Oeuvre Poétiques II Par Stéphane Mallarmé (1842-1898) TABLE DES MATIERES I. FANTAISIES RÊVE ANTIQUE. SOURIRE. VIENS. CHANSON DU FOL. LA COLÈRE D'ALLAH. CHANT D'IVRESSE. LES TROIS. BALLADE (J'aime une fille. . .) LE LIERRE MAUDIT. LOEDA. AU BOIS DE NOISETIERS. II. ÉLÉGIES SA FOSSE EST CREUSÉE. SA TOMBE EST FERMÉE. III. RÊVERIES HIER; AUJOURD'HUI; DEMAIN. LES CLOCHES DES MORTS. LE NUAGE. LARME. TOUT PASSE. A DIEU. PAN. IV. ODELETTES ET STANCES AVEU. VERS ÉCRITS SUR UN EXEMPLAIRE DES CONTEMPLATIONS. A P***. RÉPONSE. NE RIEZ PAS. ON DONNE CE QU'ON A. CAUSERIE D'ADIEU. DONNEZ. LES TROIS COURONNES VI BOUTADES QUELQUES MOTS A QUELQUES-UNS. MÉLANCOLIE. RÉPONSE A UNE PIÈCE DE VERS OÙ IL PARLAIT DE SES RÊVERIES ENFANTINES. POISSON D'AVRIL. ÉVENTAILS (Par Stéphane Mallarmé.) LES LOISIRS DE LA POSTE. V POEMES NON RECUEILLI LE CARREFOUR DES DEMOISELLES. CONTRE UN POÈTE PARISIEN. RIEN AU REVEIL. SOLEIL D'HIVER. UNE NEGRESSE. VI POEME EN PROSE UN COUP DE DÉS JAMAIS N'ABOLIRA LE HASARDS VII VARIANTES, MANQUANTS ET INCOMPLETS I FANTAISIES (1859-1860) ENTRE QUATRE MURS RÊVE ANTIQUE Elle est dans l'atrium la blonde Lycoris Sous un flot parfumé mollement renversée. Comme un saule jauni s'épand sous la rosée, Ses cheveux sur son sein pleuvent longs et fleuris. Dans les roseaux, vis-tu, sur un fleuve bleuâtre, Le soir, glisser le front de la pâle Phoebé? - Elle dort dans son bain et sa gorge d'albâtre, Comme la lune, argente un flot du ciel tombé. Son doigt qui sur l'eau calme effeuillait une rose Comme une urne odorante offre un calice vert Descends, ô brune Hébé! verse de ta main rose Ce vin qui fait qu'un coeur brûle, à tout coeur ouvert. Elle est dans l'atrium la blonde Lycoris Sous un flot parfumé mollement renversée Comme ton arc d'argent, Diane aux forêts lancée, Se détend son beau corps sous ses amants choisis. Octobre 1859 SOURIRE Oh! je viens! je viens! tu m'appelles, Printemps, à l'auréole d'or! Tu donnes à mon coeur des ailes! Plein d'amour il prend son essor! Sur un blanc fil de la vierge Avril, riant, descend du ciel! Pâques arrive et son grand cierge Brille déjà près de l'autel. Rosette sous la mousseline Voile au soir son tétin vermeil; Et, sur sa lèvre purpurine, S'endort un rayon de soleil. Comme elle, sourit la pervenche. Et, laissant son deuil hivernal, D'une couronne de fleur blanche L'aubépine se pare au val. Sous une feuille qui l'ombrage La pâle violette dort. Près d'elle la brise volage Courbe les mille étoiles d'or. Oublieuse de la faucille L'herbe frissonne dans les prés L'alouette joue et babille, Babille sans se dire: " Après? " Plus de neige! l' recueille Cent nids de mousse, gai dortoir! A leurs chansons, sa jeune feuille Danse sous l'haleine du soir! L'azur se rit dans la ramure Égayant les branches du houx. L'eau, sous son manteau vert, murmure, Par[le] en cascades des cailloux! La demoiselle au fin corsage Se balance au bout d'un roseau, Et, svelte, sur l'herbe qui nage, Se mire au frais cristal de l'eau. Le papillon, petit fou, vole Sur son aile d'un bleu velours, Pose un baiser sur la corolle Des roses, nids de ses amours. Le rossignol sous la feuillée Gazouille l'hymne du matin Sa compagne boit la rosée, Rit, et berce son nid mutin. Et toi, cher grillon, tu fuis l'âtre Où ton chant m'endormait l'hiver... Dans les hautes herbes, folâtre! Sous le ciel bleu dis ton chant clair! Oh! si sur la tiède mousse Je voyais dormir une soeur! Oh! si de son haleine douce Le parfum enivrait mon coeur Si je cueillais aux bords des ondes Les myosotis isolés Pour étoiler ses tresses blondes, Comme les bluets dans les blés! Si ..... - "Lisez donc le grand Racine Et non l'homme à la Carabine ... Monsieur, encore un contre-sens! " Je suis en classe! adieu, printemps. Avril 1859 (classe du soir) VIENS. (Ballade) Un enfant dormait blond et rose. L'oeil rêveur, un ange frôlait De l'aile sa paupière close Sur son front des feuilles de rose Pleuvaient des doigts d'Ohl-le-follet! Ohl-le-follet " Viens danser la ronde des fées! Des bras lactés sont ses liens La nuit joue en fraîches bouffées Dans leurs tresses d'or décoiffées! Viens! " L'Ange " Viens chanter le Noël des anges! L'encens en flots aériens Met, quand murmurent nos louanges, A leurs ailes de blanches franges! Viens! " Le follet " T'emporte la lune morose Sur un rayon aux rocs anciens! T'emporte vers la fleur éclose Un fil de vierge à l'aube rose! Viens! " L'Ange " Que l'ange Espoir au pied du trône Verse tes voeux avec les miens! Cueillons les astres, lys que donne Dieu pour faire aux morts leur couronne! Viens! " Quelle aile a-t-il pris pour suaire? La vôtre, ange? Ohl, est-il des tiens? Car, berçant lentement sa bière, Sa mère sanglote en prière " Viens!... " Décembre 1859 CHANSON DU FOL I Vivent les castagnettes! Tac! tac! tac! les clochettes, Les boléros! Per el rey, quand je danse, Plus que la diligence Et ses grelots, Je sonne! - Par la ville Aux doux soirs de Séville Dig! il n'est pas De nain qui plus lutine Que le fou de Rosine Ha! ha! ha! ha! Dig! après la perruche Qui sur son doigt se juche, Son favori C'est moi, qui toujours saute Chante, bois, et ressaute, Qui toujours ris! Je n'atteins pas l'oreille Du grand chien noir qui veille La nuit, Pepo! II Dona fit ma marotte De satin vert! Ma botte D'or et de peau Défierait la bottine De soie où se dandine Son pied mignon. Le soir, quand à la brume, Le citronnier parfume Son frais balcon, J'entends la sérénade, Je ris et je gambade Puis quand tout dort, Quand la lune maligne Rit et de l'oeil me cligne, Vers Almandor Je mène la comtesse, Un ange, une tigresse! Que de baisers Sur le sein, sur la joue! Et quand sa main dénoue Sans y penser Son noir corset de soie Qui craque, et que de joie L'oeil scintillant Plonge au fond de la taille, Quand le hibou les raille, Moi, j'en vois tant, Que mi senor l'Évêque Au gros nez de pastèque - S'il le pouvait! Qu'un duc d'Andalousie D'un oeil de jalousie, - S'il le savait! Lorgneraient ma marotte! - Parfois je lui chuchotte Des mots bien doux! La dona de sourire, De sourire et de dire " Oh! petit fou!... " Pour chasser une mouche Quand je pose ma bouche Sur son sein brun Quand je sens de la rose Qui sur son coeur repose Le doux parfum, Jamais sur mon visage Palmada ne voyage Dig! de la main De son amant fidèle Pour lui comme pour elle Je suis un nain! III Dig! Dig! Dig! alcades Pendant les promenades De senora Je les envoie au diable! - Au Diable - acte pendable! Et caetera! Quand le soleil nous lance Ses rayons, je balance Sur son beau col Ou sur sa brune épaule, En chantant un chant drôle, Un parasol. IV Quand au bal tout est flamme, Tout est or, tout est femme, " Oh! petit fou, " Sans tarder, en cadence Danse-nous une danse! Oh! Danse-nous!... - Je lève ma babouche Rose comme la bouche Des senoras Et, dig! dig! je sautille .... Car tout cet or qui brille Sur leurs beaux bras, Car cette fine lame Que porte au sein la dame De l'alguazil, Cette noire mantille, Ce Xérès qui pétille Et, vieux Brésil! Tes cocos et grenades Après danse et roulades Seront à moi! Lors, au seigneur Cramornes Je ferai mille cornes De mes deux doigts!... Il dit que la gargouille De l'Alcazar, que mouille L'eau du bon Dieu, A moins affreuses faces, Fait moins laides grimaces Que moi, Mordieu! V La nuit .... - Bonsoir mesdames, Je cours puiser des flammes Au rendez-vous! Devinez mon amante! .... - C'est la lune, ma tante, Qui rit à tous! Tral-lo-los!... Ah! l'alcade Vient... Adieu cavalcade .... Dig! filons doux! Mars 1859 La scène est à un rendez-vous de chasse: il parle aux amazones. " Tuez dix mille hommes, mais n'arrachez pas une patte à une araignée " LA COLÈRE D'ALLAH. Siben-abd-Alimah, dont le père est au ciel Pour avoir aux mendiants distribué du miel Quand, sous chaque épi blond faisant naître une épine, Par les moissons planait l'Ange de la famine, Siben-abd-Alimah, fils d'Hahr, aimait mieux voir Jaillir sur le poitrail de son fier cheval noir Le sang d'un ennemi qui râle une prière Et du coursier piaffant déchire la crinière, Que l'esclave enivrée, au son du gai tambour Verser sur ses flancs nus et gonflés par l'amour Le vin chaud du palmier qu'elle ne peut plus boire. Le sang était sa soif, et le meurtre sa gloire. Sur un lit de boas, il étendait cent Juifs Et ses éléphants blancs broyaient leurs fronts plaintifs Au son des trompes d'or, aux rires des sultanes, Comme, au bois où tout craque, ils foulent les lianes. Les aigles du Sahra, sur ses sanglantes tours Que blanchissait la lune, arrachaient aux vautours Les têtes des chrétiens, violettes et pâles, Qu'entrechoquaient la nuit de lugubre[s] rafales. Prosterné sous ses pas, le peuple hurlait: " Le Grand! " Allah le regardait d'un oeil indifférent. Quand il avait pâli dans les bras d'une amante, Dormi dans ses cheveux, flots noirs et parfumés, Quand le ciel empourpré, jetant sa sombre mante, Fondait les astres blancs dans l'azur clair-semés, Ce n'était pas l'oiseau chantant dans la rosée, Ce n'était