Textes En Proses. Par Stéphane Mallarmé (1842-1898) TABLE DES MATIERES. Le Corbeau. Ularume. La Dormeuse. Souvenir. Divagation Première. Seconde Divagation. Le Corbeau. Une fois, par un minuit lugubre, tandis je m’appesantissais, faible et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié -tandis que je dodelinais la tête, somnolant presque, soudain se fit un heurt, comme de quelqu’un frappant doucement, frappant à la porte de ma chambre, -cela seul et rien de plus. Ah! distinctement je me souviens que c’était en le glacial Décembre: et chaque tison, mourant isolé, ouvrageait son spectre sur le sol. Ardemment je souhaitais le jour; -vainement j’avais cherché d’emprunter à mes livres un sursis au chagrin de la Lénore perdue -de la rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore, -de nom! pour elle ici, non, jamais plus! Et de la soie l’incertain et triste bruissement en chaque rideau purpural me traversait -m’emplissait de fantastiques terreurs pas senties encore: si bien que, pour calmer le battement de mon coeur, je demeurais maintenant à répéter: «C’est quelque visiteur qui sollicite l’entrée, à la porte de ma chambre -quelque visiteur qui sollicite l’entrée, à la porte de ma chambre, c’est cela et rien de plus.» Mon âme se fit subitement plus forte et, n’hésitant davantage: «Monsieur, dis-je, ou Madame, j’implore véritablement votre pardon; mais le fait est que je somnolais, et vous vîntes si doucement frapper, et si faiblement vous vîntes heurter, heurter à la porte de ma chambre, que j’étais à peine sûr de vous avoir entendu.» Ici j’ouvris grande la porte: les ténèbres et rien de plus. Loin dans l’ombre regardant, je me tins longtemps à douter, m’étonner et craindre, à rêver des rêves qu’aucun mortel n’avait osé rêver encore; mais le silence ne se rompit point et la quiétude ne donna de signe; et le seul mot qui se dit, fut le mot chuchoté «Lénore!» Je le chuchotai -et un écho murmura de retour le mot «Lénore!» purement cela et rien de plus. Rentrant dans la chambre, toute mon âme en feu, j’entendis bientôt un heurt en quelque sorte plus fort qu’auparavant. «Sûrement, dis- je, sûrement c’est quelque chose à la persienne de ma fenêtre. Voyons donc ce qu’il y a et explorons ce mystère -que mon coeur se calme un moment et explore ce mystère: c’est le vent et rien de plus.» Au large je poussai le volet, quand, avec maints enjouement et agitation d’ailes, entra un majestueux corbeau des saints jours de jadis. Il ne fit pas la moindre révérence, il ne s’arrêta ni n’hésita un instant; mais, avec une mine de lord ou de lady, se percha au-dessus de la porte de ma chambre -se percha sur un buste de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre -se percha, siégea et rien de plus. Alors cet oiseau d’ébène induisant ma triste imagination au sourire, par le grave et sévère décorum de la contenance qu’il eut: «Quoique ta crête soit chue et rase, non! dis-je, tu n’es pas, pour sûr, un poltron, spectral, lugubre et ancien Corbeau, errant loin du rivage de Nuit -dis-moi quel est ton nom seigneurial au rivage plutonien de Nuit.» Le Corbeau dit: «Jamais plus.» Je m’émerveillai fort d’entendre ce disgracieux volatile s’énoncer aussi clairement, quoique sa réponse n’eût que peu de sens et peu d’à-propos: car on ne peut s’empêcher de convenir que nul homme vivant n’eut encore l’heur de voir un oiseau au-dessus de la porte de sa chambre -un oiseau ou toute autre bête sur le buste sculpté au-dessus de la porte de sa chambre -avec un nom tel que: «Jamais plus.» Mais le Corbeau perché solitairement sur ce buste placide, parla ce seul mot comme si mon âme, en ce seul mot, il la répandait. Je ne proférai donc rien de plus; il n’agita donc pas de plume, - jusqu’à ce que je fis à peine davantage que marmotter: «D’autres amis déjà ont pris leur vol, -demain il me laissera comme mes espérances déjà ont pris leur vol.» Alors l’oiseau dit: «Jamais plus.» Tressaillant au calme rompu par une réplique si bien parlée: «Sans doute, dis-je, ce qu’il profère est tout son fonds et son bagage, pris à quelque malheureux maître que l’impitoyable Désastre suivit de près et de très près suivit jusqu’à ce que ses chansons comportassent un unique refrain; jusqu’à ce que les chants funèbres de son Espérance comportassent le mélancolique refrain de: «Jamais -jamais plus.» Le Corbeau induisant toute ma triste âme encore au sourire, je roulai soudain un siège à coussins en face de l’oiseau, et du buste, et de la porte; et m’enfonçant dans le velours, je me pris à enchaîner songerie à songerie, pensant à ce que cet augural oiseau de jadis, -à ce que ce sombre, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau de jadis signifiait en croassant: «Jamais plus.» Cela, je m’assis occupé à le conjecturer, mais n’adressant pas une syllabe à l’oiseau dont les yeux de feu brûlaient, maintenant, au fond de mon sein; cela et plus encore, je m’assis pour le deviner, ma tête reposant à l’aise sur la housse de velours des coussins que dévorait la lumière de la lampe, housse violette de velours qu’Elle ne pressera plus, ah! jamais plus. L’air, me sembla-t-il, devint alors plus dense, parfumé selon un encensoir invisible balancé par les Séraphins dont le pied, dans sa chute, tintait sur l’étoffe du parquet. «Misérable! m’écriai- je, ton Dieu t’a prêté -il t’a envoyé par ses anges le répit -le répit et le népenthés dans ta mémoire de Lénore! Bois! oh! bois ce bon népenthés et oublie cette Lénore perdue!» Le Corbeau dit: «Jamais plus!» «Prophète, dis-je, être de malheur! prophète, oui, oiseau ou démon! Que si le Tentateur t’envoya ou la tempête t’échoua vers ces bords, désolé et encore tout indompté, vers cette déserte terre enchantée -vers ce logis par l’horreur hanté: dis-moi véritablement, je t’implore! y a-t-il du baume en Judée? Dis-moi, je t’implore.» Le Corbeau dit: «Jamais plus!» «Prophète, dis-je, être de malheur, prophète, oui, oiseau ou démon! Par les cieux sur nous épars -et le Dieu que nous adorons tous deux -dis à cette âme de chagrin chargée si, dans le distant Éden, elle doit embrasser une jeune fille sanctifiée que les anges nomment Lénore, -embrasser une rare et rayonnante jeune fille que les anges nomment Lénore.» Le Corbeau dit: «Jamais plus!» «Que ce mot soit le signal de notre séparation, oiseau ou malin esprit,» hurlai-je en me dressant. «Recule en la tempête