Le Chant Du Sacre Ou La Veille Des Armes. Par Alphonse De Lamartine (1790-1869) L'auteur, en voulant porter aux pieds du roi ce faible tribut de ses sentiments pour un prince dont le règne est l'aurore du bonheur de la France, n'a pas cru devoir s'astreindre scrupu- leusement aux formes modernes du sacre, formes que l'état pré- sent de notre monarchie modifiera peut-être encore. Il en a em- prunté les principaux traits aux cérémonies guerrières qui, dans les temps chevaleresques, accompagnaient cette auguste consé- cration. Orietur in diebus ejus justitia et abundantia pacis. La nuit couvre de Reims l'antique cathédrale; Mille flambeaux semant la voûte triomphale, De colonne en colonne et d'arceaux en arceaux, Étendent sur la nef leurs lumineux réseaux, Et, se réfléchissant sur le bronze ou la pierre, Font serpenter au loin des ruisseaux de lumière. De soie et de velours les parvis sont tendus: Les écussons royaux aux piliers suspendus, Flottant par intervalle au souffle de la brise, Font de soixante rois ondoyer la devise. L'autel est ombragé d'armes et d'étendards; Ceux que la Palestine a vus sur ses remparts, Ceux qu'enleva Philippe aux plaines de Bovines, Et ceux qui d'Orléans sauvèrent les ruines, Ce panache d'Ivry que fit flotter un roi, Ceux que ravit Condé sous les feux de Rocroi, Ceux enfin qui, guidant les fils de la victoire, - Du Tage au Borysthène ont porté notre gloire, Et n'ont rien rapporté-de Vienne et d'Austerlitz Que cent noms immortels sur leurs lambeaux écrits! Noirs, souillés, mutilés, teints de sang et de poudre, Déchirés par le sabre .ou percés par la foudre, Pendant du haut des murs, entre leurs plis mouvants De.ce dôme sonore emprisonnent les vents, Et semblent murmurer, en roulant sur leur lance : u Voilà l'ombre qui sied au front d'un roi de France! Le temple est vide encore : aux marches de l'autel, Un pontife vêtu de l'éphod solennel Semble attendre le jour, l'heure, l'instant suprême Par la voix de l'airain frappé dans le ciel même : Cent lévites, couverts de vêtements sacrés, Du .brillant sanctuaire entourent les degrés; Le regard suit au loin leurs onduleuses files; Debout, l'oeil attentif, en silence, immobiles, Ils tiennent d'une main les encensoirs flottants; L'autre, pressant la chaîne aux anneaux éclatants, Semble prête. à, lancer vers la voûte enflammée' L'urne où déjà l'encens monte en flots de fumée. On n'entend.aûcun-bruit sous les divins arceaux,. Qu'un léger cliquetis de fer dans les faisceaux, Ou le tintement sourd des gothiques armures Qui jettent par moments d'aigres et longs murmures. L'ombre déjà blanchit; tout est prêt; qu'attend-on? Entendez-vous là-haut rouler ce vaste son, Qui, comme un bruit des vents dans des forêts plaintives, Gronde avec majesté d'ogives en ogives, Par les sacrés échos répété douze fois, Du dôme harmonieux fait vibrer les parois, Et, tandis qu'à ses coups la voûte tremble encore, Semble sortir du marbre et rendre l'air sonore? C'est l'airain de la tour qui murmure minuit: Minuit! l'heure sacrée!... Écoutez! A ce bruit, Les lourds battants d'airain, brisant leurs gonds antiques, Ouvrent du temple saint les immenses portiques; On entend au dehors l'acier heurter l'acier, Le marbre frissonner sous le fer du coursier, Ou les pas des guerriers, dont le bruit monotone Ébranle, à temps égaux le caveau qui résonne. Cent chevaliers couverts de l'éclatant cimier Entrent. Quel est celui qui marche le premier? Son port majestueux sur la foule s'élève; L'or fait étinceler le pommeau