le fond de l'air est frais. Non vois-tu vraiment c'est trop bête D'écrire tant d'atrocités Je suis fou et je perds la tête Pardonne ces futilités. Ma muse devrait être honteuse D'exhaler d'aussi méchants vers Déjà la critique rageuse M'accuse d'aller de travers. Je n'ose pas à ton adresse Envoyer ce petit billet Tu vas dire que c'est l'ivresse Qui m'a rendu tout guilleret. Tu ne vas plus me reconnaître Ami quand tu liras ces mots Et tu pourras douter peut-être Que mon coeur est plein de sanglots. A l'heure où je t'écris ces lignes Mes yeux sont tout rouges de pleurs Mes phrases ne semblent pas dignes D'expliquer mes grandes douleurs. Mais cependant l'insouciance Dans ce style plein de gaieté Devrait s'appeler la souffrance Du temps perdu et regretté. Ainsi comprends dans cette page Le mystère que j'ai caché Dans le rire où se lit la rage D'un coeur souffrant et méprisé. La rose sait cacher l'épure Comme le plaisir, les malheurs Que mon désespoir se devine Dans ces vers plaisants et trompeurs. C'est ainsi que j'expliquais tantôt la douleur que je cachais sous un style original. J'étais atteint d'une attaque de neurasthénie très prononcée. Je voulais chasser mes pensées tristes et je ne réussissais qu'à aggraver ma douleur, à grandir ma tristesse. C'est le problème expliqué des mystères qui se cachent aux yeux du monde. Il est des gens que l'on juge d'un caractère tout à fait opposé à leur naturel, je suis de ceux-là que de fois ne m'a-t-on pas jugé pour un « je m'enfoutiste » et ceux-là même qui croyaient me connaître étaient les premiers à m'ignorer. Honoré HARMAND Fatalité 16 mai 1906 Dans la nature au sein des fêtes En vain j'ai cherché le plaisir Comme un pêcheur dans les tempêtes J'ai senti le trépas venir Dans la gaieté capricieuse Sur les lèvres d'une amoureuse J'ai voulu cueillir un baiser Mais comme un souffle, une chimère Comme un rêve au règne éphémère J'ai vu le plaisir s'effacer. J'ai cru la trompeuse espérance J'ai cru ses fragiles amours Mais dans notre sombre existence Le bonheur ne vit pas toujours On croît le tenir, il s'efface On le cherche et l'on perd sa trace Le temps nous le fait regretter Comme un nuage dans l'espace Comme une vision qui passe Trop tôt on le voit. J'ai dit au sein de la nature J'irai pour chanter mes douleurs Près de la source qui murmure J'irai pour consoler mes pleurs Loin de trouver dans le silence Un terme à ma grande souffrance Et l'oubli dans le souvenir J'ai souffert encor davantage Et j'ai senti que le courage Ne savait plus me soutenir. Es yeux n'ont vu que des ténèbres Où vivait encor la gaieté Le deuil en des voiles funèbres Sur mes fours s'est développé Partout je n'ai vu que des larmes Le destin grandir les alarmes Et l'amertume du passé Comme un monstre caché dans l'ombre J'ai vécu mes malheurs sans nombre Au sein de la fatalité. Comme cela se comprend par le sens des vers, cette poésie faite une heure après la précédente explique mon état d'âme depuis les années où j'ai commencé à aimer et à souffrir ; c'est mon coeur qui parle et, qui fait sa confession. Honoré HARMAND L'heure passée 17 mai 1906 En vain dans les heures qui passent Je cherche un remède aux douleurs Un baiser qui sèche mes pleurs Mais le temps fuit, mes yeux se lassent. J'appelle l'amour et mon coeur Ne veut plus aimer les chimères Dont les caresses trop amères Germent à l'ombre du malheur. Tout passe tout meurt et les larmes Sont pour moi le consolateur Qui d'un baiser plein de douceur Sait atténuer les alarmes. L'amour de ses douces chansons Ne trouble plus mon existence Autour de moi c'est la souffrance Qui borne tous mes horizons. La nuit et ses sombres ténèbres Est le seul plaisir que j'ador Ou le soir et son soleil d'or Qui berce mes rêves funèbres. Tout pour moi n'est plus qu'un soupir Un rêve une ombre passagère Tout excepté l'heure éphémère Dont j'ai gardé le souvenir. J'ai adressé cette poésie à Lucette en réponse à sa carte. Elle saura comprendre que je l'aime toujours et que les heures suprêmes que nous avons vécues ne sauraient disparaître de nos souvenirs. On aime une fois dans la vie et quand tout nous sépare le souvenir nous rapproche et nous fait dire encore que nous nous aimons. Honoré HARMAND Le poète mourrant 19 mai 1906 Le jour s'enfuit déjà et la nuit qui s'avance Semble toucher le port Où je vais méditer dans l'éternel silence Les pages de la mort. Pourquoi me rappeler à cette heure suprême Mon souriant passé Et revoir dans mon rêve une image que j'aime Celle que j'ai pleurée. Pourquoi me rappeler cet âge de la vie Où tout n'est que bonheurs Où le regret n'est pas où l'extase ravie Passe loin des douleurs. Pourquoi me rappeler les heures disparues Les plus beaux de mes jours Pourquoi revivre encor les gaietés entrevues Les fragiles amours. Mais puisque de mon coeur l'espérance est absente Mes pleurs sont superflus Mes rêves ont passé ainsi qu'une ombre errante Ils ne sont déjà plus. L'avenir m'apparaît triste et plein d'amertume J'ai peur du lendemain Le bonheur est fragile et son feu se consume Sur le bord du chemin. La fièvre me dévore et la mort me réclame Je tremble sous mes pas Mes doigts sont impuissants à dénouer la trame Que mêle le trépas. Puisque la vie hélas est une incertitude Où l'homme doit vieillir Pourquoi l'aimer encor vivre par habitude Mieux vaut-il pas mourir. Mieux vaut-il pas jeter au terme du voyage L'ancre de son Destin La vie est passagère et la mort n'a pas d'âge Nous avons une fin. Cette poésie est la rectification de l'heure suprême que j'avais faite l'an dernier ; on peut voir par le style que je n'ai pas changé mon chemin. J'ai toujours suivi la route garnie de ronces où se sont déchirées une à une toutes mes espérances. Honoré HARMAND Le spectre. (Version 1927) Cette poésie m'a été inspirée l'année dernière par la lecture des « Nuits » d'Alfred de MUSSET. Je souffrais à ce moment là comme je souffre aujourd'hui pour la même cause, pour la même personne. C'était dans une nuit, longue nuit de décembre Que je vis apparaître, au milieu de ma chambre Un spectre en habit noir. Son visage était jeune et ses grands yeux rêveurs Me laissaient deviner qu'il vivait de malheurs Au sein du désespoir. Dans le profond silence, à cette heure suprême Je lisais, en songeant, les poètes que j'aime : Lamartine et Musset. Et comme eux je goûtais les charmes de la vie Et comme eux j'admirais la nature endormie Dans la sombre forêt. Je pensais : se peut-il que l'homme ait une lyre Dont les tendres accords chantent ce qu'il veut dire A l'heure de l'émoi Le spectre s'approcha puis sur moi se penchant Il lut à haute voix le poème touchant : Il pleura comme moi. Le temps avait passé dans mon coeur jeune encore. Je n'avais que vingt ans, l'âge que l'on adore Quand on se sent vieillir. Dans les bras de l'amour je berçais ma chimère Goûtant dans les baisers la tendresse éphémère Mais je dus en souffrir. Celle que j'adorais aimait le bruit, la foule Et le flot démonté qui bruyamment s'écoule Dans la folle gaieté. Elle aimait le Plaisir et moi la Rêverie Où l'on retrouve un peu sa compagne chérie La Sensibilité. La nuit de nos adieux j'ai pleuré mais les larmes A mon coeur en colère ont prodigué des armes Pour attaquer le Sort. Pour vaincre mon bourreau j'ai tenté l'impossible J'ai lutté, mais en vain. Cet ennemi terrible Est toujours le plus fort. Depuis ce temps, hélas ! Une douleur stupide Dans mes jours incertains semble creuser un vide Et me glace d'effroi. Le spectre m'apparaît dans les noires ténèbres Il répète à la nuit mes romances funèbres Il souffre comme moi. Oublier l'infidèle est ma douce folie Le bonheur s'est enfui de mon âme meurtrie Qu'importe le passé. Il est plaisant, parfois, de vieillir avant l'âge. Puissent mes yeux lassés ne plus voir le mirage De mon rêve effacé. Je ne crois plus à rien sauf à toute misère. Je ne sais à quels dieux adresser ma prière Car je n'ai plus la foi. Le spectre à mes côtés légèrement sommeille Et bientôt l'on verra cet ami qui me veille S'endormir près de moi. Honoré HARMAND La cinquantaine 22 mai 1906 Enfin l'heure a sonné de célébrer la fête Du plus beau de vos jours Et j'ai dit à ma muse indiscrète De chanter vos amours. Cinquante ans ont passé à l'abri des orages Qui grondent ici-bas Et vos coeurs ont compris que dans les bons ménages On ne chicane pas. Vous avez dit chez nous il ne faut que des roses Pour orner le Destin Il nous faut vivre heureux et sur nos fronts moroses Effacer le chagrin. Vous avez dit à Dieu bien loin de la souffrance Guides nos faibles pas Et Dieu dans sa bonté a semé l'espérance Aux portes du trépas. Parfois sa cruauté fit naître l'injustice Pour blesser votre coeur Mais il vous a donné la foi consolatrice Pour calmer la douleur. Qu'importe le passé à cette heure suprême Il faut tout oublier Malgré tant de malheurs vous triomphez quand même Et tout doit s'effacer. Ah ! Je sais chez vous des existences chères Ont trop tôt disparu Sous un ciel azuré les plus belles chimères Sont fautes d'imprévu. Dieu leur ôta la vie hélas bien avant l'âge Ils dorment sous les cieux Que leur grand souvenir dise votre courage Vous vivez avec eux. Eloignez pour un jour la souffrance passée Songez à l'avenir Surtout pardonnez-moi si ma muse insensée Eveille un souvenir. Je veux vous admirer car votre mariage Semble tout jeune encor Et plus j'écris vraiment je discute l'image De votre noce d'or. Non ce n'est qu'un doux rêve, une erreur un délire Votre oeil est trop brillant Et votre lèvre semble à voix basse me dire C'est nos noces d'argent. Cette poésie, je l'ai composée pour Monsieur et Madame Alfred BOTTENTHUIT lors de leur mariage d'or. Elle est la rectification de la première que j'ai faite sur le même sujet. Honoré HARMAND Les adieux du poète 22 mai 1906 Quand le soir disparaît vers le jour de demain L'homme pour l'avenir implore son destin Mais moi je suis frappé que m'importe la vie Je n'irai pas plus loin étendre mon envie Bientôt à la clarté je fermerai les yeux J'irai dans l'autre monde admirer d'autres cieux Dans cet enfer du vide où l'ivresse passée Dans un désir nouveau semble ressuscitée Dans ce séjour des morts qu'on nomme le trépas Grand nom que l'on discute et qu'on ne comprend pas. J'ai vécu jusqu'alors loin du bruit loin du monde Le rêve fut pour moi la loi la plus profonde Où j'ai trouvé la joie et le grand sentiment Que le poète ador dans son isolement J'aime à me rappeler cette heure inoubliable Cette extase sublime et la joie ineffable Qu'exhale la nature en sons mélodieux Dans le pré verdoyant le bois silencieux Quand la nuit a jeté ses grands voiles funèbres Et quand le vent s'agite et de son long soupir Trouble la solitude où j'aimais revenir Le soir me promenant sous la verte ramure Qui d'un frisson l léger explique la nature Au poète qui rêve et veut se rappeler Le temps qu'il pleure en vain et qui vient de passer. Un jour, très orgueilleux des honneurs de la gloire J'ai dit je veux grandir gagner une victoire Dans la philosophie il me faut me frayer Un chemin grand ouvert où je puisse marcher Je veux signer mon nom en fin d'un grand ouvrage Je veux être quelqu'un m'élever d'un étage Vaincre mes ennemis sans relâche lutter Et le soir du combat sur des morts sommeiller. C'est là que je cherchais un rayon de lumière C'est là qu'un jour je vis mon erreur toute entière Chez les uns je trouvais de vrais admirateurs Chez les autres hélas de grands blasphémateurs Celui-ci m'accueillit tout plein de bienveillance Celui-là me chassait avec indifférence Des amis me disaient à l'heure du retour L'esquif qui le matin sous les clartés du jour S'éloigne lentement : est-il pris par l'orage. L'homme qui le conduit et dont tu es l'image Lutte contre les flots et retrouve le port. Toi tu es cet esquif et lutter c'est ton sort. Mais dans ce monde hélas bien des douleurs s'écoulent Semblables aux galets qui sous la vague roulent Nous allons incertains de la joie aux malheurs Sur un regret passé germe une autre douleur Et nous pleurons souvent ces heures entrevues Qui comme pour l'amant, amantes entrevues Cassent rapidement dans nos coeurs méprisés La gloire je le sais chez les désabusés N'est pas née immortelle et toujours elle passe Comme un éclair brillant qui sillonne l'espace J'ai compris un peu tard que la simplicité Est le don le plus cher que Dieu ait inventé Avant que de quitter ce monde où je m'ennuie Je veux écrire encor et dans ma rêverie Je veux à la nature au flot harmonieux A la sombre forêt dire tous mes adieux Je veux dans une page embrasser le passé Déjà dans ce chemin le génie a passé Je veux comme un poète en un baiser suprême Dans un doux souvenir revivre ce que j'aime. Adieu ! Beau soir d'été aux poètes si cher Le regret dans ton sein me semblait moins amer Dans ton obscurité dans ton profond silence J'ai reçu des bienfaits pour calmer ma souffrance J'ai reçu ton amour, je veux me souvenir De ces jours malheureux où tout semblait finir Toujours dans ton baiser j'ai senti le courage Adoucir dans mon coeur la colère et la rage. Me faire mépriser l'insulte des méchants Souffle à tes yeux, de la force des vents. Adieu verte forêt temple sacré du rêve Tu ne reverras plus, mon ombre, à l'heure brève Glisser mystérieuse au travers des taillis Où les verts chemins dans l'immense fouillis D'arbres droits ou tordus et de branches cassées Par des cerfs effrontés sans cesse retranchées Tu ne rediras plus les sublimes chansons Que je chantais suivant la marche des saisons. Au printemps, à l'été, celles de l'espérance A l'automne à l'hiver la triste décadence Des décors assombris par le souffle glacé De l'hiver insensible à ta fragilité Quand l'écho répétait la suave harmonie Où les sombres accords lents comme une agonie Quand tu grisais mon coeur sensible aux sentiments Et que tu consolais tout jusqu'à mes tourments Reçois ma reconnaissance elle t'es destinée. Adieu petite église au clocher déjà vieux Où venaient pour prier mes parents mes aïeux Et toi cloche bénie et que j'aimais entendre Pour la dernière fois ta corde va se tendre Et le bras retroussé de notre vieux sonneur Va tirer de ta lèvre une lente clameur Combien je t'admirais quand de ta voix plaintive Tu frappais doucement mon oreille attentive J'aurais voulu toujours qu'on te fasse chanter Ta voix avait des sons qui me faisaient pleurer Soit pour un mariage, une mort, un baptême J'écoutais en disant sa voix semble la même C'est que tout se ressemble, et le petit enfant Est égal au vieillard aux portes du néant. Et toi pauvre chaumière, abri de ma jeunesse Dans tes murs je compris l'ennui et la détresse Quand revenant le soir le coeur gros de chagrin Pour oublier ma peine, un crayon dans la main Je griffonnais des vers, je me sentais poète On m'accusait parfois de me casser la tête Mais à tout mépris mon coeur était fermé J'écrivais mes douleurs et j'étais consolé Je ne reverrai plus sa fine silhouette Ni le petit jardin qui te rendait coquette Et dans l'épais feuillage où tu disparaissais Je n'écouterai plus le gazouillis des merles Je n'irai plus cueillir les innombrables perles Que le brouillard semait comme des grains d'argent Attachés le matin au feuillage tremblant. Maintenant que la mort me guète et me réclame Des plaisirs d'ici bas j'ai consumé la flamme. Je sens comme un frisson de la fatale loi Qu'entends-je ? Un bruit confus : on parle autour de moi C'est vous mes chers amis c'est ma grande joie Avant que le destin ait dévoré sa proie D'entendre le concert si doux et si troublant D'une franche amitié. C'est un baiser brûlant Que celui du passé sur ma lèvre mourante C'est une ardeur nouvelle à la flamme expirante ! Adieu, adieu amis ! Femme que j'adorais Pleurez mon dernier jour qui s'éteint pour jamais Que ma mort soit pour vous un conseil un exemple La vie est une école où bien encor un temple Où l'homme vient prier et apprendre à mourir La vie est un regret où meurt le souvenir. Comme on le verra dans cette poésie il y a toujours de l'amertume dans ce qui m'est inspiré. La mort y tient une grande place, c'est que je me vois ce poète mourant, c'est que je fais mes adieux à la belle nature qui m'a consolé dans un temps où mes douleurs n'avaient pas encore exhalé toute leur amertume. C'était au 30 Juin 1905 que je composais cette étude sur la fin de l'homme. J'ignorais à cette époque que j'aurais à travailler chaque phrase pour qu'elle soit dans le rythme. Je suis content, j'ai travaillé et j'ai vaincu la difficulté qui me faisait peur ce matin avant de commencer la phrase. Ce n'est pas un chef d'oeuvre loin d'en être persuadé ; je sais que je suis loin de ces grands génies qui ont attaché à leur nom l'auréole de l'immortalité. Mais ce que j'écris c'est pour moi Honoré HARMAND Fleur de grève 28 mai 1906 Il en est des mortels comme il en est des choses. Les plus vilains chardons poussent tout près des roses. Les uns sont à l'abri de la fatalité Les autres semblent nés pour l'inégalité. Elle était de ceux-là, cette enfant miséreuse Dont je vais expliquer la vie aventureuse. Elle traînait ses jours au milieu des pêcheurs Elle traînait son rêve au milieu des douleurs Son père voyageait et sa trop longue absence S'en ressentait parfois dans sa fragile enfance. Elle était libre hélas ! De toutes volontés Que sont donc nos instincts quand ils sont mal guidés ? Mais diras-tu lecteur avait-elle une mère ? Oui mais on la nommait du nom dur de mégère Elle passait sa vie au fond d'un cabaret Et c'est ainsi chez eux que l'argent s'écoulait. Mieux n'eut-il pas valu que cette triste femme Périsse un jour d'orage au profond d'une lame L'enfant comprenait bien que son père manquait Et souvent le bon Dieu, le soir elle priait Lui demandant la force ainsi que le courage Pour diriger les pas tremblants de son jeune âge. Mais Dieu était cruel sans être apitoyé Il laissait cette enfant dans son lieu dévoyé. L'enfant avait grandi sa raison avec elle Quand on est libre hélas ! Ainsi que l'on est belle Que le sort nous réclame aux portes du malheur Que faut-il écouter ou le consolateur Ou le plaisir qui grise et chante son ivresse Ou l'amour qui nous pousse au sein de la faiblesse Dans nos jours vient parfois le découragement Et c'est du désespoir que naquît le penchant Un frisson de désir une étreinte charnelle Adoucit la douleur et la rend moins cruelle On écoute un amant et tout ce qu'il promet Brille à notre pensée en un bien doux reflet. Un jour son infortune emporta son courage Dans son coeur fatigué une indicible rage Grandit sensiblement et le goût des plaisirs Fit place à l'innocence aux tendres souvenirs Le Destin d'une enfant fit la pâle victime Qui se penche soi-même au bord du grand abîme La fillette d'antan la fille du pêcheur Dans un milieu plus cher avide de bonheur Chercha la folle orgie et le libertinage L'épave était jetée au gré d'un alliage Bon ou mauvais, qu'importe au jour qui passe et fuit Ce que l'homme a souffert dans l'affre de la nuit Ainsi va des amants la foule qui s'amuse Sans crainte des fureurs du plaisir qui l'abuse. Dans les enfers brûlants du Paris infernal Suivons-la un instant sur la porte du mal. Paris est son séjour son idéal son rêve On ne la verra plus rêveuse sur la grève Demandant aux pêcheurs leur générosité L'amour propre répugne à la mendicité. Elle a trouvé l'oubli au coeur même du vice Comme on trouve l'espoir auprès du sacrifice. Un homme un grand chercheur de douces voluptés Qui paye à force d'or les bouquets protégés De l'orage des moeurs quoi ! La femme épargnée De la tache du vice et pas encor touchée ! Qui la reconnaîtrait sous ce masque trompeur Cette femme en toilette est fille de pêcheur Chacun en la voyant se retourne sur elle Un mot explique tout voyez comme elle belle. Chacun discute en vain sur ses atours princiers Chacun de l'admirer qui de la tête aux pieds Cherche un défaut caché pas un défaut ne trouve Dire le doux frisson que chaque coeur éprouve N'est pas chose facile on ne peut qu'admirer Cette reine du jour quand on la voit passer Le Malheur quelquefois élève à l'opulence Des êtres malheureux au sein de l'existence. La fortune sourit à ses goûts exaltés Elle a bonnes valets voitures et cochers Et sur le boulevard où le luxe déroule Son image trompeuse aux regards de la foule Elle suit son amant appelé protecteur Dans le monde très bien. Dans l'autre souteneur Est plus cru sonne mal semble choquer l'oreille Mais en amour vraiment chaque image est pareille Et le titi gouailleur, l'amant entretenu Comme le richissime aimant jeter l'écu Sont deux flots s'écoulant d'une semblable source Deux faux billets de banque en une seule bourse. Elle va au théâtre aux grands dîners au bal. Où dans les tourbillons poussent les fleurs du mal Comme nous la trace nature et sans mystère Le Poète du crû qu'on nommait Baudelaire Suivons-la, sur ses pas entrons dans ces salons Où l'on paie à prix d'or le regard des garçons Où l'argent quelquefois étouffe le scandale Qui germe sans pudeur sur la chair qui s'étale Voyons ces grands dîners mais voyons de nos yeux Sans être trop cruels ou par trop ennuyeux Causons aux murs dorés aux lourdes portes closes Les Murs parlent dit-on et savent tant de choses. Oui c'est cela la table est pleine de bons vins De gâteaux de biscuits et des plus superfins Les femmes sur leur bouche ont retenu les hommes Comme le paysan qui croque dans les pommes Les amants à Paris croquent à pleines dents Dans les seins embaumés de parfums excitants A la bonne boisson qu'on boit à la campagne Le gros cidre mousseux a fait place au champagne Sa liqueur est plus douce et son crû capiteux Son ivresse est troublante et fait briller les yeux L'instant où l'on jouit, auprès d'une maîtresse Ressemble assez vraiment à sa folle caresse. Mais je m'écarte loin trop loin de mon sujet Qui a bu du champagne en a jugé l'effet Reprenons le chemin de l'amour qui se donne Voyez donc, au désir la femme s'abandonne Et ce gros alourdi ce riche en habit noir Comme une épave obscure il semble aller ce soir Sur le fauteuil brodé de passementeries Il s'en va trébuchant faire ses singeries. Près d'une femme grise aux vignes du seigneur Il va chanter sans doute un cantique moqueur Non ! Il veut l'embrasser sa langue est sur sa bouche Mais Elle ne sent plus le baiser qui la touche. Alors ! Rougis lecteur je veux la vérité Dire en deux mots couverts par la sévérité Il la prend, sans scrupule il te la déshabille Peut-être ce satyre est-il père et sa fille Dort dans cette femme ivre eh quoi que sommes-nous Tous mortels en ce monde et moi n'est ce pas vous Mais qu'importe en ces lieux jamais une morale Ne vient troubler le vice à cette heure fatale Il la prend toute nue elle s'offre au désir Un verre de champagne et la chair va frémir Assez ne parlons plus, sur nous fermons la porte Le reste est trop vécu ma muse fait la morte. Fleur de grève était là dans ce salon fermé Cette femme c'était cet être abandonné Aux caprices du mal à ces salons d'orgies Où le plaisir s'éteint quand meurent les folies. Fleur de grève était là, l'enfant sans la vertu Est sur du vieux fumier un beau fruit corrompu Pourquoi le Créateur fit-il si mal les choses Pourquoi jeter le deuil et les pages moroses Sur le livre sacré où se lit chaque jour La vie au sein du mal la mort près de l'amour Pourquoi dans notre coeur avoir mis tant de charmes Puisqu'il nous faut payer le bonheur par des larmes. Un jour, un lendemain pour parler justement Des ces soirs de folie au tableau répugnant Fleur de grève songeait et la pâle amoureuse Maintenant chaque jour devenait soucieuse Dans sa vie agitée aucun désir changé Aucun billet de banque à ses goûts retranché Mais la fille du peuple aux yeux de la richesse Pour un jour seulement peut singer la princesse. Mais quand de nos désirs le rêve est effacé Quand le noir repentir comme un spectre a passé Dans notre coeur brisé par trop de jouissances Tout dort, tout, excepté nos cruelles souffrances. Elle quitta celui qui servit de tuteur A sa jeunesse impure et loin dans le malheur Comme un monstre odieux on la vit disparaître Chaque heure qui sonnait changeait tout dans son être Elle partit, laissant toilettes et bijoux Pour un désabusé le chiffon est plus doux Que les flots de dentelle et la robe de soie L'argent est un reptile il aveugle sa proie Et le moment choisi par lui pour la saisir Est celui où le coeur commence de souffrir Combien de malheureux ont cherché dans le vice Un adoucissement aux douleurs du cilice. Elle entendit dans l'ombre une voix murmurer Le temps qu'elle regrette à pour la consoler Encore une parole un peu de l'espérance Qu'elle avait en priant Heureuse la croyance Elle sauve parfois mais n'en abusons pas Car elle ouvre trop grand les portes du Trépas. Fleur de grève pensa à sa méchante mère Au baiser consolant de son malheureux père Elle se rappela ses loques ses haillons Et ses jeux innocents avec les moussaillons Elles se rappela sa mère méprisée Et dans un rêve affreux se sentit abusée. Sa mère, Mais hélas ! Elle lui ressemblait Oui se dit-elle encor, parce qu'elle buvait Je taisais l'amitié dont elle était indigne Mais moi, qu'ai-je donc fait, loin de la droite ligne J'ai suivi le malheur. Pourquoi la condamner Puisque la même faute il faut me pardonner J'ai fait plus qu'elle encor et dans l'ivresse impure Dans le sein corrompu même de la luxure J'ai bravé la sentence aux inflexibles lois Et quand sur sa conduite on élevait la voix Quand les femmes criaient je criais avec elles Pour insulter autrui nos vertus sont cruelles. Elle comprit trop tard que l'amour n'a qu'un temps Et que sans les hivers il n'est pas de printemps Sa richesse a passé ainsi qu'une espérance Il n'est pas de grandeur qui soit sans décadence. Mais loin de regretter l'opulence d'un jour De pleurer les plaisirs emportés sans retour Elle songe à demain ce grand jour qui s'avance A son malheureux père et dans sa conscience Un problème se forme il explique l'affront Que le vice a gravé à jamais sur son front Elle raisonne en vain car notre Destinée Avant qu'elle naquît l'avait déjà jugée. Un mois s'est écoulé en terribles combats Fleur de grève a lutté mais que peuvent les bras Quand le cerveau dirige et la force recule Devant le préjugé que le malheur accule Rien la mort a parlé et de sa grosse voix Sans hésitation elle fixe son choix Elle guide aux trépas la tremblante victime Elle est juge et bourreau sur le bord de l'abîme Et fermant le passé aux faiblesses du coeur Elle ouvre l'avenir terrible de frayeur Aux yeux désespérés qui voient dans les ténèbres Des amants se griser de caresses funèbres. Sur le quai de la gare en vêtement tout noir Allant et revenant sur le bord dut trottoir Fleur de grève attendait, sa figure était blême Ses yeux étaient méchants comme à l'heure suprême Le regard effrayant du pâle moribond Semble vouloir sonder cet abîme profond Du cruel fossoyeur dur et macabre ouvrage Au livre de la mort ajoutant une page Fleur de grève attendait sans doute quelque train Pour fuir la capitale et son trop fol entrain Ses plaisirs confondus au sein de la misère Et son poison brutal qu'on trouve au fond du verre. Le soir est descendu sur la grande cité Paris semble être en deuil tant il est attristé Mais dans ce deuil des gens font renaître la vie La foule en mouvement d'une étrange folie Semble atteinte vraiment ! Un grand coup de sifflet C'est le dernier signal le train est au complet Le train part, des amis sont encor aux portières On s'embrasse et des pleurs qu'éclairent des lumières Brillent dans un sourire où se lit la douleur Un visage se montre effrayant de pâleur Deux grands yeux d'un regard de souffrance et de rêve Semblent avoir pleuré le beau jour qui s'achève. Ces yeux regardez-les vous sont-ils inconnus ? Non, vous les connaissez où les avez-vous vus ? Ainsi parlaient deux snobs images du grand monde Déjà le train fuyait sous la voûte profonde Du tunnel de la gare. Où ai-je vu ces yeux ? Reprit l'un des causeurs un type de joyeux Qui se parfume ainsi qu'il se farde de poudre Qui se dit jeune encor et prêt au coup de foudre Cette femme je sais troubla par sa beauté Bien des coeurs et toujours de quelque nouveauté Un amant généreux embellissait ses charmes Elle habitait je crois le grand hôtel des Carmes. Que t'importe lecteur cette péroraison Laissons nos deux chercheurs et donnons leur raison. Tu connais cette femme, elle est notre héroïne Et tu puis aisément la juger sur la mine C'est Fleur de grève hélas qui marche vers le sort Peut-être pour prier, mais le Destin est fort Quand le juge a parlé prononçant la sentence Peut-on encor songer à la faible indulgence Non il nous faut aller jusque près du trépas Jusqu'à ce que l'enfer s'entrouvre sous nos pas. A quoi sert de lutter puisqu'il n'est de victoire Que pour les favoris qu'à proclamer la gloire. La voilà de retour chez elle, en son pays. Elle cherche un passé, quelques pêcheurs amis Mais depuis son départ il en est mort peut-être D'autres passent près d'elle et sans la reconnaître Disent leur mot, jaloux de son beau vêtement. Encore une grisette, on en voit bien souvent Des gueuses dans le vice ont trouvé la richesse Encore un des bienfaits de la délicatesse. Un amant généreux quelques baisers perdus C'est le prix des honneurs qu'on fait aux parvenus Mais on la reverra peut-être sur la route Un jour que son prêteur aura fait banqueroute. Fleur de grève ! C'est toi dit un vieux qui passait Dans la rue. Eh ben vrai ton père te cherchait Voilà déjà deux mois que de son grand voyage Il nous est revenu sur le bord du rivage. Combien il est vieilli de veilles et de pleurs. Il est tout attristé tu connais ses douleurs Il a su ton départ pour cette grande ville Où l'argent est sali, où l'amour est facile Il a su ta conduite et pour te retrouver Il a tout fait disant si je peux l'empêcher D'être fille de noce ou bien entretenue Mais il était trop tard tu étais corrompue. Le monde est dur parfois et sans chercher ses mots Il accuse le crime et se rit des sanglots Que peut verser l'auteur d'une grande faiblesse. On jette le poison sur l'arme qui le blesse Et la prière meurt au sein du désespoir On a peur du reproche et dans un grand trou noir On voit rouler des corps où s'attachent les crimes Des assassins mourants au bras de leurs victimes. La crainte, d'un regard sonde au profond du coeur Implorant la pitié de son persécuteur Mais si le coeur se ferme aux plus tendres prières La Mort étend sur soi ses ailes meurtrières. Fleur de grève a compris, et du haut d'un rocher Regardant les flots bleus qui viennent se jeter Au pied de la falaise en vagues mugissantes, Se dit qu'après la mort les lois sont indulgentes Et que leur dur baiser serait encor plus doux. Que d'un père inflexible un trop juste courroux Elle dit adieu à la belle campagne A la vieille cité à la haute montagne Elle dit du passé chantez-moi les accords Le souvenir dit-on est le souffle des morts. Chantez du temps heureux l'existence incomprise Le courage souvent a besoin qu'on le grise. La nuit était affreuse en son obscurité Et des flots alourdis le rythme répété Ajoutait aux clameurs que grandit le silence Un cri se fit entendre un grand cri de souffrance Des râles étouffés un grand frisson sur l'eau Eclairé des reflets projetés d'un flambeau Que tenait en ses mains quelque chercheur d'épaves. On entendait au loin des voix fortes et graves Sans doute le retour d'un groupe de pêcheurs. Fleur de grève dormait, à l'abri des douleurs Les vagues dans leur sein emportaient une image D'un problème vécu dans le libertinage. Le lendemain assis sur le bord de la mer Les pêcheurs discutaient sur le froid de l'hiver Un homme déjà vieux à la figure brève Etait assis près d'eux sur le bord de la grève. Comme ses compagnons il regardait les flots Et les enfants jouer, les futurs matelots. La vague s'agitait et le ciel sans nuage S'obscurcit tout à coup on entendit l'orage. Les femmes les enfants gagnèrent leur maison Les hommes éprouvés regardaient l'horizon Le tableau saisissant de la mer déchaînée Et la course des flots et la vague entraînée. Leurs yeux sondaient la mer d'un regard attentif Ils cherchaient au lointain la voile d'un esquif Qui n'était pas rentré et qui sombrait peut-être ? Le vieux brave songeait tout tremblait dans son être. La vague rejetait aux pieds des vieux marins Des épaves d'esquifs dont ils furent parrains Il pensait à sa fille à cette heure suprême Où l'on croit tout perdu quand on perd ceux qu'on aime Des larmes s'échappaient de ses yeux attendris Et son coeur se brisait en voyant les débris Ainsi passe la joie au sein de la tempête Les fleurs se fanent vite aux chaleurs de la fête. Tout à coup le reflux aux pieds des endurcis Jeta un gros paquet sans doute des habits Une épave en étoffe un reste de naufrage Comme on en voit parfois sur le bord du rivage. Et les marins rêveurs égarés un instant Regardaient anxieux et le coeur haletant C'était un corps de femme en toilette de soie. Encor le désespoir d'une fille de joie. La chose n'est pas rare et souvent vers le soir Le flot ramène ainsi un gros paquet tout noir. Le vieux marin pensa quoi serait-ce ma fille ? C'est une femme hélas mais d'une autre famille. Quelques instants après l'épave avait un nom. Fleur de grève était morte à présent le pardon Etait dans tous les coeurs, suprême hypocrisie ; Cette enfant dans la mort en expiant sa vie Arrêtait le parjure et l'affreux jugement Qui condamne le vice et salit l'innocent. Ainsi la mort efface la faute des crimes Et donne le pardon que taisent les victimes. Le monde est ainsi fait quand il a condamné, Le coupable à ses yeux n'a pas droit d'être né. On l'accuse et souvent la foule ridicule Va chercher l'honnête homme au sein de la crapule. Tout près du corps, tremblant, le vieux s'est approché. Il reconnaît sa fille et sur elle penché Il l'embrasse exalté, d'une étrange caresse. Mais la mort à présent se rit de sa détresse. Il se lève doutant devant la vérité La douleur quelquefois dans la réalité En ne voulant pas voir sait trouver le mensonge Il croît au cauchemar aux caresses d'un songe Mais la mort se lisait sur le corps déjà froid La vague mugissait et tout pâle d'effroi Il s'élança tragique au caprice des lames. Ce jour là le Destin réunissait deux âmes. Honoré HARMAND Le livre de vie 31 mai 1906. Quand l'enfant sait lire il apprend la vie Tout semble sourire à ses premiers ans Les arbres sont verts la route est fleurie Et le soleil brille au coeur des enfants. Le livre est ouvert, il lit la préface Qu'on écrit toujours avant le roman Le lecteur grandit veut tenir sa place Le plaisir s'éveille au coeur de l'enfant. Il aime il adore une belle femme Car le livre a dit toujours à vingt ans L'amour doit briller d'une ardente flamme Comme le soleil au coeur des enfants. Mais une autre page a dit l'amertume Aime se griser des pleurs des amants Et souvent le feu que la lèvre allume S'éteint comme un rêve au coeur des enfants. Il espère encor trouver une page Où les jours heureux se font souriants Mais il cherche en vain il arrive à l'âge Où le rêve meurt au coeur des enfants. Quand l'homme a vieilli au sein de la vie Il pleure l'amour et ses premiers ans. Et les arbres verts, la route fleurie Quand le soleil brille au coeur des enfants. Honoré HARMAND Je veux aimer A Clotilde PESTEL. 4 juin 1906. A peine ai-je effleuré la lèvre d'un beau rêve Et senti dans mon coeur les frissons de l'amour Que mes yeux vont pleurer l'heure qui sonne brève Comme un sombre Angélus au déclin d'un beau jour. J'ai peur d'avoir compris les douces confidences Que Clotilde à mon coeur a murmuré ce soir J'ai peur que dans son âme il germe des souffrances Comme l'homme en ressent aux jours du désespoir. En elle j'ai senti une part de moi-même La sensibilité mère du sentiment Dans son coeur a semé la parole suprême Du rêve qu'on caresse et de l'isolement. Ah ! J'entendrai toujours sa parole sublime Quand lisant dans mes yeux déjà mille projets Elle dit prenez garde aux douleurs que l'abîme Cache dans l'espérance aux terribles secrets. Je lis dans votre rire une indicible joie Qu'un tendre souvenir pourra vite effacer Le bonheur est fragile et sait choisir sa proie Dans le coeur de l'enfant qui ne sait pas aimer. Je lis sur votre lèvre une soif de caresses Un instant de gaieté qui bientôt va finir Vous avez hérité des fragiles maîtresses L'amour qui passe et meurt dans l'affres d'un soupir. Pourquoi donc de vos mains creuser ainsi la tombe Où sommeillent les jours d'un souriant passé N'est-ce pas assez tôt quand le rêve succombe De voir revivre encor le temps qu'on a pleuré. Oui mais pardonnez-moi je veux dans ma chimère Entrevoir l'avenir sous l'image des fleurs La rose sait cacher une épine adultère L'amour est une rose il cache les douleurs. Vous m'avez conseillé d'avoir de la prudence Dans les jours qui vont suivre où je vais méditer Mais ne m'empêchez pas d'écouter l'espérance Elle a su tant de fois déjà me consoler. Vous avez dans mon coeur en jetant l'amertume Fait germer les projets d'un suprême avenir Et si le feu s'éteint je veux qu'il se rallume Au souffle consolant de votre souvenir. Et quand j'effleurerai la lèvre d'un beau rêve Faites que dans mon coeur n'expire pas l'amour Que j'entende toujours l'heure qui sonne brève Comme un tendre Angélus au déclin d'un beau jour. Comme on pourra le voir par le sens de cette poésie, je vis une existence nouvelle toute imprégnée des émotions de l'espérance. Je ne me décourage plus je suis heureux. J'aime la vie car elle m'ouvre de nouveaux horizons où mes rêves brillent du feu sacré des enfantines illusions. Honoré HARMAND Soir de juin A Clotilde PESTEL. 4 juin 1906. Le soleil disparaît dans l'ombre de la nuit Déjà vers d'autres cieux sa brûlante lumière S'envole comme une chimère Au murmure d'un autre bruit. C'est l'heure où les amants du rêve Viennent contempler le couchant Comme le regard d'un enfant Doux dans le beau jour qui s'achève. C'est l'heure où bien des souvenirs Viennent consoler la souffrance Et nous parler de l'espérance Qui s'étouffe dans un soupir. J'aime cette heure où la campagne Chante les derniers bruits du soir J'aime le cri du désespoir Et j'ai la douleur pour compagne. Nous allons d'un pas cadencé Vivre une heure dans le silence Poser nos coeurs dans la balance Qui pèse notre éternité. Je me crois seul et dans les larmes Je regrette les jours passés Où comme deux fous insensés Berthe et moi allions sans alarmes. Mais soudain de l'ombre surgit Une femme belle et rêveuse Elle semble être malheureuse Malgré son regard qui sourit. Sur sa face douce et livide J'ai cru surprendre quelques pleurs Que je cueille comme des fleurs Mon coeur déjà semble moins vide. Elle vient vers moi et ses yeux Ont le trouble d'une caresse Elle rit malgré sa détresse D'un rire étrange et douloureux. Elle me dit je viens poète Près de toi consoler mon coeur Glaner les épis du bonheur Dans les champs de la moisson faite. Comme toi je pleure un passé Fané comme un bouquet de roses Je viens vivre les jours moroses Après les jours de la gaieté. Puis elle disparût dans l'ombre Comme une douce vision En jetant la confusion Dans mon coeur qui se fit plus sombre. J'entendis au loin une voix Murmurer l'idylle rêveuse Que je viens mystérieuse Comme d'inexplicables lois. Ah revenez heures heureuses Me rappeler ce souvenir Quand on se sent deux à souffrir Les larmes sont moins douloureuses. Cette poésie m'a été inspirée par une jeune fille dont j'ai fait la connaissance dans une réunion de famille à Aumale. Elle m'a fait la confession de son coeur et m'a demandé de faire des poésies sur notre nouvelle amitié d'amis seulement. Mais mon coeur n'a pas écouté ses conseils et j'ai laissé deviner dans cette poésie que je l'aime déjà. Honoré HARMAND La joie du poète 8 juin 1906 A Clotilde PESTEL. Fuyez loin de mes yeux images sépulcrales Mort va-t-en je te chasse aux portes du Néant La cloche va sonner les heures triomphales Comme un plaisir nouveau dans le coeur d'un enfant. Chagrin rentrez dans l'ombre et vous fuyez mes larmes Mes yeux en ce beau jour ont cessé de pleurer Mon coeur n'est plus troublé par les sombres alarmes Dont j'aimais recevoir jadis le dur baiser. Et toi nuit où le rêve aux visions obscures Puisait tant de douleurs et de profonds soupirs Comme tu sais chanter tes sublimes murmures Comme les jours heureux chantent leurs souvenirs. Et toi belle nature au baiser qui console Tu chantes ma gaieté. Tu ris mon bonheur Comme je suis heureux ma tristesse s'envole Où jadis je venais écouter ma douleur. Le livre de la vie est ouvert à la page Où l'amour à grands flots verse la volupté Je suis le voyageur qui s'arme de courage Pour suivre son chemin quand il s'est reposé. Si j'ai souffert jadis l'heure de la victoire En sonnant dans mon coeur a su me consoler Et comme un grand guerrier à l'ombre de la gloire Après tant de combats je puis me reposer. Le printemps de l'amour refleurit dans mon âme Et me fait oublier la rigueur des hivers Le soleil dans mes yeux a reflété la flamme Et ma muse a semé la douceur dans mes vers. Clotilde c'est à vous que je dois la caresse De ces jours bienheureux que je vais prodiguer Il n'a fallu qu'un mot pour chasser ma tristesse Et ce mot votre lèvre a su le prononcer. C'est le mot de l'amour c'est le baiser d'un rêve Qui sème dans nos coeurs une étrange gaieté Il vivra malgré tout jusque dans l'heure brève Dans mon coeur pour toujours votre main l'a gravé. Il est doux à mon coeur de répandre sa joie lui qui depuis longtemps n'exhalait que des pleurs. Honoré HARMAND La maison de Clotilde 9 juin 1906 A Clotilde PESTEL. Dans une rue en pente et combien mal pavée Se trouve une maison très en alignement Qui passe aux yeux de tous ordinaire ignorée Dont le style est pour moi aux autres, différent. Elle s'élève haut et compte deux étages Le premier composé de trois appartements Pourrait au préalable abriter deux ménages Mais entendons-nous bien sans compter les enfants. Par un autre escalier on monte à la mansarde Qui sert présentement de séchoir de grenier Un chat tout ronronnant semble monter la garde Et défendre les rats et les souris d'entrer. Mais il me faut décrire et le rez de chaussée Et l'arrière cuisine et le petit jardin Où poussent aux saisons chaque fleur préférée La rose parfumée ainsi que le jasmin. Maintenant revenons à l'étrange façade Qui du passant rêveur attire le regard Une vigne courante et coupée en arcade Donne à chaque fenêtre un baiser de son art. D'un regard attristé elle embrasse l'église Qui des appartements est le seul vis à vis Elle a pour horizon les murs de pierre grise Et le portail obscur aux fragiles lambris. C'est dans cette maison modeste et solitaire Que Clotilde à vingt ans voit s'écouler les jours Dans ce temple sacré où se plaît sa chimère Que son coeur a conçu ces premières amours. Dans sa chambre isolée et simplement coquette Aucune vanité pour singer les grandeurs Pour tout ameublement un lit une tablette Une chaise un tapis sur la table des fleurs. Comme à cet inventaire on devine la femme Qui dans tous les détails de la futilité Concentre un peu de soi un rayon de son âme Et chante la grandeur dans la simplicité. C'est là que dans la nuit elle a dit sa souffrance Quand dans son coeur meurtri l'espérance tremblait C'est là que dans la l'ombre et le silence En pleurant son passé elle se consolait. Maintenant la maison semble plus souriante La vigne pousse encor et mûrit ses raisins L'Eglise à son regard se fait moins effrayante Et le portail obscur a caché ses chagrins. La chambre où s'abritaient tant de rêves moroses A Clotilde sourit en ces jours bienheureux Les fleurs qu'elle respire ont le parfum des roses Et les pleurs sont taris dans l'azur de ses yeux. Pourquoi ces changements cette métamorphose Dans ces murs assombris au temps de la douleur C'est l'oeuvre de l'amour et c'est l'apothéose Qui brille éblouissante au fond de notre coeur. Je reverrai toujours cette étrange façade Qui du passant rêveur attire le regard Je reverrai toujours cette vigne en arcade Qui donne à la maison un baiser de son art. Voyageur quand tu passeras dans cette rue en pente et mal pavée regardes la maison de Clotilde et si tu as dans le coeur de la sensibilité tu sentiras comme une tristesse heureuse monter à tes yeux ; tu pleureras de joie comme je l'ai fait en voyant cette maison dans sa simplicité. Honoré HARMAND Fleur fanée coeur aimé 12 juin 1906 À Clotilde PESTEL Une rose poussait dans mon petit jardin, A celle que j'ador elle était destinée, Aussi de tous mes soins était-elle entourée Et je la respirais en partant, le matin. Un jour je recevais des gens de ma famille, Un oncle et une tante ainsi que des cousins. Je recevais aussi aux petits yeux malins Une cousine jeune agréable et gentille. Elle aperçut la rose et voulut la cueillir Mais je l'en empêchais, je dis « elle est promise » Elle fût étonnée et combien plus surprise Quand je dis « cette fleur est un grand souvenir ». Elle me répondit « encor une amourette Qui berce sa chimère au murmure des fleurs » Et dans ses yeux je vis se former quelques pleurs L'amour avait blessé le coeur de la pauvrette. « Pourquoi pleurer ainsi pour un simple refus Et sur tes yeux jeter l'ombre d'un coeur morose Un jour viendra peut-être où sur ta lèvre rose L'amour déposera mille baisers confus » Ainsi je lui causais ; davantage les larmes Coulèrent de ses yeux comme des pleurs d'enfant Et tout près du rosier sans crainte s'approchant Elle cueillit la rose et me dit : « prends des armes Je saurai me défendre et s'il me faut lutter Je ne recule pas ». Devant un tel courage Je m'inclinais vaincu. Et la rose au corsage Ma cousine riant semblait me défier. Le soir je dis moqueur à la belle voleuse « Tu crois avoir brisé notre lien d'amour Mais demain je rirai, on a chacun son tour Car cette fleur était rose mystérieuse » Le lendemain la rose aux vivantes couleurs Sur le corsage blanc de la veille attachée Par un prodige heureux ne s'était pas fanée Et conservait toujours ses grisantes odeurs Ma cousine comprit que les fleurs quand on aime Se fanent aisément à toutes les saisons Et que l'amour punit les folles trahisons De celles qui voudraient tous les coeurs pour soi-même Mais je suis consolé. Dans mon petit jardin Une autre rose encor cette nuit est poussée Aussi de tous mes soins comme elle est entourée Car elle est de l'amour le suprême lien. Vous jeunes filles qui lirez cette poésie, tirez une leçon de cette convoitise qui explique bien qu'il ne faut jamais envier le bonheur d'autrui. Peut-être m'accuserez vous de trop de sagesse, qu'importe, c'est après avoir convoité l'amour d'autrui après avoir vécu de caresses qui ne m'étaient acquises que par les droits honteux de l'adultère que j 'ai pu traduire sous une forme juridique ce vice répugnant qui semble être implanté dans nos moeurs comme une coutume à laquelle on s'habitue beaucoup plus facilement à cultiver qu'un défaut à le corriger. Honni soit qui mal y pense. Honoré HARMAND L'heure heureuse 17 juin 1906 A Clotilde PESTEL Enfin débarrassé du joug de la semaine En ce jour bienheureux je vais me reposer Je vais suivre en rêvant cette cohorte humaine Qui le dimanche va en foule s'amuser Je vivrai pas très loin. Rien que de ma fenêtre Je verrai les tableaux que j'aime contempler Et là dans mon chez soi jouissant de bien être Je décrirai les gens que je verrai passer. Mais non je ne veux pas me poser en critique Et suivre pas à pas le monde des passants Je ne suis pas poète ami du satyrique Et mon âme s'élève à ses travaux plus grands Je vais de ma fenêtre admirer la nature Qui se montre à mes yeux sous mille et un tableau Je vais de la rivière écouter le murmure Et jeter, aux repas, la pâture aux oiseaux. Je vais dans mon jardin respirer chaque rose De sa profonde odeur j'aime tant me griser Que le jour qui s'en va me semble moins morose Que les soins de l'ivresse où mon coeur sait pleurer Je vais attendre ainsi dans la marche des heures Le jour du lendemain qu'il nous faut espérer Je ne saurais trouver jouissances meilleures Dans les plaisirs mondains qu'il nous faut regretter. Mais que vois-je là-bas, une bande joyeuse Qui va de la forêt troubler le lourd sommeil Quoi serais-je jaloux de cette foule heureuse En un temps qui n'est plus n'étais-je pas pareil ? Allez ! Amusez-vous ! O fragile jeunesse ! Le temps passe et nos coeurs trop tôt savent vieillir Sachez donc du plaisir goûter chaque caresse Car il est fugitif et fait de souvenirs. Ah ! Vous me rappelez bien des heures passées Jadis j'ai comme vous connu cette gaieté Hélas tout est fini, les pages effacées Au livre d'amour par l'amour effeuillé. Quoi n'ai-je pas assez que la brillante image De celle que j'ador dans mon amour caché N'allez pas ô mortels des plaisirs d'un autre âge Troubler la source pure et le flot argenté. Oui elle suffit bien à toutes mes chimères Et tous ces faux bonheurs ne sauraient remplacer Cet amour dans mon coeur comme l'amour des mères Que les enfants ailleurs ne sauraient pas trouver. Dans mon coeur pour toujours j'ai fait naître mon rêve Je ne saurais chercher autre plaisir ailleurs Notre amour est enfant de l'heure douce et brève Et notre âme a parlé dans la voix des douleurs. A cinq heures quand tout dort à l'entour, mes parents dormaient, mon chat dormait aussi ainsi que mes voisins comme dirait le bon Lafontaine s'il était là. J'écris cette poésie qui explique bien mes désirs pour cette journée de repos que le dimanche nous accorde. J'y ai peut-être plus droit aujourd'hui qu'à certaines semaines de l'année. J'ai eu du travail pénible aussi est-ce avec une satisfaction plus grande que je jouis de mon repos. Quand vous lirez ces lignes vous sentirez dans votre coeur cette béatitude de l'homme heureux, cette paix peut-être un peu trop patriarche pour un enfant du siècle, mais sincère pour un poète qui a vécu sa vie de jeunesse à 19 ans et qui a consumé tous les plaisirs fous de l'âge heureux. Pour moi il est un plaisir plus grand que celui d'autrefois, c'est le calme, c'est mon chez soi que ne trouve-t-on pas de bien-être dans son jardin sûr que l'on est de ne pas déranger personne, certain de ne pas être critiqué par des gens à l'esprit qui plairait s'ils avaient la satyre intelligente. Et puis à la pensée de l'être aimé ne voit-on pas s'ouvrir devant soi les horizons ensoleillés de la vie. Le plaisir vrai filtré pour ainsi dire et que nous goûtons avec cette franchise qui caractérise le bonheur et la sûreté. Je ne connais pas de jouissance plus sincère. Les soirs d'un aussi beau jour semblent s'envoler d'une légèreté d'oiseau tant ils n'entraînent pas derrière eux la lourde chaîne des désillusions. Honoré HARMAND La mort de l'enfant du siècle 18 juin 1906 O mort vient dans mon coeur atténuer la fièvre Qui jette un voile affreux sur mon triste avenir Vois mes yeux ont pleuré je suis las de souffrir Le baiser de la vie est glacé sur ma lèvre. Ainsi parlait un soir ou plutôt une nuit Un jeune adolescent qu'une amère souffrance Au coeur avait blessé. Se tournant dans son lit Il implorait la mort plutôt que l'espérance Cette nuit-là Armand ainsi on l'appelait A vingt ans et demi tristement se mourait. Son histoire est bien vieille et toujours ressemblante A celles qu'on raconte une femme une amante Est le glaive qui tue en frappant lentement De l'infidélité adultère et mensonge Défenseur qui condamne aussi injustement Que le bonheur qui rit des plaisirs d'un beau songe. Mais diras-tu lecteur quel est donc ce héros Qui s'éteint fièrement comme au champ de la gloire Et qui semble applaudir en sincères bravos Intrépide guerrier mourant pour la victoire Suis-moi dans mon récit je vais te l'expliquer C'est un enfant du siècle et de dame fortune Il fut par ses parents le premier héritier Rien que le mot argent peut combler la lacune Qui semblait te gêner dans l'introduction Du récit maintenant daigne d'attention Honorer de la vie une vivante page Ecrite par l'enfant fils du libertinage. Armand avait seize ans quand au sein du plaisir Le vice l'appela la voix d'une maîtresse Dans son coeur fit germer la soif de la caresse Et dans un beau boudoir le pria de venir Il avait de grands yeux et son visage pâle Avait un je ne sais de très voluptueux. Les femmes l'adoraient pour sa figure mâle Pour sa beauté naissante et son rire joyeux. L'argent avait aussi quelque part au prestige Qu'il semblait étaler avec un peu d'orgueil Comme un grand diplomate au fond de son fauteuil Il semblait à l'amour prodiguer le vertige Mais nous, n'avons-nous pas quantité de défauts Et de sa vanité tirer une critique Serait une vertu un peu trop prolifique Engendrant dans nos coeurs la blessure des mots. Pardonnes cher lecteur l'emploi de la licence Mais pour tout expliquer de notre grand enfant Il me faut ajouter un bout de conférence Qui donne à tout récit un intérêt plus grand Tu sauras qu'il était avide de caresses Qu'il aimait le bon vin et les folles maîtresses Et qu'il cherchait l'oubli dans le sein du plaisir Ce dieu qui nous enivre et qui nous fait mourir. Que fais-tu grand garçon au sein de cette fête Ainsi parlait un vieux noceur à cheveux blancs Qui, comme Armand venait au bras d'une conquête Dans un lieu de plaisirs rendez-vous des amants Qui cherchent le bonheur dans une heure d'orgie Comme au seuil du tombeau la mort cherche la vie Et l'enfant de répondre : Et toi pauvre vieillard Que viens-tu faire ici ? Peut-être d'un regard Aimer encor l'amour endormi sur ta couche Et donner de l'argent pour le prix d'un baiser Tu viens pour qu'une femme imprime sur ta bouche D'une lèvre adultère un mot qu'on nomme aimer Mais vois ton pas fléchit en gravissant les marches De ce lieu de débauche et les vieux patriarches N'ont plus droit de siéger au trône de l'amour C'est, comme à la fontaine on a chacun son tour. Mais après tout pourquoi prodiguer le reproche Puisque l'un comme l'autre on vient pour s'amuser Bénissons le hasard qui si bien nous rapproche Un sage fabuliste a dit il faut s'aider Mais sans vouloir ici implanter la morale Ne nous méprisons pas. J'ai horreur du mépris C'est une arme trop faible et bonne aux mal appris Et bientôt va sonner cette heure triomphale Où les verres levés jusqu'au front de Bacchus Vont semer dans nos coeurs une étrange folie Et mêler à l'ivresse un frisson de l'orgie Que nous donne en passant le baiser de Vénus. Armand avait seize ans il commençait à vivre A creuser le sillon où germent les regrets Il effleurait déjà les pages du grand livre Qui cache la douleur dans les mots guillerets. Les jours passaient ainsi éphémères rapides Les semaines fuyaient davantage les mois Et parfois il fouillait au fond des poches vides Il avait prodigué et bientôt aux abois Comme un chien poursuivant la biche effarouchée Il allait d'un ami implorer le bon coeur Et confiante hélas la bourse déliée Dans un don généreux grandissait la douleur Qui vieillissait toujours s'enfonçant davantage A mesure qu'Armand déchirait une page Du livre de nos jours écrit par Destin Qui traçait aujourd'hui la route pour demain. Comme ta lèvre est froide et tes yeux pleins de larmes Armand pourquoi pleurer quelles grandes alarmes T'abusent à ce point et te font soupirer Déjà las de l'amour cesses-tu de m'aimer Viens là tout près de moi, Viens je veux sur ta lèvre Rallumer le feu mort et la brûlante fièvre Aimons-nous jouissons le temps passe et s'enfuit Et le malheur sommeille au sein noir de la nuit Ainsi parlait Jeannette une fille de joie Qu'Armand avait connue un soir dans un salon Une jeune brunette au visage mignon A la taille bien prise en sa robe de soie. Ils s'étaient adorés le temps d'une saison L'amour est dans le coeur fragile papillon Qui butine les fleurs et ne pose ses ailes Que sur celles qu'il voit odorantes et belles. A présent le désir était tout épuisé Dans son coeur de vingt ans l'amour était usé. Ah ! Je comprends pourquoi ton front se fait morose Reprit l'amante ! Il est une épine à la rose Piquante quand on sent le parfum de trop près Et c'est dans ton passé que je lis le secret Que tu veux me cacher. Tu aimais une femme Une enfant comme toi qui jeta dans ton coeur Les pleurs avec l'amour le regret dans la flamme Et c'est de là vraiment que naquît ta douleur. Armand d'une voix faible expliqua son histoire A toi je puis tout dire et si tu veux me croire Tu comprendras peut-être ? As-tu déjà aimé Un amant pour l'amour et non pour la richesse Qui donne moins de feu à la tendre caresse ? Eh bien j'ai autrefois connu une fillette Que j'aimais follement comme on aime à quinze ans Elle était orpheline et tu sais sans parents Quand l'amour a parlé que la femme est coquette Ce qui attend le coeur quand il est attendri Par quelques mots dictés à l'heure du midi Quand des grands ateliers la foule passagère Sort comme un gros essaim de la ruche ouvrière Qu'un beau jeune homme parle on l'écoute et souvent L'argent de sa clarté fascinante et vermeille Brille d'un feu trompeur aux doux yeux de l'abeille Elle croît à l'amour aux baisers d'un amant Il est riche il est beau mais fou de l'heure brève Où l'amour à longs flots verse la volupté Comme un coeur généreux faisant la charité Mais le coeur est fragile et le baiser d'un rêve Laisse de l'amertume à l'instant du réveil La jeunesse en tous temps méprise les conseils Comme un jeu qui distrait la tremblante vieillesse J'aimais donc cette enfant ! Ah la douce caresse Qu'elle savait donner à mon coeur encor neuf Et comme en ce temps là je me plaisais à rire De ceux que je voyais au café se détruire Mais pour moi à quinze ans le vice était dans l'oeuf. J'aimais, combien de temps je n'ose te le dire Car je vois sur ta lèvre un étrange sourire Ce que dure souvent un amour enfantin Il est né de la veille et meurt le lendemain Depuis notre rupture une douleur stupide A ravagé mes sens. Vois ma face livide Saura tout expliquer dans le choix de l'oubli Mais combien d'amertume il entraîne avec lui. Après avoir parlé des heures disparues Il dit je sens déjà que les lois sont venues Pour juger de mes jours les crimes innocents Que m'importe après tout à mes derniers instants L'amour d'une maîtresse ou ses larmes amères La mort est insensible au baiser des chimères Allons nous reposer j'ai besoin de dormir Je sens que le sommeil va peut-être adoucir Cette douleur qui gronde qui fond de ta caresse Quand tu m'embrasses fort que ta lèvre se presse Sur ma bouche brûlante encor d'un doux baiser Mes yeux gardent des pleurs qu'ils laissent échapper Sur le grand souvenir de cette heure éphémère Qui passa dans mon coeur comme une ombre légère Que chasse mollement le timide zéphir Je ne puis plus parler de l'amour sans souffrir. Une heure dans la nuit a troublé le silence Et du lourd balancier la plaintive cadence Achève la tristesse au coeur du grand enfant Il vient de s'éveiller près de lui dort Jeannette Comme elle semble belle ainsi qu'une Pierrette Dans son peignoir de nuit rose croisé de blanc Il la voit adorable et sent comme une flamme Briller d'un désir fou au profond de son coeur Pour celle qu'il aimait hier comme une femme Qu'on rencontre aujourd'hui en quête d'un dîneur Qu'on quittera demain que l'on perdra de vue Passante sur la route et bientôt inconnue. Il se lève il a peur ! De quoi ! Il ne sait pas Il a vu dans son rêve un cortège funèbre Traverser ce Paris de mémoire célèbre Une femme suivait tremblante sur ses pas Des amis attristés derrière le cortège Les yeux rouges de pleurs suivaient péniblement Le char de charité pour cet enterrement Jetait un linceul noir sur le blanc de la neige. Ces gens sont ses amis et la femme qui suit Est celle qu'il pleurait encore l'autre nuit C'est son premier amour sa petite orpheline Qui dans ses bras jadis se faisait si câline Mais quel est donc celui que ses yeux ont pleuré Dans quatre planches mort pour une éternité C'est lui comme il sera à la saison prochaine Quand il aura tari la source de ses jours. Il ne craint de mourir est-ce donc une peine Mourir qu'est-ce après tout goûter d'autres amours Que la mort cache aux yeux des âmes indiscrètes Que savent expliquer les douleurs interprètes Du langage sacré des mômes endormis Dont les vivants ont peur comme des ennemis. Une heure passe encor et sa main décharnée Dans l'ombre de la nuit fouille sa destinée. Il lutte avec un spectre il repousse des morts Qui viennent expirer sur les draps de sa couche D'autres déjà glacés se couchent sur son corps Et d'un baiser de feu brûlent sa froide bouche. Il veut fermer les yeux ce n'est pas qu'il ait peur La souffrance chez lui étouffe la torpeur Mais il craint de pleurer et qu'une de ses larmes Brise de son courage une à une les armes Il repousse au tombeau ces spectres affamés Il creuse plus profond leur dernière demeure Il discute avec eux. Faites que je ne pleure Sans quoi tous mes efforts par vos feux consumés Brûleront ma douleur même jusqu'à la cendre Et je verrai sur moi rapidement descendre Un grand voile funèbre aux yeux du moribond Qui regarde déjà dans l'abîme profond Les verts grouillants de faim, avides de carnages Ces rongeurs de la terre aux formes de serpents Qui méprisent les corps, justes dans leurs ouvrages De la mort, ouvriers, dans leurs travaux plus lents Vampires sans scrupule au fond des sépultures Gravant la répugnance au front des créatures Epargnez à mes yeux l'image du tombeau Le jour de la gaieté semble toujours plus beau Quand on l'a travesti des frissons de l'envie Que sur nos passions ont germé nos désirs Ainsi je veux mourir en méprisant la vie Je veux aimer la mort quand tous mes souvenirs Un à un arrachés au sein de ma chimère Creuseront pour toujours mon tombeau dans la terre. Jeanne s'est éveillée Armand parle toujours Aux spectres que lui seul semble avoir vus dans l'ombre Il a les yeux méchants et de son regard sombre Il sonde dans la nuit la profondeur des jours. Il s'est tû, et bientôt il ferme la paupière Jeanne veille à présent comme ferait la mère Sur le sommeil troublé de son petit enfant Elle sèche son front et sa paupière humide Elle embrasse sa lèvre et sa face livide Il semble que la mort touche de son baiser Celui qu'elle frappait avant de le juger Sa faucille est injuste et fauche la vieillesse Ainsi que la jeunesse et dans sa cruauté Elle appelle au secours de son autorité Le regret la douleur et même la tristesse. Jeanne n'est plus amante aux fragiles amours Pour son enfant malade elle est presque une mère Son coeur est attendri et la fille adultère Jure sur le mourant qu'elle aimera toujours Celui qui n'aime plus que l'amère souffrance Dont il nourrit sa vie et son expérience. Elle est femme elle est mère Armand est son enfant Et veut le disputer aux griffes du Néant Ce monstre symbolique et cruel dans son oeuvre Qui cache sous l'espoir une insigne manoeuvre Elle sent dans son coeur un sentiment nouveau Est-ce la voix du bien ou celle du tombeau Qu'importe le mystère étrange inexplicable Elle a changé vraiment les désirs de son coeur La folle volupté a péri par l'honneur L'amour quand il est pur chasse l'amour coupable. Mais le remède hélas sans efficacité Ne saurait réagir contre la maladie L'esprit plus que le coeur davantage attaqué Chez l'enfant qui expire empoisonne la vie Les yeux demi fermés par les doigts de la mort N'ont plus des jours passés l'inaltérable flamme La mort d'un dur baiser frôle déjà son âme Un cadavre respire en cet enfant qui dort. Il s'éveille, il fait jour, et sa lèvre murmure Des mots qu'on n'entend pas est-ce du souvenir Qu'il veut parler, sans doute, est-ce de la nature Ou bien de son passé qu'il veut entretenir Les spectres qu'il a vus. Il rit c'est le délire Expliquant à la mort les secrets qu'il veut dire Il tremble et pour toujours il s'endort effrayant Dans la rigidité qu'imprime le Néant A nos membres glacés quand ils n'ont plus la vie Sa face est grimaçante et de sa main raidie Il semble encor chasser les images des morts. Comme la conscience exhalant les remords Il semble qu'un regret sur cette face obscure Creuse encor le sillon d'une longue torture Sa lèvre exhale enfin un suprême soupir Puis c'est la mort qui vient étendre ses grands voiles Comme un nuage noir sur le front des étoiles Et jeter dans son coeur l'ombre du souvenir. Honoré HARMAND L'heure des larmes 20 juin 1906 Il est des jours heureux qui s'écoulent rapides Il est des amours fous qui comblent les grands vides Creusés par nos sombres douleurs. Mais il est des jours lents et des heures amères Où nos yeux dans la nuit voient s'enfuir les chimères Comme le plaisir, de nos coeurs. Ainsi s'en va la joie et son brillant cortège Le plaisir la prolonge et le regret l'abrège C'est la loi de notre Destin. Aujourd'hui l'homme gai s'efforce de sourire Demain sur son passé qui chaque jour expire Vous le verrez signer sa fin. J'étais cet homme heureux candidat de la veille J'admirais l'espérance, et sa page vermeille Brillait éclatante à mes yeux. Ce soir tout est changé dans les lois de ma vie Le bonheur disparu chante son agonie Au jour qui passe, malheureux. L'amour ne sourit plus à ma folle espérance L'heure des larmes sonne et je sens ma souffrance Grandir l'ombre du souvenir. Un spectre m'apparaît et sur sa face blême Je lis de mon trépas la sentence suprême Si jeune et parler de mourir. Je me rappelle encor les heures insensées Je sens comme un frisson les ivresses passées Du temps qui ne reviendra plus Pourquoi me souvenir de ces folles caresses Pourquoi chercher ainsi dans mes grandes tristesses La gaieté des jours disparus. Fuyez doux souvenirs et vous amantes chères Epargnez à mon coeur vos amours passagères Que l'oubli vient vite effacer. Déjà la nuit descend et je crains l'heure brève Qui va sonner pour moi dans le jour qui s'achève L'Angélus qui me fait pleurer. En suivant la marche de mes inspirations, vous pourrez voir que deux jours séparent l'inspiration de « L'heure heureuse ». Vous pourrez comprendre combien la gaieté est passagère dans un coeur qui a eu à déplorer l'abandon de certaines amitiés qui semblent le tuteur de notre joie ici-bas. Hier j'étais heureux content de chaque jour espérant même en le jour du lendemain dont je préparais la fécondité. Aujourd'hui je suis désabusé et je tombe de plus haut après avoir grimpé sur des branches qui cassent, comme a dit Victor HUGO. Voilà ce que je reçois pour soutenir mon courage de la veille des pleurs le lendemain. Honoré HARMAND Les Heureux 21 juin 1906 À Clotilde PESTEL Sous les grands arbres du jardin Ils allaient la main dans la main Vivre la joie et l'espérance La gaieté brillait dans leurs yeux L'écho en sons harmonieux Répétait leur douce romance. Je les suivis quelques instants Il est de ces tableaux charmants Qui plaisent à notre souffrance Et je pensais « temps qui n'est plus Pourquoi des beaux jours disparus Me rappeler la souvenance » Lui d'un regard combien troublant L'embrassa d'abord tendrement Caresse folle d'un beau rêve Elle après l'avoir enlacé Dit tout bas « ô mon bien aimé Adorons-nous l'heure est si brève » « Le temps fragile dans son cours Ressemble tant à ces amours Qui sont de si courte durée Que le feu brûlant de nos coeurs S'éteint au sein de nos douleurs En une lugubre hyménée. Souvenons-nous des jours heureux Qui nous unirent tous les deux Pour terminer notre existence Jurons de toujours nous aimer » Et soudain le bruit d'un baiser Troubla la marche du silence Le soleil d'or à l'horizon S'effaçait d'un dernier rayon Embrassant la cité entière Le soir descendait lentement La Nature sans mouvement Semblait expliquer son mystère. L'onde murmurait sa chanson Aux arbres verts au frais gazon Qui pousse l'été sur ses rives L'Angélus d'un tendre soupir Sonnait pour moi le souvenir D'un passé aux lois fugitives. Sous les grands arbres du jardin Je revenais le lendemain Et je les vis en confidence La gaieté brillait dans leurs yeux Je les admirais tous les deux Vivre la joie et l'espérance. Depuis trois jours je vais rêver dans un square de la ville à sept heures en sortant de mon travail et trois fois j'ai vu s'asseoir près de moi deux jeunes gens qui ont l'air de s'adorer. Loin de s'éloigner de mon voisinage ils causent comme s'ils se sentaient seuls sur cette terre immense quand les yeux désabusés la contemplent, quand un coeur vide soupire les regrets d'un amour disparu. Je fus ces amants. J'ai vécu ces heures inéluctables de la vie et c'est en souvenir de ces soirs de rêveries que j'ai composé cette poésie, elle est vécue comme on le devine dans sa simplicité. Ce que l'on juge bien s'énonce clairement. Honoré HARMAND Allégorie 22 juin 1906 Ce matin j'ai reçu une carte bizarre Un jardin tout couvert de neige au linceul blanc Des arbres effeuillés où la brume s'égare Donnent à cette carte un dessin pénétrant. Du côté de l'image aucune signature Qui laisse deviner le nom de l'envoyeur. Mais à cette recherche au sein de la Nature Au tableau de l'hiver j'ai surpris la Douleur. Je sais et j'ai compris le précieux langage De celle qui m'aimait à la froide saison La Neige en gros flocons ainsi que sur l'image Couvrait de la forêt la triste frondaison. Ainsi dans la Nature de l'hiver, expirante Nous allions tous les deux vivre notre roman La gaieté nous grisait. O pâle figurante Vas-tu sourire encor à nos amours d'Antan. Non, la carte me dit que la caresse est morte Que sa lèvre n'a plus la chaleur du baiser Les secrets de son coeur l'image me l'apporte A l'hiver de l'amour dois-je encor espérer. Mais que vois-je deux mots dans le blanc de la neige Sont écrits je les lis. Hélas bonjour lointain Au pied d'un arbre mort que le taillis protège Elle les a gravés de sa tremblante main. Que ne disent-ils pas au coeur qui sait comprendre Ils expliquent l'amour en ces deux mots écrits Ils disent des secrets dans le langage tendre De nos jours bienheureux que le temps a vieillis. Je garderai toujours cette image bizarre Je relirai souvent son langage incertain Si l'un de l'autre Hélas le Destin nous sépare Mon coeur saura l'aimer dans un bonjour lointain. J'ai reçu une carte postale de Beauvais et j'ai su que Jeanne était en vacances là-bas. Quelle recherche dans l'allégorie de la carte. Cette nature, à l'hiver ces grands arbres morts n'expliquent-ils pas l'état de nos coeurs et le souvenir de nos jours bienheureux que le temps a vieillis. Honoré HARMAND Les Naufragés 25 juin 1906. O vous qui passez dans la rue Au sein de tragiques douleurs Dans le bruit sourd de la cohue N'entendez-vous pas des clameurs. N'est-il pas des jours où votre âme S'attendrit au son d'une voix C'est un malheureux qui réclame Et que la faim pousse aux abois. Quelle page plus saisissante Au livre noir des miséreux Que cette cohorte tremblante Sur le passage des heureux. Quelle souffrance qui s'exhale Plaintive aux portes du bonheur Défroque humaine qui s'étale Aux yeux si doux du bienfaiteur. Mais dans cette foule ô misère Que ne montres-tu à nos yeux Un enfant, au sein de sa mère Pendu, buvant le lait des gueux. Une fillette jeune encore Qui s'en va au souffle du mal Une rose qui vient d'éclore Et que froisse un baiser brutal. Des mendigots de tous les âges Traînent ainsi sur le pavé Leur vieil habit que les usages Sur leur corps ont détérioré. Mais en passant près d'un asile Que ne voit-on pas, pour la nuit La foule qui attend docile Une soupe ainsi qu'un bon lit. C'est là que l'on voit amassée La misère en un gros paquet Par la faim le soir ramassée Quand le besoin a fait le guet. Tout est là au seuil de la porte La grandeur des jours disparus L'épave que le vent emporte Ils se regardent inconnus. D'un côté le troupeau des hommes Attend son entrée au bercail De l'autre chair de toutes sommes Les femmes sont sous le portail. Arrêtez vos yeux sur la page Qui s'ouvre aux générosités Ne regardez pas avec rage Le tableau des fatalités. Songez en voyant ces chimères Que du coeur le rêve arraché Conduit aux heures meurtrières Les élus de la pauvreté. Que voyez-vous des vieilles femmes Au visage pâle et ridé Des fillettes des faces blêmes Où le vice honteux s'est gravé. Des filles venant de Bretagne D'autres même de l'Etranger Des bergères de la montagne Que l'amour vint décourager. Des enfants aux bras de leurs mères Fruit obscur de la volupté Moisson des crimes adultères Pour le pain de la charité. Voilà ce qu'on voit dans la vie Au seuil de l'asile de nuit La bave qu'exhale l'orgie Quand le bonheur trop, nous sourit. Voilà ce qu'on voit sur la terre Dans le monde des malheureux C'est les larmes de la misère Sur le tombeau des jours heureux. O vous qui passez dans la rue Au sein de tragiques douleurs Dans le bruit sourd de la cohue Prêtez l'oreille à leurs clameurs. Honoré HARMAND L'heure fatale 28 juin 1906 Drapée en son manteau sur le bord d'un cercueil La mort écoute en vain sonner l'heure suprême La cloche dort encor le sonneur ferme l'oeil La Lune dans le ciel jette sa clarté blême Mais l'esquif