et le rivage plutonien de Nuit! Ne laisse pas une plume noire ici comme un gage du mensonge qu’a proféré ton âme. Laisse inviolé mon abandon! quitte le buste au-dessus de ma porte! ôte ton bec de mon coeur et jette ta forme loin de ma porte!» Le Corbeau dit: «Jamais plus!» Et le Corbeau, sans voleter, siège encore, -siège encore sur le buste pallide de Pallas, juste au-dessus de la porte de ma chambre, et ses yeux ont toute la semblance des yeux d’un démon qui rêve, et la lumière de la lampe, ruisselant sur lui, projette son ombre à terre: et mon âme, de cette ombre qui gît flottante à terre, ne s’élèvera -jamais plus. Ularume. Les cieux, ils étaient de cendre et graves; les feuilles, elles étaient crispées et mornes -les feuilles, elles étaient périssables et mornes. C’était nuit en le solitaire Octobre de ma plus immémoriale année. C’était fort près de l’obscur lac d’Auber, dans la brumeuse moyenne région de Weir -c’était là près de l’humide marais d’Auber, dans le bois hanté par les goules de Weir. Ici, une fois, à travers une allée titanique de cyprès, j’errais avec mon âme; une allée de cyprès avec Psyché, mon âme. C’était au jour où mon coeur était volcanique comme les rivières scoriaques qui roulent -comme les laves qui roulent instablement leurs sulfureux courants au bas de l’Yanek, dans les climats extrêmes du pôle boréal -qui gémissent tandis qu’elles roulent au bas du Mont Yanek dans les régions du pôle boréal. Notre entretien avait été sérieux et grave: mais, nos pensées, elles étaient paralysées et mornes, nos souvenirs étaient traîtres et mornes, -car nous ne savions pas que le mois était Octobre et nous ne remarquions pas la nuit de l’année (ah! nuit de toutes les nuits de l’année); nous n’observions pas l’obscur lac d’Auber - bien qu’une fois nous ayons voyagé par là, -nous ne nous rappelions pas l’humide marais d’Auber, ni le pays de bois hanté par les goules de Weir. Et maintenant comme la nuit vieillissait et que le cadran des étoiles indiquait le matin -à la fin de notre sentier un liquide et nébuleux éclat vint à naître, hors duquel un miraculeux croissant se leva avec une double corne -le croissant diamanté d’Aclarté distinct avec sa double corne. Et je dis: «Elle est plus tiède que Diane; elle roule à travers un éther de soupirs: elle jubile dans une région de soupirs, -elle a vu que les larmes ne sont pas sèches sur ces joues où le ver ne meurt jamais et elle est venue passé les étoiles du Lion pour nous désigner le sentier vers les cieux -vers la léthéenne paix des cieux; -jusque-là venue en dépit du Lion, pour resplendir sur nous de ses yeux brillants -jusque-là venue à travers l’antre du Lion, avec l’amour dans ses yeux lumineux. Mais Psyché, élevant son doigt, dit: « Tristement, de cette étoile je me défie -de sa pâleur, étrangement, je me défie. Oh! hâte-toi! Oh! ne nous attardons pas! Oh! fuis -et fuyons, il le faut.» Elle parla dans la terreur, laissant s’abattre ses plumes jusqu’à ce que ses ailes traînassent en la poussière -jusqu’à ce qu’elles traînèrent tristement dans la poussière. Je répliquai: «Ce n’est rien que songes; continuons par cette vacillante lumière; baignons-nous dans cette cristalline lumière! Sa splendeur sibylline rayonne d’espoir et de beauté, cette nuit: -vois, elle va, vibrante, au haut du ciel à travers la nuit! Ah! nous pouvons, saufs, nous fier à sa lueur et être sûrs qu’elle nous conduira bien, -nous pouvons, saufs, nous fier à une lueur qui ne sait que nous guider à bien, puisqu’elle va, vibrante, au haut des cieux à travers la nuit.» Ainsi je pacifiai Psyché et la baisai, et tentai de la ravir à cet assombrissement, et vainquis ses scrupules et son assombrissement; et nous allâmes à la fin de l’allée, où nous fûmes arrêtés par la porte d’une tombe; par la porte, avec sa légende, d’une tombe, et je dis: «Qu’y a-t-il d’écrit, douce soeur, sur la porte, avec une légende, de cette tombe?» Elle répliqua: « Ulalume! Ulalume! C’est le caveau de ta morte Ulalume!» Alors mon coeur devint de cendre et grave, comme les feuilles qui étaient crispées et mornes -comme les feuilles qui étaient périssables et mornes, et je m’écriai: «Ce fut sûrement en Octobre dans cette même nuit de l’année dernière, que je voyageai -je voyageai par ici -que j’apportai un fardeau redoutable jusqu’ici - dans cette nuit entre toutes les nuits de l’année, ah! quel démon m’a tenté vers ces lieux. Je connais bien, maintenant, cet obscur lac d’Auber -cette brumeuse moyenne région de Weir: je connais bien, maintenant, cet obscur lac d’Auber -cette brumeuse moyenne région de Weir: je connais bien, maintenant, cet humide marais d’Auber, et ces pays de bois hantés par les goules de Weir!» La Dormeuse. À minuit, au mois de Juin, je suis sous la lune mystique: une vapeur opiacée, obscure, humide, s’exhale hors de son contour d’or et, doucement se distillant, goutte à goutte, sur le tranquille sommet de la montagne, glisse, avec assoupissement et musique, parmi l’universelle vallée. Le romarin salue la tombe, le lys flotte sur la vague, enveloppant de brume son sein, voyez! le lac semble goûter un sommeil conscient et, pour le monde ne l’éveillerait. Toute Beauté dort: et repose, sa croisée ouverte au ciel, Irène avec ses Destinées! Oh! dame brillante, vraiment est-ce bien, cette fenêtre ouverte à la nuit? Les airs folâtres se laissent choir du haut de l’arbre rieusement par la persienne; les airs incorporels, troupe magique, voltigent au dedans et au dehors de la chambre, et agitent les rideaux du baldaquin si brusquement -si terriblement -au-dessus des closes paupières frangées où ton âme en le somme gît cachée, que, le long du plancher et en bas du mur, comme des fantômes s’élève et descend l’ombre. Oh! dame aimée, n’as-tu pas peur? Pourquoi ou à quoi rêves-tu maintenant ici? Sûr, tu es venue de par les mers du loin, merveille pour les arbres de ces jardins. Étrange est ta pâleur! étrange est ta toilette! étrange par-dessus tout ta longueur de cheveux, et tout ce solennel silence! La dame dort! Oh! puisse son sommeil, qui se prolonge, de même être profond. Le Ciel la tienne en sa garde sacrée. La salle changée en une plus sainte, ce lit en un plus mélancolique, je prie Dieu qu’elle gise à jamais sans que s’ouvre son oeil, pendant qu’iront les fantômes aux plis obscurs. Mon amour, elle dort! oh! puisse son sommeil, comme il