Sonnets Choisis. Par Jean De La Ceppède. (1550-1623) TABLE DES MATIERES. Nous appelons Esprit le venteux soufflement... Un Ange avoit predit... Antithèses de la Croix à l'arbre deffendu... Ô royauté tragique... Elle exprimoit encor la cause douloureuse... Esprits qui devancez l'estre du firmament... L'Eclipsé du Soleil ne le fait point patir... L'homme monte inégal et ne peut la nature... Debout, parmi l'horreur des charognes relantes... Le Cerf que le veneur relance au bois sauvage... Ce grand Soleil, de qui l'autre n'est qu'une flame... Apres qu'il eut aux siens redit cette leçon... Aux monarques vainqueurs la rouge cotte d'armes... Bel Arbre triomphant... Marie-Madeleine Au Tombeau. Blanc est le vestement du grand Pere sans age... Cependant le soleil fournissant sa journée... Cette rouge sueur goutte à goutte... Comme ces assassins faignent d'avoir grand soin... Dez que cette oraison fut par luy prononcée... Heureuse fut, Seigneur, cettre troupe choisie... Sur cette catastrophe un Juif d'Arimathie... Il s'en alloit prier,... J'ay chanté le Combat, la Mort, la sepulture... L'Amour l'a de l'Olympe... Le beau Printemps n'a point tant de fueillages verds... Le torrent orageux entraine renversées... Les escadrons aislez du celestre pourpris... L'Oyseau dont l'Arabie a fait si grande feste... Mais qui vous meut, Seigneur... Céte Diversité des langues divisées... Ô Père dont jadis les mains industrieuses... Pardonne, ô saint Prophete à ma temerité... Prophanes Amphions qui n'employés la Muse... Cil qui bande l'optique au lever du soleil... Quand Rachel s'accoucha... Ses pieds sont donc percez... Vers la plage rosine où le Soleil s'esleve... Voicy l'homme, ô mes yeux... Vous estes tres-parfaict, ô grand nombre ternaire... Vexilla Regis. Psaume. Nous appelons Esprit le venteux soufflement... Nous appelons Esprit le venteux soufflement, Esprit en la nature est-ce qui meut, qui pousse. L'Amour est donc Esprit, qui brille, qui trémousse, Qui pousse vers l'aymé les Esprits de l'Amant. Céte personne donque est dite proprement Esprit. Car c'est l'Amour, c'ét céte haleine douce Et du Père, et du Fils, qui par mainte secousse A l'Amour du Trine-un meut nos coeurs vivement. Or la droicte raison nous donne cognoissance Que tout ce qu'on rapporte à la Divine essance Est sainct. Céte personne est donc le sainct Esprit. L'Esprit de Dieu, de Christ, de vérité, de vie Le Paraclet de qui de sainct Collège aprit Ce qui rendit la terre à ses loix asservie. Un Ange avoit predit... Un Ange avoit predit le temps de sa venuë; Au jeune enfant Prophete un Ange au temps promis L'annonça, la fit estre à cet esprit cognuë Qu'amour à son empire onques ne vid soubs-mis. Par un Ange il rendit les pensers affermis Qui troubloient de Joseph la vieillesse chenuë. Les Anges ont chanté sa creche dans la nuë. Un Ange l'enleva d'emmy ses ennemis. Par l'Ange les pasteurs sa naissance entendirent. Les Anges au desert à ses pieds se rendirent, Un Ange maintenant conforte ses esprits. Ô Truchements du ciel, combien de benefices Nous apportent vos faits: vous nous avez apris Qu'il estoit homme et Dieu, par vos divers offices. Antithèses de la Croix à l'arbre deffendu... Antithèses de la Croix à l'arbre deffendu Satan par le bois vert nostre aïeule ravit, Jesus par le bois sec à Satan l'a ravie; Le bois vert à l'Enfer nostre aïeule asservit. Le bois sec a d'Enfer la puissance asservie Satan sur le bois vert vit sa rage assouvie, Jesus sur le bois sec son amour assouvit. Le bois vert donna mort à toute ame qui vit, Le bois sec, ô merveille! à tous morts donne vie. Le bois sec aujourd'hui triomphe du bois vert, Le vert ferma le Ciel, le sec l'a reouvert Et nous y reconduict par voyes fort aysées. Il a tout satisfait, il a tout merité, Sur ce bois sec la Grace atteint la Verité, La Justice et la Paix s'y sont entrebaisées. Ô royauté tragique... Ô royauté tragique! ô vêtement infâme! Ô poignant diadème! ô sceptre rigoureux! Ô belle et chère tête! ô l'amour de mon âme! Ô mon