de son glaive; Flottante à son côté, son écharpe à longs plis Balaye en retombant les marches du parvis; De longs éperons d'or embrassent sa chaussure, Et sur l'écu royal qui couvre son armure, Du sanctuaire en feu tout l'éclat reflété Jette au loin sur ses pas des gerbes de clarté. De son casque superbe il lève la visière; Son panache éclatant flotte et penche en arrière, Et laisse contempler au regard enchanté D'un front mâle et serein la douce dignité. Comme un sommet battu des coups de la tempète, Dont les neiges d'automne .ont parsemé le faîte, Avant les jours d'hiver déjà ses cheveux blancs Ont empreint sur cc front la sainteté des ans, Et leur boucle d'argent, qui s'échappe avec grâce, A son panache blanc se confond et s'enlace Son oeil superbe et doux brille d'un sombre azur; Son regard élevé, mais franc, sincère et pur, Lançant sous sa visière un long rayon de flamme, Semble à chaque coup d'oeil communiquer son âme : Dans ce regard sévère et clément à la fois, La nature avant l'homme avait écrit ses droits; II semble accoutumé dès sa première aurore A regarder d'en haut un peuple qui l'implore; Sa bouche, que relève une mâle fierté, Imprime à son visage un air de majesté; Mais sa lèvre entr'ouverte, où la grâce respire, Tempère à chaque instant l'effroi par un sourire; Et cette main, qu'il ouvre et qu'il tend comme Henri, Tout annonce le Ro r!... La nef tremble à ce cri : Mais d'un geste à la foule il impose silence, Et d'un pas recueilli vers l'autel il s'avance., L'ARCHEVÊQUE. D'où viens-tu? LE ROI. De l'exil. L'ARCHEVÊQUE. Qu'apportes-tu LE ROI. Mon nom. L'ARCHEVÊQUE. Quel est ce nom sacré? LE ROI. Charles Dix et Bourbon. L'ARCHEVÊQUE. Que viens-tu demander? LE ROI. Le sceptre et la couronne. L'ARCHEVÊQUE. Au nom de qui? LE ROI. Du Dieu qui les ôte et les donne L'ARCHEVÊQUE. Pourquoi? LE ROI. Pour imprimer à mon nom, à mes droits, Le sceau majestueux du Dieu qui fait les rois ! L'ARCIIEVÊQtE. Connais-tu les devoirs que ce titre t'impose? Oses-tu les jurer? LE ROI. Que Dieu m'aide, et je l'ose. L'AItCIIEVÊQUE. Quels sont-ils? LE ROI. Proclamer et défendre la loi, Récompenser, punir, vivre et mourir en roi ! Aimer et gouverner comme un pasteur fidèle Ce saint troupeau que Dieu confie à ma tutelle, Être de mes sujets le père et le vengeur ! L'ARCHEVÊQUE. Où les as-tu trouvés, ces devoirs? LE ROI. Dans mon coeur ! CHANT DU SACRE. 449 Mon front connut le poids de ces grandeurs humaines, Et c'est la royauté qui coule dans mes veines ! L'ARCHEVÊQUE. Où sont les saints garants de tes serments? LE Bor. Aux cieux ! Les mânes couronnés de mes soixante aïeux : Ce CHARLES qui fonda des ruines de Rome Un empire trop grand pour l'âme d'un autre homme; Ces princes tour à. tour redoutés et chéris, Ces Louis, ces FRANÇOIS, ces généreux HENuIs; Et si de ces héros tu récuses la gloire, J'en ai d'autres encore en qui le ciel peut croire! L'ARCHEVÊQUE. Où sont-ils, ces témoins des paroles des rois?? Où sont tes douze pairs? LE ROI, montrant les douze pairs. Pontife, tu les vois. L'ARCEIEVÊQUE. Nomme-les. LE ROI. Reggio! Ce nom, à son aurore, Du saint vernis des temps n'est pas couvert encore; Mais ses titres d'honneur sont partout déroulés: Regarde avec respect ses membres mutilés! Ce nom, comme les noms des Dunois, des Xaintrailles. A germé tout à coup sur vingt champs de batailles : J'aime mieux, pour orner le bandeau qui me ceint, Un grand nom qui surgit qu'un vieux nom qui s'éteint! L'ARCHEVÊQUE. Quel est ce maréchal qui d'une main frappée