Sonnets, Odes Et Stances. Par Siméon-Guillaume De La Roque. (1551-1611) TABLE DES MATIERES. SONNETS. Je vous avais donné tous les dons que les cieux... Puisque mon espérance est à l'extrémité... Augmentez mes tourments, faites languir mon âme... Deux femmes aujourd'hui me donnent espérance... Madame, ce matin je vous offre une fleur... Bel albâtre vivant qu'un fin crêpe nous cache... Amour trouva Diane en la claire fontaine... Celui qui va disant que la mort inhumaine... Doux sommeil enchanteur qui silles la paupière... Je me vais comparant à la mer vagabonde... Amour m'a fait un second Prométhée... Je pensais que mon coeur échappé du naufrage... Je suis en ces déserts l'amoureuse Clytie... Je suis le triste oiseau de la nuit solitaire... J'étais en liberté quand celle qui m'engage... Las! on dit que La Roque a l'humeur solitaire... Niobé, tes enfants jadis furent heureux... Ô misérable vie! ici bas agitée... Ô toi qui fais séjour, orgueilleuse Sirène... Obscur vallon, montagne sourcilleuse... Parmi ces monts où séjourne l'ombrage... Puisqu'à si beau Soleil j'ai mon aile étendue... Puisque je reconnais que le ciel détermine... Puissante déité, redoutable Inconstance... Quand je veux mesurer votre auguste hautesse... Sentir d'un feu brûlant l'extrême violence... Sous les ombres du bois, au bord d'une fontaine... ODES ET STANCES. Or que la nuit et le silence... Ode A La Nuit. Plainte. Complainte. Stances. Stances Au Sommeil. SONNETS. Je vous avais donné tous les dons que les cieux... Je vous avais donné tous les dons que les cieux Peuvent jamais donner à quelque grand' déesse, L'honneur, la majesté, la grâce et la hautesse, Les appas pour charmer les hommes et les dieux. Je parais votre sein de beaux lys gracieux, Vous donnant de Vénus l'oeil, la bouche et la tresse, De feux d'amour, d'attraits, j'avais rempli vos yeux, Faisant votre beauté des beautés la maîtresse. Mais vous voyant depuis aimer le changement, Je pris au repentir un prompt allègement, Et livrai comme vous une chance nouvelle. Lors je rompis les fers qui me tenaient sujet, Et mes yeux maintenant ne vous trouvent plus belle, Car j'ai repris les dons que je vous avais faits. Puisque mon espérance est à l'extrémité... Puisque mon espérance est à l'extrémité, Triste et cruelle fin de vous tant désirée, Puisque vous me voyez par votre cruauté N'être plus qu'une cendre au tombeau préparée, Ressemblez cette reine et son coeur indompté, Qui de son cher mari but la cendre honorée. Faite ainsi de la mienne, ô divine beauté, Récompensant la foi que je vous ai jurée. Ainsi vous éteindrez la soif et le désir De l'extrême rigueur où vous prenez plaisir, Réchauffant la froideur dont votre âme est gelée. Lors que j'estimerais ma mort et ma langueur, Que j'aurais un superbe et riche mausolée, Si mes cendres étaient closes dans votre coeur! Augmentez mes tourments, faites languir mon âme... Augmentez mes tourments, faites languir mon âme, Joignez votre mépris aux rigueurs de mon sort, Au lieu de votre objet faites-moi voir la mort, Et trempez de poison la flèche qui m'étonne. Soyez sourde à mes cris lorsque je vous réclame, Me remplissant de crainte au lieu de réconfort, Émouvez la tempête et m'éloignez du port, Opposez votre glace à l'ardeur qui m'enflamme, Ces langueurs, ces dédains que l'on me voit pâtir, Ne pourront de mon coeur votre amour divertir, Ni moins de mes désirs faire tomber les ailes. Comme vous surpassez les autres en beauté, Je veux être un Phénix entre les plus fidèles, Malgré le sort, l'envie et votre cruauté. Deux femmes aujourd'hui me donnent espérance... Deux femmes aujourd'hui me donnent espérance De vaincre la rigueur de mon amoureux sort, L'une est ma belle dame où Amour tient son fort, La seconde Atropos qui notre fin avance. Deux puissants Dieux aussi me donnent assurance De porter à mon mal quelque peu de confort, Amour est le premier, le second