est continu, de même être profond. Que doucement autour d’elle rampent les vers! Loin dans la forêt, obscure et vieille, que s’ouvre pour elle quelque haut caveau -quelque caveau qui souvent a fermé les ailes noires de ses oscillants panneaux, triomphal, sur les tentures armoriées des funérailles de sa grande famille -quelque sépulcre, écarté, solitaire, contre le portail duquel elle a lancé, dans sa jeunesse, mainte pierre oisive -quelque tombe hors de la porte retentissante de laquelle elle ne fera plus sortir jamais d’écho, frissonnante de penser, pauvre enfant de péché! que c’étaient les morts qui gémissaient à l’intérieur. Souvenir. Nul, que je me rappelle, ne fut, par un vent d’illusion engouffré dans les plis visibles tombant de son geste ouvert qui signifiait: «Me voici», avec une impulsion aussi véhémente et surnaturelle, poussé, que jadis cet adolescent; ou ne connut à ce moment de la jeunesse dans lequel fulgure le destin entier, non le sien, mais celui possible de l’Homme! la scintillation mentale qui désigne le buste à jamais du diamant d’un ordre solitaire, ne serait-ce qu’en raison du regard abdiqué par la conscience des autres. Je ne sais pas, mais je crois, en réveillant ces souvenirs de primes années, que vraiment l’arrivée fut extraordinaire, ou que nous étions bien fous! les deux peut-être et me plais à l’affirmer. Il agitait aussi des drapeaux de victoire très anciens, ou futurs, ceux-là mêmes qui laissent de l’oubli des piliers choir leur flamme amortie brûlant encore: je jure que nous les vîmes. Ce qu’il voulait, ce survenu, en effet, je pense sérieusement que c’était: régner. Ne s’avisa-t-il pas, les gazettes indiquant la vacance d’un trône, celui de Grèce, incontinent d’y faire valoir ses droits, en vertu de suzerainetés ancestoriales, aux Tuileries: réponse, qu’il repassât, le cas échéant, une minute auparavant on en avait disposé. La légende vraisemblable, ne fut jamais, par l’intéressé, démentie. Aussi ce candidat, à toute majesté survivante, d’abord élut-il domicile chez les poëtes; cette fois, décidé, il le disait, assagi, clairvoyant «avec l’ambition - d’ajouter à l’illustration de ma race la seule gloire vraiment noble de nos temps, celle d’un grand écrivain». La devise est restée. Quel rapport pourrait-il y avoir entre des marches doctes au souffle de chesnaies près le bruit de mer; ou que la solitude ramenée à soi-même sous le calme nobiliaire et provincial de quelque hôtel désert de l’antique Saint-Brieuc, se concentrât pour en surgir, en tant que silence tonnant des orgues dans la retraite de mainte abbaye consultée par une juvénile science et, cette fois, un groupe, en plein Paris perdu, de plusieurs bacheliers eux-mêmes intuitifs à se rejoindre, au milieu de qui exactement tomba le jeune Philippe-Auguste Mathias de si prodigieux nom. Rien ne troublera, pour moi, ni dans l’esprit de plusieurs hommes, aujourd’hui dispersés, la vision de l’arrivant. Éclair, oui, cette réminiscence restera dans la mémoire de chacun, n’est-ce pas, des assistants? François Coppée, Dierx, Hérédia, Paul Verlaine, rappelez-vous! et Catulle Mendès. Un génie! nous le comprîmes tel. Dans ce touchant conclave qui, au début de chaque génération, pour entretenir à tout le moins un reflet du saint éclat, assemble des jeunes gens, en cas qu’un d’eux se décèle l’Élu: on le sentit tout de suite là présent, tous subissant la même commotion. Je le revois. Ses aïeux étaient dans le rejet par un mouvement à sa tête habituel, en arrière, dans le passé, d’une vaste chevelure cendrée indécise, avec un air de: «Qu’ils y restent, je saurai faire, quoique cela soit plus difficile maintenant;» et nous ne doutions pas que son oeil bleu pâle, emprunté à des cieux autres que les vulgaires, ne se flxât sur l’exploit philosophique prochain, de nous irrêvé. Certainement, il surprit ce groupe où, non sans raison, comme parmi ses congénères il avait atterri d’autant mieux qu’à de hauts noms, comme Rodolphe-le-Bel, seigneur de Villiers et de Dormans, 1067, le fondateur -Raoul, sire de Villiers-le-Bel, en 1146, Jean de Villiers, mari, en 1324, de Marie de l’Isle, et leur fils, Pierre Ier qui, la famille éteinte des seigneurs de l’Isle-Adam, est le premier Villiers de l’Isle-Adam -Jean de Villiers, petit- fils, maréchal de France qui se fit héroïquement massacrer, ici même, à Bruges, en 1437, pour le duc de Bourgogne -enfin le premier des grands maîtres de Malte proprement dits, par cela qu’il fut le dernier des grands maîtres de Rhodes, le vaincu valeureux de Soliman, du fait de Charles-Quint restauré, Philippe de Villiers de l’Isle-Adam, honneur des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem (la sonorité se fait plus générale); à tant d’échos, après tout qui somnolent dans les traités ou les généalogies, le dernier descendant vite mêlait d’autres noms, qui pour nous, artistes unis dans une tentative restreinte, je vais dire laquelle, comportaient peut-être un égal lointain, encore qu’ils fussent plutôt de notre monde: Saint-Bernard, Kant, le Thomas de la Somme, principalement un désigné par lui, le Titan de l’Esprit Humain, Hégel, dont le singulier lecteur semblait aussi se revendiquer, entre autres cartes de visite ou lettres de présentation, ayant compulsé leurs tomes en ces retraites qu’avec une entente de l’existence moderne il multipliait, au seuil de ses jours, dans des monastères, Solesmes, la Trappe et quelques-uns imaginaires, pour que la solitude y fût complète (parce qu’entré dans la lutte et la production il n’y a plus à apprendre qu’à ses dépens, la vie). Il lut considérablement, une fois pour toutes et les ans à venir, notamment tout ce qui avait trait à la grandeur éventuelle de l’Homme, soit en l’histoire, soit interne, voire dans le doute ici d’une réalisation -autre part, du fait des promesses, selon la religion: car il était prudent. Nous, par une velléité différente, étions groupés: simplement resserrer une bonne fois, avant de le léguer au temps, en condition excellente, avec l’accord voulu et définitif, un vieil instrument parfois faussé, le vers français, et plusieurs se montrèrent dans ce travail d’experts luthiers. À l’enseigne un peu rouillée maintenant du Parnasse Contemporain, traditionnelle, le vent l’a décrochée, d’où soufflé? nul ne le peut dire, indiscutable; la vieille métrique française (je n’ose ajouter la poésie) subit, à