Cherche en vain à presser le pommeau d'une épée? L'étoile des héros. étincelle sur lui, - Et son bâton d'azur sembla être son appui. LE ROI. C'est le second-Bayard! c'est Victor! c'est Bellune! Plus brave que son nom, plus grand que sa fortune! Partout où la patrie a des coups à pleurer, Son corps, rempart vivant, est là pour les parer, Et, fidèle au malheur encor plus qu'à la gloire, Ses revers ont toujours l'éclat d'une' victoire! L'ARCHEVÊQUE. Et celui qui soutient de son bras triomphant Les pas tremblants encor de ce royal enfant, Et qui d'un oeil de père, en regardant son maître, Semble dire en son coeur : «C'est moi qui l'ai vu naître! » Quel est-il? LE ROI. Un soldat : le nom d'Albuféra Illustre encor celui que l'Espagne pleura Quand, brisant dans Madrid'le joug de la victoire, Pour unique dépouille il rapporta sa gloire! Sauveur du beau pays qu'il avait combattu, Il a ravi son nom... mai' c'est par sa vertu! L'ARCHEVÊQUE. Mais quel est ce vieillard? Sa blanche chevelure Couvre à flocons d'argent l'acier de son armure; Par la trace des ans son front paraît terni... LE ROI. C'est MONCEY! des combats le bruit l'a rajeuni. Malgré ses traits flétris sous les glaces de l'âge, Les camps l'ont reconnu... mais c'est à son courage. Comme un soldat d'hier il marcha pour son roi. Il serait mort pour lui! qu'il vieillisse pour moi! L'ARCHEVÊQUE. Et celui qui, brillant d'un long reflet de gloire...? LE ROI. La Trémoille! L'ARCHEVÊQUE. Il suffit : ce nom vaut une histoire ! Et celui qui, le front sur le marbre incliné, Aux degrés de l'autel humblement prosterné, Les mains jointes, les. yeux fixes comme la pierre. Semble exhaler pour toi sa fervente prière, Quel est ce chevalier chrétien? LE ROI. Montmorency. L'ARCHEVÊQUE. L'oeil, s'il n'y brillait pas, le chercherait ici! LE ROI. Servant le même Dieu, fidèle au même maître, Ses aïeux, à ces traits, pourraient le reconnaître; Modèle du sujet, du héros, du chrétien, Son nom de siècle en siècle est un écho du mien ; Et partout où la France a besoin de son glaive, Ou le roi d'un ami, Montmorency se lève. L'ARCHEVÊQUE. Ce guerrier qui soutient l'étoile des guerriers, Où l'image d'Henri brille entre des lauriers? LE ROI. MACDONALD! Des héros le juge et le modèle, Sous un nom étranger il porte un coeur fidèle; Dans nos sanglants revers, moderne Xénophon, La France et l'avenir ont adopté son nom, Et son bras, dans les champs d'Arcole et d'Ibérie, En sauvant les Français a conquis sa patrie! L'ARCHEVÊQUE. Ce sage revêtu de la toge à longs plis Où l'on voit enlacés des cyprès et des lis, Et qui tient dans ses mains ton glaive et ta balance? LE ROI. Arrête ! ce nom seul fait incliner la France ! C'est DESÈZE! C'est lui dont l'éloquente voix S'éleva pour sauver le pur sang de ses rois. Quand aux fers des bourreaux, impatients du crime, Disputant sans espoir la royale victime, Il fallait un martyr pour défendre un Bourbon, Lui seul de ce°grand meurtre a lavé son beau nom. Louis à l'avenir a légué sa mémoire, Et ces deux noms unis sont scellés dans l'histoire! L'ARCHEVÊQUE. Et ce preux chevalier qui sur l'écu d'airain Porte au milieu des lis la croix du pèlerin, Et dont l'oeil, raÿonnant de gloire et de génie, Contemple du passé la pompe rajeunie? LE ROI. Chateaubriand! Ce nom à tous les temps répond; L'avenir au passé dans son coeur se confond; Et la France des preux et la France nouvelle Unissent sur son front leur gloire fraternelle. Soutien de la Couronne et de la Liberté, Il lègue un double titre à la