est la Mort, D'où j'attends ou plaisir ou fin de ma souffrance. Deux eaux, l'une Léthé et l'autre de pitié, Allégeront mon coeur qui brûle d'amitié, Par grâce ou par oubli malgré mon aventure. A deux pierres encor gît mon dernier espoir, Au marbre de son coeur qu'on ne peut émouvoir, Ou celle de la tombe et de la sépulture. Madame, ce matin je vous offre une fleur... Madame, ce matin je vous offre une fleur Qui du sang de Narcis a pris son origine: Pour vous y comparer Amour vous la destine, Et vous vient consacrer son tige et sa couleur. Vous semblez un Narcis de grâce et de rigueur, Il avait comme vous l'apparence divine, De sa vive beauté l'onde fut la ruine, Et je crains qu'un miroir cause votre malheur! De moi je suis Écho dolente forestière, Qui va cherchant partout votre grâce meurtrière Pour trouver du relâche à ma captivité, Mais vous voyant toujours plus fière et inhumaine, Je désire sans plus que je sois la fontaine Où les dieux puniront votre sévérité. Bel albâtre vivant qu'un fin crêpe nous cache... Bel albâtre vivant qu'un fin crêpe nous cache, Qui vas toute blancheur ici-bas surpassant, Admirable perron où l'amour tout-puissant Les plus rebelles coeurs pour son trophée attache, Il faut que je t'admire, encore que je sache Que cent mille rigueurs à l'entour vont croissant, D'où s'élance un grand feu qui nous rend languissant, Et qui brûle plus fort, plus de l'éteindre on tâche. Ô merveilleux autel! Que je serais heureux D'être offert pour victime et brûler amoureux, Après avoir touché ces divines reliques. L'on ne pourrait nommer ce trépas inhumain, Scévole amant songeant des affaires publiques, Pour un moindre sujet laissa brûler sa main. Amour trouva Diane en la claire fontaine... Amour trouva Diane en la claire fontaine, Lorsqu'elle se baignait dans les flots argentés, Sans crainte d'être vue en ces bois écartés Où jadis le chasseur perdit la forme humaine. Lors il prit en sa trousse une flèche inhumaine, Pensant bien entamer ses diverses beautés, Comme il fit à Phébus par ses traits indomptés, Quand il suivait Daphné qui fuyait par la plaine. Diane dit soudain, se réclamant aux Dieux: Tâcheras-tu sans cesse, enfant malicieux, De troubler mon repos par ta maudite flamme? A l'instant dans les flots sa main elle plongea, Et lui jetant l'eau claire, en souci le changea. Du depuis cette fleur n'a point laissé mon âme. Celui qui va disant que la mort inhumaine... Celui qui va disant que la mort inhumaine Délivre un amoureux des liens de l'amour Est privé de raison comme les nuits du jour, Il ne sentit jamais le mal qui me pourmène, Car la mort ne saurait pour arroser la plaine Du sang d'un pauvre coeur où ce dieu fait séjour, Faire que ce tyran, ce rigoureux vautour, Ne lui fasse sentir des feux et de la peine. Las! Je mourus un jour entamé de ses traits, Mais je revins en vie incontinent après, Merveille qu'un mortel ne put jamais comprendre. Bref tout mort et transi je souffris du tourment, Et donc il est certain que la mort d'un amant Est la mort du Phénix qui renaît de ses cendres. Doux sommeil enchanteur qui silles la paupière... Doux sommeil enchanteur qui silles la paupière De celle que je vois doucement reposer, Veuille d'avec son coeur la haine diviser Qui la rend contre moi si cruelle et si fière, Fais-lui voir en songeant mon âme prisonnière Qu'un brûlant repentir vient partout embraser, Et si cela ne peut son courroux apaiser, Fais-moi voir à ses pieds sans vie et sans lumière. Si son coeur songe aux eaux, baigne-la dans mes pleurs, Aux peines des damnés, fais-lui voir mes douleurs, S'il songe dans le feu, las! montre-lui ma flamme, Si rêvant tu l'amènes à l'infernal séjour, Dans le fleuve Léthé, au moins, plonge son âme. Fais oublier sa haine et non pas son amour! Je me vais comparant à la mer vagabonde... Je me vais comparant à la mer vagabonde Où vont toutes les eaux de ce grand univers, Parce