apparaît il se heurte à l'écueil L'homme enfin a compris son tragique problème La tombe s'est ouverte il lui fait bon accueil Et la cloche endormie a sonné d'elle-même La nuit est effrayante en son profond regard La Mort à l'homme dit « tu sais il est trop tard Pour toi d'aimer encor ta folle destinée » Et l'autre en souriant de répondre « pourquoi Regretter du passé la flamme consumée Que m'importe les jours si je suis bien chez toi ». Honoré HARMAND Les morts s'amusent A l'ami RENARD 5 juillet 1906 Las de dormir dans leurs tombeaux En quête de plaisirs nouveaux Les morts surgirent de la terre Ils allaient tels des revenants Drapés dans leurs grands linceuls blancs Par les chemins du cimetière La lune brillait dans les cieux Le clocher regardait les jeux De cette foule sépulcrale Les oiseaux s'étaient éveillés Et les grands arbres agités Courbaient le front sous la rafale Je vis des femmes des vieillards Des enfants aux tendres regards Chevaucher dans la nuit profonde Des hommes des adolescents Des squelettes en vêtements Dessiner l'image du monde J'entendis aussi mille voix Troubler le silence des bois Comme les échos d'une fête Et chacun selon ses désirs S'amuser des divers plaisirs Que parfois le Destin nous prête Le buveur s'offrit à Bacchus Et l'amant au bras de Vénus Goûta ses ivresses passées Les enfants de leurs doigts mignons Cueillaient les vertes floraisons Sur les tombes abandonnées Je vis aussi dans un baiser Deux jeunes gens se retrouver Après la mort qui nous sépare Comme ils étaient heureux de voir Que même au sein du Désespoir Le Destin de bonheur se pare J'entendis encor des chansons Et dans ce champ où les moissons Sont l'oeuvre d'un dieu symbolique La gaieté semait un bon grain Pour la récolte de demain Que coupera la faux mystique L'heure sonna dans le clocher L'heure qui nous fait regretter Les jouissances les plus chères Je vis les morts désabusés Pleurer sur les jouets brisés De leurs passions éphémères La terre s'ouvrit sous leurs pas Et la cloche sonnant le glas Comme un coup de marteau qui tombe Dans le silence de la nuit Répéta son sinistre bruit Jusqu'au plus profond de leur tombe Alors je vis des monuments Frissonner sous les mouvements Des habitants du cimetière Je vis des tombes s'entrouvrir Les morts allaient vers le plaisir De l'autre monde de la terre. Honoré HARMAND L'heure d'aimer A Clotilde PESTEL 10 juillet 1906 J'allais dans les jours de la vie En quête d'un plaisir nouveau Et sur la terre où tout s'oublie Je creusais moi-même un tombeau Loin de la foule qui s'amuse J'allais pour consoler mes pleurs Dans le coeur sacré de ma muse J'allais prolonger mes douleurs J'aimais entrouvrir ma blessure Je n'avais pas peur de souffrir J'aimais entendre le murmure Du coeur meurtri d'un souvenir Ma douleur était bien cachée Ainsi que mon grand désespoir On enviait ma destinée Mais combien mon rêve était noir Combien sombre était ma pensée Les jours de découragement Et combien la mort fût aimée Par ma faiblesse et mon tourment Aujourd'hui ô douce Espérance Tu viens pour me parler d'amour Tu viens étouffer ma souffrance La Joie est-elle de retour Mon coeur à cette heure suprême S'ouvre à des brillants horizons Une femme m'a dit « je t'aime » J'ai répondu nous nous aimons Alors devant moi s'est ouverte La route des jours bienheureux La joie à mon coeur s'est offerte Le Destin s'est fait généreux Nos lèvres dans une caresse Ont murmuré leurs doux aveux Nous avons vu fuir la tristesse La gaieté brillait dans nos yeux Déjà en ébauchant un rêve Nous disions aimons-nous toujours Que jamais le songe s'achève Dans le crépuscule des jours L'Angélus sonna la prière Le soir tombait sur la Cité L'heure s'écoula éphémère Mais notre amour était resté A présent j'adore la vie Dans mon coeur c'est le renouveau Devant moi la route est fleurie Je ne creuse plus mon tombeau Honoré HARMAND C'est en souvenir de cette journée inoubliable du 8 juillet que j'ai fait cette poésie. Combien je me suis senti heureux à l'heure où Clotilde m'a dit « je vous aime », à l'heure où remettant à son doigt une bague que je lui avais prise, je lui disais « nous sommes unis » ; elle ajouta « par le coeur » ; quelles douces paroles et combien dans mon coeur il y avait plus que la joie, une inaltérable folie, une ineffable extase ; c'était l'heure d'aimer qui sonnait dans mon coeur. Soir d'Amour A Clotilde PESTEL 11 juillet 1906 La Nature est en fête et les petits oiseaux Troublent de la forêt le sublime silence Sur la rive on entend le murmure des eaux Comme une voix plaintive au sein de l'existence Les fleurs ont un parfum, les fragiles roseaux Agitent mollement leur tête qui balance Le soleil d'un rayon frôle encor les châteaux Tout semble être endormi au seuil de l'Espérance La cloche lentement s'ébranle au vieux clocher C'est l'Angélus d'Amour où le coeur sait aimer Où notre âme s'envole au pays des chimères La nuit vient et dans l'air mille parfums troublants Montent comme une ivresse au cerveau des amants C'est le prélude heureux des heures éphémères Honoré HARMAND Noces d'Argent A mes chers parents 15 juillet 1906 Vous n'aviez que seize ans, malgré votre jeune âge Vous ébauchiez déjà des projets d'avenir Et votre coeur disait « qu'il est doux de vieillir En faisant la moisson des plaisirs du ménage » En vous voyant passer tous les deux le matin Les uns disaient leur mot, les autres charitables Admiraient votre amour et de souhaits aimables Comme un feston de fleurs ornaient votre Destin Mais vous fermiez l'oreille aux potins de la rue Votre amour suffisait à combler tous vos voeux Vous étiez pauvres, mais, vous vous sentiez heureux Qu'importait après tout le bruit de la cohue L'heure sonna rapide où pour de nombreux jours En unissant vos coeurs ainsi que votre vie Triomphants vous alliez d'une amitié grandie Faire un lien sacré de vos jeunes amours Mais l'épine s'attache aux tiges de la rose Un nuage passa dans l'azur d'un beau ciel Sur les bords de la coupe il est parfois du fiel Qui fait d'un rêve d'or l'ombre d'un jour morose Un obstacle dressé par de méchantes gens Sur votre destinée oeuvre d'âme jalouse Voulut vous opposer à ce qu'un jour l'épouse Triomphe du combat, pardonnez aux méchants Depuis que sur la Terre il existe le monde En deux camps bien distincts les mortels divisés Ont engagé la lutte ils se sont chicanés Mais les coeurs généreux ont l'âme très profonde Vous luttiez pour l'honneur sans vous décourager Le Triomphe sonna l'heure de la victoire On vit briller vos coeurs au soleil de la gloire Dans l'ombre, l'ennemi, ce jour-là dût pleurer Presque trois ans après l'épouse devint mère C'était de votre amour le grand couronnement Pour consoler vos pleurs vous aviez un enfant Ô combien près de vous s'approcha la chimère Ce n'est pas que sur lui rejetant leur douleur Ceux qui vous insultaient de leur fade colère Souhaitèrent qu'il fût enfant de la Misère Une fleur étiolée à l'ombre du malheur Mais qu'importe aujourd'hui la douleur du passé Votre main, de l'oubli, ferme la lourde porte Chez ceux qui ne sont plus la colère est bien morte Dans vos coeurs de longtemps le mal est effacé Vingt cinq ans ont passé. Pour célébrer la fête L'enfant qu'on insultait aujourd'hui est grandi Dans le coeur du bambin jadis si étourdi Dieu sema la Raison panache du poète Vous fûtes de ce temps où l'amour à grands flots Dans les coeurs de seize ans verse mille promesses Où l'avenir vibrait dans de douces caresses Aujourd'hui l'avenir se nourrit de sanglots Fidèle à mon devoir, à celui de ma muse En quelques mots je vais exposer mes souhaits Mais voilà que déjà, Gaieté tu disparais Je comprends, ici bas le bonheur vite s'use Mais non, c'est qu'à la table il manque chers parents Ceux qui vous ont aimé dont l'heure fût si brève Qu'ils furent regrettés comme on regrette un rêve S'ils étaient parmi nous comme ils seraient contents Je n'aurais pas voulu oublier ceux qui dorment Sans rappeler ici leur si cher souvenir Peut-être verrons-nous ces mânes revenir Dans l'ombre du Trépas tous les corps se reforment La gaieté reparaît et notre coeur en deuil En ce jour bienheureux va goûter d'autres charmes Demain sur le passé nous verserons des larmes La joie aime troubler la douleur du cercueil Ô vous qui célébrez un second mariage Faites que votre amour ne tarisse jamais Heureux les coeurs aimants qui chassent les regrets Venant les torturer dans leur sublime ouvrage Vivez, vivez heureux le temps est fugitif Et la tâche est bien lourde au sein de l'existence Vous avez sû combien il nous faut d'espérance Pour que le coeur toujours vibre d'un amour vif Vivez pour le bonheur de la moisson future Peut-être un jour viendra où de votre labeur Vous recevrez le fruit cher et consolateur Dans le coeur d'une femme aimable créature Alors à votre tour prenant le long chemin Qui conduit les mortels au sein des destinées Nous compterons les jours, les mois et les années Et pour vous soutenir vous aurez notre main Vous recevrez chez nous la juste récompense Pas de bienfaits perdus d'inutiles efforts La faiblesse jamais n'attaque les plus forts Et ma vertu à moi c'est la reconnaissance J'espère revenir encor dans vingt cinq ans Fêter de vos amours l'heureux cinquantenaire Vos coeurs sont si légers que votre marche altière Ne trahira jamais l'âge des cheveux blancs A mes chers parents à l'occasion et en souvenir de leurs noces d'Argent Honoré HARMAND Lettre à l'absente 17 juillet 1906 Depuis que pour un autre amour Tu m'as quitté seul dans la peine J'ai senti grandir chaque jour Les noirs horizons de la haine J'ai voulu que ton souvenir S'efface et meurt dans ma pensée Ma douleur servait à nourrir Mes désirs, ma fièvre insensée J'étais fou de ton doux baiser Encor plus fou de ta caresse Etait-ce donc pour m'éprouver Que tu partis, belle maîtresse Mais non, tu voulais un amant Un favori de la fortune Ton amour valait de l'argent Brillant comme le clair de lune J'aurais aimé nous voir heureux Les soirs d'hiver quand la nuit sombre Cruelle pour les pauvres gueux Sème de la gaieté dans l'ombre Je rêvais un bonheur parfait Là-haut dans ma pauvre mansarde Où glissait un rayon discret De la lune qui nous regarde Mais tu n'aimais que le plaisir Où le coeur s'abreuve aux orgies Ta lèvre effleura d'un désir La lèvre impure des folies Ma lettre part de l'hôpital Où me retient la maladie Où je souffre d'un affreux mal Qui bientôt va m'ôter la vie Je vois dans le jour de demain La Mort rapide et fugitive Tenant une faux dans sa main Déjà vers moi sombre elle arrive Derrière elle en procession Mes amis suivent le cortège Et malgré la froide saison Malgré les blancs manteaux de neige Ils viennent faire leurs adieux A ma dépouille à ma misère Vois il n'y a pas que les vieux Qui dorment dans le cimetière J'étais fou de ton doux baiser Encor plus fou de ta caresse Viens demain je veux t'embrasser Comme on embrasse une maîtresse Honoré HARMAND Désillusion 18 juillet 1906 A Clotilde PESTEL Venez ô mes douleurs je vous ouvre ma porte Dans mon coeur pour toujours la gaieté est bien morte Et les beaux jours sont disparus Je ne veux pas savoir dans l'ombre des années Si les fleurs de la Vie avant l'âge fanées Pour moi ne refleuriront plus Comme tous les mortels j'ai conçu de beaux rêves J'ai vécu de l'amour les caresses trop brèves J'ai goûté ses plaisirs trop doux Maintenant que s'éteint le feu de mon ivresse Que m'importe un baiser une étrange caresse C'est le jouet des pauvres fous Je laisse à la jeunesse aux foules qui s'amusent Le secret de jouir de ces plaisirs qui s'usent Comme le rêve des amants Au sein du désespoir je cherche l'épouvante Et dans ma passion le désir qui me tente C'est de voir rire les enfants Je ne sais plus faiblir sous le coup des blessures J'ouvre très grand mon coeur à toutes les tortures Sur qui l'homme ne compte pas Que m'importe des jours la flèche meurtrière La douleur la plus vive est toujours la plus chère Elle nous prépare au Trépas Que le rêve s'efface ou que dans la nuit sombre Il jette sa clarté au plus profond de l'ombre Il ne brille plus à mes yeux Je l'ai trop adoré au temps de ma jeunesse Il ne sait plus sourire à ma grande tristesse Et pour l'aimer je suis trop vieux Venez ô mes douleurs sur le seuil de ma porte Dans mon coeur pour toujours la gaieté est bien morte Mes plus beaux jours sont disparus Je veux savoir souffrir dans l'ombre des années Les roses de la Vie avant l'âge fanées Pour moi ne refleuriront plus Honoré HARMAND Présages 20 juillet 1906 A Clotilde PESTEL Déjà dans mon jardin les roses sont fanées Et le règne des lys tel un plaisir vécu S'achève comme un jour au déclin des années Souvenir expirant dans le coeur du vaincu Je vois venir l'hiver et son triste cortège Les jours moroses sont nés des jours de gaieté Je vois sur le chemin l'épais manteau de neige Etendu par les mains de la fatalité Je vois les gens heureux le soir à la veillée Réciter du vieux temps les contes qui font peur Et les petits, tremblants, la face ravagée Dévorer d'un regard les lèvres du liseur Je vois l'enfant dormir dans les bras de sa mère Les soirs où le froid vif glacera plus d'un coeur Je vois des malheureux sourire à leur misère Et guider leur espoir aux portes du bonheur Je vois dans la nuit sombre une flamme brillante C'est le feu de mes jours qui va s e consumer Dans l'oubli de l'amour loin de la folle amante Le coeur croit tout perdu quand il cesse d'aimer Je vois le lendemain des frissons de l'ivresse L'horizon s'obscurcir d'un gros nuage noir Et l'ombre des regrets répandre sa tristesse Sur les douces clartés dans la pourpre du soir Je vois l'hiver grandir l'oeuvre de l'Existence Et ma main d'un beau livre ouvrir chaque feuillet Pour rendre plus amère une amère souffrance En lisant les douleurs du poète Musset Puis le printemps heureux au sein de la Nature Fera germer encor dans sa fécondité Les tiges de la rose et la frêle verdure Les lys embaumeront plus d'un beau soir d'été Mais dans mon coeur hélas la gaieté que je pleure Passera lentement pour la dernière fois La Vie est insensible au baiser qui l'effleure La Nature n'est pas soumise aux mêmes lois L'homme est un voyageur il passe sur la Terre Son coeur n'a qu'un printemps ses voeux sont superflus La vie est un rayon dans l'ombre du mystère Et son rêve un frisson des beaux jours disparus Honoré HARMAND Mes souhaits 27 juillet 1906 A Monsieur et Madame J. PRIN à l'occasion de leur mariage L'angélus a sonné l'heure de vos amours Et déjà tous les deux unissant votre vie Vous allez en cueillant sur la route bénie Les fleurs de la gaieté aux parfums des beaux jours Faites grande moisson de la douce folie Qui donne à nos désirs de souriants atours Heureux sont les époux qui savent pour toujours Répéter de leur coeur la suave harmonie Et que bientôt j'entende un petit chérubin D'un soir tendre d'amour précieux lendemain Répondre en son langage au baiser de sa mère Alors je chanterai cet hymne triomphal Que le poète écrit quand il voit l'Idéal De sa lèvre effleurer le front de la chimère Honoré HARMAND Soir d'été 28 juillet 1906 Le ciel à l'horizon en d'étranges couleurs Brille comme un flambeau sur le sommeil des choses Et d'un reflet tragique aux lueurs grandioses Il éclaire le front des sublimes douleurs La campagne endormie a de sombres images Les arbres assoupis ressemblent à des morts Surgis de leurs tombeaux pour pleurer les accords Du soleil radieux et du ciel sans nuages La source qui se perd en bizarres contours Et coule insouciante au travers des prairies D'un murmure sacré berce les rêveries Des mortels emportés au caprice des jours C'est à cette heure chère aux âmes expansives Que j'aime respirer dans la brise du soir Le souffle des amours au doux baiser d'espoir Et sentir le frisson des gaietés fugitives C'est dans le crépuscule aux portes de la Nuit Que je cherche l'oubli des ivresses passées Et que je me souviens des heures écoulées Souvenir qui renaît dans le jour qui s'enfuit C'est ainsi que Clotilde à mon coeur dit je t'aime Un soir où le soleil dans un dernier rayon D'un baiser plein de feu embrassait l'horizon Et gravait dans mon coeur la caresse suprême Le ciel au crépuscule en d'étranges couleurs Brillait comme aujourd'hui sur le sommeil des choses Et d'un reflet sublime aux lueurs grandioses Il éclaira l'amour dans l'ombre de nos coeurs Honoré HARMAND A Clotilde 29 juillet 1906 Ô vous pour qui je viens à cette heure pleurer Dans le calme profond de la belle Nature Sur votre lèvre hélas surprendrais-je un murmure Qui dise à mon amour que vous savez aimer Je suis seul à l'instant où vous riez peut-être Loin de ces plaisirs fous qui plaisent à nos coeurs A la sombre forêt confiant mes douleurs J'admire les vallons à l'abri d'un vieux hêtre Je pense et je suis triste au seuil de la forêt En songeant à ce jour où la gaieté suprême Semblait de son baiser me confondre moi-même Et pour toute une vie éloigner mon regret Je vois la foule heureuse en ce lieu solitaire A l'abri des grands bois jouir d'un doux repos Les enfants s'amuser sans souci du chaos Qui fait trembler nos coeurs d'une injuste colère Prenant l'étroit chemin deux jeunes fiancés S'en vont insouciants adorer leur chimère Et d'un pas cadencé longeant le cimetière Ils vont vivre l'amour dans le feu des baisers Fallait-il ce tableau pour grandir ma souffrance Ô non mon désespoir était assez obscur Mais peut-être pour moi dans un bonheur futur L'amour a-t-il caché ma juste récompense Vivrons-nous le bonheur que vous m'avez promis Dans le feu pénétrant d'une chère caresse Ô venez vous que j'aime adoucir ma tristesse Et soutenir encor mes projets affaiblis Oui c'est vrai vous m'aimez. Ce n'était pas un rêve L'instant où votre lèvre a sû me consoler L'instant où votre coeur à mon coeur sût parler Les choses de l'amour qui méconnaît la trêve Exaucez ma prière et faites que mes voeux Ne soient pas emportés au hasard de la vie Soutenez dans mon coeur l'espérance affaiblie J'ai trouvé le bonheur dans l'azur de vos yeux. Honoré HARMAND Bouquet de pensées A Clotilde PESTEL 29 juillet 1906 Un sourire d'amour, c'est un grand flot de larmes. Le coeur a quelques fois de bien cruelles armes. Est-il une douleur qui fasse plus souffrir Qu'une douce pensée au sein du souvenir ? Il est des jours cruels au sein de l'existence Où dans nos coeurs meurtris germe l'indifférence. Mais il est d'autres jours, heureux, inoubliables Où les plus grands projets semblent réalisables. Comme c'est beau la Mort quand on la voit en face Devant elle tout fuit ainsi que tout s'efface Le rêve qu'on aimait et qui vient de finir Ne garde même plus l'ombre d'un souvenir. Un rêve c'est étrange et drapé de mystère Il nous montre la vie en un si beau décor Que malgré sa folie on veut l'aimer encor L'instant d'après la fin de son règne éphémère. La Vie est un roseau pliant sous les orages. Notre coeur est comme le portail d'une église Il s'ouvre quelquefois à des amours impies. L'amour a des saisons ainsi que la Nature Nous sourit-il un jour il se fait plus amer Quand le coeur est frappé sur plus d'une blessure L'Eté passe rapide et bientôt c'est l'Hiver. L'Espérance est le tuteur de nos découragements. La Vie est une mine où l'or coule dans l'eau On lutte et on espère amasser des richesses Mais il est entraîné par des flots de tristesses Et va se perdre hélas dans l'ombre du tombeau. J'aime entendre chanter la cloche au son plaintif Et j'aime voir aussi sur le bord de la rive Le roseau balancer son frêle corps chétif C'est le tableau vécu de l'heure fugitive. On ne sait plus souffrir des regrets du passé Quand on comble le vide affreux de l'existence Par un amour heureux où l'on a remplacé Dans le coeur le chagrin par la douce espérance. Quand dans nos coeurs s'éveille une amère souffrance La Mort est un berceau où l'on voudrait dormir Mais la douleur s'en va et plus d'un souvenir A l'heure des regrets nous parle d'espérance. Aujourd'hui on regrette une extase ravie On pleure des beaux jours restés sans lendemain On se lasse on s'ennuie on blâme le Destin Puis la douleur sommeille on sourit à la Vie. La gaieté sourit-elle au sein des jours distraits L'homme pour l'imiter s'efforce de sourire Pauvre fou de ton coeur le mal qu'elle retire Grandira davantage à l'instant des regrets. Qu'est-ce qu'une douleur une extase ravie A l'age où le plaisir par ses dons généreux Devrait de la jeunesse exaucer tous les voeux C'est l'automne du coeur au Printemps de la Vie. L'oubli est une fleur aux parfums enivrants Mais l'ivresse n'est pas de très longue durée Et quand le lendemain notre âme est dégrisée Les chagrins de la veille apparaissent plus grands. Honoré HARMAND La famille A Clotilde 31 juillet 1906 Sa journée achevée au sein de sa famille L'homme est déjà rentré combien il semble heureux Il embrasse sa femme et son fils et sa fille Et des larmes de joie ont coulé de ses yeux Il s'assied ; près de lui, prenant place à la table La mère et les enfants partagent le repas Parfois il est bien simple et très peu délectable Mais qu'importe, le coeur, lui ne se plaindra pas Souvent c'est une soupe un morceau de fromage Qui remplace les mets, les plus fins les meilleurs Mais dans la pauvreté quand le pain se partage La vie est un bienfait aux jours consolateurs La nuit vient, au plafond, la lampe suspendue Jette dans la maison une douce clarté Et bientôt sur la table une toile étendue Va donner au ménage un ton de propreté Les enfants attentifs écoutent la lecture D'un livre où les conseils s'attachant au bonheur Par un esprit d'amour achèvent la culture Des sentiments sacrés qui germent dans le coeur Puis quand l'heure a sonné à l'horloge en vieux chêne Chacun dans son repos va chercher le sommeil Ainsi passe la vie agréable et sereine Et combien souriante à l'instant du réveil C'est ainsi que je veux au sein d'une famille Vivre l'heure du rêve et des jours bienheureux Aimer l'épouse chère et l'enfant qui babille C'est le plus grand orgueil du plus grand de mes voeux Honoré HARMAND Nuit d'août A Clotilde 5 août 1906 La lune au ciel brillait calme et mystérieuse Reflétant son image aux ondes du ruisseau Au travers des taillis sa clarté dédaigneuse Glissait comme un regret sur l'ombre d'un tombeau Tout dormait dans la nuit quand un fantôme étrange Passa comme un oiseau effleurant les moissons Il avait le mystère et la grâce d'un ange Descendre des cieux noirs au penchant des vallons Je le vis disparaître au profond des ténèbres Mais il semblait sourire aux choses d'ici bas Et ses yeux n'avaient pas les tristesses funèbres Des spectres expirants aux portes du trépas Je restais confondu devant ce doux mystère Etait-ce le présage annonçant les douleurs Ou bien l'ange du rêve en ce lieu solitaire Descendu pour chanter l'hymne sacré des coeurs Une voix arrêta la marche du silence Le fantôme drapé dans un grand manteau vert Avançait dans la nuit chantant une romance Et rêveur, j'écoutais son étrange concert Il s'assit près de moi au sein de la Nature Pour causer me dit-il. « Je suis venu ce soir As-tu souffert hélas d'une longue torture Ton coeur a-t-il aimé et vu s'enfuir l'espoir As-tu pleuré les jours aux règnes éphémères As-tu vécu la joie ainsi que le plaisir Dis-moi pauvre mortel pleurais-tu les chimères Dont tu gardas peut-être un trop cher souvenir » Hésitant, sous ses yeux, j'ouvris un livre rose Il lût de mon passé les fragiles amours « Courage, me dit-il, une métamorphose Va changer dons ton coeur le mal des anciens jours Une épouse saura adoucir ta souffrance Et soutenir encor ton espoir affaibli Dans les jours de tristesse il est une espérance Qui brillera pour toi dans son regard ami » Je compris que l'amour souriant à ma vie Etait venu dans l'ombre en sons harmonieux Griser de mes projets la tendre rêverie Et calmer la douleur d'un passé malheureux Tout dormait dans la Nuit quand le fantôme étrange Partit comme un oiseau effleurant les moissons Il avait le mystère et la grâce d'un ange Volant d'un libre essor au penchant des vallons. Honoré HARMAND Le prix des larmes A Clotilde 13 août 1906 Il est des larmes qu'on prodigue A l'âge où naissent nos douleurs Dont le germe fut une intrigue Et la fin des baisers moqueurs On jure pour toute la vie Que jamais le coeur n'oubliera L'extase qui nous fût ravie Mais le regret s'effacera Alors les larmes qui consolent Sècheront au feu des baisers Les serments faciles s'envolent Comme des chagrins passagers Quel prix fixer à des souffrances Vivant l'espace d'un matin La valeur de nos espérances Expirantes le lendemain Il est des larmes combien chères A l'âge où vieillit la douleur Dont les germes sont des chimères Et la fin l'ombre du Malheur On aime l'épouse chérie Qu'un heureux Destin nous donna Mais si Dieu lui ôte la vie Plus rien ne nous consolera Alors les larmes qui consolent De nos chagrins mal apaisés Aux espérances qui s'envolent Prodigueront d'amers baisers Quel prix fixer aux souvenances Rappelant un beau soir d'amour La valeur chère à nos souffrances Quand l'Espoir a fui sans retour. Honoré HARMAND Epitre familière A Monsieur et Mademoiselle FRANQUEVILLE 14 août 1906 Monsieur pardonnez moi et vous Mademoiselle Si je viens effronté troubler votre repos Mais vous savez combien dame Muse est cruelle Quand elle prend plaisir à nous chercher des mots J'ai sû par une amie ô combien indiscrète Que pour désennuyer la tristesse des jours Jouissant du bienfait gagné de la retraite Vous chantiez la gaieté ainsi que les amours J'ai sû que le plaisir possédé par les autres Dans votre coeur avait un retentissement Que toutes leurs gaietés en distrayant les vôtres Grandissaient dans votre âme un bien grand sentiment Ah je vous reconnais Images fugitives Modestes dans la gloire ainsi que dans l'honneur Laissant gronder le flot débordant sur les rives Pensifs au seuil des nuits, vous chantez le Bonheur Vos poèmes toujours se lisent pleins de charmes Votre Muse héritait de la franche gaieté Dont je fis bien des fois le jouet de mes larmes Et le germe brutal de ma fatalité Chantez ! Chantez ainsi, tous les jours de la vie Vivez heureux mortels le fragile plaisir Que donne le Destin à l'âme recueillie Au temple de la joie apprenant à vieillir Peut-être comme vous saurai-je un jour écrire Dans mes poèmes gais la fraîcheur du Printemps Et si je m'attristais que votre coeur m'inspire De ce que vous chantez sublimes artisans Monsieur pardonnez moi et vous Mademoiselle Si je viens effronté troubler votre repos Mais vous savez combien dame Muse est cruelle Quand elle prend plaisir à nous chercher des mots Honoré HARMAND André Gello 15 août 1906 Assis devant sa porte André Gello fumait Il était absorbé profondément distrait En suivant tout rêveur la marche nonchalante Des nuages légers que sa pipe brûlante Exhalait dédaigneuse en un triste soupir Comme un rêve envolé au sein du souvenir Voilà trois ans déjà que le mariage De la fidélité il respectait l'image Il aimait son foyer. Mais souvent au bonheur Il manque quelque chose. Aussi une douleur Attristait chez André la paix de la famille Son rêve étant modeste, il voulait une fille Entendre d'un enfant le babil infernal Avait pour lui l'éclat d'un concert triomphal Annonçant aux guerriers l'heure de la victoire C'était son espérance au sommet de la gloire Sa douleur comme un mal grandissant chaque jour Se faisait plus cruelle à l'instant du retour Quand il rentrait chez lui, sa tâche terminée Il oubliait bientôt l'effort de la journée Mais, si tout près de lui quelques petits enfants Troublaient son doux repos de leurs jeux innocents Son front s'obscurcissait d'une sombre colère Et ses yeux attristés d'une ombre meurtrière Se couvraient, et méchant l'ouvrier chicanait Il cherchait la dispute. Un rien le courrouçait Puis bientôt le remord de sa voix pénétrante Fermait pour un instant la blessure béante Au coeur de l'ouvrier qui voyait tout finir Quand l'irréalisable arrêtait son désir Alors à l'atelier redoublant de courage Il travaillait plus fort, pour étouffer sa rage Jusqu'à ce que ses maux sans cesse grandissants A l'instant du réveil se fassent plus cuisants A quelque temps de là, dans le jeune ménage Une autre heure sonna dans le bruit de l'orage Un rayon de bonheur dans le ciel obscurci Brilla comme un plaisir dans l'ombre du souci Qui se gravait déjà sur le front du brave homme On eût dit à le voir qu'un horizon nouveau S'ouvrait à ses désirs. Serait-ce qu'une somme Venant d'un héritage échappé du tombeau Aurait changé l'aspect de sa triste existence Ou bien à l'atelier le travail augmenté Donnait-il au foyer une plus grande aisance Qu'y-a-t'il chez Gello pour qu'il soit tout changé ? Ainsi jasaient bientôt les nombreuses commères Cueillant de ci de là les faux renseignements Sur l'honnête ouvrier. Il avait des parents Qui possédaient beaucoup, des cités ouvrières Dit une femme mûre une langue d'aspic Qui ne s'aperçoit pas de ses gaffes énormes Donnant au je sais tout tant d'imbéciles formes Qu'elle rend ridicule à l'esprit du public Son potin grossissant d'un affreux bavardage Les récits de la vie aux phases de romans Les plus petits effets sont pour elle importants Elle fait un volume où se dicte une page Lecteur pardonne-moi ces détails sans relief Mais pour qu'un roman soit ni trop long ni trop bref Il faut de temps en temps semer une historiette Le style monotone est de ce fait varié Et fait voir que l'auteur n'ayant rien oublié Ecrit de son sujet une histoire complète Je reprends mon sujet où je l'avais laissé Maintenant des potins je suis débarrassé André n'avait pas fait un brillant héritage Pas plus que ses parents n'étaient gens fortunés Il avait apporté au sein du mariage La fortune du coeur en des rêves dorés N'est-ce pas un bienfait dont les caresses chères Adoucissent parfois le poison des misères André à l'atelier travailla plus longtemps Ce n'est pas disait-il qu'il faut perdre son temps Bientôt au lieu de deux nous serons trois à table Un héritier viendra. Je serais misérable Si je le recevais dans l'ombre du cachot Qui s'ouvre quelquefois aux jours de l'innocence Et sème avec la vie un germe de souffrance Dans le coeur déchiré de l'enfant mendigot Je veux qu'il soit heureux puisqu'il chante mon rêve Je ne suis plus jaloux comme j'étais le soir Quand j'entendais le bruit de la cohorte brève Des enfants qui passaient et que le désespoir Semblait mordre mon coeur sa blessure profonde Grandissait ma douleur. Ma haine pour le monde Devenait meurtrière et mes serments passés Au sein de ma colère étaient tous effacés Mais qu'importe oublions les douleurs de la vie Le plaisir disparu et l'extase ravie Germeront dans les jours que nous doit le Destin Ce qu'on pleure aujourd'hui nous sourira demain Le Destin le plus fort lui le maître suprême Ne donne pas toujours au mortel ce qu'il aime Mais peut-être touché par le plaisir d'André Eblouissant ses yeux d'une folle espérance Et préparant peut-être une insigne souffrance Il fit d'un malheureux un homme consolé Il dota le foyer d'une petite fille André n'envia plus des autres la famille Il ne regarda plus de ses grands yeux méchants Les enfants qui jouaient, leurs foules turbulentes Ne troublaient plus son rêve aux images errantes La vie est un bienfait quand nous sommes contents Ô tableau saisissant ! Ô ravissante image ! Ô scènes qu'on sait vivre au plaisir du ménage Un père caressant son enfant qu'il ador Et d'un regard troublé enveloppant la mère. Il semble qu'au bonheur surgi de la chimère Le Destin suspendit le poids d'un livre d'or Où des amours sans finn la préface est écrite Où le jour d'aujourd'hui voit naître un lendemain Où les frissons du doute à la face hypocrite Ne jettent pas sur nous leur tragique venin. Quelle page sublime aux lois de l'existence Que celle du retour de l'honnête ouvrier Le soir quand il revient du lointain atelier Frappant le long chemin d'une juste cadence Allant droit devant soi fuyant les cabarets D'où s'échappent, perdus, les refrains guillerets Exhalés en passant des gorges avinées Au fond des bouges noirs des pièces enfumées Où le vice à grands flots verse ses voluptés Dans les coeurs endurcis et les cerveaux troublés Il va le coeur léger où l'attend sa famille Heureux d'avoir gagné le prix de son labeur Bientôt il va jouir du modeste bonheur Que prodiguent l'épouse et l'enfant qui babille. Il arrive et déjà au seuil de la maison Bébé semble l'attendre et d'un faible langage Donner à son amour un puissant témoignage Il foule en trébuchant le tapis de gazon Il rit il veut aller fuir les bras de sa mère Pour courir intrépide à l'encontre du père L'heure sonne au clocher c'est l'angélus d'amour Annonçant aux mortels le déclin d'un beau jour La nuit vient, au foyer, l'enfant déjà sommeille Les époux d'un baiser implorent le pardon Des chagrins disparus. Une flamme vermeille Brille au fond de leur coeur. Dans un doux abandon Ils contemplent l'amour dans leur cher bébé rose Et d'un regard sublime aimant passionné Embrassant le trésor que Dieu leur a donné Ils vivent du bonheur la grande apothéose. Ô mortels ignorants votre destin trompeur Cache dans votre hymen le germe du malheur Vous grisez votre vie aux sources des chimères Mais craignez l'avenir il pourrait vous tromper Fuyez les plaisirs fous les ondes adultères La joie est hypocrite et qui ne sait l'aimer En l'embrassant trop fort apprend à la connaître Ses baisers sont cruels et son glaive pénètre Au fond de notre coeur où le mal endormi Quand le désir n'est plus s'éveille en ennemi Frappe insensiblement jusqu'à ce que sa gloire Arrache à nos douleurs le cri de la victoire André vivait heureux dans le jour d'aujourd'hui Le bonheur souriait à sa douce existence Il aimait chaque jour apportant l'espérance A son coeur grand ouvert jadis au sombre ennui Pour lui cette gaieté pouvait être éternelle Comme croient les amants dans l'extase charnelle Quand il se sent heureux l'homme ne veut pas voir Les scènes du malheur aux nuits du désespoir Il veut fuir du trépas la tragique caresse Il croit que le Destin toujours dans l'avenir Prodiguera pour lui l'amour et le plaisir A chaque jour heureux s'attache une tristesse Un an avait passé le bonheur au foyer En se faisant plus rare obscurcissait la vie L'enfant était malade et sa face pâlie Reflétait de la Mort l'image à redouter La tâche grandissait le travail plus pénible Ajoutait aux efforts du rude travailleur La lutte pour la vie et le poids du malheur Que faire quand la mort de sa rage invincible Commande à l'avenir les douleurs du trépas Notre coeur peut lutter elle ne nous craint pas Un soir, André rentrait sa tâche terminée Heureux il avait fait une bonne journée Sa femme l'attendait, de ses yeux attristés Des larmes s'échappaient. Qu'y a-t-il ? La petite Serait-elle plus mal ? Dis-le moi tout de suite ! Et la mère hésitante en des mots saccadés Expliqua, en restant sur le seuil de la porte Pleures, mon cher ami, Notre fillette est morte Un instant interdit le pauvre homme se tût Puis d'une voix tremblante il dit, pauvre Suzette Fallait-il que je l'aime et qu'elle disparût Pour que de mes malheurs la charge soit complète Qu'ai-je fait au destin pour être ainsi puni Peut-être sourit-il aux foules criminelles Peut-être fallait-il à ses lèvres charnelles Un baiser d'assassin l'étreinte d'un bandit Ah ! Grand Dieu, s'il existe une balance juste Pour peser nos efforts au prix de tes bienfaits Rends-moi mon chérubin ma fille que j'aimais Toi qui donnes la force aux branches de l'arbuste Soutiens mes pas tremblants jusqu'au bord du tombeau Puis aux jours disparus rattachant sa pensée Il sentit les frissons de sa douleur passée Sa blessure s'ouvrit à ce regret nouveau La nuit vint mais hélas un sombre crépuscule Remplaça des beaux jours la sublime gaieté On entendait à peine un bruit sourd de pendule Sonnant l'heure des morts à la fatalité Paris était joyeux, Paris était en fête La bruyante cité enfer de la conquête Entraînait dans ses flancs en flots précipités Les mortels au plaisir en foules appelés Le monde s'agitait turbulent intrépide Et ces êtres jetés dans le désert du vide Semblaient les insensés tout heureux de leur sort Là-bas parmi la foule un sillon que la Mort Creusait dans le plaisir de ses lames funèbres Jetait un grand frisson dans le bruit des clameurs Comme un fantôme étrange au sein noir des ténèbres Le cortège avançait sur un tapis de fleurs Les yeux qui souriaient les beautés et les charmes En passant découvraient leur front que le cercueil Attristait. Et ces gens dans le secret du deuil Heurtaient brutalement le domaine des larmes Le sillon du Néant se dessinait, fatal Comme l'impureté sur la route du mal Les yeux qui regardaient, sur les couronnes blanches Devinaient aisément que dans les quatre planches Dormait un innocent, un ange un chérubin Et les passants de dire il est mieux le bambin Que de vivre longtemps au sein de la misère Un couple jeune encor suivait, péniblement Les parents conduisaient l'enfant au cimetière N'écoutant que leurs maux, aux portes du Néant Unis dans leur douleur d'une marche touchante Ils allaient, absorbés, et la face méchante Assister à la scène où le coeur en lambeaux Accompagne les morts jusque dans leurs tombeaux Dix ans après, Gello en sa douleur amère Concentrait le regret des beaux jours disparus Il allait abruti, incertain sur la terre Traînant de vieux souliers usés et décousus Des habits tout râpés et des cheveux épars Le faisaient ressembler aux titis des remparts Qui rôdent dans la nuit tels des oiseaux de proie Il vivait des bienfaits de la mendicité Un travail peu pénible aumône et charité Après les fortunes tel un chien qui aboie Il allait d'une voix aux accents caverneux Réciter en passant la prière des gueux Parfois ça rapportait, alors au fond des bouges Il dépensait l'argent qu'il avait quémandé Il trinquait sans scrupule avec un condamné Un voleur un bandit agents des bandes rouges Dont le triste métier s'achève au tribunal Un soir que la recette était plus fructueuse Il bût à se griser puis devenant brutal Il attaqua l'amant d'une jeune pierreuse Il se battit, le sang coula sur le pavé Et jaillit sur les murs signe effrayant du crime André, mortellement par l'autre fut blessé Son âme avait atteint le terme de l'abîme Il ouvrit ses grands yeux, prononça quelques mots Puis ce fut le délire à son heure dernière Annonçant de la Mort le suprême repos Sa lèvre murmurait sans doute une prière Car de ses doigts crispés il retenait son coeur On l'entendit nommer quelqu'un « ô ma Suzette » Et dans un râle affreux étouffant sa douleur Il dit merci grand Dieu la mesure est complète. Honoré HARMAND Papillons bleus 20 août 1906 Volez volez toujours frêles papillons bleus Frôlez l'herbe des champs de vos fragiles ailes Vous qui vous habillez de la robe des cieux Et passez comme un rêve aux voûtes éternelles Dans votre fol essor vous semblez vivre heureux Fuyez d'un vol léger vers le désir des belles On vous attend, l'amour au sourire joyeux Dans leur coeur a semé des ivresses Ah vous me rappelez des souvenirs passés Des heures et des jours bien souvent regrettés Crépuscule assombri par de noires chimères Mais vous-mêmes parfois en butinant les fleurs N'avez-vous pas senti les parfums adultères Au sein de la Nature abreuver vos douleurs Honoré HARMAND Souffrances et consolations A G. FRANQUEVILLE 29 août 1906 Sur la route des jours, dans l'ombre de la Vie J'allais désabusé en égarant mes pas Dans mon coeur le plaisir et l'étrange folie Avaient sonné déjà l'heure de mon trépas Je croyais tout perdu, tout à son agonie Lorsqu'un poète heureux m'a dit « ne faiblis pas Il est dans l'avenir une Muse chérie Qui fermera ton âme aux douleurs d'ici bas » J'ai cru en ta Raison, ô sublime poète Et dans mon coeur déjà les plaisirs de la fête Ont semé les bienfaits de leur fécondité Par toi je puis sourire à la douce Espérance Par toi j'ai su livrer ma cruelle souffrance Aux funestes desseins de la Fatalité. Honoré HARMAND Acrostiche d'amour A Clotilde 30 août 1906 C 'est un plaisir bien doux pour moi que d'être aimé L a vie est moins pesante à mes folles chimères O ubliant mes chagrins je me ris du Passé T ant mon nouvel amour a des ivresses chères I l est né ce beau jour à l'age où dans nos coeurs L a troublante gaieté remplaçant la tristesse D 'un bienfait qu'on envie a doté ma jeunesse E t fait grandir mon rêve à l'abri des douleurs. Honoré HARMAND Le Poète au Poète A G. FRANQUEVILLE 31 août 1906 Epître pour Epître ô combien c'est heureux De recevoir ainsi d'aussi charmants poèmes Et d'entendre chanter dans les heures suprêmes L'Hymne de l'Amitié, par un coeur généreux Epître pour Epître égale amitiés chères Sentiments nés d'hier qu'on a su partager ? Faites qu'un jour béni me fasse rencontrer Le poète et l'ami dont les âmes sont fières Ô vous avez compris le mystère d'amour Caché dans mon poème. Et cette fille d'Eve N'est autre que l'Aimée image d'un beau rêve Quand l'homme sait aimer et chanter tour à tour Je vous dois ce bienfait qui chasse mes tristesses Je saurai désormais vivre le vrai bonheur Et si, sur mon chemin s'arrête la douleur Je fermerai mon coeur à ses sombres caresses Je saurai vivre heureux et fixer un Printemps Aux jours que le Destin prodigue à la jeunesse Et quand l'hiver hélas touchera ma vieillesse C'est un regret bien doux qui comptera mes ans Alors je marirai ma Muse à votre lyre Et si plus tôt que moi vous arrivez au Port Aux échos du Passé en un sublime accord Je chanterai pour vous vos chansons que j'admire. Honoré HARMAND Rassurez-vous A Clotilde 1er septembre 1906 Rassurez-vous Clotilde et reprenez courage Que le doute s'envole où sommeille l'oubli Je vous aime d'amour comme on aime à notre âge Je fermerais mon coeur s'il était perverti Peut-être aviez-vous peur, ainsi de trop comprendre Le feu de mes baisers, parfois un peu brûlants Mon âme est très sensible elle aime à se répandre En mille effusions. Sont-ce là péchés grands ? D'un passé malheureux vous tirez un exemple Notre amour n'est pas né sous le même horizon Les portes de l'Eglise ou bien celles du Temple S'ouvrent aux pèlerins sans demander Raison. Pourquoi songer ainsi aux heures expirées Et de regrets perdus abreuver nos douleurs Puisque du livre noir les pages arrachées Ne nous prodiguent plus la tristesse et les pleurs Je ne franchirai pas l'obstacle infranchissable Pour qui sait respecter les plus faibles vertus Et si de mon passé la loi fut détestable C'est que je rencontrais des amours imprévus Rassurez-vous Clotilde et reprenez courage Que le doute s'envole où sommeille l'oubli Je vous aime d'amour comme on aime à notre âge Je fermerais mon coeur s'il était perverti. Honoré HARMAND La légende du Poète 2 septembre 1906 Il était un poète incrédule et impie Vivant au jour le jour sa misérable vie Un de ces malheureux dont le Destin méchant Guide le caractère aux ivresses du crime Ebranle la Raison d'une faible victime Innocente parfois comme un petit enfant Lui parlait-on de Dieu il riait d'un fou rire Parfois interrogeant ? Que voulez-vous me dire Mais ce dieu qu'est-il donc ? Je ne le connais pas Je ne l'ai sans mentir jamais vu sur mes pas Je me rappelle bien au temps de mon enfance On me parlait souvent de dame Providence D'un dieu plus fort que nous, un habitant du Ciel Qui, au dire du monde était l'Etre Eternel J'ai grandi et depuis, allant à l'aventure Je n'ai plus entendu parler de ce démon Je ne crois qu'aux tableaux de la belle Nature Le reste dans mon coeur n'a su fixer un nom. Une nuit de Décembre une ombre miséreuse Allait et revenait sur le bord du chemin Sans doute était-ce un pauvre en sa harde frileuse Tremblant. Il était jeune on eut dit un gamin Venu là quémander le pain de la misère Pour un frère malade ou bien pour une mère En cette nuit glacée au fond d'un vieux taudis Comptant des jours trop longs les dures exigences Il tenait un cahier en ses doigts engourdis Et ses yeux reflétaient l'image des souffrances Qu'il devait concentrer tout au fond de son coeur Chaque soir il venait, allant jusqu'à l'Eglise Regardant le portail et la muraille grise Etrange aux yeux de tous. Il semblait un rôdeur Venu là pour tenter un mauvais coup à faire Tout en lui respirait le doute et le mystère Noël ! Et dans l'Eglise une sourde clameur S'entendait. Une flamme illuminait le choeur Noël ! C'était la fête et la réjouissance Noël c'était de Dieu la sublime naissance Les fidèles en foule accouraient dans la Nuit Mais ils ne voyaient pas, à leurs côtés, sans bruit Se glisser comme une ombre au sein noir des ténèbres Le fantôme aperçu non sans mainte frayeur Les soirs où du clocher les sons lents et funèbres Exhalaient d'un grand jour le signe précurseur Le poète était là. Pourquoi pour quelle cause Dit un brave ouvrier, resté toujours croyant A sa femme tremblante et jugeant plus prudent De ne pas l'approcher. Il faut que je lui cause Et sache qui il est ? Ajouta le vieux brave Et vers notre poète avançant d'un air grave Il dit ! Pardonnez-moi, mais que faites-vous là Vous semblez regarder les portes de l'Eglise Et dans vos yeux je vois comme une convoitise De vous associer aux foules que voilà Avez-vous peur d'entrer ? Quelle est votre croyance Etes-vous protestant, catholique ou païen Et l'autre de répondre, hélas ma conscience Ne saura vous fixer car je ne crois à rien Vous me semblez jouir des bienfaits de la Vie Peut-être est-ce de Dieu que vous vient ce bonheur Si je croyais ainsi sentir naître en mon coeur Ce calme généreux qui flatte mon envie J'irais à vos côtés et priant avec vous J'entrerais à l'Eglise et dirais « Notre Père » Comme je le faisais jadis avec ma mère Et devant le lieu saint fléchissant les genoux J'apprendrais à connaître et prier. Le brave homme Interdit tout d'abord, ajouta mon enfant Qu'importe qui tu sois de quel nom on te nomme Tu crois, cela suffit, au coeur pour qu'il soit grand Il entra, hésitant puis reprenant courage Il avança craintif jusqu'au pied de l'Autel Il sentit dans son coeur comme un bienfait du Ciel Changer de son Destin la miséreuse image Quel tableau saisissant le poète en haillons S'agenouilla tout près de l'autel de la Vierge Et de sa poche usée au degré des saisons Il tira quelques sous, pour acheter un cierge L'office commença ; d'un regard étonné Il embrassa la foule et sur sa face blême Un rayon de plaisir et de bonheur suprême Passa furtivement, il était consolé Le Prêtre récitait une longue prière La foule recueillie en silence écoutait Le Prêtre récitait et dans l'Eglise entière Comme une seule voix la foule répondait Une heure s'écoula, et dans la sombre église Le silence reprit sa place au sein des nuits La porte se ferma. Dehors le froide bise Glaçait de son baiser les passants engourdis Seul un homme restait l'âme contemplative Assis sur les degrés de l'escalier tournant Il avait d'un rêveur l'image fugitive Et son corps se perdait dans un grand vêtement Soudain une clarté étrange éblouissante Troubla l'obscurité et l'on vit l'Eternel Dans son char emporter la dépouille tremblante Du poète incrédule aux royaumes du Ciel. Honoré HARMAND La fête de Pierrette 4 septembre 1906 En vain j'ai caché dans l'oubli Le souvenir des heures chères Quand nous embrassions nos chimères Le soir, dans un regard ami J'ai voulu chasser les images De nos amours irraisonnés Mais nos deux noms étaient gravés Sur le livre aux sublimes pages Depuis j'ai senti la douleur Grandir au sein de l'Espérance Les frissons de la souvenance Si chère aux secrets de mon coeur J'ai voulu cacher ma tristesse A tes jours, lents et malheureux Les pleurs ont coulé de mes yeux En une bien douce caresse Aussi j'écoutais trop la peur Qui me conseillait de te taire Mon amour dont le grand mystère Se cache à l'ombre du malheur C'est ta fête aujourd'hui, je sais Qu'il est des choses qu'on oublie Si notre âme fut affaiblie A cette date je pensais Sur cette terre tout s'efface Le coeur parfois cesse d'aimer Le souvenir seul peut braver La tempête au souffle de glace Mes yeux ne seront plus méchants Quand tu passeras ma Pierrette Notre amour fut une fleurette Souriante à chaque Printemps Sur cette terre tout s'efface Le coeur parfois cesse d'aimer Le souvenir seul peut braver La tempête au souffle de glace Honoré HARMAND Le Pardon de Pierrette 4 septembre 1906 Pierrot je t'écris sans retard Cette lettre où ton doux regard Saura lire combien je t'aime Oublions les jours malheureux Reviens, pour rêver sous les cieux Près de moi, dans la nuit suprême Je sais reconnaître mes torts Que veux-tu même les plus forts Devant les désirs qui les tentent Succombent, ainsi notre coeur Sait se griser du faux bonheur Et des ivresses qui nous mentent Pour un autre amant fortuné Pauvre Pierrot je t'ai quitté Pourrais expliquer ma folie Hélas il est des miséreux Qui savent bien se rendre heureux Parce qu'ils ignorent l'Envie Pierrot dis-moi pardonnes-tu Peut-être le temps disparu Touchera-t-il ton indulgence Ou bien la porte du logis Est-elle close aux ennemis Marqués de ton indifférence Peut-être aussi d'autres amours Ont-ils remplacé les beaux jours Où nous vivions notre doux rêve Et dans la chambre où tu m'aimais Le Passé n'aura-t-il jamais Le souvenir de l'heure brève Je sais reconnaître mes torts Que veux-tu même les plus forts Devant les désirs qui les tentent Succombent. Ainsi notre coeur Aime à goûter le faux bonheur Des folles ivresses qui mentent Honoré HARMAND Les épis du glaneur 4 septembre 1906 12 juillet 1906 Heureux celui qui va franchement dans la vie Sans déchirer son coeur aux ronces du chemin Heureux celui qui sait l'instant d'après l'orgie Au jour cher d'Aujourd'hui fixer un lendemain Quand à l'éphéméride arrachant un feuillet Je dis encor un jour qui va grossir la source D'un passé qui vieillit à chaque heure qui naît Il semble que le Temps accélère sa course Effrayé je regarde et je vois l'Avenir Intrépide coursier qu'on ne peut retenir Emporter de mes jours la dernière ressource L'Espérance fragile et l'heureux souvenir 13 juillet 1906 Ne relisez jamais une lettre où l'auteur Cherche à vous préparer à la dure souffrance Que vous éprouverez en voyant l'Espérance Soutenir en tremblant vos faiblesses de coeur N'écoutez pas le Rêve il cache dans sa flamme L'amertume tragique et le grand désespoir Et par lui vous verrez les reflets de l'âme Briller d'un feu cruel dans l'ombre d'un beau soir Gravissez lentement la montagne du Temps Sa pente est dangereuse et sa route glissante Et quand vous regardez l'horizon qui vous tente Fermez à vos désirs ses tableaux ravissants Dans sa réalité la Vie est effrayante Quand on la voit de près ses défauts sont plus grands 16 juillet 1906 Ah ! Combien le plaisir est chose fugitive Aujourd'hui comme un rêve il passe dans nos coeurs Sa caresse est cruelle et sa gaieté chétive Le lendemain sommeille au sein de nos douleurs Que de désirs semés dans le champ de la Vie Et combien la moisson est faible en notre coeur L'homme est né pour pleurer le bonheur qu'il envie Les larmes aux regrets donnent plus de valeur Mortels éloignez-vous de l'amante perfide Qui s'offre à votre amour, vous parle de plaisir Chaque heure où vous riez est chaque heure où le vide Se creuse plus profond l'instant du souvenir Gardez vous de prier les lois de l'Existence Laissez passer les jours et glanez les épis Que le bonheur prodigue à toute jouissance Mais n'abusez jamais de sa réjouissance Un souffle de gaieté soulève mille ennuis Ô ne cherchez jamais l'oubli de vos douleurs Dans le concert joyeux des plaisirs d'un beau songe Le rêve sous son aile a caché le mensonge Et souvent sa gaieté nous fait verser des pleurs 17 juillet 1906 N'ouvrez pas votre coeur à l'amour imprévu L'Instant où votre lèvre a goûté sa caresse Est l'instant où le rêve après avoir vécu Expire lentement au sein de la tristesse 19 juillet 1906 Ne regardez jamais d'un oeil indifférent Le malheureux qui passe entraînant sa misère Sous la loque, parfois une existence chère Sait cacher sa valeur au mauvais jugement Ne regardez jamais dans l'ombre de la nuit Si vous ne voulez pas entrevoir la Misère Signer votre malheur d'une plume adultère Et l'Amour protéger le plaisir qui s'enfuit. N'allez pas d'une joie égayer votre vie L'heure passe rapide et le rêve expirant Aux yeux désabusés se fait plus effrayant Surtout quand il est né des germes de l'Envie. 20 juillet 1906 Mortels ne croyez pas dans le jour de demain Trouver un terme heureux à vos grandes souffrances Mille obstacles dressés partout sur le chemin Vous feront trébucher vous et vos espérances ; N'enviez pas le sort de ces gens fortunés Qui par leur élégance abaissent la misère Leur corps comme le notre est un grain de poussière A la mort comme nous Dieu les a condamnés Voulez-vous vivre heureux dans les jours à venir Reprenez le chemin des ivresses passées Que ne voyez-vous pas ? L'ombre d'un souvenir Des rêves expirants des amours délaissées Le livre de la Vie aux pages déchirées Alors vous raisonnez. Qu'il est fou de souffrir Et des jours bienheureux sacrifier le plaisir Puisqu'il en est ainsi des heures expirées. 21 juillet 1906 Que sommes-nous mortels, un souffle une chimère Que le zéphyr emporte au caprice du sort Aujourd'hui nous vivons et demain ô mystère Notre lèvre glacée embrassera la Mort. Ne calculez jamais les plaisirs de la Vie Jouissez du bonheur qu'ils savent prodiguer Leur chimère est fragile et l'extase ravie Sait assombrir les jours qu'il nous faut regretter 23 juillet 1906 Le lendemain d'un jour où les yeux ont pleuré La vie est transformée et semble moins cruelle Le lendemain d'un jour où nous avons aimé La Mort est à nos yeux l'amante la plus belle Ne vous arrêtez pas aux potins de la rue Que votre coeur vous guide au sein noir de la Nuit Quand la foule chicane elle fait trop de bruit Si bien que la Raison ne peut être entendue Laissez dire aux gens dont la vertu peureuse S'offusque au moindre mot au calembour grivois Souvent de leur morale un peu trop scrupuleuse Leur esprit sait tirer de bien fragiles lois. 2 septembre 1906 Ainsi tout passe et meurt tout ici-bas s'efface Chaque jour a sa nuit chaque heure son trépas L'amour fuit et bientôt aisément se remplace Mais dans les coeurs bien nés l'amitié ne meurt pas. Aimer est un mal dont on aime souffrir. Honoré HARMAND Les souvenirs 6 septembre 1906 Le souvenir au fond des coeurs Compte-t-il les jours de la Vie Ou bien est-ce par nos douleurs Que notre jeunesse est vieillie Souvent c'est au déclin des jours Au sein même de la vieillesse Qu'on se souvient de ses amours Et des plaisirs de sa jeunesse On va poursuivre les antans Dans leur plus chère souvenance On va respirer le printemps Aux lieux de la plus tendre enfance Et parfois nos yeux étonnés Regardant la vieille chaumière Voient que si les temps sont changés Elle est toujours comme naguère Quel plaisir à nos coeurs jaloux S'éveille à cette douce image Car si tout a vieilli en nous La maison sait cacher son age Nous entrons cherchant du passé Un reste des heures heureuses Mais le temps a tout effacé Tout, jusqu'aux heures malheureuses Alors, nous égarons nos pas Vers la porte du cimetière C'est là que dorment leurs trépas Ceux que cherche notre chimère C'est là que dort le souvenir Dans le calme des nuits funèbres C'est là que le coeur sent vieillir Les jours heureux dans les ténèbres Sur leur front déjà les tourments Comme sur les faces ridées Gravent leurs signes pénétrants Sans souci des jeunes années Le souvenir au fond des coeurs Abrège les jours de la vie Et souvent c'est par nos douleurs Que notre jeunesse est vieillie Honoré HARMAND Du Passé au Présent 21 septembre 1906 Que de fois attentif à tous les bruits divers Venant à mon oreille ai-je écrit dans mes vers Le bonheur de la Vie ainsi que ses chagrins Et soulevé son poids si pesant à mes mains Que de fois n'ai-je pas admiré ses chimères Vécu comme un mortel ses plaisirs éphémères Et senti dans mon coeur dormir d'un lourd sommeil Le Passé fugitif et tragique ou vermeil Suivant que mes pensers s'attachant à son règne Me rappelaient l'amour et les lois qu'il enseigne Ou les parfums perdus et les jours gaspillés Dont à peine en mon coeur les débris sont restés Me prenant à témoin des secrets de la Terre J'ai voulu m'expliquer cet étrange mystère Qui plane dans le Ciel, dans l'ombre de nos coeurs Je me suis demandé pourquoi de nos douleurs Nous faisons-nous un jeu aux jours de la jeunesse Pourquoi n'avons-nous pas un frisson de tristesse Au tendre souvenir de nos plus jeunes ans Quand d'un pas incertain nous allons souriants Dans le sentier en pente ou sur la longue route Sans déchirer notre âme aux épines du Doute Sans nous préoccuper des décrets du Destin Pour le jour d'aujourd'hui cherchant un lendemain Ressemblant à celui qui passe et qui s'efface N'ayant qu'un seul souci c'est de combler la place Que le jour disparu laisse après son trépas Pourquoi, pour quelle cause ? Hélas, je ne sais pas ! Peut-être cet instinct doublé d'intelligence Est-il chez nous un don de dame Providence Et vivons-nous les jours sans nous les expliquer Je le crois à cet âge on ne sait pas pleurer On ne sait pas comprendre et l'amour et les larmes A chaque heure qui sonne un ange plein de charmes Veille sur notre coeur et n'y permet d'entrer Que les jeux innocents qui peuvent amuser Notre heureuse jeunesse ou plutôt notre enfance Age mûr de la vie âge d'insouciance Où les sombres regrets n'ont aucune moisson Pour nourrir la vengeance au sein de la Raison Age où s'ignorent encor les secrets de la vie Et pour qui la vieillesse eut toujours de l'envie. Comme d'un livre cher par ses nombreux secrets Je vais de mon Passé tourner tous les feuillets Reprenant chaque jour, l'arrêtant dans sa course Je vais du fleuve mort remontant vers sa source Suivre le cours caché dans l'abîme du Temps Revivre mes hivers et mes heureux printemps Et comme un voyageur chargé d'une besace Je vais suivre la route et chercher à sa place Ce que j'y ai laissé dans les jours disparus Peut-être mes efforts seront-ils superflus Qu'importe j'entreprends l'intéressant voyage Du berceau de la Vie aux plaisirs d'un autre âge Que vois-je aux premiers jours, incertain sur mes pas Je vis des jours heureux que je ne comprends pas Je ne saurais pleurer quand mon rêve s'envole Et déjà quoique jeune on m'entraîne à l'école Je commence d'apprendre et du matin au soir Un maître patient éclaire mon savoir J'apprends des mots bien doux mais chargés de mystère Et dans mon coeur encor aucun flambeau n'éclaire Cette route où bientôt s'en va notre Raison Mais qu'importe ici-bas chaque chose a son nom Tout respire, s'attache tout à son heure brève Le coeur a son amour et l'amour a son rêve. Je grandis lentement à cet âge où nos coeurs Consacrent à l'étude une part des douceurs Dont nous distribuons le précieux salaire L'emploi de notre temps ! L'étude et la prière Notre moindre penser s'envole vers les cieux Notre mère nous dit que les êtres heureux Ont puisé dans la foi leur plus douce espérance Et que Dieu dans nos coeurs sema la récompense Des plus petits bienfaits des plus simples efforts La prière soutient et sait nous rendre forts Quand avec nos douleurs nous engageons la lutte Dieu de nos désespoirs sait protéger la chute D'une ivresse sublime il sait troubler nos coeurs Et nous faire braver les lâches insulteurs Je crois, je suis heureux et déjà le mystère Semble être moins obscur et ma raison plus claire Croît avoir deviné les comment les pourquoi Qui se posent toujours comme une grande loi Dans les jours de la Vie. On m'apprend à connaître Ce que vaut le bonheur et déjà je pénètre Dans un rayon plus grand j'ai hâte de savoir Ce que l'homme doit être et quel est son devoir Je lis de nos aïeux les combats les victoires Mais puis-je distinguer dans l'ombre des histoires Le germe de la Vie et ses tristes secrets Je ne devine pas les remords les regrets Dont l'homme s'est servi pour les frais de la guerre Le paysan reçoit les bienfaits de la terre Pour acquitter sa dette il offre ses efforts L'amour exige un coeur et la guerre des morts. Je ne saurais lutter je n'ai pas besoin d'armes Je jouis du bonheur sans qu'il veuille des larmes Pour prix de ses bienfaits. Je n'ai pas de rançon A fournir au Trésor et ma faible raison Ne lui prodigue pas mainte reconnaissance Le bonheur généreux fait crédit à l'enfance Le Temps passe rapide et des bancs de l'école Comme un petit oiseau de sa cage s'envole Je pars j'ai besoin d'air je veux la liberté Que conçoit de l'enfant la naissante fierté Je vais, je n'ai plus peur au bord du précipice Je me hasarde seul sans regarder le vice Ouvrant devant mes yeux son livre plein d'espoir Je l'ignore et pour cause il est rose il est noir A mes yeux étonnés et je crois le connaître Il me semble facile à vaincre et à soumettre Je ne saurais faiblir devant ses passions A quinze ans on ressemble aux jolis papillons Qui viennent sur la terre en folles envolées Glaner les belles fleurs par l'abeille oubliées Nous récoltons les grains par nos pères semés Mais souvent leurs conseils ne sont pas écoutés Et dans le champ parfois la faux coupe l'ivraie Qui se mêle au bon grain. La vertu nous effraye Sans crainte de rougir nous devons accuser Ces défauts que les fats se tâchent de cacher J'entre enfin dans le monde et je commence à vivre Des mystères obscurs mon âme se délivre Je travaille à fixer mon esprit vers un point Que je tâche d'atteindre et ne quitterai point Qu'au jour où de mes ans la charge un peu trop lourde Et mon oreille aux bruits vieille deviendra sourde Quand sur ma tête hélas en devinant mes ans La jeunesse verra croître des cheveux blancs Je m'avance et faiblis suivant que la tempête Gronde plus effrayante au dessus de ma tête Je commence de voir que lutter est mon sort Et que le désespoir sait braver le plus fort Déjà je laisse errer au gré de son envie Mon rêve qui se heurte aux récifs de la Vie Quoi ! A cet âge heureux je suis loin du tombeau L'amour à mes désirs ouvre un monde nouveau Je me prends à aimer je suis fou de mon rêve Le Temps se fait rapide et l'heure se fait brève J'aime je suis aimé que voudrais-je de plus Rien mon coeur est comblé des désirs superflus Ne sauraient attrister ma sublime chimère Je ne veux rien de plus des plaisirs de la Terre Je ne demande rien à l'oracle des jours Rien au bonheur d'autrui rien aux folles amours Qui nous ouvrent la route où notre esprit s'égare Où le désir toujours avec grâce se pare Pour plaire aux passions dont nous sommes gourmands Dont le germe est fécond dans nos cerveaux d'enfants Mais le mal abreuvé de souffrances perfides S »éveille dans nos coeurs quand les coupes sont vides. Je vis je suis heureux, crois-je l'être qu'importe Jusqu'au jour où l'amour va sur la flamme morte Je ter le dernier souffle et le dernier soupir Et de cette heure hélas je commence à souffrir Je pleure et dans mes yeux les douleurs passagères Jettent un voile sombre et déjà mes chimères S'envolent pour pleurer dans un premier regret Le passé disparu. Confiant mon secret Au page d'un beau livre où j'écris mes souffrances Je me console un peu. Il sait mes confidences Le soir je me confesse et ce que j'ai pensé Je l'écris sur mon livre et je suis consolé La Mort de sa chanson plaintive et monotone Berce d'un rêve affreux mon âme qui frissonne Quand mon rêve d'amour touche encor au passé Je me plais à revoir où nous avons passé Elle et moi dans les jours heureux inoubliables Ici le souvenir des baisers ineffables Me grise quand je pense à tant de voluptés Là c'est d'un soir mauvais les regards attristés Je vais aimant encor le Passé que je glane Dans le chemin désert mais le silence plane Où s'entendait le bruit de nos baisers confus Quand nos coeurs palpitants, troublés et confondus Exhalaient leur amour. Je m'arrête, j'écoute Hélas je n'entends rien qu'un passant sur la route Troublant d'un pas pesant le calme de la nuit Tout est mort ; le Passé dans le jour qui s'enfuit N'a pas laissé du rêve un souffle, une fumée Cependant du foyer la flamme consumée Dans la cendre parfois laisse un peu de chaleur Et quand l'amour s'éteint dans la cendre du coeur Le Passé bien souvent laisse un peu de chimère Mais là tout est bien mort et Celle qui m'est chère Ne vient plus écouter dans la brise du soir La chanson que le vent apportait du manoir Quand nous venions rêver sous les sombres murailles Du château ancestral où jadis les batailles Faisaient se rencontrer de cruels ennemis Sous l'aile de la Mort les guerriers endormis Ne s'éveilleront plus aux clartés d'un beau jour. Le Temps passe et mon coeur écoute un autre amour Je goûte avidement à son nouveau breuvage Au livre de mes jours je fixe une autre page Et je vais parcourant la route du Passé Je crois le souvenir dans mon coeur effacé Mais soudain de l'amour la flamme consumée Dans un regret plus cher, ardente est ranimée Je chasse loin de moi, loin de mes jours heureux Le spectre que j'ai vu effrayant à mes yeux Mais cruel il s'attache ; il m'affronte, il persiste Il me suit je le chasse, un instant je résiste Mais bientôt je succombe et mon coeur affaibli Fait place au souvenir et se tait à l'oubli Je sens que des douleurs la marche plus rapide Va me frapper bientôt. Le torrent intrépide Entraîne dans ses flancs une part des cités Et ses flots bouillonnants ne sont pas arrêtés Par le chêne géant et la plus lourde masse Semble trembler de peur devant le flot qui passe Ne ressemblons-nous pas à ce chêne géant Entraîné par les flots déchaînés du torrent Et quand de nos douleurs la vague échevelée Heurte brutalement notre oeuvre inachevée Nous tremblons du Passé, nous craignons l'Avenir Nous n'osons avancer, la crainte de souffrir Nous arrête en chemin. Et bientôt le courage Ranime nos efforts. Quand a passé l'orage Le soleil bienfaisant sur le toit des maisons Jette encor la clarté de ses brûlants rayons Puis une fois de plus je tombe et me relève Vers un but idéal je vais guidant mon rêve Je jouis des plaisirs que me donne Aujourd'hui L'amour qui me donnait la veille de l'ennui Et plein d'insouciance au caprice des heures Je livre ma gaieté ma tristesse et mes leurres Mais nous avons besoin de guider notre esquif Le pilote à la barre est toujours attentif A la clarté, le jour, et la nuit, aux étoiles Il sait de quel côté doivent s'enfler les voiles Nous sommes ce pilote et les voiles du Temps Ne savent pas s'enfler seules au gré des vents Je m'aperçois bientôt que mon esprit s'égare Et que de mon bonheur la tristesse s'empare Je ne veux plus souffrir et je veux espérer Que l'Homme sur la Terre est venu pour aimer J'aime et j'arrive heureux au terme du voyage Je laisse à l'Avenir le soin d'une autre page Que ma plume écrira dans l'ombre du Trépas Quand la charge des ans trop pesante à mes bras Me forcera d'aller avec plus de prudence Sur la route des jours embrasser l'Espérance Et contempler de loin l'image du Plaisir Dont le coeur de vieillards garde le Souvenir. Honoré HARMAND Le temps 21 septembre 1906 Craignez heureux mortels la trop douce caresse Du fantôme qui passe et qu'on nomme le Temps Le front qui l'a touché, la lèvre qui le presse D'une étreinte cruelle embrassent leurs tourments On l'aime, autour de lui, on se heurte on s'empresse Les baisers qu'il prodigue ont des frissons troublants Que restera-t-il donc d'une si grande ivresse Quand la Mort comptera le nombre de nos ans Rien qu'un regret perdu dans la nuit des chimères Rien que le bruit confus de nos vaines colères Qu'étouffera bientôt le baiser du Trépas Ainsi tout passe et meurt dans nos affreux dédales Qui cachent à nos yeux leurs ombres sépulcrales Le Temps heurte à la Mort, mais ne l'embrasse pas. C'est ainsi que nous demandons au Temps d'accélérer sa course, de nous conduire à ce que nous nous sommes proposés d'atteindre mais les jours passent rapides bons ou mauvais mais tous entraînés par un même courant vers un même but. Les années s'écoulent longues dans leur masse mais combien courtes quand on les compte divisées par les mois. Nous arrivons insensiblement au terme du voyage n'ayant jamais eu la plénitude achevée, complète du plus petit de nos désirs. Le Temps tue l'homme et la Mort reçoit son agonie. Honoré HARMAND Premier Regret 23 septembre 1906 (Pour l'ami Auguste, dédié à Marguerite) Voici bientôt l'hiver déjà les feuilles tombent La Nature n'a plus son aspect souriant Les oiseaux se sont tus dans les bois qui succombent Sous la froideur des nuits et la force du vent C'était à cette époque au déclin de l'automne Que notre coeur disait jurons de nous aimer Ses yeux étaient rêveurs et sa lèvre mignonne Combien était brûlante en s'offrant au baiser Ah nous vivions heureux oui ! Beaucoup trop peut-être ? Chaque jour apportait une part de bonheur Aujourd'hui le regret me force à reconnaître Qu'abondance de joie est source de douleur Elle était jeune et douce. Elle était si jolie Que mon coeur certains jours en devenait jaloux Je me pris à douter ah l'étrange folie Et je vis le bonheur s'enfuir bien loin de nous L'hiver avait passé les feuilles renaissantes D'un manteau de verdure enveloppaient les bois Le printemps souriait et les tiges tremblantes Pendaient sur le chemin en superbe pavois Tout reprenait sa place au sein de la Nature L'herbe poussait vivace et dans le renouveau La forêt reprenait sa sublime parure Et pour une saison revêtait son manteau C'est dans le mouvement de la sève féconde Que de nos coeurs hélas le bonheur s'enfuyait C'est dans les jours heureux qu'une douleur profonde Sous l'image des pleurs dans nos yeux grandissait Bien touchante fût l'heure où parlant de rupture De nos yeux s'échappaient des pleurs mal contenus Nous n'osions nous le dire et c'est dans un murmure Que les mots de la fin se sont tous confondus Nous nous sommes quittés mais les frissons du rêve Chantaient encor l'amour à l'instant des adieux Et si de notre hymen la caresse fût brève Combien le souvenir en est-il précieux Chaque jour je la vois et sa lèvre morose Semble en m'apercevant demander un baiser Elle passe, je vais et sur une autre chose Attirant mes regards je tâche d'oublier C'est ainsi chaque fois et la même souffrance Dans l'âme l'un de l'autre à trouver son motif Si le temps a passé point il n'est de distance Qui sépare nos coeurs de leur but primitif Voici bientôt l'hiver déjà les feuilles tombent La nature n'a plus son aspect souriant Et dans mon coeur hélas où les rêves succombent Tout meurt, tout, excepté la caresse d'amant Honoré HARMAND A un nouvel ami 24 septembre 1906 À Etienne SOUCHON Enfin depuis le temps où je voulais connaître Ton genre et ton esprit ne sachant que ton nom Intelligent et fin j'ai sû te reconnaître En causant avec toi, aimable et bon garçon. Ne crois pas que l'éloge est insigne du Maître Ne doute pas surtout de ton réel renom En mesurant ma force à la tienne peut-être Sûrement il n'existe une comparaison O que j'étais heureux d'être en ta compagnie Un ami comme toi se compte dans la Vie C'est un rayon d'espoir dans un jour attristé Homme toujours riant, à la blague féconde On se plait à t'entendre et la source profonde Ne tarira jamais au sein de la gaieté. En souvenir de l'agréable soirée passée ensemble à la brasserie Paul . Quel type amusant du voyageur ne nous représentait-il pas. Esprit fin réplique facile qualités que l'on retrouve chez les maîtres du voyage il a le rire large, ample, et franc, d'humeur Honoré HARMAND Enigme 24 septembre 1906 À Clotilde PESTEL Qu'est-ce cette douleur et ce grand désespoir Arrachés de votre âme en paroles moroses Serait-ce que vos yeux habilleraient de noir Les beaux rêves conçus de la couleur des roses. J'ai peine à m'expliquer ces découragements Est-ce un frisson perdu de vos heures passées Emporté dans la nuit au caprice des vents Et passant par hasard sur vos lèvres glacées. Est-ce un doux souvenir dont le feu consumé Se ranime brûlant d'une flamme nouvelle Ou bien serait-ce un nom encor mal effacé Au livre de l'amour. Ah ! L'énigme est cruelle Pourquoi fixer ainsi vos yeux sur le passé Pourquoi vouloir encor embrasser sa chimère Pourquoi vous souvenir que vous avez aimé Oubliez ! Oubliez ! L'Amour est éphémère Chassez cette douleur et ce grand désespoir Que votre âme expliquait en paroles moroses Habituez vos yeux à ne voir pas en noir Les beaux rêves conçus de la couleur des roses J'ai reçu une lettre de Clotilde ô combien triste et désabusée et aussi bien explicite. Le Passé s'est éveillé encore une fois plus cruel plus cher qu'au temps où il n'était que le Présent, vulgaire à la pensée que des jours semblables plus beaux mêmes naîtront le lendemain. J'ai crû comprendre que l'amour d'un autre coeur avait chanté une romance plus douce plus enveloppante que celles dont je fus inspiré et que l'âme de ma Cloto avait senti brûler une flamme plus vive dans son coeur. Enigme me répondras-tu ? Honoré HARMAND La lettre de Pierrot 24 septembre 1906 Air « la