postérité; Et, pour briser naguère une force usurpée, La plume entre ses mains nous valut une épée! L'ARCHEVÊQUE. Nomme encor ce vieillard qui de.pleurs inondé.... LE ROI. Ne m'interroge pas! c'est le dernier CONDÉ!!! Il pleure un fils absent : ne troublons pas ses larmes! L'ARCHEVÊQUE. Et ce prince appuyé sur ses brillantes armes, Qui, les yeux attachés sur ce groupe d'enfants, Contemple avec orgueil cet espoir? LE ROI. D'Orléans! Ce grand nom est couvert du pardon de mon frère : Le fils a racheté les crimes de son père! Et, comme les rejets d'un arbre encor fécond, Sept rameaux ont caché les blessures du tronc! L'ARCHEVÊQUE. Nomme enfin ce héros, dont la tête inclinée Semble porter le poids de tant de destinée, Et dont le front chargé de palmes... LE ROI. C'est mon fils! L'ARCHEVÊQUE. Qu'a-t-il fait pour ce nom? LE ROI. Demandez à Cadix ! L'ARCHEVÊQUE. ll suffit : ces témoins répondent de ta vie! Tout siècle les verrait avec un ce' il d'envie. CHARLES ! réjouis-toi ! Lequel de tes aïeux A pu citer jamais des noms plus glorieux? Mais silence! Le Roi, le front contre la pierre, Murmure iti demi-voix sa touchante prière, Et ses voeux, en soupirs de son coeur échappés, S'exhalent lentement iti mots entrecoupés : Dieu des astres, Dieu des armées! Dieu qui conduis de l'oeil les sphères enflammées! Dieu des empires, Roi des rois! Au bruit d'un peuple entier qui pousse un cri de fête, Du bronze et de l'airain qui grondent sur ma tête, Voici l'heure! écoute ma voix! Errant, sans trône et sans patrie, Tristé objet de pitié comme autrefois d'envie, J'ai mangé le pain de douleur; Et d'exil en exil traînant mon titre illustre, Je n'avais à montrer, pour conserver son lustre, Que la majesté du malheur ! Adorant tes rigueurs divines, Dans les murs d'Édimbourg j'habitai ces ruines Pleines du destin des Stuarts! Ces palais écroulés, ces tours d'herbes couvertes, Et ces portes sans gardes et ces salles désertes Sympathisaient à mes regards ! Là, victime du rang suprême, Une reine voyait son sacré diadème Jouet de l'amour et du sort; Et, chi haut de ces tours où triomphaient ses charmes, En regardant la mer, implorait par ses larmes L'obscurité de l'autre bord! Que de fois sous le dôme sombre Où je cherchais sa trace, hélas! je vis cette ombre Mêler ses soupirs à ma voix, Et m'apprendre en pleurant sur quelle onde incertaine Le vent capricieux de la fortune humaine Fait flotter le destin des rois ! Victime, pleurant des victimes, Trop connu du malheur, de ces leçons sublimes, Hélas! je n'avais pas besoin! Quel siècle fut jamais plus fertile en ruines? CHANT DU SACRE. 457 Mon Dieu! pour contempler tes justices divines, Fallait-il regarder si loin? N'ai-je pas vu ce diadème, Par le glaive arraché de la tête suprême, Rouler dans la. poussière aux pieds des factions? De la poudre des camps relevé par la gloire, Joué, gagné, perdu, ravi par la victoire, Passer avec lés nations? Hélas! sur ce sable où nous sommes, Quand tout mugit encor de ces tempêtes d'hommes, Qui pourrait envier ce sceptre des humains? C'est la foudre du ciel que porte un bras timide ! Qui toucherait sans crainte à cette arme perfide Près d'éclater entre nos mains? Par un ciel d'exil profanées, L'inlortune a doublé le poids de mes journées, Je descends la pente des ans; A peine si mon front, que leur souffle moissonne, Portera sans fléchir le poids de la couronne Qui va parer ces cheveux blancs! La tombe avertit ma paupière; L'espoir à son aspect retournant en arrière Ferme l'avenir devant moi! Je