Christ seul fidèle et parfait amoureux! On vous frappe, ô saint chef, et ces coups douloureux Font que votre couronne en cent lieux vous rentame. Bourreaux, assenez-le d'une tranchante lame, Et versez tout à coup ce pourpre généreux. Faut-il pour une mort qu'il en souffre dix mille? Hé! voyez que le sang, qui de son chef distille, Ses prunelles détrempe et rend leur jour affreux. Ce pur sang, ce nectar, profané se mélange À vos sales crachats, dont la sanglante fange Change ce beau visage en celui d'un lépreux. Elle exprimoit encor la cause douloureuse... Elle exprimoit encor la cause douloureuse De ses pleurs, quand elle oit un petit bruit léger A son dos: et soudain céte aveugle amoureuse Se tourne, et void le Christ, mais c'est comme estranger. O femme (luy dit-il) quel dueil te peut ranger A tant et tant de pleurs? que cherches tu pleureuse Hà (dit-elle) Seigneur, si ta main valeureuse A mon Christ enlevé, où l'as tu peu loger? Dy le moy promptement, j'iray, j'iray le prendre Mais à qui penses tu céte response rendre O Marie? tu crois le Christ un jardinier? Voire, il planta l'Edem: Il semé, il rend fertile Ton coeur de ses vertus, et d'un soing matinier L'arrose des liqueurs que sa grâce distille. Esprits qui devancez l'estre du firmament... Esprits qui devancez l'estre du firmament Si vous estes sans corps, comme est il donc possible Qu'un de vos compaignons se rande ores visible Aux filles de Sion près de ce monument? Il s'est formé ce corps du subtil élément Espaissi: l'Eternel luy rend cela loisible Pour estre exécuteur de son commandement, Et pour les allaicter d'un commerce plausible. Céte blancheur qui rend son habit glorieux Est le riche blazon de ce victorieux, Et l'argument certain de leur gloire future. La foudre en ces regards qui les gardes abbat Leur présente l'horreur dont l'horrible torture De Minos dans l'Enfer les reprouvez combat. L'Eclipsé du Soleil ne le fait point patir... L'Eclipsé du Soleil ne le fait point patir, Bien qu'il prive nos yeux de sa beauté première, L'eclipse de sa seur ne peut l'anéantir, Mais pourtant elle perd sa clarté coustumiere. La mort comme une éclipse a soustrait la lumière A ce corps, qui voulut au trépas consentir: Mais la Divinité n'a la mort peu sentir, Nos yeux seuls ont esté couverts de sa lumière. La Divinité donc ce brouillard dissipant, Et faisant de son jour ce corps participant Le rend or' revivant, plus beau, plus désirable. En fin ce vray Soleil à nos yeux s'est ouvert: Se despoûillant luy-mesme, à ce jour admirable, Du nuage, du sac qui le tenoit couvert. L'homme monte inégal et ne peut la nature... L'homme monte inégal et ne peut la nature Qu'il ne face en montant des mouvements divers Et mon Prince à ce coup d'une égale posture Monte sur le Donjeon de son grand univers. De sa gloire sans plus ses nombres sont couvers Que si peut-estre ils ont quelque autre couverture Comme ils avoient au monde, elle est de la teinture Du riche vermillon des prophétiques vers: II part donc de la terre ayant ses mains levées Au ciel, et bénissant des brebis élevées, De ces mains, qu'ore il va pour elles étendant. L'elevement des mains est la posture antique De l'homme qui supplie: Et ce Geste mystique Marque qu'il prend desja ce qu'il va demandant. Debout, parmi l'horreur des charognes relantes... Debout, parmi l'horreur des charognes relantes En cette orde voirie, il voit de tous côtés De ses durs ennemis les troupes insolentes, Et de sa dure mort les outils apprêtés. Puis, las! si tant soit peu ses yeux sont arrêtés Sur les yeux maternels, leurs prunelles parlantes, S'entredisant adieu, vont perdant leurs clartés Par l'effort redoublé des larmes ruisselantes. Tandis on le dépouille afin de le coucher Sur la croix, mais, hélas! c'est tout vif l'écorcher: Car le sang a collé sa tunique à ses plaies. Ces tourments sont cruels, mais beaucoup plus l'affront. Voici, mon Rédempteur, vos paroles bien vraies, Que la honte et l'opprobre ont couvert votre front. Le Cerf que le veneur relance au bois sauvage... Le Cerf que le veneur relance au bois sauvage Void un fleuve, s'y jette, nage et gaigne le bord. Christ poursuivy de Juifs, nage aux eaux de la mort, Les passe, et vient surgir à l'immortel rivage. Le Cerf hayt le serpent, l'attaque, le ravage, Le mord et l'engloutit: Christ mortellement mord Le serpent qui fournit à la mort son breuvage Cette mort engloutit, et destruict son effort. 