Zénis Et Almaste. Par Nicolas De Chamfort. (1741-1794) (Sébastien-Roch Nicolas.) Ballet Héroique. Représenté Devant Sa Majesté, A Choisy, En Septembre 1773. TABLE DES MATIERES. Personnages. Scène I Scène II Scène III Scène IV Personnages. ZÉNIS. ALMASIE. LE GÉNIE. UNE VOIX. UNE PERSONNE DE LA FÊTE. CHOEUR DE GÉNIES ET DE FÉES. Le Théâtre représente un désert hérissé de rochers, et l'on voit au fond un volcan qui jette des feux. Scène I ZÉNIS, seul. C'est toi, cruel Amour, qui déchires mon coeur. Malgré le voile épais, qui couvre ma naissance, La reine de Memphis partageait mon ardeur. J'avais sauvé ses jours; et sa reconnaissance, En me donnant la main, couronnait ma valeur; Mais une barbare puissance M'a ravi cet objet si cher à mon bonheur. Je cherche en vain l'ennemi qui m'outrage: Mille obstacles affreux, mille dangers divers, S'offrent sans cesse à mon passage. Cependant une voix m'arrête en ces déserts, Et d'un sort moins cruel m'annonce le présage. C'est un piége fatal, peut-être, où l'on m'engage. N'importe. Fallût-il combattre les enfers, L'excès de mon amour servira mon courage. Que vois-je! contre moi déchaînent-ils leur rage? (Des monstres sortent des rochers.) UNE VOIX. Zénis, d'aucun danger ne sois épouvanté, Si tu veux être instruit de ta naissance. ZÉNIS, en mettant le sabre à la main. Je t'obéis, et ma constance Me fera triompher de mon adversité. (Il combat les monstres et les fait fuir. Un aigle paraît, et vole autour du théâtre.) LA MÊME VOIX. Zénis, suis cet aigle rapide, Et tu pourras revoir l'objet qui t'a charmé. ZÉNIS. Dieu des amans, c'est toi, c'est ta voix qui me guide; Par l'espoir le plus doux je me sens animé. Que vois-je?... ô fortune perfide! L'aigle s'est abîmé dans ces torrens de feux... (L'aigle s'abîme dans le volcan.) J'y vole, je m'expose au sort le plus affreux. Un coeur qui sait aimer est toujours intrépide. (Zénis se jette dans le volcan.) Scène II Le théâtre change, et représente un palais superbe. La princesse Almasie paraît endormie, au fond du théâtre, sous un pavillon magnifique. On voit, à côté d'elle, sur un riche carreau, un sceptre d'or. ZÉNIS, ALMASIE. ZÉNIS. Quel changement! où suis-je?... Et quel palais pompeux! Que vois-je?... Est-ce l'objet de l'amour le plus tendre? Aux transports que je sens pouvais-je me méprendre? C'est elle que le sort rend enfin à mes voeux. ALMASIE. Ciel! Zénis!... en quels lieux l'offrez-vous à ma vue? Ah! dissipez l'effroi de mon âme éperdue. Quel pouvoir vous a fait découvrir ce séjour? ZÉNIS. Puisque j'y revois Almasie, Je dois ce miracle à l'Amour. ALMASIE. Auriez-vous pu fléchir le souverain génie Qui commande en ces lieux, qui m'y tient asservie? ZÉNIS. Dieux! qu'entends-je?... Un génie est maître en ce palais? ALMASIE. O ciel! vous l'ignorez... quel orage s'apprête! Zénis, craignez-en les effets, Dérobez-vous à la tempête. ZÉNIS. Vous tremblez, il vous aime... ALMASIE. Et mon coeur en gémit. Il peut vous réduire en poudre; Il veut, et tout obéit; Sur les ailes des vents il fait voler la foudre; Il regarde la terre, et la terre frémit. De ses soupçons craignez la violence. ZÉNIS. Je ne crains que votre