que mes ennuis et mes soucis divers Descendent de mon coeur d'une fuite seconde. La mer pour le tribut qui de son sein abonde Ne surpasse jamais ses hauts bords découverts, Et pour extrême flux de mes tourments soufferts, Mon coeur ne peut sortir des limites du monde. Si les vents par la mer font émouvoir les flots, Mon coeur est agité de mes cruels sanglots. L'un est sujet d'Amour, et l'autre de Neptune, Ils s'arrosent tous deux d'une amère liqueur, Il est vrai que la mer parfois est sans fortune, Mais las! je sens toujours la tempête en mon coeur. Amour m'a fait un second Prométhée... Amour m'a fait un second Prométhée Que le vautour va sans fin dévorant, Un papillon qui va s'enamourant De la clarté qui lui est présentée, Un seul Phénix à la flamme apprêtée Qui pour autrui tout soudain va mourant, Icare aussi dont la chute éventé Refroidit ceux qui haut vont aspirant, Je suis encore un Tantal' misérable, Sisyph' courbé sous le faix qui l'accable, L'oiseau qui chante approchant son trépas, Bref il m'a fait semblable à la tortue, Car des beautés que j'adore ici-bas Tant seulement j'en jouis par la vue. Je pensais que mon coeur échappé du naufrage... Je pensais que mon coeur échappé du naufrage Dût être maintenant un peu plus avisé, Mais quoi! plus on le trompe et moins il est rusé, Plus il vieillit au monde et moins il devient sage. Revoyant la mer calme et le ciel sans nuage Il se remit au vent qui l'avait maitrisé: Hélas il te faudrait, pauvre coeur abusé, Avoir de la fortune autant que de courage! Combien as-tu de fois tourné l'oeil vers le port, Étant loin d'espérance et proche de la mort, Réclamant les hauts dieux touché de repentance? Mais te voyant sauvé des flots audacieux, Tu te ris de Forage et des vents furieux: Car du péril passé morte est la souvenance. Je suis en ces déserts l'amoureuse Clytie... Je suis en ces déserts l'amoureuse Clytie, Qui suis jusques au soir mon Soleil radieux, Dont la jalouse ardeur d'un amour furieux Fut cause que je suis en souci convertie. Quand de mon horizon sa lumière est partie, Et que l'obscure nuit la dérobe à mes yeux, De pleurs j'émeus la terre et de soupirs les cieux, Tant que par son retour ma peine est divertie. Je n'ai que ce relâche au malheur qui me suit, Le jour je me consomme et vais mourant la nuit, Près ou loin que je sois de l'astre qui m'enflamme. Près, j'aime mieux souffrir. Car par l'éloignement, J'enferme, en me fermant au profond de mon âme, L'ennui, le désespoir, l'horreur et le tourment. Je suis le triste oiseau de la nuit solitaire... Je suis le triste oiseau de la nuit solitaire, Qui fuit sa même espèce et la clarté du jour, De nouveau transformé par la rigueur d'Amour, Pour annoncer l'augure au malheureux vulgaire. J'apprends à ces rochers mon tourment ordinaire, Ces rochers plus secrets où je fais mon séjour. Quand j'achève ma plainte, Écho parle à son tour, Tant que le jour survient qui soudain me fait taire. Depuis que j'eus perdu mon soleil radieux, Un voile obscur et noir me vint bander les yeux, Me dérobant l'espoir qui maintenait ma vie. J'étais jadis un aigle auprès de sa clarté, Telle forme à l'instant du sort me fut ravie, Je vivais de lumière, ore d'obscurité. J'étais en liberté quand celle qui m'engage... J'étais en liberté quand celle qui m'engage Dessous un voile blanc me cachait ses beaux yeux, Mais las! c'était en vain, car l'épais d'un nuage Ne le saurait cacher comme l'astre des cieux. Puis opposant ma vue à ses rais gracieux, Je la suivais partout sans prévoir mon dommage. Je lui fis déplaisir d'être si curieux, Elle de me blesser m'en fit bien davantage. Je sais que son dessein n'était pas de me voir, Pour son sujet aimé, réduit au désespoir, Ni mon coeur de se rendre en son obéissance. Bien qu'elle me cachât les traits de sa beauté, Ce n'était, je le crois, rigueur ni cruauté, Mais c'était du pays la coutume et l'usance. Las! on