l’instant qu’il est, une crise merveilleuse, ignorée dans aucune époque, chez aucune nation, où, parmi les plus zélés remaniements de tous genres, jamais on ne touche à la prosodie. Toutefois la précaution parnassienne ne reste pas oiseuse: elle fournit le point de repère entre la refonte, toute d’audace, romantique, et la liberté; et marque (avant que ne se dissolve, en quelque chose d’identique au clavier primitif de la parole, la versification) un jeu officiel ou soumis au rythme fixe. Ces visées étaient d’un intérêt moindre pour un prince intellectuel du fond d’une lande ou des brumes, et de sa réflexion, surgi, afin de dominer par quelque moyen et d’attribuer à sa famille, qui avait attendu au-delà des temps, une souveraineté récente quasi mystique -pesait peu dans cette frêle main, creuset de vérités dont l’effusion devait illuminer -ne signifiait guère, sauf la particularité peut-être que ces étudiants en rareté professaient, le vers n’étant autre qu’un mot parfait, vaste, natif, une adoration pour la vertu des mots: celle-ci ne pouvait être étrangère à qui venait conquérir tout avec un mot, son nom, autour duquel déjà il voyait, à vrai dire, matériellement, se rallumer le lustre, aujourd’hui discernable pour notre seul esprit. Le culte du vocable que le prosateur allait tant, et plus que personne, solenniser (et lequel n’est en dehors de toute doctrine, que la glorification de l’intimité même de la race, en sa fleur, le parler) serra tout de suite un lien entre les quelques-uns et lui: non que Villiers dédaignât le déploiement du mot en vers, il gardait dans quelque malle, avec la plaque de Malte, parmi les engins de captation du monde moderne, un recueil de poésies, visionnaire déjà, dont il trouva séant de ne point souffler, parmi ces émailleurs et graveurs sur gemmes, préférant se rendre compte à la dérobée, attitude qui chez un débutant dénote du caractère. Même après un laps il fit lapidaire son enthousiasme et paya la bienvenue, parmi nous, avec des lieds ou chants brefs. Ainsi il vint, c’était tout, pour lui; pour nous, la surprise même -et toujours, des ans, tant que traîna le simulacre de sa vie, et des ans, jusqu’aux précaires récents derniers, quand chez l’un de nous le timbre de la porte d’entrée suscitait l’attention par quelque son pur, obstiné, fatidique comme d’une heure absente aux cadrans, et qui voulait demeurer, invariablement se répétait pour les amis anciens eux-mêmes vieillis, et malgré la fatigue à présent du visiteur, lassé, cassé, cette obsession de l’arrivée d’autrefois. Villiers de l’Isle-Adam se montrait. Toujours, il apportait une fête, et le savait; et maintenant ce devenait plus beau peut-être, plus humblement beau, ou poignant, cette irruption, des antiques temps, incessamment ressassée, que la première en réalité; malgré que le mystère par lui quitté jadis, la vague ruine à demi écroulée sur un sol de foi s’y fût à tout jamais tassée; or, on se doutait entre soi d’autres secrets pas moins noirs, ni sinistres et de tout ce qui assaillait le désespéré seigneur perpétuellement échappé au tourment. La munificence, dont il payait le refuge! aussitôt dépouillée l’intempérie du dehors ainsi qu’un rude pardessus: l’allégresse de reparaître lui, très correct et presque élégant nonobstant des difficultés, et de se mirer en la certitude que dans le logis, comme en plusieurs, sans préoccupation de dates, du jour, fût-ce de l’an, on l’attendait -il faut l’avoir ouï six heures durant quelquefois! Il se sentait en retard et pour éviter les explications, trouvait des raccourcis éloquents, des bonds de pensée et de tels sursauts, qui inquiétaient le lieu cordial. À mesure que dans le corps à corps avec la contrariété s’amoindrissait, dans l’aspect de l’homme devenu chétif, quelque trait saillant de l’apparition de jeunesse, à quoi il ne voulut jamais être inférieur, il le centuplait par son jeu, de douloureux sous-entendus; et signifiait pour ceux auxquels pas une inflexion de cette voix, et même le silence ne restait étranger: «J’avais raison, jadis, de me produire ainsi, dans l’exagération causée peut-être par l’agrandissement de vos yeux ordinaires, certes, d’un roi spirituel, ou de qui ne doit pas être; ne fût-ce que pour vous en donner l’idée. Histrion véridique, je le fus de moi-même! de celui que nul n’atteint en soi, excepté à des moments de foudre et alors on l’expie de sa durée, comme déjà; et vous voyez bien que cela est (dont vous sentîtes par moi l’impression, puisque me voici conscient et que je m’exprime maintenant en le même langage qui sert, chez autrui, à se duper, à converser, à se saluer) et dorénavant le percevrez, comme si, sous chacun de mes termes, l’or convoité et tu à l’envers de toute loquacité humaine, à présent ici s’en dissolvait, irradié, dans une véracité de trompettes inextinguibles pour leur supérieure fanfare.» Il se taisait; merci, Toi, maintenant d’avoir parlé, on comprend. Minuits avec indifférence jetés dans cette veillée mortuaire d’un homme debout auprès de lui-même, le temps s’annulait, ces soirs; il l’écartait d’un geste, ainsi qu’à mesure son intarissable parole, comme on efface, quand cela a servi; et dans ce manque de sonnerie d’instant perçue à de réelles horloges, il paraissait - toute la lucidité de cet esprit suprêmement net, même dans des délibérations peu communes, sur quelque chose de mystérieux fixée comme serait l’évanouissement tardif, jusqu’à l’espace élargi, du timbre annonciateur, lequel avait fait dire à l’hôte: «C’est Villiers» quand, affaiblie, une millième fois se répétait son arrivée de jadis -discuter anxieusement avec lui-même un point, énigmatique et dernier, pourtant à ses yeux clair. Une question d’heure, en effet, étrange et de grand intérêt, mais qu’ont occasion de se poser peu d’hommes ici-bas, à savoir que peut-être lui ne serait point venu à la sienne, pour que le conflit fût tel. Si! à considérer l’Histoire il avait été ponctuel, devant l’assignation du sort, nullement intempestif, ni répréhensible: car ce n’est pas contemporainement à une époque, aucunement, que doivent, pour exalter le sens, advenir ceux que leur destin chargea d’en être à nu l’expression; ils sont projetés maint siècle au delà, stupéfaits, à témoigner de ce qui, normal à l’instant même, vit tard magnifiquement par le regret, et trouvera dans l’exil de leur nostalgique