Poèmes. Par Flaminio De Birague. (1550 -16??) TABLE DES MATIÈRES. Hôte mélancolique... Je sens déjà saillir de toute fosse obscure... Vous qui habitez l'Orque noir... Complainte. SONNETS. Que me sert de verser deux ruisseaux de mes yeux... C'était au jour piteux que la troupe sacrée... Plutôt les pâles Soeurs me privent de lumière... Vous rochers orgueilleux, et vous forêts fidèles... Désespéré, chétif, du repos de ma vie... Divin Ronsard, après que la douleur... Renais, renais encor, Méduse monstrueuse... Hélas! mes tristes yeux sont changés en fontaines... J'aime si hautement que je n'ose nommer... Ma vie est un Enfer plein d'ennuis et de peines... Madame, si tu veux me prêter ton oreille... Par le milieu des déserts écartés... Qui veut voir ici-bas un Astre reluisant... Sus, gants, allez couvrir la main gentille et belle... Tous ces oiseaux qui sous la nuit obscure... Hôte mélancolique... Hôte mélancolique Des tombeaux et des croix, J'errerai fantastique Aux effroyables bois, Compagnon des forêts Et des démons secrets. Les rochers solitaires, Oreillés à mes sons, Les Faunes et les Laires, Rediront mes chansons, Chansons tristes témoins De mes funèbres soins. Les Ombres éternelles Des Mânes blêmissants Sont beaucoup plus fidèles A mes sens languissants Que l'astre radieux Qui redore les Cieux. Hélas ce n'est moi-même Qui forme ces accents! Je suis jà ombre blême, Orphelin de mes sens, Errant, idole affreux, Dans l'Orque ténébreux. Vous donc Ombres sacrées Des antres recélées, Vous grottes emmurées, De silence voilées, Vous chenues forêts, Assistez mes regrets. Dans votre dure écorce, Sous l'ombre de vos bras, Gravez à toute force Mon langoureux trépas, Qui bornera mes voeux Aux myrtes ombrageux... Je sens déjà saillir de toute fosse obscure... Je sens déjà saillir de toute fosse obscure Mille fiers animaux goulûment animés Qui à me dévorer mettront toute leur cure Quand mes esprits vitaux se verront consumés, Et pour honnêtement dresser ma sépulture, D'un loup m'entomberont les boyaux affamés, Ni ne veux ciseler le marbre ou le porphyre Car mon corps pour tombeau méritait encor pire! Maudit soit le jour noir que cette lèvre ouverte Donna nom au bel oeil qui m'induit à ce sort, Maudits soient tant de jours dont je pleure la perte, Suivant cette lumière en qui je vis ma mort, Maudits soient les écrits et la rime diserte Dont mon amour lui fit un honorable fort, Et maudit soit le temps que j'y perdis la vue, Le mois, l'an et le jour et l'heure qui me tue! Or sus apprête-toi de volonté constante, Mon chétif coeur brûlé de maint amoureux dard, Que la mort soit le port de cette cure ardente, Puisqu'à te secourir les bons s'employent tard. Je sais qu'en ce départ ne seras trop dolente, Car long temps j'ai souffert le trait de son regard. N'en sois dolent, mon coeur, car bien souvent contrainte Trouve salut en l'homme en besoin et en crainte. Et toi ma douce lyre amoureuse et dorée, La fidèle compagne à mes pas langoureux, Fidèle à tous, hormis à ma sainte adorée, Charme de mes ennuis et soupirs douloureux, Après avoir tiré la mort tant désirée, Demeure ici rompue en ces déserts heureux. Ne reçoive ton son, cette plainte dernière. Mal se marie un chant à une mort meurtrière. Or t'éjouis, ingrate, en ma mort douloureuse, Viens humer tout mon sang, saoule-toi désormais, Je t'offre de mon coeur l'offrande bienheureuse, Que plus ne navreront tes exécrables traits, Et mon ombre sortant de sa cendre ennuyeuse S'en ira talonnant tes pas à tout jamais. Voilà la triste fin de ma fatale course, Pour t'agréer, ingrate, adieu, ma cruelle ourse! Vous qui habitez l'Orque noir... Vous qui habitez l'Orque noir, Laissez votre horrible manoir, Sortez de la grotte avernale, Et venez tous ici haut voir Ma peine qui n'a point d'égale. Ô Proserpine, ô noir Pluton Cerbère, Mégère, Alecton, Tisyphone, infernales Ombres Atropos, Lachésis, Cloton, Venez