11 a (pour ce qu'il est le vivant et la vie) Cette mort devorée à son estre asservie, Comme l'estomach change en lait son aliment. A ce victorieux la trompe prophetique Comme au Cerf matineux a chanté son Cantique Et nous semond fidele au mesme compliment. Ce grand Soleil, de qui l'autre n'est qu'une flame... Ce grand Soleil, de qui l'autre n'est qu'une flame Par quatre des maisons du grand cercle a passé. Par celle de la Vierge, où neuf mois sa belle ame A de son corps égal l'organe compassé. Par celle du Verseau, quand son oeil a trassé Sa douleur par son pleur, en maint acte sans blasme Par celle du Taureau, quand son corps terrassé S'est pour victime offert sur le gibet infâme. Or à ce jour il entre en celle du Lion Perruque de lumière, il darde un milion De rayons flamboyans sur les deux Hémisphères, Et sa voix rugissante, et son frémissement Au sortir de la tombe espouvantent les feres, Et les rangent au joug de leur amandement. Apres qu'il eut aux siens redit cette leçon... Apres qu'il eut aux siens redit cette leçon, Il s'en esloigne un peu, met les genoux à terre, Tombe sur son visage, et prosterné desserre Quelques traits que la chair habille à sa façon. Abba Père (dit-il, tremblotant de frisson) Il n'est rien que ton vueil, que ta grandeur n'enserre, Ton pouvoir absolu tous les pouvoirs atterre, Transfere si tu veux, de moy cette boisson. Fay passer (s'il ce peut) loing de moy ce calice: Que si ta volonté m'ordonne ce supplice, Soit ainsi, ton vouloir est mon contentement. O combien ces propos fournissent d'escritures! Cette breve oraison marque distinctement En luy deux volontez, ainsi que deux natures. Aux monarques vainqueurs la rouge cotte d'armes... Aux monarques vainqueurs la rouge cotte d'armes Appartient justement. Ce roi victorieux Est justement vêtu par ces moqueurs gens d'armes D'un manteau, qui le marque et prince, et glorieux. Ô pourpre, emplis mon test, de ton jus précieux Et lui fais distiller mille pourprines larmes, À tant que méditant ton sens mystérieux, Du sang trait de mes yeux j'ensanglante ces carmes. Ta sanglante couleur figure nos péchés Au dos de cet Agneau par le Père attachés: Et ce Christ t'endossant se charge de nos crimes. Ô Christ, ô saint Agneau, daigne-toi de cacher Tous mes rouges péchés (brindelles des abîmes) Dans les sanglants replis du manteau de ta chair. Bel Arbre triomphant... Bel Arbre triomphant, victorieux trophée, Qui pourroit dignement ta loüange entonner? Au seul ozer je sens ma Muse s'étonner, Et ma voix au gosier de frayeur estouffée. Soy donq, ô digne Croix, toy-mesme ton Orphée, Et te plaise aujourd'huy piteuse me donner Qu'à tousjours de ton Nom soit ma gloire étoffée, Que mon penser ne puisse onques t'abandonner. Et fay qu'à ce grand jour, qui te verra brillante, Dans les plaines d'azur, ta lumière drillante N'épouvante mon ame, aux pieds de ce vaincueur. Les marquez à ton coing n'eurent jadis à craindre. Je ne craindras non plus, s'il te plait de t'empreindre, Par le burin d'amour, sur le roc de mon coeur. Marie-Madeleine Au Tombeau. Elle exprimait encor la cause douloureuse De ses pleurs, quand elle oit un petit bruit léger A son dos; et soudain cette aveugle amoureuse Se tourne et voit le Christ, mais c'est comme étranger. " Ô femme, lui dit-il, quel deuil te peut ranger A tant et tant de pleurs? Que cherches-tu, pleureuse? - Ah, dit-elle, Seigneur, si ta main valeureuse A mon Christ enlevé, où l'as-tu pu loger? " Dis-le moi promptement; j'irai, j'irai le prendre. " Mais à qui penses-tu cette réponse rendre, Ô Marie? Tu crois le Christ un