lettre du gabier » À l'ami Daniel DEMORIAC Pierrette liras-tu ces mots Qui contiennent de mes sanglots La tristesse la plus sincère Ou bien loin de ton cher amant Vas-tu savoir vivre à présent Seule sur la Terre Reviens, Pierrot t'a pardonné Après t'avoir abandonné J'ai vu la vie en robe noire Et j'ai pleuré plus d'une fois Les jours disparus d'autrefois Toute ma gloire J'ai pleuré de me voir tout seul Et chaque nuit un grand linceul S'étendait noir sur ma mansarde Ah ! Tu manquais à mon bonheur Reviens pour consoler mon coeur Que je te garde J'espère et je suis consolé Cette nuit un rêve doré M'a dit que tu m'aimais encore Et que loin de moi tu pleurais Dis-moi si les rêves sont vrais Si tu m'adores Pierrette je t'écris ces mots Qui contiennent de mes sanglots La tristesse la plus sincère Dis-moi si loin de ton amant Tu vas savoir vivre à présent Seule sur la Terre. Honoré HARMAND La réponse de Pierrette 24 septembre 1906 (Air « la lettre du gabier ») À l'ami Daniel DEMORIAC Pierrot notre amour est bien mort Et je t'abandonne à ton sort D'un riche je suis la maîtresse Il me pare de beaux bijoux Il me comble de plaisirs fous Et de caresses Nous pouvions vivre tous les deux Comme les gens les plus heureux Mais ton coeur écoutait le doute Il est comme un glaive tranchant Il frappe et devient très méchant Quand on l'écoute A présent j'habite un palais J'ai des servantes des valets On m'écoute comme une reine Tâche Pierrot de m'oublier Car je ne puis que te laisser Seul à ta peine N'écoute pas les rêves d'or Crois moi écoute moins encor Le murmure de leur mensonge Tout ce qu'il te fait espérer Ne saurait jamais exister Que dans un songe Pierrot notre amour est bien mort Et je t'abandonne à ton sort D'un riche je suis la maîtresse Je n'aime plus que les bijoux Que me donnent les amants fous De ma caresse. Dédiés à mon ami DEMORIAC pour être chantés dans un prochain concert. Sentimental et d'une diction parfaite il ne pourra qu'ajouter à l'attrait de la poésie son talent si personnel et si aimé des coeurs féminins par sa sensibilité et sa voix si enveloppante par sa douceur et sa nébulité de rêve. Honoré HARMAND L'brassage à St-Pierre Air de « l'assemblée d'Autretôt » A Mr LE BRASSEUR père 25 septembre 1906 Messieurs, dames'tel que vous m'voyez Jeurs viens d'piler chez main biau frère Qu'est un gars établi fermier A deux pas d'la gare d'St-Pierre Ah son bon cid'bouché Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Ah son bon cid'bouché Quand on en boit on est troublé D'abord l'jour que j'sieu arrivé Person'travaillait dans l'village Main biau-frère était au café Et ma grand'soeur faisait l'ménage J'iai proposé d'l'aider Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève J'iai proposé d'l'aider J'sais point pourquoi a m'a r'fusé Alors j'sieu allé du même pas Chez l'caf'tier qui s'trouve juste en face Mais main biau-frère y était pas On m'dit il est su la grand'place Je m'dis j'vas dégoter Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Je m'dis j'vas dégoter J'ai l'gosier sec faut l'arroser Je l'vois assis avec l'adjoint L'mait'd'école et pis monsieur l'maire En moi-même j'me dis ça fait l'joint Y manqu'pu qu'tai m'dit main biau-frère Prends un'chaise assieds toi Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Prends un'chaise assieds toi Qui qu'tu prends j'y repond com'toi Amis arriv'el'moment d'payer Chacun tirait son port'monnaie J'croyais qu'on allait s'disputer Mais la bonn'qu'est une fill'futaie No dit ch'est pas tout cha Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève No dit ch'est pas tout cha Prenez autant d'verr'qu'vous êt'là M'sieu l'mair nous dit l'égalité C'est l'princip'de la République Alors d'vant un'tell'vérité Personn'n'osa soul'ver d'critique Alors chacun paya Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Alors chacun paya Et pis après on s'en alla Mais v'la ti pas qu'après l'diné Main biau-frère m'dit c'est d'main l'brassage Et l'pommag'est point ramassé Y'en a quequ'boissiaux dans l'herbage J'allons les ramasser Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève J'allons les ramasser La Cathrin'va v'ni nous aider La Cathrin'que j'y dis voyons Quiqu'c'est que ste particulière Y m'dit a nous vient des Vallons J'l'employons com'bonn'à tout faire Ah bon sang d'mill cent dieux Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Ah bon sang d'mill cent dieux C'est y que j'ien faisions des yeux L'biau-frère m'dit j'y arrivrons t'y J'y réponds à tout s'que nous sommes Tu peux d'avanc'êt'garanti Qu'ce soir dans l'champ y'aura pus d'pommes Alors j'on commencé Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Alors j'on commencé J'finissions l'soir'était tombé Le lend'main presqu'au point du jour J'tournions déjà la manivelle Et j'y avions mis tant d'amour Qu'à midi l'jus d'su la faisselle Dans la grand'cuv'coulait Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Dans la grand'cuv'coulait Il était doux com'du p'tit lait La Cathrin'l'versait dans les fûts Les gros fûts tout au fond d'la cave Car c'est là qu'e s'trouv'le pur jus Oui l'gros cid'pur qui nous gave La Cathrin'emplissait Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève La Cathrin'emplissait Et moi d'temps en temps j'l'embrassais Mais v'là ti pas qu'à un moment Main biau-frère arriv'en surprise Y m'dit veyons j'avons pas l'temps D'penser à compter des bêtises L'pis c'est qu'on les faisait Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève L'pis c'est qu'on les faisait L'odeur du bon cid'nous chauffait Bref quand l'travail fut terminé Avec nous autour d'la grand'table Msieu l'mair qu'on avait invité Nous dit d'un'façon fort aimable Buvons à la santé Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Buvons à la santé De tous les gars d'la société Ça alla bien pendant l'repas Mais en nous servant la salade Y'en a beaucoup qui n'allaient pas Et tout l'restant qu'était malade Alors l'biau frère a dit Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Alors l'biau frère a dit Faut qu'equ'chose pour nous rétabli Is'lev'et pis va dans l'sellier Et rapport'trois ou quat'bouteilles En disant j'vas vous réveiller Ça va vous cauffer les oreilles Alors on a r'trinqué Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Alors on a r'trinqué Après on pouvait pu s'lever Comm'il était très tard dans l'soir Chacun s'en fut vers sa chaumière Y trouvaient tous qu'y faisait noir Moi j'dis c'est l'effet d'la lumière Et dans l'obscurité Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Et dans l'obscurité Chacun chez soi s'en est allé Tantôt au moment d'prend'le train A mon biau-frère et à Germaine J'ai dit j'eur'viendrai c'est certain Poul'brassag'de l'année prochaine Ah s'que j'on rigolé Le diabl'm'enlève Le diabl'm'enlève Ah s'que j'on rigolé J'en avions l'vent'déboutonné Bref il est temps qui j'rent'chez moi Aussi j'vous tir' ma révérence J'ai la fièvr'et l'coeur en émoi Mais ça n'a pas grand'importance Ah jamais j'oublirai Le diabl'm'enlève Ah jamais j'oublirai L'brassag'et l'bon diné qu'j'ai fait Au cher Monsieur LE BRASSEUR en souvenir du concert improvisé dans les cavernes du Mont Gargan c'est la réplique à l'audition de l'Assemblée d'Autretot dont j'ai goûté les paroles du terrois normand. Mon esprit mon sang ne sont-ils pas débiteurs de cette race réputée dans l'histoire et ma Muse éprouve certains jours les émotions de la vie champêtre. Si j'avais le temps, j'irai vivre au milieu de ma Normandie dont j'écrirais la biographie des moeurs et des coutumes si originales, si plaisantes au coeur du villageois et si pleine d'inspirations sublimes pour l'écrivain ? D'autres que moi des génies ont fait la moisson avant que je ne fusse né. Mais les glaneurs savent trouver encor les épis oubliés perdus dans les creux des sillons, sous les tranches de terres soulevées en un gâteau par le couteau de la charrue. Honoré HARMAND Pauvre petit 26 Septembre 1906. Air « le couteau » de Théodore BOTREL Aux amis DEMORIAC et LE PETIT LEROY. Pauvre petit où t'en vas-tu Ainsi à l'aventure Dans ton habit tout décousu S'engouffre la froidure. Monsieur je m'en vais pour ma mère Implorer le passant Elle est là-bas dans la chaumière Sans feu et sans argent. Pauvre petit racontes-moi Cette terrible histoire Que la misère un jour chez toi Conta dans la nuit noire. Monsieur je ne saurais vous dire Tout ce qui s'est passé Ma mère oublia de l'écrire Et je n'étais pas né. Pauvre petit à ta maison Si ton père travaille Pourquoi à la froide saison Faire le rien qui vaille. Monsieur dans le grand cimetière Nous allons tous les ans Aux Rameaux faire une prière Pour les petits enfants. Pauvre petit dis-moi le pain Dans la bouche est-il tendre Ou ta mère quand tu as faim Te dit-elle d'attendre. Monsieur j'en ai quand j'en demande Cependant hier soir Elle a dit il faut que je vende Jusqu'à mon châle noir. Pauvre petit quand tu auras Atteint tes quinze ans d'âge Pour vivre tu travailleras Sans craindre le courage. Monsieur je suis encor bien jeune Et ma mère vieillit On dit souvent le corps qui jeûne Bien vite s'affaiblit. Pauvre petit tu as raison Le monde t'abandonne Portes bien vite à ta maison L'argent que je te donne. Monsieur merci Dieu vous protège Pour votre charité Et l'enfant partit dans la neige Le coeur plein de gaieté. Quand le pauvre vous tend la main En passant dans la rue Donnez-lui et faites le bien Sans vaine retenue Riches soulagez les misères Des pauvres en haillons Vous n'entendrez plus leurs colères Les gueux vous aimeront. Honoré HARMAND Chanson du soir 29 Septembre 1906 A Jeanne CHAPELLE C'est le soir tout repose et le poète rêve Sur le coteau L'heure sonne au clocher dans le jour qui s'achève Un glas nouveau. La nature s'endort au sein du crépuscule L'amour s'enfuit Loin du monde insensé gênant et ridicule Par son esprit. Une brise légère agite le feuillage Dans la forêt La lune brille aux cieux et frôle le rivage D'un doux reflet. C'est l'heure où de bonheur l'âme tendre se grise L'heure d'aimer C'est l'instant où la coupe encor pleine se brise Dans un baiser. Les couples enlacés comme des ombres passent Heureux amants Jouissez de l'amour ses visions s'effacent Aux jours méchants. C'est le soir on s'enivre et l'heure sonne brève Au vieux clocher Mais notre passion nous fait aimer le rêve Pour le pleurer. Honoré HARMAND Jeanne CHAPELLE Les ombres de la Nuit 30 septembre 1906 Je me plais dans la Nuit à suivre de la foule Les ombres qu'on rencontre et passent près de soi Etrange carnaval cortège qui s'écoule Semant sur son passage et le rire et l'émoi Je vais et qu'aperçois-je au détour de la rue Une femme encor jeune une fleur de trottoir Qui fredonne au passant la chanson bien connue De l'amour qu'on achète aux marchandes du soir Plus loin c'est le frou-frou d'une grande cocotte Qui trouble le silence et me fait retourner Elle est reine du jour mais sa face pâlote Garde des souvenirs qu'elle veut oublier Je m'arrête un instant que vois-je sur la place Où toujours le spectacle est plus intéressant Un homme fortuné un type de rapace Qui sent le parvenu sur des ailes d'argent Il éblouit les yeux, il surprend, il étonne On admire ses doigts chargés de diamants Méfiez-vous dit-on de ce frisson qu'il donne Mais combien ont compris de tous les imprudents Dans le cortège encor d'autres ombres défilent Quel est ce miséreux aux habits décousus C'est le gueux redouté et que les agents filent Parce qu'il est nu-tête et qu'il s'en va pieds nus Près de moi deux amants à la marche rapide Passent comme des fous et d'un rire joyeux Heurtent brutalement à ma douleur stupide Jalouse du Passé où je riais comme eux Quel est donc ce fantôme au regard triste et sombre C'est un vieillard courbé sous la charge des ans Il chancelle en frôlant le pavé, de son ombre Sur sa tête bien lourds pèsent des cheveux blancs Mais pourquoi dans la nuit suivre ainsi de la foule L'ombre que je rencontre et passe près de moi Peut-être dans ce flot qui lentement s'écoule Passerai-je à mon tour sous le rire et l'émoi. Honoré HARMAND A Ninette Sur l'air de « Lilas blanc » A Jeanne CHAPELLE, à l'ami STORZ 2 octobre 1906 Je t'écris petite Ninette Pour que tu saches mon amour Si ma lèvre restait muette Je pensais à toi chaque jour En te voyant toute attristée Et les yeux humides de pleurs Ah combien je t'ai regrettée Et les pleurs Ont calmé souvent mes douleurs Je croyais que dans cette vie Le coeur ne savait pas souffrir Et que les choses qu'on oubli Partaient pour ne plus revenir J'écoutais de ma Destinée Les conseils ô combien trompeurs Je croyais l'image effacée Et les pleurs Séchés au sein de mes douleurs Je t'oubliais et dans mon âme L'Amour eût vite remplacé La caresse qui nous enflamme Et le frisson de volupté Mais du Passé l'heure suprême S'éveille parfois dans nos coeurs On est sensible quand on aime Et les pleurs Sont venus grandir mes douleurs Cet amour qui venait d'éclore Etait fragile et passager Il vécut la timide aurore D'un jour qu'on sait vite oublier Aussi vers toi Ninette chère Je viens retrouver les douceurs Que nous prodigue la chimère Quand les pleurs Sommeillent au sein des douleurs Ninette as-tu des jours moroses Gardé le triste souvenir Ou bien ton coeur aux rêves roses Comme le mien va-t-il s'ouvrir N'entends-tu pas de l'Espérance Les chants doux et consolateurs Aimons-nous dans cette existence Où les pleurs Suivent pas à pas nos douleurs Ouvres grand ton coeur ma Ninette Pour fêter le joyeux retour Du Passé belle mignonnette Ainsi que de mon fol amour Vois combien mon âme est sincère Oublions nos sombres malheurs Vivons heureux sur cette terre Et les pleurs N'éveilleront plus nos douleurs A Jeanne, en souvenir de notre réconciliation qui, j'ose l'espérer, sera pour nous la fin des douleurs que nous avons ressenties l'un et l'autre sans qu'on feigne s'en apercevoir, cachant à nos yeux l'état de nos âmes et au monde l'état de nos coeurs. Honoré HARMAND Bonheur parfait A Jeanne 3 octobre 1906 Rien ne manque à ma vie ainsi qu'à mon bonheur Semblable à la saison où fleurissent les roses Le Printemps de l'Amour s'éveille dans mon coeur Et mon âme sourit à ses métamorphoses J'aime. Je suis aimé. Aveux pleins de douceur Répétez au Passé à mes heures moroses Combien je suis heureux depuis que la Douleur S'est enfuie en pleurant loin de mes rêves roses Je ne suis plus jaloux, je ne sais plus douter Le mal dont je souffrais loin de me torturer Vers d'autres amitiés entraîna sa colère Je ris ah ! Qu'il est doux, après avoir pleuré De voir sous le regard troublant d'une chimère S'éveiller nos désirs dans un berceau doré. Honoré HARMAND L'automne 4 octobre 1906 À Jeanne Voir venir l'automne et son cortège d'or Le vent souffle brutal annonçant les gelées Et des arbres géants les feuilles détachées Comme un grand vol d'oiseaux prennent leur fol essor. La nature est en deuil des douces hyménées Amours d'une saison dont le triste décor Aux rayons de soleil semble sourire encor Comme un frisson troublant sur les lèvres glacées. Tout meurt dans la forêt les vertes frondaisons Ne flattent plus mes yeux de charmants horizons Le ciel s 'est assombri d'un voile de tristesse. Mais qu'importe à mon âme et le souffle des vents Et de l'Automne d'or la sublime caresse Mon coeur s'ouvre à l'Amour et vit son doux Printemps. Qu'importent à mon coeur les tristesses de l'Automne où les beaux jours semblent chercher encor la gaieté expirante au seuil des hivers. Je souris à l'Amour. La Nature est à son hiver et mon coeur commence de vivre son printemps. Honoré HARMAND Feuilles mortes A Jeanne 5 octobre 1906 Feuilles jaunes d'Automne allez au gré des vents Expirez tristement sur l'herbe de la plaine Et la neige bientôt de ses gros flocons blancs Tissera vos linceuls comme un manteau de laine Sachez que les hivers sont nés des doux Printemps Et que près du Bonheur Dieu fit naître la Haine Votre verte parure au souffle des autans Recevra les bienfaits d'une saison prochaine Vous pleurez aujourd'hui les fragiles amours Qu'un Printemps généreux fit naître en des beaux jours Où le soleil brillait sur toute la Nature Mais vous vivrez encor que mes jours disparus Emportés sans retour dans un faible murmure Se plaindront à la Mort sans qu'ils soient entendus. Honoré HARMAND L'Aurore A Jeanne 6 octobre 1906 Le Ciel noir a tracé dans son image obscure Un trait qu'il emprunta aux clartés d'un beau jour Les oiseaux dans les bois d'un timide murmure Gazouillent leurs chansons douces comme l'Amour L'Aurore montre enfin sa pâlotte figure Les ténèbres ont fui vers un autre séjour Et d'un dernier regard embrassant la Nature Elles vont de la Nuit attendre le retour Les coteaux sont couverts de brumes nébuleuses Et sur l'herbe des champs des perles précieuses Brillent à la clarté d'un soleil radieux Aurore de la Vie aux clartés si troublantes Dis-moi souriras-tu quand mes lèvres tremblantes Aimeront du Passé les souvenirs heureux. Honoré HARMAND Ma gaîté A Jeanne 7 octobre 1906 Tu me disais tantôt tu es gai aujourd'hui Cela te semblait drôle, or sais-tu qu'en ce monde Le plaisir des beaux jours sait remplacer l'ennui Et le pécheur braver la vague furibonde Ton coeur et ton amour m'ont offert un appui J'abreuve ma gaieté à leur source profonde Dans le ciel attristé un heureux jour a fui Et je ris à présent de l'orage qui gronde Je suis heureux d'aimer quoi de plus naturel Je crois que dans nos coeurs un amour immortel Brûle des feux sacrés d'une douce espérance Sourions au Bonheur car trop tôt ici bas Il passe fugitif et notre diligence Ne saurait le cacher aux regards du Trépas. Honoré HARMAND L'Angélus de l'Amour A Jeanne 10 octobre 1906 Sonnez encor cloches d'amour Sonnez l'heure de la chimère Où le poète solitaire Rêve au déclin d'un heureux jour Vous chantiez ainsi belles cloches Quand sonna l'heure des adieux Les pleurs coulèrent de nos yeux Le vent emporta nos reproches Je reviens seul vous écouter Et je crois vous entendre dire « Loin de toi la belle soupire Et n'a pas cessé de t'aimer » Hélas dois-je espérer encore Cloches que j'aime répondez Est-ce l'Amour que vous sonnez Chaque soir, aussi chaque aurore N'est-ce pas plutôt les secrets De la nuit et de la lumière Ou bien la mort d'une chimère Au sein même de nos regrets Sonnez-vous la fin de nos rêves Le plaisir des jours disparus Quand nos chagrins sont superflus Et que nos douleurs passent brèves Au sein de la Nature en deuil Sonnerez-vous l'heure des larmes Quand j'irai cacher mes alarmes Dans l'ombre noire du cercueil Hélas dois-je espérer encore Cloches que j'aime répondez Est-ce l'Amour que vous sonnez Chaque soir, aussi chaque aurore C'est ainsi que j'écoutais l'Angélus les soirs où je revenais tout seul dans les chemins où nous étions passés tous les deux, heureux ou tristes suivant que notre coeur écoutait l'espérance ou la tristesse du doute. C'est en souvenir des jours passés que j'ai composé cette poésie, c'est ma muse qui chante le souvenir de ces heures suprêmes de la séparation. Honoré HARMAND Rêve d'Amour A Jeanne CHAPELLE 11 octobre 1906 Je voudrais vivre loin de la foule bruyante Loin de ce monde abject à la face méchante Au sein d'une sombre forêt Et là, tout près de toi dans la belle Nature Je t'aimerais bien fort sublime Créature Sans te cacher aucun secret Pour confondre l'ennui de notre solitude Je te lirais des vers ou bien quelque prélude Des heures chères à l'Amour Et le Temps passerait de sa marche rapide Gardant pour d'autres coeurs sa caresse perfide Comme le regard d'un vautour Sous les yeux du Couchant nos ombres enlacées Glisseraient dans les bois aux nombreuses allées Sous les épaisses frondaisons Ou près du lac obscur aux ondes nonchalantes Assis sur les tapis de mousses verdoyantes Je te chanterais les Saisons Je chanterais l'amour des ivresses passées Et des jours disparus les heures regrettées Ainsi que leur grand souvenir Le vent emporterait nos plus sombres alarmes Et le feu des baisers en tarissant nos larmes Nous enivrerait de plaisir Et quand notre Trépas de ses chansons funèbres Troublerait notre rêve en jetant les ténèbres Sur les images du Passé Nous partirions contents. Malgré la fin suprême De nos illusions nous souririons quand même Où d'autres auraient tant pleuré. Honoré HARMAND Vieilles maisons 14 octobre 1906 Vieilles maisons des temps passés Ornement de nos vieilles rues J'aime vos pignons inclinés Et vos couvertures moussues J'admire vos toits chancelants Votre robe en poussière grise Vos fenêtres à tous les vents Comme les créneaux d'une église Cependant on veut démolir Vos murs aux teintes assombries Sans respect pour le souvenir Qu'on doit aux chaumières vieillies Mais, que ne rappelez-vous pas Aux générations présentes Combien vîtes-vous des combats Eclater aux heures sanglantes Quand la France porta le deuil De ses tragiques hyménées Plus d'un mort toucha votre seuil A l'instant des échauffourées Puis tout rentra dans le repos Vos portes restèrent ouvertes On les franchît à tout propos Les gens avaient tables offertes Aux jours heureux de beaux atours On parait vos blanches murailles Complices des tendres amours Vous abritiez les fiançailles Puis vint l'heure, où, pour le Trépas Vos vieux habitants vous quittèrent Et sur leurs seuils en contrebas Vos lourdes portes se fermèrent On cessa de vous admirer Et les foules indifférentes Passèrent, sans point s'arrêter Devant vos solides charpentes On construisit à vos côtés Des maisons, hautes, gigantesques Sur elles vos murs appuyés Se dessinèrent, pittoresques Vous êtes charmantes vraiment Malgré vos façades ridées Et votre vieil accoutrement Aux couleurs ternes et passées Si vos murs sont disgracieux Au mauvais goût de la jeunesse Vous plairez toujours à mes yeux Rien n'est plus beau que la vieillesse J'aime vos pignons inclinés Ornement de nos vieilles rues J'aime vos toitures moussues Vieilles maisons des temps passés. Honoré HARMAND Chair ardente 15 octobre 1906 Aux poètes grivois André GOHE et E. SOUCHON Il est minuit, tout dort, dans la Nature entière Et le vent souffle à peine agitant la bruyère Mêlée au gazon du jardin Nelly de son peignoir échancrant l'ouverture Veut que la brise chaude, au baiser de luxure Effleure sa peau de catin. Elle a besoin d'amour, elle a soif de caresses Elle voudrait ce soir épuiser les ivresses Qu'à peine à retenir son coeur. Ses seins voudraient sentir une main paresseuse Les toucher, les presser ; qu'une lèvre fiévreuse D'un suçon marque leur blancheur. Elle est seule et son corps, d'extases frémissantes Voudrait en se pâmant, sentir des chairs brûlantes Se mêler à ses propres chairs Elle respire à peine, elle attend, elle écoute ! Un silence de mort enveloppe la route Elle s'étend sur les arbres verts Mais la fièvre grandit dans son âme en délire L'Amour parle à son corps, les accents de sa lyre L'excitent dans ses voluptés Ses doigts ont dégrafé sa robe en mousseline La brise maintenant de sa lèvre câline Frôle ses membres excités. Sur l'herbe du jardin mollement étendue Nelly s'offre à la Nuit sans voile, toute nue Elle dit à la Nuit de l'aimer Comme un fauve rampant au sortir de son antre Elle effleure la mousse et l'herbe, sous son ventre S'échauffe et semble frissonner. Elle enfonce son doigt entre les lèvres roses De son vagin humide, et variant les poses Elle s'efforce de jouir C'est en vain qu'elle touche à ses lèvres sensibles Dont s'élargit l'entrée, et de gestes terribles Elle se plaît à se meurtrir. Mais soudain son esprit d'un doux rayon s'éclaire L'Amour sur ses désirs a fixé la lumière Ses yeux ont de tendres reflets Et vers un coin obscur propre à sa jouissance En connaissant tous les secrets Un faune en marbre blanc par ses des lèvres pâmées D'un feu qu'il ne sent pas voit ses lèvres frôlées Nelly l'aime comme un amant Sur son sein maintenant avide elle s'efforce De marquer un suçon puis après sur le torse Elle grave un baiser brûlant Puis se serrant plus fort dans une étreinte folle Elle enlace le faune et troublante se colle Sur l'ornement du piédestal Les deux corps un instant ont semblé se confondre Mais son amant de marbre aurait-il pu répondre Aux fougues de son rut brutal ? Les voiles de la nuit peu à peu s'éclaircissent Et dans le ciel pâli les ombres s'élargissent Mais Nelly toute à ses amours Ne sent pas la toucher le baiser de l'Aurore Elle a joui pourtant et veut jouir encore Elle voudrait jouir toujours. Honoré HARMAND Papillons Roses 30 cctobre 1906 A Jeanne CHAPELLE Je sens que de mon coeur les tristesses enfuies Ne troublent plus ma vie et ses illusions Et d'un sommeil profond mes douleurs endormies Taisent de mon ennui les sombres oraisons. Ton sourire a suffi pour fermer ma blessure Et ta lèvre effleurant ma lèvre d'un baiser A consumé le feu du mal qui nous torture Quand nous ne savons pas ce que c'est que d'aimer. Je ris et dans mes yeux il n'est plus une larme Trahissant le chagrin qu'on se plaît à cacher Et dans mon espérance il n'est plus une alarme Qui dise au lendemain que je devrai pleurer. Je n'ose plus douter de ces métamorphoses Depuis l'heure bénie où mes yeux ont pu voir S'envoler vers le Ciel de beaux papillons roses Comme un rire d'enfant dans le calme du soir. Honoré HARMAND Brumes d'automne 31 octobre 1906 Déjà sur les coteaux les brumes de l'Automne Etendent chaque soir leurs voiles ténébreux Et les arbres jaunis ont l'aspect monotone De nos plaisirs passés dans les jours malheureux. Le Ciel est confondu aux couleurs de la Terre Un nuage léger arrête nos regards Et le bois assombri semble plus solitaire Quand il a revêtu la robe des brouillards. Les yeux cherchent en vain les lueurs grandioses Des crépuscules d'or dans les cieux embrasés Son image s'efface et les brumes moroses Jalouses du Soleil nous cachent ses clartés. Il semble que la Mort de son baiser de glace A touché la Nature et ses riants atours Ainsi dans notre coeur tout change et tout s'efface Sous le baiser trompeur des farouches amours. Il est un âge aussi au déclin de la Vie Où de nos souvenirs les voiles nébuleux Nous cachent les beautés d'une extase ravie Où le regret en deuil sait attrister nos yeux. Nous pleurons le Passé et des larmes amères Expliquent nos chagrins et nos grands désespoirs Nous pleurons et nos coeurs se fermant aux chimères Veulent aimer encor dans le calme des soirs. L'Amour sur nos désirs tel les brumes d'Automne Etend comme un linceul ses voiles ténébreux Et tremblante d'émoi notre lèvre fredonne Les refrains qu'on chantait dans les jours bienheureux. Honoré HARMAND Crève la Faim 2 novembre 1906 Récit réaliste Seul depuis que la gueuse enviant sa compagne La livra pour toujours aux gardiens de ce bagne Que des hommes savants ont appelé le Sort Et que les affligés ont bien nommé la Mort Henri ne comptait plus les jours de l'Existence Il allait incertain sans aucune espérance Qui l'arrête en chemin pour lui parler d'amour Mon bonheur disait-il s'est enfui sans retour Pourquoi donc suis-je né ? Pour aimer une épouse Pour que la Vie un jour en devienne jalouse Pourquoi je ne sais pas. Je l'aimais cependant Parfois il m'arrivait d'être un peu trop méchant Mais elle savait bien combler chaque lacune Elle souffrait le mal sans m'en garder rancune Aussi quoique ouvrier je me sentais un coeur Je voulais travailler pour qu'un peu de bonheur Vienne dans la maison prodiguer ses largesses Et je n'enviais pas ces trop grandes richesses Qui semblent par l'éclat de l'or vous éblouir Et ne sont plus bientôt qu'un faible souvenir. Enfin ! Pourquoi pleurer mon épouse chérie Elle dort pour toujours et le poids de la Vie Ne pèse plus très lourd sur son corps maintenant On doit être si bien dans le lit du Néant. Et c'est ainsi toujours qu'il calmait sa souffrance Il était malheureux et comme cette engeance De purotins crasseux qu'on regarde en deux fois Il blâmait la fortune et ses injustes lois Son coeur s'endurcissait dans l'ivresse des bouges Et ses yeux assombris voyaient les tableaux rouges Du peuple qu'on opprime et qui las de courber Sous le joug des douleurs prêt à se révolter Voit dans le choc brutal d'une guerre civile Souvent sans réfléchir la victoire facile. Gagnait-il quelques sous ? C'est dans les cabarets Qu'il courait aussitôt étouffer ses regrets Il aimait le bruit sourd des tasses que l'on choque Où le poison dépose et son frisson qui toque Et le mal grandissant quand le vase brisé Se voit par le buveur un instant méprisé. Sa vie, étrange, obscure une épave qu'entraîne Le flot impétueux quand l'orage déchaîne La tempête cruelle et le souffle des vents Quand le tonnerre éclate au sein des éléments Vivant au jour le jour mendiant sur la route Il ressemblait à ceux qu'on craint et qu'on redoute Inspirant le défi et semant la terreur Du vagabond brutal ou du gueux trimardeur Cependant jusqu'alors rien dans sa conscience Ne pouvait le juger ni blâmer l'existence Qu'il menait à son gré. Au découragement S'attache quelquefois le mauvais jugement L'habit cache à nos yeux les crimes misérables Les pauvres en haillons sont aussi respectables Que les gens parvenus à des rangs élevés Par quel chemin souvent les voit-on arrivés Celui de la bassesse et des manoeuvres lâches Le nom de ces gens là s'écrit avec les taches Que leur iniquité laissa parfois tomber Sur la route suivie et sombre à regarder Dans la nuit des remords quand la voix du grand juge Interroge nos coeurs fouille dans le refuge Où se cachent le crime et l'inégalité Et fait parler leurs lèvres pour la vérité. Dans son monde un surnom en gage d'infortune Lui fut donné un jour phrase bien opportune En le voyant aller chiffonnant le matin Ses confrères disaient bonjour crève la faim Il riait du bon mot sans que le moindre trouble Se lise dans ses yeux. Quand la douleur est double Le coeur est insensible aux attaques railleuses Les mendigots ensemble ont des faces rieuses Tant leur sort quelquefois se ressemble vraiment Comme l'étrangeté de leur accoutrement Et répondant à ceux qui d'une voix cassée Disaient bonjour de loin à sa défroque usée Il partait l'oeil moqueur et le front incliné Vers le sol où son rêve un beau soir emporté Dormait paisiblement dans l'âme de la Terre On eut dit certains jours qu'il voyait sa chimère Apparaître à ses yeux péniblement baissés Vers le regard muet des multiples pavés Parfois riant tout seul s'arrêtant sur la route Il restait incertain comme si quelque doute Venait le torturer. Un frisson de la Mort Ou bien un souvenir réclamant un effort De son âme en péril. Puis reprenant des rues Se mêlant à nouveau au bruit sourd des cohues Il allait sans songer aux heures des repas Le besoin de manger chez lui ne parlait pas Avait-il faim bientôt aux grilles des casernes On le voyait courir tenant dans ses mains ternes Une boîte en fer blanc porcelaine des gueux Mobilier ambulant utile aux ventres creux Et l'estomac chargé de l'affreuse pâtée Quand sa faim de ragoût se sentait rebutée Il partait à nouveau pour faire ses moissons De métaux sans valeur de vieux os de chiffons La pouche bien garnie il franchissait la porte Du chiffonnier en gros qui prend ce qu'on apporte Pour moitié de valeur quand ce n'est pas le tiers Mais de tempérament les gueux ne sont pas fiers A leur soif de plaisirs il faut bien peu de chose Une ivresse de plus ils voient la vie en rose. On était en décembre et les quartiers déserts Semblaient être vêtus du manteau des hivers Les passants attardés se pressaient dans la rue Le clame succédait au bruit de la cohue On était en décembre et la froideur des nuits Pénétrait en sifflant sous le seuil des taudis L'hiver était brutal ses caresses frileuses Prodiguaient sans compter leurs ivresses menteuses Aux pauvres mendigots déclassés purotins Du cirque de la vie habitant les gradins Sans feu pour sommeiller presque sans pain pour vivre N'ayant qu'un seul remède aux attaques du givre L'Ivresse au feu troublant doux et consolateur Qu'on trouve au fond du verre, agréable et trompeur Crève la faim buvait avec ses camarades Etalé dans un coin il comptait ses bravades Mensonges inventés par son cerveau grisé Car de chercher querelle il n'eut jamais osé Il était plus nerveux plus dur qu'à l'habitude Et semblait excité contre la servitude Qui pesait sur son coeur plus lourde à certains jours Il vantait son Passé causant de ses amours De son deuil, de sa femme et de sa faim suprême Oui disait-il voyez on est fou quand on aime Je vivais très heureux malgré ma pauvreté Quand Mimi rentrait tard quelquefois emporté Je l'accusais, brutal, ma colère jalouse Des noms d'une maîtresse osait traiter l'épouse Mais elle était si douce et si grande de coeur Que bientôt mon amour retrouvait sa douceur Un soir subitement ma Mimi tomba morte Mais pourquoi rappeler ce qui peu vous importe Buvons pour oublier nos chagrins superflus Et ne réveillons pas les beaux jours disparus Buvons pour soutenir nos trop grandes faiblesses Que le feu des boissons remplace ses caresses Le Destin me l'a pris il me faut la venger L'Ivresse à cet instant saura m'encourager Vous riez ô méchants de la douleur des autres Je vis mes jours mauvais et vous vivrez les vôtres Je rirai à mon tour quand d'un pas chancelant Vous irez dans la rue implorer le passant Ce soir je veux goûter aux plaisirs aux richesses Je veux que la Fortune apporte ses largesses Dans ma mansarde obscure où je rentre tout seul Effaçant à mes yeux l'image du linceul Enveloppant mon rêve aux ombres éternelles Je veux que le Bonheur par mes mains criminelles Soit gagné comme on gagne une miche de pain En laissant des sueurs pour le prix du turbin. Après avoir ainsi causé de sa souffrance Il partit délaissant la nombreuse assistance Au fond du bouge obscur où le vice caché Semble au feu de l'ivresse un instant ranimé Titubant il allait expliquant sa colère Aux ombres de la rue et sa grande misère Se faisait plus pesante et lourde à supporter Le froid glissait piquant sur son veston léger Quel malheur d'être pauvre au temps de la froidure Disait-il à lui même ah! La vie est trop dure J'ai trouvé le moyen de bien vivre à présent Je fus toujours trop bon mais je deviens méchant Quand je pense aux heureux qui vont dans leur voiture Le corps enveloppé d'une épaisse fourrure Tandis que ma défroque ouverte à tous les vents Laisse le froid passé sur mes membres tremblants Quoi du crime vraiment la besogne est facile Si j'essayais ce soir aux portes de la ville Personne ne viendra sans doute m'empêcher De vaincre ce bonheur qu'il me faut arracher J'ai mon couteau pointu et sa lame tranchante Du combat je suis sûr sortira triomphante L'effort de chaque soir suffit au lendemain Et le crime pardonne aux gueux crève la faim. Il pérorait ainsi quand près de lui dans l'ombre Une femme passa son regard était sombre Et semblait absorbé par quelque désespoir Elle était élégante et dans son manteau noir Sa taille ressortait d'une façon charmante Un instant interdit par la belle passante Henri se ressaisit et dans son coeur troublé Le souvenir grandit l'image du Passé L'image de l'épouse adorable comme elle Pauvrement mise hélas mais quand même aussi belle Que cette femme obscure empruntant à la Nuit Son regard attristé et son ombre qui fuit Il se sentit faillir dans sa grande vengeance La voix du crime lâche avec moins d'assurance Répétait à son coeur ses funestes conseils Je suis gueux se dit-il et l'oeuvre des soleils Ne saurait me nourrir de fades théories Ecrites par leurs mains tremblantes et rougies Du sang d'hommes comme eux et qu'ils ont vu mourir Pour calmer cette fièvre ardente du plaisir Qu'il nous faut acheter comme choses utiles Et qu'exigent parfois mille désirs fébriles Qui s'acharnent, cruels envers nos passions Sur nos cerveaux repus de désillusions. Cette femme qui passe est celle que je pleure Elle ressemble bien au spectre qui m'effleure Chaque soir au sortir des sombres cabarets Où ma douleur se grise ainsi que mes regrets C'est Mimi qui revient dans cette nuit profonde M'expliquer les secrets cachés dans l'autre monde C'est elle j'en suis sûr ainsi j'aurais frappé De mon glaive tranchant le coeur que j'ai pleuré Il partit en suivant la femme en robe sombre Et ses yeux bleus fixés aux taches de son ombre Voyaient de plus en plus l'image du Passé Et chaque souvenir dans la Réalité Semblait vivre à présent les douces hyménées Et les frissons troublants des heures expirées Mais bientôt dans la nuit l'ombre avait disparu Henri, seul à présent d'un pas irrésolu Frappait le sol glacé et la lourde cadence De sa marche expliquait sa nouvelle souffrance Allégé le fardeau redevenait pesant Et son coeur endurci par un chagrin plus grand Insultait le Destin des lâches comédies Qu'il déroule à nos yeux en belles féeries Mystère inexpliqué où l'homme confondu Ignore encor le mal après l'avoir vécu Il allait l'oeil méchant la face ravagée Il avait le regard de la bête domptée Qui succombe assoupie après de vains efforts Et semble dans un râle enfanter les remords Qui suivent l'assassin jusqu'au fond de l'abîme Où l'heure expiatoire accuse encor le crime. Pourquoi se disait-il rire ainsi et pleurer Est ce là le bonheur qu'il nous faut envier Dans le jour d'aujourd'hui et les fatales armes D'un Destin courroucé insensible à nos larmes Doivent-elles frapper et se rougir de sang La brute sur la Terre ainsi que l'innocent Sont-ils jugés ensemble et sans autre justice Qu'un préjugé farouche à l'instant du supplice Ah ! S'il en est ainsi des Lois de notre sort Si l'esquif entraîné chaque jour loin du port Ne donne plus d'espoir au marin qui le guide Que lui reste-t-il donc ? Rien que l'ombre d'un vide Profondeur effrayante où s'égarent nos yeux Qui cherchent dans la nuit un rayon lumineux La clarté d'un soleil la voix d'une chimère Et ne trouvent hélas que la Mort sur la Terre Comme prix des efforts qu'offre l'Humanité Pour soutenir nos coeurs dans la Fatalité. Honoré HARMAND Tristesses d'automne 4 novembre 1906 C'est en vain que je cherche au sein du vieux manoir Tous les décors troublants qu'elle voulait revoir A la belle saison prochaine Si tout a conservé son profond souvenir Rien ne me dit hélas qu'elle doit revenir Rêver le soir sous le vieux chêne Je vais seul à présent sur le bord des ruisseaux J'entends le vent gémir dans le coeur des roseaux Où les brises mélodieuses Au Printemps murmuraient de sublimes chansons Unissant leurs accords à ceux des gais pinsons Dans les forêts silencieuses. Je m'assieds sur le banc où jadis tous les deux Nous venions nous asseoir comme deux amoureux A l'heure de la rêverie J'interroge le Ciel, les arbres effeuillés Je demande à l'Amour nos anciennes gaietés Le doux sourire de ma Mie. Des portes du château, las, je franchis le seuil Chaque chose à présent semble porter le deuil De nos ivresses disparues La Mort s'étend partout dans les appartements Et l'ombre laisse fuir les pales figurants De mes tristesses éperdues. Je vais dans le jardin où poussent quelques fleurs Je les cueille et je sens le parfum des douleurs Griser mes plaintives chimères Elle venait ainsi dans les jours bienheureux Cueillir la rose rouge et les grands lys neigeux Aux tiges pures et légères. Mais l'Automne a chanté ses sombres oraisons Et sa lèvre a touché les vertes frondaisons De ses caresses meurtrières C'est ainsi que sa lèvre au baiser de la Mort Se fermait insensible et d'un dernier effort Heurtait ses foudres adultères. En vain je cherche encor au sein du vieux manoir Tous les décors troublants qu'elle devait revoir A la belle saison prochaine Si tout a conservé son profond souvenir Rien ne me dit hélas qu'elle doit revenir Rêver le soir sous le vieux chêne. Honoré HARMAND Le chrysanthème Version 1937 O ! Fleur pâle ornement des images d'automne Sans parfum qui nous grise, aussi sans volupté Quand je te vois t'ouvrir la gaieté m'abandonne Mais tu souris toujours sous le ciel attristé. Tu fleuris quand tout meurt dans la nature entière. Quand d'un feuillage d'or les arbres sont parés Tu fleuris quand la rose à son heure dernière Effeuille tristement ses pétales fanés. Dans les jardins en deuil ta frileuse parure Jette une note gaie et sur les tapis d'or Par l'automne étendus, tes rameaux de verdure Font croire que l'hiver est loin de nous encor. Sur les tombeaux glacés tu remplaces les roses Quand chaque fleur se fane au baiser des brouillards Tu figures partout et dans les chambres roses Et dans les grands salons et sur les corbillards. N'es-tu pas, par ta grâce et par ta modestie La fleur qui plaît aux yeux parmi toutes les fleurs. Puisqu'au sein de la mort tu fais briller la vie Comme un rayon d'espoir brille au sein des douleurs. Honoré HARMAND Choses passées 12 novembre 1906 À Madeleine TOUTAIN Vous n'aviez que quinze ans et moi j'en avais seize Quand notre coeur parla pour la première fois Notre âme jeune encor et peut-être un peu niaise Ecouta de l'Amour les bien trompeuses lois Combien de rêves d'or aussi que de chimères N'avons nous pas conçus en un jour seulement Quand la nuit nonchalante et ses ombres légères D'un silence bien doux dotaient l'Isolement Mais quelques jours après notre ivresse passée Effaçait dans nos coeurs les douces voluptés Aux sublimes aveux notre lèvre fermée Ne chantait plus pour nous que des réalités Cruel, je vous quittais et sans autre artifice Que des regrets jetés au hasard de l'Amour Je vous laissais ainsi comme on laisse un caprice Après l'avoir aimé et pleuré tour à tour Vous m'avez pardonné, vous étiez généreuse Et vous disiez peut-être ici bas le Bonheur Ne vit-il qu'un instant sur notre âme rêveuse En nous faisant goûter la joie et le bonheur Le temps passa rapide emportant nos misères Et votre coeur blessé s'efforça de guérir L'oubli sût apaiser vos souffrances légères Et l'Amour entre nous plaça le Souvenir. J'ai eu l'occasion de revoir cette jeune fille dimanche dernier et de lui causer de nos premières amours. C'est un passé vieux de sept ans qui nous remémore ces frissons d'un âge heureux où les mystères de la vie se montrent impénétrables où des brumes nous cachent des misères qui nous attendent au-delà de quinze ans quand le coeur s'est endurci après avoir épuisé toutes ses espérances toutes ses illusions. Nous avons causé de nos premières entrevues toutes naturelles, toutes enveloppées de naïveté et d'inconscience des premiers serments échangés avec toute la sincérité de notre coeur et nous avons ri des motifs de nos premières douleurs, légères comme une ombre qui passe sur le front des enfants, des larmes vite séchées par l'oubli. Aussi est-ce avec plaisir que je lui adresse cette poésie qui ne m'a été par d'autre sentiment qu'un souvenir attaché aux émotions nouvelles d'un autre amour. Nous ne nous aimons plus et nous nous sentons vieillir quand le passé nous rappelle ce premier pas vers le bonheur éphémère sur une route où les obstacles multipliés nous font trébucher à chaque instant. Nous nous relevons et avec une force un courage plus grands nous reprenons notre marche interrompue, parfois regardant en arrière les illusions expirant sur le bord du chemin parcouru sans qu'un regret sincère, bien souvent, n'adoucisse leur brutale agonie. Honoré HARMAND Frissons d'automne 14 novembre 1906 À Jeanne CHAPELLE Sous les arbres jaunis et qu'effeuille l'Automne Allons viens effacer l'image monotone De nos souvenirs malheureux Dans un baiser brûlant oublions nos alarmes Et que dans tes yeux bleus le caprice des larmes Ne fasse plus briller ses feux. Vois la Nature en deuil et son triste cortège Bientôt le froid Hiver en son manteau de neige Drapé viendra l'ensevelir Et le chemin pierreux traversant la prairie Sera fermé pour nous et notre rêverie Ici nous ne pourrons venir. Arrêtons nos regards sur la frondaison morte Le Printemps la fit naître et l'Aquilon l'emporte Légère au penchant des vallons Regardons sans frémir cette image frappante Une heure sonnera où jetés sur la pente Vers le trépas nous glisserons. Mais il est encor loin ce temps plein de tristesse Ne gravons pas le deuil au front de la jeunesse L'Automne est comme les douleurs L'Hiver aura passé la brûlante lumière D'un soleil radieux ranimera la Terre Le Printemps grisera nos coeurs. Vois le soleil pâli nous offre ses caresses Et semble de son feu ranimer nos ivresses Dont le Malheur était jaloux Eloignons du Passé les trop laides images Le soleil de l'Amour a chassé ses nuages Et sa clarté brille pour nous. Vivons notre beau rêve au sein de l'Espérance Et de l'Hiver qui meurt au Printemps qui commence Suivons les douze enfantements Le bonheur ici bas est chose fugitive Mais comme un frêle esquif qu'in attache à la rive Attachons le à nos serments. A Jeanne CHAPELLE en souvenir de l'heureuse matinée passée ensemble. Le soleil tendre d'automne semblait ranimé la sève de la Nature, les arbres dépouillés de leur parure verte l'été, rousse à cette saison tardive semblaient déjà prêts pour la fécondité ; les yeux devinaient les bourgeons printaniers, tout semblait revivre sous l'ardeur modérée d'un soleil d'automne qui ressemble bien à celui du printemps par la douceur de ses rayons, par la clarté un peu trouble de sa lumière. Assis sur le penchant du coteau qui dégringole son étendue au pied du cimetière, jusqu'au pied de la vallée nous admirons les beautés de la Nature incertaine à cette époque de l'année qui semble l'équilibre entre le froid et la chaleur. Au loin noyée dans une brume légère, la ville au mille toits en ardoises découvrait son sein aux caresses du soleil son sein gris empruntant sa couleur aux toits enchevêtrés les uns dans les autres comme de grandes ardoises rapetissées par l'éloignement. Nos yeux lassés par cet horizon monotone et bien vague s'arrêtait vers l'autre côté, vers les vallées de Carville, Darnétal, Saint Aubin, vers cet autre enchevêtrement de toits naturels de coteaux embusqués les uns derrière les autres comme des rangées de soldats sur un champ de bataille. La, un spectacle plus grandiose nous faisait croire à ces féeries de théâtre où les reines sortent des flancs de la montagne ou surgissent comme un oiseau d'un taillis verdoyant. Les robes rousses des forets dominant les coteaux jetaient une note étrange sur la robe verte des vallons noyés eux aussi dans une brume bleutée qui me tentait pour un effet en peinture. Puis, c'est à nos pieds sur les linceuls recouvrant la prairie que notre âme arrêta sa contemplation sur ces manteaux de feuilles mortes que l'Aquilon soulève et transporte vers d'autres lieux. Emus par ce tableau de la nature expirante, nous nous abandonnâmes à cette tendre rêverie qui grise les coeurs aimants. Un peu triste ce décor de feuilles mortes encadrant notre jeunesse qui semblait tremblée devant l'image de la Mort. Ce chemin pris autrefois aux jours heureux, combien l'ai-je parcouru seul avec sous les bras les méditations de LAMARTINE ; C'est ainsi que je venais griser ma douleur aux douleurs de Lamartine et ce que je souffrais sans trouver l'expression juste qui caractérisait le génie du maître, je le vivais par ses lectures qui ont jeté l'éveil dans mon âme contemplative mais qui avait besoin d'être développée dans cette atmosphère nébuleuse où s'égarent nos pensées et nos rêves. Aussi, est-ce avec une réelle joie que je suis revenu sur la route du Passé avec celle pour qui je pleurais dans le calme profond de la Nature silencieuse loin du monde et si près de mon idéal. Honoré HARMAND Les heures d'Amour A Jeanne CHAPELLE 16 novembre 1906 L'Amour a des heures La Joie et les Leurres Le Rire et l'Ennui Le temps se partage Leur fol héritage Au sein de la nuit Dans le jour qui fuit L'Amour a des heures C'est le premier jour On parle d'amour On fait des promesses Les coeurs sont joyeux Les amants heureux Goûtent mille ivresses On est fou d'amour C'est le premier jour Vite le temps passe Bientôt on se lasse On cesse d'aimer Puis on veut encore Voir l'espoir éclore Dans un doux baiser De tout on se lasse Dans le jour qui passe On se fait souffrir C'est un souvenir Qui donne l'alarme On dit au Passé Par toi j'ai pleuré On a trouvé l'arme C'est un souvenir Qui nous fait souffrir Le bonheur s'achève Et s'en va le rêve Au sein de l'oubli Puis sonne une autre heure Qui semble meilleure Au coeur affaibli Quand s'en va le rêve Le bonheur s'achève Par un coeur aimé On est consolé Ah la douce chose Et le rêve noir Aux yeux de l'espoir Est un rêve rose On est consolé Par un coeur aimé Pour toute la vie L'épouse chérie Chante le bonheur Les douleurs passées Sont vie effacées Et dans notre coeur L'épouse chérie Est toute la vie Deux heures après mon inspiration de quand je mourrai, ma muse éclairait à nouveau mon coeur dans le chemin de l'espérance et sa lèvre qui me chantait les litanies de la Mort murmurait après les heures d'Amour. Le Vautour repu s'était enfui sur ses montagnes sanglantes et le petit oiseau se balançait à présent sur les cordes sensibles de mon coeur. La Mort pour moi a toujours agi ainsi elle m'a touché de près pour que je ne l'oublie pas. Puisque tu consacres bien des heures à ma rivale, semble-t-elle me dire, pourquoi tes yeux ne s'arrêteraient- ils pas un instant sur mon image effrayante, aux lignes incertaines, aux traits qui font peur à l'homme quand il n'apprend pas à m'aimer. Avant que de me craindre, apprenez à m'aimer, et votre coeur meurtri par mille indifférences trouvera dans mon sein le remède aux souffrances et vos yeux fatigués cesseront de pleurer. Qui n'a pas entendu cette voix de la Mort mais qui n'a pas aussi écouté cette chanson de la Vie ? Mortels, il faut m'aimer comme on aime un plaisir car ma source est féconde et ses ondes limpides coulent quand vous pleurez devant les coupes vides. Il me faut un instant, à moi, pour les remplir. C'est cette dernière chanson que ma lèvre murmure à cet instant où j'écris ces deux couplets de la Mort et de la Vie. Qui n'a pas entendu ces deux voix dans son coeur comme disait Lamartine. Honoré HARMAND La ptit'Rouennaise Sur l'air de « la Parisienne », à l'ami DELLY 17 novembre 1906 Marchant viv'ment l'air innocent Sur les lèvr's un sourir'charmant On voit partout la p'tit'Rouennaise Rieus'comm'une'Marseillaise Son minois Est grivois Et semble vous inviter A l'amour Pour un jour On serait tenté d'l'aimer Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Voilà voilà la p'tit'Rouennaise S'en allant l'matin Commencer l'turbin Duchess'et Marquis' n'en déplaise Rien n'égale la p'tit'Rouennaise Voyez la donc en plein'saison A six heur'partir d'sa maison Avant d'commencer la couture D'un peu d'air ell'va fair'sa cure Un ami Bien gentil Souvent veut l'accompagner Et son coeur De bonheur Déjà semble palpiter Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Voilà voilà la p'tit'Rouennaise J'm'taill'pied mutin P'tit air libertin Duchess'et Marquis' n'en déplaise Rien n'égale la p'tit'Rouennaise Mais quand l'été s'est en allé Et que le soleil s'est couché De sa prom'nad'la seul'ressource C'est d'aller au concert d'la Bourse Ell'y prend D'l'agrément Rencontr'des jeun'gens coquets Amoureux Généreux Qui lui offr'des p'tits bouquets Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Voilà voilà la p'tit'Rouennaise Un baiser volé L'ami s'croit aimé Duchess'et Marquis' n'en déplaise Rien n'égale la p'tit'Rouennaise Elle a l'pépin d'la St Romain Ell'y dépens'presque son gain Au carrousel c'est la bataille Elle y va s'fair pincer la taille Ses cheveux Dans les yeux Le soir on la voit r'sortir Ell'a chaud Et c'est d'l'eau Qu'ell'boira pour s'rafraîchir Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Voilà voilà la p'tit'Rouennaise Ell'n'a plus un sou Ça fait rien j'm'en fous Duchess'et Marquis' n'en déplaise Rien n'égale la p'tit'Rouennaise Mais à présent c'est différent Il vient de se construir'à Rouen Un grand théâtre une merveille Comm'on en vit jamais d'pareille L'Alambra Offrira Une foul'de curiosités Par l'public Dernier chic Le théâtr's'ra fréquenté Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Et l'on verra la p'tit'Rouennaise Comm'aux folies l'soir Envahir l'prom'noir L'Alambra ne vous en déplaise Sera l'foyer d'la p'tit Rouennaise Honoré HARMAND Lamartine 20 novembre 1906 Ange échappé des cieux, si tu vivais encore Chaque jour à ta porte hardi je frapperais Et dans les livres saints avec toi je lirais Les hymnes du chrétien à son Dieu qu'il implore Le soir à tes cotés heureux je marcherais Ou bien je te suivrais au lever de l'Aurore Quand la Nuit en fuyant voit mille fleurs éclore Comme un plaisir vécu enfante les regrets Je serais ton élève et tu serais mon maître Tu saurais m'expliquer le vague mot « Peut-être » Qui trouble mon espoir dans les jours malheureux Mais tu vis dans mon coeur j'ai lu tes poésies Tu chantes et ta muse en des routes fleuries Guide ton souvenir et te montre à mes yeux. Fait à la bibliothèque, l'instant d'après la lecture des préfaces des « Méditations ». Si les morts entendent, que ce sonnet soit un gage d'amitié pour celui qui a donné l'éveil à mes dispositions vers la poésie. Honoré HARMAND L'Incompris 21 novembre 1906 Pourquoi sourire encor aux plaisirs de la vie Puisque l'amour pour moi est une fleur flétrie Qu'on jette loin sur le chemin Ô bonheur ! Ô jeunesse écoutez ma prière Je ne vous demandais qu'un rêve, une chimère Comme le pauvre un peu de pain. Je vous demandais peu, une âme qui s'épanche Comme un saule pleureur demande pour sa branche La sève qui la nourrira Un soir de rêverie eut suffi à mon âme Un instant de gaieté aux côtés d'une femme Et mon désir s'arrêtait là. Comme un oiseau surpris au sein des bois s'envole J'ai vu partir l'amour et son chant qui console S'est tû dans le calme du soir Il ne m'est rien resté que des pleurs en partage Rien que le souvenir amer de mon jeune age Pour soutenir mon désespoir C'est en vain que je compte et les jours et les heures Comme le laboureur sur des moissons meilleures Compte au déclin des ans mauvais Illusion farouche où se plait notre songe Erreur qu'on reconnaît même avant le mensonge De vous je ne doutai jamais J'arrive lentement au terme du voyage Et nul ne sait encor le secret mariage Qui m'unit à l'être adoré J'ai vécu dans l'oubli et je mourrai sans doute Comme le voyageur espérant sur la route J'aime et je ne suis pas aimé. Honoré HARMAND Pourquoi pleurer A Madeleine TOUTAIN 21 novembre 1906 Pourquoi pleurer sur cette terre Où l'homme d'un règne éphémère Se voit l'élu pour un instant Quand le rire, aux larmes, s'enchaîne Et notre bonheur à la peine Comme une mère à son enfant Vains regrets assombris de larmes Vains frissons et vaines alarmes Ô ne troublez pas nos douleurs Trop tôt de plus grandes tristesses Viendront prodiguer leurs caresses A l'amertume de nos coeurs Souvenirs que le temps efface Fol oubli au baiser de glace O n'éveillez pas le Passé Dans son berceau l'enfant sommeille Près de sa mère qui le veille Soyez cet enfant bien-aimé Dormez au sein de l'espérance Que ne s'éveille la souffrance Dans les jours souvent regrettés L'amour est l'image d'un rêve On le pleure quand il s'achève Dans l'ombre des réalités Pourquoi pleurer sur cette terre Où l'homme d'un règne éphémère Se voit l'élu pour un instant Quand le rire, aux larmes, s'enchaîne Et notre bonheur à la peine Comme une mère à son enfant Honoré HARMAND Le Poète et la Vie 23 novembre 1906 (Manque le début) -------------- Comme un enfant sensible aux tristesses futiles Pourquoi m'accuses-tu ? Quand de te contenter A chaque instant du jour tu me vois m'efforcer Suivant de tes désirs l'onde capricieuse. Adoucissant la crainte en ton âme anxieuse Rétablissant le calme au sein de tes tourments Et chassant loin de toi les découragements. Le Poète Pourquoi à tes remords attacher le mensonge Tout ce que tu promets est l'oeuvre d'un beau songe Que le sommeil apporte aux ombres de la nuit Et dont le règne meurt quand un beau soleil luit Dans l'azur attendri des voûtes éternelles Où le rêve s'efface où les choses réelles Trompent notre espérance ainsi que nos projets Où le plaisir vécu enfante les regrets Voilà la vérité de tes vaines promesses Notre coeur est grisé il croit à tes caresses Il est fou de ta lèvre aussi de tes baisers Il est avide aimant les plaisirs passagers Mais tu caches ton âme à notre âme ingénue Et n'oses à nos yeux te montrer toute nue. La Vie Poète écoute bien cette sage leçon Tu me crois hypocrite et doutes de mon nom Mais aux jours attristés quand tu vas l'âme en peine Errant dans la forêt voulant briser la chaîne Qui te retient captif et souffrant d'un long mal Pourquoi me mépriser mon joug est moins brutal Que celui de la Mort sanglante et meurtrière Qui se rit de tes pleurs et sourde à ta prière Entraîne dans sa nuit tout ce que tu aimais. L'image que tes yeux ne reverront jamais A cet instant suprême est plus belle et plus grande Tu crois pour l'acheter qu'il suffit d'une offrande Mais l'or est chose neutre aux guichets de la Mort Et son prix est trop bas pour acheter le Sort. Le Poète Tu éloignes de nous le bienfait qu'on approche Pourquoi à chaque chose attacher un reproche Aujourd'hui le plaisir enfante pour demain Un regret qui lui-même entraîna un chagrin Et c'est ainsi toujours que glissant sur la pente L'homme se voit tromper par tout ce qui le tente Ici pour le griser tu fis naître l'amour Là tu plaças l'oubli plus loin d'un autre atout Le bonheur travesti ne semble pas le même Malheur à celui là qu'une fièvre suprême Poussera vers la source où les fous altérés Apaiseront leur soif au feu des voluptés Ils sentiront leur coeur par ton ivresse infâme Consumer l'espérance et sa dernière flamme. La Vie Pourquoi douter ainsi de ce que je promets A ceux pour qui la foi n'eut jamais de secrets Ne te souviens-tu pas des heures expirées Où tu croyais encor aux chansons bien aimées Qu'on accorde le soir aux battements d'un coeur Quand du soleil couchant la dernière lueur S'efface à l'horizon en brumes violettes En ce temps là Poète écrivant des bluettes Où tu parlais de moi en mots élogieux Réponds, comme aujourd'hui doutais-tu d'être heureux ? Désaltère ta soif à mon onde limpide Et quand tu pleureras devant ta coupe vide Je te consolerai d'un suprême plaisir Il me faut un instant à moi pour la remplir Le Poète Dis-tu vrai et nos coeurs de trop brusques alarmes S'affectent-ils ainsi ? Est-il vrai que tes charmes Ne tarissent jamais et que las de gémir L'homme de sa blessure est certain de guérir J'espère et de la foi écoutant la parole Je chasse loin de moi le doute qui m'affole Je ris à ton image à ton front radieux Je reflète mon rêve à l'azur de tes yeux Je t'aime et pour toujours j'adore ta chimère Pardonnes si j'osais d'une injuste colère Abhorrer ton principe et mépriser tes lois Pardonnes si j'osais élever trop la voix C'est que ton livre avait des pages arrachées Comme les souvenirs au déclin des années. Honoré HARMAND Le vieux clocher 23 novembre 1906? Ô vieux clocher de mon village Qui reflètes ta grande image Aux ondes claires du ruisseau J'aime ta vieille robe grise Qui semble envelopper l'église Erigée au flanc du coteau. Tu es le gage d'espérance Qui soutient chaque défaillance Du voyageur sur le chemin Quand il entend sa lourde cloche Il se dit le village est proche Où je vais m'arrêter un brin. Esclave, au caprice des heures Tu fais surgir de leurs demeures La Vie et la Mort tour à tour Ta cloche sonne les baptêmes Et les épousailles suprêmes Le Trépas l'agite à son tour. Au temps jadis dans les chaumières Tu portas les voix meurtrières Au sein des révolutions Le sang éclaboussant les portes D'en haut tu suivais des cohortes Les sombres évolutions. Tu étais jeune et sous ta robe La clochette que tu dérobes Avait des sons harmonieux Il paraît que pour les victimes Elle eut des accents si sublimes Qu'elle fit pleurer tous les yeux Mais au lever de cette aurore Dans le néant j'étais encore Le germe d'un grand avenir J'ai lu de la tragique histoire Les pages rose, rouge et noire Et je saurai m'en souvenir. Mais de ce temps l'heure lointaine S'est tue aux échos de la plaine Et toi clocher tu as vieilli Déjà un vert tapis de mousse S'étend sur ton toit ; la fleur pousse Sur ta robe, dans chaque pli De toi la vieillesse est jalouse Et le vieillard à son épouse Dit, son front usé est bien vert Tandis que le notre se ride Et que notre face livide Voit devant elle le désert Les oiseaux ont choisi leur gîte Sous ton toit qui s'use et s'effrite Sous la caresse des embruns Au printemps la frêle hirondelle Revient te battre de son aile Et se mêler aux importuns Et quand ta clochette résonne L'oiseau timide t'abandonne Et reste sourd à tes échos Puis il revient chercher sa place Quand le son lentement s'efface Et ne trouble plus son repos Ô vieux clocher de mon village Qui reflètes sa grande image Aux ondes claires du ruisseau Puisses tu voir ma tête grise Se tourner vers la sombre église Plus tard au seuil de mon tombeau. Honoré HARMAND Epître familière 24 novembre 1906 À Madeleine DESCHAMPS Jeune fille écoutez ! La raison qui m'éclaire Me conseille aujourd'hui de vous parler en frère J'ai sû que dans votre âme un fluide vermeil Fait sourire le rêve aux rayons du soleil Comme les feux de mai font éclore les roses Dans votre âme sensible en mille fleurs écloses Les pensers chaque jour vous font croire à ces dieux Qui cachent le réel à tous les jeunes yeux Vous empruntez sans doute à la belle Algérie Ce magique secret de voir en féerie L'existence qu'on mène et qui change suivant Le pays qu'on habite et la marche du temps Il doit être bien doux de vivre en ces contrées Où libres, les enfants, dans les plaines noyées De soleil et de paix, tentent leurs premiers pas Où la mère en rêvant veille sur leurs ébats Et, les suivant des yeux dans le jour qui s'achève Contemple au crépuscule et l'amour et son rêve Comme on doit vivre heureux quand un soleil brûlant Embrasse chaque jour et le fait ressemblant L'âme doit être émue en entendant la rive Gémir sous le baiser d'une brise craintive Qui agite en soufflant les rameaux déployés Des acacias nains ou des géants palmiers Quand l'enfant dans son coeur sent grandir le mystère Et qu'il sait distinguer les beautés de la terre Quand son regard s'élève et contemple les cieux Reflétant leur azur au miroir des flots bleus Aussi emportiez-vous dans votre âme exilée D'un pays souriant l'image ensoleillée Semblable à ces oiseaux qui vers d'autres climats S'envolent à l'hiver sur les voiles, les mâts Des navires glissant sur le miroir de l'onde. Vous cherchiez les douceurs d'une terre féconde Votre âme se grisait et dans l'illusion Trouvait l'amer secret d'une confusion. Mais le sombre décor de la plaine normande N'effaçait à vos yeux les beautés de la lande Quand les maures allaient sur leurs chevaux dressés Franchissant le désert excitant leurs coursiers D'un geste inaperçu d'une simple parole Partant comme une flèche en une course folle Vous les suiviez des yeux au lointain horizon Ou bien contemplative au seuil de la maison Vous attendiez le soir et son beau crépuscule Quand l'heure du retour au grelot de la mule Accordait ses accents et sa plaintive voix Quand les oiseaux dormaient à l'ombre des grands bois. Ici vous n'avez plus la troublante auréole D'un crépuscule d'or brillant sur la coupole Du temple en pierre blanche ainsi que sur ses murs Faits avec de gros blocs des marbres les plus purs Et vous n'entendez plus cette brise légère Qui soufflait chaque soir sur l'onde et sur la terre A peine le soleil aux clartés d'un beau jour Prodigue t-il parfois sa caresse d'amour Et réchauffe les prés de sa troublante haleine Sème l'amour au coeur et les fleurs dans la plaine Mais ce temps passe vite et comme un frêle esquif Qui marque un trait sur l'onde et glisse fugitif Le soleil à nos yeux cache sa douce image Et souvent sa clarté dont un sombre nuage Semble jaloux, s'efface et ne réchauffe plus La terre refroidie et les bois dévêtus Je cesse de décrire et ma leçon commence J'ai vécu plus que vous comme un être qui pense J'ai cherché le bonheur où le bonheur n'est pas Et parfois incertain revenant sur mes pas J'ai voulu voir j'ai vu et doutant de moi-même J'au cru que je rêvais et parfois le blasphème A consolé mon coeur de ses folles erreurs Et j'ai souvent cherché le plaisir sous les pleurs Comme vous très sensible aux ivresses de l'âme J'ai contemplé le rêve et sa troublante flamme J'ai écrit, médité, j'ai pensé et j'ai lu Et j'ai souvent aimé ce que je n'ai pas vu Des nuits des jours entiers m'ont vu penser écrire Admirer tour à tour critiquer et maudire Ce qui criait trop haut la froide vérité Et froissait mon erreur aussi ma vanité. Alors mes yeux ont vu jaillir une étincelle Du choc d'un rêve d'or à sa valeur réelle Et j'ai compris combien nous sommes insensés Les jours où notre coeur de plaisirs ignorés Se grise sans penser aux grandes différences Qui séparent l'ennui des folles espérances Sans fermer notre lèvre à l'éther du sommeil Et protéger nos coeurs contre un brutal réveil. Ne rêvez pas ! Le rêve est-il un rêve rose Ou bien un rêve bleu sur notre front morose Il grave de son doigt une ombre qu'on ne voi Qu'au jour, grand éclairé au flambeau de l'émoi Habituez vos yeux à la forte lumière Qui guide sa clarté au sein noir de la terre Peut-être au premier jour vos regards éblouis Souffriront de trop voir les rêves ennemis Assombrir l'espérance aux clartés si troublantes En jetant un linceul sur les choses vivantes Vous marcherez, aveugle en égarant vos pas Et vous croirez souffrir d'un étrange trépas Mais après quand plus tard comme s'en va l'épouse Au bras de votre époux vous marcherez, jalouse Des lois de cette vie où tout jusqu'au bonheur S'achète par la lutte et les armes du coeur Vous sentirez combien mes vertus pessimistes Avaient de vérités aux heures réalistes Vous vivrez le bonheur après l'avoir acquis Au prix de mille efforts de peines et d'ennuis Et ce jour là vraiment vous serez bien heureuse Et votre âme d'enfant de fillette rêveuse Retrouvera le prix de ces petits efforts Qui pénètrent nos coeurs et nous rendent si forts Quand à l'heure précise où s'engage la lutte L'esprit inébranlable a su prévoir la chute C'est alors que le rêve à la réalité Livrera son mensonge et dans la vérité Plongera de vos jours la trame si mêlée Chaque chose vivra à vos yeux dévoilée Et loin dans le passé les tendres souvenirs De la jeunesse heureuse et ses mille plaisirs Ne seront plus pour vous qu'un rêve qui s'efface Qu'un jour qui passe et meurt qu'un jour qui se remplace Les crépuscules d'or et le vaste désert Et des oiseaux chantant l'harmonieux concert Tout sera disparu et dans votre pensée Gardera la valeur d'une image effacée La vie est un jardin dont les jours sont les fleurs L'homme à certains instants l'arrose de ses pleurs Puis de ses jours heureux la féconde lumière Ranime son courage et la brise légère Souffle comme au désert, dans les rameaux tremblants Le zéphyr fait chanter les palmiers ses enfants Ne rêvez pas de joie et de folle espérance Le réveil est toujours suivi d'une souffrance Comme dans un troupeau les dociles brebis Voient toujours à leur flanc suspendus leurs petits Un jour viendra pour vous où dans un doux murmure L'amour vous redira tout ce que la Nature Confiait à votre âme aux jours où votre coeur Comme un petit enfant embrassait la douleur Vous rirez à l'amour à ses folles caresses Le rire d'un enfant chassera vos tristesses Et vivant votre rêve en sa réalité Vous chanterez l'amour où vous l'auriez pleuré. Honoré HARMAND Le Poète et la Mort 24 novembre 1906 Le Poète Que de fois en suivant la route de la vie Glanant de ci delà un plaisir une envie N'ai-je pas rencontré comme un fantôme errant Mon ami le Trépas et le grand confident De tes sombres projets, de tes crimes sans nombre Conçus à chaque aurore et médités dans l'ombre Mais que de fois aussi en feignant de te voir Et détournant mes yeux du tragique miroir Où l'homme se rencontre et se pleure soi-même N'ai-je pas ri tout haut de ta force suprême De tes foudres vengeurs de tes trompeuses lois De tes spectres drapés, aux sépulcrales voix En disant son courroux enfanté du mystère N'est rien, auprès de Dieu, la sublime colère. La Mort Ton insulte ironique et ta force, vois-tu Sont pour moi le soupir qu'exhale le vaincu Quand il voit l'ennemi sur le champ de bataille Dépouiller son semblable au bruit de la mitraille Il appelle au secours mais on ne l'entend pas Quand sa voix se confond au bruit sourd des combats Quand ma colère éclate et sur la chair humaine Grave mon effigie étrange et souveraine Dans les yeux sur la lèvre ou même dans le coeur De l'ennemi vaincu ainsi que ainsi que du vainqueur Voilà ta force à toi ; errante sur ta bouche La colère grandit et l'insulte farouche S'échappe sans effet, arrive jusqu'à moi Et faisant ricochet s'en retourne vers toi. Le Poète Moqueuse, tu sais bien que tu es la plus forte Pourquoi venir troubler le rêve qui t'importe A toi reine du Jour et maître de la Nuit Pourquoi épouvanter notre espoir qui s'enfuit Quand ta voix redoutable a troublé le silence Et d'un mot, d'un seul mot arrête l'existence Quand cherchant ton plaisir au milieu de la fête Tu choisis un convive au gré de ta conquête C'est souvent le plus fou que tu frappes ! Pourquoi ? Jalouse du bonheur qu'il cherchait loin de toi L'enlever comme un aigle, avide de carnage Des plaisirs d'ici bas aux plaisirs d'un autre âge Dans ta serre cruelle où le coeur déchiré Marque en gouttes de sang le lieu qu'il a pleuré. La Mort Je suis l'exécuteur des sentences divines Et je me plais à voir les mondes en ruines Les rois et les manants couchés dans leurs tombeaux Mais lasse de frapper les gueux et les héros Pour tromper les mortels j'affecte une autre forme J'ai choisi le Désir et par lui me transforme Regardes bien dans l'ombre et que verrons tes yeux ? Un profil idéal aux traits harmonieux L'image d'une femme attirant sur sa lèvre Un amant fou d'amour désaltérant sa fièvre A la source maudite, ardente, du baiser Excitant le désir au lieu de l'apaiser Insensé que tu es, avances, je t'appelle Je cherchais un amant, à tes yeux suis-je belle ? Le Poète Mensongère maîtresse aimerais-je ton coeur Après avoir prié aux jours où ma douleur Appelait au secours ta caresse suprême Tu te moquais de moi et sur ma face blême Arrêtant au passage et le rire et les pleurs Tu gravais le sillon des premières aigreurs Je t'aimais follement quand mes amours passées Au sein du souvenir une à une expirées Murmuraient à mon coeur l'infortune et l'oubli Quand dans l'ombre des bois le Passé endormi A ma voix restait sourd comme sur le rivage Les cris désespérés des marins en naufrage Je t'appelais souvent mais ton regard cruel Sur ma lèvre semblait arrêter mon appel. La Mort A peine as-tu vécu que déjà le courage Te manques, aurais tu peur et n'es tu pas à l'âge Où tout est souriant où la route de fleurs Est toute parsemée, aux grisantes senteurs Eh que pouvais-je faire à ta belle jeunesse Autre que de l'aimer et plaindre sa tristesse Une femme t'aimait au lieu de l'écouter Ton coeur eut-il permis qu'on la fasse pleurer Réfléchis et surtout d'une vaine colère Ne troubles pas ton rêve et la douce chimère Qui chasses loin de toi mon triste souvenir Quand tu auras vécu je saurai revenir Réclamer en son temps ma part de l'héritage Mais de mourir, encor, ami tu n'as pas l'âge. Le Poète Pardonnes si mon coeur jeune et inconscient Excitait ta bonté par un faux jugement Si de bonheur pour moi la route est parsemée Je veux vivre à présent pour la femme rêvée Pour l'idéal conçu dans un amour nouveau Et mes yeux à la tombe ont trouvé le berceau Où le rêve expirant dans le sommeil des choses Sourit, comme un enfant à l'épine des roses J'aime je suis aimé. Va chanter les accords A ceux qui t'aimeront, à ceux que les remords Torturent dans la nuit. Va calmer leur souffrance Et laisse moi jouir de ma folle espérance Je suis trop jeune encor et je suis trop heureux Et la Mort m'écoutant a fui loin de mes yeux. Honoré HARMAND L'Hiver 27 novembre 1906 L'hiver vient de naître Et de ma fenêtre Où j'aime rêver Emu je regarde Légère et blafarde La neige tomber Les fleurs sont fanées Les routes gelées Et le ciel est gris Mille roses blanches Recouvrent les branches Des bois endormis Au seuil des chaumières Déjà les misères Viennent en tremblant Demander la miche Qu'offre le bon riche A tout mendiant Et les gueux les gueuses Ombres malheureuses D'un amer destin Parcourent les rues Suivant des cohues Le cours incertain Les enfants les mères Les épouses chères Dans leur pauvreté Voient s'enfuir le rêve Comme une heure brève Dans la volupté Les vieux et les vieilles Fatigués des veilles Auprès de leur feu Causent de la vie Et dans leur folie Lui disent adieu L'Hiver vient de naître Et de ma fenêtre Où j'aime rêver Emu je regarde Légère et blafarde La neige tomber. Honoré HARMAND Mensonge des nuits 2 décembre 1906 A l'ami RENARD Le ciel sans un nuage est parsemé d'étoiles Brillantes dans