pas le vent sur la vague embrasée, Ce n'était un baiser, ce n'était l'hymne saint Qui chassaient le sommeil de son regard éteint, Mais un tigre mordant l'or de sa jongle riche, Ou roulant, en grondant, le crâne d'un derviche! Alors prenant l'enfant dont les baisers du soir Et les fades parfums faisaient languir l'oeil noir, Comme un lys qu'on effeuille et qu'on jette à l'écume Il la dépose nue en sa natte de plume Aux pieds du tigre aimé qui, Sultan à son tour, Boit la mort dans la coupe où Siben but l'amour! Allah le regardait, froid comme un dieu de marbre. Or un soir que dans l'ambre et l'or- au pied d'un arbre Qui berçait trois pendus - il fumait en rêvant Aux nonnes dont l'oeil bleu pleurait le noir couvent, Non pour ce qu'au sérail elles ne restaient vierges, Mais parce qu'au vieux cloitre, à la lueur des cierges On pouvait être aimé sans être dévoré, - Un soir que du chibouk un nuage azuré ondulait follement sur son turban de moire, Que la brise était calme et l'aile des nuits, noire, Que les tambours de basque et le triangle d'or, Que la danse, où la vierge en prenant son essor Lance aux vents une rose effeuillée et tremblante Qui sur les noirs cheveux tombe en pluie odorante, Que tout jusqu'au ce diamant ailé, Tout s'était endormi, tout s'était envolé, - Les songes seuls frôlaient de leur aile argentée Les longs cils de Siben - ... il voyait une fée .... Quand un grillon gémit sur le front du rêveur Qui soudain s'éveilla! - Furieux, au chanteur Dans son chibouk brûlant Siben creuse une bière. Dieu fronça le sourcil et lança son tonnerre. Décembre 1859 CHANT D'IVRESSE J'aime l'Espagne... - Le clair champagne Dans le cristal Oriental Mousse et pétille Ma brune fille, Ma Mourinas Entre mes bras Palpite et pâme Son pâle sein Nu, sous la flamme De mes baisers, son[s] frein Frémit. Minette, Oh! qu'il est beau ton corps Quand d'amour tu te tords! Là - prend[s] ta castagnette Et danse encor! Danse, danse, ô brunette, Un boléro . … Bravo! Bravo! … Mon poignard. de Tolède, Mon casino de roi Tout l'or que je possède Seront à toi. Je t'aime, écoute .... Toujours je t'aimerai! Pour toi je verserai Mon sang; belle, n'en doute! Viens!... sur moi goûte Le champagne au flot pur. - Vague d'azur Toi dont la blanche écume Fut mère de Vénus Dis-moi, quand à la brume Ses blancs seins nus, Au murmure de l'onde, Palpitaient sous sa blonde Chevelure, Ah! dis-moi Frémis-tu, toi? Frémis-tu comme danse, Danse en cadence Le champagne lutin Sous la lèvre polie De ma maîtresse au teint D'Andalousie? Janvier 1859 LES TROIS. Ils étaient trois à face brune Sous leur vieille tente commune Les joyeux zingaris! La lèvre au front de leurs maîtresses, Gais, ils déposaient sur leurs tresses Des baisers et des lys! Elles étaient trois jeunes blondes, - Sveltes comme un jonc dans les ondes, Sur leurs tambours crevés. Sous leurs cheveux épars, scintille Un oeil bleu, comme à l'aube brille Un bluet dans les blés! Autour d'un foyer qui se meure A la neige qui les effleure Ils jettent tous leur chant! Leur choeur monte avec l'étincelle Narguant l'orage et sa sombre aile, Comme la mouette le vent! Un grillon suit leurs voix dans l'âtre La lune, à leur gaze folâtre Met des paillettes d'or Sous les haillons les flammes blanches Luisent, comme entre les pervenches Un ver luisant qui dort! Le silence vint, lutin sombre .... Sur la sente les feuilles d'ombre Bruirent sans accord Le feu râla, tordant ses branches, Puis montèrent ses flammes blanches Comme l'âme d'un mort!... Sur son sein effeuillant des roses, Et, ses castagnettes mi-closes, L'une, - elle avait seize ans D'un pied nu frappa l'herbe verte Et tourna .... la bouche entr'ouverte Ses cheveux noirs flottants .... Elle était belle et décoiffée, Sous ses longs cils deux yeux de fée Étoilaient cette nuit Elle dansa jusqu'à l'aurore Et tomba défaite, incolore .... - Elle est morte depuis. Ils mirent près de son noir masque Sur sa tombe un tambour de basque Plein de lierre et de pleurs Et de leur tente une hirondelle, Belle et vagabonde comme elle, Va lui porter des fleurs! On pleura... puis la gaîté folle Revint, et sur une auréole Danse l'ombre d'Emma! Sa jupe est un rayon de lune ..... - Ils étaient trois à face brune Le siècle le saura! Novembre 1859 BALLADE (Air: Je suis un enfant gâté) J'aime une fille bohème Au pied leste et fin: Je la vis sous un roc blême Qui sortait du bain Dessous ses tresses d'ébène, Noires ailes de corbeau, Brillait un oeil aussi beau Que la lune pleine! L'eau ruisselait sur son sein, Fleur sous la rosée! Sur son genou purpurin L'algue est renversée... Là, muette et souriant Tu contemplais sur la lame Ton frais minois, rose femme, Que berçait le vent! Depuis mon coeur est de flamme! Dans mon rêve au soir Je vois le sein de ma dame Effleurer l'air noir!... Et, sur un rayon de lune Qui sur mon front dort moqueur, Comme un lutin vers mon coeur Descendre ma brune! Mais sur son aile diaphane D'azur étoilé, Je vois d'une courtisane Le flanc mi-voilé! Sur sa lèvre d'ange affable Voltige un souris méchant Comme le tien, ô Satan ....... - Si j'aimais le diable! Juin 1859 LE LIERRE MAUDIT (Ballade) Sous un vieux lierre où le roitelet chante Rit, comme un nid, une tour en débris. Dieg est parti pour la guerre sanglante Avec Ponto, sa cavale au flanc gris, Son coeur brûlant, sa carabine fière! L'âtre se meure au chant de sa Mourras. - Au clair de lune, allez, brunes dopas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère. Elle voit fuir de l'âtre une étincelle Elle entend fuir de ses fils un: " Adieu... " Un bouclier que la hache dentèle Comme à leur père est leur berceau! - " Mon Dieu! " La triste nuit! quelqu'un dort en sa bière " Au vieux beffroi j'entends tinter un glas! " - Au clair de lune, allez, brunes donas [:] Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère. " Ô chers enfants, vous qui rêvez aux anges, " Dormez riants, sans entendre l'airain! " Ciel! il murmure aux nuits des mots étranges! " Ah! si don Dieg ..... - non, son astre est serein .... " Quand il me prit un soir au monastère, " Il dit aux cieux: Mon astre, ne meurs pas! " - Au clair de lune allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère. " Or l'astre ami protégea sa maîtresse! " La poudre au flanc volait notre Porto " Aux blancs reflets de la lune traîtresse " Je vis dans l'algue aux bords verts d'un ruisseau " Le turban d'or des Maures en prière " Et j'entendis, ô moines noirs, vos pas! - Au clair de lune allez, brunes dopas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère. " L'astre brillait dans les branches bleuâtres " Au sein de Dieg aurais-je pu pâlir? " Du moine sombre, ou du Maure sans âtres " Le plus impur .... je ne puis le trahir! " Qu'être nonnette ou preste bayadère " J'aimerais mieux, Diable, être en tes grands lacs! " - Au clair de lune, allez, brunes dopas; Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère. " Oui, dans tes lacs!... " à sa vive parole Le son du cor, aux rocs noirs, fit écho ..... Du pur berceau se voila l'auréole... Mounas trembla, puis vit un hidalgo! - " Pleurez, dit-il[,] sous votre toit de lierre .... " - " M'annoncez-vous de don Dieg le trépas?... " - Au clair de lune, allez, brunes doras Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère. " Don Dieg!... eh! tiens, nos tentes sont communes, - Sauf son harem - à l'ombre du drapeau! " S'il était mort .... ce serait sur ses brunes!... " L'hôte portait plume blanche au chapeau, Et se drapait dans sa pourpre pour plaire! Sa pourpre avait des trous du haut en bas!... - Au clair de lune, allez, brunes douas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère. " Et sa Mouftas!... " gémit la mère en larmes. - " J'étais prophète!.. on pleure, bel oeil noir, " Sur les longs jours qu'on ignora mes charmes! " Je vous aime!... Oh! venez à mon manoir! " Dans l'ombre, au ciel se dresse ma vieille aire " Comme un vautour sur le champ des combats! " - Au clair de lune, allez, brunes doras Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère. - "Ton nom?... non, fuis!.. Mon Dieg..." - " Il t'abandonne! " " Je l'aime encor: lui, n'a pas pu changer! " - " L'amour trompé ne veut pas qu'on pardonne. " - " Oh! je vous hais!... mais je dois me venger! " Mounas pleurant murmure une prière Au pur berceau... baise deux petits bras... - Au clair de lune, allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère. La gorge au vent, la blonde sous la mante De l'hidalgo fuyait, pleurant encor Un baiser vint sur sa gorge tremblante Et dans les airs s'élança l'homme au cor Son vol traçait un sillon de lumière .... Mounas frémit... c'était don SATANAS!... - Au clair de lune, allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère. Le beffroi noir jeta sa voix aux ombres .... Un spectre blanc parut sous un arceau L' astre de Dieg luit sur les chênes sombres. - " Ton époux, femme! 