mourrai; de la mort l'égalité fatale Mêlera quelque jour à la cendre banale La poussière qui fut un Roi ! Mais ma faiblesse en vain murmure; Le cri d'un peuple entier, l'ordre de la nature, Du ciel sont l'arrêt souverain! I-Iélas! il faut régner! Régner? quel mot suprême! Être ici-bas ton ombre! ô mon Dieu ! viens toi-même Tenir le sceptre dans ma main ! Que l'onction qu'on va répandre Me donne la vertu de craindre et de défendre Ce trône où je suis condamné!. Et qûe l'huile sacrée en coulant sur a tête Me prépare au combat que cette heure m'apprête, Comme un athlète couronné. Que jamais mon oeil ne sommeille! Que tes anges, Seigneur, portent à mon oreille Ces soupirs, les remords des rois! Que mon nom luise égal sur mes vastes provinces! Que le denier du pauvre et le trésor des princes Y soient pesés du même poids! Que, s'élevant en ma présence, Les cris de l'opprimé, les pleurs de l'innocence M'apportent les besoins du dernier des mortels! Que l'orphelin tremblant, que la veuve qui pleure, Près de mon trône admis, l'embrassent à toute heure Comme les marches des autels! Aux conquérants livre la gloire! Qu'aux coeurs de mes sujets ma paisible mémoire CITANT DU SACRE. 459 Ne soit qu'un tendre souvenir ! Que mes fastes heureux n'aient qu'une seule page! Que la borne poséé à mon noble héritage Passé immobile à l'avenir! De ma race auguste patronne, Toi qui, pour les Français effeuillant ta couronne, A leurs drapeaux prêtas tes lis, Étoile du bonheur, sois l'astre de la France, Et conserve à jamais ta bénigne influence Aux premiers soldats de ton fils! La première lueur de la naissante aurore, A travers les vitraux où le jour se colore, Comme l'aube obscurcit les étoiles des nuits, Fait pâlir de la nef les feux évanouis, Et la double clarté qui se combat dans l'ombre Se mêle, en avançant, vers la voûte moins sombre. A ce jour progressif, de ces dômes sacrés L'oeil suit dans le lointain les contours éclairés, Et, de la basilique embrassant l'étendue, Découvre à ses arceaux la foule suspendue : Les tribunes, longeant les courbes des piliers, Croisent dans tous les sens leurs immenses sentiers; Sous leur poids orageux le cintre ébranlé gronde; Un long torrent de peuple à grands flots les inonde, En déborde, et couvrant les arcs, les monurnents, Des dômes découpés les hauts entablements, Aux voûtes de la nef se suspend en arcades, S'enlace comme un lierre aux fûts des colonnades, Du parvis à la frise et d'arceaux en arceaux En guirlandes s'allonge, ou se groupe en faisceaux, Et du pilier gothique embrassant le feuillage, Tremble comme l'acanthe au souffle de l'orage. De ses noirs fondements jusqu'au sommet des tours, Un peuple tout entier tapissant ses contours, Pressé comme les flots de l'antique poussière, Semble avoir du vieux temple animé chaque pierre. L'airain guerrier résonne, et les enfants de Mars Se rangent en silence autour des étendards : Là, ceux dont le regard, que le calcul éclaire, Dans les champs des combats est l'aigle du tonnerre, Et qui, d'une étincelle échappée à leurs mains, Font voler à son but la foudre des humains; Là, ces géants coiffés de sauvages crinières, Dont le poil fauve et noir tombe sur leurs paupières ; Ces centaures brillants, messagers des combats, Qui traînent à grand bruit leurs sabres sur leurs pas; Et ceux qui font rouler sur le fer d'une lance Ces légers étendards où la mort se balance; Et ceux dont au soleil les casques éclatants Font ondoyer encor des panaches flottants; Et ceux qui, revêtus de leurs