jardinier? Voire, il planta I'Eden. Il sème, il rend fertile Ton coeur de ses vertus, et d'un soin matinier L'arrose des liqueurs que sa grâce distille. Blanc est le vestement du grand Pere sans age... Blanc est le vestement du grand Pere sans age, Blancs sont les courtisans de sa blanche maison, Blanc est de son esprit l'étincelant pennage. Blanche est de son Agneau la brillante toison. Blanc est le crespe sainct dont (pour son cher blason) Aux Nopces de l'Agneau l'Espouse s'advantage. Blanc est or' le manteau, dont par mesme raison, Cet innocent Espous se pare en son Nopçage. Blanc estoit l'ornement dont le Pontife vieux S'affeubloit pour devot offrir ses voeus aux Cieux. Blanc est le parement de ce nouveau grand Prestre. Blanche est la robbe deüe au fort victorieux. Ce vaincueur (bien qu'il aille à la mort se souzmettre) Blanc sur la dure mort triomphe glorieux. Cependant le soleil fournissant sa journée... Cependant le soleil fournissant sa journée Voit son maître à la croix de tourments foisonné, Ja prêt à rendre l'âme: il blêmit étonné, Et volontiers sa course eût ailleurs détourné. Il se fâche de voir sa tête environnée D'un brillant diadème, et dit passionné: Dois-je voir de rayons ma tête couronnée, Voyant mon Créateur d'épines couronné? À ces mots il arrache avecque violence Sa flambante couronne, et dépité l'élance Dans les abîmes creux; soudain le jour s'enfuit. Ô comme tu sers bien, ô soleil, ce bon maître: Tu fis naître un beau jour la nuit qui le vit naître, Et ce jour qu'il se meurt tu fais naître une nuit. Cette rouge sueur goutte à goutte ... Cette rouge sueur goutte à goutte roulante Du corps de cet athlète en ce rude combat Peut être comparée à cette eau douce et lente Qui la sainte montagne en silence rebat. L'aveugle-né (qui mit tous les siens en débat Pour ses yeux) fut lavé de cette eau doux-coulante, Et dans le chaud lavoir de cette onde sanglante Toute l'aveugle race en liberté s'ébat. Et l'un et l'autre bain ont redonné la vue, Siloé du pouvoir dont le Christ l'a pourvue, Et celui-ci de sang de son propre pouvoir. Aussi ce rare sang est la substance même De son coeur, qui pour faire à nuit ce cher lavoir Fond comme cire au feu de son amour extrême. Comme ces assassins faignent d'avoir grand soin... Comme ces assassins faignent d'avoir grand soin De traitter cette cause en termes de justice, Voicy de toutes parts maint et maint faux tesmoin Qui tasche d'attacher l'innocent au supplice. Mais, quoy que ces menteurs colorent leur malice Tant qu'il leur est possible, ils s'égarent si loin Qu'ils ne disent en fin rien qui se compatisse, Qui vray semblable serve à l'injuste besoin. Un tesmoin contredit ce que l'autre depose, Au mensonge imposteur la verité s'oppose, Plus on la veut noircir, plus sa blancheur reluit. Ainsi preuva Suzanne en son angoisse extreme Que des deux faux tesmoins l'un par l'autre est détruit Et que l'iniquité se dement elle mesme. Dez que cette oraison fut par luy prononcée... Dez que cette oraison fut par luy prononcée, Il laisse un peu sa teste à main droite pancher: Non tant pour les douleurs dont elle est offensée Que pour semondre ainsi la Parque d'approcher. Voila soudain la peau de son front dessecher, Voila de ses beaux yeux tout à coup enfoncée L'une et l'autre prunele et leur flamme éclipsée, Leur paupiere abatuë et leurs réaux se cacher. Ses narines à peine estant plus divisées Rendent son nez aigu: ses temples sont crusées, Sur ses levres s'espand la pasleur de la mort. Son haleine est deux fois perduë et recouverte; A la tierce il expire avec un peu d'effort, Les yeux à demy clos, et la bouche entr'ouverte. Heureuse fut, Seigneur, cettre troupe choisie... Heureuse fut, Seigneur, cettre troupe choisie Qui vous vid à ce coup remonter dans les Cieux, Mais d'un bien plus grand heur est toute ame saisie Qui des yeux de la foy vous voit ore ez hauts lieux. Il vous a pleu, mon Christ, tirer de mes ans vieux Aux loisirs derobez cette humble poësie, Faites qu'à tout esprit elle