esprit tourné vers le passé, sa vision pure. (Fragment d’une Conférence) Divagation Première. Relativement Au Vers. La littérature ici subit une exquise crise, fondamentale. À jeter les yeux alentour, chez quiconque accorde à cette fonction une place ou la première, voilà le fait, d’actualité, Que nous assistons, comme finale de ce siècle, je ne dirai ainsi que ce fut dans le dernier, à des bouleversements, mais, hors de la place publique, à une inquiétude du voile dans le temple, avec des plis significatifs et un peu sa déchirure. Un lettré français, ses lectures interrompues à la mort de Victor Hugo, il y a quelques ans, ne peut, s’il les souhaite poursuivre, qu’être déconcerté. Hugo, dans sa tâche mystérieuse, rabattit toute la prose, philosophie, éloquence, histoire au vers, et, comme il était le vers personnellement, il confisqua chez qui pense, discourre ou narre, presque le droit à s’énoncer. Monument en ce désert, avec le silence loin; dans une crypte, la divinité ainsi d’une majestueuse idée inconsciente, à savoir que la forme appelée vers est simplement elle-même la littérature; que vers il y a sitôt que s’accentue la diction, rythme dès que style. Notre vers, je le crois, avec respect attendit que le géant qui l’identifiait à sa main tenace et plus ferme toujours de forgeron, vînt à manquer; pour, lui, se rompre. Toute la langue, ajustée à la métrique, y recouvrant ses coupes vitales, s’évade, selon une libre disjonction aux mille éléments simples; et, je l’indiquerai, pas sans similitude avec la multiplicité des cris d’une orchestration, qui reste verbale. La variation date de là: quoique en dessous et d’avance inopinément préparée par Verlaine, si fluide, revenu à de primitives épellations. Témoin de cette aventure, où l’on me voulut un rôle plus efficace malgré qu’il n’appartient à personne, j’y dirigeai, au moins, mon ardente attention; et il se fait temps d’en parler, préférablement à distance ainsi que ce fut presque anonyme. Accordez que la poésie française, probablement à cause de la primauté jadis assignée à l’inépuisable enchantement de la rime, dans l’évolution jusqu’à nous, s’atteste intermittente: elle brille un laps de soudanine jeunesse; l’épuise et attend. Extinction, plutôt usure jusqu’à montrer la trame, ressassemens, grisaille. Le besoin de poétiser, à mesure que l’interdisent des circonstances variées, a fait, maintenant, après un des orgiaques excès périodiques de presque un siècle ou comparable à l’unique Renaissance, quand le tour s’imposait de l’ombre et du refroidissement, pas du tout! que l’éclat diffère et continue; la retrempe, d’ordinaire cachée, s’exerce publiquement, par le recours à de délicieux à-peu-près. J’aimerais départager, sous un aspect triple, le traitement apporté au canon hiératique du vers; en graduant. Vous savez, notre prosodie, règles si brèves, intraitable d’autant: elle notifie plusieurs acte de prudence, dont l’hémistiche, et le moindre effort pour simuler la versification, à la manière des codes selon quoi s’abstenir de voler est la condition par exemple de droiture. Juste ce qu’il n’importe d’apprendre parce que ne pas l’avoir deviné par soi et d’abord affirme l’inutilité de s’y contraindre. Les fidèles à l’alexandrin, notre hexamètre, desserrent intérieurement ce mécanisme rigide et puéril de sa mesure; l’oreille, affranchie d’un compteur factice, éprouve une jouissance à discerner, seule, toutes les combinaisons possibles, entre eux, de douze timbres. Je juge ce goût très moderne. Un cas, aucunement le moins curieux, intermédiaire, que le suivant. Le poëte d’un tact aigu qui considère cet alexandrin toujours comme le joyau définitif, mais à ne sortir, épée ou fleur, que rarement et d’après quelque motif prémédité, y touche comme pudiquement ou se joue à l’entour, il en octroie de voisins accords, avant de le donner superbe et nu: laissant son doigté défaillir contre la onzième syllabe ou se propager jusqu’à une treizième maintes fois. M. Henri de Régnier excelle à ces accompagnements, de son invention, je sais, discrète et fière comme le talent qu’il instaura et révélatrice d’un transitoire trouble chez les exécutants jeunes devant l’instrument héréditaire. Autre chose, ou simplement le contraire, se décèle une mutinerie exprès, en la vacance du vieux moule fatigué, quand Jules Laforgue, pour le début, nous initia au charme certain du vers faux. Jusqu’à présent, ou dans l’un et l’autre des modèles précités, rien, que réserve et abandon, à cause de la lassitude amenée par un abus de la cadence nationale, dont l’emploi, ainsi que celui du drapeau, doit demeurer exceptionnel. Avec cette particularité toutefois amusante que des infractions volontaires ou de savantes dissonances en appellent à notre délicatesse, au lieu que se fût, il y a quinze ans à peine, le pédant, que nous demeurions, exaspéré, comme devant quelque sacrilège ignare! Je dirai que la réminiscence du vers strict hante ces jeux à côté et leur confère un profit. Toute la nouveauté s’installe, relativement au vers libre, pas tel que le six-septième siècle l’attribua à la fable ou l’opéra (ce n’était qu’un agencement, sans la strophe, de mètres divers et notoires) mais, nommons-le, comme il sied, «polymorphe»: et envisageons la dissolution maintenant du nombre officiel, en ce qu’on veut, à l’infini, pourvu qu’un plaisir s’y réitère. Tantôt une euphonie fragmentée selon l’assentiment du lecteur intuitif, avec une ingénue et précieuse justesse -M. Moréas; ou bien un geste, alangui, de songerie, sursautant, de passion, lequel suffit à scander -M. Viélé-Griffin; préalablement M. Kahn avec une notation systématique de la valeur tonale des mots. Je ne donne de noms, il en est d’autres typiques, ceux de MM. Charles Morice, Verhaëren, Dujardin, Maëterlinck, Mockel, Retté, que comme preuves à mes dires, afin qu’on se reporte aux publications. Le remarquable est que, pour la première fois, au cours de l’histoire littéraire d’aucun peuple, concurremment aux grandes orgues générales et séculaires, où s’exalte, d’après un latent clavier, l’orthodoxie, quiconque avec son jeu et son ouïe individuels se peut composer un instrument, dès qu’il souffle, le frôle ou frappe avec science; en user à part et le dédier aussi à la Langue. Une haute liberté littéraire d’acquise, la plus neuve: je ne vois, et ce reste mon intense opinion, effacement