brillantes mailles, N'offrent qu'un mur d'airain sur leur front de batailles, Et dont le pied, pressant les flancs d'un noir coursier, Résonne sur le sol comme un faisceau d'acier! DIGEON, VALIN, MAUBOURG, dirigent leurs courages! Enfants des deux drapeaux, braves de tous les âges, Ces preux autour du Roi n'ont qu'un coeur et qu'un rang; L'Espagne a confondu les couleurs dans leur sang. Là ce jeune guerrier, cc débris de deux guerres, Dont le laurier s'unit au cyprès de deux frères; Ce sang, dont la Vendée a vu couler les flots, N'épuisa point en lui la source des héros *. Mais, sur ce dais où l'or en longs plis se déroule, Quel populaire instinct porte l'oeil de la foule? Ah! c'est le sang royal qui parle aux coeurs français!... A l'ombre de ces lis entourés de cyprès, Dont la tige sur elle avec amour s'incline, Voilà l'ange exilé! la royale Orpheline! Son front, que des bourreaux le fer a respecté, Garde de la douleur la noble majesté! On sent à son aspect que, digne de sa mère, Le ciel lui fit une âme égale à sa misère! A ces pompes du trône on la ramène en vain; Son coeur désenchanté les goûte avec dédain, Et peut-être, au moment où son oeil les contemple, Soli âme, s'envolant dans les cachots du Temple, Rêve aux jours de l'enfance où, sous ces murs affreux, Que la main des bourreaux obscurcissait pour eux, Un rayon de soleil à travers une grille Était la seule pompe, hélas! de sa famille!... * La Roche jaquelein. La veuve de Berri des couleurs du cercueil Couvre son front mêlé d'espérance et de deuil ; Ses longs cheveux épars, se dénouant d'eux- ême, Semblent en retombant pleurer un diadème; Son regard, effleurant le faste de ces lieus , N'y voit qu'un vide immense et se reporte aux cieux. Hélas! le sort, voilant l'aube de sa jeunesse, A brisé dans ses mains une coupe d'ivresse... Le coup qu'elle a reçu répond à tous les coeurs; Ses yeux dans tous les yeux ont retrouvé des pleurs. Là, deux soeurs, un exil, un palais les rassemble*; Le malheur, la pitié, les invoquent ensemble; Le siècle les admire et ne les connaît pas, Le pauvre les regarde et les nomme tout bas. *Madame la duchesse et mademoiselle d'Orléans Mais quel est cet enfant? L'avenir de la France!!! La promesse de Dieu qu'embellit l'espérance! De ses seuls cheveux blonds son beau front couronné Ignore encor le rang pour lequel il est né; Libre encor des liens de sa haute origine, II sourit au fardeau que le temps lui destine; Ses yeux bleus, où le ciel aime à se retracer, Sur ces pompes du sort s'égarent sans penser; Il ne voit que l'éclat dont le trône étincelle, La vapeur de l'encens qui monte ou qui ruisselle, Le reflet des flambeaux répété dans l'acier, Ou l'aigrette flottant sur le front du guerrier; Et, comme Astyanax dans les bras de sa mère, Sa main touche en jouant aux armes de son père. Le pontife est debout : le nard aux flots dorés Semble prêt à couler de ses doigts consacrés; CIIARLE, à genoux, baissant son front sans diadème, - Offre ses blancs cheveux aux parfums du saint chrême; Et le prêtre, élevant la couronne en ses mains Parle au nom du seul maître, au maître des humains. Si nous étions encore aux siècles des miracles'', La colombe, planant sur les saints tabernacles, T'apporterait du ciel le chrême de Clovis,. La main d'un ange même, aux accents d'un prophète, Poserait sur ta tête La couronne de lis! Mais ces temps ne sont plus! le passé les emporte; Le ciel parle à la terre une langue plus forte : C'est la seule raison qui l'explique à la foi ! Les grands