tous ouïr mes encombres! Les tourments qu'on souffre aux Enfers N'égalent ceux que j'ai soufferts. Ma douleur est incomparable, Car dans ce globeux univers, Rien tant que moi n'est misérable. Hélas! cette jeune beauté, Qui d'une douce cruauté Me lie en sa blonde cordelle, Contre les lois de loyauté, A faussé notre amour fidèle. Vous donques Esprits infernaux, Prenez pitié de mes travaux, Faites que l'inhumaine Parque Tranchant ma vie et tous mes maux, Me pousse en l'infernale barque. Mais après que mes tristes pas La Parque aura conduits là-bas, Au lac affreux de l'onde noire, Ces vers qui diront mon trépas Soient mis au temple de Mémoire. Complainte. Vous de moi tant aimés, ô déserts solitaires Où j'ai souvent sans fruit semé mes tristes voix, Soyez, je vous supplie, encore cette fois De mes derniers sanglots les loyaux secrétaires. Et toi, fille de l'air, ô Écho forestière, Ne réponds plus au son de mes tristes regrets, Et vous aussi, courriers de mes ennuis secrets, Zéphirs, n'éventez point cette plainte dernière. Esprits qui habitez dans la forêt époisse Du manoir ténébreux des horribles Enfers, Si vous saviez les maux qu'en aimant j'ai soufferts, Vous plaindriez mes tourments plutôt que votre angoisse. .... Hélas! je suis semblable aux rivières bruyantes Qui tant plus on arrête et empêche leur cours Bruyent plus vivement, et quittant leurs détours, Noyent se débordant les campagnes riantes. Ainsi plus la rigueur des yeux de ma maîtresse Noye mon espérance en la mer de mes pleurs, Plus je veux adorer les amoureuses fleurs De son teint blanchissant et sa luisante tresse. SONNETS. Que me sert de verser deux ruisseaux de mes yeux... Que me sert de verser deux ruisseaux de mes yeux, Si je ne puis caver le roc de son courage? Hélas, je connais bien qu'en la fleur de mon âge Il faut que je m'en aille aux palus stygieux. Ô malheureux amour qui me rends furieux, Ensorcelant mes sens de ta mortelle rage, Pourquoi dessous le joug d'une beauté volage Asservis-tu mon coeur dolent et soucieux? Ô dieux qui habitez les voûtes étoilées Et l'Orque ténébreux et les plaines salées, Regardez en pitié mon ennui véhément! Faites que ma Déesse ingrate et dédaigneuse Apaise sa fierté cruelle et rigoureuse, Et prenne un peu pitié de mon cruel tourment! C'était au jour piteux que la troupe sacrée... C'était au jour piteux que la troupe sacrée Des morts en Jésus-Christ avait trêve et repos, Gisant sous la froideur du cercueil en dépôt, Quand de maint Requiem leur âme est honorée. Lors au dur souvenir de la seconde année Que mon coeur est défunt, pour s'être vu forclos D'un oeil en qui le ciel a mon destin enclos, Je formais tels sanglots d'une morte halénée: Hélas! Que suis-je moi? Suis-je mort? Suis-je vif? Le mort a ce jour d'hui un Requiem plaintif, Et sur son froid tombeau flambe un funèbre cierge; Mais celle qui devait soupirer pour ma mort Sur ma dépouille éteint cette chandelle vierge, Qui aux ombres sans corps m'a fait descendre à tort. Plutôt les pâles Soeurs me privent de lumière... Plutôt les pâles Soeurs me privent de lumière, Et m'envoyent au creux des enfers pleins d'horreur Éprouver de Pluton l'effroyable terreur, Et ouïr de Minos la sentence dernière, Plutôt de Prométhée la douleur coutumière Me tourmente toujours, et l'ardente fureur Des filles d'Achéron, toujours pleines d'erreurs, Bourrelle mon esprit d'une rage meurtrière, Plutôt puissé-je encor souffrir la passion De l'avare Tantale et du fol Ixion, Du cauteleux Sisyphe et du paillard Titie, Que j'adore inconstant jamais autre beauté Que la vôtre, Madame, en qui la loyauté, Les Grâces, et l'Amour, ont leur place choisie. Vous rochers orgueilleux, et vous forêts fidèles... Vous rochers orgueilleux, et vous forêts fidèles Que je fais retentir de mes chants languissants, Antres qui répondez à mes tristes accents, Quand vous oyez le son de mes plaintes