la nuit Et la lune apparaît. Au travers de ses voiles Bien doux, son regard luit. C'est l'heure où le poète au pied de la vallée Rêve et chante l'amour Comme s'en vient pleurer l'amante désolée Un Passé sans retour. Je suis poète aussi et dans la solitude Où j'aime revenir Mon coeur cherche l'oubli et la béatitude Dont je veux m'étourdir. L'ombre plaît à mes yeux à cette heure suprême Où le monde endormi Se tait pour un instant ainsi que son blasphème Sommeillant avec lui. Loin des gens indiscrets qui sont comme une chaîne Emprisonnant nos coeurs Je suis libre de rire ou de pleurer. La peine Est le jeu des moqueurs. Je vois les horizons plongés dans les ténèbres Est-ce l'heure du deuil Où la Nature meurt, où les spectres funèbres Pleurent sur son cercueil. J'entends l'onde gémir au berceau des rivières Qui coulent dans les champs Et le vent qui soupire et les forêts entières Me grisent de leurs chants. J'entends aussi la voix de mes heures passées Chanter le souvenir Vains frissons qu'on implore ivresses insensées Je suis las de souffrir. Votre charge est trop lourde à ma grande faiblesse Suis-je encor trop heureux Pour que la souvenance accable ma tristesse De pensers douloureux. Je venais pour chanter et voilà que je pleure Les beaux jours disparus Ô mensonge ! Caché, la lèvre qui t'effleure Ignore tes abus. Mortels au sein de l'ombre allez avec prudence Adoucir vos ennuis Et ne cherchez jamais la joie et l'espérance Dans le calme des nuits. Honoré HARMAND Aux Egoïstes (Coups de fouets) 3 décembre 1906 Ô richesses pourquoi ? Rester sourde à la peine Implorant ta protection Toujours la malédiction Aura-t-elle pour nous la lourdeur d'une chaîne. Pourquoi ris-tu de nous, pauvres mal habillés Pourquoi mépriser la défroque Ignores-tu que sous la loque L'Honneur sait rire aussi de tous les préjugés. Et vous riches ventrus craignez l'apoplexie C'est de boire trop de vieux vins Que vous gonflez vos intestins Vous crevez comme nous, mais c'est de maladie. Nous autres c'est la faim qui abrège nos jours On expire au coin de la rue Quand la dernière heure est venue On vous appelle fort mais vous faites les sourds. Les gueux sur vos habits arrêtent leurs prunelles Vous passez sans que votre coeur Comme celui du bienfaiteur Emu, parle pour vous aux aumônes rebelles. Vous vous ratatinez dans de gros vêtements Quand vous passez dans vos voitures A l'abri des éclaboussures Vous oubliez le pauvre, êtres indifférents. Mais bon dieu quand viendra ? Une guerre civile Comme l'ange exterminateur L'Egalité dans sa grandeur Epargnera le juste et tuera l'imbécile. C'est alors qu'on verra la belle Humanité S'élever grande et magnifique Malgré le rire satyrique Du riche sans pouvoir après avoir brillé. Mais pourquoi m'étourdir d'une vaine colère L'Egalité n'existe pas C'est un mot qui se dit tout bas Comme l'enfant le soir récite sa prière. Que de fois n'ai-je pas envié le sort des riches, non pour le bien-être dont ils peuvent jouir, mais pour l'aisance qui leur permet de faire le bien, de développer leurs visions philosophiques et sociales. Mais que de fois aussi ne me suis-je pas révolté en voyant passer les égoïstes d'une fortune, qu'ils n'ont pas acquise, les riches qui ne sentent pas la misère des autres et qui ne feraient rien pour l'adoucir. Si l'homme intelligent avait de la fortune, que ne ferait-il pas pour son prochain pour cette masse d'existences surgies d'une même création nées d'un seul hymen Dieu et la Terre feuilles qui semblent détachées de l'arbre mais qui puisent la sève de vie aux mêmes sources, lèvres qui s'abreuvent aux mêmes ondes mais à des endroits différents où la vase se mêle à la douceur à la clarté de l'onde. C'est aux égoïstes que je dédie cette poésie, à ceux que l'humanité a choisis comme exemples pour démontrer les théories qui divisent les hommes, les dispersent dans des routes différentes de la terre, aboutissant à un point qui relie le monde à Dieu. Comme disait Ernest RENAN d'après les Evangiles « Celui qui jouit des bienfaits de la terre n'aura pas droit aux consolations divines ». Honoré HARMAND Coups de fouet pour arriver 6 décembre 1906 Pour arriver il ne faut pas Suivre la route la plus droite Vers le mal diriger ses pas Voilà ce que l'homme convoite Le génie est-il malheureux On ne semble pas le connaître C'est la muse des envieux Qu'on admire et qui sait paraître La Gloire est fille des combats Autrefois on l'aimait encore Aujourd'hui ne sont pas soldats Ceux qui voudraient la faire éclore Le poète au fond d'un taudis Ecrit -il les plus beaux poèmes Il passe comme un incompris Aux yeux des écrivains suprêmes Voulez-vous dans les premiers rangs Briller auprès d'un imbécile Faites des travaux répugnants La tâche sera bien facile Voulez-vous que tous les regards S'arrêtent sur vous dans la rue Peuplez la France de bâtards Sans que votre âme en soit émue Voulez-vous que la croix d'honneur S'étale sur votre poitrine Prêchez partout l'indiscipline La croix c'est le prix du malheur Il est bien malheureux de voir la France diriger par des pantins guidés par la soif de la fortune, gars de toutes les institutions criminelles qui ne voient qu'un but arriver au pouvoir et s'en retourner après la moisson pliant sous le fardeau des gerbes que le pauvre a semées dans le champ des impôts. La guerre qui servait autrefois à faire respecter les droits d'un pays n'est plus regardée que comme un abattoir où sont conduits les hommes pour satisfaire les appétits diplomatiques, pour satisfaire ceux qui entendent écrire les lois de la civilisation avec du sang humain. Pour arriver il faut étouffer sa conscience, il faut vivre de cette vie interlope des diplomates peu scrupuleux du bien être du peuple, il faut avoir l'esprit assez large pour que le bien et le mal marchent de front sans s'apercevoir qu'ils sont ensemble. Pour arriver, il faut vendre son honneur le prix d'une indélicatesse, pour arriver il faut vendre son coeur. Honoré HARMAND Le rêve du poète 6 décembre 1906 Cette nuit j'ai fait un beau rêve Inspiré des heures d'amour J'ai ri et pleuré tour à tour L'Extase est caresse si brève J'ai vu sous la voûte des cieux Un fantôme agiter des voiles Et sa main cueillir les étoiles Qui se reflétaient dans ses yeux Le fantôme était une femme Idéale par sa beauté Sa prunelle avait la clarté Des feux qui consument notre âme Elle avait des ailes d'argent Une robe en gaze légère Phébé de sa pâle lumière L'éclairait d'un rayon troublant Et quand sa corbeille fût pleine Elle quitta le firmament. Pour se reposer un instant Elle s'arrêta dans la plaine Près d'elle j'osais m'approcher Des pleurs sur sa face livide Coulaient de sa paupière humide Elle semblait souffrir d'aimer Je lui dis serais tu la muse Qui chante au silence des nuits Pour les poètes ses amis Parle j'ai deviné ta ruse Elle répondit ne crois pas Que je suis une folle amante L'étoile est une âme vivante Je la cueille pour le Trépas Puis elle disparut dans l'ombre Le mystère était expliqué Chaque étoile dans sa clarté Cache un dessein cruel et sombre Je la vis s'enfuir vers les cieux Le zéphir agitait ses voiles Et sa main cueillait les étoiles Qui se reflétaient dans ses yeux. Honoré HARMAND Coups de fouet pauvre soldat 7 décembre 1906 Pauvre soldat tu as vingt ans Il te faut quitter ta maîtresse Et déjà pour une autre ivresse La France appelle ses enfants Tu vas sur les places publiques Dérider le front des badauds On rit de vous pauvres lourdauds Et vous riez de vos critiques On parlait bien de ton bonheur Avant d'entrer à la caserne Mais à présent le mot baderne Blesse plus d'une fois ton coeur Brutalement on te commande Ne répond pas, c'est la prison Accepte tout les oui les non L'injure fût elle bien grande Je sais que l'insulte fait mal A l'homme tout à son service Ne rougit pas du sacrifice Le joug de l'armée est brutal Ne t'affectes pas sois aimable Excuses ceux qui sont méchants Plus tard peut être à leurs dépends Tu sauras vivre homme honorable Dis-toi bien que le régiment Pour la jeunesse est une école L'honneur s'achète ou bien se vole Tout est permis avec l'argent Méprise n'importe quel grade C'est si cruel de commander Des hommes qu'on devrait aimer Comme on aime un bon camarade Pauvre soldat c'est pour trois ans Que notre France te réclame Ce n'est pas elle que je blâme Ce sont ses tristes gouvernants. Honoré HARMAND Budgétivores 10 décembre 1906 Neuf mille francs c'était déjà L'appointement nec plus ultra Des représentants de la France Ils pouvaient sans trop se gêner S'offrir un litre à leur dîner D'un cru de bonne provenance Ils pouvaient avec vingt cinq francs Faire face aux menus dépens D'un voyage diplomatique Puisque les élus d'un fauteuil Voyagent partout et à l'oeil Ah ! Que c'est beau la politique Ils pouvaient dans les épinards Mettre du beurre les veinards Sans faire brûler la fourchette Ils savaient jouer sur les mots Le contribuable d'impôts Voyait toujours s'emplir l'assiette C'est un met trop peu digestif Et pour l'estomac progressif Il est trop lourd et indigeste Cependant le prochain budget Encor bien plus lourd qu'il était Aura mangé tout sans un reste Déjà Madame Egalité Et sa soeur la Fraternité Vont attaquer la République Pourquoi ces augmentations Disent les protestations Surchargeant la dette publique A la chambre pour une fois Un projet lu à haute voix Est accepté sans anicroche Mais les tout petits employés Voudraient aussi être installés Autour de la grande brioche Ils pourraient arriver trop tard La Chambre a retranché sa part Et déjà le repas s'achève Au gâteau de grands appétits Ont fait un trou. Pour les petits Il ne reste plus que la fève Rassurons-nous, nos députés Depuis qu'ils sont tous augmentés Nous promettent de belles choses Travaillant avec plus d'ardeur Ils peineront et de tout coeur Ils défendront les grandes causes. Honoré HARMAND Pour une verrière (Actualité) 11 janvier 1907 Sur l'air de « la Paimpolaise » Je vais vous chanter une histoire Originale assurément Elle est véridique et notoire Ça fait du potin d'puis qu'èqu'temps Dans la vill'de Rouen C'est un engoûment On discute sur la verrière Du théâtre de l'alhambra On en parl'dans la ville entière Je n'sais pas quand ça finira Monsieur Lelong qu'est un brav'homme Architecte de grand talent Eut un'idée très bonne en somme D'orner le grand établissement D'un vaste carreau Peint com'un tableau Il chercha bien vite un artiste Qui le plus économiqu'ment Ferait un dessin réaliste De la danse dans tous les temps Il prit l'train pour la capitale Dans tout Paris on l'vit fouiller Je veux une oeuvre originale Dit-il y'a d'l'argent à gagner Et chacun suivant son rang son talent S'présenta mais combien ma chère D'malheureux rester'en échec Enfin le dessin d'la verrière Fût confié à notre ami Steck Le jour annoncé d'l'ouverture On vit la foule se presser Devant la grande devanture Qu'on n'se lassait pas d'admirer Et selon ses goûts Discutait sur tout Les uns disaient c'est magnifique D'autr'trouvaient pas ça épatant Mais d'vant la verrière mystique Le monde s'arrêta longtemps C'est d'un nec plus ultra moderne Disaient les plus fins connaisseurs Le coloris semble un peu terne Ajoutaient les marchands d'couleurs C'est très bien venu Surtout dans le nu Le soir on jeta la lumière Sur le carreau comme un écran Et plus d'un'fifille à sa mère Risquait un regard en passant Mais sans que personn's'y attende En vill'on fit courir le bruit Qu'il circulait une demande Pour qu'les danseus'aient un habit On a peur je crois Que ces dam's'aient froid Mais la chos'prit un'aut'tournure On lût des lettr'dans les journaux Puis on réveilla la censure Qui s'arma de ses grands ciseaux La question devint difficile Quand on prît comm'antécédant Le jardin de l'Hôtel de ville Et son p'tit musée en plein vent Sous l'oeil des passants Et d'tous les enfants Dans le grand jardin les statues Font rougir tous les indiscrets Ell'nous montrent leurs poitrin'nues La nature et tous ses secrets L'plus clair là d'dans c'est la réclame Que la verrièr'sans s'en douter Fait au théâtre que tant on blâme Et qui voit les r'cett'augmenter Monsieur l'directeur D'la gaîté plein l'coeur Tous les soirs le sourire aimable Reçoit le monde au guichet Jamais on n'le vît plus affable Aussi charmant et guilleret Sur l'affich'des Folies Bergère Au lendemain d'la pétition L'histoir'du grand tableau en verre Etait l'clou d'la r'présentation Et les plus méchants Disent indulgents Encor une bien grande affaire Que bientôt les gens oubliront Et tout le potin d'la verrière Ça finira par des chansons Honoré HARMAND Noël d'un gueux 13 janvier 1907 Il est minuit passé et je voyage encor J'aime ainsi de la nuit le tragique décor Fait d'ombre et de lumière où glissent les cohues J'aime d'un fol amour le silence des rues Pour laisser libre cours à mes sombres pensers A mes espoirs déçus mes rêves insensés C'est que j'ai dans le coeur une blessure ouverte Qui se guérît un jour quand mon âme déserte Vît s'enfuir mes chagrins mes découragements Comme un vol de moineaux dispersés dans les champs Mais qui le lendemain d'une douleur nouvelle Accabla ma faiblesse et la fît plus cruelle ; Comme c'est animé ce soir dans les faubourgs Le peuple ne dort pas comme il fait tous les jours Pourquoi ce mouvement au seuil des brasseries Et ces gens aux yeux vifs reflétant les orgies Le monde est à l'envers il est nuit cependant La lune brille encor dans le noir firmament Et des grands maraîchers les fantasques cavales Se dirigent joyeux vers la foule des halles D'où vient ce brouhaha ce bruit sourd et confus Où le rire et les pleurs un instant confondus Chantent l'hymne brutal de nos grandes tristesses Le monde est fou ce soir. Et ces belles maîtresses Ces coupés lumineux aux monstrueux regards Ce trouble répandu sur tous les boulevards Mais je rêve pardieu et j'en perds la boussole Je n'y comprends plus rien, rien du tout ma parole Mais qu'entends-je là-bas, la sublime chanson Des cloches de Paris vibrant à l'unisson C'est Noël aujourd'hui, le monde réveillonne Je comprends à présent que la foule abandonne Le lit qui semble doux quand nos coeurs au plaisir Se ferment sans souci. Courageux de sortir Chacun selon sa bourse et sa soif et ses fièvres Approche plus ou moins la coupe de ses lèvres C'est Noël ! Moi aussi jadis j'étais comme eux En des temps disparus en des temps plus heureux Je roulais dans Paris au fond d'une voiture Près d'une belle femme et bonne créature L'argent entre mes doigts glissait et sans compter J'achetais le plaisir et savais le payer Dois-je me rappeler ces extases suprêmes Au milieu des joyeux noceurs aux faces blêmes J'étais comme un enfant par tous aimé chéri Bout en train sans égal j'étais le favori On m'aimait bien souvent un peu plus pour ma bourse Que pour moi mais qu'importe et le fleuve et sa source Quand son onde est limpide et que la lèvre en feu Désaltère sa soif le fleuve importe peu J'étais accompagné de cette belle femme Pour qui j'entretenais une brûlante flamme Je l'aimais de tout coeur et je ne cherchais pas A savoir si l'amour chaque instant sur mes pas Marchait sans se lasser. Elle était adorable Jeune elle avait seize ans et sur sa lèvre aimable Un sourire gravé se lisait en tous temps Je l'appelais bébé ou bien fleur de printemps Suivant les jours heureux ou bien les jours moroses Bébé c'était l'épine où se dressent les roses Fleur de printemps c'était à la belle saison La promenade au bois l'ivresse et sa chanson Même au sein du plaisir il est parfois des heures Où le rire se heurte aux tristesses des leurres. Ce soir là de Noël près de fleur de printemps Assis je bavardais avec des jeunes gens Des amis de plaisir et même amis d'enfance Qui riches comme moi faisaient grosse dépense Dans le grand restaurant la foule s'entassait Chacun causait, buvait, on jouait et mangeait Nous autres nous mangions une dinde truffée Grasse et bien cuite à point d'un côté rissolée Nous faisions bonne chair succédant au Bordeaux Sur la table encombrée un vieux vin de Margaux Semblait vouloir surgir de sa bouteille grise Buvons disais-je à tous ce bon jus qui nous grise L'homme a besoin d'amour mais aussi de bon vin C'est drôle, je suis lourd, et je bois du vin fin Les amis d'applaudir à ce mot sans finesse Qu'un peu d'esprit avait semé dans mon ivresse Après, voyons un peu vais-je me souvenir De la fin du repas. Après on fit venir Des gâteaux fins glacés arrosés de champagne Fleur de printemps causait et battant la campagne Voulait me rappeler comment son fol amour Avait grandi pour moi et plus fort chaque jour Devenait un délire une brûlante fièvre Qui naît d'un doux baiser furtif sur une lèvre Et grave dans le coeur après qu'il a passé, Un souvenir bien cher quand l'amour l'a quitté Puis comme un son qui meurt et qu'emporte la brise Sa voix bien doucement s'éteignit et surprise Par un sommeil de plomb elle ferma les yeux Elle dormait couchée et son front gracieux Reflétait le bonheur le rêve d'une ivresse Où tout s'efface et meurt d'une lente tristesse. Le jeu nous appelait dans un salon fermé Où le crime à longs flots verse sa volupté La roulette tournait marquant insouciante Le numéro gravé sur la planche gagnante J'espérais m'enrichir et je jouais gros jeux Cent Louis dit une voix je réponds c'est trop peu J'en mets deux cents pour moi en jouant sur la rouge Comme un petit joueur perdu au fond d'un bouge Mettrait un Louis tout neuf une part de son gain Et mangerait le soir celui du lendemain La rouge avait perdu mais armé de courage Je risquais deux cents Louis et je disais je gage Que c'est pour cette fois mais narquois le hasard Tournait ses yeux méchants vers un autre veinard J'étais riche et comptait bien trop sur ma fortune Comme le paysan compterait sur la lune Pour l'éclairer le soir à l'heure du retour La nuit règne souvent sur la clarté du jour Fou, grisé par la perte et le bruit de la foule Je risquais mon argent. Quand la raison s'écroule Il n'est rien qui retient le désir le plus fou L'homme est sans énergie et ressemble au toutou Qu'on frappe et qui revient caressant et fidèle Lécher la main de maître imposant et rebelle. Le jour à l'horizon en d'étranges clartés Brillait d'un feu pâli à nos yeux fatigués J'avais perdu mon nom et ma fortune entière J'avais brisé mon coeur ma vie et ma carrière Il ne me restait plus qu'un amour incertain Qui doute d'aujourd'hui et méprise demain La belle créature avait dans son ivresse Entraîné mes désirs mon bonheur ma richesse Et me voyant réduit à cette extrémité En quête d'un moyen après l'avoir trouvé Sans explication me laissa dans l'ornière Et c'est ainsi toujours que la fortune opère Elle rit à votre or et l'amante chérie Vous aime tant que dure et la joie et la vie Mais le malheur vient-il qu'après avoir brillé L'homme trébuche et tombe au rang du déclassé L'amour fuit et moqueur dans son ingratitude Laisse l'infortuné tout à sa servitude Et brillant à son tour et maître au premier rang Voit le pauvre en haillons s'abreuver de son sang. Tout est changé pour moi tout jusqu'à ma tenue Des loques cachant mal ma poitrine velue Des souliers dont les clous pénétrant dans la chair Grandissent la douleur d'un regret trop amer C'est Noël et le monde a dans sa folle course Emporté de mes jours la dernière ressource L'espoir qui nous soutient nous pauvres malheureux L'espoir maître suprême au royaume des gueux Si seulement j'avais c'est bien peu une croûte Pour calmer l'estomac criant la banqueroute Mais le monde est ingrat jaloux de son plaisir Il ne regarde pas et n'entend pas gémir Le gueux qui meurt de faim et tombe en défaillance Ah ! Cette nuit maudite et pleine de souffrance Va t-elle disparaître à jamais de mes yeux Et l'image du temps où je vivais heureux Va-t-elle s'effacer de ma faible mémoire Comme un guerrier mourrant aux rayons de la gloire Je suis drôle et je tremble et mon coeur affaibli Semble plus insensible aux coups de son ennui Serait-ce que Noël à cette heure suprême Refléterait la mort sur ma figure blême Je sens un froid brutal envelopper mon coeur Je vais mourir bientôt ah ! Grand dieu quel bonheur. Un silence tragique enveloppait la rue Sur le bord du trottoir une forme étendue Gisait sans mouvement et bonhomme Noël Par pitié pour le gueux fit descendre du ciel Un manteau blanc tissé de gros flocons de neige Et déjà des démons le fantasque cortège Approchait aux clartés de l'horizon pâli La mort accomplissant son oeuvre dans l'oubli Plongea l'épave obscur et d'une heure trop brève Effaçant du passé la caresse te le rêve Fit retentir la cloche ; et le son argentin Répéta de Noël le sublime refrain. Honoré HARMAND A ceux qui pleurent 17 janvier 1907 A Juliette BONNEL Ne pleure jamais ta chimère Poète sensible et rêveur Le plaisir près de la douleur Sommeille toujours sur la terre Ne pleurez pas amants heureux L'heure qui passe et qu'on regrette Le coeur comme une pâquerette Refleurit au printemps joyeux Ne pleure pas femme incomprise Ferme ton âme au désespoir Si tu souffres ne fais pas voir Le mal dont ton amour se grise Ne pleure pas folle maman Quand la mort a brisé la trame Des jours de l'enfant qu'on acclame L'homme souffre quand il est grand Ne pleure pas belle vieillesse Sur la tombe du souvenir Ici bas où tout doit finir Le rêve est chargé de tristesse Ne pleurez jamais de vos jours Le règne qui passe éphémère Le mort est la seconde mère Qui veille sur nous pour toujours Honoré HARMAND Fécondité 19 janvier 1907 A Jeanne CHAPELLE Janvier semble sourire au joyeux laboureur Un soleil radieux prodigue sa chaleur Aux fécondités de la terre Le Printemps se devine et l'homme dans les champs Travaille avec ardeur. Les oiseaux de leurs chants Troublent la forêt solitaire Au seuil de la chaumière où grince le pressoir Qui coule le bon cidre épais et rouge noir La mère à l'enfant qu'elle allaite Tend son sein généreux et d'un regard troublé Embrasse le jardin où les roses l'été Fleurissent, montant jusqu'au faîte Bébé s'est endormi et tient entre ses dents Le vrai souffle de vie aux lèvres des enfants Ignorants de leur existence Et la mère en extase au front du chérubin Grave un baiser brûlant comme au front du Destin Dieu graverait une espérance Sur le vieux toit de chaume un couple de pigeons Apportent la becquée aux petits oisillons Abandonnés à la nature Et comme une berceuse au déclin d'un beau jour Les échos de la plaine ont un refrain d'amour Que, tout bas, l'épouse murmure La forêt endormie, aux rayons du soleil Semble enfin retrouver les douceurs du réveil Et sourire aux apothéoses Le coeur semble revivre et la lèvre au baiser S'offre plus amoureuse. Aux arbres du verger La sève épand ses gouttes roses C'est l'heure où tout renaît la nature et le coeur Où l'homme heureux d'aimer, aux sources du bonheur Mêle sa volupté féconde Où la mère en extase au front du chérubin Grave un baiser brûlant comme au front du Destin Dieu grave l'image du monde. Honoré HARMAND A la Réalité 21 janvier 1907 Aux désabusés C'est en vain qu'on te chasse à l'heure des chimères Toujours au sein du rêve où tu prends ton plaisir Moqueuse à chaque instant on te voit revenir Entraînant avec toi la foule des misères Je connais la gaieté c'est d'entendre gémir Ceux qui pleurent l'amour aux frissons éphémères Ou le passé joyeux aux suaves mystères Qu'on se plait à revoir dans un doux souvenir Mais qu'importe à mon âme et ton pâle visage Et ta voix caverneuse où s'étouffe la rage Qui frappe les humains dans leurs illusions Puisque je ne crois plus au langage des songes Puisque mon coeur fermé à leurs émotions Doutant des vérités n'a plus peur des mensonges Honoré HARMAND L'Egalité des fleurs 20 mars 1907 A Melle MILLIOT J'avais un bouquet, tout de violettes Un joli bouquet, cueilli dans les champs Le printemps joyeux riait aux fleurettes Les fleurs du marché n'ont pas de printemps Je causais souvent seule en ma chambrette Je parlais aux fleurs, à leur doux parfum « Vous avez des goûts pour votre toilette Les fleurs du marché n'en possèdent qu'un Ainsi, vous poussez tiges solitaires Sans qu'aucune main de vous prenne soin Et vous méprisez la chaleur des serres Les fleurs du marché en ont tant besoin Sans craindre le vent ni la froide neige Vous cherchez abri sous les verts gazons Vous bravez l'Hiver, l'herbe vous protège Les fleurs du marché ont tant de saisons » Mais un jour hélas, je fus bien surprise Mon bouquet si frais, si gros, si joli N'exhalait plus rien d'un parfum qui grise Les fleurs du marché se fanent aussi Je compris alors que la violette A l'illusion d'un riant matin Partageant le sort de toute fleurette Celles du marché n'ont qu'un lendemain. Honoré HARMAND Vertige 23 mars 1907 À Madame X Loin du monde et de ses folies Pour griser nos mélancolies Dans le boudoir, seuls, viens rêver Les ivresses sont fugitives Et si nos âmes sont fautives L'Amour saura les pardonner Embrassons-nous chère maîtresse Je suis gourmand de ta caresse Unissons nos deux voluptés Sur ma lèvre pose ta lèvre Je veux dans une ardente fièvre Sentir le feu de nos baisers Je suis fou ; ton regard me grise Et de ma volonté conquise La Raison s'enfuit en pleurant L'amour a des heures propices En ce lieu riche de délices Vivons notre rêve charmant Embrassons-nous chère maîtresse Le vertige d'une caresse N'est qu'un frisson de voluptés Sur ma lèvre pose ta lèvre Bientôt va s'éteindre la fièvre Dans la tendresse des baisers. Honoré HARMAND Toi 29 mars 1907 A Madame X Aux premiers jours je le proclame J'étais confus et dans mon âme Je taisais la voix du désir Tu me plaisais. Quelle folie Mais, je te trouvais trop jolie Pour t'aimer et pour en souffrir L'Oubli si cher aux amoureuses Me disait « ses lèvres menteuses Sont insensibles au baiser Elle rira de tes alarmes Ses yeux ne versent pas de larmes Son âme ne sait pas vibrer » Il suffit d'une circonstance Où ton coeur à l'indifférence Ne confia plus ses secrets Tu sus le prix d'une caresse Et sur tes yeux verts la Tristesse Jeta le voile des regrets A présent sur ta lèvre rose Ma lèvre brûlante se pose L'Amour a triomphé de l'émoi Douces chimères que les vôtres ! Tu es femme comme les autres Mais les autres ne sont pas Toi. Honoré HARMAND Souvenances 31 mars 1907 J'ai vu mon heureuse jeunesse Porter le deuil d'une maîtresse Vers les frissons d'un autre amour L'Oubli effacer mes alarmes Et mon avidité de charmes Bien souvent ne durer qu'un jour J'ai connu des femmes charmantes J'eus des épouses pour amantes Je fis un jeu de leur beauté Je troublai leur cerveau débile Le coeur de la femme est fragile Quand il aime par volupté J'ai gagné de belles victoires Je connus aussi les déboires Aux jours maudits de l'insuccès Mon coeur chargé d'indifférence Devint sensible à la souffrance Quand il fût sensible aux regrets A présent mes amours passées Dans mon âme sont effacées Et déjà ! Je me sens vieillir Que m'importeraient les chimères Puisque des heures éphémères Je méprise le souvenir. Honoré HARMAND Le Poète et la Muse 3 avril 1907 A monsieur MILLIOT Le Poète Ô Muse à mon secours, de grâce ! Je t'implore Ma lyre adolescente est-elle à son aurore Ou bien suis-je un proscrit aux yeux de ta bonté Je veux chanter les cieux où brille ton étoile Je veux chanter l'Amour et soulever le voile Du mystère de l'Ombre où dort la Vérité La Muse Je t'aime cher poète et déjà, grand Corneille Et je serais pour toi une mère qui veille Sur le berceau tremblant d'un pâle chérubin Comme elle je suivrais de ta marche incertaine Les oscillations ; et je serai la chaîne Reliant ton génie à ceux du genre Humain Le Poète Je veux chanter l'amour du vieux temps romantique Je veux que Rome dise et son nom symbolique Et son meurtre brutal ses folles voluptés Je veux ressusciter la grande tragédie Et remonter le cours du fleuve de la vie Qui coule son eau trouble en flots précipités La Muse Ne crains-tu pas pour toi, la tâche sera lourde Et Rome à ton appel peut-être sera sourde ? Quand du sommeil des morts j'irai la retrancher Qu'importe je suivrai ses foules éternelles Aux accents de l'amour à ses chansons cruelles J'accorderai ma lyre et te ferai chanter Le Poète Merci ! Puisse le monde écouter le murmure De ta voix dans mes vers, dont la juste mesure Semble trop monotone et pleine de lenteurs Mais pourquoi redouter les âmes insensibles ? N'ais-je pas ton amour tes lèvres invisibles Pour tarir dans mes yeux l'amertume des pleurs La Muse Le monde fera vivre au sein des destinées Ton génie. Et ton nom au déclin des années Vivra comme aujourd'hui dans la grande Cité Dans l'ombre du cercueil une clarté céleste Brillera sur ton oeuvre et ton oeuvre l'atteste Le Génie est le fils de l'Immortalité. Honoré HARMAND A mon Docteur 4 avril 1907 A monsieur AUPINEL Et vous m'avez guéri de ce terrible mal Qui menaçait mes jours à leur adolescence En rejetant sur moi le poids de sa vengeance Quand j'espérais jouir d'un bonheur sans égal Que de rêves conçus abondants et mystiques Durant les jours maudits de mon oisiveté Je vous voyais, marchant, d'un pas précipité Entraîner avec vous des êtres symboliques Vous alliez dans la nuit chargé de mille engins Des lames de couteaux reflétant les lumières Du linge, des tuyaux, des flacons, des clystères Et vous veniez à moi suivi de carabins J'avais peur, je tremblais et votre voix méchante Augmentant ma torpeur agitait mon sommeil Et le rêve effacé, ma colère en éveil Gardait à votre égard une bonté méfiante Quand j'ai cherché en vous l'ami consolateur Je me heurtai toujours à votre insouciance Par vous j'ai condamné l'oeuvre de la science Insensible ennemi des faiblesses de coeur J'osai vous accuser de charlatan, d'infâme De médecin du diable et d'homme sans talent Mais vous êtes grandi à mes yeux, maintenant Que la Mort par vos soins a dédaigné mon âme J'ai su que le trépas avait compté mes jours Et que j'avais un pied avancé vers l'abîme Si j'ai douté de vous pardonnez ! La victime Tremble encor du bourreau à l'heure du secours Je suis sauvé Docteur et je vous remercie De votre dévouement éprouvé à l'excès Merci, merci, je dois à votre grand succès L'espoir de l'avenir, le bonheur et la vie. Honoré HARMAND Je t'aime 12 avril 1907 A Jeanne CHAPELLE Je t'aime pour tes jolis yeux Pour tes lèvres et tes cheveux Pour ton coeur abusé de rêve Quand souffle la bise du soir Je t'aime pour ton fol espoir Qui se rit d'une heure trop brève Je t'aime pour ta volupté Et pour ta troublante beauté Mes désirs sont sans retenue Quand le doute ami des jaloux Sème la discorde entre nous Je t'aime pour ta foi déçue Je t'aime pour ton grand amour Pour ta franchise sans détour Et pour ta douce voix de femme Tes baisers sont maîtres des pleurs Je t'aime quand de mes douleurs Je trouve l'image en ton âme Je t'aime pour tes jolis yeux Pour tes lèvres et tes cheveux Pour ton coeur frissonnant de rêve Quand souffle la brise du soir Je t'aime pour ton fol espoir Et pour ton mépris de la trêve. Honoré HARMAND Les frissons de la Muse 18 avril 1907 A Etienne SOUCHON Ô combien j'ai compris les accents de ta lyre Et l'aspect souriant des vastes « Vaux de Vire » Sur la carte, décrits, en quelques vers charmants Me dit que dans ton coeur les frissons du printemps Germent comme une fleur dans la nature en fête La nature en travail inspire le poète Les jardins verdoyants et les bois endormis Les sentiers traversant, les routes, les taillis Tout chante et le poète en des strophes légères Comme tu l'as écrit sait chanter les « Chimères ». Honoré HARMAND Vous et moi 23 avril 1907 A Etienne SOUCHON Dites-moi ? Quelle muse a su vous inspirer Des vers aussi charmants et de telle abondance Que je puis m'accuser de ma folle imprudence A vous répondre en vers et pour vous imiter Vous m'avez dit un jour « ma mémoire est facile » Vous avez beaucoup lu et surtout retenu Mon style auprès du votre est plutôt décousu Aux hommes de talent la Mémoire est docile Mais vous avez pour vous le Génie et ses dons Votre coeur est sensible aux accents d'une lyre Moi il me faut chercher tout ce que je veux dire Et ma verve est semblable aux plus froids aquilons. Honoré HARMAND Trop Belle 8 mai 1907 Elle avait des yeux d'un bleu pur De la couleur d'un ciel d'azur Une taille fine, élégante Elle avait un costume noir Un regard plein de désespoir Une mine pâle et souffrante Elle avait un pied si mutin Qu'il eût tenu dans une main Une marche lente et lascive Un corps fait pour la volupté Et plus d'un coeur était troublé Devant son ombre fugitive Elle avait dans un magasin L'emploi modeste de trottin Mais elle aimait trop la toilette Autour d'elle dans l'atelier On craignait de la voir tourner Comme une vulgaire grisette Un soir son coeur grisé d'amour Du bien et du mal tour à tour Envisagea toutes les phases Mais le Dieu malin à l'excès A ses yeux jaloux de succès Fît briller ses folles extases Elle écouta des séducteurs Les mots doux, troublants et menteurs Et son âme se livra toute Elle abandonna le foyer Où sa mère sût la choyer Et partit sur la grande route Au bras d'un jeune homme élégant Le trottin passe maintenant Ses yeux bleus ne sont plus moroses Elle fréquente les cafés Où les ravissantes beautés Se fanent ainsi que les roses Quand elle passe près de moi Mon coeur tremble comme en émoi Et ma pauvre raison chancelle Mais je ne saurais la blâmer Je n'ai le droit que d'accuser Le destin qui la fît trop belle Honoré HARMAND Plus Tard 9 mai 1907 A une indifférente Loin de moi tu partis un jour Méprisant mon sublime amour Moqueuse comme une maîtresse Et j'ai pleuré souvent le soir Et j'ai tout fait pour t'émouvoir Quand tu as ri de ma tristesse Ta lèvre avide de baisers Tes serments fous et mensongers Tout en toi donnait le vertige Je n'osais croire à l'abandon Dont je te donne le pardon Quand toi méchante tu m'affliges Pour me consoler de mes pleurs Un soir à mes instincts vengeurs J'ai livré mon âme en délire D'un vain effroi mon coeur J'ai cru te voir dans le malheur Expirant après le martyre Et tu vis heureuse, toujours Abuse des folles amours Abreuve toi de leur ivresse Il viendra le temps où tes yeux Attristés aux jours ténébreux Pleureront ta belle jeunesse. Honoré HARMAND Consolations A Melle Germaine LEMONNIER 11 mai 1907 A vous que le Destin dota d'une fortune Etrange aux coeurs grisés d'une ivresse commune La fortune du rêve et de ses voluptés Je dédierai ces vers par ma muse inspirés Votre âme loin du mal a trouvé son vertige Et sans vous émouvoir d'un funeste prestige Sans chercher le poison de certaines amours Qui plait aux passions qu'on heurte tous les jours Sans frissons vains et froids pour l'imprudente vie Sans colère accusant une faiblesse impie Comme une fleur de rêve en son parfum troublant Vous aimez le bonheur et votre amour est grand Mystérieuse enfant aux yeux pleins de tendresse Au visage pâli torturé de tristesse Vous allez dans la vie incertaine, croyant Que le bonheur n'est pas où votre coeur l'attend Erreur de la jeunesse. Au début du voyage Vous croyez que l'amour d'un funeste présage A troublé votre espoir dans son trop libre essor Comme un filet de sang sur un beau manteau d'or Laisse une tache obscure un souvenir de crime Au coeur de l'accusé grave un nom de victime Vous croyez que la vie en blâmant votre sort Aux amours du malheur a marié la mort ; Courage devant vous l'Espérance chemine Avancez sur ses pas ; sous son manteau d'hermine Abritez votre coeur, sensible adolescent Dieu du honteux coupable éloigna l'innocent Pour que la volupté en un affreux mélange Ne confondit jamais la pureté de l'ange Et le vice abusé d'une âme de démon La poussière est légère aux lourdeurs du limon Courage la jeunesse effaçant vos alarmes De vos chagrins futurs méprisera les charmes Vous vivrez ce bonheur que vous avez rêvé Votre âme sans détour si grande en sa bonté A l'absent repenti redira ses promesses Et votre lèvre froide au feu de ses ivresses Tremblera pour toujours d'extase et de plaisir Dans chaque jour passé un heureux avenir Comme une fleur des champs qui laisse aux champs sa graine A l'hier regretté attachera sa chaîne Doux mots, me direz-vous, que la réalité Par mépris racontait à la fatalité Les jours où notre coeur chargé d'indifférence Semblant prendre plaisir à blâmer la Souffrance Il faut savoir souffrir pour connaître l'amour Pour en apprécier le sublime retour Que de reproches, mais aussi que d'indulgence Quand les jours malheureux méprisent la vengeance Quelles émotions quand le coeur méprisé Sait rendre sa candeur à l'être bien aimé Et dans un doux pardon ému chargé de larmes Sait, de deux ennemis, faire des amis d'armes Vous vivez ce bonheur ! Vous êtes jeune encor Et vers des cieux d'azur volant d'un libre essor Votre âme trouvera ce que votre âme éprouve Notre amour vous l'atteste et la raison le prouve Dans mille et un chemins l'homme égare ses pas Dans les coeurs attendris un serment ne meurt pas Que de rêves charmants quand sur vos lèvres roses Les lèvres de l'aimé comme des fleurs écloses Se poseront. Douceur sur des lèvres d'enfant Que la mère le soir éprouve en l'embrassant Que de rires furtifs gaieté sans retenue Qui chantera toujours dans votre âme ingénue L'harmonieux concert de deux êtres aimés Qui d'un bonheur d'amour ne sont jamais lassés Chaque jour enfantant une nouvelle ivresse Fera mille frissons d'une seule caresse Miracle dont le coeur quand on l'a fait souffrir Compare à la valeur d'un amer souvenir Et vos yeux attendris de fatigue, de veilles Liront dans l'avenir des pages si vermeilles Que le Doute jaloux de vous, de votre coeur Comme un cri de blessé dans l'âme du vainqueur Fait trembler l'ennemi reposant sur sa gloire Retardera parfois l'heure de la victoire Dans votre coeur grisé d'un triomphe certain Quand le jour d'aujourd'hui dans un beau lendemain Verra se refléter entière son image Comme un arbre penché sur le bord du rivage Vous ne douterez plus de ma vérité Je suis sensible aux maux de notre humanité Et si de ma raison la logique est sévère C'est que l'amour pour moi n'a plus aucun mystère Et qu'il faut des flatteurs toujours se méfier C'est un plaisir pour eux que de nous voir pleurer. Honoré HARMAND Aux voluptés 13 mai 1907 Grands frissons que mon coeur a goûtés maintes fois Ivresses d'un instant, Passions fugitives Vous n'avez plus d'écho dans mes stances plaintives Pour chanter vos amours, je n'ai plus une voix Acceptez mon mépris fuyez grâces chétives Vous ne me verrez plus à l'ombre des grands bois Implorer le retour de vos troublants émois Et mon âme d'amour rêve sur d'autres rives J'ai compris le secret de vos amours vainqueurs Vains plaisirs qu'on achète et qui passez moqueurs Vous cachez le regret dans vos folles chimères Et si je dois un jour souffrir d'avoir aimé Si je trouve l'oubli de mes grandes misères Ce n'est pas près de vous que je l'aurai cherché. Honoré HARMAND Vers l'Idéal A l'ami RENARD 18 mai 1907 Cher ami j'ai reçu ta carte et tes souhaits Ta main les écrivit et ton coeur les a faits J'en suis touché vraiment et je te remercie De jeter un rayon de soleil dans ma vie. Je me désole en vain et suis découragé De voir, chaque matin, qu'il n'est rien de changé Dans l'ordre de mes jours à tous les jours semblables Serais-je condamné à des succès probables ? Je rêve à chaque instant de gloire et d'avenir Mais vivrai-je un seul jour pour ce suprême désir ? Pour être grand, tu sais, il faut de la fortune Gravir, en son palais, les marches une à une Fréquenter les salons où sous l'aile des arts Se cachent le génie et les talents bâtards Être noble de nom, et de coeur arriviste Sembler de son talent un parfait égoïste Parler toujours en oui, sans contradictions Livrer son jugement à mille opinions Taire ce que l'on pense et dire le contraire Flatter un ennemi et le traiter en frère Ecrire pour le monde et le changeant public Vanter Monsieur Un tel, l'encenser pour son chic Toujours être fécond en paroles mielleuses Ecrire les secrets des bandes crapuleuses Et sous un autre nom inventer le roman Du monde qui s'ennuie. Etre rouge, être blanc Je connais le secret de ce profond mystère Et sans lui, cher ami, on ne peut rien sur terre. Mais qu'importe vraiment à ma muse, ici bas La gloire et les honneurs. A d'innocents ébats Elle a livré ses jours ; et son insouciance A grandi dans mon âme. Un frisson d'espérance Désarmant mon ennui a calmé ma douleur D'où vient ce sentiment étranger à mon coeur Est-ce une trahison, un manège perfide Un piège à moi dressé ou la mort qui me guide Vers le néant des jours. Est-ce un troublant plaisir ? Un signe précurseur de mes mots à venir ? Ou bien de la raison le jugement sincère Qui fait qu'en l'avenir à cet instant j'espère ? Est-ce mot sacré par ton âme dicté L'Idéal, à mes yeux, dans sa grande beauté Apparaît-il ainsi quand perdu sur la route Je promène mes sens et ma foi en déroute Dois-je rire du monde ? Aux coupes de Circé Dois-je laisser les fous d'un breuvage embaumé Désaltérer leur soif ardente de plaisir Dois-je rêver d'amour et les laisser dormir ? Quand le soir tout repose au sein de la nature Et qu'on entend le bruit de l'onde qui murmure Et glisser le zéphyr dans les frêles roseaux Le coeur pour ses désirs a des frissons nouveaux Et devant ces tableaux de gloires grandioses Les yeux, dans les chardons, voient éclore des roses Et la muse en chantant, au poète attristé Sait rendre la douceur d'une folle gaîté. Que de fois écoutant ces voix harmonieuses Dans le calme rêvant des heures glorieuses N'ai-je pas dans mon coeur de deux amours distincts Partagé les baisers. Quand les flambeaux éteints Du soleil radieux dans un ciel sans nuages Me montraient la valeur des fragiles hommages Convoités par mon âme orgueilleuse à l'excès Je restais incrédule aux lois de l'insuccès Je rêvais ce bonheur qu'on prodigue et qui passe Comme un plaisir vécu dont trop vite on se lasse Je me croyais poète et ma folle raison Erigeait un palais de ma simple maison Ma table, mes brouillons, jusqu'à mes porte-plumes Avaient pour moi le prix des plus riches volumes Je rêvais l'Institut et mon front de lauriers Se couronnait déjà. Ainsi des jours entiers Je caressais mon rêve, abusé, insipide Jusqu'au jour où, lassé d'une gloire stupide Succombant sous l'effort de la réalité Je m'aperçus enfin que je m'étais trompé. Tu vins à mon secours et ta raison plus sage A guidé mon esquif vers un autre rivage Je savais le bonheur qu'on éprouve à rêver Mais l'Orgueil plus habile avait sû me charmer Entre ces deux amours mon coeur souvent dût vaincre Et sans toi cher ami rien n'eût pu me convaincre Des satisfactions, nombreuses, du repos Quand la lyre s'accorde à la voix des échos Quand lasse de plaisirs notre âme en infortune Cherche l'isolement pour rêver à la lune. Je n'irai plus jamais importuner le sort Puisque l'homme ici-bas se retrouve à la mort Egal à ceux qu'un jour, favori de la gloire Il prit pour des manants sans esprit sans mémoire Puisque la bourgeoisie et le peuple en haillons Aux portes du trépas tiennent réunions Puisqu'il n'est qu'une loi pour accuser nos crimes Puisqu'aux yeux du Néant, les bourreaux sont victimes Jour de tous les biens que la Création Enfanta pour former notre imperfection Telle est l'oeuvre sublime à laquelle en ce monde L'homme doit se vouer. Pas de vaine faconde Pas de coeurs vaniteux. Pas d'orgueil, de fierté Ayons tous l'un pour l'autre un mot Egalité Ne blâmons pas celui qui succombe à la charge Allégeons son fardeau. Que notre esprit plus large Conçoive ses efforts à leur juste valeur Faisons d'un homme faible un vrai gladiateur En tout et de tous temps montrons-nous charitables Soulageons l'infortune et plaignons les coupables Et que ceux que la Gloire a nommés dans ses rangs Ne fixent plus sur nous leurs yeux indifférents Vivons du même jour, de la même lumière Et dans chaque passant sachons trouver un frère Ne nous déchirons pas comme des animaux Ne nous faisons pas voir les sinistres tableaux De la puissance forte à braver la faiblesse Ne chargeons pas nos jours d'une vaine détresse Batailles de partis, luttes d'opinions Eclats d'obus, mortels, dans les réunions A ceux qui n'aiment pas enseignons la tendresse De notre coeur toujours, éloignons la tristesse Vivons heureux, mortels, puisque c'est notre « sort » Mais sachons nous apprendre à sourire à la Mort. Honoré HARMAND Aux enfants 27 mai 1907 Riez riez bien fort ô fragile jeunesse J'aime entendre la voix, le rire des enfants Tout change, tout, pour vous, quand vous devenez grands Est si tôt obscurci d'un voile de tristesse Puissiez-vous ignorer ô bambins caressants Le poids et la douleur d'une injuste détresse Et n'envier jamais la plus belle vieillesse Il est si cher, hélas, le prix des cheveux blancs Puissiez-vous, dans vos yeux ne voir couler des larmes Que dans vos coeurs l'espoir vive au lieu des larmes Que les maux loin de vous passent sans s'arrêter L'enfant est un rayon des clartés de l'aurore C'est une fleur d'amour qu'un baiser fait éclore Et qui se fane vite aux chaleurs d'un baiser. Honoré HARMAND Mélancolie 27 mai 1907 Lassé de tout amour incertain de ma route Je ne sais seulement où je m'arrêterai Mais que m'importe à moi le lieu où je vivrai Puisque je suis perdu, dans le désert du doute Mes jours s'écouleront, en pleurant je suivrai Leur fantôme guidant mon esprit en déroute Au sein du désespoir la mort si peu nous coûte Pour le prix d'un plaisir moi je l'achèterai J'achèterai les maux répandus sur la terre Les tristesses du Monde et l'ennui qui l'atterre Et je les offrirai en guise de cadeau Au dieu qui de mes jours calculant l'espérance Voulût que mon désir égal à ma souffrance Où d'autres voient l'amour me fit voir un tombeau. Honoré HARMAND Stances à l'Aimée A Jeanne CHAPELLE 27 mai 1907 Qui donc m'éloigne de ma route Quand, le coeur torturé de doute Je vais comme un fou éploré Qui chasse mes grandes tristesses A l'heure où de folles ivresses Mon désir est désabusé Dis ? Est-ce toi femme chérie Qui viens dans mon âme affaiblie Ranimer l'espoir et la vie Quand l'espoir même j'ai pleuré ? Est-ce dans ton amour qui chante Que j'ai puisé la foi troublante De sourire à mon avenir Ou le passé qui me rappelle Les promesses de l'infidèle Pour qui je ne sais plus souffrir Est-ce un jeu de ma confiance Un témoignage d'assurance Quand je sens grandir la distance Qui m'éloigne du souvenir Oui, c'est toi, toi seule, que j'aime Qui parle à cette heure suprême Les douces chansons de l'amour Quand les tendresses fugitives Promènent leurs ombres lascives Aux dernières clartés du jour C'est ta beauté resplendissante C'est ta gaieté douce et charmante C'est ton sourire qui me tente Et sait me griser tour à tour C'est toi qui me guide en ce monde Qui veille dans la nuit profonde Sur mon sommeil à chaque instant Quand une vision m'agite Quand je crois voir à ma poursuite S'élancer un spectre effrayant Tu me défends comme une mère Et quand le doute m'exaspère Tu sais désarmer ma colère De ta voix dolente d'enfant C'est toi qui me montre la route Où loin du mensonge et du doute Les époux savent s'adorer Toi qui loin des grandes tristesses Séchant mes pleurs par des caresses Dans mon coeur sait tout effacer C'est toi seule ô Jeanne chérie Toi qui dans mon âme affaiblie Ranime l'espoir et la vie Et la tendresse d'un baiser. Honoré HARMAND La Môme 17 août 1907 Sur l'air de « Fils de Purotin » La môme naît le plus souvent Dans un quartier sale et puant Au fond de la ville Fruit d'une nuit au cabaret Où l'amour meurt où le vice est Facile Elle pousse sans qu'on en pren'soin Et grandit chaqu'jour dans l'besoin Et la misère Sans coeur et sans éducation Ell'n'aim'que la prostitution Sa mère Un jour ell'écout'd'un sout'neur Les mots doux le rire moqueur Les chansons rosses Il l'emmen'avec lui coucher Ell'est content'de s'fair'appeler Ma gosse Mais un soir loin de la maison Ell'dort au fond d'une prison La guign'commence Dans la poche d'un bon bourgeois Ell's'est fait pincer plusieurs fois Pas d'chance Son amant la quitte un matin Ell'pour noyer son chagrin S'donne à l'ivresse Ell'boit, chaqu'jour grandit son mal On la retrouv'à l'hôpital Détresse Mais dans les bras d'la charité On n'est pas longtemps dorloté Vit'c'est la porte Le désespoir lui prend la main Un soir le canal saint Martin L'emporte A la morgue son corps glacé L'lend'main sur le marbre étalé S'offre à la vue Ell'dort sous l'aile du Trépas Com'tant d'malheureux ell'n'est pas Connue Dans la fosse des indigents On l'enterr'avec ses vingt ans Déjà vieillie Et c'est ainsi qu'au cabaret L'amour s'efface et le regret S'oublie Honoré HARMAND Si j'étais Riche A Jeanne ma femme 23 août 1907 Si j'étais riche je voudrais Que tu sois la reine des belles Que tes frous-frous et tes dentelles Troublent les regards indiscrets Je voudrais te voir conquérante Briller toujours au premier rang Et dans le Paris élégant Etre la plus intéressante Je voudrais voir à tes genoux Prosternés les tendres poètes Et les femmes les plus coquettes Voir même les anges jaloux Descendre du ciel sur la terre Et dans une tendre chanson Vénérer ta gloire et ton nom Mais je suis fils de la Misère Qu'importe, puisque ta beauté N'emprunte pas à la richesse Comme à la lèvre une caresse Nous sommes fous de volupté Tu es conquérante en mon âme Tu es la reine de mon coeur Et ton regard doux et vainqueur Grandit mon amour et l'enflamme Qu'importent les anges jaloux Les poètes les élégantes Puisque le soir aux heures lentes Je viens rêver à tes genoux. Honoré HARMAND Réalités 6 septembre 1907 Un acte en vers, personnages. L'époux, l'épouse, l'amie. Au lever du rideau, la femme est occupée à sa couture ; l'aspect misérable de la pièce indique combien la misère est maîtresse dans la maison. L'époux (Henri), l'épouse (Lizon), l'amie (Nelly). (L'épouse regardant un réveil sur la table) Le temps passe aujourd'hui, il est déjà six heures Mille et une clartés brillent dans les demeures Où le travail pressé prodigue sa gaîté Pour le prix de l'effort qu'on a vite oublié Quand on rentre le soir qu'ensemble on se retrouve Pour se parler d'amour, des ennuis qu'on éprouve De ces futilités chères aux grands enfants Et que la jeune fille a lu dans les romans Dans l'esprit des auteurs la page est toujours belle Mais le mal est caché sous leur plume rebelle (Interrompue par un bruit de pas dans l'escalier Elle écoute, on frappe) Entrez Toi par ici je ne m'attendais pas Nelly A moi me diras-tu Lizon Dans un quartier si bas Où ne pénètre hélas que l'affreuse misère Où le jour effrayé, d'un peu de sa lumière Dote les habitants ; mais où le beau soleil Ne reflète jamais un seul rayon vermeil. Le pauvre est un proscrit qui pleure et désespère Il ne sent pas le feu du soleil qui l'éclaire Nelly Je m'ennuyais de toi j'ai voulu te revoir Lizon (avec tristesse) Mais le bonheur hélas fit place au désespoir Pendant ces jours troublés de douleurs et d'ivresses Que n'ai-je pas connu le prix de mes tristesses Et toi bonne Nelly que fis-tu de tes jours Nelly Mon coeur vide de toi écouta les amours D'un jeune homme charmant et de bonne famille Et cela m'eût déplu de rester vieille fille Aussi sans hésiter j'acceptai ses aveux Et je dis au Destin d'exaucer tous mes voeux (Après une pause) Je te cherchais partout Lizon Je n'étais plus en France Nelly Tu voyageais sans doute ô quelle insouciance J'attendais une lettre, une carte de toi Mais rien. J'ai pardonné tu n'étais plus à moi Et par mille plaisirs à chaque heure absorbée Ton amitié pour moi s'était vite effacée Je ne t'en blâme pas dans le fond de nos coeurs Les plus chers souvenirs font souvent les dormeurs Et le Temps effaceur des gaîtés, des tristesses Fait d'un Passé joyeux affaiblir les tendresses (Après une pause) Et je devins épouse heureuse de mon choix Pendant ce temps enfui un an et quelques mois L'amour avait changé mon Destin et ma vie Mon mari remplaça ma plus fidèle amie Lizon Mais comment dans Paris dans ce sombre quartier Le hazard aujourd'hui nous fait-il retrouver Nelly Pardonne mon sans-gêne aux courtiers d'une agence J'ai livré mon secret et leur expérience A trouvé le refuge où ton nom se cachait Et quelques jours plus tard Nelly te revenait (Après une pause) Voilà dix ans sais-tu que pour ton mariage Folle dans la maison je faisais grand tapage Levée au point du jour j'aurais tout renversé Père dormait encor le bruit l'a réveillé C'est que pour ma Lizette en ce jour mémorable J'aurais tout entrepris Lizon Comme tu es aimable Te souvient-il encor de ce temps bienheureux Nelly Oui mais le souvenir si cher, si précieux Des beaux jours disparus, de ces jours pleins de charmes Je crois ma pauvre amie éveillera tes larmes Lizon Ne crains pas pour mon coeur il s'est bien endurci Depuis que sur mon front s'est gravé le souci Tu puis me rappeler cette heure fugitive Malgré que du Bonheur le Destin me proscrive Je ne veux oublier les beaux jours disparus J'aime encor le Passé, ses rêves entrevus Son règne plein d'envie et ses folles chimères Et son voile de deuil par ses peines légères Tissé, les soirs d'amour fertiles en chagrins Car jeunes, à pleurer nous sommes tous enclins Nelly Ainsi puisque tu veux me forcer à te dire Ce que j'eus dû te taire et tu vas m'en maudire Je vais dans le détail reparler du Passé A la page sublime Lizon Écoute on a frappé Nelly Je n'ai rien entendu (après une pause) Alors je continue La foule du quartier était toute accourue Pour te voir à l'église ainsi que ton mari Lizon Hélas je m'en souviens j'avais plus d'un ami Dans ce vaste quartier. D'abord les jeunes filles J'avais de bons voisins, de nombreuses familles Me donnaient de l'ouvrage et ne s'en plaignaient pas On me disait toujours vos prix sont bien trop bas Vous travaillez pour rien, auprès de vos fatigues Mais que veux-tu Nelly, les grands coeurs sont prodigues Le bien que j'ai pu faire en un temps reculé Beaucoup me l'ont rendu. J'avais leur amitié Nelly (avec volubilité) Comme on te regardait avec ta robe blanche C'est toujours son sourire et cette gaîté franche Que nous lui connaissions. Disait un pauvre vieux Un autre d'ajouter comme elle a de beaux yeux On entendait partout des bons mots, des louanges Regardez la jeunesse on dirait des mésanges Lizon (avec amertume) La vie est vraiment belle en ces jours de gaîté Mais de ce temps heureux que m'est-il donc resté Rien que de la tristesse. Nelly Et d'une bonne amie Le coeur dont l'amitié ne s'est jamais tarie Ne m'as-tu pas promis de taire tes douleurs Lizon Oui, tu sais la pensée est maîtresse des pleurs Je veux me contenir Nelly est-ce possible Nelly Tristesse naturelle en une âme sensible (Reprenant) Après les deux repas furent faits pleins d'entrain Ton père a dit le soir je veux qu'un lendemain Couronne cette fête heureuse et mémorable J'espère de grand coeur vous revoir tous à table Lizon Tu es bonne Nelly mais veux-tu qu'à mon tour Je fasse le récit de mes pages d'amour Nelly Avec plaisir ; D'abord le début c'est des roses Mais pour la fin je crois des histoires moroses Viendront trop m'expliquer ce que tu as souffert Pour toi bonne Lizon mon coeur est grand ouvert Racontes-moi ta vie et dis-moi sans mystère Ce qu'on souffre ici-bas au sein de la misère Et ce qu'un souvenir dans les jours les plus noirs Quand il vient du bonheur peut sur nos désespoirs Lizon Oui ma bonne Nelly oui je vais tout te dire Mon bonheur au début était un long délire Henri était charmant Nelly (avec amertume) Mais il a bien changé Lizon Prévenant envers moi. A toute heure empressé Ne se retardant pas courageux à l'ouvrage Il rapportait son gain et jamais un nuage N'assombrissait les cieux au pays de l'amour Nelly (surexcitée) Rien n'eût fait supposer que ce monsieur un jour Deviendrait si brutal si lâche envers sa femme Lizon ton bel Henri c'est un homme sans âme Lizon (timidement) Je l'aime encor Nelly malgré qu'il soit méchant Je l'aimerai, le mal fût-il vingt fois plus grand Nelly Tu l'aimes, mais le coeur doux et plein d'indulgence Se révolte parfois en voyant ta souffrance Puis-je me contenir Lizon Je comprends ton émoi Nelly Si je veux partager ton malheur avec toi T'y opposeras-tu, non n'est-ce pas Lizette Je me souviens encor quand tu étais fillette Lizon Nelly, quand nous étions Nelly Excuses mon erreur Je me souviens d'un jour où tu m'ouvris ton coeur J'avais un gros chagrin une idylle manquée Tu pris part à ma peine elle était insensée Et ce jour là je vis à ta voix à tes pleurs Que j'avais une amie ; à présent tes douleurs Appellent au secours ces fidèles amies Combien ont répondu aux plaintes assourdies Que tu lanças tout bas Lizon Aucune excepté toi Nelly Tu veux donc oublier ce que tu fis pour moi Lizon Arrêtons du Passé la course vagabonde Car de bons souvenirs sa source est trop profonde Revenons en avant. Nous ne manquions de rien Nous prenions du plaisir sans oublier le bien Beaucoup de malheureux connaissaient la demeure Mais nous avions nos gens. Ils n'oubliaient pas l'heure. Henri très généreux dépensait sans compter Nelly Vous aviez de l'argent ce n'est pas à blâmer Mais il faut mettre un frein aux désirs qui nous tentent Le plaisir bien souvent a des clartés qui mentent Aux yeux des insensés. Lizon Là est tout notre cas Il eût dû réfléchir c'est ce qu'il ne fit pas Alors à son esprit un bien sombre problème Absorbant fût dicté par une main suprême Un démon invisible un de ces dieux méchants Qui dirigent le monde au sein des éléments Veillait sur mon époux. Hélas c'était l'alerte Puis vint l'entraînement alors ce fût sa perte Certains soirs fortement Nelly nous disputions Lui rappelant le temps où ses attentions Prodiguaient le bonheur à nos âmes rêveuses L'emportement d'un soir suivi d'heures heureuses Enfin tout le Passé le plus doux, le plus cher A mon coeur que pour moi je le crois mort d'hier Ils ne changeaient en rien son étrange attitude Son âme était fermée à la béatitude Nelly Te permit-il encor afin de prévenir La misère au foyer de chercher à sortir De ce sombre embarras où l'inconduite plonge Lizon Quand un soir je lui dis : le grand mal qui te ronge Par un remède heureux peut-il être guéri ? Nelly Et qu'a-t'il répondu ? Lizon Non tout est bien fini J'ajoutai cher Henri j'ai trouvé le remède Ton mal est guérissable et je viens à ton aide Dès aujourd'hui je veux comme toi travailler Il nous faut de l'argent je saurai en gagner Il sembla réfléchir. Puis d'une voix colère Il dit je ne veux pas que tu sois ouvrière Nelly C'était à cet instant qu'il te fallait parler Lui donner des conseils lentement l'exhorter Qu'il était encor temps de prévenir l'orage Que lui seul le pouvait, lui maître du ménage En parlant du Passé de son riant bonheur Le souvenir peut-être eût fait vibrer son coeur Lizon Vains efforts sans succès Nelly Que fîtes-vous pour vivre Lizon Je songeai un instant à nous laisser poursuivre Mon espoir était mort Nelly Toi Lizon tu vivais Lizon J'interrogeai mon âme elle me dit jamais Tu n'abandonneras l'auteur de ta détresse S'il est le maître ici toi tu es la maîtresse En cette qualité dans ton coeur le devoir Doit défendre d'entrer le sombre désespoir Nelly Craignais-tu la souffrance à cette heure suprême Lizon Honteuse, ce jour là j'ai rougi de moi-même Nelly La misère pardonne à ces égarements Lizon A ceux qui n'aiment pas, aux fous inconscients Mais à ceux dont le coeur toujours prêt à défendre Aime ses insulteurs sans vouloir les comprendre La faiblesse à ceux là peut-elle pardonner Je ne crois pas Nelly permets-moi d'en douter Nelly (exaspérée) Ainsi il rejetait un projet si facile Lizon Rien ne saurait entrer dans un cerveau d'argile Nelly Henri est un goujat tu demandais du pain Tu voulais son bonheur quand il signait ta fin Lizon A vivre malgré tout je me suis efforcée Et depuis quelques mois je gagne ma journée Un bien maigre salaire et surtout bien du mal Jusqu'au jour de ma mort voilà mon idéal Je suis pauvre Nelly mais suis toujours honnête Pour un grand magasin je fais la chemisette Je gagne bien ma vie à la bonne saison L'Hiver ça ne va plus. Pour une autre maison Je travaille et mon gain acquitte le chauffage On vous offre si peu encor sans marchandage Nelly Ah, c'est bien là Paris dans sa réalité Pas assez de travail pour trop de pauvreté Lizon Heureusement l'hiver mon peu d'économies Protège mes efforts des sombres tragédies Qu'on voit en ces quartiers miséreux à l'excès Eh puis si tu savais le nombre des décès Qu'on apprend tous les jours Nelly Et chaque cause est claire Lizon Souvent la même hélas drame de la misère Nelly Et dans les hauts milieux il n'est pas une voix Appelant au secours de ces gueux aux abois (Après une pause) Si Henri devinait que tu es ouvrière Lizon Je me plaindrais Nelly vois d'ici sa colère J'y pense à chaque instant Nelly J'ai trouvé un moyen Lizon De cacher mon travail Nelly Ton problème est le mien (Nelly jette un regard sur le réveil, elle se lève et s'apprête à partir) L'heure tourne ce soir Lizon Encore une minute Nelly Je ne puis pas Lizon si mon mari dispute Lizon Il sait que tu es là Nelly Oui, mais n'abusons pas Il me faut préparer notre simple repas Lizon Comme tu es pressée Nelly Ayons de la prudence Pour voir à nos projets sourire l'indulgence Je reviendrai te voir souvent et de tout coeur Je fus à ta gaîté je suis à ton malheur Lizon Ton temps est précieux mais je suis si gourmande De la franche amitié qui fut pour moi si grande Que je voudrais t'avoir toujours là près de moi Nelly Demande à mon mari et s'il dit comme toi Je reviendrai demain te tenir compagnie Lizon (émue) Viens dans mes bras Nelly embrasse ton amie (Elles s'embrassent avec effusion) Nelly (en partant) Au revoir à bientôt d'ici huit jours au plus Lizon Au revoir et surtout ne faisons pas d'abus Dis bien à ton époux que je le remercie De toutes vos bontés (Un silence et Lizon s'assied absorbée) Quelle péripétie Nelly dans ce quartier mal pavé, si boueux A l'accès difficile aux chemins tortueux Elle, dans ce taudis à l'aspect misérable Si différent des jours où le vin sur la table Indiquait le bien-être aux yeux du visiteur L'Aisance avec l'Amour enfantaient le bonheur Mon père le disait je puis le dire encore Comme un parfum troublant le plaisir s'évapore (On entend du bruit dans l'escalier) Lizon Cette fois c'est bien lui, j'oubliais le dîner (Elle s'empresse de cacher son ouvrage. Henri entre, elle le regarde) ; (À l'aparté) Toujours la même tête il ne veut pas changer (Lui, après s'être débarrassé de son chapeau, il se met à table) Henri La soupe est préparée Lizon Oui, je la sers de suite Henri J'aime l'exactitude et je te félicite Il te faut bien du temps, serait-ce pour demain Lizon Non, c'est pour aujourd'hui (Elle le sert) Henri Ah, je respire (Dans un soupir) Enfin Potage désiré te voilà donc servi Je comprends le retard. Un beau soleil a lui Tentateur engageant pour une promenade Madame sans courage avec sa camarade Est sortie au jardin montrer à tous les yeux La misère en jupon moi j'eus été honteux A votre place. Et vous pour flatter votre envie Admirez la richesse et l'auriez bien suivie Si quelque prétendant à votre coeur sans feu Vous eut causé d'amour vous en eut fait l'aveu Lizon (feignant l'étonnée) Je ne comprends pas bien ce que tu veux me dire Henri Vous cachez votre jeu combien je vous admire Je ne répète pas mais vous avez compris Le loup sait revêtir la toison des brebis Combien un coeur de femme a d'amitié trompeuse Lizon (élevant la voix) Alors tu me prends donc pour l'épouse menteuse Qui cache ses défauts sous un baiser d'amour Et sait aimer l'amant et l'époux tour à tour Je reste sourde Henri à ton injuste offense Henri Madame, un homme franc sait dire ce qu'il pense Lizon Si je croyais cela j'aimerais mieux partir Henri Libre à vous partez donc si c'est votre désir Lizon (plus douce) Tu sais trop que je t'aime et qu'au fond de mon âme Ton doux nom est gravé Henri (narquois) C'est assez de réclame Servez-moi mon dîner ça vaudra beaucoup mieux Mon coeur est refroidi eh puis je suis trop vieux Pour écouter ainsi votre sublime histoire Lizon Que peut un rêve rose au fond d'une âme noire Henri (goûtant le boeuf) La soupe était infecte et le boeuf est incuit Me voilà restauré je puis dormir ma nuit (Il se tourne de biais et semble réfléchir) Lizon (à l'aparté) Il ne demande pas quelle main charitable Sert ce soir par hazard la viande sur la table Je l'ignore moi-même ou crois le deviner Le grand coeur de Nelly serait-il étranger A ce soulagement des misères honteuses Qui se cachent dans l'ombre et se comptent nombreuses J'en doute elle est si bonne. Henri (moqueur) Avez-vous des chagrins Lizon Je souffre seulement d'un injuste dédain Car jadis mon mari prévenant pour sa femme Ne la regarde plus que comme un être infâme Qui trompe et du mensonge apprenant tous les jeux Semble n'en aimer qu'un quand son coeur est à deux Mon coeur est à toi seul Henri veux-tu me croire Un seul des souvenirs gravés dans ta mémoire Pourrait tout expliquer des beaux jours disparus Henri A quoi bon réveiller le bonheur qui n'est plus Vous voulez donc souffrir en regardant l'image D'un passé fugitif ce n'est plus de notre age. Lizon Alors ton coeur glacé a donc peur de souffrir Tu reconnais ta faute et craindrais d'en rougir Si je te rappelais les heureuses chimères D'un temps bien regretté Henri (moqueur) Aux heures éphémères Lizon Moque toi de ma peine homme superficiel Tu possédais sans doute un coeur artificiel Henri Vous avez avec moi partagé mes folies Vous fûtes le témoin des choses accomplies Pour en ce temps-là arrêtant la fureur De mes emportements n'avez-vous du malheur Prévu l'heure fatale. Etes-vous moins coupable Que moi, qui suis aussi un êtres misérable Lizon J'étais jeune et suivais l'ordre de tes désirs J'ai soldé par des pleurs le prix de mes plaisirs Henri Dites que vous aimiez à fréquenter le monde La gaîté, son entrain dont la source profonde Aux yeux des pauvres fous ne semble pas tarir Lizon Mais le bonheur perdu peut se reconquérir Henri J'attendais ces bons mots. Toujours votre espérance Regardez le logis, voyez la décadence Qui nous plonge au dessous du plus juste niveau Lizon Nous pouvons à nous deux combattre le fléau Le travail est d'abord un remède efficace Henri Le travail, le travail que vous êtes bonasse C'est un délassement, pour les gens courageux Lizon Il est le cauchemar de tous les paresseux Henri (élevant la voix) Vous vous montrez madame et si je crois comprendre Mon épouse à présent est prête à se défendre Ainsi, vous m'attaquez, sans crainte Lizon Ni frayeur Henri (courroucé) Suis-je le maître ici? Lizon Oui maître sans honneur Quand on est ouvrier on peut en honnête homme Vivre, aimer son foyer Henri Très bonne idée en somme (À l'aparté) Comme vous raisonnez, Henri prends ça pour toi Lizon Je dis ce que je pense et le dis sans émoi Henri (furieux) Lizette taisez-vous car je sens la colère Obscurcir mes pensers Lizon Quel méchant caractère Et combien la débauche est un poison brutal Elle te pris agneau elle te rend chacal Henri Je rapporte mon gain et voilà qu'on me blâme Lizon Peut-on mentir ainsi. Tu es un être infâme Comme on en voit hélas que trop dans les milieux Où l'ivresse console et rend le pauvre heureux Ce qu'on peut voir est triste au soir d'une quinzaine Les femmes, les enfants, de peur qu'on ne l'entraîne Au fond des cabarets, attendent leur mari Leur père et quelquefois s'attablant avec lui On a vu les bambins assis près de leur mère Henri Quoi de plus naturel Lizon Une peine sévère Devrait être infligée à de pareilles gens Henri Ils sont libres je crois de boire à leurs tourments Lizon Insensé que tu es homme sans énergie Tu puis les soutenir, conscience élargie Par ce que chaque jour il t'est donné de voir Exemple d'un matin qu'on peut suivre le soir Ce que tu fais d'ailleurs Henri (menaçant) C'est assez d'insolences Lizon Je tiens à te solder le prix de tes offenses Henri Vous ne me craignez plus, vous élevez la voix Et faites plus de bruit qu'une meute aux abois Mais ne craignez-vous pas par cet air satirique Exciter ma douceur Lizon Tu es si lunatique Henri Je veux être obéi et ne prétendrai pas Qu'on discute mon droit et ce dans aucun cas Lizon (ironique) Tu es maître il est vrai. Moi je suis ta servante Je dois être soumise, aimable, prévoyante Je suis là pour veiller, à l'heure te servir J'y suis pour tes besoins et toi pour m'asservir Henri Vous vous plaignez sur tout. Qu'est-ce donc qui vous tente Vous avez dû souffrir d'une si longue attente J'ai compris le manège on vous réclame ailleurs Partez donc loin de moi vivre des jours meilleurs Depuis bientôt deux ans tel est notre Destin C'est assez j'en ai trop de cette vie en larmes Le Divorce s'impose arrêtons nos alarmes Quand la sagesse parle il nous faut l'écouter Je tiens trop à mon nom pour le déshonorer Lizon Le divorce est un mal que les gens sans scrupule Ont dû croire inventer pour la classe crapule Mais le monde connaît tout aussi bien que moi Combien le peuple abject se moque de la loi Et cette invention peut s'expliquer sans peine Un membre corrompu infesté de gangrène Henri Comme vous parlez bien Lizon Je ne t'attendris pas Revivons ce beau jour où timide à ton bras J'allais de blanc vêtue. Au sortir de l'église Tu me disais des mots Henri Oui quelque phrase exquise Qu'on trouve ce jour-là et qu'efface l'oubli Lizon Mon coeur est jeune encor si le tien a vieilli Tu me disais Lizette écoute ma promesse Je n'aimerai que toi. Jamais une tristesse Ne troublera le rêve où se plaisent nos coeurs Et s'il nous faut lutter si de grandes douleurs Assombrissent tes yeux de leur épais nuage Henri ton bien-aimé dissipera l'orage Et le temps a passé tes promesses aussi Henri Pourquoi vous attendrir et proclamer ainsi La valeur des serments que ma lèvre insensée Prononça sans raison sans même une pensée Lizon Oublions la chicane et toi à l'atelier Travaille avec ardeur sois un bon ouvrier N'écoute pas les gens qui savent ta faiblesse Et n'ont qu'un seul désir une égale détresse Ils sont jaloux de toi, ils sont fourbes menteurs Henri n'écoute pas les mauvais conseilleurs En travaillant tous deux la paix dans le ménage Reviendra comme aux jours heureux du mariage Henri Je n'ai qu'une parole et vos tentations Ne troublent plus mon coeur assez d'émotions Assez de ces discours aux paroles mielleuses Qui sont le point d'appui des grandes enjôleuses Lizon Henri tu veux ma mort, me séparer de toi Henri Il faut vous y attendre Lizon Hélas quel désarroi (Espérant l'attendrir) Tu ne quitteras pas ta Lizette chérie Comme tu m'appelais Henri Quelle supercherie Lizon On n'aime qu'une fois et mon amour jaloux Ne permettra jamais que d'autres rendez-vous T'absorbent à ce point. Je suis encor ta femme Nous sommes enchaînés Henri Je suis libre madame D'aimer qui bon me semble et vous aussi d'ailleurs Je vous ai déjà dit de contenir vos pleurs Puisque nous divorçons plus rien ne nous attache Lizon (affaiblie) Ces mots cinglent mon coeur tel un coup de cravache (Tentant un dernier effort) Alors c'est bien fini Henri Madame pour toujours Lizon Tu t'éloignes de moi quand j'appelle au secours Henri n'entends-tu pas ta juste conscience Condamner les projets de ton indifférence Tout est-il mort en toi (Elle s'approche) Henri Tout jusqu'au souvenir Ecartez-vous de moi Lizon Si je veux te chérir Henri Eh que m'importeront vos plus tendres caresses L'amour à chaque instant c'est l'oeuvre des maîtresses (Elle s'assied sur une chaise) Eloignez-vous de moi. Vers un autre bonheur Je partirai demain. Un avenir meilleur Pour vous s'ouvre peut-être et votre âme affaiblie Retrouvera sa force au sein d'une autre vie Nous sommes désormais comme deux inconnus Lizon (résignée, à voix basse) Puisqu'au fond de ton coeur les beaux jours disparus Sont restés sans écho. Henri C'est assez de mes peines Sans ajouter le poids de souvenances vaines Du fardeau que je porte alourdi à l'excès Peut-être suis-je né au jour de l'insuccès Quant à nous vers un but qu'on ne saurait atteindre Ne nous engageons pas. L'amour vient de s'éteindre Dans le silence affreux de la réalité Adieu Lizon. Mon coeur reprend sa liberté. Fin Honoré HARMAND J'ai trop rêvé 8 septembre 1907 Que de fois promenant mes regards dans ma chambre Où je fus inspiré de la Nuit de septembre N'ai-je pas revécu mon passé déjà loin Objets sacrés d'antan, précieuses images Livres du souvenir aux si troublantes pages Pourquoi vous conservé-je avec autant de soin Ici quelques tableaux. Diplômes du jeune âge Où l'amour n'entravait pas encore mon courage Quand devant le public on prononçait mon nom Onze ans, gai souvenir d'un heureux jour de fête Image symbolique où la foi se reflète Dans l'âme de l'enfant à sa communion A côté récompense aux efforts de l'étude Certificat acquis sans la sollicitude Que le mauvais élève appelle à son succès Là souvenir charmant où mon coeur était libre Où je fermais l'oreille à la lyre qui vibre Pour me donner aux arts tout entier, sans excès Et sur le mur en face exercices physiques Diplôme bien gagné des efforts athlétiques Quand sur la longue route on me voyait marchant En ce temps là j'avais au coeur une blessure Et je cherchais le mort pour calmer la torture D'un grand chagrin d'amour au souvenir méchant Et le temps a passé emportant de ma gloire L'instant trop éphémère où fier de ma victoire Je me croyais l'élu de l'Immortalité Rien n'est changé pourtant à ce qui m'environne Mon front est surchargé de la même couronne Mais j'ai fait un grand pas vers la fatalité Tout change dans ma vie et plus mon ombre avance Sur la route des jours. Je sens que l'espérance M'abandonne et me fuit. Suis-je donc condamné A pleurer quand le monde aux ivresses du rire Se livre tout entier. Ai-je brisé ma lyre Dois-je me repentir pour avoir trop chanté Dois-je garder ainsi dans le fond de mon âme Le secret de ce temps où d'une ardente flamme Le désir animant ma tendre volupté Et s'il m'est défendu quand l'heure sonne brève D'abuser follement des douceurs d'un beau rêve Je comprends ma douleur c'est d'avoir trop rêvé. Honoré HARMAND La lettre A M. et Mme HEURTAULT 9 septembre 1907 Tous les deux attentifs et penchés sur la table La femme et le mari lisent silencieux Est-ce un conte vieilli, un dicton, une fable Ou bien une chanson qui fait pleurer leurs yeux C'est une longue lettre et qui doit beaucoup dire Car lisant chaque mot, plus surpris, plus émus Ils s'efforcent en vain ensemble de sourire Mais laissent échapper des soupirs contenus Un ami délaissé du fond de sa province Pour confondre le temps a griffonné ces mots Et son double plaisir de la plume qui grince Et du style anobli a troublé leur repos La lettre est douloureuse harmonieuse et tendre Et s'embrassant parfois d'un regard plein d'amour Et comme on ferme un livre pour mieux le comprendre Ils ont fermé la lettre et l'ouvrent tour à tour C'est un passé joyeux abusé de tendresses Qui revit à l'instant tout au fond de leur coeur C'est un passé joyeux assombri de tristesses Comme le deuil attriste et la gloire et l'honneur C'est l'âge heureux de vivre où les tendres chimères S 'éveillent à l'abri de nos réalités Où le destin trompeur excuse nos prières Quand au pied de son temple il nous voit prosternés Et tous deux à voix basse achèvent la lecture Et troublant d'un penser l'ombre du souvenir Fixant leurs yeux rêveurs sur la longue écriture Abusés et muets ils semblent réfléchir Et voulant du passé voir revivre l'image Ils s'enlacent encor comme aux jours disparus Comme l'épouse en deuil sous les yeux du rivage Enlace tendrement ses enfants revenus. Honoré HARMAND Mes souhaits A l'occasion de leur mariage, à mon ami Daniel et à son épouse 10 septembre 1907 Ainsi bien chers amis le jour tant attendu Et son cortège d'or dans vos coeurs est venu Apportant les cadeaux les plus chers de la vie Ceux qui avec notre âme ont la tendre harmonie De l'onde qui murmure au sein caché des bois Et la valeur d'un rêve envié tant de fois Vous voilà chers époux unis dans l'existence Livrés à la tempête aux pleurs à l'espérance Au calme de l'amour dans sa simplicité A ses bienfaits cachés dans la Félicité. Ce jour tant désiré et qui passe si vite Laisse des souvenirs attachés à sa suite Comme un roi détrôné en quittant son palais Fixe au trône perdu la chaîne des regrets Attachez vos sentiments. Fécondité d'une heure Dont le souvenir seul calme l'homme qui pleure A ce jour qui bientôt franchira du passé Le temple à nos regards dans l'avenir, caché Le Temps passe rapide et notre Destinée Longtemps avant de naître est déjà condamnée Aimez la follement et ne la poussez pas Comme les insensés dans l'ombre du trépas Sachez du vrai bonheur abuser tous les charmes Et que chaque matin à l'abri des alarmes S'éveille comme l'astre éblouissant des cieux Comme au sein des hivers naît un printemps joyeux Caressez la chimère où la gaîté se puise Que jamais dans vos coeurs l'amitié ne s'épuise Et les jours passeront rapides dans leurs cours Au jour cher d'aujourd'hui s'enchaîneront les jours Et d'un pas assuré marchant à l'aventure Vous chanterez joyeux l'amour et la nature Et sans savoir, poussés vers le néant fatal Vous aurez pour la mort un hymne triomphal. Et puis vous connaîtrez ce que je vous souhaite L'art de savoir créer c'est un art qu'on convoite Et vous aurez aussi le magique plaisir De contempler les jours si pressés de s'enfuir Les jours de la jeunesse où votre tendre mère Sur votre lèvre rose embrassait sa chimère Et ranimait encor les souvenirs confus Des soirs tendres d'amour aux baisers éperdus Puissent tous les bonheurs, toutes les allégresses En ce jour dans vos coeurs partager leurs largesses Puisse cette heure chère à vos plus chers projets Sourire et dévoiler ses plus tendres secrets Et sur votre chemin où les fleurs sont écloses Aux tiges des chardons vous cueillerez des roses. Honoré HARMAND Te rappelles-tu? Version 1937 C'est après la lecture de la chanson « les redirais-tu ces mots adorés » d'Eugène MANUEL, que je me suis attaqué à son imitation et que sans prétention ma muse a chanté elle aussi les douces émotions du passé « t'en rappelles-tu ? ». Quand nous revenions sur la grande route Tu m'as fait, un soir, de tendres aveux. Tu m'as dit : jamais, les pleurs qu'on redoute Ne viendront ternir l'azur de tes yeux. Aimons-nous toujours. Dans notre pensée N'ayons d'autre ivresse que la vertu. Je t'épouserai belle fiancée : De ce soir d'amour te rappelles-tu ? Quand nous revenions, au clair de la lune Tu m'as dit un soir : vois au firmament L'étoile d'amour brille en la nuit brune Mais son règne hélas ! Est d'un court instant. L'aurore bientôt déploiera ses voiles Tout s'effacera quand viendra le jour. Mon rêve n'est pas comme les étoiles : Te rappelles-tu de ce soir d'amour ? Quand nous revenions à travers la plaine Tu m'as dis un soir d'automne doré Dans les blés mûris le vent souffle à peine De feuilles déjà le sol est jonché. La Jeunesse est fille du fier courage Notre coeur encor n'est pas abattu De désespérer nous n'avons pas l'âge De ce soir d 'amour te rappelles-tu ? Quand nous revenions tout couverts de neige Par un soir d'hiver tu m'as dit tout bas Si notre bonheur trop vite s'abrège Si nous vieillissons ne faiblissons pas. Qu'importe à nos coeurs le froid de la tombe Puisque nous aurons un autre séjour. L'âme ne meurt pas si le corps succombe : Te rappelles-tu de ce soir d'amour ? Honoré HARMAND Heureux qui. . . 