événements, voilè, les grands prestiges! Tu cherches les prodiges! Le prodige, c'est Toi! C'est toi! Roi sans sujets! fugitif sans asile! Proscrit du trône ingrat d'où l'Europe t'exile, Tu vas traîner des rois l'indélébile affront, Puis, au moment marqué par le Maître suprême, Tu reviens : de lui-même Le bandeau ceint ton front.! Tu reviens sans trésors, sans alliés, sans armes, Toucher du pied royal cette terre de larmes, Cette terre de feu qui dévorait les rois! Comme un homme trompé par un funeste rêve, On s'éveille, on se lève, On s'élance à ta voix ! Le voilà! » Ce seul mot a reconquis la France; Tout un peuple animé de zèle et d'espérance Te porte dans ses bras au palais paternel ! Le soldat, des Germains ne compte plus le nombre, Et se désarme à l'ombre De ton trône éternel ! Les villes à tes pieds portent leurs clefs fidèles; Les soldats étonnés, ouvrant leurs citadelles, Comme un salut royal déchargent leur canon ! Ces drapeaux que jamais, aux éclairs de la poudre, Ne fit baisser la foudre, S'abaissent à ton nom! La Liberté superbe, à ta voix assouplie, Sous un joug volontaire avec amour se plie; Tu souris au pardon sur la force appuyé ! Trente ans comme un seul jour s'effacent : ta mémoire Se souvient de la gloire; Le crime est oublié! Il semble qu'un esprit de grâce et d'harmonie Aux coeurs de tes sujets ait soufflé ton génie! Que du royal martyr le voeu soit accompli ! Et que chaque Français, comme une sainte offrande, Devant tes pas répande L'espérance et l'oubli! Viens donc! élu du ciel que sa force accompagne; Viens! Par la majesté du divin Charlemagne! La valeur de Martel ou du soldat d'Ivri! .Par la vertu du roi qu'a couronné l'Église! Par la noble franchise Du quatrième Henri ! Par les brillants surnoms de cette race auguste : Le Sage, le Vainqueur, le Bon, le Saint, le Juste; La grâce de Philippe ou de François premier! Par l'éclat de ce roi dont l'ascendant suprême Imposa son nom même Au siècle tout entier ! Par ce martyr des rois qui mourut pour nos crimes! Par le sang consacré de cent mille victimes! Par ce pacte éternel qui rajeunit tes droits! Par le nom de Celui dont fout sceptre relève! Par l'amour qui t'élève Sur ce nouveau pavois! Au nom du seul puissant, du seul saint, du seul sagè, Dont l'espace et le temps sont le vaste héritage, Dont le regard s'étend à tout siècle, a tout lieu! Sois sacré ! tu deviens, par ce royal mystère, Le maître de la terre, Le serviteur de Dieu ! Règne! juge! combats! venge! punis! pardonne! Conduis ! règle ! soutiens ! commande ! impose ! ordonne ! Par la vertu d'en haut sois couronné! sois Roi! Ta main dès cet instant peut frapper, peut absoudre; Ton regard est la foudre, Ta parole est la loi! Il dit : un seul cri part; l'air mugit, l'airain sonne! Les drapeaux déroulés flottent; le canon tonne, Et l'ardent TE DEu I, ce cantique des rois, S'élance d'un seul coeur et de cent mille voix! « Que la terre et les cieux et les mers te bénissent! Qu'au choeur de chérubins les séraphins s'unissent Pour célébrer ici le Dieu qui nous sauva. Saint, Saint, Saint est son nom! Que la foudre le gronde, Que le vent le murmure, et l'abîme réponde : Jéhova! Jéhova! » Qu'il gouverne à jamais son antique héritage! Sur les fils de nos fils qu'il règne d'âge en âge; Nos cris l'ont invoqué ! sa foudre a répondu ! De toute majesté c'est la source et le père! Le peuple qui l'attend, le siècle qui l'espère N'est jamais confondu! »Qu'il est rare, ô mon Dieu, que ta main nous accorde Ces temps, ces temps de