de rien qui ait été beau dans le passé, je demeure convaincu que dans les occasions amples on obéira toujours à la tradition solennelle, dont la prépondérance relève du génie classique: seulement lorsqu’il n’y aura pas lieu, à cause d’une sentimentale bouffée ou pour une anecdote, de déranger les échos vénérables, on regardera à le faire. Toute âme est une mélodie, qu’il s’agit de renouer; et pour cela, sont la flûte ou la viole de chacun. Selon moi jaillit tard une condition vraie ou la possibilité, de s’exprimer non seulement, mais de se moduler, à son gré. Quelque étonnement, peut-être, que l’annonce d’une révolution d’ordre littéraire aboutisse à constater un changement dans l’artifice ou moyen par excellence, le vers: en effet, un souci musical domine et je l’interpréterai selon sa visée la plus large. Symboliste, Décadente ou Mystique, les Écoles se déclarant ou étiquetées en hâte par notre presse d’information, adoptent, comme rencontre, le point d’un Idéalisme qui (pareillement aux fugues, aux sonates) refuse les matériaux naturels et, comme brutale, une pensée directe les ordonnant; pour ne garder de rien que la suggestion. Instituer une relation entre les images, exacte, et que s’en détache un tiers aspect fusible et clair présenté à la divination.. Abolie, la prétention, esthétiquement une erreur, malgré qu’elle régit presque tous les chefs-d’oeuvre, d’inclure au papier subtil du volume autre chose que par exemple l’horreur de la forêt, ou le tonnerre muet épars au feuillage: non le bois intrinsèque et dense des arbres. Quelques jets de l’intime orgueil véridiquement trompettés éveillent l’architecture du palais, le seul habitable; hors de toute pierre, sur quoi les pages se refermeraient mal. Parler n’a trait à la réalité des choses que commercialement: en littérature, cela se contente d’y faire une allusion ou de distraire leur qualité qu’incorporer quelque idée. À cette condition s’élance le chant qu’il soit la joie d’être allégé! » Voilà, constatation à quoi je glisse comment, dans notre langue, les vers ne vont que par deux ou à plusieurs, en raison de leur accord final, soit la loi mystérieuse de la Rime, qui se révèle avec la fonction de gardienne du sanctuaire et d’empêcher qu’entre tous un n’usurpe, ou ne demeure péremptoirement: en quelle pensée fabriqué celui-là! peu m’importe, attendu que sa matière aussitôt, gratuite discutable et quelconque, ne produirait de preuve à se tenir dans un équilibre momentané et double à la façon du vol, identité de deux fragments constitutifs remémorée extérieurement par une parité dans la consonnance[2]. Tout ce qu’on reconnaît écrit dans l’acceptation technique, soit phrasé, comporte une mélopée: l’écriture n’étant que la fixation du chant immiscé au langage et lui-même persuasif du sens.» » Un désir indéniable à ce temps est de séparer comme en vue d’attributions différentes le double état de la parole, brut ou immédiat ici, là essentiel. » Narrer, enseigner, même décrire, cela va et encore qu’à chacun suffirait peut-être, pour échanger la pensée humaine, de prendre ou de mettre dans la main d’autrui en silence une pièce de monnaie, l’emploi élémentaire du discours dessert l’universel reportage dont, la littérature exceptée, participe tout entre les genres d’écrits contemporains. » À quoi bon la merveille de transposer un fait de nature en sa presque disparition vibratoire selon le jeu de la parole, cependant: si ce n’est pour qu’en émane, sans la gêne d’un proche ou concret rappel, la notion pure? » Je dis: une fleur! et hors de l’oubli où ma voix relègue aucune couleur, en tant que quelque chose d’autre que les calices sus, musicalement se lève, idée même et suave, l’absente de tous bouquets. » Au contraire d’une fonction de numéraire facile et représentatif, comme le traite d’abord la foule, le dire, avant tout rêve et chant, retrouve chez le poëte, par nécessité constitutive d’un art consacré aux fictions, sa virtualité. » Le vers qui de plusieurs vocables refait un mot total, neuf, étranger à la langue et comme incantatoire, achève cet isolement de la parole: niant, d’un trait contraire, le hasard demeuré aux termes malgré l’artifice de leur retrempe alternée en le sens et la sonorité, et nous cause cette surprise de n’avoir ouï jamais tel fragment ordinaire d’élocution, en même temps que la réminiscence de l’objet nommé baigne dans une neuve atmosphère.» » Ainsi lancé de soi le principe qui n’est rien, que le Vers! attire non moins que dégage pour son jaloux épanouissement (l’instant qu’ils y brillent et meurent dans une fleur rapide, sur quelque transparence comme d’éther) les mille éléments de beauté pressés d’accourir et de s’ordonner dans leur valeur essentielle. Signe au gouffre central d’une spirituelle impossibilité que quelque chose soit divin exclusivement à tout, le numérateur sacré du compte de notre apothéose, Vers enfin suprême qui n’a pas lieu en tant que moule d’aucun objet qui existe: mais il emprunte, pour y aviver son sceau nul, tous gisements epars, ignorés et flottants, selon quelque richesse, et les forger.» L’oeuvre pure implique la disparition élocutoire du poëte, qui cède l’initiative aux mots, par le heurt de leur inégalité mobilisés; ils s’allument de reflets réciproques comme une virtuelle traînée de feux sur des pierreries, remplaçant la respiration perceptible en l’ancien souffle lyrique ou la direction personnelle enthousiaste de la phrase. Ce caractère approche de la spontanéité de l’orchestre. Pour achever, je ne m’assieds jamais aux gradins des concerts, sans percevoir parmi l’obscure sublimité telle ébauche de quelqu’un des poèmes immanents à l’humanité ou leur originel état, d’autant plus compréhensif que nul: et que pour en déterminer la vaste ligne le compositeur éprouva cette facilité de suspendre jusqu’à la tentation de s’expliquer. Je me figure par un indéracinable sans doute préjugé d’écrivain, que rien ne demeurera sans être proféré; que nous en sommes là, précisément, à rechercher, devant une brisure des grands rythmes littéraires (il en a été question plus haut) et leur éparpillement en frissons articulés proches de l’instrumentation, un art d’achever la transposition, au Livre, de la symphonie ou uniment de reprendre notre bien: car, ce n’est pas de sonorités élémentaires par les cuivres, les cordes, les bois, indéniablement mais de