6 mère, ton berceau!... " Le spectre dit et sur la froide pierre Lança Satan et son amante, hélas! - Au clair de lune, allez brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère. Le sein d'un aigle, ô Mouftas, fut ta tombe! Satan, riant, vola vers ses enfers ..... Le spectre pâle a, plus qu'une colombe Sur son nid mort, versé de pleurs amers .... Mais tous ses pleurs n'ont des feuilles du LIERRE. Démon, lavé le sang que tu versas! - Aux clairs de lune, allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère! Juin 1859 LOEDA Idylle antique La brise en se jouant courbe les jeunes fleurs, Le myrthe de Vénus embaume les prairies, Et l'onde s'enfuyant dans sa rive fleurie Murmure son amour aux herbages en pleurs. Le soleil de sa pourpre embrase la colline, Philomèle bercée aux branches du laurier Jette ses derniers chants au printemps qui décline Dans les rochers se perd la voix du chevrier. Effleurant le gazon de mille pieds d'albâtre, Les nymphes en riant fuient un faune lascif L'une d'un luth divin tire un accord plaintif L'autre saisit au vol un papillon folâtre. Loeda, le front rêveur, voile son sein vermeil Comme un marbre sacré de longues tresses blondes, Loeda, que ses soeurs croient dans les bras du sommeil Rit au coquet portrait que balancent les ondes " Le pampre n'a vingt fois verdi dans mes cheveux, " Je suis à mon printemps et personne ne m'aime! " Pauvre Loeda, ton coeur doit donc vivre en lui-même! " Aux doux soirs, nul baiser ne couronne mes voeux! " Sous le sein de Tyndare aucun feu ne siège... " On me croirait sa fille! - Oh! pour les têtes d'or " Les nuits sont sans bonheur près des cheveux de neige. " Il aima trop, enfant: vieillard, sa flamme dort! " Le tambourin léger, les flûtes doriennes Éveillent la rêveuse .... elle sourit au bruit, Puis, égayant son oeil dit aux musiciennes " Chères soeurs, l'onde est fraîche: avant qu'il ne soit nuit " Folâtrons en cette eau dont la fraîcheur repose! " Un chalumeau de Pan à celle dont la main " Fendant l'onde qui dort viendra parer mon sein " De cette fleur humide! " Elle dit: une rose Vole et ride le flot... les nymphes à sa voix Rasent de leurs seins nus l'eau qui frémit d'ivresse. A leurs doigts blancs la fleur échappe mille fois .... Lys la saisit... La flûte à Lys la chasseresse! Non: un flot la ravit ....: Sortant des verts roseaux Un col flexible et blanc se courbe et plonge en l'onde... La fleur que la fraîcheur, comme au matin, inonde Pare le bec d'un cygne et vogue sur les eaux. Lys pâlit interdite et ses soeurs sont muettes! " Ô Loeda!... " dit l'oiseau " laisse-moi sur ton sein " Poser avec la fleur un baiser! .... Tu rejettes " Ce voeu? c'est mon prix! Non: ton coeur n'est point d'airain! " Le chalumeau des bois est un don vain au cygne " Quand il chante à l'aurore, il se tait au couchant... " Las! par sa mort les Dieux font expier son chant! " A lui l'amour! son feu de tes charmes est digne. " Loeda rougit, tourna son oeil bleu vers le pré, Et vit qu'elle était seule. Il est soir: des dryades L'essaim gracieux dort en son antre sacré ..... " Je t'aime! " dit l'oiseau, " ravi, sous les cascades " J'ai vu l'eau ruisseler sur ton corps, de mon nid! " Je t'aimai... " murmurant cette parole douce Il ploya son blanc col moelleux comme la mousse Autour du sein brûlant de la nymphe qui rit. Loeda voit à son front scintiller une étoile! " Qui donc es-tu? qui donc? cygne au baiser de miel? " Dit-elle en palpitant. - " Ton amant! " - " Oh! dévoile " Ton nom, coeur enivrant! " - " Lceda, le roi du ciel! " Jupiter!.. à ce nom, mollement son sein rose Plein d'amour se noya dans le sein ondoyant Du cygne au col neigeux qui sur son coeur riant Cueille d'ardents baisers. Sous son aile il dépose La nymphe frémissante: ils ne forment qu'un corps. Loeda se renversa, la paupière mi-close, Ses lèvres s'entrouvrant... sourit dans cette pose... - Et la nuit tomba noire et voila leurs transports. Avril 1859 AU BOIS DE NOISETIERS Chanson Au bois où sur les violettes La lune étend son linceul argenté Brune, viens cueillir des noisettes! Viens! - Mêlera le rossignol d'été Ses chants perlés à ta risée! Viens! - Mouillera ton bras blanc velouté Le lierre où tremble la rosée! Ange, en odorantes bouffées Le vent du soir jouera par tes cheveux! Et sur tes nattes décoiffées Fera neiger l'aubépin odorant! Et, folle et boudeuse coquette, Sur votre lèvre on prendra - Un baiser avec la noisette. Février 1860 II. ÉLÉGIES SA FOSSE EST CREUSÉE. A Dieu I Il sera dit, Seigneur, qu'avec les épis d'or Elle aura vu tomber son front, où l'auréole, Qui d'ans en ans pâlit, étincelait encor! Qu'avant le soir ta main a fermé sa corolle! Il sera dit qu'un jour jaloux de sa beauté Tu lanças sur son toit l'archange à l'aile noire! Que tu brisas sa coupe avant qu'elle y pût boire Qu'elle avait dix-sept ans, qu'elle a l'éternité! Il sera dit, - malheur! - que, fleuri sous ta serre, Son berceau, frêle espoir, fut son cercueil un jour Sans avoir vu dans l'ombre errer un nom d'amour! II sera dit qu'au nid tu gardes ton tonnerre! Non! la rose qui rit sur une tresse blonde, Au bal, quand le coeur rêve et l'horizon est beau, Ne doit point se faner demain sur un tombeau! Que ta rosée, ô ciel, et non des pleurs, l'inonde! Non! - Mon Harriet sourit lorsque les chants ailés Que le soir à son coeur murmure avec la brise Soufflent: Amour... Espoir... et mille mots voilés! Non! - Sa joue est de flamme et son corps s'aérise! Son regard d'une étoile a pris une étincelle Qui brille, astre d'un soir, sur un orbe d'azur Dont la fatigue seule, en la rasant de l'aile, A, jusqu'à l'autre aurore, entouré son oeil pur! Mère, dors! l'oeil mouillé, ne compte pas les heures! - Parce que ton enfant te fait mettre à genoux, Qu'un céleste reflet luit à son front, tu pleures .... Qui sait? un ange peut s'égarer parmi nous! Il peut .... Mais, ô Seigneur, pourquoi moi qui console Sens-je sous ma paupière une larme glisser? Ne pares-tu son front qu'afin qu'elle s'envole? Dépouille-t-elle ici ce qu'elle y doit laisser? Ton lys prend l'or du ciel avant que tu le cueilles! Oui, le corps, jour par jour, voit fuir en son été Ce qu'il a de mortel, comme un arbre ses feuilles! Et l'on se fait enfant pour l'immortalité! Chaque chant de l'horloge est un adieu funèbre Ô Deuil! un jour viendra que ce sera son glas! Heure par heure, glisse un pas dans les ténèbres C'est le pied de la mort qui ne recule pas! Lorsque son oeil rêveur voit dans l'azur qu'il dore S'élever le soleil derrière un mont neigeux, Son coeur bat: elle est morne et crie en pleurs aux cieux " Hier! hier! hier! rendez-moi son aurore! " II Hier! hier!... il est bien loin! Le temps a soufflé dans sa voile! Non! hier à ce jour n'est joint Que par la chute d'une étoile! Hier! spectre, que nous priions A genoux: - et dont nous rions! Astre qui dans la nuit immense S'éteint sombre de souvenir Lui qui brillait tant d'espérance! - Hier ne peut plus revenir! Hier, la fleur pâlie!... hier, le rocher sombre Qui se dressait géant - et qu'a rongé le flot!... Hier, un soleil mort! une gloire dans l'ombre! Hier!... qui fut ma vie, et qui n'est plus qu'un mot! III Ö mal traître et cruel! la vierge se fait ange Pour éblouir nos yeux avant d'aller à Dieu! Nous voulons l'admirer... - l'aimer... - une aile étrange Sous nos baisers blanchit... puis un jour dit adieu! Sa mère en son linceul voudra dormir comme elle! -" Sa mère, elle n'en a, tombée un jour du ciel! " -Mais une femme au moins lui prêta sa mamelle, La berça de longs soirs, la bénit à Noël! Mais ses soeurs chaque jour la voient quitter la terre! Ses trois soeurs que sa tête - ainsi qu'un épi d'or Règne sur la moisson - domine à la prière! - " Sa soeur est l'ange: au ciel elle prend son essor. "_ Mais ses frères naissants, ne voyant plus dans l'ombre Au dortoir enfantin sa céleste lueur, Demanderont le soir à leur père, front sombre, Seuls riants dans les pleurs: " Où donc est notre soeur? " Où donc est votre soeur - elle est où l'a ravie Dieu que vous bénissez et qui brise les coeurs Et c'est pour vous apprendre à pleurer dans la vie "vers manquant" Et les pauvres diront: " Voici l'hiver qui glace! " Sous la brise les fleurs chanteront: Dies irae!... Jour de colère... eh! non, pour Dieu sans pleurs il passe. -Et moi, je maudirai! Dieu, ton plaisir jaloux est de briser les coeurs! Tu bats de tes autans le flot où tu te mires! -Oh! pour faire, Seigneur un seul de tes sourires, Combien faut-il donc de nos pleurs? 1er Juillet 1859 Harriet Smythe est morte de la poitrine SA TOMBE EST FERMÉE. 