dit que La Roque a l'humeur solitaire... Las! on dit que La Roque a l'humeur solitaire, Et qu'on le voit toujours dans un bois écarté. Mais si quelqu'un savait comme il est tourmenté, Il plaindrait le destin qui lui est si contraire. S'il cherche pour demeure un sauvage repaire, Le silence, l'horreur, l'ombre, l'obscurité, C'est que le beau soleil qui cause sa clarté Luit ailleurs, le privant de son jour salutaire. Las! ce n'est plus qu'un corps privé de sentiment, Où la Mort et l'Amour n'ont nul commandement. La Mort a pris sa vie et l'Amour a son âme, La Mort n'a nul pouvoir sur un corps sans vigueur, L'Amour sur un amant déjà serf d'une dame. On ne perd pas deux fois et la vie et le coeur! Niobé, tes enfants jadis furent heureux... Niobé, tes enfants jadis furent heureux D'avoir été changés en rochers et en pierre, Avant que la beauté qui me livre la guerre Eût fait voir en naissant des effets amoureux. Car, depuis que ses yeux, ces astres rigoureux, Eurent de feux, d'attraits, rempli l'air et la terre, Il n'est rien de vivant que son regard n'enferre Et ne fasse mourir chétif et langoureux. Que n'ai-je vu Méduse au lieu de son visage! Las! Je serais exempt du tourment qui m'outrage, M'ayant changé en roc où la mort ne peut rien. Donc pensant à Gorgone et à sa face extrême, On devrait souhaiter qu'elle eût pour notre bien Ou l'oeil aussi hideux ou le pouvoir de même. Ô misérable vie! ici bas agitée... Ô misérable vie! ici bas agitée Comme sont les vaisseaux errant dessus les flots, Sujette au trait fatal de la fière Atropos, Des lâches ignorants si chère et souhaitée. Un chacun se propose en son âme flattée De posséder son bien, d'en jouir en repos, Mais leur espoir s'enfuit au vent de ces propos: Car le temps nous abuse en forme d'un Protée. Ô vie! ô triste mort! en langueur finissant, Rude, fière et tragique en son règne glissant, Vie enfin que le temps, et la fortune envie, Quand nous te regrettons, hélas! nous avons tort, Vu qu'il n'est rien ici de moins sûr que la vie, Ni de plus assuré que l'arrêt de la mort. Ô toi qui fais séjour, orgueilleuse Sirène... Ô toi qui fais séjour, orgueilleuse Sirène, Sur l'océan des pleurs des plus fermes amants, Qui fais briser ma nef sur des rochers d'aimant Où mon espoir flatteur me conduit et me mène, Hé! verrai-je sans fin une espérance vaine Tromper mes tristes jours qui se vont consommant, Ne verrai-je jamais du repos à ma peine Près de vos yeux qui vont mes désirs allumant? Par votre douce voix mon âme fut charmée Et se vit sous le piège à l'instant enfermée, Comme les oisillons sont pipés par les bois. Hélas! si ma prison me doit être éternelle, Retenant ma franchise au pouvoir de vos lois, Faites donc qu'elle soit aussi douce que belle. Obscur vallon, montagne sourcilleuse... Obscur vallon, montagne sourcilleuse Qui vers Phoebus tient opposé le dos, Nuit solitaire, hôtesse du repos, Démons voisins de l'onde stygieuse, Rocher pierreux, et vous caverne hideuse Où les lions et les ours sont enclos, Hiboux, corbeaux, augures d'Atropos, Le seul objet d'une âme malheureuse, Triste désert du monde abandonné, Je suis esprit à grand tort condamné Aux feux, aux cris d'un Enfer ordinaire, Et viens à vous pour lamenter mon sort, Fléchir le Ciel, ou, s'il ne se peut faire, Mouvoir l'Enfer, les Parques, et la Mort. Parmi ces monts où séjourne l'ombrage... Parmi ces monts où séjourne l'ombrage, L'asil' n'est point d'antre ni de rocher, Où jour et nuit ne me vaise chercher La mort pour fin de l'amour qui m'outrage. Il n'est aussi ni ruisseau ni bocage. Arbres ni fleurs que je puisse approcher, Qui de mon mal ne se laisse toucher, Oyant ma plainte et mon triste langage. Ces champs divers vont recevant mes pleurs, La voix d'Écho soupire mes douleurs, Contre mon sort ce ruisselet murmure. Rochers et bois, herbes, fleurs et ruisseaux, Vous connaîtriez le nombre de mes maux, Si vous voyez