15 septembre 1907 Ecrit au crayon sur la cabine du gardien de phare à Saint Valery en Caux le 15 septembre 1907 le quatrain suivant qui m'a été inspiré par la vue de la mer immense et la pensée de ses mystères impénétrables. Heureux qui sur les flots de la mer démontée Part un soir de printemps pour bientôt revenir Et fixe avec bonheur au grand mot Destinée Le mot plus cher encor celui du Souvenir. Honoré HARMAND Réconciliés A Germaine LEMONNIER 16 septembre 1907 Un jour vous veniez vers moi pour causer Pour me dire quoi belle je vous aime Daignez accepter mon amour suprême Et je m'arrêtais pour vous écouter Votre voix avait un accent sincère Et moi je suivais ma crédulité Vos yeux reflétaient la douce bonté Comme un regard tendre un regard de mère Et le soir venu marchant près de moi Vous alliez joyeux sur la route sombre Et notre bonheur n'avait pas une ombre Notre âme n'avait pas un seul émoi Mais le coeur ressemble au vase fragile Que le moindre choc suffit à briser On aime on méprise on sait oublier Votre coeur était un vase d'argile Le temps a passé peut-être plus sage Vous me revenez mais j'ai bien souffert Le livre d'amour est encor ouvert Mais les jours en ont effacé la page Vous vous repentez. Mais si je doutais ? Jadis vous disiez pour toute la vie Je vous aimerai Germaine chérie Et moi fille d'Eve je vous croyais A vous écouter je consens encor Vous semblez heureux de vous souvenir Si vous avez vu mon rêve s'enfuir Puissiez-vous aussi voir mon rêve éclore Chassons loin de nous les regrets amers Et que dans l'oubli les choses passées Soient pour l'avenir à jamais versées Et les repentirs en seront plus chers Je suis les conseils de mon indulgence Et si votre coeur un jour a changé Le mien tout à vous est toujours resté Le bonheur impur n'a pas de souffrance Si plus tard encor vers moi pour causer Vous veniez un jour dire je vous aime Malgré ma douleur je serais la même Je m'arrêterais pour vous écouter. Les trois chimères 19 septembre 1907 Quand sur les lèvres d'une amie On cueille les fruits de la vie Et qu'on rêve au déclin du jour Ou quand l'horizon se colore Des premiers rayons de l'aurore Riant matin es-tu « l'Amour » ? Quand un soir, lassés on se quitte Le regret à notre poursuite Surgit de l'ombre et c'est l'ennui Ou quand notre âme à l'espérance S'ouvre et sommeille la souffrance Soir fugitif es-tu « l'Oubli » ? Quand sous la charge des années Ressemblant à des fleurs fanées Nous passons méprisant le sort Ou quand notre oeil à la lumière Se ferme et dort sous la paupière Dernier regard es-tu « la Mort » ? Nous sommes les lois de la vie Nous sommes la route fleurie Les hivers, les gais renouveaux L'Amour c'est la folle jeunesse L'Oubli embrasse la vieillesse Et la Mort creuse les tombeaux. Honoré HARMAND La mort de la Dame aux Camélias 20 septembre 1907 Fille au coeur corrompu elle eût passé sa vie A trompé son amour pour ne pas en souffrir Chaque nuit apportait avec un souvenir L'Ivresse et le Poison dans son âme affaiblie Mais d'une autre amitié on la voit s'étourdir Elle aime éperdument sincère en sa folie Tant d'autres avant lui ont dit tu es jolie Mais pour elle pas un n'a parlé de mourir Et la mort a voilé ses yeux rougis de larmes Elle s'est repentie à l'heure où de ses charmes Les amants évincés semblaient encor jaloux Armand glacé d'effroi pleure près de sa couche Et confus de remords implorant à genoux Il cueille le pardon arrêté sur sa bouche Honoré HARMAND Sonnet A mademoiselle MORENO (de la Comédie Française) 20 septembre 1907 L'homme n'est pas sensible aux larmes de la femme Mais si, sur le théâtre, on vient jouer l'Amour Son coeur est attendri et troublé tour à tour La Sensibilité a pris place en son âme Avez-vous oublié l'inoubliable jour Où sur la scène, exquise et d'ivresse et de flamme Vous avez triomphé charmante et belle dame Sans vouloir prolonger votre aimable séjour Mais comme un rêve d'or vous passiez fugitive Et sommant la tristesse aux bords d'une autre rive Vous partiez, nous laissant un bien cher souvenir La Dame aux Camélias peut être un bel ouvrage Qu'une autre l'interprète ô Madame je gage Jamais devoir pleurer elle aura le plaisir Honoré HARMAND Les épis du glaneur, Pensées 22 septembre 1907 Il n'y a rien de plus triste que le silence ; écoutez-le il vous fera pleurer. L'Homme qui ne pleure pas quand il voit des larmes couler des yeux d'une femme n'est pas un homme. Notre coeur est un cratère qui perd de son intensité mais il ne meurt complètement qu'à l'instant qui suit la mort de notre corps. La mer est l'image de Dieu ; plus on la contemple plus elle nous semble belle et surnaturelle. Le coeur de certaines créatures ressemble aux étangs qui dorment ; la surface est limpide mais le fond est plein de vase. L'Amour ressemble aux sables mouvants du désert, combien d'êtres se sont enlisés dans ses dunes. Le jeu est un suicide adouci par l'espérance. La vague ressemble à l'amour d'une maîtresse ; elle se fait caressante et perfide tour à tour. Dire à une femme je te hais c'est lui faire un aveu d'amour. On trouve parfois dans le coeur d'une femme ce qu'on n'y cherchait pas et on y cherche parfois aussi ce qu'on ne saurait y trouver : l'amitié et l'amour. L'âme est à notre corps ce que le souvenir est au passé elle nous garde une place pour le Néant. Que de fois me suis-je souhaité d'être manchot pour n'avoir pas la faculté d'écrire mes désillusions. Le rêve est une étoile qui s'efface du ciel quand vient le jour de la réalité. Honoré HARMAND J'ai pas d'patience 23 septembre 1907 (Récitatif excentrique) À l'ami Jean NEMARD D'ma nature j'suis très bon garçon Pas méchant mais j'ai pas d'patience A part ça doux comme un mouton Et le coeur droit comm'la conscience Mais faut pas m'regarder d'travers Aussitôt j'ai l'sang à l'envers J'm'embal'je trembl'mon front transpire J'vous saut'sul'cran'comm'un vampire D'un coup d'pied j'vous rent'dans les dents Et puis si vous n'êt'pas contents J'vous rent'dans l'corps l'couteau d'ma science C'est malgré moi j'ai pas d'patience. L'aut'semain'j'rencontr'un copain Qui prom'nait ma particulière C'est un peu ross'c'est inhumain Après tout c'est pas la première J'aurais pu lui dir't'as bien fait J'aurais pu rir'de l'aventure Mais dans mes vein'mon sang bouillait C'est pas d'ma faut'c'est ma nature Alors j'leur saut'sur la figure Comm'un chat j'leur masqu'l'portrait Et j'dis à la femm'qui criait Ma chère pardonn'moi ma violence Tu m'connais bien j'ai pas d'patience. La bourgeois'pour m'récompenser A porté plainte à la police Les agents sont v'nus m'arrêter Et d'un'voix tou'plein'de malice Suivez nous donc au cabanon Mon ami la natur'violente J'rouspétais pas d'explication Mais au lieu d'rester bouch'béante J'me fich'colère d'cogner ça m'tente Ah mes amis c'que ça chaufait Sur l'carreau l'commissair'râlait Alors j'lui dis plein d'élégance J'vous d'mand'pardon j'ai pas d'patience. Dir'qu'j'aurais pu êt'cabotin Avocat méd'cin portraitiste Au lieu d'ça j'suis qu'un purotin Mais j'ai l'élégance d'un artiste L'aut'jour j'rent'chez un marchand d'vins Pour lui proposer mes services D'un oeil méfiant y'r'gard'mes mains Com'pour voir si j'n'avais pas d'vices Là d'sus moi qu'aim'pas les caprices D'un coup d'dent j'lui croqu'le museau D'un coup d'poing j'ienfonc'le boisseau Et lui dis dans m'révérence J'vous d'mand'pardon j'ai pas d'patience. Je sens bien que c'vilain défaut M'nuira beaucoup dans l'existence J'suis un jeun'hom'très com'il faut On peut m'juger sur l'apparence Parmi la nombreus'société S'il était aimable jeun'fille Qui veuill'me fair'la charité D'un peu d'amour a s'rait gentille Mais j'ai un'pécadille Un mal qui n'se pass'ra jamais Ah je sens bien qu'mon coeur l'aimerait Mais ell'refus'toutes mes avances Sous prétexte que j'ai pas d'patience. Honoré HARMAND Le Petit Mousse 23 septembre 1907 (Air du « petit Grégoire » de Théodore BOTREL) A l'ami STORZS Le patron du petit Mousse Lui dit pour demain Nous irons si le vent pousse Aux pays lointains L'enfant répond et ma mère Qui l'a nourrira Si j'm'en vas si loin d'la terre Je ne sais pas c'qu'elle deviendra Ce qu'elle deviendra Ah oui dà Devant l'refus du pauv'gosse L'patron courroucé Lui dit sur la mer d'Ecosse J'ai d'jà navigué Moi aussi j'avais un'mère Qu'était resté là Mais jamais dame misère Crois moi chez elle ne passa Jamais ne passa Ah oui dà L'patron lui dit t'es pas digne De fair'un marin Puis à ces hom'il fit signe De prend'le gamin Mettez le en place sûre Après on verra Faut l'habituer à la dure Dans not'métier ça marche com'ça J'ai passé par là Ah oui dà Bien longue une année s'écoule Le mousse revient Dans ses yeux les larmes roulent Mais il les retient Il va droit à la chaumière Maman es-tu là Un voisin lui dit ta mère Le printemps dernier trépassa Dans cet'maison là Ah oui dà Vite il s'en va voir la tombe Où la vieille dort Devant sa foi qui succombe Il espère encor Et jusqu'à la nuit tombante Ainsi il resta En pensant mère est contente Ell'va retrouver papa Mon pauvre papa Ah oui dà Le lendemain dans l'cim'tière Le gardien passait Il vit étendu par terre Un corps qui tremblait La mort sur sa face blême Rapide passa Et dans un râle suprême Sa lèvre encor murmura Et puis se ferma Ah oui dà La moral'de cette histoire C'est que le Trépas Nous guette dans la nuit noire Et com'le pauv'gars Nous frappe sans indulgence Dans ce qu'on aima En nous disant ton existence Un jour se terminera Com'ell'commença Ah oui dà Honoré HARMAND Le 9ème de Falaise A l'ami Henry ROSE 24 septembre 1907 (Sur l'air de « l'anatomie du conscrit » ) Quand j'ai quitté mon cher pat'lin Pour aller servir la patrie J'ai dit aur'voir à mes copains Mon pèr' ma mèr' et ma chérie J'en ai donné des poigné d'main Mais j'étions toutd'mêm'point à l'aise Quand a fallu sauter dans l'train Pour prend'garnison à Falaise. Ah mes amis les premiers jours Partout fallait donner d'la tête Marcher et courir tour à tour Y m'faisaient tourner comm'un' bête Mais com' j'étais pas abruti Quoiqu'j'ai la démarch'un peu niaise Pour m'reposer j'me suis assis L'dimanch' soir sur les bancs d' Falaise Mais y paraît que l'régiment Ca vous chang'complèt'ment un homme Celui qu'était bête en entrant En sortant est malin en somme On est caporal et sergent Mêm'lieutenant n'vous en déplaise Ont dit qu'on mont'en grad'viv'ment Au 9ème régiment d' Falaise Ben si c'est ça j'veux qu'dans deux ans Quand j'quitt'rai l'seuil de la caserne J'revien'au mileu d'mes parents Avec un raison'ment moderne Et quand Ros' m'verra r'venir L'oeil pétillant l'coeur chaud com'braise Ell'dira que pour s'dégourdir Vraiment faut aller à Falaise Et plus tard si l'malheur voulait Qu'on nous appell'sur l'champ bataill' Ah mes enfants c'que ça chauffrait On aurait pas peur d'la mitraille Marchant l'front haut droit à l'enn'mi On crirait viv' l'armée française Devant la mort ils s'raient unis Les gars du 9ème de Falaise Honoré HARMAND La lettre du forçat 30 septembre 1907 Chanson vécue C'est de Cayenn'mon p'tit lapin Que part ma lettre Ell'te parviendra c'est certain Car j'vais la mettre Au courrier qui partira c'soir Pour la bell'France Ma pauv'fem' bientôt de t'revoir J'ai l'espérance J'te racont'rai ça en r'venant D'mon grand voyage Tu m'reconnaitras pas sur'ment L'bagn' c'est d'la rage La-bas le soleil est brûlant La brise est chaude Et l'on nous don' pour tout vêt'ment Qu'une vieill' blaude La nourritur' je n't'en parl' pas C'est d'la misère Six jours d'la s'main' c'est l'mêm' repas Fêv' pomm'de terre La boisson c'est au grand tonneau A la rivière Il est loin l'temps où chez Pruneau J'buvais d'la bière De m'repentir c'est un peu tard Mais si tu m'aimes Not'gos' ne s'ra pas un batard J'n'suis pu l'même Tu verras qu'la dur' a changé Mon caractère Dis bien à not' petit bébé Que j'suis son père J'veux bien r'connaît' que dans l'passé J'étais un'rosse Mais c'est Jul' qui m'a entrainné A fair' la noce Quand tu m'demandais à manger Pour toi et l'mioche Ca m'faisait mal de t'refuser Pour qu'tu m'l'r'proche Mais oublions les mauvais jours Ma petit' femme Car bientôt dans les bras d'l'amour Je gris'rai ton âme Et quand j's'rai d'retour au pat'lin En honnête homme J'donn'rai tout c'que j'peux au turbin J'frai pu la gomme J'termin' ma lettr' en t'embrassant Sur ta joue rose A not' bébé t'en f'ras autant J'espèr' qu'il cause En signant j'ai les larm' aux yeux Mais bientôt j'pense Ca s'ra not' tour à être heureux Dans l'existence Honoré HARMAND Ma demeure A Etienne SOUCHON 30 septembre 1907 Ma demeure n'a pas d'une maison princière Le chic, le grandiose et les riches atours Le pauvre sous le chaume abrite ses amours Et la Gaîté parfois sourit à la misère Un étroit escalier, sombre, en colimaçon Sait guider l'Amitié au logis que j'habite Et le bonheur un soir, sous le toit qui m'abrite Est venu murmurer sa plus tendre chanson La cuisine à croisée où seul le jour pénètre Ne veut pas recevoir les rayons du soleil Laissant aux grands palais les reflets d'or vermeils Elle est drôle vraiment ma cuisine à fenêtre Par un couloir de murs effrités par le temps Mon regard est conduit vers un fond de verdure Où je puis voir mourir et naître la Nature Pleurer à son hiver et rire à son Printemps Un escalier de bois en tous ses points, rustique Guide la ménagère en un appartement Où madame chaussure et monsieur vêtement Abritent leurs amours dans un décor antique Une porte à ouvrir et la chambre apparaît Coquettement vêtue et simplement rangée Le parquet, du pavé, en sa robe cirée Pour du pavé qu'il est ressemble à du parquet Je ne m'arrête pas à dresser l'inventaire Des objets et du meuble entassés avec goût La plus légère muse a peine à franchir tout Et la critique hélas a le regard sévère Mais dans l'aspect si froid de ton sombre logis Ami, me direz-vous, comment peux-tu te plaire Avez-vous oublié ma tendre ménagère Qui donne la lumière à nos murs assombris Avec elle j'habite une maison princière Elle sait la parer des plus riches atours Et nous vivons heureux, des plus chères amours Ayant pour l'Espérance une même prière. Honoré HARMAND Qu' ça sembl'bon d'sortir A l'ami Marcellus 1er octobre 1907 Sur l'air de « Comme ça fait plaisir » Quand on est enfermé tout'la s'maine A la casern' c'est bien embêtant Et qu'on r'gard'le mond'qui s'promène Contr'le service on rouspett'tout l'temps On soupir'à ses amours On dit quand viendra not'tour D'sortir mais j't'en fich'toujours Faut ramasser les papiers Un coup d'balai au quartier L'soir vient on chant'en montant s'coucher Ah j'voudrais bien sortir Car si j'me couch'trop tôt j'pourrai pas dormir Puis j'ai un rendez-vous avec ma ptit'bonne Brunette aux yeux doux un'aimabl'personne Ah j'voudrais bien sortir Qu'est'c'qu'à va m'raconter si a m'voit pas v'nir Sur'ment am'plaq'ra sacré nom de dla Quel fichu métier que celui d'soldat Mais aujourd'hui à travers la ville J'suis sorti voir les curiosités J'ai aperçu plusieurs sergents d'ville Qui com'les autr'sont pas habillés Ils ont quéqh'chos'sur le bras Quelqu'chos' que les autr'n'ont pas Ça fait peur aux mauvais gars Les collets roug'ça fait bien Mais s'qui m'fait encor plus d'bien C'est d'renifler l'air comm'un jeun'chien Ah qu'ça sembl'bon d'sortir Par tout'les rues d'la ville aller et r'venir Voir les brav's agents dans leur nouvell'tenue Dans les jardins publics les statues tout'nues Ah qu'ça sembl'bon d'sortir Sur la plac'StMarc voir les arbr'dépérir Dans la vill'de Rouen en fait d'nouveauté Tout est à sa place et rien n'est changé. A la casern'on fait des réformes On a créé l'foyer du soldat On nous fait lir'des bouquins énormes Pour nous apprend'les anciens combats Des réform'ah oui j't'en fous On trouv'du cuir dans l'ragout D'la viand'y'en a pas du tout Et le malheureux troupier Voyant la classe arriver Enton'le r'frain pour s'encourager Ah j'vais bientôt sortir Et dans un lit moelleux j'pourrai m'endormir Embrasser mon frangin mon père ma mère Et j'pourrai aussi embrasser un'carrière Ah j'vais bientôt sortir D'revoir ma p'tit promis'j'ai l'ardent désir Car mon vieux colon pour un sou par jour Sur ta crout'de pain on t'met pas d'amour. Honoré HARMAND La chanson des Misères Sur l'air de «La chanson des chimères » 2 octobre 1907 Semeur de songes Ô toi qui plonges Dans l'ombre épaisse de la nuit As-tu de ta plume légère Tracé le mot dur qu'on écrit Misère Les misères sont des vaisseaux Qui voguent au gré de leurs voiles Les misères sont des étoiles Eclairant l'ombre des tombeaux Semeur de larmes Ô de tes armes Pourquoi frapper l'adolescent Et dans ton injuste colère Joindre au malheur ce mot méchant Misère Les misères sont des vaisseaux Qui voguent au gré de leurs voiles Les misères sont des étoiles Eclairant l'ombre des tombeaux Semeur d'ivresses De tes caresses Pourquoi sais-tu griser les coeurs Et quand sonne l'heure dernière Mets-tu les gueux en face leurs Misères Les misères sont des vaisseaux Qui voguent au gré de leurs voiles Les misères sont des étoiles Eclairant l'ombre des tombeaux Honoré HARMAND Le Frisson d'Amour Sur l'air « Du bruit des berceaux » de Théodore BOTREL 2 octobre 1907 Ô le grand frisson d'amour Qui passe et s'achève Comme l'image d'un rêve Au déclin du jour La grande douleur que par la nuit brève Quand tout dort en paix j'écoute gémir D'un frisson d'amour quand s'en va le rêve Tous les coeurs aimants devraient s'étourdir Ô le grand frison d'amour Qu'au bord de la grève La troublante fille d'Eve Ressent au retour La crainte des flots, du vent qui s'élève Font trembler son âme et la font souffrir D'un frisson d'amour quand passe son rêve La promise en deuil devrait s'étourdir Ô le grand frisson d'amour Quand surgit la trêve Que la pâle Mort soulève L'aile du vautour La peur du combat, le brillant du glaive Dans l'âme des vieux tuent le souvenir D'un frisson d'amour quand s'élève le rêve Le coeur des vieillards devrait s'étourdir. Honoré HARMAND La gueuse de vague 4 octobre 1907 La vague méchante De son eau bouillante Heurte les rochers Et sa voix cruelle Dans la nuit appelle Les gars fiancés La vague trompeuse De sa voix mielleuse Hante le rêveur Et son eau profonde Comme un regard sonde Au fond de son coeur La vague limpide De sa bave aride Lèche les vaisseaux Et son eau qui lave Procure l'épave Aux faims des tombeaux La vague qui creuse La terre vaseuse Guette le pêcheur A son eau qui happe Trop souvent n'échappe La pauvre, voleur La vague qui cache Le rocher qui hache Efface l'écueil Et son eau qui brise Dans la pierre grise Façonne un cercueil La vague qui chante Se fait caressante Quand elle entre au port Et son eau qui crie Entend l'agonie Des gueux à la mort La vague qui pleure Le gars qui l'effleure Ne le rend jamais Et son eau sans guide Creuse le grand vide Affreux des regrets La vague limpide Da sa bave aride Lèche les bateaux Et son eau qui lave Procure l'épave Aux faims des tombeaux Honoré HARMAND Le rêve que j'ai fait 6 octobre 1907 Cette nuit j'ai fait un drôle de rêve Un rêve brutal comme le trépas J'ai senti le sol s'ouvrir sous mes pas Comme un sol maudit qu'un volcan soulève Je suis descendu jusque dans l'enfer Voir les malheureux expier leurs crimes Et j'ai rencontré des coeurs magnanimes J'ai vu leurs douleurs et j'en ai souffert J'ai vu des beautés, des femmes maudites Se purifiant sous l'oeil du bourreau Et lavant leur nom au bord du ruisseau Qui coule un miroir pour les Aphrodites J'ai vu des vieillards au bord du chemin Assis, méditant sur leur destinée Humant le parfum d'une fleur fanée Et la déchirant de leur maigre main J'ai vu dans la brume un coin de Cythère Et je fus présent au débarquement Des fous entassés dans le bâtiment Qui porte à son flanc le vrai nom Chimère J'ai vu le théâtre où le genre humain Sur la scène impure exhalte ses vices J'ai vu de mes yeux les grands précipices Où glisse aveuglé l'homme à son déclin Cette nuit j'ai fait un drôle de rêve Un rêve brutal comme le trépas J'ai senti le sol s'ouvrir sous mes pas Comme un sol maudit qu'un volcan soulève Honoré HARMAND J'aime les vieux 7 octobre 1907 J'aime les vieux de tout mon coeur Je les aime pour leurs manières Et pour leurs principes sévères Pour leur ralentissante ardeur J'aime les vieux pour leurs histoires Qui font trembler tous les enfants Aussi pour leurs airs conquérants Au souvenir de leurs victoires J'aime les vieux pour leur bonté Pour leur regard plein de tendresse Et pour la sublime tristesse Qui se lit sur leur front ridé J'aime les vieux pour leur croyance Et leur espoir en l'avenir Leurs yeux voient bien les jours s'enfuir Mais ils doutent de leur absence J'aime les vieux pour leurs tourments Dont ils ont sû braver l'outrage Toujours sauvés du grand naufrage Ils oublient les mauvais moments J'aime les vieux, leur tête blanche Parle pour eux tout le passé Des peines d'un règne agité Et je bénis leur front qui penche J'aime les vieux de tout mon coeur Je les aime pour leurs manières Et pour leurs ombres éphémères Aux yeux si grands du Créateur. Honoré HARMAND Les Brûmes 21 décembre 1907 Le ciel est gris, maussade et voilé de tristesse La Nature dolente exhale un long soupir C'est l'heure où chancelant son règne va finir Implorant du soleil encor une caresse Sur les champs ravagés le hardi laboureur Jette un regard qui dit « tu germeras la graine Terre toujours féconde à la saison prochaine » Sous les bois effeuillés le poète est rêveur Dans la chaumière nuie où la gène sommeille Où la mère est sans feu, sans espoir et sans pain ? Ignorant aujourd'hui l'effort du lendemain Brûme d'un soir d'amour un chérubin s'éveille Par le sentier désert, de l'ennui plein les yeux S'en vont désabusés, les rêveurs aux chimères Et sur les tapis d'or tissés par les clairières Tombe, brûme du coeur l'ombre des jours heureux Dans la chambrette vide où l'amour, certaine heure Vint chanter le plaisir dans le calme du soir Où vécut le bonheur aux côtés de l'espoir Brûme d'un soir bien doux, l'amante, seule, pleure Au fond du cabaret en vain, cherchant l'oubli Le buveur exhalté dit une ode à l'Ivresse Et son regard sans feu sourit à la Tristesse Brûme, d'un soir perdu, qui va tomber sous lui Ainsi nous arrivons au terme du voyage Bercés par l'espérance et l'affreuse douleur Et nous sentons, alors, tomber sur notre coeur Comme un nuage épais les brûmes du jeune age. Honoré HARMAND A ceux qui jasent Pour Melle Germaine LEMONNIER 11 février 1908 On a dit que je suis terrible en mon amour On a blâmé mon rire on a ri de mes larmes Et de la Médisance empruntant les faux charmes Le monde des méchants jase et dit tour à tour On cherche le secret de mes folles alarmes Et jusque dans mes yeux, plus hardis chaque jour Les curieux jaloux qu'on me fasse la cour De la Rivalité croient voir briller les armes Comme les révoltés au jour où les humains Se disputaient entre eux les pouvoirs assassins On me traite et le mot est bien vieux il me semble Mais si l'on m'a donné le nom dur de Terreur Aux foules du Passé si vraiment je ressemble C'est par le nom sans doute et non pas par le coeur. Honoré HARMAND Sonnet A Monsieur VAUTIER Poète 11 février 1908 O combien j'ai goûté votre touchant poème Après vous avoir lu, un sentiment meilleur A grandi le respect et l'amour en mon coeur En songeant que plus tard je serai vieux moi-même Surmonter la tristesse et braver la douleur Tel est notre devoir. Dans la lutte suprême L'homme se sent plus fort. Souffrir pour qui vous aime C'est notre oeuvre ici bas et c'est notre bonheur Pourquoi trembler devant le fantôme qui passe Le passereau qui vole a-t'il peur de l'Espace Quand nous avons perdu sa trace dans les cieux Quel tableau plus sublime au déclin de la vie Que le vieillard penché sur son bâton qui plie Et qui va poursuivant l'ombre des jours heureux. Honoré HARMAND La Foi 12 février 1908 O venez mes douleurs je vous ouvre mon coeur Venez vous partager le reste d'un bonheur Qui s'achevant bientôt va s'enfuir, ô ma peine ! Viens que je pleure encor cette chimère vaine Qui m'a parlé d'amour, d'espérance et de paix Et m'a tû ce soir là les pleurs et les regrets Revenez jours perdus qu'en vain je veux attendre Passé qui me disait dans un langage tendre Tout ce que l'Espérance inspire à nos cerveaux Abusés, confondus, dans les désirs nouveaux O revis douce image à mon regard qui tremble Etourdis mon présent et fais qu'il te ressemble Et vous plaisirs chantez ! Chantez à ma douleur Ce que je ne n'entends plus vos chants pleins de douceur Faites revivre en moi toutes les gaîtés mortes ! Oui je veux me mêler au tumulte aux cohortes Aux faux bruits de la rue à ses frissons d'un jour Je veux vivre, pleurer et gémir tour à tour Je veux que mon destin comme un polichinelle Me guide désormais dans l'étroite ruelle Qui serpente et se perd où le monde maudit Se livre à chaque pas un passage interdit ! Hélas pauvre raison ô toi qui me console Pourquoi me laisses-tu à ma course frivole Séduit, abandonné, succombant sous l'effort Raison, seul, je ne sais me sentir assez fort Je tombe à chaque instant et quand je me relève Je poursuis sans espoir un plus tragique rêve N'avais-je pas assez de peines et de maux Pour alourdir encor mes si pesants fardeaux Mon épouse chérie en partageant ma joie Aux yeux de la Douleur avide de sa proie Immole son bonheur et son regard d'enfant Sonde l'abîme affreux si petit et si grand ? Qu'ai-je donc fait grand Dieu dis-moi suis-je coupable Et pourquoi nos deux noms sur une même table Où tu dictes tes lois ensemble sont écrits Dis-moi que te faut-il des larmes ou des cris Du bien n'en fis-je pas te faut-il des prières Pour désarmer la main de tes juges sévères Des prières ? Grand Dieu à tes pieds prosternés Ne nous vois-tu, devant tes autels profanés Quand le trouble régna dans l'ordre des mystères Ne comprîmes-nous pas qu'aux foules étrangères A la juste doctrine Jésus Christ a donné Le secret d'être bon. Et je n'ai pas douté Et si tu restes sourd à justes prières Crois-tu que nous puissions éloigner nos misères ? Le courage parfois fait trêve dans nos coeurs Et change les vaincus en de cruels vengeurs ! Mais non tu ne sais pas condamner l'innocence Et livrer le Désir aux fièvres de l'enfance Tu ne permettras pas que des injustes lois Frappent sans le juger tout un monde à la fois Non grand Dieu, Jésus Christ dans sa philosophie Séparait le bon grain de l'ivraie et l'ortie Et disant aux pêcheurs aux pauvres, ignorants Tes prières aussi tous tes commandements Leur apprenait à vivre ainsi que vit le sage Des jours qu'on lui donna pour unique héritage ! Mais si le voyageur sur le sable mouvant Du désert de la vie avance en s'égarant Crois-tu qu'il ait encore la force et le courage D'arriver malgré tout au terme du voyage Et si tu n'aides pas ses efforts et sa foi Crois-tu que sa prière ira droite vers toi ? Hélas non les mortels n'ont pas cette vaillance De vivre pour toujours ignorer l'espérance Sans l'espoir ici bas à quoi servent les jours A rien si l'avenir ne vient pas au secours Des affligés pleurant leur vaillante jeunesse Et n'ayant qu'un désir connaître leur vieillesse ! De grâce, je t'implore ô toi pour qui demain Est un brin d'herbe morte au bord d'un grand chemin Toi qui notre vie agitant l'onde vague Donne la voix au vent et la force à la vague La pitié au bourreau la crainte à l'innocent La tendresse à la mère et la grâce à l'enfant. Maître absolu du monde, Ecoute mes prières Et fais que de nos yeux des larmes trop amères Ne coulent au déclin du jour, et que la nuit N'attache la douleur à son ombre qui fuit Je demande une part au bonheur qu'on envie Mesure mes tourments au règne de ma vie Et que dans la balance au même poids comptés Le plaisir et les pleurs justes des deux côtés Le montrent que ma joie égale ma souffrance Et je m'inclinerai soumis à ta sentence Et aux anges du ciel ressemblant par ma foi Je chanterai bien haut Seigneur je crois en toi. Honoré HARMAND Les neiges de la France 16 février 1908 Au seuil de son logis, le vieillard est pensif Et dévorant des yeux l'horizon fugitif Il prie en larmoyant Dame la Providence Le clairon a sonné là-bas dans le vallon Et du ciel azuré tombant sur le gazon La neige se colore au bleu pur de la France. L'Hiver et la Nature ont ouvert le combat Sur le champ de bataille on se cherche on se bat L'oiseau effarouché vole de branche en branche Et du ciel grand témoin des vivants et des morts Sur les soldats lassés de veilles et d'efforts Comme un linceul glacé tombe la neige blanche Le gai soleil de Mars a caressé les champs Et l'ennemi brutal a semé dans les rangs Les horreurs de la guerre. Au vent son drapeau bouge Les oiseaux revenus au sein profond des bois Gazouillent leurs chansons et sur mille convois Deuil des vrais coeurs français tombe la neige rouge. Révisé en 1945 Au seuil de son logis, le vieillard est pensif Et des yeux dévorant l'horizon fugitif Il prie en larmoyant Dame la Providence Le clairon a sonné, là-bas dans le vallon Et du ciel azuré tombant sur le gazon La neige se colore au bleu pur de la France. L'Hiver et la Nature ont ouvert le combat Sur le champ de bataille on se cherche on se bat Les oiseaux étourdis volent de branche en branche. Et du ciel grand témoin des vivants et des morts Sur les soldats lassés de veilles et d'efforts Comme un linceul glacé tombe la neige blanche. Le gai soleil d'Avril a caressé les champs Et l'ennemi brutal a semé dans les rangs Les horreurs de la guerre. Au vent son drapeau bouge. Les oiseaux revenus au sein profond des bois Gazouillent leurs chansons et sur mille convois Sur le coeur des français tombe la neige rouge. Honoré HARMAND Le secret du bonheur A mon épouse O Jeanne écoute bien ce que je vais te dire L'homme au livre d'amour ne sait pas toujours lire Ou bien il ne veut pas connaître son destin Les passions, les pleurs, la joie et la jeunesse Sont souvent de notre âme un esquif en détresse Et nous nous éloignons vite du bon chemin. Pour être heureux sais-tu ce qu'il faut sur la terre De l'argent, des plaisirs, non, rien qu'une chimère Qu'on caresse le jour et qu'on berce la nuit Tu la retrouveras quand la lèvre se pose Sur le front de l'aimé ou sur la lèvre rose Du tendre chérubin, dans son regard qui luit Et dans ton coeur jamais les passions avides Ne feront leurs dégâts ni sur ton front les rides N'oseront avant l'âge imprimer leurs sillons Tu verras l'avenir sourire à l'Espérance Dans ton âme versant la corne d'abondance Le bonheur chaque jour t'offrira ses moissons Dans un même regard enveloppons les choses Donnons à notre amour le doux parfum des roses Faisons de nos deux coeurs toujours un même coeur Ne cueillons pas les fleurs au penchant des abîmes Les fleurettes des champs, simples sont plus sublimes C'est dans la volupté qu'on trouve la douleur Au Printemps les oiseaux blottis dans les clairières Ne pensent plus ma mie à leurs grandes misères Leurs gazouillis joyeux surgissent des buissons Soyons comme eux, chantons. Au sein de la Nature Le vent a ses frissons la source à ses murmures La Tristesse a ses pleurs nous aurons nos chansons A l'Eté quand la brise agite le feuillage Les tout petits enfants, les élus du jeune âge Sans souci de leurs jours gambadent dans les champs Nous aurons notre été et sous les cieux sans voiles Ce que dicte le rêve au coeur des grands enfants Et quand le moissonneur aura fauché la plaine Quand l'Automne dolent d'une caresse vaine Ranimera son coeur expirant et glacé Nous aurons sous les yeux l'image de la vie Fleur si belle en un jour et si vite flétrie Et nous regretterons souvent d'avoir pleuré L'Hiver viendra, caché dans son manteau de neige Il glacera les coeurs. Que l'amour nous protège Et nous vivrons heureux sans regrets, sans soucis Les ans succéderont aux ans mais dans notre âme Le temps n'éteindra pas notre ivresse, et sa flamme Sera toujours brillante en nos deux coeurs unis. Honoré HARMAND La chanson du baiser 19 février 1908 Sur l'air de « Ô Magali » Je n'aime que toi sur la terre Toi seule puis me rendre heureux Et si l'amour est éphémère Il ne meurt pas dans tes grands yeux Que m'importent les plus beaux songes S'ils ne peuvent se partager O fuyons les tristes mensonges Qui savent nous faire pleurer Pour toi pour toi Je chante le coeur plein d'émoi Dans un baiser Le bonheur sait charmer Notre douleur Qui veille au fond du coeur Dans un baiser On peut tout pardonner Le souvenir Peut encor rajeunir Dans un baiser L'amour sait ranimer La fleur qui vient de se faner Dans un baiser Loin de la foule indifférente Je rêve à nos serments si doux Le plus grand désir qui me hante C'est l'heure de nos rendez-vous Loin de nous le plaisir s'envole Sans regret regardons le fuir Aux fous laissons la farandole Et nos deux âmes vont s'unir Crois-moi crois-moi Je chante sans trêve pour toi Refrain Parfois je doute que tu m'aimes Si tu m'abandonnais un jour Tu me retrouverais le même Dans l'attente de ton retour Mais chassons l'ombre des misères Qui hantent les coeurs malheureux La vie est faite de chimères Elle sourit aux amoureux Sans toi sans toi Chaque heure grandit mon effroi Car tes baisers Savent me consoler Et la douleur Sommeille dans mon coeur Dans un baiser Notre âme sait vibrer Et l'avenir A nous semble s'offrir Dans un baiser L'amour sait ranimer La fleur qui va s'étioler Dans un baiser. Honoré HARMAND Pourquoi 26 février 1908 Pourquoi regarder, dans l'affreuse nuit Où tout n'est qu'un songe où tout passe et fuit Aussi tout s'achève Pourquoi regretter, aimer et souffrir Ne pas écouter la voix du plaisir Son heure est si brève Pourquoi certain jour parler d'abandon Puisqu'en notre coeur jamais le pardon Ne se fait attendre Pourquoi nous quitter quand le lendemain Nous prendrons tous deux le même chemin Le coeur est si tendre Pourquoi ces chagrins et pourquoi ces pleurs Jeunesse ton front est orné de fleurs Le malheur t'évite O ! Laisse le fuir ne l'appelle pas Les jours sont si chers ! Pour tous ici bas La mort vient si vite ! Honoré HARMAND Le cortège des gueux 1er Mai 1909 Ce soir j'ai vu glissant, s'agitant dans la brume Un cortège confus d'hommes de tous les rangs Sous les regards béats des multiples passants Ils semblaient un flot noir de vagues sans écume Où marchaient-ils ainsi ? Forts, à demi grisés Par la fièvre du Droit, qui s'anime en nos âmes ; Mais dont la cendre encor, quand s'éteignent les flammes Brûle du feu cruel des mégalithes Où marchaient-ils ainsi ? Ces hommes, des grévistes Vers la misère hélas ! Fatale vérité ; Et de les voir, ces gueux, j'avais le coeur serré ; Les causes de la grève ont des effets si tristes ! Et je m'associais à leurs pensés, à leurs maux Je songeais aux enfants, à la famille entière Celle qu'on ne voit pas, dans la foule où le père Réclame à haute voix le prix de ses travaux Et je pensais : pourquoi ces foules en délire ? Pourquoi ces cris de haine entre tous les humains ? Frères tendez-vous donc de fraternelles mains ; Vos ongles ne sont pas la griffe qui déchire ! Ne vous regardez pas en ennemis méchants : Riche sois généreux : et toi, pauvre, travaille La Paix chante en vos coeurs ; que cesse la bataille Et la main dans la main, vous deviendrez géants. Honoré HARMAND Vérité 1er janvier 1910 Encor un an passé en rires, chants et larmes ; Et tremblants sur nos pas, le coeur chargé d'alarmes, Nous avons parcouru les routes, les chemins : Nos yeux ont vu s'enfuir le bonheur, la souffrance ; Et vrais enfants, déjà, vers l'an qui recommence Avides de bonheur nous tendons les deux mains Honoré HARMAND Les cloches 2 janvier 1910 Les cloches sont roses, Quand les fleurs écloses Au sein du printemps Parfument les champs. Et que les enfants, Paupières mi closes Aux métamorphoses Croient, les innocents. Les cloches sont roses Aux yeux des enfants. Les cloches sont blanches Quand on cueille aux branches Les lilas fleuris : Et que dans leurs nids Les oiseaux blottis, Chantent les dimanches Où nos gaîtés franches N'ont plus de soucis. Les cloches sont blanches Pour les coeurs unis. Les cloches sont grises Quand les froides bises Soufflent ; vent du nord ; Et que vers le port Dans un froid décor S'en vont les promises Chercher les surprises De la vie à bord. Les cloches sont grises Aux yeux bleus du Sort. Les cloches sont noires, Quand de nos victoires Les jours disparus Pour nous ne sont plus Que songes confus ; Et que nos déboires Survivent aux gloires Des bonheurs perdus. Les cloches sont noires Aux amours déçus. Honoré HARMAND La plus belle des fleurs A mon épouse J'ai des fleurs de toutes les teintes ; Je les respire à chaque instant. Il en est une cependant Qui rend jalouses les jacinthes Elle emprunte au ciel le plus pur La couleur de grandes prunelles D'où scintillent des étincelles, Paillettes d'or au champ d'azur Sa joue est comme la pensée Un velours tendre; le lilas A blanchi ses deux petits bras; Et sa lèvre n'est pas lassée. Mais direz-vous : quelle est la fleur Que tu vantes ainsi, poète? Je le confesse: c'est Jeannette; Puisqu'elle a fleuri dans mon coeur. Honoré HARMAND Rêve et Philosophie A l'ami RENARD 4 janvier 1910 Sur le tertre jauni, par les brumes d'automne Le paysan lassé se repose un instant ; Et fixant son regard, vers le soleil couchant Il rêve au lendemain que le soir emprisonne Et sur le sol creusé, par le socle brutal Il pose ses outils, encore salis de terre ; Et son âme à l'instant semble moins solitaire Son coeur vibre à présent d'un amour moins banal. Devant ce beau décor, fait de lumière et d'ombre Il reste confondu ; tandis qu'au vieux clocher L'Angélus sonne l'heure, où le tendre berger Franchit le seuil étroit de sa demeure sombre Puis reprenant sa route, il chemine en pensant Que l'homme est, ici bas, fait pour vivre de rêves ; Et si, du vrai bonheur, les heures sont trop brèves A qui sait vivre heureux, le bonheur est si grand ! Honoré HARMAND Si vous saviez (A mon épouse) 5 janvier 1910 Si vous saviez quelle folie Exhale son rire joyeux Elle est mon rêve Elle est ma vie Et l'Idéal brille en ses yeux Sa voix est si douce et calme On dirait au déclin du jour Les sons purs d'une mandoline Que doigte un joyeux troubadour Si vous saviez quelle folie Exhale son rire joyeux Elle est mon rêve Elle est ma vie Et l'Idéal brille en ses yeux Elle a la grâce d'une Elvire Elle a sa douceur sa bonté Je suis poète et je m'inspire Quand je contemple sa beauté Si vous saviez quelle folie Exhale son rire joyeux Elle est mon rêve Elle est ma vie Et l'Idéal brille en ses yeux Elle est si douce et caressante Son pâle front est innocent Aucun mauvais désir ne hante Son âme fragile d'enfant Si vous saviez quelle folie Exhale son rire joyeux Elle est mon rêve Elle est ma vie Et l'Idéal brille en ses yeux Honoré HARMAND La source A l'ami PICHAUX 6 janvier 1910 Que de fois fixant tes regards Sur le noir tableau de la vie N'as-tu pas dit dans ta folie : Les gueux sont de vrais canusards ! N'as-tu pas pesé les misères, Des gars errant par les chemins Tandis que les fats muscadins Roulent couchés en tapissières ! N'as-tu pas senti dans ton coeur Le fiel couler ? Un dieu de rage N'a-t-il contracté ton visage Que pour pleurer sur ton malheur ? Oui, cher ami : juste colère Que la tienne et la notre à tous Nous qui n'avons comme joujous Que les baisers de notre mère Comme illusion que l'amour Comme rêve une tendre épouse Qu'on aime d'amitié jalouse Après une innocente cour C'est notre bonheur mais si j'ose Parler ainsi c'est que vois-tu A quoi nous sert notre vertu Quand notre existence est morose Quand nous plions sous le travail Que nos maîtres forts en insultes Font jaillir de cerveaux meubles Des phrases en épouvantail Quand nous retenons sur nos lèvres La colère qui nous a fait mal L'Homme vois-tu c'est l'animal Battu craintif aux grands yeux mièvres C'est la bête noire ici-bas Quand l'or dans sa main ne scintille C'est la misère qui fourmille Dans la ruelle en contrebas Aux yeux des riches égoïstes Point n'existe la pauvreté Mais c'est de l'Inégalité Que naquit le socialiste. Honoré HARMAND Pastorale A mon épouse 7 janvier 1910 Jean le berger, sur le coteau Attendait Jeanne la bergère. Caché dans la haute fougère Il suivait des yeux son troupeau. Il rêvait à ces douces choses Que seul sait enfanter l'amour Quand l'âme et le coeur tour à tour Vivent des mêmes rêves roses. Il disait : je veux la parer Des diamants de la Nature Et que dans l'onde la plus pure Elle puisse se contempler Et je cueillerai les étoiles Qui scintillent au front des cieux Et j'ornerai ses bruns cheveux Des brumes déroulant leurs voiles. J'effeuillerai sur son chemin Des bouquets de roses trémières Pour que leurs effluves légères Grisent son coeur d'amour divin Mais Jeanne arrivant en sourdine Surprit Jean à son rêve d'or Pour moi quels beaux présents encor Achèteras-tu ? J'imagine Que c'est trop, dit-elle, et l'argent Pour acheter tant de chimères Manque à ta fortune éphémère Nos désirs s'envolent au vent. Mais Jean lui répondit : je gage Pouvoir acheter le bonheur Puisque je possède ton coeur L'Amour n'exige davantage. Honoré HARMAND Condoléances Souvenir à l'occasion de la mort d'Huguette DUBOIS Un ange au ciel 29 octobre 1914 Pour charmer le réveil de l'aurore indolente Les oiseaux dans les bois, de gazouillis joyeux Troublent l'amer silence, où les taillis touffus Naissent, meurent, au gré de leur sève démente. Vous fûtes cette aurore et de ses ris diffus Huguette, à l'âge heureux où rien n'émeut, tourmente Charma votre réveil de sa voix innocente, Effaçant sur vos fronts les soucis éperdus. Mais la mort se pencha sur la couche fragile Où reposait, joyeux, l'enfant au sein d'argile, L'ange pur du foyer adoucissant les pleurs. Comme l'aigle emportant un agneau sur son aire La Gueuse a pu ravir votre enfant à la terre ; Elle ne viendra pas la chercher dans nos coeurs. Honoré HARMAND Peut-être Vers à ma Mie 2 mai 1915 Peut-être, ô ! le vilain mot qu'on prononce toujours. Du Doute ami sacré ; dans les serments d'amour Le maître. Quand le bonheur sourit à nos nuits sans sommeil Méprisons-nous l'orage au lever du soleil ? Peut-être ! Quand le hasard a fait se rencontrer nos yeux ; Vestale quand tu vins enflammer de tes feux Mon être. Un mot ouvrit ta lèvre et tu le dis tout bas : M'aimes-tu, sois sincère, ou bien n'aimes-tu pas ? Peut-être ! Quand nos deux corps vibrants ensemble ont frissonné Des désirs que l'hymen, brutal, irraisonné Fit naître. L'instant d'après le mal nos sens inapaisés Ont-ils senti combien ils s'étaient abusés ? Peut-être ! Quand sonna l'heure affreuse et sombre des adieux Je vis avec regret des larmes dans tes yeux Paraître. Je sentis que ton coeur maîtrisant sa déroute Tremblait de voir l'Oubli me suivre sur la route Peut-être ! Tu partis. Je m'en fus. Nos amours sont-ils vrais ? Pour en être bien sûr, comme toi, je voudrais Connaître Davantage pourquoi nous nous aimâmes tant ? S'il fut écrit pour nous ce mot plein de néant : Peut-être ! Non, il ne se peut pas qu'il existât pour nous. Rions de sa menace et fuyons son courroux De traître. Jurons de nous aimer comme les vrais amants Et nos amours auront de nobles cheveux blancs. Peut-être ! Honoré HARMAND Un saltimbanque Souvenir d'une soirée au théâtre français avec Berthe ANFRIE 2 novembre 1917 Hier je m'en fus au théâtre Dont je ne suis pas idolâtre Mais j'avais promis et je tins. Combien de sa gaîté diffuse Le public absorbé s'amuse A voir s'agiter des pantins. Et l'on jouait les « Saltimbanques » Ces gueux grands ennemis des banques Où le riche porte son or. Et je les admirais sans rire Ces artistes qui savent dire De bons mots, dans un beau décor. Et sous son étrange grimace Je devinais le bon « Paillasse » Faux au théâtre et si réel Dans le monde où, sans mise en scène Le vari « Paillasse » se démène Dans le décor vivant du ciel. Comme il aime sa cabotine J'aimais, jadis, une gamine Aujourd'hui vieille de trente ans. Comme lui j'avais fait un rêve ; Mais comme le sien il s'achève Et nous fait aussi ressemblants. Lorsqu'il pleurait sur sa misère On sentait que son front sévère Etait celui d'un comédien. Tandis que lui, roi du mensonge, Vivait son dépit dans un songe, Eveillé je vivais le mien. Mais de « Paillasse » le faux rôle En séparant l'homme du drôle Demain le rendra naturel. Tandis que mon coeur en détresse Battra toujours pour la maîtresse Au masque perfide et cruel. Toujours « Paillasse » jusqu'à l'heure Où vers une scène meilleure J'irai pour calmer mes douleurs Sans bravos, sans rires, sans larmes Redoutant les affreux vacarmes J'aurai les morts pour spectateurs. Honoré HARMAND Le retour Pour la fille d'Alexandre DELAFOSSE, blessé à la guerre de 1914-1918 6 novembre 1917 Te voilà revenu, petit papa chéri Et je t'assure bien, je n'en suis pas fâchée. Mes pensers te suivaient dans l'humide tranchée Où tu dormais, sans feu, tremblant et mal nourri. Les jours nous semblaient longs, plus longue la veillée Quand nous songions à toi, dans la terre accroupi Vivant, parmi les morts, comme eux enseveli Ou bien comme un lion, luttant dans la mêlée. Nous avons ressenti jusqu'à tes moindres maux Et nous t'avons suivi dans les champs, les hameaux ; Mais à quel prix as-tu remporté la victoire ? Seul, par ton bras meurtri, ton courage attesté Aura profondément gravé dans ma mémoire Que tu versas tons sang pour notre liberté. Honoré HARMAND Pour vous deux A Mme SIMAR, Marguerite d'HERICOURT 10 novembre 1917 Lorsque vous vîntes parmi nous Je vis sur votre front candide L'image d'un être timide A rendre les anges jaloux. Mais cependant l'intelligence Se lisait au fond de vos yeux Et tous nous fûmes heureux, Enchantés de votre présence. Plus tard de votre amer passé Nous connûmes les ombres heures ; Celles des espoirs, des leurres Et d'un bonheur du coeur chassé. De souffrir on prend l'habitude Pour oublier le gai printemps Vous avez vécu le bon temps Dans l'insomnie et dans l'étude. Mais Cupidon veillait sur vous Et je sais sa reconnaissance Au bois sacré de l'espérance Il vous a donné rendez-vous. C'est dans le coeur d'un homme sage Que vivent vos chères amours, Car je sais qu'il voudra toujours Vous appartenir davantage. Honoré HARMAND Chanson 20 novembre 1917 Si vous saviez quelle folie Exhale son rire joyeux Elle est mon rêve elle est ma vie Et l'Idéal brille en ses yeux. Sa voix est si douce et câline On dirait au déclin du jour Les sons purs d'une mandoline Que doigte un galant troubadour. Elle a la grâce d'une Elvire, Elle a sa douceur, sa bonté. Je suis poète, elle m'inspire Quand je contemple sa beauté. Elle est fidèle et caressante ; Son pâle front est innocent Aucun mauvais songe ne hante Son âme fragile d'enfant. Si vous saviez quelle folie Exhale son rire joyeux Elle est mon rêve elle est ma vie Et l'Idéal brille en ses yeux. Honoré HARMAND La feuille morte Rondeau parfait 2 décembre 1917 Quand la feuille morte s'envole Je compare son tourbillon Aux pleurs qu'on verse sans raison Sur les chers débris d'une idole. Soumise au joug de l'aquilon Elle esquisse une farandole Ainsi qu'un léger papillon, Quand la feuille morte s'envole. Sur le tapis vert du gazon C'est pour un temps qu'elle s'étiole ; Au baiser d'amante frivole Je compare son tourbillon. Moqueuse, elle méprise Eole Lorsqu'il l'emporte en le vallon Ressemblant en sa course folle Aux pleurs qu'on verse sans raison. Songez amants qu'un rien affole Qu'en nous il est une saison Où s'effeuille la frondaison Sur les chers débris d'une idole. Honoré HARMAND La dernière étape (A mon père retraité) 2 avril 1920 Quarante ans ont passé, solide comme un chêne Tu ne sentiras plus le poids lourd de la chaîne Qui retenait ton bras. Tu vas pouvoir agir et penser à ta guise ; Connaître le frisson de liberté qui grise Et dont tu jouiras. Tu vas pouvoir, enfin, après tant de misères Vivre dans le réel ce qui fut des chimères Durant les ans passés. Nectar qui trouble et dont nos lèvres sont avides. Images dont nos yeux, qu'ils soient peuplés ou vides Ne sont jamais lassés. Le ruban que j'admire, ornant ta boutonnière A nos regards jaloux explique ta carrière Faite toute d'honneur. Et si tes cheveux blancs nous révèlent ton âge Nous savons qu'il te reste un bel et noble gage : La jeunesse du coeur ; Laisse là le marteau, la ferraille, l'enclume, Puisqu'il faut, qu'au repos, ton corps las s'accoutume, Cesse de travailler. L'avenir s'offre à toi, souriant, plein de charmes. Que ta main, désormais, ne forge plus les armes Dont se sert l'ouvrier. La retraite, pour toi, c'est un rayon de gloire Puisque, par le labeur, tu gagnas ta victoire : Du pain pour tes vieux jours. Mais parfois le Destin fait rudes les batailles Va, je ne le crains pas pour toi, si tu défailles Je serai là, toujours ! Honoré HARMAND A ma fille A l'occasion de la première communion d'Yvette Le 27 mai 1923 Ma fille en ce grand jour, le plus beau de ta vie Pour nous, sans le savoir, tu ranimes l'envie D'un bonheur trépassé. Mais nous en revivons la sublime féerie En te voyant marcher sur la route fleurie Où nous avons passé. Dans ton coeur abrité sous les ailes d'un ange Aujourd'hui Dieu versa le parfum sans mélange Dont il a le secret. Ce parfum c'est la foi, le sentiment suprême Qui met un cercle d'or autour du front qu'on aime Comme autour d'un portrait. Lys vivant je t'admire en ta robe si blanche On dirait le lilas que suspend à ses branches Le Printemps généreux. Quand Avril échancrant son manteau de verdure Nous invite à chanter comme dans la ramure Chante l'oiseau joyeux. Tu me pardonneras qu'un instant je t'attriste. Hélas ! Des noms chéris sont absents sur la liste De nos chers invités. Que dans notre pensée ils aient encor leur place Et, par le souvenir, sous leur linceul de glace Ils soient ressuscités. Mais chasse de tes yeux les brumes passagères Qui viennent, chère enfant, d'effleurer tes paupières La joie est à ce prix. Le Plaisir nous transmet les leçons d'Epicure. L'homme, pour vivre heureux, de gaîté franche et pure Doit toujours être épris. Au livre de ta vie il manquait une page Je l'ajoute et j'écris les doctrines du sage Et quand tu grandiras En te remémorant ces choses si lointaines Si fatigant que soit le fardeau de tes peines Tu le supporteras. Honoré HARMAND Impressions Au poète Philéas LEBESGUE De La Neuville-Vault 20 août 1925 Je n'ai fait que passer, un jour, dans le village Que vous avez choisi, pour vivre sans tapage Parmi des familiers. Loin du monde et du bruit de la ville infernale Où l'esprit cahoté se perd dans le dédale Des devoirs journaliers ; Accusez Apollon ; il m'a servi de guide Pour vous connaître mieux et, dans l'école vide A dirigé mes pas. C'est là que j'ai trouvé, parmi d'autres brochures L'ouvrage où votre coeur a décrit ses blessures : Celles qu'on ne voit pas. Vos vers sont imprégnés d'un parfum de verveine Dont a dû se griser votre muse sereine En dansant dans les prés. Et, par les longs chemins tracés dans la verdure Je vous ai devinés, errant à l'aventure Comme des émigrés. Du gros recueil, hélas ! Je n'ai lu qu'une page ; Mais cela m'a suffi pour écrire l'hommage Qu'elle a su m'inspirer. Et cet air pur et sain où vous vous sentez vivre Le hasard a permis qu'en ouvrant votre livre Je vins le respirer. Quand je repasserai dans votre gai village Permettez que j'arrête au seuil de l'ermitage Fréquenté par les dieux. Je verrai de plus près les troublantes chimères Cacher vos yeux lassés de beautés éphémères Sous un bandeau soyeux. Honoré HARMAND Dans un vieux cimetière 1er août 1927 Dans un vieux, très vieux cimetière Je me complais à m'arrêter. Aux autres lieux je le préfère Lorsqu'il me prend de méditer. Chez les élus de l'autre monde, Plongés dans l'éternel repos, A l'aurore j'ai fait ma ronde Et brossé ces quelques tableaux : Quelle est donc cette tombe blanche ? Un chérubin du Paradis ; Oisillon tombé de la branche Où l'oiselle avait fait son nid. Sous une colonne brisée Je lis un âge : Dix huit ans ; Fleurette avide de rosée Tu n'as pas connu le Printemps. Sans trace d'une fleur fanée On devine le mort « Tout seul » Et sur sa tombe abandonnée L'Oubli tend son épais linceul. Plus loin, par une lourde pierre Un vieillard marque son orgueil. Pourquoi ? Pour un peu de poussière Abritée au fond d'un cercueil. Les beaux princes de la Fortune, Les valets de la Pauvreté, Sous le même rayon de lune Reposent en communauté. Passant, dans le vieux cimetière Prends un instant pour t'arrêter ; Près de l'église familière Il est si doux de méditer. C'est là que tu pourras connaître La froide cruauté du sort ; La fragilité de tout être Et l'illogisme de la Mort. Honoré HARMAND A des fleurs des champs 2 août 1927 Je méprise tout haut les citadins méchants Qui viennent vous cueillir, par caprice, sans doute, Pour vous jeter ensuite au limon de la route, Modestes fleurs des champs Un soir que je faisais ma ronde, solitaire J'ai vu le chapelet de vos rameaux épars Joncher le sol brillant sous les rayons blafards De la lune sévère. Vous aviez, de l'hiver, supporté la rigueur, Amis Avril, dont je suis la sublime tendresse, Avait, par le secret de sa chaude caresse Ranimé votre coeur ; Vous vous cachiez, pourtant, parmi les hautes herbes ; Ayant, pour tout désir, celui de vivre en paix, Loin des enfants surpris de voir le ton si frais De vos robes superbes. Lors, vous donniez asile au papillon léger, A l'abeille gourmande, au bourdon son complice, Quand ils se disputaient le nectar d'un calice Pour se le partager. De la disgrâce humaine innocentes victimes Vous n'avez qu'un défaut : Votre simplicité ; Mais, si nous en croyons la fade Vanité Les vertus sont des crimes. Mon âme de poète a souffert de vous voir, Modestes fleurs des champs, mourir dans la poussière Et j'ai taillé pour vous un cercueil de bruyère Garni de satin noir. De mon coffre secret je vous ouvre les portes. Aux objets qu'il contient laissez-moi vous unir. Ainsi vous comblerez le tendre souvenir Des belles choses mortes. Honoré HARMAND Anniversaire A Mme JOBERT mère, à l'occasion de son 70ème anniversaire 1er mars 1930 Soixante-dix ans, le bel âge. Quand on a bon pied, frais visage L'on ne saurait désirer mieux, Et l'on peut vivre en l'espérance Que des jours exempts de souffrance Doivent s'écouler pour les vieux ; S'il vous était donné d'écrire, Comme je le fais, votre lyre Exhalerait les plus beaux sons. Des jours heureux de la jeunesse, Aussi berceurs qu'une caresse, Vous nous chanteriez les chansons. Oubliant toutes les misères Dont est meurtri le coeur des mères Vous nous diriez votre secret Celui de la force de vivre Et, sans amertume, de suivre Son brutal destin, sans regret. Arrachant l'épine des roses Quelle grande leçon de choses Vous sûtes ainsi nous offrir. Puissions-nous, et je suis sincère, Pour fêter votre centenaire, Dans trente ans, ainsi revenir. Honoré HARMAND Deux brins de muguet 2 mai 1930 Deux brins de muguet c'est bien peu de chose ; Mais c'est tout pour moi, puisque ces deux brins Ont chassé l'ennui de mon front morose Et guéri mon coeur de tous ses chagrins. En m'offrant ces fleurs sais-tu bien, ma Mie Que j'ai deviné que tu m'appartiens ? Aussi, désormais, je ris à la vie Et tous tes désirs, crois-moi, sont les miens. Honoré HARMAND Dans une mansarde 3 mai 1930 Une mansarde en voit des choses Qui ne sont hélas ! Toujours roses. Croyez-en celui qui vécut Sous le pauvre toit où s'abritent Ceux qui dévorent quelques frites Pour le centième d'un écu. Mais la mansarde a son histoire Et nul n'est obligé de croire Qu'on peut y vivre très heureux Lorsque notre désir s'essaime ; Que l'on est pauvre et que l'on s'aime En disant un « oui » tous les deux. Voilà la superbe franchise L'amour où seule l'h n'est mise ; La caresse du gai printemps. Quand, rencontrant certaine brume, Qui comme soi rêve à la lune Et dit : « Buvons à nos vingt ans ». Tous les détails d'une débauche Semblaient nous inculquer l'ébauche Des vices de ce grand Paris. La pudeur régnait en maîtresse Et nos vains désirs en détresse Firent de nous de vrais amis. Le temps passe ; il est si rapide ! La vie est un monstre stupide : Il est si court son long chemin Qu'il ne faut vivre pour le monde. Souvenir : ô ! Source profonde Fais qu'hier ait un lendemain. Honoré HARMAND Soir d'alerte Soliloque 3 février 1936 Bec de gaz, on t'a peint en bleu ; Ça t'a vexé, pas pour un peu, Toi qui voyais la vie en rose. Cependant ta pâle clarté, Auprès de l'électricité, Ne saurait en être la cause. Et dire, pourtant, que ce soir Tes cheveux, sous ton chapeau noir, Seront une voûte azurée. Tu te fais déjà remarquer. Combien viendront, pour reluquer Une tignasse colorée ? On eut acheté ta santé, Pauvre bec de gaz argenté ; Mais, je comprends, cela te gêne Tu dois avoir des embarras, Car le Docteur ne t'a-t-il pas Prescrit le bleu de méthylène ? Mais pourquoi te troubler ainsi Et d'un inutile souci Charger ta lanterne pensive ? Car si l'on a mis la Cité Dans la plus sombre obscurité C'est pour la défense passive. Tu te souviens des durs moments Où, pour de vrais bombardements, Aussi l'on voilait la lumière. Vingt ans ont passé, tu le sais, Et ton vieux coeur de bon Français Bat pour ceux qui firent la guerre. Quoi, tel un mauvais électeur On te fait changer de couleur Et tu t'inclines, sans rien dire. J'ai compris : tu te dis tout bas Que les avions ne viendront pas Et que l'alerte -- c'est pour rire. Bec de Gaz Le Monde 2 mars 1936 Je le vois, de près, si petit Que son formidable appétit De jouissances éphémères Me fait redouter les chimères Auxquelles je croyais vraiment. Poète j'en fais le serment. Si j'avais une longue-vue Peut-être une image imprévue Ferait que je le trouve mieux ; S'il n'existait des envieux Tous marqués des plus tristes tares, Gens sans coeur et doublés d'avares. Mais nul ne saurait découvrir Le mal qui l'a tant fait souffrir L' « Amour » et la grande « Richesse » ; Alors que plus d'une détresse Criait « Au secours » dans la nuit ; La « Charité » marche sans bruit. Le Monde serait, je gage Beau, si dans le coeur d'un sage Tout homme cherchant la Raison Sur un lit frais de vert gazon Se grisant de pure verveine Oubliait qu'existe la « Haine ». Honoré HARMAND Un cher prénom A Mme DELGOVE, amie d'enfance 4 mars 1936 Ce prénom était celui de ma chère cousine morte à 20 ans. Madame j'ai, pour rien vous dire Aiguisé vingt fois mon crayon Tant il est malaisé d'écrire Habilement votre prénom. Il est doux, gracieux et j'aime L'entendre souvent prononcer ; De chers souvenirs, en moi-même En ces instants il fait passer. Honoré HARMAND Chanson sans frais A l'occasion du départ en retraite de Monsieur FREY 24 avril 1936 Sur l'air « du Rêve de Drumont », ou « de l'Anatomie du Conscrit ». Mes chers amis quel évènement Notre Inspecteur prend sa retraite Nous le regretterons vraiment Tant mieux pour lui, sa tâche est faite Aussi jamais je n'oublierai Son mépris de l'afféterie Son regard vif et son teint frais Grâce à sa grand'philosophie Toujours aimable et souriant Sauf en parlant au téléphone Où l'écouteur l'croyait méchant Il n'avait pas la voix aphone Cent anecdot'je racontr'ais Sur lui si j'connaissais sa vie Et quel sublim'roman on f'rait Grâce à sa grand'philosophie. Je pens'quand il avait vingt ans Et qu'il courait la prétentaine Son coeur débordant de printemps Dut avoir plus d'un'bonn'aubaine Quand un'bell'blond'le reluquait Il comptait de plus une amie Un regard en faisait les frais Grâce à sa grand'philosophie. Comme Louis XV le bien aimé Il a toujours eu le sourire Et il fut toujours estimé J'vous l'dis on n'peut me contredire Qu'il me permett'd'être indiscret Tout ne fut pas ros'dans sa vie Et il vogua parfois sans fret Au gré de sa philosophie Mais voilà qu'au moment d'partir Il faillit passer l'arme à gauche Quand même il sut se retenir Car il n'y a qu'les blés qu'on fauche. De vivre vieux gardant l'secret Il semble dir'plein d'ironie Pour trouver un vieillard en Frey Ça, mes amis, je vous l'défie. Portrait A Suzanne CHARPENTIER 1er juillet 1936 Sincère je vous crois, franche à n'en pas douter Une collègue aimable et je puis ajouter Zélée et toujours prête à rendre des services. Aimant faire le bien, au prix de sacrifices N'ayant peut-être pas connu le vrai bonheur Né d'un mot, d'un regard exempt de maléfices Et n'écoutant toujours que la voix de son coeur. Honoré HARMAND Destinée 2 juillet 1936 Dans la chambre où mourut ma mère Destin ! Tu me fais revenir Ne crois pas que le souvenir Est synonyme de chimère ! Cruel ! Tu crois m'épouvanter Et sembles douter de ma force Ne me juges pas à mon torse Les lourds fardeaux je sais porter. D'un gai Noël, c'était la veille Et mon vieux père, à mes côtés Voyait ses bonheurs escomptés Fuir lentement avec sa vieille. Elle ferma ses grands yeux bleus Sans exhaler la moindre plainte Et quitta le monde sans crainte Comme le font tous les bienheureux. Dans la chambre où mourut ma mère Je suis très fier de revenir Pour raviver le souvenir De celle qui me fut si chère. Honoré HARMAND La Vie 3 juillet 1936 La Vie est une belle gueuse, Une attrayante ensorceleuse, Une amante au regard fatal. Combien résistent à l'étreinte Quand sur sa lèvre ou meurt la plainte Nous goûtons le baiser du mal. Inventant de belles chimères Elle grise le coeur des mères Et des faibles adolescents. Sa voix est douce et caressante Et la masse reconnaissante Pour elle fait brûler l'encens. Mais c'est une femme fardée Qui, dans la nuit, s'est attardée A courir les bals mal famés. Qui de nous ne voit cette image D'un regard où le lourd nuage Se cache sous les yeux fermés. Combien ses plaisirs sont fugaces Lorsque prolongés par les glaces Du palais où l'on va chercher Le noeud gordien de son intrigue En désirs menteurs si prodigue Que nul n'ose le détacher. Elle n'a, pour moi, d'autres charmes Que celui de voiler de larmes Mes yeux désormais sans clarté. Lorsque d'une heure fugitive Le souvenir à l'âme vive M'en fait revivre la beauté. Honoré HARMAND La pâquerette 4 juillet 1936 En me promenant dans mon parc en fleurs Hier, je cueillis une pâquerette Et je dis tout bas : ô ! Belle fleurette Dis-moi le secret qu'il cache en son coeur. M'aime-t-il vraiment ? Ses yeux bleus le disent ; Sa lèvre m'en fit le suprême aveu. La fleur répondit : Femme il t'aime « un peu ». Je ne savais pas que les fleurs méprisent. J'en cueillis une autre et mes doigts jaloux N'osaient effeuiller le dernier pétale La fleur répondit : ta beauté fatale Veut que, désormais, il t'aime « beaucoup ». Sceptique, ô ! Combien, croyante à mes heures J'en cueillis une autre et l'interrogeant : M'aime-t-il ? La fleur dit : « éperdument » Et son coeur se ferme aux frissons des leurres. Heureuse, en chantant, je rentrai chez nous N'osant cueillir une autre fleurette De peur que sa voix, cruelle, indiscrète Dise que son coeur n'aime « pas du tout ». Honoré HARMAND Misère sentimentale 6 juillet 1936 Misère étreins-moi dans tes bras Nous sommes vieilles connaissances Et nous avons des confidences A nous faire -- en parlant tout bas. Tu te souviens de ma jeunesse ; Combien je vécus malheureux, Comme vivent les amoureux Au lendemain de leur ivresse. Je m'étais trop imaginé Que le bonheur était durable. Je croyais trop à l'ineffable : Cette grande foi m'a ruiné. Je suis pauvre et n'ai plus personne A qui je puis tendre la main. Je suis seul sur le grand chemin Où mon pas lourd, en vain résonne. Je vais, étrange vagabond Comme un chemineau sans asile Tel un vert-galant sans idylle Auquel aucun coeur ne répond. Misère qu'importe, quand même, Ma soeur, toi, tu me comprendras Bien fort étreins-moi dans tes bras : Si tu savais combien je t'aime. Honoré HARMAND Réponse à un faire-part A mon fils, à l'occasion de l'enterrement du père 100 8 juillet 1936 Reçu ton faire-part et t'expose aussitôt Qu'un mandat, j'ai compris, tu toucheras bientôt. En guise de couronne. Dans des vers, pleins d'esprit chacun se reconnaît Et le mien, bien vétuste, à cet instant renaît ; Ma muse est si mignonne. Je l'excite et lui dis : Muse encor un baiser. Je ne suis fort, pourtant mais ne sais apaiser Cette fièvre d'écrire. Si la neige des ans a blanchi mes cheveux Je t'aime simplement plus que jamais et veux Qu'aux accords de ma lyre Ta voix, jeune toujours, réponde aux jeunes gens. Ne rougis pas ma mie, ils seront indulgents Pour notre bavardage. Et plus tard, comme nous, lorsqu'ils seront vieillis Parmi les souvenirs qu'ils auront recueillis Nous aurons notre page. Honoré HARMAND Mon bon chien 30 juillet 1936 Mon bon chien tu m'as reconnu Et je cherche encore à comprendre Par quel hasard es-tu venu A mon auberge me surprendre. O combien tu semblais content De retrouver, ainsi, ton maître. Bon chien tu n'es pas inconstant ; Je ne puis que le reconnaître. Tu te frôlais tout contre moi. Ta joie approchait le délire Et tu mis mon coeur en émoi : Dans des yeux de chien je sais lire. Un mois je me suis absenté Toi, tu n'en sais rien ; peu t'importe Mais on m'a dit : Il est resté Chaque soir au pas de la porte. Comme je t'aime mon bon chien, Mon compagnon le plus fidèle. Avec moi tu ne perdras rien ; Je me souviendrai de ton zèle. Honoré HARMAND Au feu les pompiers Septembre 1936 A propos des nouveaux avertisseurs d'incendie Au feu les pompiers c'est le dernier cri Aussi c'est pourquoi simplement j'écris Pour tous mes amis cette simple histoire : Partout dans la ville on vient d'installer Des avertisseurs. Plus besoin d'aller Déranger tout le monde mêm'quand c'est la foire. La jeune amoureuse, ayant du chagrin En Octobre ira au son du crin-crin A cet appareil conter sa misère En brisant la glace, exprime en deux mots Au pompier d'servic'l'objet de ses maux Et en un clin d'oeil s'éteint sa chimère. L'homme, qui souvent, tente à s'attarder Encaisse un reproche, et ça va barder Mécontent des coups qu'on lui administre Ma femme, dit-il, n'a plus sa raison Et le torchon brûle à notre maison Arrêtez bien vite un si grand sinistre. Le pochard lui-même appelle au secours A l'avertisseur veut avoir recours Mais on comprend mal, sa langue pâteuse Il dit bafouillant : J'ai mal aux cheveux « Pompier de malheur » combien je t'en veux L'ivresse est ingrate et c'est une gueuse. C'est beau le progrès ; nous vivons heureux Mais souvent des gens prendront pour des jeux Ces beaux appareils « nec ultra moderne » Et si l'étourdi joue avec le feu Il saura comprendre et j'en fais l'aveu Ce qu'est la vessie auprès d'la lanterne. Alors citoyenne pour les vrais malheurs Brisez les carreaux des avertisseurs Des braves pompiers ménagez l'courage Ainsi vous serez à l'abri, toujours Et, à peu près sûrs