11 Juillet 1854 " A notre maison blanche où chante l'hirondelle, " Dans un bois verdoyant, vous viendrez " disait-elle " Nous cueillerons les fleurs que cachent les grands blés, " Le soleil, qui les dore, a fait mes pieds ailés, " Et, le soir, au foyer où chaque coeur s'épanche " Nous ferons pour ma mère une couronne blanche... " La fleur rit aux épis: l'alcyon chante encor Elle seule a passé .... - Sous un saule elle dort. Albion! Albion! vieux roc que bat l'écume Devais-tu donc lui faire un linceul de ta brume! On ne savait donc pas que sous ton sombre ciel Le soir où dort la fleur est un soir éternel! Et qu'au lieu de rosée, aux reflets de l'aurore, Des pleurs inondent seuls son calice incolore! Non. Son père l'aimait, vieillard à qui les ans N'ont point ravi l'amour pour prix des cheveux blancs, Et l'amour, comme on sait, est soeur de l'espérance. Il disait, plein d'espoir: " Dieu que le ciel encense " Ne peut point envier l'ange de notre toit. " Car le soir, au foyer, quand son timide doigt Dans la bible aux clous d'or où prièrent ses pères Faisait épeler " Ruth " à ses deux jeunes frères, Le soir, on eût pensé qu'un ange voyageur, Comme ceux qu'ils voyaient au livre du Seigneur, Sous leur tente venait révéler ses purs charmes, Et bénir la famille, et sécher quelques larmes, Et porter aux enfants un baiser du Très-Haut! Que vont-ils devenir, hélas! loin de son aile Sous laquelle, en volant du foyer, l'étincelle Brillait comme une étoile et rappelait les cieux? A Noël, quand vibrait son chant mélodieux, Un silence pieux planait sur chaque tête Seule, la mère, au soir, songeant à l'autre fête, Sentait battre son coeur et se mouiller son oeil. Elle, riant, disait: " Mère, pourquoi ce deuil?.. " Pourquoi ce deuil, ô mère? Harriet est l'auréole Qui luit sur sa famille et dont l'éclat console. C'était l'âme de tout! La France au ciel d'azur A pleuré de la voir fuir son beau soleil pur. Son lac américain, où le Niagara brise L'algue blanche d'écume, a gémi sous la brise " La mirerons-nous plus, comme aux hivers passés? " Car, comme la mouette aux flots qu'elle a rasés Jette un écho joyeux, une plume de l'aile, Elle donna partout un doux souvenir d'elle! De tout... que reste-t-il? que nous peut-on montrer? Un nom!... sur un cercueil où je ne puis pleurer! Un nom!... qu'effaceront le temps et le lierre! Un nom!... couvert de pleurs, et demain de poussière Et tout est dit! Oh! non! doit-on donc l'oublier? Qui sut se faire aimer ne meurt pas tout entier! On laisse sa mémoire, ainsi qu'aux nuits l'étoile Laisse un pâle reflet, que nulle ombre ne voile Et, mort en son cercueil, on revit dans les coeurs! Non!... tout n'est pas perdu! Pour endormir leurs pleurs Le soir elle viendra sous les ailes d'un ange A ses soeurs murmurer des neuf choeurs la louange! Dans leurs rêves dorés ses frères sur leur front Sentiront un baiser, et, ravis, souriront. Quand la brise des nuits sous la lune argentée Gémira par le parc en la feuille embaumée, On la verra passer comme une ombre d'azur Et le matin la fleur sera d'un bleu plus pur! Enfants, oh! pleurez-la comme une soeur éteinte, Mais aussi priez-la comme on prie une sainte Le soir, à la prière où manquera sa voix, N'oubliez pas un nom gravé sous une croix! Car c'était une vierge au regard d'innocence Que le ciel vous prêta pour bénir votre enfance Il lui rendit son aile, elle revint à Dieu! Mais en partant, du moins elle vous dit: adieu... Vous avez sur ce lit, où notre rêve expire, Baisé sa main tremblante, en son dernier sourire! Hélas! plus que le vôtre il est un coeur brisé! Loin, derrière les flots, rêvant au lys glacé Une soeur, l'oeil en pleurs, a maudit l'espérance Qui lui disait, trompeuse: " Aux lacs de ton enfance " Retourne la première: avec les fleurs, l'été . Va rendre, à toi ta soeur, à ta soeur sa santé! " Au cercueil elle aussi va demander sa couche Pour n'avoir pas, hélas! recueilli sur ta bouche, Harriet, ce mot d'un coeur qui se fait immortel, Le dernier de la terre et le premier du ciel! Ah! pleure infortunée! En ta barque perdue Seule tu n'auras point pour reposer ta vue, Ce tableau déchirant, mais qui brille si doux, De l'ange qui bénit sa famille à genoux! Et moi .... N'était-ce assez pour ta faux déplorée, Dieu, d'avoir moissonné ma soeur, rose égarée Dans les épis que l'âge a courbés vers le sol? Non! à l'ange des morts tu marques un grand vol! Et quand je pleure, ô Dieu, tu ris dans la fumée Qu'exhale en blancs flocons, au ciel, l'urne embaumée. Tu ris!... et comme toi rit l'heureux univers. L'oiseau boit la rosée et chante dans les airs La fleur sous le zéphyr que sa senteur parfume Berce le papillon qui, riant sur l'écume Se mire au flot d'azur, écoute son doux chant Et le soleil n'a pas moins de pourpre au couchant, Le lac n'est pas moins pur, sa voix n'est pas plus sombre, De moins d'astres le ciel ne sème pas son ombre! La nature dit: Joie, et l'écho chante: Amour! Et, narguant mes pleurs, tout poursuit joyeux son jour! Elle est morte!... et demain le siècle qui succombe Lui donnera l'oubli, cette seconde tombe! Foulant sa cendre aux pieds, les autres passeront Sans prier à genoux, sans détourner le front! D'autres épis comme elle avant qu'on ne moissonne Tomberont..: d'autres pleurs couleront! et personne En entendant ces noms, hélas! ne sourira! . Elle est morte! " dit-on - puis chacun l'oubliera! Pourquoi montrer ces coeurs, ô Dieu qui les protèges, Pourquoi les faire aimer, si, comme pour les neiges C'est assez d'un rayon .... pour fermer leur cercueil? Fleur par fleur, chaque soir, on voit, la larme à l'oeil, S'effeuiller sa couronne - où demeure l'épine! Éperdu dans ce deuil, on sent que l'on s'incline Où va la feuille jaune, et qu'il faut, - ô destin! III. RÊVERIES A celle qui dort. HIER: AUJOURD'HUI: DEMAIN Je murmurais sur sa tombe qui dort: " Hier c'était la fleur aux feuilles d'or " Qui souriait aux reflets de la lune " Ignorant encor le soleil! " Hier! c'était la tête brune: " Hier! le baiser de chacune: " Hier! l'oeil noir, le ris vermeil! " Quand de sa candeur le voile " L'enveloppa comme un linceul! " Aujourd'hui, c'est la larme à l'oeil! " C'est l'autel qui de noir se voile! " Oh! Maria! Maria! le cercueil " Est bien froid? - Pauvre Mariette!.. " Et sa voix répondit d'où nain la violette: " Hier! c'était dans la nuit sans étoile " Le flot chantant un chant de mort! la voile " Que sillonnait l'éclair, et qu'à l'écueil " Poussait le vent qui bat l'écume! " Hier! c'était le noir cercueil! " Hier! les pleurs! hier, le deuil! " Mais un bel ange sous la plume " De son aile me fit un nid, " Et prit son essor vers un monde " Où l'encens sur la tête blonde Vole en nuage: où l'on dit " Père! " à Jéovah quand il gronde! " Mon frère! " à l'ange Gabriel! Aujourd'hui, c'est le ciel! Demain... sera le ciel! " Mars 1859 En revenant du cimetière de Passy. LES CLOCHES DES MORTS Là .... les entendez-vous, - comme une vierge folle Laisse onduler aux nuits ses noirs cheveux en flots Et jette sa chanson au corbeau qui s'envole, - Les entendez-vous bien, rejetant leurs manteaux De siècles, ces deux surs murmurer leur prière? " Sueur, de notre trône de pierre, " Combien de générations, " Comment partent les alcyons, " Nous avons vues passer en bière! " Que de spectres, riants de fleurs, " De cercueils pleins de lys, de pleurs! " Depuis trois cents ans que de vierges " Dont nous avons sonné le glas! " Combien s'éteignirent de cierges! " Hélas!.. hé-las!.. hé-las!.. hé-las!... " Messe de la Toussaint 1859 LE NUAGE Nuage es-tu l'écume De l'oiseau céleste au flot limpide et pur? Es-tu la blanche plume Que détacha la brise, en traversant l'azur, De l'aile d'un des anges? Es-tu, quand nos louanges, Volent avec l'encens aux pieds d'Adonaï Le parfum que balance Dans l'urne en feu, l'enfant devant la croix ravi? - Du ciel ou de la France As-tu pris ton essor? As-tu vu bien des flots, mainte verte prairie? As-tu bercé ton ombre au marbre blanc où dort Du grand sommeil Marie, Où la brise aux cyprès murmure un chant de mort? " Oh! silence! silence! " alors dit le nuage " Je suis l'envoyé du Seigneur. " Je porte sur mon sein un blond enfant, de l'âge " Où l'on ne sait pas que l'on meurt. " Je le plis: Il dormait sur le sein de sa mère " L'aile d'un ange est son suaire! " Mars 1859 LARME A ma soeur Oh! je voudrais pleurer! pleurer sous la feuillée Loin des rires humains, loin du chant des oiseaux! Pleurer .... sur qui? sur ceux dont la vie effeuillée, Comme une fleur au vent, vola vers les tombeaux?... Non: sur moi. - Car c'est moi qui suis le mort, mon ange, C'est moi dont le coeur froid se revêt d'un linceul! Moi .... qui rêve à l'azur, les deux pieds dans la fange. J'ai tout perdu, ma pauvre,... - Oh! je voudrais pleurer! Messe des morts 1859 TOUT PASSE. Tout passe: le printemps tombe sous la faucille Du blond été. Tout passe: l'été voit se jaunir sa charmille Au vent hâté. Tout passe: sur l'automne, ô vieux hiver, tu jettes Ton blanc manteau. Tout passe: au gai printemps, la neige aux violettes Laisse un berceau. L'homme coule, poussé par l'homme qui le suit Comme la lame! - Tu restes seule, étoile en l'éternelle nuit, Seule, ô mon âme! Si tu dois être fleur, éclos loin de la fange Sur un beau sein! Si tu dois être flamme, oh! brille au front d'un ange, Cet oiseau saint! Juillet 1859 A DIEU. Seigneur, nous fis-tu pour t'aimer? As-tu placé dans nos ténèbres L'astre pour mieux nous en priver? Veux-tu changer en fleurs