inconstance, Et je méprise son courroux. ALMASIE. Que dis-tu?... Fuis, Zénis, fuis ses transports jaloux. Il y va de tes jours, fuis des momens terribles. Le pouvoir du génie est prêt de t'accabler. Dans ce palais, des esprits invisibles Veillent sans cesse et peuvent t'immoler. S'ils touchaient seulement ce sceptre redoutable, Tu le verrais lui-même, au milieu des éclairs, Sur un char enflammé paraître dans les airs, Et tu serais l'objet de sa haine implacable. ZÉNIS. Vous cherchez vainement à me faire trembler. Je vous adore et brave sa puissance. ALMASIE. Je sens, à chaque instant, mes craintes redoubler... Tout semble s'animer pour venger son offense.... Ces colonnes, ces murs paraissent s'ébranler... Peut-être il n'est plus temps d'éviter sa vengeance. ZÉNIS. Non, je ne le crains point. (en brisant le sceptre.) Qu'il paraisse. (Dès que le sceptre est brisé, on entend une tempête affreuse; le théâtre s'obscurcit, le tonnerre gronde.) ALMASIE. Ah! grands dieux! ZÉNIS. Je veux en triompher, ou périr à vos yeux. CHOEUR D'ESPRITS INVISIBLES. O crime épouvantable! O jour funeste! jour affreux! Tu vas périr, mortel audacieux! La foudre va partir, et punir le coupable; Tu vas périr, mortel audacieux! Scène III LE GÉNIE, paraissant dans les airs, sur un char de feu, ALMASIE, ZÉNIS. ALMASIE. Je me meurs. LE GÉNIE. Quel spectacle à mes yeux se présente? Almasie éperdue et mon sceptre brisé! Punissons, punissons une audace insolente: Vengeons mon pouvoir méprisé. Ministres de mes lois, venez, servez ma rage; Paraisses, enchaînez l'ennemi qui m'outrage. Scène IV TROUPE DE GÉNIES, LE GÉNIE, ALMASIE, ZÉNIS. CHOEUR DE GÉNIES. Nous t'obéissons, Tu connais le crime. Nous en frémissons, Frappe ta victime. ALMASIE. Juste ciel! LE GÉNIE. Tu devrais mieux cacher ta douleur, Voilà donc le rival qui règne dans ton âme? C'est lui qui m'enlève ton coeur, Et qui fait mépriser mes bienfaits et ma flâme. ALMASIE. Ah! seigneur, écartez des soupçons odieux. LE GÉNIE. Quel est donc son projet? et quel pouvoir suprême L'a fait pénétrer en ces lieux? ALMASIE. Hélas! je l'ignore moi-même. LE GÉNIE. Je te soupçonne, j'en gémis; Mais s'il n'est pas l'objet de ton amour extrême, Prends ce fer; frappes... tu frémis! (Il lui donne un poignard.) Ah! perfide, tu me trahis. ALMASIE. M'oses-tu proposer un forfait que j'abhorre? Pour calmer ta fureur, j'immolerais Zénis!... J'immolerais ce que j'adore! ZÉNIS. Ah! cet aveu me venge, et je brave le sort. LE GÉNIE. Et toi, tu m'offenses encore: C'est donc à moi de te donner la mort. ALMASIE. Barbare... arrête: S'il faut du sang pour t'appaiser, Donne; ma main est toute prête: (Elle veut arracher le poignard, pour s'en frapper.) C'est le mien que je vais verser. LE GÉNIE, faisant signe aux Génies de se retirer. C'est assez. Il est temps de me faire connaître. Tendres amans, vos tourmens sont finis. J'ai su vous éprouver. Ton courage, Zénis, Annonce à l'univers le sang qui l'a fait naître. (à Almasie.) Et vous, de votre coeur je connais tout le prix; Soyez heureuse enfin, vous méritez de l'être; Pardonnez-moi vos maux, je vous donne mon fils. ALMASIE. Votre fils!... ZÉNIS. Vous mon