mortelles, Vous monts démesurés, et vous campagnes belles, Vous ombrages secrets, vous beaux prés verdissants, Vous déserts écartés, vous tertres verdissants, Qui êtes sûrs témoins de mes amours rebelles, Vous nymphes et sylvains, vous faunes et satyres, Qui écoutez les sons de mes tristes soupirs, Quand serai-je assuré de quelque paix tranquille? Ô que plût-il au ciel qu'un jour je puisse voir Celle que je ne puis à pitié émouvoir S'arrêter à songer aux pleurs que je distille? Désespéré, chétif, du repos de ma vie... Désespéré, chétif, du repos de ma vie, Je chemine à grands pas au sentier douloureux De l'Orque épouvantable, où le sort rigoureux Avait dès le berceau ma jeunesse asservie. Là l'horreur de la nuit sombrement obscurcie, Et l'effroi pâlissant de l'Achéron ombreux, Avec tous les tourments des Enfers ténébreux, Puissent combler mon chef d'indomptable manie! Ciel, pourquoi m'as-tu fait si tôt naître ici-bas Pour souffrir mille maux pires que le trépas, Et mourir sans mourir mille fois en une heure? Hélas! apaise un peu ton injuste rigueur, Ou bien, pour m'affranchir de ma triste langueur, Fais que mourant soudain aussi ma peine meure! Divin Ronsard, après que la douleur... Divin Ronsard, après que la douleur M'aura couché sous une froide lame, Et que l'Amour, sans barque ni sans rame, M'aura fait voir le monde sans couleur, Après ma mort, sanglote mon malheur, Et d'un long cri qui les rochers entame Dis aux passants qu'aux regards de ma dame, Chaud et brûlant j'immolai tout mon coeur. Arrose après mon tombeau de tes larmes, Et mets dessus ces pitoyables carmes, Tristes témoins de mon gémissement: Celui qui gît en ce lieu solitaire Pour n'avoir pu a sa dame complaire Sous ce tombeau soupire son tourment. Renais, renais encor, Méduse monstrueuse... Renais, renais encor, Méduse monstrueuse, Et transforme en rocher par ton hideux regard Ce mien corps transpercé de maint amoureux dard, Comme sous forme humaine une mort outrageuse, Et mon esprit quittant sa prison douloureuse, Dont le destin voudra l'affranchir, mais trop tard, Après ce Purgatoire où ce beau Soleil l'ard, Ait un antre obscurci pour résidence heureuse. Mais puisque mes soupirs ni ma constante foi N'émeuvent à pitié de mon cruel émoi La cruelle beauté qui règne en mon courage, Ains mon martyre accroît comme croît mon amour, Lorsque j'aurai perdu la lumière du jour, Mon coeur soit sa dépouille et funeste héritage. Hélas! mes tristes yeux sont changés en fontaines... Hélas! mes tristes yeux sont changés en fontaines, Qui versent non de pleurs mais de larmes de sang, Et le trait dont Amour me transperça le sang Augmente incessamment mes angoisseuses peines. Toujours l'objet hideux de cent morts inhumaines Se présente à mes yeux, et la Parque à son rang Epouvante mon coeur, ne voyant point le blanc A qui tendraient hélas! mes espérances vaines. Le soir, dessus mon toit, les funèbres oiseaux Annoncent mon trépas et les malheurs nouveaux Que je vois jà tomber sur mon chef misérable. Au moins puisque le sort cruel et inhumain Avance mon trépas, mourrussé-je en son sein, Suçant le vif coral de sa bouche agréable! J'aime si hautement que je n'ose nommer... J'aime si hautement que je n'ose nommer La divine beauté reine de mon courage, De peur que le vulgaire ignorant et volage De ma témérité ne vienne me blâmer. Si veux-je toutefois plutôt me consumer, Aimant une déesse en peine et en servage, Et souffrir maint ennui, mainte mort, mainte rage, Qu'être content de peu et bassement aimer. Que si mon entreprise est haute et malaisée, La victoire en sera plus belle et plus prisée. On connaît le soldat aux exploits dangereux, On connaît le nocher alors que la tourmente Menace son vaisseau sur la mer véhémente, Et aux braves desseins un esprit courageux. Ma vie est un Enfer plein d'ennuis et de peines... Ma vie est un Enfer plein d'ennuis et de peines, Mes