funèbres Le lilas qu'effeuille, la nuit, Un amant sous un pas qui fuit? De ton ciel ris-tu quand je pleure? Ou, se perdent-ils, nos accents, Sans qu'à tes pieds aucun ne meure, Comme ces vains flots de l'encens? Juillet 1859 PAN à E. R. C'est un ami qui frappe: il faut que tu l'accueilles! Un soir, au mois de Mai, - mois qui prélude aux cieux! - Se couronnait de fleurs, se revêtait de feuilles La nature, riant sous le pied radieux Du printemps qui semait l'amour avec les roses. Or, ce soir-là, j'entrai dans leur temple poudreux Pour voir leur Christ béni par leurs hymnes moroses. J'eus des pleurs dans les yeux: ils effeuillaient les fleurs! Les fleurs!... à peine ouvrant leurs feuilles à la vie, Leur sein aux papillons, au jeune amour leurs coeurs! Ils effeuillaient les fleurs sur l'haleine blanchie De l'encens qui dans l'air se perd avec les choeurs! Et devant un soleil d'argent, toutes ces têtes Se courbaient... Seul debout, j'étais là frémissant, Comme sur l'Océan, quand l'aile des tempêtes A refoulé les flots d'un souffle mugissant, Se dresse, inébranlable, un roc que bat l'écume. Je ne maudissais pas - je demandais pardon. " Oh! pardonne, ô grand Pan, à qui met l'amertume " En la coupe où nous rit, saint et précieux don, " L'onde qui de ton ciel reflète l'auréole! " Pardonne-leur, mon Dieu, peut-être qu'au matin " Une main sacrilège effeuilla leur corolle, " Et que l'épine seule est restée, où ta main " Avait semé la fleur! On détourna leur route..! " Puis, le coeur débordé, je quittai le pilier Dont l'ombre séculaire abrita plus d'un doute! La nature m'offrit son toit hospitalier. C'était le ciel immense étincelant d'étoiles! L'infini!.. l'infini, mot sublime et profond! - Ô mort, oh! laisse-moi percer un jour ses voiles, Sans pleurs je dormirai dans mon tombeau fécond! Errant d'un astre d'or à l'étoile d'albâtre, De la lueur pâlie à l'éclat radieux, Mon âme s'abattit sur votre ombre bleuâtre .... Et je me prosternai, l'oeil ébloui des cieux! Orgueil!.. Orgeuil!.. Orgueil!.. Qu'est Pan? - et qu'est la terre? Une larme noyée au sein d'un flot géant! Une étincelle en l'ombre égarée, ô mystère! Une feuille qu'un vent jette au gouffre béant! Et l'homme qu'est-il donc?... Je ne pus que me taire. L'Homme a dit: " Dieu jeta sur nos têtes la nuit, " Ce grand manteau royal fleurdelisé d'étoiles! " Pour moi, Dieu suspendit cette lampe qui luit " A notre toit d'azur, le soleil pur de voiles! " Pour moi qui vis un jour il fit l'éternité!... " Je m'arrête, ô grand Dieu! Oh! retiens ton tonnerre! Car ils ont... ils on[t] dit, stupide vanité, Que ton ombre à l'aurore effleura notre terre! Ton ombre!... c'était peu, - qu'un rayon éternel De ta gloire tombé... ton fils... - ô sacrilège! Pour ouvrir leur paupière avait quitté le ciel! Et ton soleil, Seigneur, n'a pas fondu leur neige! Pan!.. ils l'ont souffleté .... puis ils l'ont fait mourir! Et chaque jour encor, levant un pain impie, Un prêtre dit: " Mangez! c'est votre Dieu martyr! " Et comme des corbeaux sur une aigle assoupie Leur nuage s'abat... met en lambeaux son flanc .... Réveillant ton courroux que n'étends-tu ton aile Pour balayer au loin tout ce flot insolent? Ô Pan! fais de ma voix la trompette fidèle Qui jette à l'univers au milieu des éclairs Un éclat de ta voix, un feu de ta lumière! Fais de moi ton archange!.. une aile dont les airs Gardent la trace en feu comme de ton tonnerre! J'irai, puis je dirai: " Déchirez le bandeau " Qu'a jeté sur vos yeux une foi qui chancelle! " Comme l'aigle expirant, jusqu'au jour du tombeau " Volez vers le soleil! Ravissez l'étincelle! " Qu'après sous le gazon chacun dorme serein " Dans sa gloire qu'encor n'a su vaincre un désastre! " Et vos enfants diront: Leur nom soit sur l'airain " Au front de notre siècle, ils ont placé leur astre! " II Oui, tout prie ici-bas, car tout aime et tout vit! La brise chaque soir recueille le murmure Du lac au flot d'azur, de l'arbre où dort le nid! Chaque aurore qui naît, pose une goutte pure Sur la lèvre odorante et sur l'or de la fleur! C'est ta prière, ô rose, et ton hymne, ô bruyère, Qu'au crépuscule hier le zéphyr recueillait, Que Dieu bénit, et qui, pour le jour qu'il éclaire T'apporte à toi ta pourpre, à toi ton doux reflet! Lorsque la moisson d'or courbe sa tête blonde, Quand l'algue en s'inclinant ride le cours du flot, C'est que déborde un coeur que Pan d'amour inonde! Et la reconnaissance a chez chacun son mot! Salut, divine essence en la flamme et dans l'onde Répandue, oh! salut! Le matin - quand la nuit D'un pied hâtif s'enfuit, jeter l'oeil sur la neige Que couronne un vieux mont où quelqu'aigle a son nid, Et voir l'orbe de feu qu'un frais repos allège S'élever radieux vers son dôme d'azur, Et dire avec les blés, et dire avec la vigne " Voilà Dieu qui s'avance... arrière, prêtre obscur! " Voir, comme à nous la femme, en nos torrents doux cygne, Le bluet rire au blé, le grand lierre à l'ormeau! Le chêne s'enivrant, ô blanches clématites, Du parfum virginal, vous soupirer ce mot " Je t'aime!.. " que tout dit, fleurs grandes aux petites, Rose aux astres, la nuit; vague aux roseaux, le jour! Voir le cyprès fidèle au papillon volage, Même sur les tombeaux, souffler tout bas: " Amour! " Voir, le soir, quand la nuit glisse dans le feuillage, Tout clore sa paupière et dormir, las d'aimer! Tout, sauf les rossignols, les grillons, mon amante Fée au corset si fin que la guêpe le chante! Voir, priant sur la mer, l'horizon s'enflammer, Et, comme un roi vainqueur dans la pourpre se couche, Sur le flot embrasé dormir l'astre géant! - Oh! bonheur qu'un coeur sent, que ne dit nulle bouche! Non! N'allez pas prier sur un autel-néant, Hommes qui méditez, femmes qui de nos coupes Parfumez l'onde pure et fleurissez les bords! N'allez pas chaque soir, vous, angéliques troupes, Devant le pain et l'or verser vos lents accords! Laissez la harpe au temple, et ce livre où des voix Qu'exhalent d'autres coeurs ne sont jamais bénies! Laissez fumer l'encens devant l'idole-croix! Venez, où dès l'aurore épand ses harmonies L'oiseau pur, cette voix qu'aux arbres Dieu donna! " Voilà l'ostensoir d'or .... il se lève sublime!.. A genoux, à genoux, entonnez l'hosanna Qu'aux mers chante alcyon, l'aigle fauve à sa cime! Voilà le psaume saint!... à chacun accessible, Puisqu'un flot le murmure et qu'il parle d'amour!... Gravis ce mont neigeux: jette ton oeil autour Vois le ciel! vois la terre! Homme c'est là ta bible! Juillet 1855 IV ODELETTES ET STANCES AVEU Réponse improvisée Pour moi l'âge d'or s'est enfui, Où je rêvais, ma lyre Sur mon sein! cette aurore a lui Où j'aimais à redire En cadence ris, amours, pleurs Où je croyais aux anges A l'aile étoilée, où les fleurs Disaient des mots étranges A mon coeur! Oh! depuis lors Tout est changé! La fille Pure, adieu! Adieu, rêves d'or! - Mais quand le vin pétille Quand la grisette pâme, alors Je me réveille: au verre Je vais demandant mes transports! - Mon luth ne sut que la prière! Février 1855 VERS ÉCRITS SUR UN EXEMPLAIRE DES CONTEMPLATIONS (Improvisé) La France, Hugo, déjà d'un noir linceul te voile, Comme l'on voile un mort! La vipère en sifflant bave sur ton étoile, Et l'oison-vautour mord De son bec écumant les cordes de tes lyres! Hugo! Hugo! la voix Du luth qui pleure un ange au ciel ravi, ta fille Dormant sous une croix, Est une voix qui met au coeur bien des délires, A l'oeil bien des sanglots! Non! - Son astre en la nuit plus qu'un soleil scintille, " Il vit!.. " chantent les flots! Février 1859 A P*** Réponse improvisée Puisqu'un coeur ne bat pas sous ton sein, qui respire Plus froid qu'un marbre de tombeau Puisque, quand un génie aime, pleure, ou délire, Ta langue ne dit point: c'est beau!.. Puisque tu ne sens pas, puisque tu n'as pas d'âme Puisque ta tête est un luth d'or Beau, mais sans voix ni corde, un encensoir sans flamme, Malheur!.. - non, je te plains encor! Mars 1859 RÉPONSE A Esp. Je lisais tes beaux vers: - ton coeur me fit écho, Tu trouves froide aussi la classique tisane Ce soir-là, je chantais un corsaire, Fosco. Roi des mers; qui mieux est, roi d'une courtisane. Le vieux Juif Ismaël déjà lançait son or Aux flots noirs, et mourant, maudissait son étoile Et Pépita la pâle, aux pleurs donnant essor Pour la vie a couvert ses cheveux blonds d'un voile! Tous deux à l'espérance avaient fermé leur coeur. Oh! l'espoir, cette brise au frais parfum, qu'un ange Souffle sur notre coeur comme sur une fleur, Qui lui donne la vie et des chagrins le venge! Et je te vis, comme eux, voguant sur ton esquif Interroger le flot, l'âme grosse d'alarmes. Va! navigue en riant et nargue le récif! Sur des autans douteux ne verse point de larmes! Eh! quoi faudrait-il donc s'endormir en son nid, Quand hurle le mistral qui peut vous casser l'aile? Parce que le soleil en aveuglant punit, Faut-il baisser les yeux, sans ravir l'étincelle? Non! ces sombres terreurs chasse-les de ton coeur Tu vois l'étoile au ciel: prends ton vol et t'élance! Traverse les éclairs et redescends vainqueur Portant l'astre à ton front et chantant l'Espérance! Mars 1859 NE RIEZ PAS. (Stances) Ah! lorsque sous les pleurs d'un oeil qui va s'éteindre S'allume un feu si pur que c'est un feu du ciel! Lorsque le teint perdant ce qu'il a de mortel Séduit par son éclat, fleur qu'on aime sans craindre, Mais qu'on vous dit: " Je meurs! j'entends tinter un glas!.. " Ami, ne riez pas! Car Dieu met dans les coeurs des présages funèbres! " Tu reviendras à moi! " dit-il à l'âme en deuil, Et l'âme entend gémir le marbre du cercueil! Car on sent que le corps s'en retourne aux ténèbres, Et qu'une aile s'azure, au souffle de la mort, Pour prendre son essor! Car celui, jeune ou vieux, dont l'oeil plein de tristesse En contemplant l'azur rayonne d'un éclair, Car celui qui sourit, mais d'un sourire amer Quand on lui montre au loin l'avenir et l'ivresse, A qui son ange dit: " Vole, où l'on aime en paix!... " Ne se trompe jamais! 