donne ces yeux, Afin que tout esprit de vous se rassasie. Il faut croire premier: faites que nous croyons Et fideles croyants faites que nous voyons Par la foy dans le ciel vos mains victorieuses. Nous les adorerons icy bas, puis un jour Revivans nous suivrons vos pistes glorieuses, Et vous hommagerons au celeste sejour. Sur cette catastrophe un Juif d'Arimathie... Sur cette catastrophe un Juif d'Arimathie Noble, opulent, et juste (heureux qui n'avoit pas Esté du noir Conseil de la gent pervertie) Pour entomber le Christ fidèle haste les pas. Il avoit maintefois savouré ses apas: Son ame estoit vers luy dés-ja bien convertie: Mais la peur a tousjours contraint la sympathie: Il ne s'en ose ouvrir jusques à ce trespas. A ce trépas l'amour sur la crainte commande, Il aborde asseuré Pilate, et luy demande Ce Corps mort. Il l'obtient, O Juif heureux cent fois, Il va prendre un linceul, et retourne au Calvaire, Aidé de Nicodeme, il descend de la Croix Jésus, et le repose au giron de sa Mère. Il s'en alloit prier,... Il s'en alloit prier quand la Parque complice Des Hebrieux, pour desja le traicter rudement, Porte devant les yeux de son entendement, Les outils rigoreux de son prochain supplice. Il voit tout ce que doit employer leur malice: Les cordes, les crachats, le rouge habillement, Les verges, les halliers, l'honny despoüillement, La Croix, et tout le pis qu'il faut qu'il accomplisse. Lors son coeur donne entrée à la grosse vapeur De la noire tristesse, et de la froide peur: (Et cette infirmité provient de sa puissance). Lors découvrant aux siens la douleur qui le mord, Leur dict, ô chers tesmoins de ma divine essence, Mon ame est désormais triste jusqu'à la mort. J'ay chanté le Combat, la Mort, la sepulture... J'ay chanté le Combat, la Mort, la sepulture Du Christ qu'on a comblé de torts injurieux Je chante sa descente aux antres stygieux Pour tirer noz ayeulx de leur noire closture. Je chante (emerveillé) comme sans ouverture De sa Tombe, il en sort vivant, victorieux, Je chante son Triomphe: et l'effort glorieux Dont il guinda là haut l'une et l'autre Nature, Clair Esprit, dont ma Muse a cy-devant apris Ses douleurs, ses tourmens, sa honte, et son mespris, Faites qu'or' de sa gloire elle soit etofée. Sus, Vierge, il faut tarir les torrens de vos pleurs, Je veux (si vous m'aidez) elever son Trophée, Et guirlander son chef de mille et mille fleurs. L'Amour l'a de l'Olympe ... L'Amour l'a de l'Olympe icy bas fait descendre; L'amour l'a fait de l'homme endosser le peché; L'amour luy a des-jà tout son sang fait espandre; L'amour l'a fait souffrir qu'on ait sur luy craché; L'amour a ces haliers à son chef attaché; L'amour fait que sa Mere à ce bois le void pendre; L'amour a dans ses mains ces rudes cloux fiché; L'amour le va tantost dans le sepulchre estendre. Son amour est si grand, son amour est si fort Qu'il attaque l'enfer, qu'il terrasse la mort, Qu'il arrache à Pluton sa fidele Euridice. Belle pour qui ce beau meurt en vous bien-aimant, Voyez s'il fut jamais un si cruel supplice, Voyez s'il fut jamais un si parfait Amant. Le beau Printemps n'a point tant de fueillages verds... Le beau Printemps n'a point tant de fueillages verds L'Hyver tant de glaçons, l'Esté tant de javelles, Que durant cette nuict le Roy de l'univers Souffre d'indignitez et de peines nouvelles. Constant observateur de ses loix eterneles, Il patit sans jamais rabroüer ces pervers. Tandis les tons secrets des trompes paterneles (Non encor entendus) sont ores découvers. Il rend ores certains les celestes augures: Il remplit le crayon des antiques figures: Et pourtant ces affronts ne le ravallent pas. Sa grandeur n'est pas moins brillante en ces tenebres, Que lors, qu'apres l'honneur de ses larmes funebres, Puissant il r'appella son amy du trépas. Le torrent orageux entraine renversées... Le torrent orageux entraine renversées Les maisons, qu'on assied sur le sable mouvant: Mais les autres qu'on a sur le rocher dressées Ne branslent point aux coups, ny des