de finir vos jours Sans craindre le feu dans votre ermitage. Honoré HARMAND L'Automne 20 septembre 1936 Septembre, en son manteau de pourpre doublé d'or, Avance lentement, au déclin de l'année ; Achevant des saisons la troublante hyménée ; Et vers des cieux plus doux l'oiseau prend son essor. La Nature, à mourir, nous paraît condamnée. Les Nymphes ne vont plus purifier leur corps Aux ondes des grands lacs. Le Faune, à leurs accords, Ne trouve plus de charme et son âme est damnée. Le crépuscule est pâle et le Monde et les choses Sont touchés par le deuil de ses apothéoses ; Tout semble frissonner d'une sublime peur. Les fleurs ont des parfums qui se volatilisent. Le Soleil, tout puissant, a perdu sa chaleur Et dans ce désarroi, les zéphyrs se dégrisent. Honoré HARMAND Le prix des larmes A Madame X. très respectueusement 10 janvier 1937 Troublant un instant votre vie J'ai senti que toute ravie De mes poèmes tout mon « moi » Vous avez pleuré sur mon ombre. On ne saurait compter le nombre Des larmes confirmant l'émoi. Vous m'avez demandé d'écrire Pour tous un poème et dois dire Que ma Muse n'écoute pas. Quand je lui demande un mensonge Elle répond : Poète, songe, Je suis seule à guider tes pas. Ecris donc ce que je t'inspire Car des cordes de notre lyre Moi seule sais tirer des sons. Quand je vois couler une larme C'est qu'un être a trouvé du charme A lire nos tendres chansons. Honoré HARMAND L'âme du foyer A Madame X, vers inédits 20 janvier 1937 Pardonnez si je viens, pour la première fois, Non pas comme un intrus, mais c'est pour vous connaître Que je me suis permis, invité par le maître, De vous parler ainsi qu'un ami d'autrefois. Mon chapeau, mes cheveux sont ceux de l'humble pâtre Limitant son bonheur à guider les moutons. L'art d'être heureux, sans doute, a choisi tous les tons Mais je n'en connais qu'un : la douceur de votre être. Ecoutez donc ces vers écrits exprès pour vous. On m'a dit, certain soir, que vous aimiez Madame Qu'un poète ignoré donne un peu de son âme ; Votre mari, je crois, n'en sera pas jaloux. Deux mots m'ont révélé l'âge où votre beau rêve A commencé de vivre, ignorant du réel Tout ce qu'il sait cacher. Les étoiles au ciel Ont aussi, paraît-il, une clarté trop brève. Ne les imitez pas et qu'en votre foyer Dans l'azur le plus bleu ne passe aucun mage. De vivre malheureux vous n'avez encor l'âge Et vos quatre bambins sont là pour y veiller. Et si votre mari, surmené par l'ouvrage Laisse échapper un mot, sans pouvoir s'apaiser Vous avez le pouvoir de détourner l'orage : Répondez, croyez-moi, par un tendre baiser. Honoré HARMAND C'est à ma cigarette que je tiens langage Souvenirs de mon ami BORNES, qui m'a dédié ce poème 2 février 1937 Sais-tu bien ce que l'on raconte On vient d'ouvrir un grand débat Contre l'usage du tabac Ma cigarette te rends-tu compte ? Ma compagne de tous les jours Il faudrait que je t'abandonne Et que, te délaissant, je donne Tout mon coeur à d'autres amours ? Toi qui me fus toujours fidèle Toi le plus doux de mes plaisirs Toi le charme de mes loisirs Et des compagnes le modèle ! Il faudrait, sans m'apitoyer Que je t'oublie et que sans âme Perdant la fumée et la flamme Je te supprime en entier. Non ! Car j'ai vu dans les volutes De ton brouillard gris, parfumé Tout ce qu'ici j'écris : rimé Sur des airs de pipeaux et de flûtes. Laissons les censeurs ricaner, Parlotter si ça les amuse Malgré tout je t'aime ma Muse Et ne veux pas t'abandonner. La lettre à l'enfant prodigue Pax Labor 6 février 1937 3ème prix au concours des Violetti Mon Jean j'avais le coeur bien gros Quand tu laissas tes lourds sabots Et, la besace sur le dos, Tu pris la route poussiéreuse. Là-bas, au détour du chemin, Je te fis -- adieu, de la main Puis sous l'ombre du vieux jasmin Je me suis assise -- rêveuse. Elles ne te plaisaient donc plus Les chaumines aux toits moussus, Les parquets de terre, bossus, De nos vieilles fermes normandes ? Le bon pain, au goût de gâteau Et notre gros cidre sans eau Que l'on tirait à plein tonneau ; Dont tes lèvres étaient gourmandes. Ils ne te plaisaient plus les champs, Les arbres aux rameaux penchants, La beauté des soleils couchants, Le calme du soir -- poétique ? L'étang reflétant le manoir Aux bords duquel, comme un devoir, Nous allions caresser l'espoir D'une existence moins critique. Rien ne te retenait chez nous. Il te fallait le grand remous De la vague humaine en courroux, La Ville -- aux plaisirs éphémères. Où, par les vices, corrompus, Les hommes, lassés et repus, Enlacent dans leurs bras trapus Les insaisissables chimères. Un an a passé-- Dans la nuit L'horloge a répété « Minuit » ; La pauvre vieille entend le bruit Des gonds rouillés de la barrière. Le chien, croyant un vagabond, Dans sa niche pousse un juron ; Mais un homme a franchi d'un bond Le seuil maternel qu'on éclaire. C'est Jean, le fils du laboureux Qui s'en est revenu joyeux Fuyant le séjour ennuyeux De ce grand Paris qui fatigue. Mères qui souffrez sans répit Souvenez-vous que le dépit Comme l'hirondelle, à son nid Ramènera l'enfant prodigue. Honoré HARMAND Le langage des yeux 10 février 1937 Les yeux ne savent pas mentir Ils parlent sans nous avertir Et tiennent des propos étranges. De la joie ou bien du mépris Ils connaissent le juste prix Pour faciliter les échanges. Qu'ils soient noirs ou couleur azur Ils ont un langage si pur Qu'il est incompris du vulgaire. Quand les abritent de longs cils Ils révèlent, des coeurs subtils, Le plus insondable mystère. Ouvrant parfois un horizon Ils le referment sans raison Mais ils possèdent tous les charmes. Ils font rêver, ils font souffrir. Comme ils ne savent pas mentir Ils disent « Pardon » dans les larmes. Honoré HARMAND Si je comprenais 20 février 1937 Si je comprenais que tes lèvres chères Chantent à mon coeur d'éternels amours ; Si je comprenais que les vains discours N'ont jamais, de pleurs, rougi tes paupières ! Si je rencontrais dans tes jolis yeux Ce que ne voit pas mon aveugle peine Si je ne troublais ton âme sereine Combien, oui combien nous serions heureux. Mais je ne sais pas à quel point tu m'aimes. Mon coeur le comprend. S'il pouvait parler Il te dirait, lui, ce que ton baiser Fait germer en moi d'extases suprêmes. Honoré HARMAND Triptyque 4 mars 1937 Question ? S'il nous fallait, dans l'existence Usant du pouvoir d'influence, Zone permise en amitié ; Ayant d'un seul coeur la moitié, Nier certaine préférence. N'aurions-nous pas de répugnance En écrivant le mot « Pitié » ? Enigme L'un dit-elle est charmante Et l'autre ajoute : elle m'enchante. On ne saurait, en vérité Ne penser qu'un vil flatteur mente Et qu'existe la cécité. Comparaison Hériter d'un bon caractère Entre nous c'est tout un mystère. Le profane aura beau chercher Et faire le tour de la terre Nul ne saura pas rapprocher Et le torrent et le cratère. Honoré HARMAND Je ne puis pas 10 mars 1937 Combien de fois dans l'existence J'ai médité la différence Entre les êtres ici-bas ; Et sans résoudre le problème J'ai voulu vivre pour moi-même : Je ne puis pas ! Je ne puis pas. Mes désirs sont comme les vôtres. Quoi ? J'aurais pu comme les autres Vers le bonheur tendre les bras. Aussitôt la coupe se vide Lorsque je tends ma lèvre avide : Je ne puis pas. Je ne puis pas. J'aurais pu, de dame Fortune Goûter la caresse opportune, Fouler des roses sous mes pas. Ce sont de vulgaires épines Que je cueille dans les ravines : Je ne puis pas. Je ne puis pas. J'aurais voulu faire un poète, Mais torturant ma pauvre tête Je l'incline bien bas, bien bas. Quand je m'efforce de relire Les dix vers que je viens d'écrire Je ne puis pas. Je ne puis pas. Honoré HARMAND Diplôme d'Honoré HARMAND Le bonheur 20 mars 1937 Quel est donc ce génie auquel on croit sans cesse Qui propage son mal dans une âme en détresse Ou dans un coeur blessé ? Le quel de nous succombe à son pouvoir magique A son baiser menteur, son rire sarcastique : Seulement l'insensé ! Sous des masques divers, acteur, il se déguise. La chanson des écus prend l'avare et le grise De la fièvre de l'or. Mais s'il lui faut puiser au fond de sa cassette Il voit de sa gaîté surgir l'affreux squelette Du fond de son trésor. Les amants à son nom accordent confiance. Les désirs et l'extase à la même cadence Font battre tous les coeurs. L'amante, certain soir, confuse et méprisée Comprend, trop tard hélas ! Qu'elle s'est abusée Sur les amours vainqueurs. Le poète amoureux a guidé sa chimère Dans les sentiers fleuris des jardins de Cythère Aux troublantes senteurs. L'heure d'après le rêve, en pleurant, il s'éveille Penchant son front glacé qu'une trop longue veille A couvert de moiteurs. Le vieillard chancelant, au déclin de sa vie Fixe son cher passé d'un regard sans envie Mais avec volupté. Il tend encor ses bras vers une ombre invisible Mais près de lui, sans voir marche un spectre insensible D'un pas qu'il a compté. Où s'arrêtera-t-il ce fantôme qui rôde En suivant, des mortels, l'inexprimable exode Sans jamais se lasser ? Nulle part. Aucun point de la route infinie Ne saurait retenir cet étrange génie : Il ne fait que passer ! Honoré HARMAND A Marina, « l'inoubliable » Poème vécu par mon fils soldat 10 mai 1937 Elle s'appelle « Marina » Et le hasard nous amena Auprès d'elle, dans la cohue Des « hommes » passant dans la rue. Elle avait de si jolis yeux Et nos coeurs étaient si joyeux Qu'un grand désir, irrésistible Nous désigna, comme une cible Pour un amour irraisonné. C'était un soir de Mi-carême Les yeux, dans sa face si blême Avaient un reflet enjôleur Et son regard, d'amour, menteur Nous parlait de l'amour quand même : On est aveugle quand on aime. Elle nous plut et sans rancoeur Semant sous ses pas du bonheur Nous fit passer « une heure ensemble ». Le bonheur au malheur ressemble. Nous n'avons rien à regretter Car, quand il fallut la quitter Tous, grisés d'équivoques charmes Avons versé de franches larmes. On a tort de s'apitoyer Sur celle qui fait son métier Mais quand apprend qu'elle est mère Malgré soi notre coeur se serre Et quand les sens sont apaisés La source ardente des baisers Sur la lèvre est vite tarie : Le bon sens parle à la folie. Un enfant a tant de valeur Le mot « Maman » trouble le coeur Des plus endurcis qui l'entendent ; Les nerfs des plus forts se détendent. Nous lui fîmes de la morale Mais c'est une beauté fatale Qui sème, sans savoir pourquoi Un souvenir derrière soi. Amour, frissons, furtive ivresse Vous gravez, dans notre jeunesse Des mots qu'on ne peut oublier. Mais pour Elle dans le sentier Où fleurit la rose sauvage Vous avez caché « l'Esclavage » Qui, dans le détour du chemin L'attaquera le jour prochain. Redoute l'ombrage des branches ? Nous avons tendu des mains blanches « Marina » tous en te quittant. Tu ne pourras en faire autant A la fin de ta vie amère Ton rêve affreux sera « Chimère » ; Mais souviens-toi bien « Marina » Du hasard qui nous amena Auprès de toi, dans la cohue Des « hommes » passant dans la rue Et si ton fils plus tard a faim Pour vous deux nous aurons du pain. Honoré HARMAND C'était un vendredi. . . C'était un vendredi de certaine semaine Où, voulant imiter le grand Maître BOILEAU J'ai composé ces vers, pour endormir ma peine Et, en songeant à vous, dans le square « THUILLEAU ». Les souvenirs A mes chers amis 6 juillet 1937 Loin « des Dames ». Pourrions-nous oublier cette belle journée Pour de rares amis unique dans l'année ? Je vous répondrai : « NON », vous qui m'avez chargé De vous décrire en vers ce que l'on a mangé. Parfois, avec effort, il faut que j'imagine ; Mais, s'il connaît les prix, le profane devine Que ce n'est pas en vain qu'on délaisse un foyer : LE SAGE ne saurait jamais se dévoyer. J'abandonne, et pour cause un simple casse-croûte, Car il ne fut jamais de plaisir qu'il en coûte. J'aborde, avec courage, un menu bien servi, Comme un peu de douceur à l'esclave asservi Lui permet, prisonnier, un instant, de sourire. EPICURE, bien mieux, aurait su vous le dire Tout ce qu'un estomac, le plus rébarbatif, Peut engorger alors qu'après l'apéritif, Qu'en un décor charmant, embrassé par les roses L'HOMME sait oublier le poids des jours moroses. Il y avait de tout, des hors-d'oeuvre de choix Un peu de chaque chose et de tout à la fois. Notre fol appétit en eut bien vite cure. LA FONTAINE eut parlé « de cette autre mesure ». Mais notre ami MASSON, qui fut toujours si franc Nous a fait souvenir de la valeur du franc. Aussi nous réservant pour la sole normande Dans une crème épaisse en folle sarabande Ses filets chevauchaient, et nous dûmes pêcher Crevette, moule blonde et aussi reprocher Au servant « petit frère », à l'heure du prologue, En guise de filets de nous servir la rogue. Mais vous le connaissez, il ne se fâche pas Et nous pûmes, ainsi, faire honneur au repas. Un vrai pâté « MAISON », en tous points, délectable Au titre « Supplément » nous fut servi sur table. Ensuite, les poulets, car le frère et la soeur Se partageaient du plat l'alléchante saveur. Puis, enfin, le dessert : fromage de cinq sortes A courir trop pressé, au point que vers la porte Les multiples servants s'étaient tous empressés : Les vers dans le fromage ont des airs insensés. Comme dans la chanson nous mangeâmes des fraises Fraîches et ressemblant aux lèvres Polonaises Qui riaient d'un « CHAPEAU » comme dans son pays On n'en fabrique pas, car ils sont « tout pitits » Je ne puis oublier, non plus, la Yougoslave Fille déracinée, au sourire si brave. Et que dirai-je encor du vieil ami VOIEMENT Qui semblait tout heureux mais dont le sentiment Se laisse deviner, sans qu'il faille traduire Tout ce qu'il éprouvait : bien manger, laisser dire. Mais nous avions aussi l'élégant COPURCHIC Qui se sentait à l'aise en son « Transatlantic » Vous l'avez deviné mes chers amis sans peine Car il n'eut pas donné sa bouchée à la reine. Permettez que j'abrège un si long discours Mais il est inédit. Ce n'est pas tous les jours Qu'un souvenir heureux gravé sur une page A la franche gaieté rend un si juste hommage Ces vers sont nés d'une heure en un vieux clos normand Mon coeur les a signés pour vous d'un nom : HARMAND. Honoré HARMAND Le 3ème arrondissement A mon ami BOUQUEREL secrétaire de police 13 août 1937 Vous qui passez parfois devant Son esthétique est décevant Et, pourtant sous son air austère C'est la maison où le malheur Trouve un bon accueil, le meilleur : C'est le bureau du commissaire. C'est là que chacun vient conter, Attester ou bien contester Les inconstances de ses proches. On se soulage et l'on dit tout. Sur le ton aigre ou le ton doux Et l'on déverse ses reproches. Le Secrétaire est bon garçon. A chacun dictant la leçon Que beaucoup ne savent comprendre. Il donne une part de son coeur A ceux torturés de rancoeurs C'est un pasteur à s'y méprendre. J'ai vécu dans l'intimité Des murs si pleins d'humidité Que quatre couches de peinture Ne sauront effacer les pleurs De ceux saturés de malheurs Qui confessent une aventure. Combien de répugnants tableaux Et combien de procès-verbaux Dût écrire le secrétaire Dans ce décor en vétusté Où l'on refait la propreté Dans une tonalité plus claire. Le cabanon, c'est un cercueil Et s'il n'était le bon accueil Qu'on réserve aux amis du bouge Celui qui doit dormir dedans Croyant sans peine aux revenants Noir en entrant sortirait rouge. Honoré HARMAND En causant à « La Mort » Janvier 1938 Entre, la Mort, dans mon foyer, Toi qui sait aussi bien choyer L'enfance autant que la vieillesse. Causons ensemble, si tu veux, Et peut-être en comblant mes voeux Tu me griseras d'allégresse. Que te faut-il encor de plus ? Quand j'étais jeune tu me plus. J'invoquais ta froide caresse ; Désabusé je t'écrivais Mais jamais je ne recevais Un mot de ma folle maîtresse. Mon père tu pris récemment, Semblant faire du sentiment Dans la logique de la vie. Mais tu commis tant d'injustices Que le prix de tes sacrifices En moi n'a fait naître l'envie. De t'imiter dans tes erreurs Toi, la déesse des frayeurs Qui planent sur le coeur des hommes. S'il en est un qui ne craint pas Ton amer baiser de Judas C'est moi parmi ceux que nous sommes. Mais alors épargne les miens. J'ai tressé de très forts liens Pour retenir leur espérance. Tu m'as compris ? Rentre chez toi. Moi seul puis, sans aucun émoi Te parler, vieille connaissance. Honoré HARMAND Dans les grands yeux de mes enfants 4 avril 1938 Poème ayant été retenu au concours des Violetti en 1938, 2ème prix. Dans les grands yeux de mes enfants Je vois ma furtive jeunesse Et la douceur de la caresse Que savent donner les mamans. Je vois un trésor de tendresse Dans les grands yeux de mes enfants. Je vois les soirs crépusculaires Où le soleil sur les coteaux Dispersant ses riches joyaux Sème de l'or sur les fougères. Par delà ces vivants émaux Je vois sommeiller les chimères ; Dans les grands yeux de mes enfants Je me reconnais et je pense A la fontaine de Jouvence Où vont les vieillards triomphants. Je lis des pages d'espérance Dans les grands yeux de mes enfants. Honoré HARMAND Porspoder 2 juin 1938 Porspoder, tu me plais, car ta lande sauvage Fait de nous l'homme heureux en le rendant plus sage, Quand il sait embrasser D'un regard sans envie un coin de tes rochers, En songeant de tout coeur, aux robustes rochers Qui n'ont su se lasser ! D'affronter de l'enfer la noire forteresse Quand le phare du diable, au navire en détresse, Récite sa leçon. S'éloignant aussitôt de ces ombres cruelles, Le nautonier prudent, vers des rives plus belles, Fait la nique à « Caron ». Mais j'ai compris l'effort de ceux qui doivent vivre Dans ce bout de la France, et je voudrais les suivre Vers la belle cité Où chacun, de son âme, éloigne la chimère, Et se grise au parfum de cette lande amère Dans la réalité. Honoré HARMAND Tonton Mathurin L'oncle d'Alex 2 juin 1938 Tonton Mathurin Est le souverain D'un pauvre domaine, Mais il en est fier Car ce n'est d'hier Qu'il est à la peine. C'est un combattant Qui fit tant et tant Pour nourrir ses gosses, Qu'on trouve en ses yeux, Les décors tout bleus Des efforts précoces. Il vécu ainsi, Avec le souci De lutter sans trêve Content de son sort, Affrontant l'effort Il en fait son rêve. Sa forte santé, Sa franche gaieté, C'est toute la vie ; Et c'est de tout coeur, Que mon âme soeur L'admire et l'envie. Honoré HARMAND Huit jours après 4 juin 1938 Huit jours, après un court séjour Dans l'énigmatique Bretagne Un regret profond m'accompagne Et met du noir sur mon retour. Huit jours échus, est-ce possible Qu'aussi vite passe le temps ? On donne trois mois au Printemps Pour semer la joie indicible ! Je suis là, dans les quatre murs D'une salle très ordinaire Et la faiblesse débonnaire M'atteint : cadeau des hommes mûrs. Je n'ai droit qu'à la souvenance De jours passés près des amis Bonheur, par le Destin permis, Dans un vieux coin de Recouvrance. Honoré HARMAND Strophe originale de date antérieure modifiée Huit jours échus, est-ce possible Qu'aussi vite passe le temps ? On donne trois mois au « Printemps » Pour faire d'un coeur une cible. Le grand vide A mon fils et à son intime Maurice Suite à une visite de mes enfants Dimanche 31 juillet 1938 La vie a des heures stupides Des heures creuses et si vides Que de la vivre on est lassé On passe dans la joie une heure Et de gaieté franche on se leurre Mais « Requiescat in passe » Vous étiez là, belle jeunesse Je partageais la folle ivresse ; Toute l'ardeur de vos vingt ans. Vos couverts sont encor en place Celui de mon fils, face à face Mais les invités sont absents. Seul autour de la table ronde Je passe et, malgré tout, je sonde L'abîme cachant l'avenir Et, dans l'isolement, je rêve A des jours heureux où sans trêve Je me sentirai rajeunir. Honoré HARMAND Réponse à un compliment 28 août 1938 Léone il me faut te répondre A ta lettre et je ne sais pas Comment me tirer d'embarras, Dans la crainte de me confondre. Tu me fais un beau compliment ; Mais tu permettras que je dise : Au seul titre de ta franchise Je l'accepte modestement. Pour moi, l'absence est compensée Par l'abondance des courriers. Transformant les mots en deniers J'ai pour richesse ma pensée. Je ressens tout ce que j'écris, Faisant d'esprit peu de dépense. De solécismes me dispense Et me sers de ce que j'ai appris. Une lettre c'est un dictame, Un tableau signé par l'auteur ; Les miennes puisent leur valeur Dans le pur reflet de mon âme. Honoré HARMAND A mon fils Rouen le 27 août 1938 Mon grand cher FILS suis ton destin. Ainsi tu seras plus certain D'être heureux dans ton existence. N'écoute jamais que ton coeur Et, si tu choisis l'âme soeur Aime toujours, sans méfiance. Ne cherche pas dans la beauté Un nectar pour ta volupté ; La chair a des clartés trompeuses. Quand le désir s'est exalté En nous il n'est plus rien resté Que le vide affreux des nuits creuses. C'est à la force de tes bras Que dans l'avenir, tu pourras Mépriser Madame « Fortune ». Sans elle tu vivras joyeux. Aimez-vous bien fort tous les deux Et vous n'aurez de peine aucune. S'il t'arrivait de mauvais jours Sur moi, cher FILS, compte toujours ; Et ne cherche pas de quel pôle Vient le vent de l'adversité. Ne doute pas de ma bonté ; Repose-toi sur mon épaule. Honoré HARMAND Amuse-toi, Jeunesse 29 août 1938 Amuse-toi, folle jeunesse En ignorant la noire tresse Des cheveux épais du malheur. Eloigne-toi de la chimère, Libellule O ! Combien légère Dont nos yeux gardent la couleur. Couleur d'azur où tous les astres Se meuvent au gré des contrastes Qui composent cet « Ici-bas ». Ris donc ; sans en chercher la cause, Comme un papillon qui se pose Sur une fleur qu'il n'aime pas. Et comme la cigale chante Une complainte si touchante Que l'Homme s'arrête en chemin Pour jouir de la mélodie. Ecoute, c'est ta maladie : Qui sait dont sera fait « Demain » ? Autrement écrirait un sage, Mais du passé la franche image Gravée au profond de mon moi Trente ans après semble me dire : Poète ne crains pas d'écrire Jeunesse heureuse amuse-toi ! Honoré HARMAND Le pont de l'Eure 26 mai 1939 Mes chers amis, quand vous viendrez, Au retour, vous vous souviendrez Du pont de l'Eure. Est-il spectacle plus charmant Pour le regard, plus attirant, Baume qu'on fleure. Sur ce pont vous arrêterez, Et sûrement contemplerez, Un seul quart d'heure, Ce décor présent et lointain Tout aussi tendre qu'un refrain De chantepleure. La rivière, calme, en son cours, Qui, de ses bons ou mauvais jours, Point ne se leurre, Entre deux tertres peints en vert, Glisse son onde à ciel ouvert Qu'un souffle effleure. Mais elle souffre cependant Une écluse se prétendant Sa supérieure, L'arrête et la transforme en flots, Quand tout près, coeur plein de sanglots Un saule pleure. Bec de Gaz Vingt septembre A mon fils 20 septembre 1939 Je suis tout seul dans ma cuisine. Comme le chemineau chemine Je retourne vers mes vingt ans. L'existence était vraiment belle. On ignorait le mot « Rebelle » Quand revenait le gai printemps. On s'arrêtait tenant les roses Et l'on empruntait des névroses A la source de leurs parfums. Aujourd'hui sous les feuilles mortes Couvrant la haine des cohortes On cherche des bonheurs défunts. Nos yeux penchés sur des abîmes Nos coeurs battant pour les victimes Nous vivons le temps dans l'effroi. Nous vieillissons bien avant l'âge Où la mort attend son otage : Nous sentons que nos os ont froid. Mais, fiers, nous relevons la tête Pensant que soit morte la bête Auteur de son crime impuni. Qu'importe un mauvais vent qui passe Nous contemplons le grand espace Qui nous guide vers l'infini. Honoré HARMAND Septembre 1939 Souvenir d'une tragique : c'est la guerre 20 septembre 1939 C'est la guerre. Le jour décline. Tout seul en mon humble chaumine Je songe aux heures du bon temps. L'existence était vraiment belle. On ignorait le mot « rebelle » Quand revenait le gai printemps. On respirait l'odeur des roses Et l'on offrait des lèvres roses A la source de leurs parfums. Aujourd'hui, sous des feuilles mortes, Couvrant la haine des cohortes On cherche des bonheurs défunts. Nos yeux penchés sur des abîmes, Nos coeurs battant pour des victimes Nous vivons nos jours dans l'effroi. Nous vieillissons bien avant l'âge Où la mort attend son otage Et sentons que nos os ont froid. Mais, fiers, nous relevons la tête Pensant que soit morte la bête, Auteur de son crime impuni. Qu'importe un mauvais vent qui passe ; Nous contemplons le grand espace Qui nous guide vers l'infini. Honoré HARMAND Le courage (A mon fils à la guerre) 2 décembre 1939 Le courage est de tous les mots Le seul lénitif pour les maux Empoisonnant notre existence. C'est pour nous un grand médecin Et le remède le plus sain : Quelle force il a, quand j'y pense. De la faiblesse il est proscrit ; Mais, de lui-même, il s'est inscrit Au tableau d'honneur de la gloire. D'ailleurs le chevalier Bayard En fixant son dernier regard Sur lui cria : Victoire. Mon fils c'est par hérédité Que nous avons tous hérité De ses tendresses bienfaisantes. Roland, qui mourut en héros Livra son cor à tous échos Troublant les hordes défaillantes. Sur la terre rien n'est changé Car toujours l'honneur outragé Sut se défendre sans vengeance. Regarde en face l'avenir. Fais ton devoir et sans faiblir Rends invincible notre « France ». Le Courage a les yeux ouverts Sur les humains de l'univers ; Il sait respecter les frontières. Qu'y songe un triste dictateur Car sur tant de crimes l'auteur Ne fermera pas ses paupières. Honoré HARMAND A mon ami le fossoyeur A M. BALIN, fossoyeur 5 décembre 1939 Si tu savais bon fossoyeur Tu sembles pour moi le meilleur Des braves amis qui m'entourent. Tu dois te demander pourquoi ? Il faut me croire sur la foi. Je méprise ceux qui discourent. Je ne cherche pas les grands mots. Tu mets un terme à tous nos maux Quand tu donnes tes coups de pioche. Que tu prépares un bon lit Pour qu'en enfer ou paradis Nous puissions dormir sans reproche. En passant près du vieux clocher Un soir je me pris à chercher A l'ombre un petit coin de terre. Je pense à ces choses de loin Et voudrais que ce petit coin Me soit réservé sans mystère. J'ai vraiment confiance en toi Et j'écris ces vers sans émoi : Je voudrais ma fosse profonde ; Longue, selon ma grandeur, Large, comme le fut mon coeur : Sur mesure, en homme du monde. Je ne fus jamais très coquet. Pourvu, qu'au printemps, un bouquet Fait de modestes violettes Orne ma tombe en souvenir. C'est le seul et dernier désir Qu'exprime mon vivant squelette. Peu m'importent les coups du sort, Puisque je suis élève-mort Mon âme se sent toute fière De ne pas singer les dévots Qui traduisent par des sanglots Leurs regrets de quitter la terre. Honoré HARMAND Passe -- le temps Février 1940 Passe, passe, le temps Que revienne le doux printemps Et ses fidèles messagères, Celles qui donnent le frisson Quand on écoute leur chanson A l'heure exquise des chimères Passe, passe, le temps. Toi qui rend les coeurs inconstants Lorsqu'ils sont las de trop attendre. Toi qui n'ose nous prévenir Que trop vite on se sent vieillir. Prophète qu'on ne veut entendre. Passe, passe, le temps Car le poids calculé des ans Pèse lourdement sur ma tête Mais, le cause comme un gamin Moi qui demande un lendemain Au jour défunt, au jour de fête. Honoré HARMAND La coupe de bois A mon fils 1er février 1940 Ils étaient quelques uns, avides de chauffage Qui, moyennant finance, avaient fait héritage D'un lot d'arbres divers pour éclaircir le bois ; Pensant que la forêt a besoin de lumière Elle que la Nature a doté de mystère Afin que nul ne cherche à discuter ses lois. Ils étaient quelques uns, incapables d'écrire Ce qu'un poète heureux, en accordant sa lyre, Ressent, lorsqu'il chemine en des sentiers perdus. Lorsque le doux Printemps aux branches frémissantes Attache des points verts ; car, de sève, haletantes Des feuilles font appel aux bonheurs attendus. Méprisant le décor aux couleurs séduisantes ; Foulant du pied la mousse et les tiges naissantes L'acquéreur satisfait est venu contempler Le nombre et la grandeur des futures victimes. Fier d'avoir perpétré la valeur de ses crimes, Il s'est mis à l'ouvrage, un matin, sans trembler. Il semblait se griser du bruit sourd de la hache Et quand un arbrisseau tombait, d'un air bravache, Avec une serpette il coupait ses rameaux. J'aurais voulu crier à ce tyran sans âme : Tu parais ignorer que détruire est infâme ; Si tu n'es pas ingrat pense aux petits oiseaux. C'est là qu'ils composaient leurs chansons printanières. Tous ces taillis épais figuraient leurs volières, Cages sans une porte où briser leur essor. Et si tu veux me croire, arrête ton ouvrage Ecoute et comprends bien la parole du sage. Un gazouillis joyeux vaut mieux qu'un bruit de l'or. Mais les chênes géants, les orgueilleux platanes Dirent au bûcheron : laisse tes mains profanes. Pars vers des lieux moins beaux gaspiller tes efforts. Peut-être, plus que toi, nous tenons à la vie. Si, de nous attaquer il te prenait envie Attends, tu sauras mieux, lorsque nous serons morts. Honoré HARMAND Mariage en deuil Pour le mariage de René et Hélène Le 2 novembre 1940 Mes chers enfants j'avais, pour votre mariage, D'écrire quelques mots conçu le cher projet. Je dus recommencer vingt fois la même page Et je dus m'arrêter à moitié du trajet. Pour certains l'hyménée est un jardin de roses, Par tous les amoureux un instant parcouru ; Mais ils n'attendent pas que ces fleurs soient écloses Et, respirent, en vain, leur parfum disparu. Vous n'êtes pas ainsi, car j'ai lu dans votre âme Et vous semblez, vraiment, tendrement vous aimer. Faites donc que jamais ne s'éteigne la flamme Au foyer que le Temps ne saurait consumer. Nul ne peut résister au chagrin qui le tue. Nous avons, plus ou moins, des deuils à déplorer. Croyez que ce jour là, si ma Muse s'est tue, C'était pour éviter de vous faire pleurer. Souvenez-vous toujours ce « Ceux » qui dans l'exode Ont vu venir la Mort par le même chemin. Leur amour, dans vos coeurs, aura l'accent d'une ode : Le vôtre, chers enfants, toujours un lendemain. Honoré HARMAND La neige 1er décembre 1940 Je veux savoir, reine éphémère Au royaume infini des cieux, Pourquoi tu visites la Terre : Est-ce un ordre sacré des dieux ? Sur l'autel où brûlent les cierges Neige mystique descends-tu Pour couronner le front des vierges Ou bien exalter leur vertu ? Otant le duvet de leurs ailes Aux bons anges du Paradis As-tu pensé que les oiselles En ont grand besoin pour leurs nids ? A moins que tu soies l'apanage De la céleste floraison Ou, simplement la triste image De la Nature en déraison ? Qu'importe. Egoïste peut-être, Sincèrement j'en fais l'aveu, Je ressens un réel bien-être A te contempler, près du feu. Qui te méprise est sacrilège. Ma muse et moi te chérissons. Tombe sur les champs, douce neige Présage des belles moissons. Honoré HARMAND Anniversaire A une Grand-Mère 2 février 1941 J'ai voulu, ma bonne grand'mère En fêtant ton anniversaire Applaudir à tes cinquante ans. Nous n'avons qu'un désir sincère Naturel à tous les enfants Etre là pour ton centenaire. Honoré HARMAND Pieux souvenir A la mémoire de Gilberte LAGNEL Décédée au Sana 10 mars 1941 Elle avait dix-huit ans et je crois qu'à cet âge Pour tout être sensible il est permis d'aimer. Du livre du bonheur elle fut une page Et, sans savoir pourquoi, dût, vite, le fermer. Un mal affreux, un jour, de l'absent prit la place Et vint, se blottissant tout au fond de son coeur. Le Destin fit le reste et son baiser de glace De son venin mortel empoisonna la fleur. Sur un lit d'hôpital ses heures s'écoulèrent. Cependant je l'ai vue : elle croyait encor Aux belles guérisons. Les condamnés espèrent Revoir briller un ciel et ses étoiles d'or. Dieu ne l'a pas voulu, car déchirant la page Où ses yeux avaient vu, de l'éternel bonheur En mots trop bien écrits la mensongère image Il l'appela vers lui pour calmer la douleur. Honoré HARMAND Tout seul 5 avril 1941 Vécut-il dans la joie ou mourut-il d'amour Cet inconnu, que l'autre jour, Par la route prise au plus court On conduisait au cimetière ? Sans crainte on pourrait dire « Non » Puisque le moindre compagnon N'est venu redire son nom Autour du corbillard où reposait sa bière. Etait-ce un beau jeune homme, une femme, un vieillard ? Ou, tout simplement un bâtard Pour le bonheur venu trop tard ; Un loqueteux, un sans famille ? La misère étant son orgueil De sa tombe il franchit le seuil Sans une fleur sur son cercueil Pour cacher au passant qu'il partit en guenilles Il est parti tout seul vers un monde meilleur Avec le clergé de rigueur Un prêtre et son enfant de choeur Murmurant de courtes prières. Tout seul il dut se voir mourir Sans un ami pour recueillir Les mots qu'on aime retenir : Sans que des doigts chéris aient fermé ses paupières. Honoré HARMAND Hyménée Pour le mariage de Léone et Raymond Le 9 août 1941 Mes enfants, c'est avec émoi Que je donne un peu de mon « Moi » Pour fêter votre mariage. Si le bonheur vous est offert Je comprends qu'en mon livre ouvert Manquera demain, une page. Je ne veux pas, par des conseils Aux autres vous rendre pareils, Mais je me permets de vous dire : Moi qui connus de mauvais jours Epoux aimez-vous pour toujours. N'ayez qu'une voix, qu'une lyre. Car il arrive assez souvent Que, par le fait d'un mauvais vent, Au ciel on ne voit plus d'étoiles. De votre navire enchanté, Par le danger jamais hanté, Que le Destin enfle les voiles. Que ce soit l'éternel printemps Dans vos coeurs troublés par le Temps ; Que votre amour soit sans faiblesse. Alors vous serez tout surpris De trouver sous vos cheveux gris L'image de la jeunesse. Honoré HARMAND Brume sur la forêt vosgienne Départ Après le mariage de Léone 11 août 1941 Je suis tout seul, c'est le départ De la dernière de mes filles. Ainsi s'éloignent les familles Pour se retrouver autre part. Je ne suis pas un égoïste Et sais comprendre qu'à vingt ans On croit à l'éternel printemps. Débutant on se sent artiste. J'ai pesé ce que, dans mon coeur, Je pourrais trouver de suprême. J'en aurais fait un diadème Si je fus un fin ciseleur. Je ne suis hélas ! Qu'un vieux père Qui voit que le dernier des siens S'en va, par de justes liens, Apprendre, à deux, le mot « Espère ». Bien tout seul entre quatre murs Je vivrai des heures moroses ; Mais je cultiverai des roses Pour que les chemins soient plus surs. Quand mes enfants, prenant la route, S'aventureront, sans savoir Ce que le mortel peut avoir De désirs autant que de doute. Honoré HARMAND Un « Au revoir » (A la suite d'une visite de Raymond et Léone) 20 août 1941 Un « Au revoir », pour le profane, C'est une rose qui se fane Et que l'on jettera demain ; Mais pour moi c'est autre chose : C'est un baiser que l'on dépose, Gentiment, au creux de la main. Ah ! Comme le temps passe vite. En ce jour aucune visite Ne vient me distraire un moment. D'être seul j'ai pris l'habitude ; Mais pour tromper la solitude Je pense à vous, tout simplement. Je me rappelle un beau dimanche Sur son souvenir je me penche Et me distrais à ma façon. A l'Ennui donnant la riposte Nerveusement j'ouvre mon poste ; Mais je n'entends pas la chanson. Celle que j'aime et me console ; Sans un air, sans une parole : Un geste au parfum d'encensoir. Quand je vous vois prendre la route, Au triste instant que je redoute, Et que vous faites « Au revoir ». Là je m'efforce de comprendre Que le désir de vous attendre Est encore un bienfait de Dieu. Car, tôt ou tard sonnera l'heure Où sur le seuil de ma demeure Vous viendrez pour me dire « Adieu ». Honoré HARMAND Cela fait tant plaisir aux vieux Novembre 1941 Jeunes, pour vous, je prends ma lyre ; J'ai tant de choses à vous dire Je vais le faire de mon mieux. Si vous saviez que sur la Terre Chacun doit franchir son calvaire Nul ne le sait plus que les vieux. Ne leur faites aucune peine Et qu'une vétusté sereine Soit pour eux un reflet des cieux. Ils connurent tant de misères, Vos caresses leur sont si chères, Et leur font tant plaisir--aux vieux. Ils n'ont de désirs ou d'envies ; Car les chimères poursuivies Les ont rendus plus sérieux. Mais lorsqu'ils voient votre jeunesse S'épanouir dans l'allégresse Cela leur fait plaisir--aux vieux. Quand leurs pauvres jambes fléchissent Et que leurs pas, lentement, glissent Sur les chemins trop rocailleux Soutenez de vos bras solides Surtout ceux qui sont invalides Et vous ferez plaisir aux vieux. Honoré HARMAND La prière du vieux sonneur Janvier 1942 Les cloches sont indifférentes, Dans l'airain fut trempé leur coeur Mais, écoutent, obéissantes La prière du vieux sonneur. Il dit, lorsque c'est un baptême : « Un ange est venu parmi nous. Vous connaissez toutes le thème : Cloches berceuses sonnez doux ». Quand il s'agit d'un mariage Tirant, tirant à tour de bras, Il semble inviter le village A prendre part au branle-bas : « Que votre voix dans la vallée Trouble le sommeil des hiboux : Sonnez donc à toute volée Tapageuses --pour les époux ». Si la Mort, suivant son caprice D'un vivant a fermé les yeux Pour le sonneur c'est un supplice Que d'annoncer une âme aux cieux : « Pour ceux dormant dans les ténèbres Ne fixez pas de rendez-vous : Refusez-moi les glas funèbres, Cloches trompeuses--taisez-vous ». Honoré HARMAND Mon village sous la neige Janvier 1942 Mon village, gai d'habitude S'éveille ce matin, sans bruit, Empreint de grande lassitude : Il a neigé toute la nuit. On dirait une scène immense Avec un décor de saison. Les routes n'ont pas de distance Puisqu'elles n'ont plus d'horizon. Auprès du feu, dans leur chaumine Les vieillards sont calfeutrés. Du rare passant qui chemine On devine les pas feutrés. La Nature a fermé ses portes. Les insectes sont endormis Et sous les tas de feuilles mortes Se cachent les vives fourmis. Les arbres ont, d'une fourrure Garni leurs bras maigres et nus. La source frileuse murmure Des chansons aux airs inconnus. Les moineaux ont pour domiciles Les poutres des greniers remplis Et dans ces reposants asiles Lentement préparent leurs nids. Les corbeaux font des taches noires Sur l'hermine pure des champs Et leurs ailes, vivantes moires Se parent de cristaux brillants. Le renard que la faim tenaille Plus hardi, hante le sentier, Guettant l'imprudente volaille Comme le chasseur un gibier. Mais vient la nuit. Au clair de lune Drapé dans son grand manteau blanc, Comme un Pierrot en infortune S'endort mon village en tremblant. Honoré HARMAND Recueillement A mes enfants Poème fait à l'occasion du nouvel an 1942 1er janvier 1942 Ce jour de l'An, je me recueille Loin du plaisir et ses démons. Je rêve de fleurs et les cueille Pour en orner vos jeunes fronts. Je médite dans le silence, Trop loin pour exprimer mes voeux. J'écris pour vous, ce que je pense : Ainsi, je me sens plus heureux. En déchirant l'éphéméride Qui me rappelait l'an passé, J'ai compté, de plus, une ride Sur mon visage tracassé. Mais, de vieillir cela m'importe A mon âge, on n'est plus jaloux. Demain, je fermerai ma porte Et rajeunirai parmi vous. Honoré HARMAND Soir d'hiver Février 1942 A l'horizon le soir descend ; Partout surgissent les lumières. L'angélus sonne lentement, Les dévotes sont en prières. Le laboureur revient des champs, Sa tâche est largement remplie Et ses chevaux en trébuchant Courbent le garrot sous la pluie. On n'entend plus les chants d'oiseaux. Il semble que tout agonise. Tremblants sont les faibles roseaux Sous la menace de la bise. Couché sur un épais tapis Caressant, le gros chat minaude. Chacun à sa place est assis Devant la bonne soupe chaude. Au Destin donnant tous les torts Les vieux murmurent des blasphèmes, Songeant aux gueux couchant dehors Aux ventre-creux, aux faces blêmes. On quitte la table et blottis Devant la bûche surveillée On écoute les beaux récits Que fait grand'mère à la veillée. L'horloge vient de tressaillir, Amante du Temps, obéie, Invitant le Monde à dormir Dans les bras de Morphé jolie. Honoré HARMAND Ma fortune 1 septembre 1942 Ma fortune, à compter --facile, Après tout se résume à rien Et, pourtant, calculant mon bien Je suis riche en billets de mille. Mes enfants sont mon seul trésor, Car ils me permettent de suivre La pièce où la raison de vivre Se joue en changeant de décor. Je leur consacre ma pensée Et le fardeau de mes tourments Est allégé aux durs moments De mon existence insensée. Ils équilibrent ma raison Aux jours pesants, aux jours moroses Où je doute des pages roses Du livre de Lise et Lison. Ils me consolent quand la peine A mon coeur a parlé tout bas En disant : nous ne voulons pas Que ta grandeur d'âme soit vaine. Poète, nous te connaissons. Nous avons bonne souvenance, Fais comme au temps de notre enfance. Grise-nous de belles chansons. Honoré HARMAND Demain 2 septembre 1942 Illustre inconnu, mais le maître ; Semeur de misères, peut-être ? Pour moi, démon, qu'as-tu prévu ? Est-ce de la joie ou des larmes ? Ou, dois-je attendre des alarmes ? Qu'importe j'en suis fort pourvu. Tu t'enveloppes de mystique On te voit sous un jour magique A la lumière du Passé. Comme ta figure est blafarde Quand, au réveil, on te regarde Et qu'en la nuit on a pensé. Ne crois pas que je te redoute, Car je suis l'ennemi du doute Et n'attends rien de toi, « Demain » Veux-tu savoir ? Tu m'indiffères Des autres jours tu ne diffères : N'es-tu pas leur cousin germain ? Honoré HARMAND Un ami 19 novembre 1942 Un ami, mot ma foi facile, Pour ceux au langage docile, Mais le tout est de le prouver. Combien de fois dans l'existence En ai-je cherché la présence Hélas ! Souvent, sans la trouver. Il faut toujours des heures graves Pour que se recherchent les braves Ces ennemis de la torpeur. Alors les grands coeurs se retrouvent Et par de simples actes, prouvent Qu'ils méprisent, haut, le trompeur. Tu te souviens des belles scènes Quand au prix de quelles peines Nous composions notre menu ? Cela touchait au mélodrame Mais il nous plaisait le programme Qu'aucun profane n'a connu. Accepte un accent de mon âme Du feu sacré c'est une flamme. Le Passé peut être endormi ; Mais lorsque l'aurore est vermeille Tu comprendras que s'il s'éveille C'est pour embrasser un ami. Dans l'espoir que ma lettre vous trouvera comme elle me quitte je vous embrasse de loin en attendant mieux. Mes respects aux familles PREVOT et LEROUD. Honoré HARMAND A Léone et Raymond PREVOT Mes chers Petiots, Bien reçu votre lettre qui a d'autant plus de valeur qu'elle a été écrite un dimanche après un copieux repas si j'en juge par le détail du menu auquel nous ne sommes hélas ! Plus habitués. Je compte les jours et attends une lettre de vous qui m'annoncera que Raymond compte dans le personnel du Réseau comme René . A ce sujet voici l'adresse de Stock : M Louis Stock 8 rue Saint Médéric À Versailles (Seine et Oise). Je vois que vous avez bien employé votre dimanche et que vous avez été reçus non moins copieusement chez les grands. Profitez-en mes chers enfants c'est toujours cela de pris sur les jours de restrictions. Pour remercier Stock de son amitié à notre égard, à défaut d'un bon repas, je me suis mis à ma table de travail (ça fait riche) pour lui adresser un mot de remerciement à ma façon. Je vous en donne copie d'autre part. Honoré HARMAND La soupe A mon gendre Alex et son ami Marcel, cuisiniers pour bûcherons 2 décembre 1942 Bientôt c'est l'heure de « la soupe ». Ils sont là, trois à quatre cents ; Des vieillards, des adolescents Formant l'originale troupe. Ils s'agitent, les bras tendus L'estomac comme on l'imagine. On lit le mot « faim » sur leur mine ; Ils parlent sans être entendus. C'est triste et pourtant c'est drôle ; Il faut un chef pour les ranger. Plein une louche de manger On doit donner, à tour de rôle. Une fourchette pour couvert, Une gamelle pour assiette. De pain, hélas ! Pas une miette. Frugal repas, sans un dessert. Pour moi c'est la pénible étude Que d'assister à ce repas ; Mais je sais qu'ils n'y songent pas, Car ils en ont pris l'habitude. D'un sourire ils me font l'honneur. Se souvenant de l'oeil du maître Ils ont dû me prendre, peut-être, Pour un « monsieur le Contrôleur ». Ils ignorent, les pauvres hères Combien je souffre de les voir Sans haine et surtout sans espoir Devant leurs communes misères. C'est à qui finira plus tôt Pour que la cour soit balayée. Une équipe s'est relayée Pour le prix d'un peu de rabiot. Puis chacun, d'une marche lente Dans le jour s'est éparpillé. En vain les regards ont fouillé Dans le ventre de « La Roulante ». Honoré HARMAND La famille A mes enfants 25 mars 1943 Quoi de plus beau que la famille ? C'est une flamme qui pétille Dans l'âtre discret d'un foyer. C'est dans le firmament sans voile La douce clarté d'une étoile Qui, sur le Monde, vient briller. Pour moi c'est une grande joie Que de vous voir tous sur la voie Où la Concorde vous conduit. Alors aux heures les plus sombres Vous n'aurez plus peur de vos ombres Et vous verrez clair dans la nuit. Si vous exhalez une plainte Vous n'aurez plus l'affreuse crainte De crier sans être entendus. La vie est fertile en chimères ; Mais on triomphe des misères Ainsi que des malentendus. Vous donnez la meilleure preuve D'une amitié qui, dans l'épreuve, A su trouver son réconfort. Aussi je ne saurais décrire L'état de mon âme en délire Depuis que vous êtes d'accord. Honoré HARMAND Réplique A une ennemie de la poésie 26 mars 1943 La poésie est un mensonge ! Ô ! Quel blasphème quand on songe Combien est chère sa valeur. Car c'est le meilleur de lui-même Que donne, heureux, celui qui l'aime : On ne fait pas mentir un coeur. C'est une amante généreuse Qui chante une douce berceuse Au poète, pour l'endormir. Elle fait, pour lui, l'heure brève. Il ne souffre plus lorsqu'il rêve Et qu'il écrit pour s'étourdir. Elle est fidèle conseillère Et dicte la belle prière Qu'il doit réciter aux dieux. Moi, je lui trouve tous les charmes, Car elle sut sécher les larmes Qui s'échappèrent de mes yeux. Honoré HARMAND Pour votre fête A Mme PETIT, de la part de sa nièce 4 juin 1943 J'aurais bien désiré, tante, pour votre fête Vous offrir un cadeau, digne de votre coeur. En vain j'ai dû fouiller dans ma bourse pauvrette Et n'ai pu convoiter que ce bouquet de fleurs. Surtout, n'en doutez pas, aujourd'hui je préfère A défaut de bijoux, vous dire quelques mots : Que je vous aime, ainsi qu'une seconde mère Et que de vos bienfaits j'accepte les impôts. Permettez que j'unisse à toutes mes pensées La mémoire d'un mort qui manque parmi nous. Les pages qu'il signa ne sont pas effacées Et je saurai toujours les relire pour vous. Honoré HARMAND La garde A l'ami LEMEILLEUR 20 juillet 1943 Ben quoi ! T'es surpris, tu m'regardes T'as l'air, vraiment, tout épaté. Y a pas qu'les jeun'qui mont'la garde ; Paraît qu'c'est un boulot d'santé. J'te dirai pas que j'ai l'sourire, Car, pour moi, c'est pas du travail. C'est p't'êtr'pour que l'on puiss'se dire : Nous somm'les gardiens de ces rails. Mais qu'est-c'qu'on fout ? Une prom'nade ! La nuit, quand t'en écras'un peu, On voit un avion qui s'ballade Et des machin'qui crach'du feu. D'abord, si tu veux bien l'permettre V'là du détail dans not'boulot : On aval'quelques kilomètres Avec un'cann'comm' « rigolo ». Alors tu vois, en cas d'grabuge Pour corriger les saboteurs On emploierait un subterfuge En gueulant très fort « Au voleur ». Qu'importe ! La garde a son charme. On entend, dans les verts buissons, Loin du monde et de son vacarme Des oiseaux, les tendres chansons. On voit des étoiles qui brillent Y en a mêm'qui fout'le camp Comme un vieux zinc qui tombe en vrille Ah ! ça, mon vieux, c'est gondolant. Puis, lorsque le jour se lève C'est beau d'contempler l'horizon On s'frott'les yeux ; on croit qu'on rêve Ou qu'on a perdu la raison. Çà n'est rien. C'est à l'insomnie Que l'on doit ce dérèglement. A la fin d'la cérémonie On s'débin'dardar, et comment. Vois-tu, mon vieux, j'suis philosophe Et j'suis patriote, avant tout. Pourvu qu'y ait pas d'catastrophe Et que d'la guerre on en voit l'bout. Alors j'prendrai plein de courage Cett'gard'qui nous permet d'toucher Cent gramm'de pain, pas davantage, Et la chopin'ça t'fais loucher. Avec ça tu t'sens plus à l'aise Et pis, vois-tu, foi d'purotin Tu peux chanter « la Marseillaise » Quand l'soleil brill' dans l'clair matin. Honoré HARMAND Souvenir d'un soir de garde Les heures noires 6 novembre 1943 Quand dans le silence Je rêve et je pense Et, du noir dépense Pour mon cher passé, Je traite de gueuses Mes amours heureuses, Fatales glaneuses De mon coeur blessé. Chaque heure qui passe Me vieillit, me lasse Et dans cette impasse J'hésite à marcher. Evitant l'embûche Très haut je me huche, Mais soudain trébuche Quand je veux chercher La route propice, Loin du précipice Où, sans artifice, Je puis respirer ; Mais la nuit profonde Pure comme une onde Se fait vagabonde Pour mieux m'attirer. Alors je succombe ; Crois voir une tombe Où, vaincu, je tombe Pour dormir enfin. Mais dame Insomnie Traite de manie La lente agonie D'un rêve sans fin. Honoré HARMAND Soixante ans A mes enfants à l'occasion d'un anniversaire 7 novembre 1943 Je viens d'atteindre soixante ans. Vous me direz : c'est un bel âge, Si l'on en exempte l'outrage Gravé sur mon front par le temps. C'est à la glace que j'emprunte Les effets de ma vétusté ; Les reflets sont la vérité De ma jeunesse hélas ! Défunte. Combien de tendres souvenirs ; Mais aussi combien d'heures sombres Troublent le silence des ombres Où se perdent mes lourds soupirs. Mais la tristesse est une folle Et je ne veux pas l'écouter. La mort n'est pas à redouter Quand une amitié nous console. Près de vous je me sens plus fort. Mes enfants vous pouvez me croire ; J'ai gagné la grande victoire Dans ma lutte contre le sort. Berçant mon cerveau de chimères A vous je m'adresse souvent Offrant au caprice du vent Tout le secret de mes prières. Puissent-elles vous parvenir, Pour moi c'est un désir suprême. Alors, parmi vous tous que j'aime, Je me sens heureux de vieillir. Honoré HARMAND La pluie 14 novembre 1943 Les nuages lourds, pleins de suie Dans leur course frôlent les toits. Abondante tombe la pluie Et les fleurs penchent sous son poids. Je n'ose sortir et m'ennuie Tout seul en mon sombre logis. Des larmes, qu'aussitôt j'essuie S'échappent de mes yeux rougis. Le soleil apparaît, timide ; Mais il n'insistera pas. Imprimés dans le sol humide Sur la route on compte les pas. Le deuil s'empare de mon être Devant mes lilas effeuillés. Il semble que le froid pénètre A travers les carreaux brouillés. Au fait, si l'espoir m'abandonne La pluie, après tout, c'est de l'or : Un acte de la pièce « Automne » Dont elle a brossé le décor. Honoré HARMAND Dialogue 1er décembre 1943 Le Poète Chère Muse viens près de moi Tu sais bien que c'est toujours toi Qui chasses mes pensers moroses. Aujourd'hui je veux m'évader Et, comme un enfant, gambader Parmi des parterres de roses. La Muse Ami, je cède à ton désir. Si tu me permets de choisir Allons dans le Jardin des rêves. Les chimères tiennent conseil En ce lieu baigné de soleil, Où les heures passent plus brèves. Le Poète Allons vers ce monde enchanté Par les poètes habité Où toute chanson a des ailes. Eden aux sites merveilleux Où les baisers sont les enjeux Des amours tendres et fidèles. La Muse Sur ce vieux banc reposons-nous, Un livre ouvert sur les genoux. Parle, dis-moi qui te tourmente ! Ton secret tu peux dévoiler ; Je saurai bien te consoler : Ne suis-je pas ta confidente ; Le Poète Ce livre, écrit au fil des jours, C'est le récit de mes amours Marqué de lourde inquiétude. C'est alors que tu comprendras Pourquoi mon pauvre coeur est las Et que j'aime la solitude. La Muse Rappelle-toi, je suis ta soeur. La colline de ta douleur A tes côtés je l'ai gravie. Ami tu ne savais donc pas Que pour les humains, ici-bas, Aimer et souffrir c'est la vie. Honoré HARMAND A une communiante 28 mai 1944 A ma petite-fille Gisèle PELLO, à l'occasion de sa première communion En ce jour solennel, le plus beau de ta vie, Tu marches à grands pas vers l'immense avenir ; Et plus tard tu sauras, souvent, te souvenir Que cette fête était, pour nous, pleine d'envie. De ton chemin si pur, enfant point ne dévie, Car le bonheur troublant dont on semble jouir Est un soleil trompeur qui ne sait qu'éblouir. Par le remords, parfois, notre âme est poursuivie. Ta joie est sans nuage et tes yeux souriants Reflètent la bonté qu'on accorde aux croyants ; Qu'ils soient ainsi toujours, en ce monde où tout change. Choisissant pour devise : Honneur, Amour, Vertu Tu pourras incarner le saint Michel, archange Se penchant en vainqueur sur Satan abattu. Honoré HARMAND Remords 2 juillet 1944 Ce soir aucun rayon de lune Ne vient illuminer le ciel. Dans mon coeur gonflé d'infortune Le Remords a versé son fiel. Comme on cause aux âmes damnées Il dit : « Coupable, souviens-toi Du cours troublé de tes années Où tu te moquais tant de moi. Toute morale est ta détresse Et tu te sens abandonné, En fidèle qui se confesse Parle afin d'être pardonné ». J'étais heureux quand mon épouse A ses enfants donnait le sein Mais par mon amitié jalouse Je la fis souffrir à dessein. Je regrette le ton sévère Que je prenais pour accueillir L'ultime désir de mon père Vieillard à son dernier soupir. Mes complices dans l'adultère Si vous êtes dans le malheur Je m'en excuse et désespère D'être votre consolateur. Le faux accent de mes prières Empoisonna votre bonté. Vous m'infligez, amantes chères, Un châtiment bien mérité. Enfin ! Desserrant son étreinte Le Remords a fui mon cerveau Sans doute effrayé par ma plainte A chaque coup de son marteau. Honoré HARMAND Journal Du 20 au 31 août 1944 Le 20 août Arrivée de gendarmes ; réquisition de 2 chambres, 8 à coucher, départ lundi soir. Le 21 août Menace de bombardement. Un gros tank à l'abri dans la cour, et d'autres tout autour. Le pilier de la grille touche. Le 22 août Journée de brume. Passage de convois sans arrêt jour et nuit. Le 23 août Bombardement en rase motte doubles fuselages. Un lourd camion dans la cour et d'autres tout près. Une heure d'inquiétude. Des bombes autour de nous. Des incendies sur Louviers, Saint-Pierre, Léry ... de 14 h à 17h30 où j'écris. Canon, mitrailles etc. sans arrêt. Inhumation M Roulet. Terpin le 20-8. Défilé des troupes en désordre, à pied et des convois de toute sorte. Le 24 août Après une nuit mouvementée où l'on entendait le sifflement des obus sur nos têtes la journée pluvieuse a été relativement calme à part le bruit du canon. Journée fiévreuse où l'on attend en vain l'arrivée des libérateurs. Que sera demain ? Le 25 août Après une nuit assez calme matinée mouvementée. Un camion de munitions est sauté par les allemands qui s'apprêtent à faire sauter le pont de l'Eure. Ils en sont empêchés par la Résistance. Des dégâts à Saint Cyr. Un blesse Heurtomate. Toute la journée attente des Américains. Ils arrivent - 3 voitures - à 18h. Tout le monde est fou mais je ne me réjouis pas. Les cloches sonnent pendant ½ heure. On pavoise. Le 26 août Nuit du 25/26, bombardements lointains, rapprochés à 6h. Ordre de la Résistance d'enlever les drapeaux des allemands ayant repassé la Seine. Coup de main pour faire sauter une péniche à Poses. Instant profond d'émotion puis plus rien. On les attend, les libérateurs, ce soir. A 14h10 un tank passe se dirigeant vers Léry. A 18h ils passent se dirigeant vers Rouen. Il paraît que Rouen est en flammes ? Louviers bombardé, le champ de ville est rasé : 11 morts. Le 27 août Journée relativement calme mais dans l'après-midi on entend la mitraille. Pont de l'arche souffre d'un tir d'artillerie. Ils vont traverser la Seine cette nuit à Saint Pierre. Le 28 août Un obus est tombé au centre de la ville de Pont de L'arche hier, Guy BALIN serait grièvement blessé à la tête. Grand mouvement sur la place d'armes où plusieurs autos stationnent. Un peu plus loin c'est une croix rouge qui est installée. On dirait une tribu de romanichels. Le canon a tonné toute la journée. On dit que Rouen est libéré ? Le 29 août Hier soir des batteries installées côte Bleuets ont tiré sans arrêt pendant 1 heure sur la côte des 2 Amants. On entendait le sifflement des obus au départ. A 23h30 des batteries installées dans le parc, Saint Pierre, Saint Etienne ont tiré pendant ½ heure. C'était infernal. Ce matin le reste des armées anglais a traversé la Seine à Saint Pierre. Il y avait des tanks de 3 étages. On entend le canon qui gronde sans arrêt. Est-ce sur Rouen ? Cruelle énigme. Guy BALIN est mort ce matin à 3h. Le 30 août Je croyais les derniers convois passés mais toute la journée il en a encore passé. 6 divisions, paraît-il doivent ainsi chevaucher le Vaudreuil. Quelle Force. J'apprends ce soir que Rouen est libéré. On n'entend d'ailleurs plus le canon. Mais quand aurai-je des nouvelles des miens ? Ceux de Paris et ceux de Rouen. Le 31 août On dit que Rouen est libérée de ce matin. Est-ce vrai ? L'après-midi surprise : Alex vient en personne me confirmer que tout va bien pour eux. Quelle joie, mais incomplète car je suis sans nouvelles des Parisiens ! J'ai exhumé mon poste et je suis les informations au poste anglais. Alex repartira demain et croit que les Parisiens ne tarderont pas à venir. Je les attends de tout coeur. Honoré HARMAND L'araignée et la guêpe A mes petites filles Gisèle et Michèle 1er octobre 1944 Je flânais, à loisir, autour de mon jardin Sans aucun bruit, je vous l'assure, Lorsqu'un tableau s'offrit soudain A mes yeux étonnés d'une telle aventure ! C'était le combat singulier Entre la guêpe et l'araignée. S'il ne fut pas régulier Que ma franche poitrine en soit deux fois signée. Comme un poète sous son toit Rêve du firmament où brillent les étoiles L'araignée au bord de sa toile Songeait à je ne sais quoi. Une guêpe orgueilleuse, ivre d'un fruit trop tendre Surgit en un vol insensé Et dans le filet vint se prendre : Qui l'eut pensé ? La rêveuse, un instant, semble accepter l'outrage ; L'insecte a-t-il l'instinct du sage ? Nenni ! Saurait-elle laisser un tel crime impuni ? Je m'excuse qu'en ton domaine Dit la guêpe hypocrite, à notre souveraine, Le hasard m'ait fait pénétrer ; Mais son désir était d'entrer En lutte avec cette vilaine ! Elle n'en eut le moindre temps. L'araignée était plus agile Et dans sa dentelle fragile, Paralysant ses mouvements Mit la guêpe hors de nuire et son dard inutile Lors, de sa victime le sang Pour elle fit les frais d'un festin délectable. Il arrive que le puissant Soit trompé par sa force et se croit imbattable. La guêpe, à ses dépens, en fit la rude épreuve. Cette fable en donne la preuve. Qui paraît le plus faible est souvent le plus fort. Honoré HARMAND Ils étaient douze A l'ami André Souvenir des élections 1945 18 mai 1945 Ils étaient douze, assis, bons convives à table. Tous avaient le sourire et l'air le plus aimable Comme il sied en ces lieux. Il s'agissait d'élire, en ce jour mémorable Monsieur le Maire, ainsi que son adjoint notable Et c'était sérieux. Maître Perreau l'emporte et c'est toute justice André fixe aussitôt son oeil plein de malice Sur les dix conseillers. Duchesne est un bois dur dont on fait de beaux meubles Armand songe, sans doute, en des pensers plus meubles Aux jours ensoleillés. Lorsque l'on entendit parler Duval, de grâces Qu'il accordera malgré que des disgrâces L'aient mis au second plan. Si l'amour est aveugle et la gloire éphémère Il poursuit, il me semble, une belle chimère Rataplan ! Rataplan ! Mayoux fit ressortir sa vieille connaissance Du cadastre, des champs, portant sa préférence Sur le champ du repos. Il faut savoir choisir dans le vieux cimetière Pour vingt ans, pour cent ans, la demeure dernière Où les corps sont enclos. J'aurais pu, direz-vous, mettre Martel en tête Mais qu'importe la place à ce futur athlète Il n'est pas orgueilleux. Il saura diriger la culture physique. Redresser le bossu, guérir le rachitique ; Créer des vigoureux. A Madame Ragault revient tout le mérite De défendre tous ceux que le sort déshérite. Son fardeau sera lourd. Mais son grand coeur de femme a déjà fait ses preuves. Elle a su, tant de fois, adoucir les épreuves. C'est la Bonté, tout court. Debleds est, en tous points, un homme sympathique Il saura rédiger en style académique Les plus simples rapports. Il fût maître d'école et pour moi c'est tout dire Au livre de la vie il a dû savoir lire Les raisons et les torts. Nous avons un héros dans la rude bataille Du ravitaillement. Mais n'a-t-il pas la taille D'un autre Rabelais. Aussi, sans hésiter, faisons-lui confiance Et si j'osais un jour lui faire concurrence Je sais bien qu'il Maurey. Je ne puis oublier notre sage comptable Acceptant sans trembler la tâche redoutable Surveiller le budget Le cher Renaud saura, ce sans l'ombre d'un doute Guider le char doré sur une bonne route Il connaît son sujet. J'arrive, mes amis, au terme du voyage Aussi pardonnez-moi si je vous fis outrage J'ai joué sur les mots. Restez sourds, je vous prie aux accords de ma lyre Car ne vaut-il pas mieux parler pour ne rien dire Que croquer le marmot. Honoré HARMAND Poème pour « Maman » Poème pour la maman d'un canadien 19 mai 1945 Permettez très noble madame Que je verse un peu de mon âme Dans quelques vers écrits pour vous. C'est votre fils, joseph, lui-même, Qui m'a demandé ce poème Et vous l'adresser m'est très doux. Certes, très grande est la distance Entre l'Amérique et la France ; Mais dans le coeur de nos guerriers Coule une sève d'héroïsme Et leur ardent patriotisme Couronne leur front de lauriers. Votre fils, grand garçon aimable Hier était assis à table Causant avec mon gendre et moi. Il nous parlait de sa famille De vous, de sa femme gentille : Je l'écoutais avec émoi. Je suis heureux de vous l'écrire Et que les accents de ma lyre Vous confirment que les Français Aiment les Canadiens, leurs frères. Les amitiés n'ont pas de sphères Et partout ont toujours accès. Honoré HARMAND A un communiant A Francis LECLANCHER 20 mai 1945 Francis, ce jour, pour toi, est un jour solennel Et tu t'en souviendras, j'en suis sûr, dans la vie. Le bonheur, il est vrai, ne peut être éternel ; Mais il est parmi nous et nous comble d'envie. Enfant, ton âme est pure et ton coeur innocent. Ce sont là deux vertus, certes, très naturelles ; Mais leur fragilité devant le mal puissant Risque, hélas ! bien souvent, de les rendre infidèles. Et je ne doute pas que dans le droit chemin Tu marcheras bon pas, fier et la tête haute Et ton bonheur aura toujours un lendemain Puisque tu passeras à côté de la faute. Honoré HARMAND Le plus beau jour de ta vie A Jean LECLANCHER 20 mai 1945 Ce jour je m'impose un devoir Celui de te faire savoir Combien pour toi grande est la fête. Ce n'est pas au prix d'un repas, Fugitif bienfait d'ici-bas, A la jouissance incomplète. C'est avant tout un jour sacré. A Dieu n'as-tu pas consacré Les purs sentiments de ton âme ? Je sais que tu fus le premier ; Que tu sus croire et sus prier. Permets, alors, que l'on t' »acclame. Tout comme nous tu vieilliras ; Mais toujours tu te souviendras, Malgré que trop vite on oublie, Que ce jour, si cher entre tous, Bravant du Destin le courroux, Ce fut le plus beau de ta vie. Honoré HARMAND Annie A la fille adoptive de « Mamiche » 4 juin 1945 Annie est encore une enfant Mais dans son ensemble plaisant On sent la femme. Dans ses yeux cerclés de cils noirs Comme en un songe l'on croit voir Toute son âme ; Son élégance est sans apprêt ; Son coeur sensible est toujours prêt Pour la tendresse. Ses yeux ne savent pas mentir Et semblent vouloir nous offrir Une caresse. Parfois un chagrin passager Tend son voile, ô combien léger, Sur tous ses charmes. Que ses yeux ignorent toujours L'amertume des mauvais jours Le prix des larmes. Honoré HARMAND Le rêve du vieux A Denise CHEVREUIL 4 juin 1945 Comme un enfant pieux se recueille à genoux Je voudrais, à l'instant, réciter ma prière Et dire un mot d'amour : je t'aime, en es-tu fière ? Et rendre pour toujours tous les amants jaloux. Je voudrais nous trouver rien que nous deux à table, Un bon vin capiteux nous réchauffant le coeur ; Et, pour mieux digérer, une fine liqueur. On est en forme après un repas délectable. Je voudrais, à l'abri des regards indiscrets, M'égarer avec toi vers la rive enchantée : Cythère, île d'amour, par d'autres tant vantée, Où mon âme saurait confier ses secrets. Quand le soleil s'endort, que le jour agonise, Je voudrais, chère enfant, te bercer dans mes bras ; Dormir à tes côtés et dans les mêmes draps. Pardon ! C'était un rêve--Excusez-moi, Denise. Honoré HARMAND A des yeux bleus A Jane GALLIE 6 juin 1945 Jane si vos yeux parlaient Ils nous diraient de belles choses : Que vous voyez la vie en rose Et leurs aveux nous griseraient. Ils nous feraient tourner la tête. Jane, si vos yeux parlaient Nos coeurs usés regretteraient D'avoir vieilli. Comme c'est bête. Ils ne veulent rien dévoiler De leurs secrets, de leur mystère. Ils ont bien raison de se taire Et nous disent tout -- sans parler ! Honoré HARMAND Un bon gendarme A l'ami BRUMENT 8 juin 1945 On dit que le coeur d'un gendarme Est ferme et dur comme un caillou ; Mais son regard franc et très doux N'est-ce pas mesdames, désarme. Je veux parler d'un sieur Brument, Un gendarme très sympathique, Car il connaît bien la musique Et s'assied sur le règlement. Je veux parler pendant l'échange Des vieux billets qui n'ont plus cours. Gentiment il porte secours Au vieux caissier qui se mélange. Il sait retrouver les erreurs Et sut plaire à deux demoiselles. Ah ! Si son coeur avait des ailes Il compterait deux âmes soeurs. Honoré HARMAND Les jours d'échange A mes amis et amies Denise CHEVREUIL, Jane GALLIE, BRUMENT, André et Renaud « Laissez les sous venir ». 10 Juin 1945 C'était pendant les jours d'échange ; On en vit de toutes couleurs. Ainsi tout passe, ainsi tout change, Sauf le profil des souscripteurs. Il y avait des gens cocasses Qui tremblaient que l'on puisse voir Qu'ils avaient caché leurs liasses ; Que l'on connaissait leur avoir. Il y avait de bonnes vieilles Rougissant devant leurs billets. Voyant fuir le fruit de leurs veilles. Leurs regards étaient inquiets. Il y en avait de comiques Tel ce vieux cocher parisien Racontant des scènes-- mystiques Au cours de son métier de chien. D'autres à la mine anxieuse, Les culs-terreux à l'air moqueur, Avaient vidé leur lessiveuse ; Ça devait leur crever le coeur. Il y avait les prolétaires Aux gestes désintéressés, Qui nous versaient une ou deux paires De vieux billets tout encrassés. Puis venait le beau monsieur riche Nous apportant cent mille francs. Je n'aime pas ces gens, ça triche, Et leurs dires ne sont pas francs. Devant ces scènes de la vie Nous restâmes indifférents. Quelle existence plus jolie Que celle des vrais juifs errants. Honoré HARMAND Trois temps d'un verbe Au fiancé de Denise CHEVREUIL Suite au « Rêve du vieux ». 