4 avril 1859 Oh! si dans ton amour quelqu'une de ces roses Qui, riant au matin, jonchent la terre au soir, Cherche, quand le vent glace, un doux rayon d'espoir, Aime!... Aux baisers demain ses lèvres seront closes! Mais que ton feu soit pur, pur comme un feu d'autel! Car ce coeur est au ciel! 5 avril 1859 ON DONNE CE QU'ON A A M. pour étrennes Le riche au pauvre, au froid automne, Jette l'or où brille l'espoir Le mendiant lui fait l'aumône Avec sa prière du soir! L'Aube de sa paupière rose Sur l'églantier épand ses pleurs L'églantier donne à l'aube éclose Ses chants d'oiseau et ses senteurs! Au goëland rasant l'écume La vague offre un nid de corail L'oiseau laisse une blanche plume Au flot que fend son bec d'émail. Le peu qu'il a chacun le donne! Enfant, c'est un baiser rieur Amant, des lilas en couronne Poëte, un écho de son coeur! 28 décembre 1859 CAUSERIE D'ADIEU A E. R. C'est sur les murs croulants que naît la fleur d'azur, Pour eux est son parfum: elle leur meurt fidèle! C'est sur les vieilles tours que niche l'hirondelle Aux carillons mêlé son chant nous vient plus pur! Le poëte et l'oiseau, la fleur et le poëte, Ami, sont frères sous le ciel Va donc dans ton vieux Caen chanter un vieux Noël, Mais parfois retourne la tête! Caen, le soir, dans les flots par la lune argentés Mouille en dormant la mante grise Qu'ont jetée autrefois sur son antique église Les ans, alcyons emportés. C'est là qu'on rêve! ici, la sotte bourgeoisie Comme une courtisane a plâtré le vieux Sens! C'est là qu'on rêve, où dort sur les flots gémissants L'étoile, comme en toi la sainte poësie! Ainsi qu'au même roc chaque nuit tu verras Ami, mourir la même écume, Quelqu'oiseau qu'ait ton toit, la joie ou l'amertume, Reviens à ceux que tu laissas! Que ta pensée au soir vole vers leurs pensées! Car ils déplorent interdits Ces jours, où l'arbre mort perd ses feuilles glacées Et le coeur, ses derniers amis! Souviens-toi! Dieu sur nous mit une lueur sainte, Le souvenir! - qui fait que notre coeur devient Un éden, où l'absent parmi les fleurs revient, Un cercueil, où les morts vivent leur vie éteinte! Novembre (classe de Logique) Ces vers sont bien mauvais! - mais j'entendais parler Morale et vérités .... moi qui n'en vois aucune, Sauf que je suis ici pour fumer et chanter, Que le rhum est divin, que divine est la brune, - Sans dédaigner la blonde - et que, quand vient le soir, La meilleure morale est de n'en pas avoir! DONNEZ. Ayez pitié de moi!.. La débauche aux seins nus Qui vend au prix de pleurs, hélas! son fatal charme, Cachant sous chaque rose une ride de plus, Sous chaque baiser une larme, Fit de moi, me glaçant avant la fin du jour, Une fleur sans parfum, un coeur sans poësie! Pour me ravir au mal, pour me rendre à la vie Il ne faut qu'un rayon d'amour! Donnez! - Oh! donnez-moi! - comme au vieillard on lance L'hiver en passant l'or où brille l'espérance! Que ce soit une aumône, encor, de votre coeur (????) Si vous ne sentez mon malheur! Mai 1859 LES TROIS COURONNES Pour la fête de ma mère A l'aube de nos jours, l'ange qui du berceau Fait, sous son aile blanche, un autel qu'on encense, Mère du ciel qui berce en priant notre enfance, Quand notre mère dort, sous un saule, au cercueil, Posa sur notre front qui ne connaît le deuil, Une couronne blanche aux rayons d'espérance, C'est l'auréole d'innocence. Quand du berceau d'hier rasant le pur contour S'enfuit, voilé d'azur, l'essaim des pleurs moroses, Quand l'ormeau qu'avec vous vit naître un même jour Peut supporter des nids dans ses feuilles mi-closes, Quand, naïve colombe, on se rit de l'autour; Vient une main qui sème en nos cheveux des roses, C'est la couronne de l'amour. Quand on voit chaque soir comme les hirondelles Une illusion d'or fuir nos toits sans printemps, Quand, vivant d'autrefois, aux ondes éternelles Comme un flot qu'un flot chasse on voit couler ses ans, Et le soleil s'éteindre en ces flots infidèles, Le temps vous met au front, vieillard aux froides ailes, La couronne de cheveux blancs. Comme à toutes les fleurs la fraîche aurore épand Ses gouttes de rosée, Ta première couronne au front de chaque enfant, Mère, tu l'as posée! Tous ceux qu'aime ton coeur sentent le doux parfum Qu'exhale la seconde. L'autre.... Oh! le soir, prions le Seigneur en commun Que sa flamme féconde Dore au lointain le jour qui te la doit tresser! Mais qu'avant bien des fêtes Donnent, à toi, des fleurs: à mes sueurs un baiser Sur leurs riantes têtes. Juillet 1859 VI BOUTADES ÉCLAT DE RIRE A E. Germain-le-fol Quand il eut par sa foudre annoncé son réveil, Et quand à l'horizon, comme on voit le soleil S'élever dans l'azur jeune et vierge de voiles, Surgit du sein des flots son poème géant, Quand le peuple semait sous ses pieds des étoiles Pour qu'il ne foulât pas notre triste néant Quand les fleurs, les bravos pleuvaient, - splendide fête! Lors, Émile Germain fils du Chien Diogenès, Les haillons à l'épaule et la boue à la tête, De la foule à grands pas fend les flots étonnés, Le saisit par la barbe et lui crache: " Homme sombre, " Dont la lune est l'amante et la bêtise est l'ombre, " Jusques à quand ton encre et ta noire chanson " Saliront-elles, dis, le papier, la raison? " Vis, ténébreux! vis, Jean! vis, Visigoth! vis, diable..! " Ne glace pas mon aile et t'achète un bâton " Pour diriger tes pas au bord de l'insondable " C'est un marais bourbeux, crapaud de l'infini! Le poète attendit que Germain eût fini, A son aigle remit sa foudre formidable, Puis, fixant un grillon qui chantait sur le sol, Hugo lui répondit en souriant: n Ô fol! " Novembre 1859 QUELQUES MOTS A QUELQUES-UNS Légende des siècles. " Pour combattre le vice, il faut l'indignation " pour battre le ridicule, il faut le burlesque .. Morbleu! - je crois qu'on l'ose insulter! - qu'à son glas Mille gamins hideux mêlent leurs sots éclats! Si vous aviez du coeur, je dirais: " L'agonie, " C'est mal choisir son temps pour railler un génie! " Tous sur son corps - vieillards, armés de goupillons, Marmots, de leurs suçons - fondent en bataillons! Vieux, lisez Bajazet: prenez votre tisane; Pourquoi lui faire un suaire avec votre soutane? Clouez donc vos cercueils sans mesurer le sien! - Mais vous, poétriaux pendus encore au sein, Qui, fiers de vos vers plats, les portez en rapières, Vous, soyez hués! -pets qui singez les tonnerres! Pour déchirer un mort, il faudrait être aiglons - Ou tout au moins corbeaux - vous n'êtes qu'oisillons! Que vous a-t-il donc fait pour hurler à ses chausses? Que t'a-t-il fait, roquet? -Ses étoiles sont fausses! " Ah! laisse là l'étoile et va lécher tes sauces Ruy Blas sans sourciller te dit: " Bon appétit! - " - Tu pisses contre lui, - mais il est de granit. " Je mords " Tes dents? " Je jappe alors!!! " Jappe, petit. Novembre 1859 MÉLANCOLIE A Espinasse Puisqu'Espinas, ô Falstaff, pense Qu'ils sont un peu trop folichons Les grelots dont sonne ta panse, - Voilant nos ris de capuchons Pleurnichons! Pleurnichons! Puisqu'une fleur en la rosée Lui semble de pleurs arrosée, Non de perles - geais, qui nichez, Rieurs, sous la feuille rosée Pleurnichez! Pleurnichez! Puisqu'il raffole de Racine Qui fait .... pleurer jusqu'aux bichons, - que, l'oeil humide, on déracine Pour le ceindre dix cornichons! Pleurnichons! Pleurnichons! Puisqu'il trouve Horace un peu terne Lui, dont les pleurs sont du falerne, Qu'il ne rit chez Scarron, ni chez Rabelais, merle de taverne, - Pleurnichez! Pleurnichez! Puisqu'en l'art et la poésie, Il voit deux mouchoirs - deux torchons! Où chacun pleure l'Aspasie De ses " rêves d'or " godichons, Pleurnichons! Pleurnichons! Non... - Moi, je te laisse, Héraclite, Mouiller ton luth hétéroclite, Aux nuits dédier tes sanglots! Ma muse n'est pas carmélite, Et noierait son rire en tes flots! Aux pleurards pour tenir ta cour D'un vieux corbillard fais ta niche! Sois fidèle à feu ton amour Comme à l'invalide un caniche! Et pleurniche, pleurniche! Des psaumes de la pénitence Avec les tiens fais ta pitance Que, pour vos larmes, de l'enfer