celle pour qui j'endure! Puisqu'à si beau Soleil j'ai mon aile étendue... Puisqu'à si beau Soleil j'ai mon aile étendue, Plus mon désir me pousse et m'élève là-haut, Plus je perds mon séjour, plus mon désir est chaud, Je méprise la terre et surmonte la nue. Je ne crains le malheur ni la perte connue Du jeune audacieux, ni son funèbre saut; Bien que je tombe ainsi, chétif, il ne m'en chaut: La mort pour tel dessein n'épouvante ma vue. Mon coeur s'écrie alors, étonné du danger: " Malheureux, où vas-tu si prompt et si léger? Toujours un repentir suit pareille entreprise. " Non, ne crains point, mon coeur, aide-moi seulement. Celui meurt au berceau qui son bonheur méprise, Et qui meurt comme nous vit éternellement. Puisque je reconnais que le ciel détermine... Puisque je reconnais que le ciel détermine Que je languisse encor en la captivité, Je me tiens bienheureux qu'une telle beauté Me cause en la servant le bien ou la ruine, Ainsi que j'aperçois que ma raison encline A rendre à vos beaux yeux toute ma liberté. Enfin il ne m'en chaut de me voir tourmenté, Puisque d'un tel sujet mon mal prend origine. La mort de Phaëton honora son désir. Si le péril est grand, tel sera le plaisir, Si je parviens au bout de l'espoir qui m'engage. Je vois bien que le sort conspire mon trépas, Mais j'aime mieux qu'on die avoir eu ici-bas Trop de présomption que trop peu de courage. Puissante déité, redoutable Inconstance... Puissante déité, redoutable Inconstance, Qui par tout l'Univers dissout nos liaisons, Fille unique du Temps, reine des horizons, Qui même des rochers brave la résistance, Enfin le grand Soleil aime ton inconstance, Et se plaît de la suivre en diverses maisons, Comme l'an à courir par ses quatre saisons, Mesurant de leur tour l'une et l'autre distance. Par ton mobile accord sont les cieux emportés, L'air, la terre et la mer s'en trouvent agités, Rendant leurs actions d'une fuite inégale. Hé donc! puisque partout on voit régner ta loi, Pour me guérir des traits d'une amour déloyale, Répands ton influence aujourd'hui dessus moi! Quand je veux mesurer votre auguste hautesse... Quand je veux mesurer votre auguste hautesse A l'état abaissé de mon coeur langoureux, Je me plains de l'amour, ce tyran rigoureux, Qui par si haut objet abusa ma jeunesse, D'autant que le penser qui m'élève sans cesse Presque ne peut atteindre à cet astre amoureux, Tant que hors d'espérance, il me faut, malheureux, Redoutant le destin maudir' la hardiesse. A cet audacieux je me vais comparant Qui chut parmi les flots, au soleil aspirant, Et vola sans prévoir sa fin triste et fatale. Donc s'il me faut périr, trébuchant rudement Dedans la mer d'amour que j'ai cru follement, Vous serez mon soleil, moi le fils de Dédale. Sentir d'un feu brûlant l'extrême violence... Sentir d'un feu brûlant l'extrême violence Sans qu'une mer de pleurs le puisse modérer, Plus on souffre de mal pouvoir moins soupirer, Et celer dans le coeur ce qui plus vous offense. Mourir près d'un sujet, languir en son absence, Tantôt rougir, pâlir, craindre et désespérer, Et voir un autre amant votre bien désirer, Et tirer devant vous faveur et récompense. N'avoir point de repos ni le jour ni la nuit, Servir qui vous méprise, et suivre qui vous fuit, Aimer comme Narcisse une ombre errante et vaine, D'un martel furieux endurer mille coups, Mourez, tristes amants, le trépas est plus doux. Car la mort est d'amour la plus légère peine. Sous les ombres du bois, au bord d'une fontaine... Sous les ombres du bois, au bord d'une fontaine, Passant et ma tristesse et la chaleur des jours, Je trouvai la beauté cause de mes amours Qui me fit dans le coeur une plaie inhumaine. Par ce prompt accident, je vois ma mort prochaine, Je vois ma mort prochaine, éloigné de secours, D'autant que les rochers et les arbres sont sourds, Et que rien ne l'accuse et n'allège ma peine. Je ne vois dans ces bois, dans ces