père! Ah! pourquoi si long-temps m'en avoir fait mystère! LE GÉNIE. Ma tendresse, mon fils, m'en imposa la loi. La nature toujours rend la naissance égale. Ce n'est qu'en s'illustrant qu'on met un intervale Entre tous les mortels et soi. S'ils ne gravent leur nom au temple de mémoire, Les enfans des héros sont dans l'obscurité; C'est par sa propre gloire Que l'on détruit l'égalité. ZÉNIS. Amour, voilà l'effet de tes divins oracles. LE GÉNIE. Ils n'étaient dictés que par moi. J'ai voulu t'opposer des dangers, des obstacles; J'ai vu ton âme incapable d'effroi, Et je viens partager mon empire avec toi. ZÉNIS. A vos bienfaits déjà mon coeur ne peut suffire. Almasie est à moi. Puis-je former des voeux? Mon père, en couronnant mes feux, Vous avez fait bien plus que me donner l'empire. LE GÉNIE. Votre bonheur, mon fils, est tout ce que je veux. ALMASIE, ZÉNIS. Triomphe, Amour, règne sur nous sans cesse, Dans nos coeurs lance tous tes traits; Que chaque jour notre bonheur renaisse, Nous le devons à tes bienfaits. LE GÉNIE. (La fête commence.) Chantez l'Amour; célébrez sa victoire; Il est le plus charmant des dieux: Il soutient son empire, en comblant tous vos voeux, C'est le plaisir qui prend soin de sa gloire. LE CHOEUR. Chantons l'amour, etc. LE GÉNIE. Esprits sous mes lois réunis, Pour votre roi, reconnaissez mon fils. Qu'il déchaîne les vents, qu'il lance le tonnerre, Qu'il soulève et calme les mers, Qu'il règne sur tout l'univers, Et soit l'arbitre de la terre. ZÉNIS. Mon pouvoir va me rendre heureux. Devenez immortelle, adorable Almasie; Que vos attraits, que votre vie Durent autant que l'excès de mes feux. ALMASIE. Si vous m'êtes fidèle, Que mon bonheur sera parfait! Mon immortalité ne peut être un bienfait, Qu'en vous voyant brûler d'une amour éternelle. ZÉNIS. Partagez mes suprêmes droits, Et régnez dans les Cieux, sur la terre et sur l'onde. Il est plus doux d'obéir à vos lois, Que d'en pouvoir donner au monde. ALMASIE. (On danse.) Les traits que l'amour lance Sont toujours des traits vainqueurs; Il règne sur tous les coeurs, Pourquoi lui faire résistance? Cédons au plus charmant des dieux; L'effort qu'on fait pour se défendre Ne sert qu'à rendre Son triomphe plus glorieux. Les traits, etc. ALMASIE, alternativement avec le choeur. Est-il sans aimer, Des biens qu'un coeur désire? Non: l'amour seul peut charmer; Doit-on s'alarmer Des transports qu'il inspire? Non, laissons-nous enflammer. CHOEUR. Est-il sans aimer, etc. ALMASIE. Dans ces lieux il choisit son empire; L'air qu'on y respire Est rempli de ses feux; Au tendre délire, Aux soins amoureux, Cédons, ici tout conspire Pour nous rendre heureux. CHOEUR. Est-il sans aimer, etc. ALMASIE. Dans ses chaînes, S'il est quelques peines, Les soupirs Font naître les plaisirs. Aimons, sans nous contraindre; Doit-on craindre, Sous ses lois, Quand on fait un bon choix? Que nos voix Célèbrent son empire; Qu'on entende dire Mille et mille fois: CHOEUR. Est-il sans aimer, Des biens qu'un coeur désire? Non, l'amour seul peut charmer; Doit-on s'alarmer Des transports qu'il inspire? Non, laissons-nous enflammer. (Ballet général.) Source: http://www.poesies.net