Le ciel nous donne la quittance! Nous, avec Puck croisons le fer! Décembre 1859 . "Voyez couler leurs larmes... Plaideurs" RÉPONSE A UNE PIÈCE DE VERS OÙ IL PARLAIT DE SES RÊVERIES ENFANTINES Au même Moi, quand j'étais petit et que j'étais classique, J'étais, à parler franc, fort peu mélancolique. Jurant par Théramène et par les douze dieux J'aimais le sucre d'orge et les vers de Racine. - Le plus fade des deux? - devine si tu peux. La poésie en moi prenait si peu racine Que si, sur ma fenêtre, un moineau chantonnait, Las! avant de laisser sa voix m'aller à l'âme, Je m'enquérais quel rang dans les vers il tenait. Était-il noble ou vil? marquis, ou rustre infâme? De fleurs?.. je connaissais les fleurs de papier peint Les fleurs de rhétorique et les fleurs du Parnasse. L'aigle, qui raille au ciel l'archange qui le craint, Enflamme tous les yeux: moi, dans ma carapace, Mon idéal était ces vieux coqs étamés Qui grincent bêtement sur les clochers ruinés! Avril 1860 POISSON D'AVRIL A Dadé (Écrit des dames de Nevers à Dadé) Te souvient-il de ce doux soir Sans lune? Tu disais, baisant mon oeil noir " Ma brune, " Ton haleine est un doux parfum! " Je t'aime! " Sur tes charmes je ferais un " Poëme! Je contemplais ton col vermeil Beau cygne! Et ta flamme dont le soleil N'est digne! Je voyais tes ris gracieux, Heureuse! Je songeais aux anges, aux cieux, Rêveuse! Ah! son amour est-il d'airain? Pensais-je. Et dormirai-je sur son sein De neige? Posant tes lèvres sur mon coeur En flamme, Inonderas-tu de bonheur Mon âme? - Le soir avant de reposer, Je pleure Pensant que peut-être un baiser T'effleure! Un baiser qui n'est pas de moi Oh! vite Assure à mon coeur qu'il est roi! Médite, Oh! médite un soir de printemps Bien sombre! Un soir qui prête à deux amants Son ombre! Pour puiser joyeuse à ton sein L'ivresse! Pour qu'encor sur ton coeur ta main Me presse! 1er avril 1859 ÉVENTAILS par Stéphane Mallarmé. I Aile quels paradis élire Si je cesse ou me prolonge au Toucher de votre pur délice Madame Madier de Montjau. II Jadis frôlant avec émoi Ton dos de licorne ou de fée Aile ancienne, donne-moi L'horizon dans une bouffée. III Simple, tendre, aux prés de mêlant, Ce que tout buisson a de laine Quand a passé le troupeau blanc Semble l'âme de Madeleine. IV Toujours ce sceptre où vous êtes Bal, théâtre, hier, demain Donne le signal de fêtes Sur un voeu de votre main. V Autour de marbres le lis croît - Brise, ne commence par taire, Fière et blanche, son regard droit, Nelly, pareille à ce parterre. VI Là-bas de quelque vaste aurore Pour que son vol revienne vers Ta petite main qui s'ignore J'ai marqué cette aile d'un vers. VII Comme la lune l'en prie Un blanc nuage pour cold Cream étend la rêverie De Mademoiselle Hérold. VIII Ce peu d'aile assez pour proscrire Le souci, nuée ou tabac Amène contre mon sourire Quelque vers tu de Rodenbach IX A ce papier fol et sa Morose littérature Pardonne s'il caressa Ton front vierge de rature. X Avec la brise de cette aile Madame Dinah Seignobos Peut, très clémente, y pense-t-elle Effacer tous nos vains bobos. XI Bel éventail que je mets en émoi De mon séjour chez une blonde fée Avec cette aile ouverte amène-moi Quelque éternelle et rieuse bouffée. XII Aile que du papier reploie Bats toute si t'initia Naguère à l'orage et la joie De son piano Missia. XIII Spirituellement au fin Fond du ciel, avec des mains fermes Prise par Madame Dauphin, Aile du temps, tu te refermes. XIV Palpite, Aile, mais n'arrête Sa voix que pour brillamment La ramener sur la tête Et le sein _en diamant LES LOISIRS DE LA POSTE (1894) Leur rire avec la même gamme Sonnera si tu te rendis Chez Monsieur Whistler et Madame, Rue antique du Bac II0. Rue, au 23, Ballu. J’exprime Sitôt juin à Monsieur Degas La satisfaction qu’il rime Avec la fleur des syringas. Monsieur Monet, que l’hiver ni L’été, sa vision ne leurre, Habite, en peignant, Giverny Sis auprès de Vernon, dans l’Eure. Villa des Arts, près l’avenue De Clichy, peint Monsieur Renoir Qui devant une épaule nue Broie autre chose que du noir. Paris, chez Madame Méry Laurent, qui vit loin des profanes Dans sa maisonnette very Select du 9 Boulevard Lannes. Pour rire se restaurant La rate ou le charmant foie Madame Méry Laurent Aux eaux d’Evian, Savoie. Dans sa douillette d’astrakan Sans qu’un vent coulis le jalouse Monsieur François Coppée à Caen Rue, or c’est des Chanoines. . . (????) Monsieur Mendès aussi Catulle A toute la Muse debout Dispense la brise et le tulle Rue, au 66, Taitbout. Adieu l’orme et le châtaignier! Malgré ce que leur cime a d’or S’en revient Henri de Régnier Rue, au six même, Boccador. Notre ami Viélé Griffin Savoure très longtemps sa gloire Comme un plat solitaire et fin A Nazelles dans Indre-et-Loire. Apte à ne point te câbrer, hue! Poste et j’ajouterais: dia! Si tu ne fuis II bis rue Balzac chez cet Hérédia. Apporte ce livre, quand naît Sur le Bois l’Aurore amaranthe, Chez Madame Eugène Manet Rue au loin Villejust. . . (?????) Sans t’étendre dans l’herbe verte Naïf distributeur, mets-y Du tien, cours chez Madame Berthe Manet[^Berthe Morisot^], par Meulan, à Mézy. Mademoiselle Ponsot, puisse Notre compliment dans sa fleur Vous saluer au Châlet-Suisse Sis route de Trouville, Honfleur. Rue, et 8, de la Barouillère Sur son piano s’applique à Jouer, fée autant qu’écolière Mademoiselle Wrotnowska. Si tu veux un médecin tel Sans perruque ni calvitie Qu’est le cher docteur Hurinel Treize, entends- de la Boétie. Prends ta canne à bec de corbin Vieille Poste (ou je vais t’en battre) Et cours chez le docteur Robin Rue, oui, de Saint-Pétersbourg . V POEMES NON RECUEILLI Le Carrefour des Demoiselles Contre un poète parisien Rien au réveil Soleil d'hiver Une Négresse LE CARREFOUR DES DEMOISELLES. OU L'ABSENCE DU LANCIER OU LE TRIOMPHE DE LA PRÉVOYANCE. Fait en collaboration avec les Oiseaux, les Pâtés, les Fraises et les Arbres. par Stéphane Mallarmé et Emmanuel des Essarts AIR: « Il était un petit navire, Qui n'avait jamais navigué. » C'était une illustre partie Des gens bien vêtus et bien nés Neuf parisiens sans apathie Intelligents et vaccinés. Quoique l'on fût mélancolique Il y a manKate et le lancier On mit sur un granit celtique Un anathème à l'Épicier. Tous gambadaient comme des chèvres De bloc en bloc, de roc en roc; Les mots mazurkaient sur les lèvres, Tantôt tic-tac, tantôt toc-toc. Pour l'aspic et pour la vipère On ménageait de l'alcali, On ne rencontra qu'un notaire Qui, tout jeune, était bien joli. Là Denecourt, le Siècle en poche, Dispensateur du vert laurier, A peint en noir sur une roche: « Repos du Poète ouvrier. » Voici l'émerveillante liste Léguée à la postérité De cette bande fantaisiste Bien peu dans sa majorité: Un jeune baby d'espérance Que parmi les sombres halliers D'un oeil d'amour couvait la France Comme l'enfant des chevaliers; D'aimables mères de familles Qui se réjouissaient de voir Du soleil aux yeux de leurs filles Et des messieurs Sens habit noir; Fort mal noté par les gendarmes Le garibaldien Mallarmé Ayant encor plus d'arts que d'armes Semblait un Jud très alarmé; Ettie, en patois Henriette, Plus agile que feu Guignol, Voltigeait comme une ariette Dans le gosier d'un rossignol; Dans le sein de cette algarade S'idyllisait le Cazalis, Qui, comme un chaste camarade, Tutoyait l'azur et le lis; Puis, une Anglaise aux airs de reine À qui Diane porte un toast, Qu'Albion envoie à Suresne Sous la bande du Morning-Post; Piccolino, le coloriste, Qui pour parfumer nos vingt ans Pille comme un vil herboriste L'opulent écrin du printemps Nina qui d'un geste extatique Sur le dolmen et le men-hir Semblait poser pour la Musique, La musique de l'avenir; Puis des Essarts Emmanuelle, Le plus beau-det jeunes rimeurs, Offrait le fantasque modèle D'un poète ayant gants et moeurs. Mais Ponsard qui veut qu'on s'ennuie Vint lui-même installer aux Cieux Le Théramène de la pluie, Personnage silencieux. Puis l'heure leur coupa les ailes Et, tout boitant et s'accrochant, Du « Carrefour des Demoiselles » On fit un lac en pleurnichant. I8 MAI I862 CONTRE UN POÈTE PARISIEN. À Emmanuel des Essarts. Souvent la vision du Poète me frappe: Ange à cuirasse fauve, il a pour volupté L'éclair du glaive, ou, blanc songeur, il a la chape, La mitre byzantine et le bâton sculpté. Dante, au laurier amer, dans un linceul se drape, Un linceul fait de nuit et de sérénité: Anacréon, tout nu, rit et baise un grappe Sans songer que la vigne a des feuilles, l'été. Pailletés d'astres, fous d'azur, les grands bohèmes, Dans les éclairs vermeils de leur gai tambourin, Passent, fantasquement coiffés de romarin. Mais j'aime peu voir, Muse, ô reine des poèmes, Dont la toison nimbée a l'air d'un ostensoir, Un poète qui polke avec un habit noir. RIEN AU REVEIL Rien, au réveil, que vous n'ayez Envisagé de quelque moue Pire si le rire secoue Votre aile sur les oreillers. Indifféremment sommeillez Sans crainte qu'une haleine avoue Rien, au réveil, que vous n'ayez