eaux nul support Que l'image d'Amour et celle de la Mort, Qui volent parmi l'air et qui nagent ensemble. Hé! donc au parlement de la terre et des cieux, Ces deux témoins seront récusés, ce me semble, Car la Mort est muette et l'Amour est sans yeux. ODES ET STANCES. Or que la nuit et le silence... Or que la nuit et le silence Donnent place à la violence Des tristes accents de ma voix, Sortez, mes plaintes désolées, Étonnez parmi ces vallées Les eaux, les rochers et les bois! Je viens sous la fraîcheur de l'ombre Pour augmenter l'amoureux nombre De ceux que j'y vois transformés, Blâmant le sujet de ma peine, Qui pour changer ma forme humaine, A les dieux jaloux réclamés. Courant à mon mal volontaire Je suis en passe solitaire Changé par trop de cruauté. L'ingrate dont j'ai l'âme atteinte Le veut afin que par ma plainte J'aille éternisant sa beauté. Depuis caché sous ce plumage, Nuit et jour parmi ce bocage Je fais retentir ma langueur, Mais enfin ma belle adversaire Tout soudainement me fait taire, Si je parle de sa rigueur. Maintenant la mort courroucée Se fait objet de ma pensée, L'espoir m'est un monstre odieux, Le jour m'importune et m'ennuie, Si bien qu'en cette obscure vie, Je me passerais de mes yeux. Narcis, quand ton amour extrême Te changea, mourant pour toi-même, Ton feu s'éteignit promptement, Mais las, ma flamme est continue! Pour avoir ma forme perdue, Je n'ai point perdu mon tourment. Ainsi mon amour mémorable Aura ce loyer misérable, Puisque la cause est sans pitié. Ha! combien son âme est cruelle, Croyant que qui ne meurt pour elle Fait preuve de peu d'amitié! Enfin réduit à la constance, Mon coeur s'apprend à la souffrance, Mes yeux s'accoutument aux pleurs, En ce lieu je vis plein d'alarmes, Contant mes erreurs par mes larmes, Et ses beautés par mes douleurs. Vous forêts, à qui je raconte La fureur du mal qui me dompte, Croyez qu'Amour me fait parler, Je ne mens point de mon martyre, Car si la douleur m'en fait dire, Le respect m'en fait bien céler. Passants, témoins de la tristesse D'un chevalier qu'une déesse Exile en ce lointain séjour, Annoncez par toute la terre Qu'autant qu'il fut heureux en guerre, Il est misérable en amour... Ode à la nuit. Ô Nuit plaisante et sereine, Viens découvrir à nos yeux Ton beau char qui se pourmène Par les campagnes des cieux. Sors de ta caverne obscure Dans le saphir éclatant, Pendant qu'en cette verdure Je vais ton los racontant. Rallume ta clarté sainte, Que le grand Soleil jaloux Avait par sa flamme éteinte, Passant à midi sur nous, Fais voir ta beauté céleste, Digne d'offrande et d'autels, Et par qui se manifeste Le Ciel aux yeux des mortels. Or j'aperçois que ton voile S'étend dessus l'Orient, Méme la première étoile Nous montre son oeil riant, Les monts, les bois, les vallées. Commencent à s'ombrager, Pendant qu'aux ondes salées Le soleil se va plonger. Nuit qui pour mon bien retourne, Ministre de nos plaisirs, Ô belle Nuit où séjourne Le sujet de nos désirs, Arrête un peu ton voyage, Tant que celle que je veux Me montre sous ton ombrage Le paradis amoureux. Ô Nuit à jamais utile, Nuit douce et pleine d'appâs, Sans toi tout serait stérile, Et sécherait ici-bas, Ô Nuit seul repos du monde, Miroir des feux de là-haut, Qui rends la terre féconde Avec l'humide et le chaud, Ô Nuit qu'au jour je préfère Par qui notre entendement Connut la céleste sphère, Son cours et son mouvement, Et par la règle commune, Tu nous fais voir maintes fois Le trépas et la fortune Des laboureurs et des rois. Nuit agréable et plaisante, Douce nourrice d'Amour, Que j'adore et que je vante Plus que les rayons du jour, Dans ton azur solitaire Se modèrent nos langueurs, Te rendant la secrétaire Des passions de nos coeurs. Plainte. Puisque l'absence me retire En ce désert où je soupire L'amour qui me rend furieux, Puisque le sort me porte envie, Je veux faire écouler ma vie Par les fontaines