l’ intellectuelle parole à son apogée que doit, avec plénitude et évidence, résulter, en tant que l’ensemble des rapports existant dans tout, la Musique. Seconde Divagation. Cérémonials. »Quelle représentation, le monde y tient: un livre, dans notre main, s’il énonce quelque idée auguste, supplée à tous les théâtres, non par l’oubli qu’il en cause, mais les rappelant impérieusement, au contraire. Le ciel métaphorique qui se propage à l’entour de la foudre du vers, artifice évocateur par excellence au point de simuler peu à peu et d’incarner les héros eux-mêmes (juste dans ce qu’il faut apercevoir pour n’être pas gêné de leur présence, bref le mouvement), ce spirituellement et magnifiquement illuminé fond d’extase, c’est, c’est bien le pur de nous-mêmes par nous porté, toujours prêt à jaillir à l’occasion laquelle dans l’existence ou hors l’art fait toujours défaut. Musiques certes que l’instrumentation d’un orchestre tend à reproduire seulement et à feindre. Admirez dans sa toute-puissante simplicité ou foi en un moyen vulgaire et supérieur, l’élocution, puis la métrique l’affinant à une expression dernière, comme quoi un esprit qui se réfugia au vol de plusieurs feuillets, défie la civilisation négligeant de construire à son rêve, faute du motif qu’elles aient lieu, la salle prodigieuse et la scène. Le mime absent et finales ou préludes aussi par les bois, les cuivres et les cordes, il attend, cet esprit placé au-delà des circonstances, l’accompagnement obligatoire d’arts, ou s’en passe. Seul venu à l’heure parce que l’heure est sans cesse aussi bien que jamais, à la façon d’un messager, du geste il apporte le livre ou sur ses lèvres, avant que de s’effacer; et l’être qui retient l’éblouissement général, le multiplie chez tous, du fait de la communication. »La merveille d’un haut poème comme ici me semble que, naissent des conditions pour en autoriser le déploiement visible et l’interprétation, d’abord il s’y prêtera et ingénument au besoin ne remplace tout que faute de tout. »J’imagine que la cause de s’assembler, dorénavant, en vue de fêtes inscrites au programme humain, ne sera pas le théâtre, borné ou incapable tout seul de répondre à de très subtils instincts, ni la musique du reste trop fuyante pour ne pas décevoir la faute; mais à soi fondant ce que ces deux isolent de vague et de brutal, l’Ode, dramatisée par des effets de coupe savant: ces scènes héroïques ou une ode à plusieurs voix Oui, le culte promis à des Cérémonials songez quel il peut être, réfléchissez! Simplement l’ancien ou de tous temps, que l’afflux par exemple de la symphonie récente des concerts a cru mettre dans l’ombre, au lieu que c’est l’affranchir, installé mal sur les planches et l’y faire régner: aux convergences des autres arts située, issue d’eux et les gouvernant, la Fiction, ou Poésie.» »Une simple adjonction orchestrale change du tout au tout, annulant son principe même, l’ancien théâtre, et c’est comme strictement allégorique, que l’acte scénique maintenant, vide et abstrait en soi, impersonnel, a besoin, pour s’ébranler avec vraisemblance, de l’emploi du vivifiant effluve qu’épand la Musique. »Sa présence, rien de plus! à la Musique, est un triomphe, pour peu qu’elle ne s’applique point, même comme leur élargissement sublime, à d’antiques conditions, mais éclate la génératrice de toute vitalité: un auditoire éprouvera cette impression que, si l’orchestre cessait de déverser son influence, l’idole en scène resterait, aussitôt, statue.» »Le Ballet illustre ce principe, mais si médiocrement aujourd’hui, que sied de ne pas insister sur son apport délicieux. »L’unique entraînement imaginatif consiste aux heures ordinaires de fréquentation dans les lieux de danse, sans visée quelconque préalable, patiemment et passivement, à se demander devant tout pas, chaque attitude si étranges, ces pointes et taquetés, allongés ou ballons «Que peut signifier ceci» ou mieux, d’inspiration, le lire. À coup sûr on opèrera en pleine rêverie, mais adéquate: vaporeuse, nette et ample, ou restreinte, telle seulement que l’enferme en ses circuits ou la transporte par une fugue la ballerine illettrée se livrant aux jeux de sa profession. Oui, celle-là (serais-tu perdu en une salle, spectateur très étranger, Ami) pour peu que tu déposes avec soumission à ses pieds d’inconsciente révélatrice ainsi que les roses qu’enlève et jette en la visibilité de régions supérieures au jeu de ses chaussons de satin pâle vertigineux, la Fleur d’abord de ton poétique instinct, n’attendant de rien autre la mise en évidence et sous le vrai jour des mille imaginations latentes: alors, par un commerce dont son sourire paraît verser le secret, sans tarder elle te livre à travers le voile dernier qui toujours reste, la nudité de tes concepts et silencieusement écrira la vision à la façon d’un Signe, qu’elle est.» Une belle réjouissance d’à présent, due aux sortilèges divers de la Poésie, ne vaut, que mêlée à un fonctionnement de capitale, et en résulte; comme apothéose. L’État, en raison de sacrifices inexpliqués et conséquemment relevant d’une foi, exigés de l’individu, ou notre insignifiance, doit un apparat: c’est improbable, en effet, que nous soyons, vis-à-vis de l’absolu, les messieurs qu’ordinairement nous paraissons. Une royauté environnée de prestige militaire, suffisant naguère publiquement, a cessé: et l’orthodoxie de nos élans pyschiques, qui se perpétue, remise au clergé, souffre d’étiolement. Néanmoins pénétrons-y, en dilettante: et si (le sait-on) la fulguration de chants antiques jaillis consumait l’ombre et illuminait quelque divination longtemps voilée, lucide tout à coup et en rapport avec une joie à instaurer. Toujours est-il que, dans cette église, se donne un mystère: où, à quel degré en reste-t-on spectateur, et présume-t-on y avoir un rôle? Je néglige, notez, tout aplanissement chuchoté par la doctrine, et m’en tiens aux solutions que proclame l’éclat liturgique. Non que j’écoute en amateur peut-être soigneux; excepté pour admirer comment, dans la succession de ces antiennes, proses ou motets, la voix, celle de l’enfant et de l’homme, disjointe, mariée, nue ou exempte d’accompagnement autre qu’une touche au clavier pour y poser l’intonation, évoque, à l’âme, l’existence d’une personnalité multiple et une, mystérieuse et rien qu’idéale. Quelque chose comme le Génie, aventureux, sans