flots, ny du vent. Les flots de ces tormens que les Juifs vont pleuvant Sur le corps du Sauveur, entraînent dispersées Ses dix pauvres brebis: mais les fermes chaussées De ce coeur maternel vont leur effort bravant. Donq tandis que la peur les Apostres emmeine, Cette constante Mere, avecques sa Germaine, La Magdaleine, et Jean, sont au pied de la Croix. Et s'y tiennent debout, comme jaloux d'apprendre Les Mysteres divins contenus en ce Bois, Que molement assis l'homme ne peut comprendre. Les escadrons aislez du celestre pourpris... Les escadrons aislez du celestre pourpris Par le Pere choisis des bandes Coronnelles, Jaloux d'executer les charges paternelles Accompagnent le Fils au voyage entrepris. Approchans les cachots des rebelles esprits Ils vont criant aux Roys des ombres criminelles, Ouvrez à ce grand Roy vos portes eternelles, Puisqu'il a rançonné les siens à si grand prix. C'est le Roy de la Gloire, il faut, il faut qu'il entre Tout l'Averne croulant du comble jusqu'au centre, Troublé respond: Quel est ce Prince glorieux? C'est le Seigneur tresfort, repliquent les bons Anges, Tres-puissant au combat, toujours victorieux, Dont les Cieux et la terre amnoncent les loüanges. L'Oyseau dont l'Arabie a fait si grande feste... L'Oyseau dont l'Arabie a fait si grande feste, Est de ce grand Heros le symbole asseuré. Le Phenix est tout seul. Le Christ est figuré Seul libre entre les morts par son Royal Prophete. Le Phenix courageux se porte à sa defaite Sur du bois parfumé: l'Amour demesuré Fait que Christ a la mort sur ce bois enduré, Qui parfume le Ciel d'une odeur tres-parfaite. De sa moüelle après le Phenix renaissant Enleve tout son bois, et l'emporte puissant Sur un Autel voisin des arenes brulées. Par sa Divinité le Christ resuscitant, Sur l'azuré lambris des voutes estoillées Eslevera son bois de rayons eclatant. Mais qui vous meut, Seigneur ... Mais qui vous meut, Seigneur, de sortir à cette heure? De passer ce torrent? de gravir sur ce mont? De revoir ce jardin où l'Apostre parjure Conduit mille assassins pour vous faire un affront? Vous fuites l'autre jour pour ne voir vostre front, Ceint du bandeau Royal: maintenant on conjure De vous assassiner, et vous estes si prompt D'aler pour recevoir une mortele injure. Ô doux-forçant amour, que ton pouvoir est fort Ny l'effroy des tormens, ny l'horreur de la mort Ne peuvent arrester cet amoureux courage. Mon Roy, puis que pour moy vous courez au trespas, Faites que vostre grace à ce coup m'encourage, Et me donne pouvoir de talonner vos pas. Céte Diversité des langues divisées... Céte Diversité des langues divisées Fut nombreuse: et les gens furent tant dispercez Qu'ils n'ont jamais reprins les premières brizées Des dialectes vieux en Babel délaissez. Quelques esprits depuis se sont bien efforcez D'aborder curieux ces langues déguisées: Mais cinq, ou six, ou sept ont les puissants lassez: Quelques plus forts plus outre ont porté leurs visées. Cleopatre a jadis mainte langue entendu. Jusque à vingt et deuxMithridat s'est rendu Sçavant: Et nul jamais les a toutes congneuës. Mais nos unze, et la Vierge, illustrez, du sçavoir De cet Esprit, auquel toute choses sont nues De parler toute langue ont aujourd'huy pouvoir. Ô Père dont jadis les mains industrieuses... Ô Père dont jadis les mains industrieuses Cette vigne ont planté, vois comme au lieu du fruit Qu'elle dût rapporter, ingrate elle produit Pour couronner ton fils des ronces épineuses. Ces épines étaient les peines crimineuses Des révoltes de l'homme au paradis séduit: Et ce Christ, qui sa coulpe et ses peines détruit, Ces épines arrose et les rend fructueuses. Pour délivrer judas le Père descendant D'épines entouré dans un hallier ardent Fit l'effort merveilleux de sa forte puissance. Et le fils descendant du séjour paternel, Brûlant dans ce hallier d'un amour éternel, Fait l'épineux effort de notre délivrance Pardonne, ô saint Prophete à ma temerité... Pardonne, ô saint Prophete, à ma temerité, Tout autrement que toy