2 juillet 1945 Rassurez-vous, jeune homme, et ne faites que rire D'un poème où l'auteur, en comique placé, A parlé, comme on dit, beaucoup pour ne rien dire, Car son âge le prouve et son temps est Passé. Damoiselle Denise est charmante et j'ajoute D'un heureux caractère, au sourire plaisant ; Mais une « invulnérable » et ce sans aucun doute. Son coeur vous appartient, c'est un riche Présent. Vous aurez le bonheur, par votre mariage De connaître l'amour le plus beau, le plus sûr ; Ajoutant, chaque jour, à son livre une page. C'est un voeu que je forme et l'adresse au Futur. Honoré HARMAND A propos d'adieux A Denise CHEVREUIL 4 juillet 1945 Chère demoiselle Denise Voici le poème promis. Je vous compte de mes amis, Vous dont j'admire la franchise. Si j'étais à l'âge d'aimer Autrement je pourrais écrire, Mais il m'est permis de vous dire Combien j'ai su vous estimer. Aussi votre ultime visite M'a touché très profondément. La pureté d'un sentiment Vaut mieux qu'un sourire hypocrite. S'il vous plaisait de revenir Me voir, tous deux, ce que j'espère Vous retrouverez le grand-père Rajeuni par le souvenir. Honoré HARMAND Mon compagnon 2 septembre 1945 A mon gendre Raymond, réparateur de mon poste de T.S.F. C'est pour toi, mon cher compagnon Que j'écris ce soir un poème. Comme on aime un enfant mignon Mon poste, simplement je t'aime. Ta longue absence m'a fait mal ; Il fallait panser ta blessure. Cela peut paraître anormal Que j'affirme ainsi ton usure. Mais puisque tu sus en guérir L'expression n'est pas trop forte. Avec toi j'ai vu revenir La Joie et sa folle cohorte. Tu me consoles dans l'ennui. Près de toi les heures sont brèves Tu sembles inventer, la nuit, Pour mon sommeil, les plus beaux rêves. Par toi, je suis, au jour le jour, Le niveau de la politique. Je ris et pleure, tour à tour, Pour une pièce, une musique. Quand tu me transmets des chansons, Les vieilles de la belle époque, Je me souviens des grands frissons ; C'est tout mon passé que j'évoque. J'écoute et je ferme les yeux Pour mieux sentir et mieux entendre Mon compagnon je suis heureux Et jamais lassé de t'entendre. Honoré HARMAND Restrictions 4 septembre 1945 Par ces temps forcés d'abstinence Une cigale peut conter Aux fourmis pleines d'abondance Qu'il faut savoir se contenter. On dit partout, cela m'amuse Que le monde crève de faim. Je dis simplement à ma Muse : - Me donne le mot de la fin. - Poète efface en ta mémoire Le nom si cher de « Parmentier ». Fi du régal trop illusoire D'un plat garni de carpe--entier. Et ma Muse s'en est allée Disant : chez toi le maigre est fait. Cigale ne soit désolée : Danse donc devant le buffet. Je te donne un conseil de sage. Ceux qui se plaignent sont des fous ; Quand tu franchiras un passage Tu n'auras qu'à bouffer des clous. Les restrictions j'imagine Ce soir ne seront pas pour vous. L'amour a toujours bonne mine Quand s'en nourrissent les époux. Sans vouloir pêcher en eau trouble Je ne puis que vous conseiller De mettre ainsi les bouchées doubles Quand vous serez sur l'oreiller. Honoré HARMAND Les bienfaits du camping 6 septembre 1945 Ma chère Muse je t'en prie Malgré le vent, malgré la pluie Du camping dis-moi les bienfaits. Réponse : les hommes bien faits Sont toujours de belles images A contempler, sans les mirages Des charmes toujours inconnus : Ils sont vrais puisque presque nus. Et j'insistai : peux-tu me dire, Parle franchement sans médire, Par quel dieu sont-ils attirés Ces disciples invétérés Des dures lois de la Nature Dormant le dos dans la verdure ? Ma muse aussitôt répondit : De discuter est interdit. Ils ont dans le coeur une flamme S'attisant au fond de leur âme : L'amour du vrai, l'amour du beau. Et sous leur tente le tableau Du plus précieux de leurs rêves Se réalise aux heures brèves Quand le soleil à l'horizon Du camping donne la raison. Honoré HARMAND Pour un mariage 8 septembre 1945 S'il est un grand plaisir que j'éprouve ce soir Et vous le partagez, comme je l'imagine, C'est celui, chers amis, tous les deux de vous voir Les yeux brillants d'amour, le reste se devine. Que ce jour mémorable ait de beaux lendemains ; C'est le voeu le plus cher, aussi le plus sincère Que je puis formuler ; il est des plus humains, Car je sais qu'à votre âge on aime la chimère. Surtout n'oubliez pas vos serments d'aujourd'hui. Les époux ont parfois la mémoire fugace. Souvenez-vous toujours, même aux heures d'ennui Que l'amitié c'est tout et rien ne la remplace. Honoré HARMAND L'orphelin 10 septembre 1945 Hanté par le désir de vivre Il ressemble à tous les enfants. Hélas ! Il ne peut pas les suivre Lorsqu'ils s'éloignent, triomphants. Un soir d'hiver sa mère est morte Et son père, un sombre matin D'un beau foyer ferma la porte, Frappé par le même destin. Il va sur les bancs de l'école Mais il n'entend plus les leçons ; Sa pauvre mémoire s'envole : Le souvenir a des frissons. Quand la Misère le regarde De grâce étouffons sa rancoeur Car la Haine monte la garde Au seuil des voués au malheur. Il a besoin qu'on le soutienne Et que, dans de lourds draps de lin Avec lui s'endorme sa peine Amis pensons à l'orphelin. Honoré HARMAND Comme on change 20 novembre 1945 Elle avait vingt-cinq ans lorsque je l'ai connue. Son charme était typique et de fait, attirant ; Un masque de poupée, une taille menue Ne laissaient, au passage, un homme indifférent. Nous étions familiers ; elle était ma voisine. Son âme était sensible à certains compliments. C'est alors qu'il advint ce que l'on imagine ; Ainsi, depuis toujours, commencent les romans. En elle il existait deux femmes différentes. Un jour capricieuse, accessible au désir ; Jouant le double jeu des fatales amantes, Lasse le lendemain, se moquant à plaisir. Un soir de rêverie elle voulut m'entendre, Assis à ses côtés, lui réciter des vers. A la fin du poème elle se fit plus tendre Et je vis quelques pleurs obscurcir ses yeux verts. Mais elle était épouse et, de plus infidèle ; La Raison m'éloigna de ce coeur inconstant. Je quittai sans regret la fausse jouvencelle Et j'ai ri de la mort d'un amant débutant. L'autre soir le hasard l'a mise sur ma route. Sa marche était pesante et son regard lassé. Quoi ? Sa beauté fatale avait fait banqueroute ; Il ne restait plus rien de son charme passé. Je cherchais, mais en vain, la suprême élégance Laissant tout deviner des lignes de son corps. Son simple accoutrement, de mode en décadence Semblait, sur le destin, rejeter tous les torts. Plus aucune couleur n'embellissait ses lèvres Et la neige des ans argentait ses cheveux. Il ne restait plus rien du mensonge des fièvres Que les traits du remords dans le vert de ses yeux. Honoré HARMAND A une revenante (A Melle Denise CHEVREUIL) 6 décembre 1945 Comme la légère hirondelle Nous annonce le gai printemps Vous revenez, toujours fidèle Aux vieux compagnons du bon temps. Lorsque j'ai reçu votre lettre Nous annonçant votre retour J'ai vécu l'espoir que, peut-être, Cette fois c'était pour toujours. J'appris alors, non sans surprise, Que vous étiez trop jeune encor. Aussi, pour ma part, je méprise L'avancement à l'âge d'or. Ainsi, d'une sotte formule Vous êtes victimes, tous deux, Votre chéri qui vous adule : Vous qui le dévorez des yeux. Je ne veux pas être égoïste Sans quoi je me réjouirais De la mesure formaliste Qui vous retient dans ses filets. Et je songe à l'impatience De celui que votre grand coeur A choisi, pour une existence D'amour et de profond bonheur. Semblable à tout sur cette terre Vision, vous aurez passé ; Mais, en partant, vous serez fière Du souvenir ici laissé. Honoré HARMAND Enigme A Melle Marcelle FOURNIER 10 décembre 1945 Vous me demandez un poème, Je ne saurais me récuser Et je serai content moi-même S'il suffit à vous amuser. Il peut paraître difficile D'écrire à quelqu'un inconnu ; Mais je sais ma muse docile ; J'aime son langage ingénu. Traduisant ce qu'elle m'inspire J'ai cru voir au fond de vos yeux La fausse image d'un sourire En souvenir de jours heureux. Gardez pour vous la confidence Que je semble, ainsi, réclamer, Puisque, tout simplement je pense : Son coeur a-t-il cessé d'aimer ? Honoré HARMAND L'heure du berger Pour une jeune fiancée 10 décembre 1945 Lorsque nous désirons connaître de la vie A côté des ennuis, les si rares beaux jours Nous ouvrons son grand livre et nos yeux pleins d'envie S'attardent, sans savoir, aux pages des amours. Aujourd'hui, chère enfant tant de fois méconnue, L'heure où tu dois aimer a sonné dans ton coeur Et l'écho la répète à ton âme ingénue : C'est l'heure de l'aveu ; c'est l'appel du bonheur. Un homme ayant souffert avance sur ta route. Marchez l'un près de l'autre et tendez-vous la main. La souffrance commune aura tué le doute Et c'est grisés d'espoir que vous vivrez demain. Honoré HARMAND Anniversaire A mon fils pour ses 30 ans 14 décembre 1945 Si l'on possédait le pouvoir D'arrêter le Temps dans sa course, Et capter l'onde de la source D'où jaillit le fragile espoir ? Si l'on pouvait, de la Jeunesse, Conserver le masque trompeur ; A Vénus confier son coeur Pour que l'embaume la déesse ? Mais, hélas ! Il nous faut vieillir Davantage au cours d'une année En cachant dans la fleur fanée Le doux parfum du souvenir. Honoré HARMAND Ma vanité 16 décembre 1945 Combien d'humains sur cette terre Se targuent d'avoir du talent. En évoquant Hugo, Voltaire Ils se croient leur équivalent. Aussi je rougirais de suite Si l'on devinait ce défaut Dans mon regard quand je récite Un poème pour ce qu'il vaut. Je ne suis pas marchand de rimes ; Je les trouve au fond de mon coeur Et les récite à mes intimes Où je découvre une âme soeur. Que m'importe de la critique L'indiscutable jugement. Comme je pense je m'explique, Car jamais ma muse ne ment. Parfois un voile de tristesse Un instant, obscurcit mes yeux ; C'est que mon esprit en détresse Recherche un mot harmonieux. Un mot qui chante et qui traduise, Dans sa franche sincérité, Ma pensée, ô combien soumise Aux lois de la simplicité. Honoré HARMAND Page d'amour A Mme R. HERARD 6 janvier 1946 Afin de répondre au désir De votre ami le plus intime Je vous confirme mon estime : Cela vous fera-t-il plaisir ? Je le suppose aussi j'ajoute Que si l'amour n'a pas de loi Tout être sent au fond de soi Qu'une âme soeur est sur sa route. Hélas ! Souvent près du bonheur On passe, aveugle, sans comprendre ; Mais il suffit d'un regard tendre, D'un mot, pour que s'ouvre le coeur. C'est ainsi que votre roman A dû commencer j'imagine. Pierrot sût plaire à Colombine Et votre duo fut charmant. Acceptez de ma Muse amie Ce cher baiser du souvenir. Qu'il soit pour vous, dans l'avenir, La page rose de la vie. Honoré HARMAND Le bohème A mon fidèle ami STOCK 10 janvier 1946 Le bohème n'est pas un ange, C'est un homme tout simplement. Pour le profane il est étrange ; On le baptise de dément. Hélas ! C'est une erreur profonde Car, en lui tout est ordonné. Son âme est pure comme une onde Au fond d'un puits abandonné. Il ignore le vil blasphème Et pardonne, sans oublier. Lorsqu'on lui jette l'anathème Il fait le semblant d'expier. L'invite-t'on à bonne table Ou boit-il des vins généreux ? Il trouve qu'il est préférable De manger entre malheureux. Il ne se plaît qu'en la nature ; Se grise du chant des oiseaux Et de la brise qui murmure Le soir en berçant les roseaux. Le Destin fait-il une tache Sur son livre blanc des amours ? Pour pleurer tout seul il se cache ; Mais, pour vous, il rira toujours. De plus, méprisant la fortune, Il partage avec l'indigent. Son escarcelle c'est la lune Et ses riches rayons d'argent. Il n'est aucun mal qu'il redoute Et, toujours heureux de son sort, Il marche tout droit sur la route A la rencontre de la mort. Honoré HARMAND La Reconnaissance 15 janvier 1946 C'est une femme tendre et douce Qui vient vers vous, tendant la main, Marchant sur un tapis de mousse Pour vous surprendre à mi-chemin. Ses yeux sont obscurcis de larmes, Troublant l'éclat de sa beauté. Rien ne résiste à ses alarmes Pour un coeur grisé de bonté. Elle révèle ses misères. Son pouvoir de vous attendrir Fait vos rancunes prisonnières Quand vous souffrez de voir souffrir. Votre désir est de lui plaire ; Vous partagez votre bonheur. Soudain son doux regard s'éclaire ; Récompense du bienfaiteur. Comme une rose épanouie Se fane au vent glacé du soir Le temps s'écoule, on vous oublie ; Vous avez fait votre devoir. Plus tard, sur le tapis de mousse Empruntant le même chemin Marche une femme tendre et douce ; Vers elle vous tendez la main. Elle s'éloigne, indifférente. De grâce ne l'arrêtez pas Car elle n'est qu'une passante Dans la foule de l'ici-bas. Honoré HARMAND L'atmosphère A Messieurs les inspecteurs du Trafic et leurs secrétaires à « Rouen-Exploitation » 20 janvier 1946 Employé par plaisanterie Ce mot, vénéré des savants Prend un sens plein de drôlerie Quand il s'adresse aux bons vivants. Il paraît qu'en votre entourage Où l'on prend tout du bon côté Il donne du coeur à l'ouvrage : C'est le travail dans la gaîté. L'atmosphère est capricieuse. Je le sais. Dans certains bureaux Elle est froide autant qu'anxieuse Les gens vivent dans des tombeaux. Chez vous elle est douce, légère Et l'on aime à la respirer Aussi combien je la préfère A celle qui fait soupirer. Ailleurs elle est toujours pesante Et les regards sont obscurcis. Chez vous à chaque instant plaisante Elle se rit des noirs soucis. Dans votre monde des affaires En faisant la part des tracas Choisissez dans les atmosphères Celle qui ne changera pas. Honoré HARMAND Mon vieux clocher 10 février 1946 Quand viendra mon heure dernière Surtout n'allez pas reprocher A mon fidèle et vieux clocher De murmurer une prière. De mon baptême il fut témoin Et si j'ai bonne connaissance, Comme je l'aimais, dans l'enfance O! Combien cette histoire est loin. Et pour fêter mon mariage J'ai senti qu'il enflait sa voix. Hélas ! Je parle d'autrefois : Qu'il était doux son bavardage. Aux mauvais jours on pense guère ; Mais lui doit bien se souvenir Quand les cloches semblaient souffrir D'annoncer une affreuse guerre. Mais aussi, c'est d'une autre voix Qu'elles chantèrent la victoire Quand les Français couverts de gloire Revinrent, fiers de leurs exploits. Mon vieux clocher parle en personne Au poète qui l'a compris. Et combien de gens m'ont surpris L'invoquer comme une madone. Honoré HARMAND A ma fille A l'occasion de son anniversaire, 25 ans 2 mars 1946 Deux mars mil neuf cent vint et un, Eclose en une nuit profonde, Une fleur au jardin du monde Vint offrir son plus doux parfum. On baptisa la fleur « Léone » ; Elle embauma notre bonheur, Tant elle incarnait la douceur Et la grâce d'une madone. Tu t'es reconnue et je veux Que les prêtresses de Cythère T'enseignent toujours l'art de plaire Et de vivre des jours heureux. Honoré HARMAND Espoir 3 mars 1946 L'hiver hésite à nous quitter Sans doute veut-il acquitter Sa lourde dette saisonnière. Sous ses hardes le mendiant Tremble, et semblable au juif errant Traîne le poids de ses misères. Les frileux oiseaux se sont tus. Les arbres honteux d'être vus Pudiques se parent de givre, Et les champs, d'hermine couverts, Ont plié leurs beaux tapis verts. Auraient-ils donc cessé de vivre ? Le vent insultant, le ciel gris Ce ne sont, à mon humble avis Que des symptômes d'agonie. Il en fut ainsi de tous temps Et, pour nous le joyeux Printemps Prépare sa douce harmonie. Bientôt, des timides buissons S'envoleront mille chansons ; Le soleil ouvrira la danse. Les lilas s'épanouiront Et les coeurs meurtris céderont Aux caresses de l'Espérance. Honoré HARMAND Heureux le paysan 4 mars 1946 Heureux le paysan penché sur sa charrue Qui divise les champs en longs sillons égaux Sous l'effort cadencé des dociles chevaux. Loin des encombrements, du cahot de la rue Heureux le paysan penché sur sa charrue. Heureux le paysan écoutant les chansons En traversant les bois que le soleil colore Au lever matinal de la timide aurore. Loin du bruit des moteurs mécaniques bassons Heureux le paysan écoutant les chansons. Heureux le paysan devant le feu qui brille Près de l'âtre où les siens se trouvent réunis. Il goûte du bonheur les charmes infinis. Loin des gueux amaigris, tremblant sous leur guenille Heureux le paysan devant le feu qui brille. Honoré HARMAND Qu'êtes-vous devenues ? 5 mars 1946 L'oubli sur mes amours frivoles A jeté son voile léger ; Mais vous deux, mes chères idoles, Qui, mon coeur sûtes partager, Dîtes ! Qu'êtes-vous devenues ? Dans le rapide flot humain ; A jamais pour moi disparues. Quel doit être votre destin ? Berthe, à la voix si caressante, Te souviens-t-il de nos serments ? Se peut-il qu'à ce point l'on mente ? Existe-t-il de faux amants ? Toujours présente en ma mémoire Est la scène du grand frisson ; Lorsque ta chevelure noire Cachait tes seins en pamoison. Dans ma pesante solitude Il me semble entendre ta voix Et j'écoute le cher prélude De mon vrai bonheur d'autrefois. Et toi Jeanne, « Petite chose » ? Témoin de mon profond chagrin Qui me tendis ta lèvre rose Où je pris un baiser divin. Toi, qui méprisant l'anathème, Risquas de perdre ton bonheur ; Qui m'inspiras tant de poèmes Essence pure de mon coeur ? A l'heure de la rêverie Te souviens-t-il des jours passés Où dans une même folie L'amour nous tenait enlacés ? Mais pourquoi vous crier ma peine ? La Constance a su me punir Et, seul, en silence j'égrène Le chapelet du souvenir. Je suis seul ! Le vilain mensonge ! Car notre amour fut surhumain. Je vous adore, dans un songe Qui, pour moi, n'aura pas de fin ! Honoré HARMAND La lyre brisée A Mr Albert HAYET 6 mars 1946 Ma lyre s'est brisée et ma Muse affolée Pleura sur les débris de son buis vermoulu. Au silence des morts je m'étais résolu Mais Elle, ne s'est pas encore consolée. Comme une mère en deuil la pauvre s'est voilée Et, m'accusant d'un mal que je n'ai pas voulu Elle a troublé mon coeur d'un chagrin superflu En fuyant, loin de moi, comme une écervelée. J'en étais à ce point de la fatalité Quand, à chanter encor, vous m'avez invité : Poète il m'a suffi, pour cela, de vous lire. J'ai retrouvé ma muse errante dans un bois Et, cédant à l'instant au charme de sa voix Pour vous j'ai rassemblé les morceaux de ma lyre. Honoré HARMAND L'illogisme de la Mort A Mr CAMY-RENOULT 20 mars 1946 Ô ! Mort me diras-tu cruelle chasseresse Pourquoi, chaque matin, tu vides ton carquois ? Ils ne t'ont pas suffi les champs aux croix de bois Où tu mis en lambeaux ton voile de tristesse. Tu n'es donc pas repue et ta meute aux abois Attend pour s'élancer un mot de sa maîtresse. Elle part et revient, toujours ainsi, sans cesse : Dans le tour du cadran, hélas ! Combien de fois ? Tu n'as donc pas trouvé des besognes meilleures Que d'harceler le Temps quand il compte les heures Sur la cloche des jours où tombe son marteau ? Sans doute ; mais alors, tu manques de logique Quand je te vois frapper de ton glaive tragique L'homme à l'adolescence et l'enfant au berceau. Honoré HARMAND Réponse à une lettre A Denise CHEVREUIL 4 avril 1946 Je fus, certes, très inquiet De votre prolongé silence ; Mais en lisant votre feuillet Je respire avec plus d'aisance. Car, pour mes amis, les meilleurs, J'éprouve une amitié sincère. Leurs lettres sont pour moi des fleurs Dont je fais un riant parterre. Aussi, j'éprouve un grand plaisir Quand je suis seul, à les relire. J'espérais vous voir revenir Un jour dans le palais du rire. Les fraisiers ont belles couleurs ; Les fraises, en Mai, seront mûres Mais, hélas ! Vous serez ailleurs Alors, adieu les confitures. Répondant à vos sentiments Je vous écris ce court poème En souvenir des bons moments Passés dans un groupe bohème. Que votre ami n'en soit jaloux A ma fille je vous compare Et ma pensée est près de vous Si la distance nous sépare. Honoré HARMAND Mes beaux lilas 2 juin 1946 Printemps trompeur tu me souris ; Mes beaux lilas sont défleuris, En toi je n'ai plus confiance. Semblable aux furtives amours Tu nous berces du mot « Toujours » Et mens dans ta toute-puissance. Mes beaux lilas sont défleuris, Ils ont perdu leur coloris Et ne parfument plus la brise. Je les aimais, lorsque le soir Mon coeur grand ouvert à l'espoir Du silence goûtait l'emprise. Mes beaux lilas sont défleuris. Ainsi les chansons et les ris Font place à la mélancolie. Alors ! Pourquoi nous abuser Nous trouvons, pour nous dégriser, Au fond du calice -- la lie. Honoré HARMAND On a sonné A madame VERDIER, avec sympathie 7 juin 1946 Si cela parait une histoire Elle est vécue, en vérité ; Et je la grave en ma mémoire Dans sa grande simplicité. Lors, notre aimable boulangère, En appuyant sur un bouton, Appela sa docile mère, Comme on sonnerait « le garçon ». Que désires-tu ma fille ? Mais, maman, je n'ai pas sonné ! La mère, gentiment, sourcille Et repart, l'air fort étonné. Mais quatre témoins de la scène Confirmèrent le bref appel. La boulangère, l'âme en peine, Leva son doux regard au ciel. Puis, souriant avec malice Elle dit : oui, maman, je sais ! Je désirais du pain d'épice. L'incident obtint son succès. ENVOI Vous sollicitez un poème, Je vous le dédie humblement ; C'est le souvenir d'un bohème Sensible à votre accueil charmant. Honoré HARMAND Une mise en boîte A mes amis LEVASSEUR et VERDIER Poème lu par Aline LEVASSEUR au cours d'une réunion intime. 10 juin 1946 Rien ne vaut le jus de la treille Alors qu'on le met en bouteille. J'en appelle à tous les gourmands Et Dieu me damne si je mens. Mais une bonne mise en boîte Pas trop méchante mais adroite, Que l'on vous offre pour dessert Ça vaut bien un petit concert. Aussi je vous préviens d'avance ; En réclamant votre indulgence. Surtout n'allez pas me haïr Ce dessert je vais le servir. Je commencerai par ma mère, Indiscutable ménagère Aussi qui ne trouve parfait, Simplement, que ce qu'elle fait. Petit défaut sans importance Et « honni soit qui mal y pense ». Mon père est homme de valeur Il peint, maçonne ; un bricoleur. Pourvu qu'il ait la cigarette. Nul, plus que lui, se sent heureux Et cela se lit dans ses yeux. Mon mari, charmant, sympathique, Sous un dehors frigorifique Sait donner un baiser brûlant, Car ce n'est pas un mari lent. Il n'est pas comme on l'imagine C'est crayon de bonne mine. Vous passerez tous au tamis. Parfaitement mes chers amis. Aux hercules je vous compare, Car vous pesez le poids Gamare, Aussi je voudrais bien savoir Pourquoi venez jamais nous voir ; Sur la route passez en flèche Sans arrêter ; qui vous empêche ? Serait-ce par timidité ? Vous en avez une santé ! Et vous, Madame la marquise Qui voulez que toujours reluise Votre escalier comme un miroir. Quel courage il vous faut avoir. Pardon ! Que cela ne vous vexe, Usez-vous d'un verre convexe, Concave ou simplement poli Ou frottez-vous au tripoli ? Et toi Ginette autoritaire Bruyante ainsi que le tonnerre ? Tu méprises le calicot Et ne rêves que le tricot. Tu devrais être très posée Mais n'es-tu pas toute opposée ? Et toi mon chérubin Jacquot Pour te juger il est trop tôt Mais tu passes quand même au crible. N'es-tu pas un enfant terrible ? Et ne serais-tu pas de ceux Aimant qu'on travaille pour eux ? Je termine mon bavardage. De mon amitié c'est le gage Et si j'ai su vous divertir Cela me fera grand plaisir De constater, de gauche à droite Que vous goûtez ma « mise en boîte ». Honoré HARMAND La belle soirée Suite de la mise en boîte 11 juin 1946 En une agréable soirée Qu'il fait bon de se réunir. Quoiqu'en soit courte la durée Il est doux de s'en souvenir. Nous étions là, joyeux convives Délectant des mets succulents Lors une gaîté des plus vives Fit de nous de grands turbulents. Gaîté franche, sans équivoque, Car, tous, on se sentait chez soi Comme au temps de la belle époque ; C'était un heureux temps, ma foi. Aussi, comme elle fut divine L'heure suprême du dessert Où charmante diseuse Aline Ouvrit la porte du concert. Concert intime, sans parade Où chacun montra son talent Et eût droit à une embrassade. N'était-ce pas gentil, vraiment ? De cette agréable soirée Hélas ! Qui dût trop tôt finir Bien qu'en fut courte la durée Je veux toujours me souvenir. Honoré HARMAND La Saint Henri A M. Henri VERDIER Lu par sa fille 1er juillet 1946 A défaut de carte postale Que j'estime aujourd'hui banale J'ai, de te plaire, le souci. Et préfère ce bref récit. Il est en notre beau village Une femme pieuse et sage Qui, pour fêter son cher papa Aux portes du ciel, fort, frappa. Je voudrais, dit-elle en substance Au vieux bon Dieu plein d'indulgence, Pour fleurir quelqu'un de chez nous Les fleurs qui poussent chez vous. Au jardin des métamorphoses Le vieux bon Dieu cueillit des roses Et de la femme emplit les bras, Au point qu'elle en eut embarras. Son merci fut une prière Elle s'empressa toute fière D'offrir à son père chéri Le bouquet de la Saint Henri. Honoré HARMAND Pour Claudet 2 juillet 1946 Grand-père on te fête aujourd'hui Et je ressens un gros ennui. Cet ennui je vais te le dire. En cherchant dans ma tirelire Je n'ai trouvé le moindre argent. Mais je puis t'offrir en échange L'amitié qui jamais ne change Dans l'âme d'un petit enfant. Honoré HARMAND Pour Jean-Marie 3 juillet 1946 Mon petit grand-père je t'aime Pour ta fête, à défaut de fleurs Accepte ce très court poème Il est l'image de mon coeur. Honoré HARMAND Un fils ingrat 1er septembre 1946 J'avais rêvé d'un fils qui bercerait ma vie Dans ses bras vigoureux, lorsque j'aurais vieilli. Je le voyais, priant, sincère, recueilli Quand sonnerait, pour moi, l'heure de l'agonie. J'avais rêvé d'un fils qui bercerait ma vie. Dans le coeur des mortels un rien peut tout changer. La jalousie entra dans son âme inhumaine. La tendresse fit place à la farouche haine ; Pour toute sa famille il devint étranger. Dans le coeur des mortels un rien peut tout changer. Il resta sourd aux lois de la reconnaissance, Oubliant que sa soeur le sauva de la mort. En cet esprit étroit Satan fut le plus fort ; Dans son regard éteint se lut l'indifférence. Il resta sourd aux lois de la reconnaissance. La Sagesse m'inspire et je dois pardonner Aux erreurs de l'ingrat qui de nous se sépare. Dans le désert du vide où sa raison s'égare Il me reste un devoir ; celui de le guider. La Sagesse m'inspire et je dois pardonner. Honoré HARMAND Maman A ma fille Léone, à l'occasion de la naissance de son fils Alain, Le 14 septembre 1946 Enfin tu vas savoir ce que c'est qu'un enfant. Il sera dans ta vie à la première place. Il n'est rien, ici bas, que cet être remplace Ni l'honneur, ni l'argent ; lui seul est triomphant. Tu pourras désormais, à la source profonde Du bonheur qu'il créa, puiser de grands désirs. Plus ne te griseras de factices plaisirs. Dans son coeur innocent la joie est si féconde. Tu sentiras en toi s'alléger les tourments Quand, ton sein débordant de sève maternelle, Donnera, chaque jour, une force nouvelle A la vigne d'amour aux fragiles sarments. Dans ses yeux tu liras la sublime tendresse Lorsque, le contemplant, tu te reconnaîtras. Dans les heures d'ennui tu te consoleras Quand vous échangerez, ensemble, une caresse Et, lorsqu'il parlera, quel instant plus troublant. Tu chercheras, en vain, d'autres raisons de vivre. Un mot résumera tout le récit du livre Que l'on pourrait écrire et ce mot c'est « MAMAN ». Honoré HARMAND Tableau pour une mère A ma fille Léone A l'occasion du premier sourire d'Alain 1er octobre 1946 Quel tableau plus charmant que celui d'une mère Serrant son cher trésor, un enfant, dans ses bras. Elle contemple l'ange, en lui parlant tout bas, Et semble encor douter de ce vivant mystère. Mais il s'est éveillé. La tendre nourricière Réchauffe d'un baiser ses frêles membres las ; Comme l'ardent soleil, en chassant les frimas, Prodigue aux verts rameaux la sève printanière. Puis le premier sourire a fui du petit coeur. A cette heure suprême aucun autre bonheur Ne saurait remplacer ce gage d'espérance. Ma fille, garde-toi d'interroger les dieux. Par ce précoce amour de la reconnaissance Ton fils a figuré le dessin de tes yeux. Honoré HARMAND A l'absente A ma petite fille Gisèle Au solarium de St-Ouen les Vignes 2 novembre 1946 Crois-tu vraiment que je t'oublie Et que ma mémoire affaiblie Néglige de se souvenir ? Sache que le coeur d'un grand-père D'ingratitude ne s'altère Et ne saurait jamais faiblir. Je te suis dans tes promenades, Parmi tes jeunes camarades ; Dans les grands bois et dans les champs. Je vous suis dans vos courses folles, Vos jeux bruyants, vos farandoles Et l'écho me redit vos chants. Je t'admire quand tu sommeilles Quand le rêve offre ses merveilles A ton corps las en le berçant. Je pense à toi lorsque l'aurore Ouvre tes grands yeux et colore Ton front si pur, ton front d'enfant. Loin de toi, dans ma solitude Je caresse la certitude Que bientôt tu nous reviendras Plus forte, plus sage et plus belle. Que je pourrai, chère Gisèle Te serrer bien fort dans mes bras. Honoré HARMAND Impressions d'un passant 2 décembre 1946 Mon poème, aimable Denise, Commence par un compliment. Sous votre prénom se déguise Un être subtil et charmant. Le mot « bonne » est désagréable Surtout lorsqu'il s'adresse à vous. « Servante » paraît plus aimable ; A prononcer il est plus doux. Vous êtes de bonne famille Car vous parlez correctement. Possédant l'art d'être gentille Vous savez plaire étrangement. Heureux celui qui dans vôtre âme A sû découvrir le bonheur. Pour lui ne s'éteindra la flamme Brillant au fond de votre coeur. De cet innocent bavardage Une chose est à retenir C'est qu'il enrichit d'une page Votre livre du souvenir. Honoré HARMAND Père Noël Pour Jean-Marie 22 décembre 1946 Père Noël si tu voulais Dans mes deux souliers tu mettrais Des gâteaux et des friandises. Car tu sais bien que les enfants Les tout petits comme les grands Ont un défaut : la gourmandise. Honoré HARMAND Lettre au Père Noël Pour Claudet LEVASSEUR 23 décembre 1946 Père Noël si cette nuit Tu descendais du ciel, sans bruit En passant par la cheminée ; Pour éviter de te salir Un ramoneur j'ai fait venir Afin qu'elle soit ramonée. Père Noël sois généreux, Sans oublier les malheureux Car aux pauvres toujours je pense. Ils te seront reconnaissants Et seront plus obéissants Si leur donne une récompense. Honoré HARMAND La bûche de Noël A mes gentils boulangers, Pour Mme Aline 24 décembre 1946 Il me faut, pour fêter Noël Mettre pour vous mon grain de sel. Laissant le bon pain dans la huche Je vais vous servir une bûche. Je commencerai par Papa Qui jamais, lui, ne se frappa. Pourvu qu'il ait cidre qui mousse Et vas-y comme je te pousse. Un guignon de pain bien beurré, Son estomac rempli, bourré De son bonheur voilà la cause ; Il voit ainsi la vie en rose. Ne doit-il pas son teint rosé A son café bien arrosé. Maman, sous un dehors sévère Est, quand même une bonne mère. Son coeur est plein de sentiment En dépit de fichus moments. Lorsqu'elle crie on sait d'avance Qu'elle signale sa présence Et l'on serait fort étonné Qu'elle y pense, le dos tourné. Mon cher et tendre époux Etienne S'en moque pourvu qu'il parvienne A ramasser beaucoup d'argent. Comme lui sont des tas de gens. C'est un défaut très raisonnable Que le travail soit profitable. Comme c'est sa fête aujourd'hui Je suis bien d'accord avec lui. Mais parlons un peu de Gisèle, Servante jeune, mais fidèle Qu'il faut remuer bien souvent, Girouette tournant à tout vent. Ayant un bon coup de fourchette Toujours riante à son assiette. Si l'appétit vient en mangeant Le sien, je vous le dis, est grand. Jean, le commis est un vrai drôle Cherchant à comprendre son rôle Pour devenir bon pâtissier ; Il prend à coeur ce bon métier ; Mais il ignore la combine Pour une crème mousseline. A Gisèle il fait les yeux doux. Ce que je pense est entre nous. Cette amitié, je le présage, Finira par un mariage. Voilà que j'allais oublier René, notre cher brigadier Se promenant dans la journée La nuit il brûle la fournée Il s'ensuit l'inconvénient Qu'il bouscule tous les clients Qui trouvent le pain un peu moche ; Mais nul de nous n'est sans reproche. Et comme il est un bon garçon Pardonnons-lui sa malfaçon. Pour ma part je suis très modeste Mon caractère vous l'atteste. On ne peut dire que du bien De moi qui ne dit jamais rien. Certes j'ai mon caractère Mais, de beaucoup, je le préfère A ceux renfermés et sournois Ne pensez-vous pas comme moi ? Honoré HARMAND Jour de l'an Pour Mme Aline LEVASSEUR 1er janvier 1947 Mes bons et chers parents en ce grand jour de fête Je veux vous exprimer Tous les sentiments d'une amitié complète Car je sais vous aimer. Mais je saurai guider mon navire en détresse Et mes jeunes enfants Me garderont, j'espère, un peu de leur tendresse Lorsqu'ils seront plus grands. Je ne suis pas, hélas ! Etienne, ton aimée Cela compte ici bas Accepte néanmoins mes voeux de bonne année Je fais le premier pas. Pourquoi don abuser de phrases ressassées De discours superflus. De mots à double sens et d'arrières pensées Lorsque l'on n'y croit plus. L'amour est un vain mot ; un autre, l'espérance. Puisse un jour à venir Pour la première fois te sourire la chance Tel est mon seul désir. Gisèle, si tu veux, suis mes conseils, fillette Tu seras sans défauts Et je ferai de toi la servante parfaite Si tu fais ce qu'il faut. Brave Jean, éloigné du mensonge et du vice Je veux te souhaiter De t'appliquer toujours à nous rendre service Tu sais tout éviter. Bien que de tous mes voeux la réserve s'épuise René, le brigadier Permettez que simplement je dise Restez bon ouvrier. Honoré HARMAND A une servante A Denise QUILAN, servante au Lion d'or. 2 janvier 1947 Mon poème, aimable Denise Commence par un compliment. Sous votre prénom se déguise Un être subtil et charmant. Le mot « Bonne » est désagréable, Surtout lorsqu'il s'adresse à vous. « Servante » parait plus aimable ; A prononcer il est plus doux. Vous êtes de bonne famille Car vous parlez correctement. Possédant l'art d'être gentille Vous savez plaire, étrangement. De cet innocent bavardage Une chose est à retenir ; C'est qu'il enrichit d'une page Votre livre du souvenir. Heureux celui qui, dans votre âme A sû découvrir le bonheur. Pour lui ne s'éteindra la flamme Brillant au fond de votre coeur. Honoré HARMAND J'ai dit à ma Muse A Melle Denise CHEVREUIL 3 janvier 1947 J'ai dit à ma muse endormie Chante encore pour une amie, Comme un rossignol dans les bois. Madone exauce la prière D'une brune et tendre postière Admirant le son de ta voix. Fais que je reprenne ma lyre Pour lui plaire ; aussi pour lui dire Qu'un poète pense toujours A celle qui, dans les jours sombres Nous aidait à chasser les ombres Qui planaient sur nos coeurs trop lourds. Chante encore, Muse chérie, Car, c'est une sincère amie A l'âme tendre, au si grand coeur. Chante, chante pour elle, Pour Denise, la demoiselle Que nous aimons comme une soeur. Honoré HARMAND Orgueil de mère 10 janvier 1947 Dans son berceau bébé repose Et, se penchant pour l'admirer Comme on cueille une fleur éclose La mère cueille un doux baiser C'est son bonheur, toute sa vie Qu'elle attache à l'enfant qui dort. L'âme de femme est asservie Au paroxysme de l'effort. Elle retrouve les images De la sainte Nativité Lorsque devant l'humanité Venaient se prosterner les Mages Elle est heureuse que son sein, Cette source jamais tarie, Ait, du désir que l'on envie Retracé le plus beau dessin C'est d'un regard tendre et farouche Qu'elle suit son geste indécis Quand il affronte les soucis A l'âge où le malheur le touche. Elle est fière quand son enfant Est épargné par la tempête Et qu'il revient, dressant la tête Près d'elle en guerrier triomphant. Alors très fort elle l'embrasse, Gage puissant d'un pur amour Qu'elle dépense chaque jour ; Beau geste dont elle ne se lasse. Elle vieillit et chaque soir S'endort, simplement, satisfaite D'une tâche noble et parfaite : Celle, puissante, du devoir. Honoré HARMAND La tétée Février 1947 A ma fille Léone Dans son berceau le bambin pleure ; Il suce en même temps son doigt ; Car Alain a deviné l'heure Et réclame ce qu'on lui doit. Aussitôt la maman s'empresse. Quelle faim avait le gourmand ! Il joue avec le sein, le presse, Fier de son geste innocent. Il est repu. Ses lèvres roses Abandonnent le fruit divin ; Ainsi font les buveurs moroses Lorsqu'ils sont dégoûtés du vin. Et la nourrice généreuse, Satisfaite, fait les cents pas En murmurant une berceuse Qu'il entend, mais ne comprend pas. Le chérubin, plus ne remue, Ses yeux se ferment à demi ; Car du sommeil l'heure est venue :-- Petit Alain s'est endormi. Honoré HARMAND Anniversaire A ma fille Léone pour son anniversaire 2 mars 1947 L'anniversaire est une fête Pour qui n'a pas peur de mourir. Ma fille, en redressant la tête Regarde en face l'Avenir. Honoré HARMAND Pour ta fête A ma fille Léone pour sa fête 11 avril 1947 Léon est un vilain prénom ; Charmant est celui de Léone. Le premier est de la rayonne Le second est un pur limon. Honoré HARMAND Gestes d'enfant Mai 1947 A ma fille Léone Alain est un bébé mignon, Surprenantes sont ses manières. Sans aucune prétention Voici les deux toutes dernières. Certain jour, il devait souffrir D'une forte crise dentaire Car il cherchait pour s'y blottir La chaude épaule de sa mère. La tendresse sût l'apaiser Et, tendant ses petits doigts roses Il imagina qu'un baiser Doit se cueillir comme les roses. J'étais assis auprès de lui Délectant une cigarette. J'admirais son regard qui luit Et sa gentille frimoussette. Il prenait un réel plaisir A suivre, des yeux, la fumée Quand, soudain, il voulut saisir Une volute déformée. Mais ce plaisir fut passager. Sa main était vide, ô ! Mystère ! Alors--ce nuage léger Ce n'était donc qu'une chimère ? Honoré HARMAND Sainte Yvette A ma fille Yvette pour sa fête 19 mai 1947 Cette carte n'est pas muette. Des vers font parler le bouquet Qu'emprisonne un ruban coquet : Ton cher prénom, ma grande Yvette. Honoré HARMAND Sainte Gisèle A ma petite fille Gisèle pour sa fête 21 mai 1947 Pour ta fête, chère Gisèle Accepte ce modeste envoi : Quatrain que ma muse fidèle Dans mon coeur a choisi pour toi. Honoré HARMAND N'oublie jamais A Michel LESAGE, à l'occasion de sa première communion 1er juin 1947 Michel, petit ami, permets que je souligne L'éclat de cette fête où je suis invité ; Que, de nos compliments, la foi te rend plus digne ; Car tu sembles jouir d'un honneur mérité. Il te faut, pour toujours, graver dans ta mémoire Le souvenir charmant de ta communion. Tu devras acquitter les frais de cette gloire Avec les deniers d'or de ton affection. Lorsque tu subiras les lois de l'existence ; Qu'il te faudra lutter et pleurer tour à tour, Tes parents chercheront la juste récompense Des efforts prodigués pour l'élu d'un beau jour. Honoré HARMAND Page pour ton album A Jean GREGOIRE, À l'occasion de sa première communion 1er juin 1947 Mon cher Jean c'est pour toi que j'accorde ma lyre. Ecoute, en ce beau jour, ses plus tendres accents ; Mais tu m'excuseras si je n'ai su décrire Le bonheur qui s'éveille en les coeurs innocents. J'écris ce que je pense et je me remémore Que je fus, comme toi, comblé comme il se faut. Lorsqu'une âme d'enfant, pure comme l'aurore Reçoit en récompense un baiser du Très Haut. Ce jour te fait régner sur un vaste domaine Où l'Illusion passe en versant ses parfums ; La Vertu te protège ; elle est ta souveraine : Ignore le regret de nos désirs défunts. L'Oubli pourra ternir l'éclat de cette fête ; Mais un seul souvenir sera toujours vivant Dans ton esprit troublé par plus d'une tempête, Celui qui te fit roi, hélas ! Pour un instant. Honoré HARMAND Simonne et Pierre A l'occasion d'un mariage. Poème demandé Par une amie d'enfance de Simonne 2 juin 1974 Le bonheur, pour certains, est un oiseau qui passe Que, seul, l'oeil exercé peut suivre dans l'espace Sans espoir de retour. Pour vous, jeunes amis, il n'en est pas de même Vous avez prononcé, tous deux, le mot suprême Le grand « Oui » de l'amour. Simonne, je connais, camarade d'enfance Combien ton coeur, sensible aux chants de l'Espérance Etait prêt à s'ouvrir. Lorsque nous ressentions la plus légère peine En te la confiant, à toi la sauge humaine On cessait de souffrir. Pierre, en pilote sûr évitant le naufrage Saura guider l'esquif harcelé par l'orage Vers le port le plus près. L'amour a son azur, la vie a ses tempêtes Mais vos deux âmes soeurs, à lutter toujours prêtes Ne sombreront jamais. Certes, très chers parents, en ce jour d'allégresse Vous sentez disparaître un peu de la tendresse Dont vous étiez comblés. Vous recevrez bientôt, par la chère alliance De vos enfants aimés, en juste récompense Des baisers dédoublés ; Je crois que ton époux, par votre mariage A reçu du destin le plus bel héritage Qu'il pouvait désirer ; Et qu'il t'emportera vers les rives fleuries Des jardins de Cythère où vos ombres chéries Pourront s'enamourer. Honoré HARMAND Pour Claudet 2 juillet 1947 Grand-Père laisse-moi te dire Que je n'ai pas le moindre argent, Mais tu ne vas pas me maudire, Car je te sais très indulgent. Je veux te souhaiter ta fête, Comme fait un jeune garçon, En t'embrassant fort, à pincette. Crois-moi, je t'aime à ma façon. Tu seras très heureux quand même. A défaut d'une belle fleur Donnant le meilleur de moi-même J'ouvre pour toi mon petit coeur. Honoré HARMAND Saint Henry A Mme Aline LEVASSEUR pour la fête de son père 13 juillet 1947 Aujourd'hui, pour patriotique C'est mon devoir de fille unique De fêter le papa charmant La Saint Henri, tout simplement. Mes voeux, ainsi que je l'espère, Toucheront ton coeur, petit père. Ce coeur débordant de bonté Je veux le voir plein de santé ; Que ton existence soit belle Et qu'une ardeur toujours nouvelle Vienne couronner tes efforts. Toi, qui sais excuser les torts Vois. Tes petits enfants grandissent Fais que sur la pente ils ne glissent. Que guidés par tes bons conseils Ils soient, en tous points tes pareils. Mais, si tu veux, tournons la page Et fermons le livre du sage Pour rire un peu. De nos défauts Subis comme moi les assauts. Tes qualités, parfois suprêmes Connaissent aussi les extrêmes Quand ton regard inquisiteur Te déguise en vrai contrôleur. Tu vois tout, toujours sans rien dire. Mais je sens ton coeur qui soupire. Ton chagrin est vite noyé Dans un café bien consolé. Et toi petite et tendre mère Tu vas passer à la chaudière Comme ton digne mari. C'est un plaisir, mon favori, Je te le dis avec franchise Ton défaut est la gourmandise. Les gâteaux tu les aimes bien, Surtout lorsqu'ils ne coûtent rien. De vivre il est mille manières Les affaires sont les affaires. Sensible aux invitations Tu cherches les occasions Où l'on dit : vous êtes des nôtres ; On se sent si bien chez les autres ! Je dis ça pour te taquiner ; Il ne faut jamais se gêner. Terminons cette promenade Sous forme d'une arlequinade. Pour qu'il n'y ait pas de jaloux N'en faut-il pas pour tous les goûts ? Alors c'est au tour de René, Garçon bien intentionné, Mais qui profane la farine Car le pain n'a pas bonne mine Lorsqu'il le sort du four, brûlé, Comme un poulet tout rissolé. Il est facile de comprendre ; Par le sommeil se laissant prendre Il ne peut être, c'est certain Au four de même qu'au moulin. Pardonnez lui sa maladresse. Il faut excuser la jeunesse ! Car celui qu'on voudrait punir A promis de ne plus dormir. Honoré HARMAND Pour Jean-Marie 14 juillet 1947 Les grands-pères sont toujours bons, Surtout le grand jour de leur fête ; Je crois qu'elle sera complète Si tu m'offres des gros bonbons. Honoré HARMAND 15 août 1947 A madame PAINTURIER Terrasse fleurie 16 août 1947 Hier c'était fête au village Et, grâce à du vin généreux On sentait, à leur bavardage, Que tous les gens étaient heureux. Madame, je le fus moi-même Et me souviens avoir promis De vous écrire un court poème : A tout désir je suis soumis. Nous avons causé de Lucie Poétesse du vieil Honfleur. Tout comme vous je l'apprécie Dans son style où s'ouvre son coeur. Elle doit être naturelle, Cela se sent dans ses romans Toujours juste et jamais cruelle Lorsqu'elle dépeint les amants. J'ai pris plaisir à vous entendre Parler « livres » car comme moi Vous avez dû souvent comprendre Qu'ici l'esprit ne fait la loi. Honoré HARMAND Tes premiers pas A mon petit-fils Alain 14 septembre 1947 Alain, crois-tu que je t'oublie, Rayon de soleil dans ma vie ? Répondre tu ne saurais pas. D'avance, enfant, je t'en excuse Et j'ai prié ma chère muse De dessiner tes premiers pas. Douze mois, depuis ta naissance, Au grand cadran de l'existence Ont marqué ta précocité. Embryon d'homme téméraire Tu laissas la main de ta mère Et partis seul avec fierté. Cette première tentative Ne fut pas longtemps négative ; Nous en restâmes sidérés. Il était si beau le spectacle De te voir éviter l'obstacle, Et tes points d'appui préférés. Tel un hercule aux pieds d'argile Raidissant ton mollet fragile Tu te tournais vers nous, joyeux. De cette admirable prouesse Je retiens la vive allégresse Que j'ai lue au fond de tes yeux. Honoré HARMAND Si vous étiez ma Mie A Denise CHEVREUIL 2 novembre 1947 Que n'écrirais-je pas si vous étiez ma Mie, Confessant mon amour en des vers enflammés ; Mais vous n'êtes, hélas ! Qu'une lointaine amie Et mon coeur un brasier aux tisons consumés. Malgré l'éloignement, je pense à vous quand même. Le trop rapide oubli ne m'a jamais atteint. Les souvenirs heureux, comme un pur diadème, Conservent leur éclat quand leur feu s'est éteint. Les ennuis passagers, les heures els plus sombres Ne sauraient obscurcir les jours ensoleillés Où la franche gaieté jouait avec les ombres Que faisaient, sous nos doigts, les billets oubliés. Il m'arrive souvent, au hasard, de relire Les poèmes vécus, glanés dans mon recueil ; E, songeant aux instants où le temple du rire Avait une déesse en Denise Chevreuil. Mais qu'importe, après tout, si vous n'êtes pas ma mie. Vous comprendrez ces vers, pour la forme, enflammés ; Un cadeau de ma Muse à sa lointaine amie : Cendres d'amitié pure aux tisons parfumés. Honoré HARMAND A Bec de Gaz, A l'occasion de son anniversaire, 64 ans, Le 7 novembre 1947 Il y a 64 ans Honoré vint au monde. Il but, mangea, poussa, comm'pouss'les champignons Il eut dix ans, vingt ans ; il eut des brun'des blondes Il fit bien des fredain'il fit bien des gueul'tons. Le gueul'ton de ce jour c'est son anniversaire Depuis 64 ans Bec de Gaz est debout. Toujours vert et fringant, toujours jeun'voulant plaire Débordant de santé Bec de Gaz tient le coup Il a voulu d'ailleurs se remettre en ménage Une vieill'connaissance l'ayant sollicité Mais après réflexion la noce a fait naufrage Le Bec de Gaz cett'fois n'était pas enflammé Mais cett'flamm', pas éteinte est toujours en veilleuse Prête à se rallumer pour un'quelconqu'beauté Vivre près de cell'ci une existence heureuse Et puis mourir un jour, quand tout sera usé Mon cher vieux Bec de Gaz buvons à ta santé A tes 64 ans, à tout le temps passé En te souhaitant bonheur, joie et longévité Demeure, longtemps encor Bec de Gaz allumé. COUSIN Réponse à un poème d'anniversaire A l'ami COUSIN, collègue de ma fille Léone 8 novembre 1947 Hélas ! J'ai soixante quatre ans ! Vous me direz c'est un bel âge. Pour moi c'est un désavantage De n'avoir plus mes vingt printemps. Lors je rêvais au clair de lune Cherchant le chemin du bonheur Sur les lèvres d'une âme soeur. Qu'elle était grande ma fortune ! Je fus un galant troubadour Troublant plus d'une femme honnête ; Mais j'ai souffert d'être poète : J'ai payé ma dette à l'Amour. Le Temps resserre son étreinte. Je sens mon coeur se refroidir Comme la cendre d'un désir Dont la flamme est à peine éteinte. Cousin, tes vers m'ont enchanté Et merci de tes voeux sincères ; Mais il ne croit plus aux chimères Le vieux Bec de Gaz argenté. Honoré HARMAND Anecdote 7 novembre 1947 Dans la rue des Sapins, par un beau soir d'automne Regagnant ses pénat'Bec de Gaz rêvassait. Quand un'bouch'dégout absorba sa personne Dont la tête, aux abois, toute seule émergeait. Il fut tiré, hâlé, par une âme charitable De cet égout béant qui l'avait avalé Et semblait s'amuser de l'air si pitoyable Du pauvre Bec de Gaz qui l'avait visité. COUSIN La vérité Réponse à un poème Anecdote A l'ami COUSIN 9 novembre 1947 C'était un soir de Saint-Romain Et je revenais de voyage ; Les bonisseurs faisaient tapage : Caillouteux était le chemin. C'est en tournant court dans la rue Que je fis le fatal faux-pas. Les pavés étaient un peu gras, La pluie, abondante, était drue. A deux genoux dans le ruisseau Je semblais faire une prière. On me tira de cette ornière ; Certes, je n'étais pas beau. Grâce à deux âmes charitables Je pus ainsi rentrer chez moi Où, pour comble de mon émoi On me retrouva sous la table. La maudite bouche d'égout Etait l'auteur de ma misère. De ce fait la morale est claire N'en faut-il pas pour tous les goûts ? Honoré HARMAND Maison de retraite 10 février 1948 C'était un bon pèr'de famille Qu'avait trimé dans son jeun'temps Il avait un fils et un'fille Qu'avaient eux-mêm'des p'tits enfants Dam'aujourd'hui la vie est chère C'est bien dur de nourrir son père Et les enfants dir't au bon vieux A nous quitter faut qu'tu t'apprêtes Entrer dans un'maison d'retraite Le bon vieillard les laissa faire Une fois là-bas il écrivait On est très bien on fait bonn'chère Deux fois la s'maine y'a du poulet Y'a dans l'jardin des statu'd'marbre Mais j'pens'à vous sous les grands arbres Oh mes enfants j'm'ennuie beaucoup J'aim'rais mieux du pain noir chez vous Que l'poulet d'la maison d'retraite J'peux pas m'y faire et je regrette Le fils répond à son père Patiente encor et tu t'y f'ras D'ailleurs d'ici quéqu'temps j'espère Aller te voir ça t'consol'ra Quelques jours après on vient lui r'mettre Encadré de noir une lettre Grand pèr' n'est plus, pleurez mes gars Dit-il alors baissant la tête C'est d'ma faut'il est mort là-bas Tout seul à la maison d'retraite Si t'as l'bonheur d'avoir ton père Chéris le bien n't'en sépar'pas Car pour t'él'ver il a dû faire Cent fois plus qu'jamais tu n'fras Cours au travail et plein d'courage En trimant pour tes vieux parents Tu n'fais qu'ton d'voir tu pay'ta dette C'n'est pas pour ceux qu'ont des enfants Qu'on fait les maisons de retraite Honoré HARMAND Leçon de choses A mes petites-filles Gisèle et Michèle 1er mars 1948 Dans un coin du petit jardin Poussait un plant de violette. Je le négligeais à dessein ; Stérile il était en fleurettes. Trois ans s'écoulèrent ainsi. Il est mal exposé, peut-être ? Pensais-je, sans autre souci Que de le faire disparaître. Je réfléchis. Serait-il las De vivre seul perdu dans l'ombre Et choisis, près d'un vieux lilas L'endroit rêvé, ni clair ni sombre. J'avais deviné le désir De cette plante printanière Aussi bientôt je vis surgir La modeste fleur qui m'est chère. Ornez le pied du vieux lilas. Violettes soyez heureuses. Mon pauvre coeur sera moins las Quand vous renaîtrez plus nombreuses. Honoré HARMAND Sainte Léone A ma fille pour sa fête 11 avril 1948 Aujourd'hui c'est Sainte Léone. Toi qui connais ses goûts divers, Ô ! Muse à cette autre madone Daigne offrir ces modestes vers. Honoré HARMAND Hyménée A Madame VILCOQ (ex Denise CHEVREUIL) 2 mai 1948 Rapides passent les années ; Furtives comme le bonheur ; Propices aux âmes bine nées Quand à l'hymen s'ouvre le coeur. Le vôtre était si grand, ma chère Qu'il devait, à n'en point douter, Ne pas rester célibataire Et un autre coeur habiter. Reprenant « Les trois temps d'un verbe », Lorsque je parlais du futur, Je cueillais, en rêve, la gerbe D'un amour au parfum si pur. Que votre tendre époux se grise Du frais bouquet cueilli pour vous Quelques vers, madame Denise Dont il ne sera pas jaloux. Que les liens du mariage Vous retiennent toujours unis. Et du temps méprisant l'outrage Restez Philémon et Baucis. Honoré HARMAND Après la fête A mes enfants Léone et Raymond 20 mai 1948 Si je ne savais pas comprendre Que tout est furtif ici-bas Au spleen je me laisserais prendre : Il parle et je ne l'entends pas. Non ! Non ! Je ne veux pas connaître Ce spectre intime de l'ennui, Et je le juge comme un traître. Je sais trop combien il m'a nui. Elles furent délicieuses Ces heures où l'amphitryon Contemplait vos faces joyeuses Comme au soir d'un grand réveillon. Vous étiez heureux et moi-même Sentais l'indicible bonheur Que l'on goûte avec ceux qu'on aime. La Joie habitait dans mon coeur. J'écris et ma paupière humide A mon insu retient un pleur ; Je me garde d'être stupide Car la Solitude est ma soeur. Honoré HARMAND Au Vaudreuil A l'ami Alphonse PICHARD Souvenir de sa visite au Vaudreuil 1er juin 1948 Chers amis vous pouvez me croire Je ne raconte pas l'histoire D'un poète ayant bien vécu. Certes, le fruit de la vigne D'écrire l'a rendu digne. Alphonse en partit convaincu ; Car il reçut un bon accueil Au Vaudreuil. On vit la belle boulangère Et l'agréable charcutière Qui nous firent tant les yeux doux. L'une montrant des dents blanches, L'autre avec un geste des hanches Semblait dire : prends mon sein doux Car on s'amuse sans écueil Au Vaudreuil. On rencontra des ménagères Des vieilles et jeunes bergères, Et toutes, avec à-propos, Répondaient, ayant le sourire ; Sans savoir ce qu'on voulait dire ; Car on sait jouer sur les mots, Faisant de l'esprit sans orgueil Au Vaudreuil. Le défaut de la gourmandise, Je le dis en toute franchise N'est pas notre plus grand défaut. Alphonse est vraiment le brave homme. Sa taille ? Trois fois une pomme. N'empêche qu'il est comme il faut Car il semble porter le deuil Du Vaudreuil. Il peut avoir les souvenances De substantielles bombances Au sein de son pays natal. Mais je doute qu'ailleurs il trouve Cette amitié que l'on éprouve Pour ce petit coin peu banal. On mange des gâteaux à l'oeil Au Vaudreuil. Honoré HARMAND Le train qui part 1er juin 1948 Je n'aime pas le train qui part Parce qu'il dresse un rempart Entre les amitiés si chères. Un sublime adieu de la main C'est un plaisir sans lendemain Quand se referment les portières. Glissant sur le ruban d'acier C'est notre bonheur tout entier Qu'il emporte dans le mystère ; Et le doute de se revoir Dont le démon au masque noir Tisse la trame journalière. Il fuit vers un but assigné Par le voyageur résigné Le but où s'estompe la joie Et la lourde masse de fer Cherche entre le ciel et l'enfer Quelle est vraiment la bonne voie. Je n'aime pas le train qui part Car, chaque fois j'ai le cafard Quand je quitte tous ceux que j'aime. Le profane ne peut savoir Quand il disparaît dans le noir Ce qu'il emporte de moi-même. Honoré HARMAND Mise en boîte A Mr NEUTENS de la part de Mme Aline 1er juillet 1948 Mon cher Monsieur permettez-moi De marquer ma reconnaissance En quelques vers de bon aloi Et n'y cherchez aucune offense. Vous fûtes pour moi le pasteur Qui console aux heures de peine. Votre voix pleine de douceur De mon ennui brisa la chaîne. J'ai suivi votre bon conseil, Senti dans mon âme en détresse Passer un rayon de soleil Et la douceur d'une caresse. Certes, vous êtes généreux Et vous connaissez la manière De consoler les anxieux Comme console la prière. J'ai cessé de congratuler Et j'aime mieux changer de disque ; Histoire de vous immoler Pour rire un peu, sans autre risque. Un certain jour j'ai remarqué Que vous savez tenir à table. Certes, vous avez répliqué De la façon la plus aimable. Ensemble on a bu le café. Chez vous, tisane très légère ; Chez nous il est plus étoffé Et j'ai compris qu'on le préfère. Vous aimez bien pianoter Et du talent je vous accorde ; Mais à force de tapoter Sur le mien vous usez la corde. Vous êtes un homme charmant Très à cheval sur le principe. Et de plus, un fidèle amant Pour votre compagne : La pipe. Je crois que vous pardonnerez, A votre égard, cette satire ; Mais je crains, si vous répondez Que cette réponse soit pire ! Honoré HARMAND J'sais pas chanter Monologue inédit Pour un mariage 2 juillet 1948 Excusez-moi, j'sais pas chanter ; Mais j'vais pouvoir vous raconter Sans qu'ce soit du « Bach et Laverne » Un poème sans balivernes. Ce n's'ra pas du Victor Hugo Du Lamartine ou du Cocteau ; Mais ça tiendra debout quand même ; On est indulgent quand on aime. Mes chers amis faut m'excuser, C'est pas d'ma faut'j'sais pas chanter. La mariée en sa robe exquise Ferait une belle marquise. Tant qu'au mari, ça c'est acquis Il ferait un joli marquis. Je l'avouerai, je les envie : C'est le plus jour de leur vie. J'sais pas chanter, c'est malheureux Et j'pense quand je f'rai comme eux Quand il faudra monter la gamme Quel grand air jouerai-je à ma femme ? Mais parlons des d'moisell's d'honneur. Si je n'ai pas d'voix j'ai du coeur. Pour ma part je les trouv'charmantes Mesdam's vous êtes consentantes Pour dire un grand « Oui » comme moi ? Car la franchise n'a pas d'loi. Et puis lorsqu'elles auront l'âge De songer à leur mariage Ell's diront d'moi, sans me vexer, C'est dommag'qu'il n'sait pas chanter. Je crois qu'j'ai plutôt d'la faconde, Et je n'peux pas vanter tout l'monde. Aussi à tous, amis, parents J'adresse tous mes compliments. A défaut d'une chansonnette Je crois avoir payé ma dette Et si j'ai su vous divertir Vous pouvez, sans crainte applaudir. Merci à l'aimable assistance Qui, d'm'écouter eut la constance. Envoi Ne faites rien pour m'imiter C'est bêt'quand on n'sait pas chanter ! Honoré HARMAND Une rencontre A un ami de jadis 3 juillet 1948 C'est le hasard d'une rencontre. On est heureux de bavarder. Par habitude on sort sa montre ; Car il ne faut pas s'attarder. C'est l'usage qu'on prenne un verre. On cause de tout et de rien. Aussitôt l'amitié s'avère Franche et cela fait tant de bien. Glissant sur les choses banales On remémore un souvenir Cueilli dans de chères annales. Alors on se sent rajeunir. Puis, soudain, abordant l'intime On se raconte ses malheurs. Instant tragique instant sublime Où se ravivent les douleurs. Des mots oubliant tous les charmes On se fige silencieux ; Sincères de furtives larmes Ont terni le blanc de nos yeux. L'heure s'avance et l'on se quitte Sans connaître le jour prochain D'une rencontre aussi fortuite En suivant le même chemin. Honoré HARMAND Un flirt Ecrit pour Serge à l'égard de Paulette 4 juillet 1948 Loin de vous chère Demoiselle Je soupire et je sais pourquoi. Si votre mémoire est fidèle Vous devez penser comme moi. Il certaines circonstances Complices du moindre désir Et d'innocentes attirances Qui nous incitent à choisir : Parmi plusieurs étudiantes Celle que l'on cherche la mieux ; Dont les manières sont plaisantes Et l'esprit pétille en ses yeux. De Vous j'ai dessiné l'image, Sans doute l'aurez-vous compris, Si non déchirez cette page Au cas où je me suis mépris ? Ne m'avez-vous dit qu'à l'automne On se reverrait ? Je veux bien ; Car, au fait, Paulette mignonne Cela ne nous engage à rien ! Honoré HARMAND Vision macabre 1er août 1948 Un soir du suave mois d'août, L'un de ces soirs où l'air est doux La Mort près de moi s'est assise. Ensemble nous avons causé : Un autre n'aurait pas osé Affronter son image grise. Je lui fis place sur le banc Où je m'assieds en me grisant De l'enivrante odeur des roses A l'heure où s'éveille la nuit, Où le Silence nous conduit Au temple des métamorphoses. Pourquoi te rapprocher de moi ? Je ne comprends pas le pourquoi De ton inlassable insistance. Je suis pauvre et je vis heureux. Poursuis les êtres désireux D'en finir avec l'existence. Méprisant la gloire et l'argent Je vis ma vie en partageant, Avec mes enfants, ma tendresse. Leur amitié n'a pas de prix. Par leur amour mon coeur est pris Et c'est la plus belle richesse. La Mort réfléchit un instant Puis disparut en marmottant Un blasphème entre sa mâchoire. Elle fuyait, faux sur le dos Et j'entendis craquer ses os Sous le poids de sa cape noire. Honoré HARMAND Quatrain de COUSIN sur un accident d'auto Bec de Gaz, en voiture, est tombé sur un bec. Il ne s'est pas éteint mais sa flamme a baissé. Il eut peur et sortit, n'ayant plus un poil sec ; S'éloignant à plein gaz avec son bec blessé. Cousin Réponse à un quatrain sur un accident d'auto 1 septembre 1948 Remettant les choses au point Cousin il faut que je te dise Qu'un poteau causa la surprise Du conducteur, qui voit de loin. C'est à l'excès de sa prudence Que l'on dût d'être renversés. Au lieu de compter sept blessés Il n'y en eut qu'un quelle chance ! Blessé léger, le pauvre Bec Eut une côte déplacée Et, la voiture redressée, Nous repartîmes aussi sec. Un bon bistro « La Crémaillère » Nous fit le plus cordial accueil. Bec de Gaz revint au Vaudreuil Non éteint ; en pleine lumière. Honoré HARMAND Quatrain de COUSIN sur l'art de traiter les litiges Comme une femme litige est à traiter, Il faut en voir les formes, les détails minutieux Il faut tout étudier et le déshabiller. Il faut le voir à nu et se montrer curieux. COUSIN Réponse à un quatrain sur l'art de traiter les litiges 2 septembre 1948 Traiter un litige est un art Très difficile, je m'en doute ; Mais pour la femme, somme toute, Il faut prendre un peu plus d'égard. Un dossier se prend et se pose, Juste le temps de réfléchir Comment du litige, sortir ! Pour la femme, c'est autre chose. On le couvre d'une chemise Pour qu'il ne se salisse pas. La femme que l'on voit sans bas Nous paraît encore plus exquise. Victime du contentieux Il frise parfois l'arbitraire Pour la femme c'est le contraire. Les loups ne se mangent entre eux ! Honoré HARMAND Quatrain de Léone en voyage à Nice Le 3 août 1948 Autant le site est merveilleux Autant les gens y sont joyeux On te comprend douce ambiance De ce beau coin de notre France Souvenir de vacances A mes amis Lucienne et Robert DECROUEZ 3 septembre 1948 La semaine s'est écoulée. Comme une veuve inconsolée, Pense sans cesse à son époux, Je veux vous donner l'assurance, Chers amis de l'exubérance, Que je pense, aussi, bien à vous. Je suis seul autour de la table Où votre présence agréable Donnait du relief au festin. Ma voix tremble en la salle vide ; Les litres ont un air stupide, Taris de leur nectar divin. Les chaises, aussi, sont moroses De ne plus sentir les doigts roses Des danseuses les déplacer ; Les glaces semblent attristées Des beaux visages délaissées Qu'hélas je ne puis remplacer. Mais, que ma tristesse s'envole. Le seul ami qui nous console Ici-bas c'est le souvenir. Je crois que vous pensez de même Et je n'ai qu'un désir suprême : Au Vaudreuil vous voir revenir. Honoré HARMAND Poème souvenir du 15 août 1948 A mes amis Marcelle et Maurice LECHALUPE 4 septembre 1948 Il n'est de bons amis qui, dit-on, ne se quittent. Le devoir a voulu que nous fassions ainsi. Sages nous fûmes tous et si certains se cuitent Les femmes n'eurent pas, par bonheur, ce souci. Ce n'est pas, il est vrai, qu'on manquait de liquide En raison que, pour cause, on avait bien mangé ; Mais il fallait, surtout, un chauffeur très lucide Et, d'un commun accord, nous l'avons louangé. Maurice, pour ma part, je ne puis que te dire, En faisant un retour sur le lointain passé, Combien je fus heureux, ensemble, de relire Dans le livre des jours où rien n'est effacé. Honoré HARMAND Le baptême de Patrick Dédié au parrain et à la marraine de Patrick 10 octobre 1948 Un baptême, un anniversaire C'est plus qu'il n'en faut pour distraire Une aimable société. Un ciel comme une onde limpide ; Un soleil radieux, splendide ; On eut dit l'adieu de l'été. Troublant le calme du village Les cloches faisaient grand tapage On baptisait Patrick Harmand. La joie éclairait les visages. Du bonheur les belles images S'offraient aux yeux ; c'était charmant. Au cours d'un repas délectable Chacun se tint très bien à table Et les langues allaient bon train. La chaleur communicative Rendait bavard chaque convive. Le soir nous vit tous pleins d'entrain. Pour compléter la belle fête Un frais bambin, une fillette, Offrirent des fleurs au parrain. Son émotion fut sincère. Même dans la classe ouvrière On connaît le geste mondain. Ainsi, rapide le temps passe. Le Plaisir au Devoir fit place ; Maurice il te fallut partir ; Mais tu revivras cette fièvre Lorsque tu poseras ta lèvre Sur la coupe du souvenir. Envoi Pour l'anniversaire du parrain A l'automne les fleurs subissent L'outrage brutal des autans ; Mais les Maurice rajeunissent Quand sonnent quarante sept ans. Honoré HARMAND Pierre et Denise A Serge pour le mariage de Pierre et Denise 1er décembre 1948 Pierre, mon cher ami, le Destin nous sépare. De moi, pour un instant, la Tristesse s'empare ; Mais je t'estime tant ; Que, pour te le prouver, je partage ta joie. J'applaudis au bonheur que ce Destin t'envoie ; Tu fus si méritant ! Tu devins orphelin et ma bonne grand-mère T'ouvrit, large, sa porte, abritant ta chimère. Prodiguant sa bonté. Je connus, pour ma part, les affres de l'absence. Mes parents, pour longtemps, durent quitter la France Et seul, je suis resté. Nous avons supporté le fardeau de nos peines ; Nos jeux et nos plaisirs, ainsi que nos fredaines ; Peccadilles d'enfants. Nous avons, sur nos maux, remporté la victoire. Du combat inégal avec l'amer déboire Nous sortons triomphants. N'ayons plus, du passé, la funeste hantise Et tournons nos regards vers l'exquise Denise Admirable à l'envi. J'adresse un seul reproche à l'indulgente épouse : J'aimais Pierre, en ami, n'en soyez pas jalouse ; Vous me l'avez ravi. Je sais en votre coeur un trésor de tendresse ; Votre grande bonté, votre délicatesse, Aussi je fais des voeux, Pour que vos âmes soeurs, chaque jour davantage D'un bonheur mérité nous dessinent l'image D'époux toujours heureux. A vous, les chers parents d'une si douce fille, Animés et fervents de l'esprit de famille Je dis : consolez-vous. Ce soir votre sommeil connaîtra la déroute. Demain vous entendrez, en explorant la route, Deux voix chanter : c'est nous. Honoré HARMAND Les vingt ans de Jeannine A Jeannine LEVASSEUR 2 décembre 1948 Jeannine sais-tu bien ce que c'est que vingt ans ? C'est une porte ouverte en face de l'existence ; La perle fine ornant le cou de l'Espérance. C'est un bourgeon qui s'offre au baiser du printemps. C'est une étoile d'or sous la voûte azurée Et toute la jeunesse, et sa folle gaîté. Rêve où l'on se sent vivre en un monde enchanté ; Album où nous cherchons la page préférée. Puissent ces quelques vers, à l'abri de l'amour, O ! Bien modestement, traduire ma pensée. Le poète obéit à sa muse empressée. Et lorsqu'il veut la fuir l'amitié prend son tour. Vingt ans ! Age où chacun, pour la lutte, s'apprête. Comme tous ici bas hélas ! Tu vieilliras ; Mais, de ce temps béni, souvent te souviendras* Lorsque des cheveux blancs couronneront ta tête. Honoré HARMAND Remerciements A la même (Jeannine LEVASSEUR) pour répondre à une dame amie 3 décembre 1948 Je méprise les beaux discours Souvent saturés d'éloquence. Ce sont les chemins les plus courts Qu'emprunte la Reconnaissance. En souvenir de mes vingt ans Madame, acceptez ce poème. Et qu'il réponde aux sentiments Que vous me prodiguez vous-même. Merci pour le joli cadeau. Sachez que j'en suis très heureuse. Il reste pour moi le tableau De votre amitié généreuse. Honoré HARMAND A propos d'une union future Aux parents du fiancé de Jeannine Pour la mère de Jeannine 4 décembre 1948 Je me présente en inconnue Aussi pardonnez mon émoi Pour souhaiter la bienvenue ; Mais déjà je me sens chez moi. Oh ! Ce n'est pas la hardiesse Qui me fait vous parler ainsi Et seule votre gentillesse De gaffer m'ôte le souci. Espérons que cette journée Marquera le proche avenir Où nous fêterons l'hyménée De deux coeurs qui veulent s'unir. Honoré HARMAND Un dimanche, tout seul A Léone et René, après le jour de l'an 16 janvier 1949 La nuit languissante s'achève. Timidement le jour se lève En s'étirant sous un ciel gris. Quelle sera cette journée ? Sera-t-elle bien terminée Lorsque le soir m'aura surpris ? Sortir, souvent je le redoute ; Mais il me faut prendre la route Pour trouver le lait et le pain. En auscultant ma blague vide Je suis pris d'un désir stupide : En prendre aujourd'hui pour demain. Du laitier je frappe à la porte Car j'ai su que sa mère est morte Et de vivre, j'ai le savoir. C'était une brave personne. Rien ne m'émeut ni ne m'étonne ; Il me fut permis de la voir. Rencontrant un ami sincère, Il en est si peu sur la terre, Le contraire m'eut étonné ; Nous fûmes tous deux prendre un verre Lénitif du vieux solitaire, D'avance toujours pardonné. Du repas retardant l'horaire Je mis, afin de me distraire, Mon poste en marche, sans façon. Si je n'ai dans mon assiette L'appétissante côtelette Je me grise d'une chanson. Je me remémore et je pense Au dimanche où votre présence Semait la joie en ma maison : La Tristesse en vain me défie ; Car je trouve belle la vie Et vous êtes la raison. Honoré HARMAND Anniversaire A ma fille Léone pour son anniversaire 2 mars 1949 Ma fille permet qu'en ce jour Je t'adresse un sincère hommage, Surtout qu'il soit pour toi le gage D'un pur et paternel amour. Honoré HARMAND Seize ans A ma petite fille Gisèle, à l'occasion de son anniversaire Le 26 août 1949 Seize ans ! C'est un grand livre où l'on aime relire, Sans se lasser jamais, le récit le plus beau. Age où, de notre coeur avide de nouveau, Dame Naïveté lentement se retire. C'est un rêve conçu dans la beauté du soir Quand repose Phébus sur sa couche dorée ; La route du Destin, des ronces épurée : C'est la psyché trompeuse où l'on aime se voir. Seize ans, c'est le festin où l'espoir nous convie ; Où nous évoluons dans un monde idéal ; C'est le rideau de fer cachant l'esprit du mal Et pour l'enfant heureux, le printemps de la vie. Honoré HARMAND Pensées 5 septembre 1949 Conseil pour un chasseur : (Ouverture de la chasse) Bon chasseur souviens-toi que lorsqu'on le défie Le gibier imprudent, malgré tout, se méfie. Enigme?: Pourquoi sombre est la vie et la source si claire ? Qui pourra me livrer la clé de ce mystère ? Aux lecteurs : Combien ai-je cherché dans mon vieux dictionnaire, Pour m'éclairer l'esprit, un rayon de lumière. Aux naïfs : Fuyez le congratulateur Son compliment est un blasphème Et cet habile séducteur Attend qu'on l'encense lui-même. Honoré HARMAND Souvenirs A Mme STOCK, Souvenir de septembre 1939 2 janvier 1950 Madame, au sein du souvenir Avez-vous puisé cet hommage De m'inviter ? Aussi je gage : Vous ne pouviez mieux réussir. Goûter à la bonne cuisine, Autre que celle du Robec, Où toujours le saignant bifteck Se sentait -- de chez la voisine. Alors que le frugal repas, Que l'on s'offrait par fantaisie, N'empêchait que la poésie Sur l'estomac prenait le pas. Les menus sont dans ma mémoire Frites, moules, ragoût, poisson Arrosés de fade boisson Aujourd'hui nous n'osons y croire. Votre mari, bien mieux que moi, Certainement saura vous dire Combien, souvent, dans un sourire Se cachait un sincère émoi. Cette relative misère Pour des éprouvés n'était rien D'autres que nous étaient moins bien : Nous avions un fils à la guerre ! Honoré HARMAND Vingt neuf ans A ma fille Léone pour son anniversaire 2 mars 1950 Je suis fidèle à mon devoir, Sacré comme l'est la prière. Pour fêter ton anniversaire D'écrire en vers j'ai le pouvoir. Ne recherche pas dans le style Ce que peut exprimer mon coeur, Car mon poème est une fleur Que t'offre ma muse docile. Honoré HARMAND Le démon tentateur 2 mai 1950 Dis-moi, grand démon tentateur, Sincèrement ce que tu penses. Ai-je rêvé que dans ton coeur J'aurai ma part de préférence ? J'écris ce poème en tremblant. Je crois avoir fait fausse route. Tu vas sourire en me lisant Et me traiter de fou, sans doute ? Hier, je mimais un baiser. N'as-tu pas dit : cela m'amuse ! Je crains de te voir refuser Celui que te donne ma Muse. Honoré HARMAND A propos d'adieux Aux artistes de l'orchestre Sérano 29 mai 1950 Le connaisseur, pour Cyrano Garde un souvenir qui l'enchante. Tout l'orchestre de Sérano Pour nous c'est le Printemps qui chante. Si partir est mourir un peu ; Qu'il n'en soit pas pour vous de même. De revenir faites le voeu ; Car notre désir est suprême ! Honoré HARMAND Anniversaire A ma fille Yvette À l'occasion de ses 38 ans le 12 juin 1950 17 juin 1950 En ce grand jour anniversaire Daigne accepter mes meilleurs voeux. Je t'écris en retardataire : Mon coeur ne t'en aime que mieux. Honoré HARMAND Pensée sur « La vie » Même date, un jour pluvieux de juin La vie est un roman d'aventures dont la plus belle est la mort. Honoré HARMAND A une communiante 23 juin 1950 A Ginette GREGOIRE À l'occasion de sa première communion le 28 mai 1950 Ô ! Combien tu m'as plu, gracieuse Ginette En ce jour solennel et le plus beau des jours. Tu semblais une reine et tes yeux de velours Brillaient dans le décor de ta blanche toilette. Tu figurais un ange, envoyé du bon Dieu Et sur ton front si pur, orné d'une couronne, On lisait la vertu d'une chaste madone Prononçant à l'autel le mot sacré d'un voeu. Ton âme était sereine. Ô ! Ginette crois-moi. Garde au fond de ton coeur la chère souvenance De ta communion, joyau de ton enfance. Respecte tes parents et conserve la foi. Honoré HARMAND L'équipe A l'occasion d'un repas chez Joseph et Guiguitte 22 octobre 1950 Il ne s'agit pas de football, Ni du journal et sa critique ; Mon poème serait banal Et je le veux très sympathique. Guiguitte atteint trente deux ans ; Entre nous, c'est la fleur de l'âge. Je voudrais en avoir autant, Et doit l'avouer sans ambage. Pour marquer cet anniversaire, Bien inspiré fut son époux ; Car il nous donna rendez-vous Pour fêter l'ancienne rosière. En tous les points, c'était charmant. Le repas était délectable, Et je le souligne en passant Chacun sût se tenir à table. Ce fut le bouquet au dessert. Personne ne tenait en place ; Mais on fit silence au concert, De la gaîté belle préface. On se prépara pour les jeux ; Alors ce fut le grand fou rire : De joie, on vit pleurer les yeux Scène difficile à décrire ? Mêlant le grotesque au subtil Saine était la réjouissance. Nulle vertu fut en péril Et le respect de circonstance. On vous quitta, non sans regret, Joseph et chère Marguerite. Pourquoi gardent-ils leur secret Les jours heureux qui passent vite. Envoi Compagnons de la bonne humeur Ennemis de la jalousie Vous êtes au tableau d'honneur De l'innocente fantaisie. Honoré HARMAND Trente ans 2 mars 1951 A ma fille Léone à l'occasion de son anniversaire Trente ans, pour qui comprend, c'est l'été de la vie ; C'est un baiser d'amour dans la douceur du soir. L'âge où l'on croit encor au charme de l'espoir ; C'est aussi le regret de la jeunesse enfuie. Honoré HARMAND O ! Muse éveille-toi. 24 septembre 1951 Dédié à mes amis nouveaux O ! Muse éveille-toi ; ne fais pas l'insensée ; Si tu m'aimes encor résume ma pensée. Bavarde, tu l'étais, lorsque j'avais vingt ans Rajeunis pour me plaire et te crois au printemps. Je viens de recevoir un souffle d'allégresse ; Des couples dont le coeur déborde de jeunesse. Aide-moi je suis seul et bien triste ce soir. Jadis, tu m'as juré ne pas me décevoir. A des amis nouveaux je veux rendre un hommage. Composons un poème, ensemble, mon image. Dis-leur, de les connaître, en termes chaleureux, Combien, pour une fois, je me sentis heureux. Ces charmants compagnons buvant bien, aimant rire, Ont exalté ma joie et je ne sais traduire, En des termes précis, sans les congratuler, Comment je fus épris de, tous, les tutoyer. Quand d'un regard discret, de la brune à la blonde Curieux effronté, j'embrassais tout le monde J'ai lu de l'amitié dans les yeux noirs et bleus, Dis-leur, sincèrement, je me sentis moins vieux ! Je ne puis fatiguer ma muse davantage. Que ces vers sans façons soient le sûr témoignage De ce que je pense et mon plus grand désir Vous voir tous, au Vaudreuil, ensemble, revenir ! Honoré HARMAND Bien sympathiquement L'Eden Non daté, mais antérieur à 1951 Dans l'Ether infini plein de profonds mirages Dans l'azur insondable et vierge de nuages Le grand soleil montait, lentement, gravement Et l'éden ébloui du grand rayonnement S'éveilla. La nature amoureuse et ravie Entonna le concert éclatant de la vie. Tout remuait. Adam le seul et le dernier Dormait à poings fermés à l'ombre d'un pommier. De larges ronflements bourdonnaient sur sa lèvre Il en avait la nuit des douleurs et la fièvre. Il avait fait un rêve ; il avait mal aux reins. Il avait cru voir Dieu du haut des cieux sereins Descendre à petits pas et la dextre divine Avait pendant longtemps fouillé dans sa poitrine Pour y ravir un os qu'elle avait emporté. Adam dormait toujours. Debout à son côté Eve le regardait, soucieuse, étonnée. Le jour venait de naître où la femme était née. L'homme ronflait. Une heure entière s'écoula ; Eve agacée enfin de le voir toujours là Eve maligne et femme, Eve prît une pomme Et la laissa tomber sur l'oeil du premier homme. Adam se redressa d'un bond « Mille Ieu » ! Mais il avait aperçu Eve en se frottant les yeux. Homme sans le savoir et galant de naissance Il fît une profonde et grande révérence « Dieu fait bien ce qu'il fait, Eblis seul fait le mal ». Il se tût un instant ; puis avec un sourire : Adam Il fait bien chaud ! Eve Oh, oui ! Adam Le soleil est très fort Eve Oh oui ! Adam C'est étonnant avec ce vent du nord, Car c'est le vent du nord qui vient de la montagne Eve Ah ! Adam Oui ! Connaissez-vous un peu notre campagne ? Eve Moi ? Non, je viens de naître Adam Ah ! De naître ! Aujourd'hui ! Eve Oui Adam Je vous félicite. Eden vous plait-il ? Eve Oui Adam Pensez-vous y rester quelques temps ? Eve C'est probable. Adam Ah ! Tant mieux. Vous verrez c'est un séjour aimable. Je vous promènerai dans notre Paradis. Aimez-vous à causer ? Eve Que dites-vous ? Adam Aimez-vous à causer ? Eve Je ne sais pas encore, je ne peux pas savoir, je suis né à l'aurore Il se fit un silence. Adam, pâle et songeur Promenait brusquement ses deux mains sur son coeur. Eve Vous cherchez quelque chose ? Adam Il me manque une côte ! Eve Dieu m'a créée avec, ce n'est pas ma faute Adam Tiens ! La drôle d'idée ! Et quel est votre nom ? Eve Eve Adam Ah ! Le joli nom. Eve Vous me flattez Adam Moi, je m'appelle Adam» Eve Adam ? Nouveau silence. Tous deux s'étonnaient de tant de différence. Dans les formes du corps et des tours de la peau. Adam la trouvait belle. Eve le trouvait beau. Ils se toisaient. Mais en revanche, Ils raisonnaient. Adam reprit enfin : Adam Comme vous êtes blanche. Pourquoi Dieu vous a-t-il mis des cheveux si longs ? Les miens sont courts et noirs et les vôtres sont blonds. C'est vraiment très joli ces lourdes tresses blondes » Eve Vous trouvez ? Adam Mais ces machines rondes, Là, sur votre poitrine, à quoi cela sert-il ? » Eve Je n'en sais rien ; mais vous, au dessous du nombril, Qu'est-ce que vous portez dans cette touffe noire ? Adam Je m'en sers après boire » Eve Seulement ? Cela doit vous gêner pour marcher Adam Pas trop, on s'habitue » Eve Est-ce qu'on peut toucher ? Adam Si vous le désirez Eve Je suis si curieuse, Alors vous permettez ? Eve, blanche et rieuse, Avança doucement ses petits doigts tout roses, Puis soudain Eve Je n'ose pas Adam Est-ce qu'il vous fait peur ? Eve Peur ? Oh non, je suis brave. Tiens, c'est tout rouge au bout, on dirait une rave. C'est pour le protéger sans doute cette peau ; Ce n'est pas laid du tout Adam Oh, ce n'est pas beau Eve Mais si c'est très gentil. Et les mignons doigts roses Allaient, couraient, venaient, faisant de courtes poses, Comme des papillons voltigeant sur des fleurs. Eve Oh, mais regardez donc, il a pris des couleurs ; Comme c'est drôle, il est plus grand que tout à l'heure, Il se