de mes yeux. Puisqu'un autre à mon bien succède, Puisque mon mal est sans remède, L'espoir doit être supprimé. Puisqu'en vain le ciel je réclame, Et puisque j'ai perdu Madame, Adieu, luth que j'ai tant aimé! Sus donc, mes yeux, fondez en larmes, Parques, redoublez vos alarmes, Annonçant la fin de mes jours, Car éloigné de ce que j'aime, Je me vois privé de moi-même, Plus suivi de morts que d'amours. Amour, fuis donc de ma pensée, Puisque l'espérance est chassée, De quoi te voudrais-tu nourrir? Laisse-moi pleurer mon dommage. Quand on sent un pareil outrage, C'est grand heur de pouvoir mourir! Puisque ce bel oeil me délaisse, Je dois, tout noirci de tristesse, M'abandonner au déconfort. Mon âme, fuis donc aux ténèbres, Et que mes complaintes funèbres Fassent même horreur à la mort! Et vous, roches abandonnées Qui voyez le cours des années, Roches que j'ébranle d'effroi, Écoutez ma douleur profonde. Vites-vous jamais en ce monde Rien de si malheureux que moi? Complainte. Plaignez-moi, chers amants, que le ciel adversaire Jadis a transformés dans ce bois solitaire En arbres et en fleurs, Et toi plaisant, Narcis, quitte un peu ta fontaine, Si tu veux voir d'Amour la figure certaine, Mire-toi dans mes pleurs! Je me plais au travail que sans cesse j'endure, Avec ces hauts sapins mon désir se mesure Et s'accroît tous les jours. Cette belle verdeur maintient mon espérance, Ces rochers m'ont rempli de nouvelle constance, Et ces oiseaux d'amour. Enfin quand l'on dira, parlant de ma ruine, Que j'eus le coeur d'aimer une beauté divine Dont les dieux sont jaloux, Ce serait des lauriers pour couronner ma flamme, Et puis ce purgatoire où se plonge mon âme M'est agréable et doux. Encore une autre fois, adieu, chères délices, Adieu saintes beautés à mes voeux si propices, Adieu plaisirs passés! Ô mort, je ne crains plus ta dextre vengeresse: Vivre une heure content aimé de sa maîtresse N'est-ce pas vivre assez? Stances. Un amant qui poursuit les beaux yeux d'une dame, Et qui les a choisis pour miroir de son âme, Qui trompe son esprit aux rais de tel flambeau, S'encourt hâtivement à son heure dernière, Comme celui qui suit d'un ardant la lumière Qui le conduit au fleuve où il fait son tombeau. Il peint dedans la nue, il bâtit sur l'arène, Il fonde sur les flots son espérance vaine, Et prépare le feu pour se sacrifier, Il contraint son humeur, il se change et rechange, D'un esprit infernal il pense faire un ange, Et croit en l'adorant de se déifier. Il fait son paradis d'un enfer de misère, Il conte à des rochers son tourment ordinaire, D'un enfant nu et pauvre il espère son bien: Il se tend des filets pour se prendre soi-même, Et s'il tient une fois ce bien que plus il aime, C'est un songe volant qui dure moins que rien. Stances Au Sommeil. Sommeil, fils de la Nuit, doux repos de notre âme, Qui fait ma belle Nymphe en son lit reposer, Puisque ton charme peut son esprit amuser, Plonge dans l'eau d'oubli le courroux qui l'enflamme. Fais-lui voir en dormant le regret qui me ronge, La portant au réveil de la haine à l'amour, Si bien qu'en revoyant la lumière du jour, Elle aille racontant mon offense pour songe. Je suis assez puni pour mon outrecuidance, M'ayant depuis un mois son logis défendu, Il est temps que son coeur de colère éperdu Ait autant de pitié que j'ai de repentance. Cher ami du silence, enchanteur agréable, Pour effacer mon crime et bannir mes travaux, Fais de ma vraie erreur un conte, un ombre faux, Comme tu rends le faux maintes fois véritable. Pour avoir découvert l'endroit inaccessible, En présence d'Amour et du lit seulement, En dois-je être puni si rigoureusement Que le juge en soit cause et l'acte irrémissible? Hélas! tiens aussi fort sa paupière pressée Que tu fis l'autre fois celle d'Endymion, Et nous serons tous deux, par cette invention, Moi beaucoup plus content, elle moins offensée. Source: http://www.poesies.net