grâce et de miséricorde, Où l'homme peut jeter ce long cri de bonheur, Sans qu'un soupir, faussant le cantique d'ivresse, Vienne en secret mêler aux. concerts d'allégresse L'accent d'une douleur! »Mais béni soit mon temps! le monde enfin respire; De trente ans de combats le bruit lointain expire : La terre enfante l'homme, et n'a plus soif de sang! Sur deux mondes unis qui marchent en silence On n'entend que la voix de la reconnaissance Qui monte et redescend. »Les rois ont recouvré leur divin héritage; Les peuples, leur rendant un légitime hommage, Ont placé dans leurs mains le sceptre de la loi! Elle brille à leurs yeux comme un céleste phare, Et dans le temple en deuil leur piété répare Les débris de la foi. »L'homme voit sur les mers ses flottes mutuelles A tous les vents du ciel ouvrir leurs libres ailes; La sueur de son front ne germe que pour lui; Et partout dans la loi, sourde comme la pierre, Le crime a son vengeur,, la force sa barrière, Le faible son appui. »En génie, en vertu, la terre encor féconde Ouvre un champ sans limite à l'avenir du Inonde; Chaque jour à son siècle apporte son trésor; Les éléments soumis ont reconnu leur maître, Et l'univers vieilli rêve qu'il voit renaître Un dernier âge d'or...« Et toi qui, relevant les débris des couronnes, Viens du trône des rois embrasser les colonnes, Rêve des nations, qu'ont vu passer nos yeux, Que le Christ après lui fit descendre des cieux! LIBERTÉ! dont la Grèce a salué l'aurore, Que d'un berceau de feu ce siècle vit éclore, Viens, le front incliné sous le sceptre des rois, Poser le sceau du peuple au livre de nos lois,! Trop longtemps l'univers, lassé de tes orages, Aux mains des factions vit flotter tes images; Trop longtemps l'imposture, usurpant ton beau nom, De ses honteux excès fit rougir la raison: L'univers cependant, effrayé de lui-même, T'invoque et.te maudit, t'adore et te blasphème, Et, comme un nouveau culte aux humains inspiré, Ne peut fixer encor ton symbole sacré! Je ne sais quel instinct, plus sûr que l'espérance, Présage aux nations ton règne qui s'avance: L'opprimé, l'oppresseur, te rêvent à la.fois; Un peuple enseveli ressuscite à ta voix; Le voile qui des lois couvrait le sanctuaire Se déchire, et le jour de tes yeux les éclaire. Les partis triomphants, si prompts à t'oublier, Se couvrent de ton nom comme d'un bouclier; Chaque peuple à son tour te possède ou t'espère, Et ton oeil cherche en vain un tyran sur la terre! Viens donc! viens, il est temps, tardive liberté! Que ton nom incertain, par le ciel adopté, Avec la vérité, la force et la justice, Du palais de nos rois orne le frontispice ! Que ton nom soit scellé dans les vieux fondements De ce temple où la foi veille sur leurs serments; Et que l'huile, en coulant sur leur saint diadème, Retombe sur ton front et te sacre toi-même! Règne! mais souviens-toi que l'illustre exilé Par qui dans ces climats ton deuil fut consolé, Précurseur couronné que salua la France, T'annonça dans nos maux comme une autre espérance, Et, t'arrachant lui seul aux mains des factions, Fit de tes fers brisés l'ancre des nations; Que ton ombre, régnant sur un peuple en délire, Et .victime bientôt des fureurs qu'elle inspire, Fit au monde étonné regretter les tyrans; Que tu fus enchaînée au char des conquérants; Que ton pied traîne encor les fers de la victoire A ces anneaux dorés qu'avait rivés la gloire, Et que pour affermir et consaçrer tes droits, Ton temple le plus sûr est le coeur des bons-rois! Source: http://www.poesies.net