Envisagé de quelque moue. Tous les rêves émerveillés, Quand cette beauté les déjoue, Ne produisent fleur sur la joue Dans l'oeil diamants impayés Rien au réveil que vous n'ayez. Notes Publié dans la revue La Coupe en juin 1896. Premier état du poème RONDEL Rien ici-bas que vous n'ayez Envisagé de quelque moue Ou du blanc rire qui secoue Votre aile sur les oreillers. Princesse au berceau, sommeillez! Sans voir parmi tout ce qu'on loue Rien ici-bas que vous n'ayez Envisagé de quelque moue. Nos vains souhaits émerveillés De la beauté qui les déjoue Ne connaissent, fleur sur la joue, Dans l'oeil diamants impayés Rien ici-bas que vous n'ayez! SOLEIL D'HIVER À Monsieur Éliacim Jourdain. Phébus à la perruque rousse De qui les lames de vermeil, Ô faunes ivres dans la mousse, Provoquaient votre lourd sommeil. Le bretteur aux fières tournures Dont le brocart était d'ors fins Et qui par ses égratignures Saignait la pourpre des raisins. Ce n'est qu'un Guritan chauve Qui, dans son ciel froid verrouillé, Le long de sa culotte mauve Laisse battre un rayon rouillé. Son aiguillette sans bouffette, Triste, pend aux sapins givrés, Et la neige qui tombe est faite De tous ses cartels déchirés! UNE NEGRESSE 1866 Une négresse par le démon secouée Veut goûter une enfant triste de fruits nouveaux Et criminels aussi sous leur robe trouée, Cette goinfre s'apprête à de rusés travaux: À son ventre compare heureuse deux tétines Et, si haut que la main ne le saura saisir, Elle darde le choc obscur de ses bottines Ainsi que quelque langue inhabile au plaisir. Contre la nudité peureuse de gazellle Qui tremble, sur le dos tel un fol éléphant Renversée elle attend et admire avec zèle, En riant de ses dents naïves à l'enfant; Et, dans ses jambes où la victime se couche, Levant une peau noire ouverte sous le crin, Avance le palais de cette étrange bouche Pâle et rose comme un coquillage marin. 1866. UN COUP DE DÉS JAMAIS N'ABOLIRA LE HASARDS UN COUP DE DÉS JAMAIS QUAND BIEN MÊME LANCÉ DANS DES CIRCONSTANCES ÉTERNELLES DU FOND D'UN NAUFRAGE SOIT que l'Abîme blanchi étale furieux sous une inclinaison plane désespérément d'aile la sienne par avance retombée d'un mal à dresser le vol et couvrant les jaillissements coupant au ras les bonds très à l'intérieur résume l'ombre enfouie dans la profondeur par cette voile alternative jusqu'adapter à l'envergure sa béante profondeur en tant que la coque d'un bâtiment penché de l'un ou l'autre bord LE MAÎTRE hors d'anciens calculs où la manoeuvre avec l'âge oubliée surgi inférant jadis il empoignait la barre de cette conflagration à ses pieds de l'horizon unanime que se prépare s'agite et mêle au poing qui l'étreindrait comme on menace un destin et les vents l'unique Nombre qui ne peut pas être un autre Esprit pour le jeter dans la tempête en reployer la division et passer fier hésite cadavre par le bras écarté du secret qu'il détient plutôt que de jouer en maniaque chenu la partie au nom des flots un envahit le chef coule en barbe soumise naufrage cela direct de l'homme sans nef n'importe où vaine ancestralement à n'ouvrir pas la main crispée par delà l'inutile tête legs en la disparition à quelqu'un ambigu l'ultérieur démon immémorial ayant de contrées nulles induit le vieillard vers cette conjonction suprême avec la probabilité celui son ombre puérile caressée et polie et rendue et lavée assouplie par la vague et soustraite aux durs os perdus entre les ais né d'un ébat la mer par l'aieul tentant ou l'aieul contre la mer une chance oiseuse Fiançailles dont le voile d'illusion rejailli leur hantise ainsi que le fantôme d'un geste chancellera s'affalera folie N'ABOLIRA COMME SI Une insinuation simple au silence enroulée avec ironie ou le mystère précipité hurlé dans quelque proche tourbillon d'hilarité et d'horreur voltige autour du gouffre sans de joncher ni fuir et en berce le vierge indice COMME SI plume solitaire éperdue sauf que la rencontre ou l'effleure une toque de minuit et immobilise au velours chiffonné par un esclaffement sombre cette blancheur rigide dérisoire en opposition au ciel trop pour ne pas marquer exigûment quiconque prince amer de l'écueil s'en coiffe comme de l'héroique irrésistible mais contenu par sa petite raison virile en foudre soucieux expiatoire et pubère muet rire que SI La lucide et seigneuriale aigrette de vertige au front invisible scintille puis ombrage une stature mignonne ténébreuse debout en sa torsion de sirène le temps de souffleter par d'impatientes squames ultimes bifurquées un roc faux manoir tout de suite évaporé en brumes qui imposa une borne à l'infini C'ÉTAIT LE NOMBRE issu stellaire EXISTÂT-IL autrement qu'hallucination éparse d'agonie COMMENÇÂT-IT ET CESSÂT-IL sourdant que nié et clos quand apparu enfin par quelque profusion répandue en rareté SE CHIFFRÂT-IL évidence de la somme pour peu qu'une ILLUMINÂT-IL CE SERAIT pire non davantage ni moins indifféremment mais autant LE HASARD Choit la plume rythmique suspens du sinistre s'ensevelir aux écumes originelles naguères d'où sursauta son délire jusqu'à une cime flétrie par la neutralité identique du gouffre RIEN de la mémorable crise ou se fût l'événement accompli en vue de tout résultat nul humain N'AURA EU LIEU une élévation ordinaire verse l'absence QUE LE LIEU inférieur clapotis quelconque comme pour disperser l'acte vide abruptement qui sinon par son mensonge eût fondé la perdition dans ces parages du vague en quoi toute réalité se dissout EXCEPTÉ à l'altitude PEUT-ÊTRE aussi loin qu'un endroit fusionne avec au delà hors l'intérêt quant à lui signalé en général selon telle obliquité par telle déclivité de feux vers ce doit être le Septentrion aussi Nord UNE CONSTELLATION froide d'oublie et de désuétude pas tant qu'elle n'énumère sur quelque surface vacante et supérieure le heurt successif sidéralement d'un compte total en formation veillant doutant roulant brillant et méditant avant de s'arrêter à quelque point dernier qui le sacre Toute Pensée émet un Coup de Dés VARIANTES, MANQUANTS ET INCOMPLETS BILLET DU MATIN à Mignonne La nuit tord sur les prés ses cheveux pleins d'étoiles, Et la rosée épanche en tombant de leurs voiles, Aux lilas sa senteur, sa fraîcheur à l'oiseau, - La nuit tord sur les prés ses cheveux pleins d'étoiles, Toi, relève les tiens d'un souple et vert roseau. On voit fuir par l'azur la lune vague et blanche, Comme une fée, en l'eau qui mire la pervenche. Le nid fait sa prière et tout va s'empourprer .... - Vois glisser dans l'azur la lune molle et blanche, - Un astre fuit, Mignonne, à toi de te montrer! La rose aime le lys, - tous deux aiment Mignonne La violette semble en la mousse une nonne, Le grillon, franc luron, frappe à sa feuille en pleurs... - La rose aime le lys, tous deux aiment Mignonne la suite est manquante MA BIBLIOTHÈQUE manque INDE manquant ELEGIES SUR LA TOMBE DE BÉRANGER Fragment Il gît sous cette pierre! - où la rose naissante, Voulant mêler son deuil au deuil de l'univers, Comme sous la funeste haleine des hivers Courbe sa tête languissante Où le sombre cyprès, dernier ami du mort, Vers le sol répandant la tremblante rosée Que la nuit, en fuyant, sur sa feuille a versée Semble pleurer son triste sort .... Il est là pour toujours!... et sa langue glacée Ne rendra plus, hélas! ces accents qu'autrefois La patrie et l'amour donnèrent à sa voix. Sa lyre est à jamais brisée!.. Septembre 1859 ADIEU! " She bas departed! " L. Byron Fragment Noirs autans. Ah! cessez de souffler la tempête Et d'enfanter les pleurs! Qu'un ciel limpide et pur De l'aurore au couchant s'étende sur sa tête Que l'onde à ses pieds soit d'azur! En murmurant son nom que la vague se brise! Et que, resplendissant des derniers feux du jour, Le flot s'unisse au flot et la brise à la brise Pour bercer ses rêves d'amour! Et toi, rapide nef, qui quittes ce rivage Où la lame écumante au chant de ma douleur Mêle sa voix plaintive, ô douloureuse image De l'espoir qu'a vu fuir mon coeur! ... ...................................... Juillet 1858. PRIÈRE A LA NATURE manquant QUE FAIRE? manquant LES TROIS PRIÈRES manquant A P*** manquant L'AFFREUX BONHOMME manquant BILLET DOUX D'UN ÉLÈVE DE SCIENCES manquant L ...... Épigramme manquant A LAVOLLÉE Rondeau manquant A ARMAND Rondeau [début manquant] Va, tourne-lui le dos et dis-lui " Ton stupide Art ment. " Février 1859 MANQUANT: BILLET DU SOIR manquant. Brouillon De Préface Au Coup De Dés Voici un poème conçu puis exécuté selon des habitudes en vérité tout à fait différentes d’autres qui défraient notre tradition. La parole se profère en tant que sons à l’intelligence, dans l’air, pour ainsi dire et musicalement; or que dans un cas elle requière la blancheur du papier, dépossédé celui-ci de sa fonction de surface ou présenter uniquement à l’oeil des images, alors la parole ne doit-elle pas remplacer celles-ci à sa façon, moins tangiblement par un texte ou littérairement Quelque suite d’imagi... Fin manquante. Source: http://www.poesies.net