j'interprète le songe Du Roy de Babylon. Tu dis la vérité: Et ce que je diray ne sera point mensonge. Ce songe matineux dont le soucy te ronge, O Monarque jaloux de ton authorité Ne peut trouver lumiere en son obscurité Qu'au bois, qui dans le sang de mon Sauveur se plonge. Comme le tien, cet arbre au bleu du Firmament S'esleve du milieu de ce bas Element, L'un et l'autre foisonne en fruit, comme en fueillage. A leurs pieds sous leur ombre ont leurs plus doux hameaux Les hostes de Cybele: et le peuple volage Qui sillonne les airs, niche dans leurs rameaux. Prophanes Amphions qui n'employés la Muse... Prophanes Amphions qui n'employés la Muse Qu'à chanter d'Helicon les honneurs mensongers; Faites la despartir de ces tons estrangers, Afin qu'à ce beau mont plus sage elle s'amuse. Tymanthes malheureux, dont le pinceau s'abuse A peindre d'Amatonte, et d'Adon les vergers, Quittez ces Meurtes feints, et ces feints Orangers, Peignez ces Oliviers la gloire de Jebuse. Chantons, peignons ensemble en ces Christiques vers Ces arbres tousjours beaux, tousjours vifs, tousjours verts, Et le mystere grand dont l'amour me transporte. Redisons aux croyans, que ce parfait amant Parmy les oliviers commence son torment, Pour nous marquer la grace, et la paix qu'il aporte. Cil qui bande l'optique au lever du soleil... Cil qui bande l'optique au lever du soleil Vers sa brillante Sphère, eblouy tout à l'heure Ne le peut regarder: mais s'il porte son oeil Sur les couteaux voisins, il voit sa chevelure. Les yeux plus épurez de l'humaine souilleure S'efforçants de voir Dieu tombent en cas pareil. Il faut donc regarder (c'ét la voye meilleure) Vers ces monts étoffés de son riche appareil. Ces monts sont ses esleus qui font le frontispice De l'Eglise, et sur eux le Soleil de justice Rayonnant, se fait voir aux yeux plus chassieux. Cil qui void aujourd'huy l'admirable puissance Des douze, et n'y void pas céte divine essance, Est un sot à merveille, ou très-malicieux. Quand Rachel s'accoucha... Quand Rachel s'accoucha (pour son dernier mal-heur) Du petit Benjamin, les tranchées roulantes Par son ventre affligé, furent si violentes Qu'elle perdit en fin l'avivante chaleur. Sur le point que la mort abbatoit sa valeur, Qu'elle sentit en fin ses forces s'écoulantes, Mourant elle forma ces paroles dolentes, Ce fils sera nommé le fils de ma douleur. Christ ainsi sur le point d'enfanter son Eglise En mourant sur la Croix, jà desja la baptise Par ce propos qu'il dit à ce premier effort. Puis donc que de sa mort elle prendra naissance, Ne luy doit-elle pas cette recognoissance, De se dire à tousjours la fille de sa mort? Ses pieds sont donc percez... Ses pieds sont donc percez (comme il avait predit) Percée est sa main gauche: et sa droite est percée: Sa peau, par trop tenduë, est par tout crevacée: Et ses os sont comptez par ce peuple maudit. Or nos durs Circoncis craignans qu'il ne rendit L'esprit auparavant que la Croix fut dressée S'escrient qu'on l'esleve: et la troupe amassée Des sergens, des bourreaux à cela se roidit. Ces impiteux ouvriers, dépitez qu'on les tance, Attrainent brusquement cette lourde potence Pour du creux préparé le bas bout approcher: Puis la levant debout, la pointe on precipite Si roide dans ce trou creuzé sur le rocher Que le coup s'en va bruire au centre du Cocyte. Vers la plage rosine où le Soleil s'esleve... Vers la plage rosine où le Soleil s'esleve Loin d'Acre et de Sion le chemin d'un Sabbath, Vis à vis du Calvaire un autre mont s'esleve Tousjours vert des honneurs du Minervé combat. Ces fueilleux arbrisseaux ennemis du debat, Ce mont qui dans Cedron ses racines abreve, Où l'humble solitude aux soucis donne treve, Estoient de nostre Amant le coustumier esbat. Il y avoit au pied de ce mont une terre Ditte Gethsemani, et dedans un parterre Où le Sauveur s'en va loin du peuple et du bruit. Ô voyage, ô village, ô jardin, ô montaigne Si devot maintenant le Sauveur j'accompagne Permetés qu'à ce coup je gouste vostre fruit. Voicy