tourments outrageux sont les fouets punisseurs, Et mes soucis mordants les serpents meurtrisseurs Qui bourrellent mon coeur de cent morts inhumaines. Comme là-bas on voit les espérances vaines, Ainsi tous mes espoirs meurent en leur verdeur. J'ai fait de pleurs un Styx et mes vives ardeurs Ont fait un Phlégéton qui bout dedans mes veines. Mes sanglots redoublés et mes plaintives voix Sont les horribles cris et furieux abois Du portier infernal qui aboie sans cesse. Mais je suis d'un seul point aux ombres différent, Car les démons sont ceux qui les vont martyrant, Et je suis tourmenté d'une jeune déesse. Madame, si tu veux me prêter ton oreille... Madame, si tu veux me prêter ton oreille, Pour toi je me ferai prophète véritier, Mordillant un rameau du poenien laurier, Et de tes trois couleurs je dirai la nouvelle. Le gris mélancolique est le soin qui m'éveille Quand ma trêve se rompt par Amour mon guerrier, L'incarnat est mon sang qui teint mon dard meurtrier, Qui premier me piqua en pointe d'une abeille. L'orangé m'est signal du triste désespoir, Où piqué m'a réduit mon amoureux espoir. Ainsi de tes couleurs je peins la portraiture De mes piteux ennuis que tu vois sans pitié, Ne voulant bienheurer ma constante amitié D'un bon rais de ton oeil, dont j'attends nourriture. Par le milieu des déserts écartés... Par le milieu des déserts écartés, Dans la frayeur des antres plus sauvages, Et sur le bord des plus lointains rivages, Je fuis les lieux des hommes habités, Et regrettant tes divines beautés, Seul à l'écart, j'écoute les ramages Des oiselets qui en mille langages Chantent d'amour les saintes déités. Mais las, maîtresse, ô triste destinée! Tu verras tôt ma vie terminée Parmi ces bois, et alors tu diras: " Repose, amant, sous ces bocages sombres, Ces pleurs, ces cris que j'épands sur tes ombres, Sont les présents que de moi tu auras. " Qui veut voir ici-bas un Astre reluisant... Qui veut voir ici-bas un Astre reluisant, Et s'égayer au joug d'une douce misère, Voye mon beau Phénix, la réserve plus chère Qu'eut de mille ans le Ciel, qu'il nous offre à présent. Ce sacré saint oiseau, ce Phénix tout plaisant Qui par sa grand douceur adoucirait Mégère, Qui souplement volant, d'une voix présagère, M'annonce le malheur qui me va séduisant, Devin, hélas, prédit tout clair ma mort prochaine. Mais le Ciel qui se rit de ma cruelle peine Ne veut que je le crois et le tient en ce fond. Donc puisqu'il plaît aux Dieux ainsi finir ma vie, Mon âme sans le croire ainsi toujours le nie, Chacun voye mon feu, plus qu'à Troye fécond. Sus, gants, allez couvrir la main gentille et belle... Sus, gants, allez couvrir la main gentille et belle De celle-là qui est cause de ma douleur, Défendez-la du vent, du froid, de la chaleur, Et que tout votre mieux soit employé pour elle. Vrai est que je voudrais pour une Nymphe telle Une peau plus subtile et de rare valeur, Car bien que votre peau soit une peau de fleur, Elle n'est pas pourtant digne de ma rebelle. Mais si vous pouvez être, ô gants, tant honorés Qu'elle vous touche un coup, tout soudain vous ferez De votre heur sans pareil à Jupiter envie, Qui voudra de nouveau se métamorphoser En votre heureuse peau, pour toucher et baiser Ses ivoirines mains meurtrières de ma vie. Tous ces oiseaux qui sous la nuit obscure... Tous ces oiseaux qui sous la nuit obscure D'un triste vol se plaignent lentement Ne sont témoins du doux commencement De mon amour sainte, loyale et pure. Les clairs ruisseaux, les bois et la verdure Des prés fleuris d'un beau bigarrement Sont seuls témoins du bien et du tourment Que pour aimer également j'endure. La nuit n'eût su dans son sein recéler Mon feu luisant, qui peut étinceler Parmi les cieux, aux enfers et sous l'onde. Mon amour passe au travers de la nuit, Et plein d'un feu qui bluettant s'enfuit, Aide au soleil à redorer le monde. Source: http://www.poesies.net