commencement ni chute, simultané, écho de soi, en l’arabesque de son intuition supérieure: il se sert des exécutants, par quatuor, duo, etc., ainsi que des puissances d’un unique instrument l’aidant à jouer la virtualité. Contrairement par exemple aux usages d’opéra; où tout advient pour rompre la céleste liberté de la mélodie, sa condition, et l’entraver par la vraisemblance du développement régulier humain. Ainsi même contradictoirement m’obséde, parmi le plaisir, une assimilation d’effets extraordinaires retrouvés ici et de quelque rite pour nos fastes futurs attribuable peut-être au théâtre et j’ai le sentiment, dans ce sanctuaire, d’un agenecement dramatique exact, comme je sais que ne le montra autre part jamais séance constituée pour un tel objet. Suivez, trois éléments, ils se commandent. La nef avec un peuple je ne dirai d’assistants, c’est d’élus: quiconque y peut de la source la plus humble du gosier jeter aux voûtes le répons en latin incompris mais exultant, participe entre tous et pour lui, de la sublimité se reployant vers le choeure: car tel est le miracle de chanter qu’on se projette à la hauteur où va le cri. Dites si artifice, préparé mieux et pour beaucoup, égalitaire, que cette communion, je parle au sens esthétique, avec le héros du Drame divin. Une remarque est, que le prêtre céans n’a qualité d’acteur, il officie: désigne et recule la présence mythique avec qui on vient se confondre; loin de l’obstruer du même intermédiaire que le comédien, qui arrête la pensée à son encombrant personnage. Je finis par l’orgue, relégué aux portes, il exprime le dehors, un balbutiement de ténèbres énorme, dans cette exclusion du refuge, avant de s’y déverser extasiées et pacifiées, l’approfondissant ainsi de l’univers entier et causant aux hôtes une plénitude de fierté et de sécurité. Telle, en l’authenticité de fragments distincts, la mise en scène de la religion d’état, par nul cadre encore dépassée et qui, selon une oeuvre triple, invitation directe à l’essence du type (ici, le Christ), puis invisibilité de celui-ci, enfin élargissement du lieu par vibrations jusqu’à l’infini, satisfait étrangement un souhait moderne philosophique et d’art. Et, j’oubliais la tout aimable gratuité de l’entrée. La première salle que possède la Foule, au Palais du Trocadéro, prématurée, mais intéressante avec sa scène réduite au plancher de l’estrade (tréteau et devant de choeur), son considérable buffet d’orgues et le public jubilant d’être là, indéniablement en une édifice voué aux fêtes, implique une vision d’avenir; or on a repris à l’église plusieur traits insciemment. La représentation, ou l’office, manque, voilà; deux termes, entre quoi, à distance voulue, hésitera toute pompe. Quand le vieux vice religieux, si glorieux, qui fut de dévier vers l’incompréhensible ou l’abscons les sentiments naturels, pour leur conférer une grandeur pure, se sera dilué aux ondes de l’évidence et du jour, cela ne demurera pas moins, que le dévouement à la Patrie, s’il doit trouver une sanction autre que sur le champ de bataille, dans quelque allégresse, requiert un culte; étant de piété. Considérons aussi que rien, en dépit de l’insipide tendance, ne se montrera exclusivement laïque, parce que ce mot n’élit pas précisément de sens. Solitaire autant que générale en surprises pour le poëte même, cette songerie restreinte par hasard, à quelques piliers de paroisse, perd de l’insolite, après un moment: la conclusion prévaut: en effet, c’était impossible que dans une religion, encore qu’à l’abandon depuis, la race n’eût pas mis sons secret intime d’elle ignoré. L’heure convient, avec le détachement nécessaire, d’y pratiquer les fouilles, pour exhumer d’anciennes et magnifiques intentions. »Si l’esprit français, strictement imaginatif et abstrait, donc poétique, jette un éclat, ce sera ainsi: il répugne, en cela d’accord avec l’Art dans son intégrité, qui est inventeur, à la Légende. Voyez-le, des jours abolis ne garder aucune anecdote énorme et fruste, comme par une prescience de ce qu’elle apporterait d’anachronisme dans une représentation théâtrale, Sacre d’un des actes de la Civilisation[3]. À moins que cette Fable, vierge de tout, lieu, temps et personne sus, ne se dévoile empruntée au sens latent de la présence d’un peuple, celle inscrite sur la page des Cieux et dont l’Histoire même n’est que l’interprétation, vaine, c’est-à-dire un poème, l’Ode. Quoi! le siècle, ou notre pays qui l’exalte, ont dissous par la pensée les Mythes, ce serait pour en refaire! Le Théâtre les appelle, non! pas de fixes, ni de séculaires et de notoires, mais un, dégagé de personnalité, car il figure notre aspect multiple: que de prestiges correspondant au fonctionnement de l’existence nationale, évoque l’Art, pour le mirer en nous. Type sans dénomination préalable, pour qu’en émane la surprise, son geste résume vers soi vos rêves de sites ou de paradis, qu’engouffre l’antique scène avec une prétention vide à les contenir ou à les peindre. Lui, quelqu’un! ni cette scène, quelque part (l’erreur connexe, décor stable et acteur réel du Théâtre manquant de la Musique): est-ce qu’un fait spirituel, l’épanouissement de symboles ou leur préparation, nécessite endroit, pour s’y développer, autre que le foyer fictif de vision dardé par le regard d’une foule! Saint des Saints, mais mental.. alors y aboutissent, dans quelque éclair suprême, d’où s’éveille la Figure que Nul n’est, chaque attitude mimique prise par elle-même à un rythme inclus dans la symphonie, et le délivrant! Alors viennent expirer comme aux pieds de cette incarnation, non sans qu’un lien certain les apparente ainsi à son humanité, ces raréfactions et ces somnités naturelles que la Musique rend, arrière-prolongement vibratoire de tout ainsi que la Vie. »L’Homme, puis son authentique séjour terrestre, échangent une réciprocité de preuves. »Ainsi le Mystère! »La Cité, qui donna à cette expérience sacrée un théâtre imprime à la terre le Sceau universel. »Quant à son peuple, c’est bien le moins qu’il ait témoigné du fait auguste, j’atteste la Justice qui ne peut que régner là! puisque cette orchestration de qui tout à l’heure sortit l’évidence du dieu ne synthétise jamais autre chose que les délicatesses et les magnificences, immortelles innées, qui sont à l’insu de tous dans le cours d’une muette assistance.» Source: http://www.poesies.net