l'homme, ô mes yeux ... Voicy l'homme, ô mes yeux, quel object déplorable! La honte, le veiller, la faute d'aliment, Les douleurs, et le sang perdu si largement L'ont bien tant déformé qu'il n'est plus désirable. Ces cheveux (l'ornement de son chef vénérable) Sanglantez, herissez, par ce couronnement, Embrouillez dans ces joncs, servent indignement A son test ulcéré d'une haye execrable. Ces yeux (tantost si beaux) rebatus, r'enfoncez, Ressalis, sont hélas! deux soleils eclipsez, Le coral de sa bouche est ores jaune-pasle. Les roses, et les lys de son teint sont flétris; Le reste de son corps est de couleur d'opale, Tant de la teste aux pieds ses membres sont meurtris. Vous estes tres-parfaict, ô grand nombre ternaire... Vous estes tres-parfaict, ô grand nombre ternaire, Composé vous avez vostre commencement, Le mitan, et la fin: vous estes ordinaire, A faire de ce tout le vray dénombrement. Mais le Christ vous relevé ores plus hautement, Puis qu'il se sert de vous. Il voulut débonnaire, De mesme s'en servir en l'acte liminaire, De son tragique effort mystérieusement. Or ce troisième jour est la première trace De ce troisième temps qu'on appelle de grâce: Apres les deux qu'on dict devant, et soubs la loy. Il donne encor entrée en l'Estat de la Gloire, Apres l'ombreux estât du propiciatoire, Des figures, des meurs, et celuy de la foy. Vexilla Regis. Les Cornettes du Roy volent par la campaigne, La Croix mysterieuse éclate un nouveau jour, Où l'Autheur de la chair, de sa chair s'accompaigne Et fait de son Gibet un Theatre d'Amour. Là pour nostre rachept, là, pour nostre doctrine Il tend ores ses mains, tend ses deux pieds aux cloux, Tandis les cloux d'amour cloüent dans sa poitrine Son coeur tout amoureux, qui s'immole pour nous. Mort sur cette potence une lance outrageuse Luy perce le costé, d'où surgeonne soudain De son sang, et d'eau vive une onde avantageuse Pour lancer le bourbier, qu'il a tant à desdain. C'est ce qu'obscurement le bon David souspire, C'est ores que suivant ses prophetiques vers Du Bois, le Tout-Puissant établit son Empire, Qu'au Bois, que par le Bois il regit l'univers. Arbre brillant et beau, que la pourpre Royale Pare, orne, vermillonne, enlumine, enrichit, De quel tige t'éleut cette ame déloyale, Qui pour ces membres saincts en gibet t'affranchit? Arbre trois-fois heureux, qui vois pendre à tes branches La rançon de ce Tout, tu balances ce Corps Qui nos pechez balance. En toy sont nos revanches, Tu reprens sa reprinse au Coursaire des morts. Ô Croix, que mon espoir à tes bouts aboutisse, A ce jour que le sang sur toy coule à randon, Augmente, s'il te plait, aux justes la justice, Et donne aux criminels le désiré pardon. Esprits que cette Croix, que ce Gibet recrée Au sainct los du Trin'-un rangez tous vos propos. Trin'-un, qui nous sauvez par cette Croix sacrée Guidez nous, guindez nous au sublime repos. Psaume. Non autrement qu'on voit d'une torche allumée Par le vague de l'air se perdre la fumée, Ainsi j'ai vu mes jours se perdre en un moment: Mes tristes os vidés d'humeurs et de mouëlles, Décharnés, et recuits au feu de mon tourment Sont prêts d'être allumés comme sèches brindèles. La violente ardeur de ma longue misère Et les brûlants éclairs de ta juste colère Comme l'herbe fauchée ont mon coeur desséché. Le jeûne m'a la chair, et la force ravi. La maigreur a mes os à l'écorce attaché: Les pleurs ont épuisé les sources de ma vie. L'Hôte des cois déserts de l'Egypte fumante Etrangle ses petits, puis se deult, se tourmente, Se tue, et de son sang les remet en vigueur; De même j'ai la vie à mon âme ravie, Je lamente sa mort, et matté de langueur, Je veux par mon trépas lui redonner la vie. Comme un Hibou plaintif haineux de la lumière, Je m'écarte, je fuis la maison coutumière, Jamais le doux sommeil ne vient siller mes yeux. Je ressemble à l'oiseau qu'on nomme solitaire, Je vais cherchant retraite aux plus funestes lieux, Je veux cacher mon mal, et si ne puis le taire. Source: http://www.poesies.net