dresse, il frémit. Ciel ! Une larme ! Il pleure Eve essuya la larme à ses cheveux dorés. Eve Il pleure ! Il pleure encore ! Est-ce que vous souffrez ? Adam Au contraire ! Eve Oh, Monsieur Adam, il est énorme; Maintenant il n'a plus du tout la même forme C'est très raide et très dur. A quoi peut-il servir? Adam lui répondit dans un profond soupir Adam Est-ce que vous croyez qu'il sert à quelque chose ? Eve Je n'en suis pas très sure. Au moins je le suppose. Vous m'avez dit tantôt, Dieu fait bien ce qu'il fait Toute chose a son but, si ce monde est parfait Adam Oui, si Dieu m'avait dit ce qu'il faut que je fasse De ce --mais, vous, comment? Eve Moi, je n'ai que la place. C'est peut-être un oubli ? Voyse ! (????) Adam Cherchant plus haut « Je ne vois rien » Eve Non, pas là, maladroit, ici, regardez bien Adam C'est juste, on vous a même arraché la racine La fosse est encor fraîche. Est-ce que la voisine Communique ? Pour voir, si je mettais le doigt ? Eve Mettez ce qu'il faudra. Adam Diable, c'est bien étroit Il glissa sous la femme une main caressante Eve bondit, l'oeil clos, la croupe frémissante Les reins tendus, les poings crispés dans les cheveux Tout son être frémit d'un long frisson nerveux Et le soupir mourut entre ses dents serrées Eve Encore. Elle entrouvrit ses deux cuisses cambrées Et le premier puceau vînt tomber dans ses bras Comme il croisait ses mains sous deux épaules blanches Adam sentit deux pieds se croiser sur ses hanches Leurs membres innocents s'enlaçaient s'emmêlaient S'ils avaient pu savoir au moins ce qu'ils faisaient O ! Pucelage. Alors presque sans se comprendre Tous deux en même temps d'une voix faible et tendre Murmurèrent « Je t'aime » et le premier baiser Vint en papillonnant, en riant se poser Et chanter doucement sur leurs lèvres unies Dieu pour les ignorants créa deux bons génies L'instinct et le hasard. Or au bout d'un instant Eve avait deviné ce qui l'intriguait tant. Avez-vous jamais vu le serpent que l'on chasse De droite à gauche, errant affolé tête basse, En avant, en arrière, il va sans savoir où Il s'élance, il recule, il cherche, il veut un trou Un asile où cacher sa fureur écumante Il cherche, il ne voit rien et son angoisse augmente Mais lorsqu'il aperçoit l'abri qu'il a rêvé Il entre et ne sort plus. Adam avait trouvé Un cri puis des soupirs. L'homme a compris la femme Les deux corps enlacés semblent n'avoir qu'une âme Ils se serraient, se tordaient, ils bondissaient (????) Les chairs en feu frottaient, les chairs s'électrisaient Les veines se gonflaient, les langues acérées Cherchaient une morsure entre les dents serrées. A suivre Honoré HARMAND Un enfant Non daté, mais antérieur à 1951 Un enfant Avec un fusil trop grand Un enfant Marche lentement à pas hésitant Au milieu du sang Et du silence et du silence Un enfant Mais apparemment c'est plus un enfant Depuis très longtemps Trop longtemps trop longtemps Bientôt dix ans Il y a des pays tranquilles Et des jardins dans les villes Et de l'argent Petit, Tu sais pas jouer aux billes Tu revends les balles en cuivres Pour le moment Tu vis au milieu des éclairs de feux Béton déchiré par les barbelés Et de temps en temps du cristal de sang Quand vas tu mourir ? Un enfant Avec un fusil trop grand Un enfant Mais apparemment c'est plus un enfant Peut tuer comme un grand Comme à la guerre Evidemment Bientôt dix ans Il y a des pays tranquilles Et des jardins dans les villes Et de l'argent Petit, Tu sais pas jouer aux billes Tu revends les balles en cuivres Pour le moment Tu vis au milieu des éclairs de feux Béton déchiré par les barbelés Un enfant Un enfant trop vieux Un enfant trop dur Un enfant, Bien évidemment Peut tuer comme un grand Et comme c'est la guerre Il fait sa ronde Il fait sa ronde Et dans dix ans Si jamais il n'y a plus d'enfer Si jamais il n'y a plus de fer Le feu, le sang Petit, Tu raccrocheras ton fusil Comme un cauchemar que l'on oublie Apparemment Petit, Tu joueras peut-être au voleur Et les gendarmes auront peur De l'insolence Petit, Tu feras danser les filles Pour voir dans leurs yeux qui brillent Les valses lentes Mais au fond des yeux Les éclairs de feu Béton déchiré par les barbelés Et de temps en temps du cristal de sang Que vas tu devenir ? Honoré HARMAND ************* NOTES ET VARIANTES Remerciements Dans Le Livre Original Cet ouvrage est constitué des « quelques » poèmes d'Honoré HARMAND sauvés de l'oubli par ses descendants ; ils ont conservé pieusement les six cahiers, parfois en très mauvais état, qui leur sont parvenus à la faveur d'héritages ; hélas, nombreux autres cahiers ont disparu à jamais, perdus, égarés, offerts, détruits -- Merci donc aux parents et cousins soucieux du patrimoine culturel familial, et notamment: Michèle DOISTAU, née HARMAND, petite-fille d'Honoré par son père, René, Sylviane DRECQ, née HARMAND, petite-fille d'Honoré par son père, René, Gisèle BOHU, née PELLO, petite-fille d'Honoré par sa mère Yvette, née HARMAND. Merci aux arrière-petits-enfants d'Honoré d'avoir bien voulu participer à la décoration de l'ouvrage : Julien DRECQ, Jean-Philippe DOISTAU, Hélène FIZET, née PREVOT. Merci à notre ami, le peintre André VAN BEEK, à côté duquel nous avons vécu un certain temps, à Saint-Paul (près de Beauvais) dans l'Oise, et qui s'est attaché au poète Philéas LEBESGUE, auquel Honoré était lié. Merci à notre ami d'enfance, le peintre René ELIE, avec lequel nous avons souvent évoqué la poésie d'Honoré, et qui a accepté, avec sa générosité habituelle, de « mettre des couleurs » dans l'ouvrage. Alain PREVOT Auteur de l'ouvrage La folie du poète Visions 2 août 1905 Sous la pâle clarté d'un flambeau vacillant Je suivais tout rêveur la marche du néant Un crâne devant moi, mon unique horizon Voilà ce que j'avais pour guider ma raison Des visions se berçaient dans mon faible cerveau Des mortels en délire contemplaient leur tombeau La mort se promenait dans ce vaste chemin Que l'on nomme la vie, plus encor le Destin Elle frappait partout, les femmes, les enfants Et les plus grands coupables comme les innocents N'étaient pas épargnés de son souffle mortel Tous allaient l'adorer au pied de son autel Et franchissant le seuil du suprême édifice Ils allaient ô folie s'offrir en sacrifice. Ah ! Que vois-je grand Dieu ah ! Ma raison frémit Cette vision fatale affaiblit mon esprit Non ce n'est pas un rêve, le crâne m'a parlé Cette image sacrée ce fétiche adoré N'est plus ce qu'il était. Il semble que la vie Dans cet os desséché a placé mon amie Où je te reconnais, compagne fugitive J'entends tes longs soupirs et cette voix plaintive Est bien celle qu'on aime quand l'homme désespère Et qu'il rêve le ciel, malheureux sur la terre Oui ce sont tes grands yeux, ton beau regard de rêve Quand la nuit qui s'avance et le jour qui s'achève Chantent à la nature leur sauvage harmonie L'un disant ta naissance l'autre ton agonie Et ces lèvres tremblantes, la source du baiser Où mon ardente fièvre ne pouvait s'apaiser Et cette longue tresse faite de tes cheveux Ah, je te reconnais ! Elvire ! Je te veux Sous la pâle clarté d'un flambeau vacillant J'ai reconnu ma mie dans un crâne, vivant. Non c'est une folie, un frisson du passé L'image qui s'envole d'un beau rêve effacé Ce Crâne que j'adore sera toujours le même Eh quoi c'est le néant. Puisqu'il est son emblème Mais non ! Ah ! Je comprends. C'est mon coeur qui souffrait C'était un souvenir, un songe qui passait Le crâne parle encor il faut que je l'écoute Mais, c'est Elle qui chante. Ah je n'ai plus un doute C'est toi ô mon Elvire, viens je t'aime toujours Depuis ton grand voyage sur l'océan des jours J'avais perdu le feu qui dévorait mon âme Dans un grand souvenir j'entretenais la flamme. De cet amour fatal à la mort condamné Je te voyais quand même dans ce crâne adoré Parles ! Dis-moi sans crainte, les rêves entrevus Dans les sombres tombeaux, des vivants inconnus Dis-moi si cette vie plus fertile en douleurs A l'autre se rapporte ? En pesant nos malheurs La balance plus lourde penche-t-elle vers toi Réfléchis un instant Elvire et réponds-moi Oui ! Loin de la souffrance j'ai vécu dans la joie Et quand la mort nous guette comme on guette une proie Il ne faut pas pleurer les heures éphémères Où nous vivons des rêves qu'enfantent nos chimères Il faut dans une étreinte retenir notre mort Sur sa lèvre glacée là est notre vrai sort J'ai lu de belles choses dans cet enfer du vide Sur ce flot azuré à la source rapide. J'ai vu tous les trésors que cache le mystère Dans un sombre palais j'ai reconnu Cythère J'ai vu la vérité et j'ai vu le mensonge J'ai vu dans les ténèbres le grand mal qui nous ronge Quand le coeur surchargé par les fautes d'un crime Le coupable à ses pieds voit s'ouvrir un abîme J'ai vu tous les amants qui chantaient leur amour J'ai vu le nautonier à l'heure du retour Quand il frappe en cadence de sa rame plaintive Les flots harmonieux qui se jouent sur la rive J'ai vu tous mes beaux rêves perdus dans le passé Et j'ai vu le chemin où d'autres ont passé Que moi j'ai parcouru sur l'aile de la mort Quand ma barque fragile prête à toucher le port S'est heurtée brusquement au seuil de l'espérance Voilà ce que j'ai vu dans une autre existence Sous la pâle clarté d'un flambeau vacillant Elvire m'expliquait les choses du néant Ah ! Que je suis heureux à cette heure suprême Quand on pleure en silence le beau rêve qu'on aime Et toi crâne adoré sur ta lèvre morose Je cueille les baisers comme on cueille une rose Tu ris ! Ah quelle joie mon âme est en délire Et mêle ses accords aux doux sons de ma lyre Ton regard est brillant du feu qui me dévore Je t'en prie belle image pour moi souris encore Horreur ah je suis fou cette lèvre glacée Eveille dans mon coeur ma douleur effacée Elvire dans mon rêve j'ai crû t'apercevoir Pardonnes à ma folie et vois mon Désespoir Sous la pâle clarté d'un flambeau vacillant En embrassant un crâne j'embrassai le néant. Honoré HARMAND Ce que j'ai vu Les visions du poète 8 août 1905 Ah, qui me prêtera la voix d'un grand génie Pour chanter la vision qui m'a fait voir la vie ? Sous les tableaux changeants de la joie aux douleurs Sous la trompeuse image des sourires aux pleurs Sous cette comédie qui se joue chaque jour Au sein de l'existence comme au sein de l'amour C'était par un beau soir, un de ces jours d'été Qui laissent dans le coeur un souffle de gaîté. Je voguais incertain sur l'océan du vide En guidant mon esquif sur la route stupide Qui conduit les mortels aux portes du trépas Grand nom dont on peut rire quand on ne comprend pas Que chaque heure s'enfuie pour ne plus revenir Et que la vie demain n'aura qu'un souvenir. Les rayons affaiblis d'un beau soleil couchant Donnaient à la nature un aspect si charmant Que mon coeur endurci par une vie cruelle S'écria consolé, que la nature est belle ! Un souffle d'espérance traversa ma pensée, Oubliant mes chagrins, ma douleur insensée Je dis à ce beau soir, à son image errante Je t'aime, je t'adore, comme on dit à l'amante Qui frappe pour un jour à la porte du coeur Et dans une caresse fait germer la douleur Ah, cette heure suprême pourrai-je l'oublier ? L'esquif se balançait au gré du nautonier Les roseaux chancelants sous la brise légère Semblaient courber le front pour saluer la terre, Les vagues s'agitaient en troublant le silence, Leur voix harmonieuse répétait la cadence Du flot qui va et vient sur le bord de la rive Et donne en hésitant sa caresse craintive Aux bords que la nature a dotés de feuillage Où se joue mollement une tache d'ombrage. Dans cette belle image dans ce rêve entrevu Une joie passagère voilà ce que j'ai vu. Au sein de la forêt sous ses arches profondes J'ai vu un ruisseau qui promenait ses ondes Il coulait ignoré, simple dans sa nature En troublant le silence de son faible murmure. Des fleurs, parfums perdus à la tige chétive, Etaient tout l'ornement de sa source craintive. Caché sous l'herbe fraîche, il coulait en silence Heureux dans son domaine, méprisant l'opulence Des grands lacs qu'on admire, mais à l'onde troublée. Heureux sont les mortels dont la gloire ignorée S'en va modestement à l'abri des honneurs ; Dans un lieu solitaire, on sèche mieux ses pleurs ; Près de ce ruisseau un poète souffrant S'assit pour méditer dans son isolement ; Son coeur tout plein de fièvre, battait à se briser Seul avec sa douleur, il se prit à pleurer Dans le calme troublant de la sombre forêt. Aux arbres endormis confiant son secret Il causa de la vie en méprisant la loi De cet oiseau cruel dont nous sommes la proi Il chanta ses misères, les peines et les maux Les plaintes des mortels et les tristes fléaux Qui s'abattent sur l'homme quand il se croit heureux La joie ne sourit pas au coeur des malheureux Puis le faible murmure de l'onde qui s'écoule Loin des yeux indiscrets, encor plus de la foule Frappa d'un son de rêve l'oreille du poète ; En accordant sa lyre à sa muse indiscrète, Il chanta les douleurs à ce flot ignoré ; L'onde avait répondu, il était consolé. Dans cette belle image, dans ce rêve entrevu L'amant de la nature, voilà ce que j'ai vu. Au milieu de la chambre, un amant affolé Pleurait la longue absence d'un être regretté, Il relisait des lettres missives éphémères Où son coeur adorait l'ombre de ses chimères, Il disait : se peut-il que cette heure suprême S'oublie rapidement dans le coeur d'une femme ? Se peut-il que les rêves ne vivent qu'un matin Et que l'âme se grise d'un langage incertain ? La vie était si douce au sein de la campagne Et sur les bords du lac, au pied de la montagne ; Quand nous rêvions tous deux, elle disait souvent : Sur la barque fragile allons au gré du vent. L'homme a besoin de rêve et d'amour ici bas La vie sans ces deux choses, il ne la comprend pas Le Temps est un fantôme qui passe et qui s'efface On le cherche, il a fui, on a perdu sa trace. Vois ces rochers muets, vois ces ondes limpides, Quand nous les admirons, les heures moins rapides Semblent chanter l'amour à toute créature Qui s'intéresse aux lois de la belle nature ; Vois ces tableaux qui changent suivant que notre coeur Vibre de jouissance ou saigne de douleur ; Vois ces tapis de mousse humides de rosée, Cet arbre qui reflète son image adorée Sur le miroir flottant, vois la reine des ombres Qui éclaire un instant les forêts les plus sombres, Vois la nature en fête et notre âme en délire ; Ecoutons les concerts, exhalés de ta lyre. La vie sans la nature ne serait pas la vie, Ne portons pas plus loin nos désirs notre envie, Sur la vague plaintive fuyons l'heure d'ennui, Que m'importe demain, nous avons aujourd'hui. Mais hélas les grandeurs ont trop souvent raison Et l'amour d'un printemps ne vit qu'une saison, On admire les choses, on méprise les gens, On s'éloigne parfois de la voie du bon sens, Celui qui méditait la belle apothéose Aujourd'hui, fatigué, veut aimer autre chose. Dans cette belle image, dans ce rêve entrevu, Amis, pardonnez moi, je me suis reconnu. Sous un ciel azuré, des couples enlacés Allaient insouciants comme des fiancés ; Ils suivaient en chantant la route du plaisir Qui mène au lieu sacré qu'on nomme le Désir, La douceur de leur voix et leur marche lascive Avaient de ces flots purs l'image fugitive, Quand leur douce caresse comme une volupté Donne un baiser de rêve au rivage dompté ; Ils allaient à ce temple qu'on appelle Cythère Goûter dans une orgie fausse joie de la terre, Une heure que l'on croit être l'heure suprême Que l'on sait passagère et que l'on vit quand même ; La voilure d'hermine qu'enfle un tendre zéphir Est prête à s'envoler et semble déjà fuir ; Tous les êtres se pressent sur la barque fragile, Les amants enfiévrés dont le cerveau fébrile Tremble de volupté d'amour et de caresses Sur leur coeur enflammé retiennent leurs maîtresses ; Le Départ a sonné. Déjà loin du rivage, L'esquif est entraîné sous un ciel sans nuage ; Ils voguent, ces heureux sur la mer incertaine, Sur les flots argentés vers l'image lointaine ; Tout semble souriant sur l'océan trompeur : Le plaisir quand il veut sait cacher le malheur. Les arbres oscillants sous la brise légère Chantent de ces mortels la gloire passagère, Les fleurs ont un parfum et les sources profondes, De leurs flots enchantés semblent grossir les ondes Ah, quel tableau sublime, la voix de la nature Pour cette heure d'amour, en son faible murmure Semble chanter aussi l'heure où l'on veut aimer Mais que suit une autre heure, celle qui fait pleurer. Eh, qu'est-ce cette foule, riante, échevelée Qui s'écoule, bruyante dans cette longue allée ? C'est le peuple venu aux festins, aux orgies, Pour consumer le feu de ses ignominies, C'est la folle jeunesse c'est le monde en délire Qui vient en ce palais pour chercher le sourire, C'est la vague incertaine, c'est le flot qui se brise, C'est le baiser perdu sur la lèvre incomprise ; L'esquif qui les amène a pour nom le Destin, Epave bien fragile, beau rêve d'un matin Qui s'éloigne du bord quand arrive le soir En jetant sur la joie l'affre du désespoir Ah ! Que vois-je sortir des salons éclairés, Des êtres qui trébuchent ? Leurs pas mal assurés Les rendent vacillants comme sont les roseaux Dont la tige fragile se berce sur les eaux. Horreur ! Des femmes nues, des yeux au regard sombre, Des fantômes affreux qui se cachent dans l'ombre, Des hommes enivrés qui murmurent -- des mots Des amantes qui souffrent, étouffant leurs sanglots, Une longue cohorte, une traînée d'ivresse, Un souffle de dégoût, un soupir de paresse, Un rivage jonché d'épaves vagissantes, Un tableau qui répugne, des scènes déchirantes Une foule en délire qui cherche en vain le port, Des mortels innocents des fautes de leur sort Hélas, ce n'est pas tout, la vague mugissante Ramasse ces épaves, et sa bave méchante Entraîne loin du port tous les infortunés, Tous les êtres vivants à la mort condamnés Et, dans tout ce mélange, un fantôme égayé Sourit de voir le monde, par le flot entraîné. Qui es-tu, d'où viens-tu ? Ah, je t'ai reconnu, La mort et les mortels voilà ce que j'ai vu. Honoré HARMAND L'ébauche (Les visions du poète) A mon ami Robert BUSNEL 28 août 1905 Depuis longtemps déjà on parle de la vie Sous mille et un costumes, bien souvent travestie On nous l'a présentée, riante échevelée Suivant que des poètes la muse tracassée Etait dans la gaieté ou bien le désespoir Alors ! On l'habillait dans un grand linceul noir Et les poisons suprêmes, fatales espérances La faisaient se traîner dans des flots de souffrances Et l'on voyait son spectre au regard languissant Sonder d'un oeil fiévreux les portes du néant. La vie, qu'est-ce après tout ? Un souffle, une fumée L'étincelle que donne la bûche consumée Quand dans l'âtre noircie, de sa douce chaleur Elle adoucit du froid la mortelle rigueur La vie, mais c'est l'image d'une joie passagère C'est l'ombre d'un beau rêve, d'une gloire éphémère C'est le dernier regard d'un mortel expirant C'est les derniers rayons qu'exhale le couchant C'est la plainte du coeur que l'amour a blessé C'est dans un avenir les regrets du passé La vie, c'est autre chose ! Pour ceux qui savent lire Dans son livre sacré. Moi, je vais te le dire La vie, c'est une ébauche, c'est une mise en place C'est une allégorie que le Destin nous trace ; Suivant que le cerveau la méprise ou l'ador Elle est faite d'argile où sur un socle d'or On la voit s'élever, grandir, être chef d'oeuvre Sous la main de l'artiste qui sourit à son oeuvre (Texte raturé Sous un ciel orageux elle m'est apparue Au fond d'une ruelle une nuit je l'ai vue C'était en plein hiver, la neige en tourbillons Sur les portes tremblantes jetait ses papillons Dans la sombre mansarde, mon palais, ma demeure C'est là que je naquis il devait être une heure Autant je me souviens pour l'avoir entendu Quand les vieux racontaient comment j'étais venu J'étais né malheureux au sein de la misère J'ai grandi comme un rêve que berce une chimère Et le coeur plein de haine et les yeux pleins de larmes J'ai pleuré de la vie les périssables charmes Je me traîne aujourd'hui comme une loque humaine Et je vais incertain où le hasard me mène Comme un flot démonté que la tempête anime Comme un désespéré sur les bords d'un abîme.) Reprise du texte Hier j'ai fait un rêve ; je me croyais artiste Dans un grand atelier à l'aspect fantaisiste Je modelais le socle d'une oeuvre originale D'un style bien moderne, d'une idée peu banale Je voulais de ma vie reconstruisant l'image Adorer mon passé dans ce précieux ouvrage Mais de sombres lueurs éclairant ma détresse Ont frôlé mes visions d'une lourde caresse Ce que j'ai vu Robert, comme c'était étrange Une traînée de boue, un grand ruisseau de fange Coulait sur les tombeaux d'un vaste cimetière Tout était endormi dans la nature entière Pas un souffle, un murmure, un gazouillis d'oiseaux Un remuement de feuilles, un soupir de roseaux Rien qu'une plainte aiguë, un grand cri de douleur Un râle répété par un écho moqueur J'étais seul au milieu de ce tableau de mort Assis sur une pierre je discutais mon sort Je revoyais cette heure où dans de petits langes Je dormais, comme au ciel doivent dormir les anges Je revoyais ces masques qui font peur aux enfants Je veux parler de ceux qu'on appelle parents Criminels et bourreaux qui pour l'heure d'amour Se soucient peu des suites d'une folie d'un jour Je revoyais mes pas, égarés dans le vice Et je pleurais, Robert, d'être le sacrifice Offert à cet autel que l'on nomme la vie Fatalité néant, beau rêve qu'on oublie Je revoyais l'amour et ses trompeuses lois Les regrets d'aujourd'hui les désirs d'autrefois Une voix me parla, tout tremblait dans on être J'entendis un mot, un vague mot « Peut-être » La vie tient à ce mot et vous l'aimez quand même Pourquoi ? Parce qu'un jour une extase suprême A laissé dans le coeur une goutte de miel Mais au fond de la coupe, il reste encor du fiel Et les lèvres avides buvant jusqu'à la lie Au fond du vase impur trouvent leur agonie On rit de ces grands mots, mais ne sont-ils pas vrais La mort ne prévient pas elle nous suit de près En vain on veut lutter mais elle est le plus fort On veut la fuir à droite elle nous frappe à gauche La vie c'est une étude et j'explique la mort D'un côté le chef d'oeuvre et de l'autre l'ébauche. Honoré HARMAND La Pâquerette 31 août 1905 Loin du bruit, vivant ignorée Je suis la fleur, chère aux amants Et que cueille la bien aimée Dans les jours heureux du printemps (Texte supprimé Mes pétales couleur d'hermine Faible ornement de la nature Sur le flanc de la colline Etalent leur blanche parure) Ma tige fragile et légère Se balance au souffle du vent Comme se berce une chimère Dans les rêves d'un jeune enfant Mon nom aisément se devine Je vis modeste dans les champs Mes pétales couleur d'hermine Semblent de grands papillons blancs Je suis le symbole suprême Le grand conseiller des amours Et l'on m'admire quand on aime En effeuillant mes beaux atours (Texte supprimé Quand on me voit, fraîche et si belle On envie mon sort bienheureux Qui chante sous l'azur des cieux L'amante est ma fidèle amie Elle me confie ses secrets Quand la nature est endormie Et que dorment les indiscrets Elle me parle franchement Et moi je lui réponds de même Mon pétale dit doucement Ce que dirait l'amant « je t'aime ») J'explique aux amants le problème Qui se cache aux yeux des jaloux Quand mon pétale dit je t'aime Les coeurs méchants se font plus doux (Texte supprimé Le degré de l'amour on l'ignore Moi pâquerette, je devine A mon amie parlant encore Je dis caressante et divine) Parfois de trompeuses chimères Tout bas soupirent un aveu Les douleurs semblent moins amères Quand mon pétale dit « un peu » Il est des jours dans l'existence Où le bonheur vient tout à coup Apportant avec l'espérance Le doux murmure du « beaucoup » (Texte supprimé Puis dans un coeur fou comme toi Tu trouveras l'amour charnel Et ton âme tremblante d'émoi Viendra au pied de mon autel) Dans les heures qui passent brèves Au sein de mon isolement Sous la caresse des beaux rêves On aime « Passionnément » (Texte supprimé Mais dans le ciel de gros nuages Viendront pour assombrir ton rêve Car c'est souvent dans les orages Que le plus bel amour s'achève) Mais dans le ciel de gros nuages Jettent parfois l'obscurité Sur le grand livre aux belles pages L'oubli souvent s'est arrêté (Texte supprimé Ton coeur battant à se briser Me maudira un peu partout On m'aime, il faut me mépriser Quand on effeuille un « Pas du tout ») Alors tristement on me cueille On me méprise un peu partout C'est la colère qui m'accueille Quand on arrache un « Pas du tout » Je suis le symbole suprême Le grand conseiller des amours Et l'on m'admire quand on aime En effeuillant mes blancs atours Honoré HARMAND La chaumière 15 septembre 1905 Dans un coin retiré d'une sombre campagne Se dresse un petit toit de chaume recouvert C'est là où bien souvent ma lyre s'accompagne Aux derniers bruits du soir dont j'aime le concert Le voyageur qui passe d'un oeil indifférent Regarde la ruine de mon faible château En disant que l'hiver, la caresse du vent Du pauvre châtelain creusera le tombeau Eh ! Que m'importe à moi ? Dans un vaste palais Je ne pourrais placer mes envies, mes désirs J'aime mieux ma chaumière, c'est là où je me plais C'est là où le passé chante mes souvenirs C'est là où j'ai connu la gaieté, la jeunesse C'est là où j'ai vécu les pages du grand livre Que touche des enfants l'innocente caresse A l'age où l'on ignore ce que c'est que de vivre C'est là où j'ai rêvé dans les jours de printemps Quand un riant soleil annonçait les beaux jours Et que je me berçais sur les ailes du Temps Comme fait le baiser sur l'aile des amours Ah ! Que j'étais heureux dans mon petit domaine Rien ne heurtait le rêve dont je berçais ma vie Les visions me touchaient de leur troublante haleine Et mon coeur se fermait aux frissons de l'envie Que pouvais-je envier aux lois de la richesse Rien, puisque mes désirs avaient pleine mesure Que m'importait de l'or la fatale caresse Puisque j'avais l'amour de la belle nature Hélas ! Tout est changé, il semble que la mort A jeté son linceul sur le toit que j'aimais Mais si dans la tempête je m'éloignais du port Ô petit toit de chaume toujours je te verrais Ô temple solitaire, ô palais que j'adore Sous l'aspect miséreux d'une simple chaumière Pour calmer ma souffrance tu souriras encore Quand dans tes murs usés je verrai ma chimère Tu sais, dans le passé, quand le coeur plein de flamme Je venais pour jouir des frissons de l'amour Une voix adorée faisait vibrer mon âme Comme vibre le coeur aux clartés d'un beau jour Cette voix qui m'est chère, je ne l'entendrai plus La lyre s'est brisée un soir de rêverie Mes regrets, je le sais, hélas, sont superflus Mais j'entendrai toujours sa suave harmonie Je verrai ses grands yeux perdus dans les ténèbres Son beau regard de rêve qui cherchait dans mon coeur Les secrets que l'on cueille à la source des lèvres Les mots qui disent mal la joie et le bonheur Mais je verrai aussi sur ton seuil qui se glace Les rêves disparus mais qui ne s'oublient pas Et dans mes souvenirs j'ai gardé une place Pour quand aura sonné l'heure de ton trépas Peut-être verras-tu le souffle de la vie Disparaître et s'enfuir de mon coeur abîmé Et sur ma lèvre froide se glisser l'agonie Comme fait l'étincelle sur le feu consumé Alors le voyageur, d'un oeil indifférent Regardant la ruine de mon faible château Redira en passant que le souffle du vent Dans ta chère dépouille a creusé mon tombeau. Honoré HARMAND La vague A mon ami Justin RENARD (Souvenir de Dieppe) Version 18 septembre 1905 Ce soir, j'ai causé avec une vague, Et j'ai dit : « pourquoi ta caresse vague Heurte-t-elle au port Pour se retirer bien loin de la rive, Comme un pâle enfant à l'âme chétive Quand il voit la mort ? » La vague m'a dit : « je suis une amante Qui touche en passant de sa lèvre errante Un front inconnu Quand tout endormi dans un grand mystère Semble agonisant et que sur la terre Le soir est venu » J'ai dit à la vague : « pourquoi son Destin Au pauvre pêcheur riant le matin Lui fait espérer Un soleil joyeux, un ciel sans nuages Et, quand vient le soir, dans de gros orages Le fais-tu pleurer ? » La vague m'a dit : « je suis comme toi ; Quand tu es heureux, ton coeur en émoi S'attache à la vie, Puis, dans tes yeux bleus, une image obscure Te fait regretter dans un grand murmure L'extase ravie » J'ai dit à la vague : « pourquoi dans ton sein Caches-tu le crime et dans ton dessein Aux pensées profondes Cherches-tu l'amant, le père ou l'enfant, Pourquoi les fais-tu au baiser charmant Préférer tes ondes ? » La vague m'a dit : « quand l'heure a sonné Et que par la mort tu es condamné Que fais-tu mortel ? Dans les grands silences égarant tes pas Tu dis à la vie, pourquoi le trépas Est-il si cruel ? » J'ai dit à la vague : « dans l'affreuse nuit Pourquoi de ta voix au sinistre bruit Glacer l'existence ? Ne pourrais-tu pas au pauvre pêcheur D'une voix craintive pleine de douceur Parler d'espérance ? » La vague m'a dit : « Ô ! Désabusé, Quand la vie rappelle à ton coeur usé Bien des souvenirs, De ta voix méchante insultant le sort Tu ris de la vie et frôles la mort De tes longs soupirs. Honoré HARMAND Le désespoir 30 septembre 1905 Eh quoi toujours bercé par les flots du malheur Mon esquif ira-t-il emportant ma douleur Vers le même horizon Et n'aurai-je ici-bas pour consoler mes larmes Que ma philosophie et de sombres alarmes Pour guider ma raison N'aurai-je pour tout bien qu'une lyre plaintive Pour toujours regretter la gaieté fugitive Et le plaisir qui passe Et verrai-je toujours le bonheur disparaître ? Comme tous les mortels j'ai droit à le connaître Mais pour moi il d'efface N'aurai-je qu'à pleurer chaque jour de ma vie Les rêves disparus et l'extase ravie A mon coeur abîmé N'aurai-je qu'un regret pour tous mes souvenirs Dois-je aux yeux du Destin étaler mes désirs Si je suis condamné Ah si j'avais osé braver la loi suprême N'étant pas supérieur vouloir l'être quand même J'aurais tout accepté Mais loin d'aimer la gloire pas plus que les grandeurs J'ai fui loin du renom et bien loin des honneurs Je me suis retiré Je n'ai rien demandé aux plaisirs de la terre Je n'ai rien accepté de la gloire éphémère Qu'on adore ici-bas Je voulais seulement dans mon petit domaine Loin de la médisance encor plus de la haine Attendre le trépas (Texte remplacé Je voulais dans le sein d'une épouse chérie Goûter toutes les joies que procure la vie Aux douces hyménées Je voulais d'un enfant la suprême caresse Et la joie qui s'exhale des lèvres que l'on presse Sur ses lèvres aimées) Je voulais dans le sein d'une épouse chérie Goûter tout le bonheur que procure la vie Aux sources hyménées Je voulais le baiser de l'enfant qu'on ador Et sur sa tête chère aux épais cheveux d'or Voir passer les années (Texte remplacé Je voulais une lyre pour chanter mon bonheur Le Destin me donna comme consolateur La plaintive élégie Il me faut l'embrasser comme une douce amante Il me faut écouter sa plainte vagissante Sa sauvage harmonie) Je voulais une lyre pour chanter mon bonheur Le Destin me donna comme consolateur La plainte qui fait mal Il me faut l'embrasser comme une douce amante Il me faut retenir sur ma lèvre tremblante Son murmure fatal (Texte supprimé Je ne demandais rien que ce qui m'était dû Ai-je trop demandé pour n'avoir rien reçu Destins répondez moi Vous que tous les mortels implorent chaque jour Vous qu'on ose accuser et prier tour à tour A l'heure de l'émoi) Je ne demandais rien qu'un peu de jouissance Un peu de cette joie où le rire et l'aisance Se disputent une place Mais j'ai reçu les pleurs la tristesse ne retour C'est peu pour adoucir l'amertume d'un jour Où la gaieté s'efface Pourquoi me frappez-vous aussi injustement Quel crime ai-je commis pour un tel châtiment Que serait la sentence ? M'élevant contre vous, si j'osais proclamer Que vous êtes des dieux faits pour vous amuser Des lois de l'existence Mais j'ai peur que la foudre qui gronde dans vos mains Se répande et entraîne dans ses flots inhumains Ma dernière chimère Peut-être mes insultes excitant vos projets Grossiraient follement la source des regrets Qu'exhale ma colère Peut-être que la joie qui passe dans mon coeur Est un bienfait perdu et qui vient par erreur Me parler d'espérance En frappant lentement la douleur la plus vive Peut-être enfantiez-vous la gaieté fugitive Pour grandir ma souffrance Eh ! Pourquoi prodiguer votre rage incertaine Que frappez-vous en moi une chimère humaine Un corps qui fut votre oeuvre Pourquoi cette harmonie et pourquoi de grand art Pourquoi donc enfanter si quelques ans plus tard Vous brisez le chef d'oeuvre Il vous plaisait sans doute, aujourd'hui de construire D'adorer vos travaux et demain les détruire Quelle étrange folie Ah je comprends pourquoi nos plaintes opportunes Et nos menaces vaines, nos grandes infortunes Sont les lois de la vie Je n'irai plus jamais importuner le sort Dans cette vie infâme l'homme n'a point de port Il ne fait que passer Ô mort délivres-moi de ces fers qui m'enchaînent Laisse moi m'éloigner sur tes flots qui m'entraînent Où tout doit s'effacer. Honoré HARMAND L'heure du souvenir 8 octobre 1905 Dans l'aspect douloureux d'un sombre cimetière Se dresse un monument dont la simplicité Explique de la vie la puissance éphémère Où le passant, rêveur, s'est souvent arrêté Sur une croix de fer s'affiche une préface Qui dit l'âge et le nom du mortel endormi Dans ce séjour suprême où chacun a sa place Où règne le silence et mort et l'oubli En lisant, l'inconnu sent passer dans son âme Un frisson de pitié et de grand désespoir Vingt ans ? L'âge d'aimer, l'âge d'or de la femme L'âge où le coeur n'est pas enveloppé de noir L'âge du vrai bonheur, de la folle jeunesse L'âge où loin des soucis qu'enfantent certains jours L'homme sait ignorer la brutale caresse De la folle gaieté aux trompeuses amours Mais pourquoi m'arrêter aux larmes du passant N'ai-je donc pas assez pour chanter mes douleurs Que l'image sacrée d'un passé souriant Dont la route, pour nous, était jonchée de fleurs Oui, le passé suffit à mes grands souvenirs Et le temps qui s'envole emportant nos secrets N'effacera jamais la trace des soupirs Qu'exhalent mes chagrins à l'heure des regrets Près de l'affreuse tombe quand arrive le soir J'aime me retrouver seul avec ma tristesse J'aime entendre chanter les voix du désespoir Et sentir sur mes lèvres sa suprême caresse C'est là où tu vécus tes plus belles années Chère Cousine, hélas ! Ce fut là ton berceau Maintenant des chimères, folles échevelées Où tu connus la joie veillent sur un tombeau La nature elle-même semble porter le deuil Autrefois les grands arbres qui garnissent la route Semblaient au voyageur faire un meilleur accueil Quand il venait rêver sous leur fragile voûte Tout avait une voix dans la nature entière Le lac semblait chanter tes gaietés fugitives Aujourd'hui il murmure, mais c'est une prière Qui semble tout le jour s'échapper de ses rives C'est une plainte aiguë expliquant mes alarmes C'est le cri de douleur que disent les ténèbres C'est le profond silence qui fait verser les larmes Au poète qui chante ses romances funèbres Ah, si des cheveux blancs sur ta tête semés Avaient dit à la vie ses suprêmes adieux Mais hélas tes vingt ans, par la mort arrachés Trop tôt ont fait verser d'autres pleurs à nos yeux Qu'as-tu fait au Destin pour qu'il soit si cruel Rien que je ne connaisse ? Toi l'ange du foyer Qui l'adorait toujours au pied de son autel Toi qui n'eus pas osé, jamais le blasphémer Peut-être pour le sage l'autre monde meilleur Comble-t-il la mesure des peines et des maux Par une heureuse vie de joie et de bonheur Le monde est-il le même au-delà des tombeaux Répondez ! Grands arbres dont elle aimait l'ombrage Réponds chemin perdu qu'elle aimait parcourir Réponds belle nature quand on meurt à son âge Est-il un lieu plus doux où tout doit refleurir Eh quoi vous vous taisez, je comprends vos alarmes Choses qui rappelez son beau rêve effacé Vous lui deviez coteaux une part de ces charmes Qui confondent les êtres dans les longs jours d'été Vous lui devez ces chants dont je me souviendrai Vous lui devez l'amour qui grisait notre coeur Quand pour vous parler d'elle, le soir je reviendrai Vos soupirs répondront à ma sombre douleur Vous n'aurez plus les sons qui plaisaient à ma lyre Quand l'écho répétait la douceur de sa voix Maintenant les roseaux dont la tige soupire D'un accent plein de larmes me parlent d'autrefois Vous n'aurez plus pour moi que le regard d'une ombre Où je reconnaîtrai Celle que j'ai pleurée Mais j'aimerai quand même votre demeure sombre Où j'entends son secret par l'écho répété Et si mes pas tremblants par le poids des années Se refusaient à suivre ce chemin que j'adore Vous me diriez plus fort ses chansons bien aimées Pour que dans ma vieillesse je les entende encore Vous me diriez la joie dont Elle ornait sa vie Vous me diriez ses pleurs et ses profonds soupirs Mon coeur l'aime toujours et l'extase ravie Dans la voix des regrets chante ses souvenirs. Honoré HARMAND Rêves et réalités 26 octobre 1905 Ah les doux frissons, les belles images Que le rêve apporte à nos faibles coeurs Quand de son grand livre effeuillant les pages On ne lit partout que le mot « bonheur » Beau est le séjour où notre chimère Nous conduit bien loin des sombres douleurs Grand est le destin qui nous rend moins amer Le baiser brutal de tous nos malheurs Cette paix du coeur oui je l'ai connue A l'âge où l'enfant ne sait pas douter Mais en ce temps là je l'ai trop vécue Et j'ai trop souffert pour la regretter Ah qu'il était beau jadis mon sommeil Les rêves passaient riants et dorés Et quand ils fuyaient avec mon réveil Je ne pleurais pas qu'ils soient effacés Tout me souriait et dans cette vie Où tout disparaît jusqu'aux souvenirs J'ignorais pourquoi l'extase ravie Change notre joie en de grands soupirs Le jour commençait puis l'affreuse nuit Jetait son linceul sur toute la terre Je ne dirais pas du jour qui s'enfuit S'il était durable ou bien éphémère Il ne changeait pas, le même flambeau Eclairait toujours le même horizon La vie de l'enfant n'a rien de nouveau Et son jeune coeur n'a qu'une saison La saison brillante où toutes les fleurs Figurent l'emblème des jeunes années Elles sont écloses mais que de douleurs De ces fleurs humaines font des fleurs fanées C'était l'âge d'or et de la jeunesse L'âge qu'on regrette qui trop tôt s'achève Le rêve était doux comme une caresse Je l'aimais bien fort, mais c'était un rêve Le temps a passé et de gros nuages Dans un ciel d'azur souvent arrêtés Ont changé la face des belles images Ce qui était rêves fut réalités La vie m'apparût sous un jour nouveau Le monde parla un autre langage Et tout ce que voit l'enfant au berceau Est le soleil d'or précédant l'orage Puis dans mon sommeil je vis tout en rose Je me crus heureux, pour combien d'instants Hélas au réveil sur mon front morose Un pli se creusa fait de mes tourments La réalité parlant elle-même Ouvrit sous mes pas ses profonds abîmes Ah combien le rêve à l'heure suprême Quand il n'est qu'un rêve fait-il de victimes Il est la saison où toutes les fleurs Figurent l'emblème des jeunes années Mais quand il n'est plus ce sont les douleurs Qui des fleurs humaines font des fleurs fanées Honoré HARMAND Les douleurs du poète vERSION 1905 1er novembre 1905 Souvent dans le silence où se berce mes rêves Quand mon grand désespoir me parle du passé Je pleure les beaux jours aux chimères si brèves Qui passent ici-bas comme un songe effacé Je pleure et les échos de la forêt profonde Répètent les secrets de mes grandes douleurs Comme l'écho troublé des murmures de l'onde Chante du nautonier les joyeuses clameurs Ces échos du passé que j'aime les entendre Ils sont les voix du monde qui vient de s'achever Mais pourquoi les ravir est-ce pour nous les rendre Quand nos coeurs en souffrant ont su les regretter Répondez-nous, abîmes qui figurez la vie Et toi sombre forêt où je viens méditer Quand tous nos souvenirs chantent leur agonie Le bonheur d'ici-bas cesse-t-il d'exister ? Ou bien chaque chimère enfantée dans un rêve Enfante-t-elle aussi une douce chimère Et le bonheur qui passe aussitôt qu'il s'achève Est-il suivi d'un rêve au bonheur éphémère ? Quoi, je vous interroge et mon coeur me répond Dans cette vie hélas quand les joies disparaissent Les mortels entrevoient un abîme profond Où meurent lentement les rêves qu'ils caressent Un linceul qui s'agite sous leurs yeux pleins de larmes Est l'image des jours qu'il leur faut accepter L'homme désespéré n'a plus que des alarmes Et de grandes douleurs qu'il ne peut partager Ah, je comprends pourquoi chaque heure de la vie N'est plus ce qu'elle était dans les jours du passé Des années disparues, une caresse ravie Et dans mon coeur meurtri hélas tout est changé Les fleurs se sont fanées sous ma lourde caresse Et les lèvres aimées qui me parlaient d'amour Se sont tues à mon coeur et ma sombre détresse N'est plus qu'un mal affreux qui grandit chaque jour Les cloches dont j'aimais la sauvage harmonie De leurs chants de gaieté ne troublent plus les airs Elles chantent toujours mais c'est mon agonie Qu'elles mêlent moqueuses à leurs tristes concerts Eh pourquoi ces regrets que m'importe le monde Je ne demande rien, plaisirs disparaissez De toutes vos chimères la source est trop profonde La nature me reste et pour moi c'est assez Elle suffit aux âmes qui savent la comprendre Elle sait consoler le coeur des affligés Les bienfaits qu'elle donne elle aime à les répandre C'est une joie pour elle de les avoir donnés Elle est la loi suprême, le grand consolateur De ceux qui dans son sein viennent pour oublier Et dans mon avenir où veille le malheur Elle cache l'amour qui doit me protéger Alors je comprendrai chaque heure de la vie Et tout ce qu'elle était dans les jours du passé Puis quand aura sonné mon heureuse agonie Je m'en irai joyeux car j'aurai tout aimé. Honoré HARMAND Les douleurs du poète 1er novembre 1905 Version Du 11 mars 1906, texte remplacé enentre parenthèse Souvent dans le silence où se berce mes rêves Quand mon grand désespoir me parle du passé Je pleure les beaux jours aux chimères si brèves Qui passent ici-bas comme un songe effacé. Je pleure et les échos de la forêt profonde (Répètent les secrets de mes grandes douleurs) Répètent le secret de mes sombres douleurs Comme l'écho troublé des murmures de l'onde Chante du nautonier les joyeuses clameurs (Ces échos du passé que j'aime les entendre Ils sont les voix du monde qui vient de s'achever Mais pourquoi les ravir est-ce pour nous les rendre Quand nos coeurs en souffrant ont su les regretter) Pourquoi ravir ainsi de belles espérances A mon coeur malheureux d'avoir trop regretté Dis-moi destin cruel gardes-tu des souffrances Pour me frapper encor l'instant de la gaieté (Répondez-nous, abîmes qui figurez la vie Et toi sombre forêt où je viens méditer Quand tous nos souvenirs chantent leur agonie Le bonheur d'ici-bas cesse-t-il d'exister ?) Dis-moi si chaque fleur au sein de la nature D'un langage sacré me parlera d'amour Et si je guérirai de l'affreuse blessure Que me fit du passé le funeste retour (Ou bien chaque chimère enfantée dans un rêve Enfante-t-elle aussi une douce chimère Et le bonheur qui passe aussitôt qu'il s'achève Est-il suivi d'un rêve au bonheur éphémère ?) Je t'interroge en vain que vas-tu me répondre Des choses que je sais déjà depuis longtemps J'ai senti ma raison obscure se confondre Dans l'abîme profond qu'on appelle le Temps. (Quoi, je vous interroge et mon coeur me répond Dans cette vie hélas quand les joies disparaissent Les mortels entrevoient un abîme profond Où meurent lentement les rêves qu'ils caressent) (Un linceul qui s'agite sous leurs yeux pleins de larmes Est l'image des jours qu'il leur faut accepter L'homme désespéré n'a plus que des alarmes Et de grandes douleurs qu'il ne peut partager) (Ah, je comprends pourquoi chaque heure de la vie N'est plus ce qu'elle était dans les jours du passé Des années disparues, une caresse ravie Et dans mon coeur meurtri hélas tout est changé) Je comprends le problème et les lois de la vie Le bonheur n'est pas fait pour un désabusé Un beau rêve vécu une extase ravie Et dans le monde hélas pour moi tout est usé (Les fleurs se sont fanées sous ma lourde caresse Et les lèvres aimées qui me parlaient d'amour Se sont tues à mon coeur et ma sombre détresse N'est plus qu'un mal affreux qui grandit chaque jour) Si je cueille une fleur bien vite elle se fane Comme mon espérance aux rayons du malheur La caresse innocente est un baiser profane A ma lèvre qui tremble à la moindre frayeur (Les cloches dont j'aimais la sauvage harmonie De leurs chants de gaieté ne troublent plus les airs Elles chantent toujours mais c'est mon agonie Qu'elles mêlent moqueuses à leurs tristes concerts) La cloche au son plaintif d'une voix plus étrange Ne chante plus pour moi que d'amers souvenirs Elle a tout confondu dans un triste mélange Ma gaieté souriante et mes profonds soupirs (Eh pourquoi ces regrets que m'importe le monde Je ne demande rien, plaisirs disparaissez De toutes vos chimères la source est trop profonde La nature me reste et pour moi c'est assez) (Elle suffit aux âmes qui savent la comprendre Elle sait consoler le coeur des affligés Les bienfaits qu'elle donne elle aime à les répandre C'est une joie pour elle de les avoir donnés) (Elle est la loi suprême, le grand consolateur De ceux qui dans son sein viennent pour oublier Et dans mon avenir où veille le malheur Elle cache l'amour qui doit me protéger) (Alors je comprendrai chaque heure de la vie Et tout ce qu'elle était dans les jours du passé Puis quand aura sonné mon heureuse agonie Je m'en irai joyeux car j'aurai tout aimé.) Eh ! Qu'importe après tout la source du mystère Qui jette son linceul sur mon rêve effacé Pourquoi troubler mes jours d'une vaine colère Je ne demandais rien on ne m'a rien donné. Honoré HARMAND Fragments 12 mars 1906 Mes chagrins Qui se sont assemblés pour me faire un manteau Comme en portent les morts couchés dans leurs tombeaux Ecrire ses douleurs peut parfois consoler Mais n'est-il pas plus beau de les voir s'envoler Sur l'aile de l'oubli au baiser de chimère Il console de tout et maître sur la terre Il commande à nos coeurs et préside aux destins Qui font de la gaieté la source des chagrins Bien douce est sa caresse et souvent près de lui Je suis venu le soir effacer mon ennui Pendant que la foule s'amuse Au sein de la gaieté marchande de plaisir Tristement j'implore ma muse De chanter du passé les tendres souvenirs Sensible à ma prière à mes grandes douleurs D'une voix qui dit bien mes ivresses passées Elle chante et mes yeux d'où s'écoulent des pleurs Du regard amitieux des âmes consolées Lui témoignent la joie autant que la douceur Que ses chants ont semé dans l'ombre de mon coeur Vole vers d'autres cieux consoler d'autres coeurs Je ne te chasse pas tu sauras bien comprendre Qu'il est tant de mortels que frappent les douleurs Ils pourraient quelquefois m'accuser de tout prendre En toi et ton baiser tes douces espérances Va muse où dans la nuit t'appellent des souffrances Va d'autres ont besoin de connaître l'oubli Et sans toi ils ont peur de causer avec lui Dès lors que je riais n'étais-je pas guéri J'ai vu Berthe au bras de l'autre Près de moi tous deux ont passé Bizarres dans leur contenance Lui sérieux combien troublé Elle, riant de souvenance J'ai crû à son rire forcé Qu'elle avait retenu des larmes Sans doute après fatales armes Les pleurs abondants ont coulé Je les ai suivis et mes yeux Ont pleuré l'amante infidèle Je lui dois tant de jours heureux Que ma douleur est moins cruelle Quand j'écoute le souvenir Me parler de l'heure charnelle Je pense vraiment que pour elle Il était bien doux de souffrir Eh, qu'est-ce que l'argent auprès de mes douleurs Une femme très laide auprès de belles fleurs Quand meurt le souvenir que faut-il espérer Rien que de la douleur, des larmes pour pleurer Faisant de nos deux maux une même douleur Je lui ai dit « causons », peut-être l'un pour l'autre Saurons-nous rétablir le calme en notre coeur Car si je fus blessé ma blessure est la vôtre A vingt ans comme moi elle a connu l'amour Elle a crû aux serments à la folle espérance Qui sous une caresse a caché la souffrance La joie et le regret sont nés le même jour Aujourd'hui philosophe Elle oublie et pardonne A ceux qui ont brisé son fragile avenir Elle aime chaque jour que le Destin lui donne Son coeur comme le mien ne saurait plus souffrir Elle a pleuré jadis les funestes alarmes Les instants de gaieté trop vite disparus Ses chagrins ont passé comme des inconnus Ses yeux comme les miens ne versent plus de larmes Honoré HARMAND Sans titre (incomplet) 8 avril 1906 Manque le début Souris, veux-tu, j'aime les cieux Quand de ta lumière blafarde Tu touches leur front radieux A les contempler je m'attarde Souris aussi pour les amours Qui savent se griser d'un rêve Le Bonheur ne vit pas toujours Et la joie est chose si brève Ce soir revenant au foyer Rêveur et les yeux pleins de larmes J'ai senti qu'il est doux d'aimer La lune en admirant ses charmes Honoré HARMAND Sans titre (Incomplet) 23 avril 1906 Manque le début J'écoutais mais en vain. Le chant avait cessé Et déjà dans l'oubli avait fait de la marche L'écho seul répétait le rythme cadencé Des pas d'un attardé à la lourde démarche. Alors un grand silence enveloppa la nuit Tout dormant alentour dans l'ombre et le mystère Je quittais la forêt et retournais sans bruit Vers ma sombre demeure auprès du cimetière. Ainsi s'en va l'amour au sein du désespoir Rose quand il commence à chanter l'Existence On l'écoute il sourit mais souvent vers le soir Il n'est plus dans nos coeurs qu'une amère souffrance. Sans titre (manque le début) Septembre 1906 Ils voient s'enfuir tout leur bonheur Ah combien pénible est le rêve Qui leur rappelle la grandeur D'honnêtes ils deviennent lâches Quand l'hiver de ses doigts frileux Soulève les toiles, les bâches Où dorment leurs corps souffreteux Souvent par les nuits sans étoiles Ils bercent ensemb'leur douleur Mais au matin de sombres voiles S'étendent noirs sur leur grandeur. A la morgue puis au cim'tière Par d'autres gueux ils sont conduits Ils vont d'un repos salutaire Dormir dans le calme des nuits C'est ainsi que le gueux succombe Sous le poids trop lourd du malheur C'est ainsi que tout passe et tombe La richesse, ainsi qu'la grandeur. Riches qui passez dans la rue Serrez la main des malheureux Quand l'heure suprême est venue Vous êtes forcés d'partir comme eux La mort n'vous fait pas d'sacrifice L'Egalité dans tous les coeurs Voilà c'qu'on appell'la justice Dans le tombeau y'a plus d'grandeur. Honoré HARMAND La Vie (incomplet) 7 septembre 1906 Enfant, l'Homme va sur la terre Insouciant du lendemain Incertain au bras de sa mère Il avance sur le chemin On le chérit on lui fait fête La Raison sommeille en son coeur Le Destin retient la tempête Que déchaînera sa douleur Il grandit la route est franchie Ses jeunes ans sont éloignés . . . . . . . . . . . . . . Manquent 10 Strophes C'est là que des parfums perdus La source s'écoule profonde Et que les beaux jours disparus Expliquent le règne du monde Mais il est des coeurs de vingt ans Aux espérances déjà vieilles Qui savent pleurer leurs printemps Dans le calme profond des vieilles Souvent l'aurore des beaux jours Assombrit leur belle jeunesse Ils pleurent de chères amours Comme le ferait la vieillesse Dans leur coeur c'est déjà l'hiver Leur âme est couverte de neige Leur tristesse n'est que d'hier Et leur existence s'abrège Ils cherchent un regard ami Bienfait des heures expirées Ils croient le passé endormi Quand ses douleurs sont éveillées Manque la fin Sans titre (manque le début) 20 septembre 1906 ? Pourquoi pleurer, pourquoi ? Le caprice des heures Ne sourirait-il pas aux soupirs de mes leurres Et de mes tristes souvenirs Pourquoi troubler ainsi ma fragile jeunesse Pourquoi à mes vingt ans attacher la vieillesse Et le poids de ses lourds ennuis N'est-il pas assez tôt quand la mort nous réclame De voir s'enfuir au Ciel les clartés de notre âme Dont les feux sont tout obscurcis Je ne veux pas sentir aux ronces de la route Se déchirer mon coeur encor saignant du doute Lui qui l'a tant persécuté Je veux croire à l'amour à sa douce prière Je suis à l'age heureux où toujours la chimère Prodigue pour nous la gaieté Je ne veux pas troubler les heures de ma vie La tristesse n'est pas pour l'épouse chérie La récompense des efforts Ce qu'il faut à l'amour pour qu'une épouse l'aime C'est la douce gaieté la caresse suprême Qui chassent bien nos remords Je veux sourire ainsi aux lois de l'Existence Et chasser de mon coeur la plaintive souffrance Qui sût tant de fois murmurer Je veux que le bonheur de sa voix triomphale Chante l'hymne sacré qu'entonne la vestale Le soir dans la paix du foyer Je veux voir devant moi mille routes fleuries S'ouvrir à mes désirs et dans mes rêveries Je veux retrouver le plaisir Je veux vivre l'amour que chaque jour nous donne Et chasser de mes yeux l'image de l'Automne Qui voit chaque fleur se flétrir Je veux que du Printemps le souriant cortège Refoule de l'hiver l'avalanche de neige Qui tombe parfois sur nos coeurs L'Homme a besoin d'amour de joie et d'espérance De la Vie au Trépas il est une distance Où se rencontrent nos douleurs Mais quand le voyageur avance sur la route Et qu'il sent, disparus, les horizons du doute Pour la lutte il se sent plus fort Dans l'azur de ses yeux, sèchent vite les larmes Et quand de l'Existence il sait vivre les charmes Il méprise tout haut la Mort. Après avoir écouté avec une attention trop facile les regrets des jours disparus, j'ai senti combien il est fou de vouloir revivre ainsi les choses mortes, vouloir exiger de mon coeur l'oeuvre sépulcrale des chacals la nuit sur les tombes. Quelle folie, quelle irréflexion. Le Passé de l'homme est comme une bataille la gloire étouffe les cris des mourants et ce que le vainqueur écoute, ce n'est pas la plainte aiguë répétée par les lèvres expirantes mais le bruit excitant du tambour annonçant le triomphe , ce qu'il voit ce n'est pas le tertre rougi du sang des braves, ce n'est pas le fleuve qui bouillonne en recelant les épaves matérielles et humaines du combat, c'est la couleur du ciel embrasé par les lueurs des feux de joie allumés avec les restes du carnage . Le Passé de l'Homme est ainsi fait et son souvenir est aussi cruel que le vainqueur triomphant. Nous nous rappelons les soirs d'amour notre coeur semble avoir gardé le frisson des heures heureuses, il chante la ressouvenance de ces folies qui passent et ne laissent que de l'amertume dans la cendre des désirs consumés. L'Homme ne se rappelle plus les soirs tristes où ses yeux ont pleuré où son coeur a laissé des espérances au lieu même où il les fit naître, il oublie tout le prix des efforts passés et son indulgence ne saurait se mesurer à son orgueil d'avoir triomphé des luttes honteuses de ses passions, combats de lâches, l'ennemi étant souvent aussi faible qu'insouciant de son lendemain. Aussi, comme je suis heureux de ne pas m'avouer ce vainqueur, de ne pas suivre le flot languissant des insensés qui vont où les guident leurs passions ; comme je suis heureux de ne plus me griser des ivresses folles du passé au bonheur fugitif ; ce qui n'est plus ne nous appartient pas ; ce qui doit venir est la fortune du destin ; nous avons à nous que le jour d'aujourd'hui et combien de gens ont encore trop d'heures à dépenser pour les prodiguer sans en tirer un profit si petit soit-il qui soit le prix de leurs efforts. Nous avons un esquif à guider sur la nappe limpide du lac ; nous n'avons qu'à le laisser aller au souffle d'une brise légère et notre inexpérience nous conduit au torrent impétueux ; nous aimons braver le danger quand on l'ignore, nos yeux l'ont-il aperçu, nous tremblons et le sang froid que nous semblions avoir n'est plus qu'un désarroi, une retraite honteuse devant l'ennemi. Forts dans nos projets nous embrassons la Faiblesse dans la réalité des choses de la vie. Honoré HARMAND Anniversaire (incomplet) A mes Oncle et Tante 15 octobre 1906 Vingt cinq ans ont sonné à l'horloge des jours Annonçant de vos coeurs l'heureux anniversaire Et l'écho apporté par la brise légère Répète la chanson de vos tendres amours Pendant le long voyage en ce monde éphémère Parfois, n'avez-vous pas appelé au secours Mais braves malgré tout et triomphants, toujours Sans faiblesses, unis, vous alliez sur la Terre Vous recevez enfin le prix de vos efforts La lutte pour la Vie a sû vous rendre forts Manque la fin Honoré HARMAND Sans titre (incomplet) Novembre 1906 Manque le début On entre et devant elle, un esclave, sans art Dresse une face morte et quand même sublime Son corps, Messalma, en roulant dans l'abîme Semblait tenir encor ses bourreaux à l'écart. Horreur, s'écria-t-elle ! Éloignez cette image Comme la vague amène et reprend au rivage Le corps tout pantelant du pauvre naufragé Et plongeant dans ses mains sa face pénétrante Elle dit, d'une voix de bête rugissante J'escomptais son amour et vous l'avez tué Honoré HARMAND Croyez-vous q'c'est pas révoltant 15 novembre 1906 Monologue excentrique à l'ami Jean NEMARD Dans la vie y a q'des injustices Y'en a qui s'tuent en sacrifices Et d'aut' qui viv' sans trop s'biler T'nez par exempl' les sergents d'ville En voilà un métier facile Y pas' leur temps à s'balader Le jour on les voient dans la rue S'faufiler parmi la cohue Mais aussitôt q'la nuit est v'nue Y rentr'au poste sans s'fair'de biles Puis y en r'sort sul'coup d'minuit Pour fair'tair' ceux qui font du bruit Non mais tout d'mêm' voyons franchement Croyez vous q'c'est pas révoltant Sul'quai un jour de l'aut'semaine J'me prom'nais quand voilà qu'un'scène Tragique s'est passée d'vant mes yeux Une fem' pour des chagrins intimes Sans dout' pour des choses bien minimes S'est j'tée à la flot' mes aïeux Pour la sauver v'la que j'm'apprete Quand un hom' dans ma cours' m'arrête Ca m'a surpris j'en perds la tête Et j'lais' couler la pauv' victime Son mari m'a récompensé En m'disant j'suis débarrassé Non mais tout d'mêm' voyons franch'ment Croyez-vous qu' c'est pas révoltant L'aut' jour plac' de la République Des badauds faisaient la critique Manquent les pages suivantes Sans titre (incomplet) 10 janvier 1907 ? Manque le début Sonner l'heure de nos tourments Au voyageur courbé sous la charge trop lourde Le courage obéit la douleur est moins sourde Aux cris des découragements Unissons notre vie et franchissons ensemble Cet obstacle dressé devant la foi qui tremble Et nous fait douter de l'amour Que chaque heure qui sonne au murmure des larmes N'accorde pas sa lyre et que loin des alarmes Le bonheur nous guide à son tour Bientôt au vieux clocher l'heure de l'hyménée Sonnera pour nos coeurs et loin dans la vallée L'écho répétera ses chants Ce jour là les oiseaux cachés dans la prairie Gazouilleront pour toi ô ma Jeanne chérie Comme de tout petits enfants Au déclin d'un beau jour l'extase passe brève Laissant du souvenir la caresse et le rêve Au coeur de l'être bien-aimé Le jour fuira ma vie et sa folle caresse Conservera pour nous les frissons de l'ivresse Même dans la réalité L'an vieilli a passé et qui recommence Murmure à notre coeur la joie et l'espérance Ne doutons plus de ses bienfaits Son oracle chéri en taisant ses tristesses Berce notre chimère et comble de promesses L'abîme profond des regrets. Honoré HARMAND Porspoder Texte antérieur à 1938, original, mais non daté Porspoder, tu me plais, car ta grève sauvage Fait de nous l'homme heureux en le rendant plus sage, Quand il sait embrasser D'un regard sans envie un coin de tes rochers, En songeant de tout coeur aux robustes rochers Qui n'ont su se lasser ! D'affronter de l'enfer la noire forteresse Quand le phare du diable, au navire en détresse, Récite sa leçon. S'éloignant aussitôt de ces ombres cruelles, Le nautonier prudent, vers des rives plus belles, Fait la nique à « Caron ». Mais j'ai compris l'effort de ceux qui doivent vivre Dans ce bout de la France, et je voudrais les suivre Vers la belle cité Où chacun de son âme éloigne la chimère, Et se grise au parfum de cette lande amère Dans la réalité. Honoré HARMAND Nuit de Novembre 2 novembre 1905 Onze heures sonnaient l'heure du repos Troublant de la nuit le profond silence Onze heures sonnaient et tous les échos De la vieille cloche hâtaient la cadence (Texte supprimé Seul avec mes peines je lisais mes rêves Les jours disparus souvent regrettés Et les heures chères qui passent si brèves Et les souvenirs trop vite effacés Je lisais ma vie des jours d'autrefois Toutes les gaietés les douces folies Qui grisent le coeur quand dans les grands bois Le soir trouble l'air de ses harmonies Je lisais aussi toutes mes douleurs Les joies disparues, mes grands désespoirs Les jours malheureux où nos sombres pleurs De nos rêves roses font des rêves noirs) La nuit était sombre et le froid brutal D'un souffle glacé ébranlait ma porte Comme fait l'amour au baiser fatal Quand il vit encor sur la lèvre morte La neige tombait en gros tourbillons De son blanc linceul recouvrant la terre Elle ressemblait à des papillons Voltigeant le soir près de la lumière (Texte supprimé Je la regardais tomber sur la terre Comme l'infortune sur les malheureux Elle m'expliquait le profond mystère Qu'ignorent les coeurs quand ils sont heureux Dans ses tourbillons je voyais ma mie M'envoyer de loin sa douce caresse Dans ses tourbillons l'extase ravie D'un baiser brutal heurtait ma détresse) Dans ses tourbillons la voix du passé Chantait mes douleurs au sein des ténèbres Et les souvenirs d'un rêve effacé Et la lourde plainte aux accents funèbres Une histoire ancienne un conte bien vieux Que celui d'un coeur pleurant ses chimères Un serment d'amour un ciel radieux Une heure vécue et puis des misères (Texte supprimé Pour d'autres chimères celle que j'aimais Une nuit d'automne quitta mon foyer Elle s'est enfuie disant que jamais Elle aurait des pleurs pour me regretter) Pour un autre coeur celle que j'aimais Quitta ma mansarde une nuit d'automne Depuis ce temps là je vis des regrets Et des désespoirs que le jour me donne (Texte supprimé Sans doute l'hiver, ma chambre glacée Aurait refroidi ses folles chimères Si elle avait su la belle insensée Combien sont trompeuses les joies éphémères) Sans doute l'hiver mon sort malheureux Aurait assombri son règne éphémère Et le beau tableau qu'enviaient ses yeux Frôla d'un désir sa lèvre adultère (Texte supprimé Si elle avait su que tous les bonheurs Sont tous imprégnés d'un peu de tristesse Et que les regrets font verser des pleurs Mais à cette porte, la foule se presse Elle croit trouver le rêve idéal Elle embrasse tout d'une même étreinte Mais de cette amante le baiser fatal Au lieu d'un plaisir exhale une plainte Puis dans ma folie je fis un beau rêve Le Passé revint me parler d'amour Ma mie me disait, vois la nuit est brève Et bientôt là-bas va poindre le jour L'heure va sonner, du réveil des choses L'heure du retour des douces clartés L'heure où nous vivons tous les rêves roses Que l'amour prodigue aux coeurs adorés Vois me disait-elle ces ombres qui passent C'est l'image obscure de ceux qu'on oublie Les joies disparaissent, les gaietés s'effacent Mon coeur pour toujours t'a donné ma vie Vois la neige tombe et ses tourbillons Blanchissent la terre, de leur blanc manteau Les flocons ressemblent à des papillons Qui volent le soir autour d'un flambeau Mais les plus beaux rêves comme les amours Traînent derrière eux les désespérances Et cette nuit-là j'ai pleuré les jours Qui dans les regrets cachent nos souffrances J'ai pleuré les heures que l'amour nous donne Les heures trop brèves qui nous sont ravies Depuis ce temps-là quand la cloche sonne La voix du passé dit mes agonies.) Mais pourquoi pleurer le temps qui n'est plus Et graver l'ennui sur mon front morose Pourquoi caresser des voeux superflus Quand mon coeur se ferme au beau rêve rose Quand la neige tombe en gros tourbillons Pourquoi me griser de mes souvenances L'enfant malheureux couvert de haillons Est-il moins que moi sujet aux souffrances Pourquoi regretter les folles amours Les soirs de la vie ont des heures brèves L'amertume est là qui guète nos jours Et sème l'ennui dans nos plus beaux rêves Une heure sonnait l'heure du repos Troublant de la nuit le profond silence Une heure sonnait et tous les échos A mon coeur guéri parlaient d'Espérance. Honoré HARMAND J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper A mon ami PANY 24 février 1906 D'mon nom d'famill'j'm'appell'Lacuite Un nom qu'est caus'de mes malheurs J'me tromp'tout l'temps encor tout d'suite J'viens d'êt'victim'de mes erreurs J'me sentais pris d'un'fort'colique Et j'suis entré pour m'soulager Dans un'cabin'téléphonique J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper Des agents m'arrêt'et m'entraînent Vers le violon directement Puis au commissair'ils apprennent La raison de mon soulagement Par respect d'la magistrature J'cherch'un endroit pour cracher Mais j'lui flanq'tout dans la figure J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper L'autr'jour ma femm'me dit Hilaire J'ai un sacré mal au bidon Chez l'pharmacien tu me f'ras faire Des cachets de pyramidon (Texte supprimé Chez l'pharmacien vla mon affaire J'entr'et j'demand'à son garçon Donnez-moi donc d'la colokinte Parsque ma fem'voudrait purger) J'dis au pobard Adèl'enceinte Voudrait quèq'chos'pour s'soulager Y m'a donné un lit'd'absinthe J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper Dernièr'ment j'vais à la mairie Pour déclarer mon p'tit salé Ah il en faut un'comédie C'est rempli que d'formalité L'employé m'a d'mandé son âge J'savais pu quoi lui raconter J'lui dit il est bon pour l'mariage J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper Un soir mon brav'copain Lamoule M'dit cher Lacuit'j'viens t'inviter A mon mariage y aura foule J'lui dis j'voudrais pas t'refuser Il m'dit mon épous'est charmante J'y réponds t'as dû la payer Dans les grands prix d'trois francs cinquante J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper Jeudi bell'maman s'trouv'malade A grands cris a d'mandait l'méd'cin J'y dis mettez-vous d'la pommade Vous guérirez ça c'est certain A voulait pas a m'dit j'préfère Tout d'mêm'que vous alliez l'chercher Et j'ai ram'né l'vétérinaire J'vous d'mand'pardon on peut s'tromper Honoré HARMAND Le spectre 19 mai 1906 C'était dans une nuit longue nuit de décembre Que je vis apparaître au milieu de ma chambre Un spectre tout en noir Sa figure était jeune et ses grands yeux rêveurs Me laissaient deviner qu'il vivait de malheurs Au sein du désespoir. Dans un profond silence à cette heure suprême Je lisais en songeant, les poètes que j'aime Lamartine et Musset Et comme eux je chantais les douleurs de la vie Et comme eux j'admirais la nature endormie Dans la sombre forêt. Je pensais se peut-il que l'homme ait une lyre Dont les tendres accords chantent ce qu'il veut dire A l'heure de l'émoi Le spectre s'approcha et sur moi se penchant Il lut à haute voix le poème touchant Il pleura comme moi. Le temps avait passé dans mon coeur jeune encor Je n'avais que vingt ans l'âge que l'on adore Quand on se sent vieillir Dans les bras de l'amour je berçais ma chimère Mais dans un doux baiser ma gloire passagère Ne fût qu'un long soupir. Celle que j'adorais aimait le bruit la foule Et le flot démonté qui bruyamment s'écoule Dans la folle gaieté Elle aimait le plaisir et moi l'isolement Qui sème dans le coeur du poète souffrant La sensibilité. La nuit de nos adieux j'ai pleuré et mes larmes A mon coeur en colère ont prodigué des armes Pour attaquer le sort Mais je me suis heurté à sa rage insensible J'ai lutté mais en vain cet ennemi terrible Est toujours le plus fort. Depuis ce temps hélas une douleur stupide Dans mes jours incertains semble creuser un vide Et me glace d'effroi Le spectre m'apparaît dans les noires ténèbres Il répète à la nuit mes romances funèbres Il souffre comme moi. Que m'importe à présent la douceur de la vie J'irai où vont les morts qu'on pleure et qu'on oublie Dans l'ombre du passé J'ai vécu de douleurs et pleuré de regrets Je meurs, dans le tombeau, emportant les secrets De mon rêve effacé. Semblable au flot obscur expirant sur la rive Je meurs en murmurant la chanson fugitive Qui méprise la foi Le spectre à mes côtés légèrement sommeille Et bientôt on verra cet ami qui me veille S'endormir près de moi. Honoré HARMAND Chrysanthèmes 8 novembre 1906 À Jeanne CHAPELLE O fleur pâle ornement des images d'Automne Sans parfum qui nous grise aussi sans voluptés Quand je te vois fleurir la gaieté m'abandonne Et tu souris toujours sous les cieux attristés Tu pousses quand tout meurt dans la Nature entière Quand d'un feuillage d'or les arbres sont parés Tu fleuris quand la rose à son heure dernière Effeuille tristement ses pétales fanés Tu souris à l'hiver malgré que la lumière D'un soleil radieux méprise tes atours Tu te ris du soleil et moqueuse et légère Tu balances ta tête, aux reflets de velours Dans les jardins en deuil ta frileuse parure Jette une note gaie et sur les tapis d'or Par l'Automne étendus tes rameaux de verdure Font croire que l'Hiver est loin de nous encor Sur les tombeaux glacés tu remplaces les roses Quand chaque fleur se fane au baiser des brouillards Tu figures partout et dans les chambres roses Et dans les grands salons et sur les corbillards. N'es-tu pas par ta grâce et par ta modestie La fleur qui plaît aux yeux entre toutes les fleurs Puisqu'au sein de la Mort tu fais briller la Vie Comme un rayon d'espoir brille au sein des douleurs. Honoré HARMAND Les ombres 26 janvier 1906 Dans les profondeurs de la nuit Deux ombres se glissaient sans bruit Sous les grands arbres effeuillés On eût dit les frissons du rêve Où le soupir de l'heure brève Aux ineffables voluptés Près de moi je les vis passer Puis disparaître et s'effacer Comme de douces visions Ainsi disparaît notre ivresse Quand nous recevons la caresse Des noires désillusions Un mois après tard dans la nuit Une ombre se glissait sans bruit Sous les grands arbres effeuillés En dépit de l'heure suprême Une amante à la face blême Pleurait ses chères voluptés Près de moi je la vis passer Puis disparaître et s'effacer Comme une voile loin du port Ainsi disparaît l'espérance Quand on a franchi la distance Qui nous sépare de la mort Honoré HARMAND T'en rappelles-tu ? A mon épouse 15 septembre 1907 Quand nous revenions sur la grande route Tu m'as fait un soir de tendres aveux Tu m'as dit : jamais les pleurs qu'on redoute Ne viendront ternir l'azur de tes yeux Aimons-nous toujours, dans notre pensée N'ayons d'autre ivresse que la vertu Je t'appellerai « belle fiancée » De ce soir d'amour t'en rappelles tu ? Quand nous revenions au clair de la lune Tu m'as dit un soir vois au firmament Les étoiles brillent dans la nuit brune Mais leur règne hélas n'a qu'un court instant Quand la nuit aura déchiré ses voiles Elles feront place aux clartés du jour Mon rêve n'est pas comme les étoiles T'en rappelles tu de ce soir d'amour ? Quand nous revenions à travers la plaine Tu m'as dis un soir d'automne doré Dans les blés mûris le vent souffle à peine De feuilles déjà le sol est jonché La jeunesse est fille du fier courage Notre coeur encor n'est pas abattu De désespérer nous n'avons pas l'âge De ce soir d 'amour t'en rappelles tu ? Quand nous revenions tout couverts de neige Par un soir d'hiver tu m'as dit tout bas Si notre bonheur trop vite s'abrège Si nous vieillissons ne faiblissons pas Qu'importe à nos coeurs le froid de la tombe Puisque nous aurons un autre séjour L'amour ne meurt pas si le corps succombe T'en rappelles tu de ce soir d'amour ? Honoré HARMAND La plus belle des fleurs A mon épouse 3 janvier 1910 J'ai des fleurs de toutes les teintes ; Je les respire à chaque instant ; Il en est une cependant Qui rend jalouses mes jacinthes Elle emprunte au ciel le plus pur La couleur de grandes prunelles D'où scintillent des étincelles Paillettes d'or au champ d'azur Sa joue est comme la pensée Un velours tendre : et le lilas A blanchi ses deux petits bras ; Et sa lèvre n'est pas lassée. Mais direz-vous : quelle est la fleur Que tu vantes ainsi, poète ? Je le confesse : c'est Jeannette ; Car elle a fleuri dans mon coeur. Honoré HARMAND ©Copyright 2007 Honoré Harmand 20ème siècle Tous droits réservés, sauf pour usage privé et non-profit. Ne pas modifier ces textes. La distribution de ces textes est permise pour usage privé et non-profit, à condition que le nom de l'auteur reste toujours visible dans les exemplaires distribués. Les droits moraux de l'auteur qui eux sont perpetuels doivent être toujours respectés. Contacter Alain Prevot "l'ayant droit" pour tout autre usage. Questions: juridique@poesies.net Ne pas retirer la notice de droit d'auteur ci-dessus. Source: http://www.poesies.net