Quarante Sonnets. Par Marc De Papillon De Lasphrise. (1555-1599) TABLE DES MATIERES. Sonnet des gestes des Dames. Sonnet Sur Le Trespas De Monsieur D'Estrées Grand Maistre De L'Artillerie. Sur Le Trespas De Marie Preuost, Madamoiselle De Vau-berault Ma Mere. Sonnet A Monsieur De Bauuais Nangy. Heureux qui est muet, ensemble aveugle et sour... Afin qu'amour-oiseau ne soit plus si volage... Avant que d'adorer le ciel de vos beautés... Comme un corps féminin que la mère Nature... Cousinons la cousine, elle est cointe et jolie... Ha Dieu! que j'ai de bien alors que je baisotte... J'aime bien le savoir, bien que je n'aime à lire... J'aime tant ce parler bégayement mignard... Je l'oeilladais mi-nue, échevelée... Je penserai plutôt la mer non variable... Je voudrais bien, pour m'ôter de misère... La honte à l'oeil baissé ne me fera point taire... Mais quelle aveugle loi tellement te maîtrise... M'amour, tu as trahi ma jeunesse peu caute... N'oser aimer celui, doué de bonne grâce... Ô belle Noémie, approche, embrasse-moi... Pourquoi négliges-tu l'extrême affection... Quand viendra l'heureux temps que je sacrifiré... Que ne suis-je échangé en précieuse pluie... Qu'en dites-vous, mon Coeur? Je vous prie de le dire... Quoi! qu'est-ce que ceci? ma mignonne, es-tu folle?... Si l'amour ne paraît à mes désirs constant... Si les pleurs douloureux, si les tristes complaintes... Sur ses ailes, Amour, d'un vol plein de vitesse... Ton poil, ton oeil, ta main, crêpé, astré, polie... Ton voile noir te fait approuver feinte... Un jour le Ciel était superbement ému... Ce riche entendement, ceste aggreable grace... J'ay veu les belles fleurs du Printemps desirable... Je pense en toute chose, et si ne pense en rien... Je m'arreste,je cours, en repos je trauaille... Hà beaux tourmens! hà paisibles fureurs... Mon la fvie, à ce coup Mars, Vulcain, Tisiphonne... Je penseroy plustost la mer non variable... Que benist soit le iour de ma belle naissance... La Courtisane a au moins trois Amants... Je le veux appeller le doulx-merueilleux dieu... Plustost on contera les bestes, les oiseaux... La beauté se fait voir tousjours par son contraire... Traistre en Amour, femme infame, impudique... Il n'est point tant d'enuie... Que nous seruent les biens, dictes,je vous supplie... Note. Sonnet Des Gestes Des Dames. S'habiller bravement, s'ombrer de fards menteurs, D'un mauvais mot nous feindre une éloquence, Apprendre à bégayer, n'aller qu'à révérence, Et n'être aucunement sans servants serviteurs, Recevoir le poulet, le plumer par humeurs, Porter un éventail qui sert de contenance, Avoir plus d'appareil que de vraie contenance, Et hiéroglyphiquer en bizarres couleurs, Naviguer à tous vents, adorer la fortune, Faire bien les yeux doux, faire toujours la jeune, Babiller, brocarder, médire nuit et jour, Se mirer à toute heure haussant la chevelure, Mettre en parlant d'amour des pièces sans couture, Ce sont les actions des Dames de la Cour. Sonnet Sur Le Trespas De Monsieur D’Estrées Grand Maistre De L’Artillerie. EStrées ne requiert Lysippe, Apelle, Homere, Pour engrauer, despeindre, ajourner haultement La grandeur, la beauté, le bon entendement, De son coeur, de son corps, et de son ame entiere, Qui s’apparust si braue, aimable, Justiciere, Sans fiction, sans fard, et sans déguisement, Que l’honneur, que l’Amour, que Dieu du firmament L’admira, l’adora, luy monstra sa lumiere. Si bien que ce guerrier (Aigle des preux François) A seruy fortuné loyalement six Roys, Dont le feu glorieux iusques au Ciel s’allume. Ce passe-Phaëton dompta les fouldroyans, Sa race illustre aussi soleille de tout temps, Il ne luy faut donc point burin, pinceau, ni plume. Sur Le Trespas De Marie Preuost, Madamoiselle De Vau-berault Ma Mere. Si j’ay vescu, ore il faut que je meure, Si j’ay parlé,je manque de propos, Si j’ay dormy,jen’ay plus de repos, Si j’ay chanté,je souspire à ceste heure. Si j’ay marché, maintenant je demeure, Si j’ay vaincu,jedoute les assaux, Si j’eu des biens,je n’ay plus que des maux, Et si j’ay ry, las! il faut que je pleure. Si j’ay ioüé,jen’ay plus de plaisir, Si j’ay aimé,je n’ay plus de desir, Si j’ay gaussé, à ce coup je m’ennuye. Si j’estoy sain,je suis ores perclus, Si j’ay esté, bons dieux!je ne suis plus, Perdant ma mere essence de ma vie. Sonnet A Monsieur De Bauuais Nangy. Non sans cause, Beavvais, que la mere Nature T’a faict l’ame aggreable et l’esprit auisé: Car du miroir d’Amour tu es fauorisé, Et cheris d’Apollon la saincte nourriture. Non sans cause, Beavvais, que Mars sur toy s’asseure: Car tu es valeureux sans estre déguisé, En estant bien voulu, honoré, et prisé Des Dames, du conseil, des guerriers à toute heure. Image de Thesée, amoureux Paladin, Doulx, eloquent, hardy, chef-d’oeuure de Iupin, D’vn corps, d’vn sens, d’vn coeur, beau, prompt, plein de victoire, Cher, grand, crainct, aux beautez, aux sçauans, aux soldats, Ainsi que Cupidon, que Phebus, et que Mars. »Heureux qui a l’Amour, la science et la gloire. Heureux qui est muet, ensemble aueugle et sour... Heureux qui est muet, ensemble aueugle et sour, Pour ne dire, ne voir, ni nullement entendre La fraude, et trahison, l’orgueil qu’on void espandre Du conseil, de la guerre, et du diuers Amour. La bouche, l’oeil, l’aureille (intime Amy dv bovr) Ne mesdict, ne s’esgare, et ne se peut mesprendre, Ni ne crainct le babil, l’aspect noir, l’ouyr tendre Des femmes, des jaloux, des conteurs de la Cour. Le plaisir, la lueur, le mal-plaisant vacarme, Ne l’esmeut, ne l’engarde, et ne trouble son ame, Il n’est iamais menteur, traistre ni souspçonneux. Il ne dict, n’apperçoit, ni n’oit rien qui l’ennuye, Muet, aueugle, et sour, sa bouche, l’oeil, l’ouye, Ne sçauroit l’empescher du plaisir Amoureux. Afin qu'amour-oiseau ne soit plus si volage... Afin qu'amour-oiseau ne soit plus si volage, Je veux qu'il ait la forme ores d'un Papillon, Il en sera plus gai, plus mignard, plus mignon, Plus céleste, éveillé, plus reluisant, plus sage. Il ne sera plus triste, étrangement sauvage, Mais joyeux, mais privé, toujours beau, toujours bon, Immortel, renaissant en la prime saison, Bien humble, voletant sans faire aucun outrage. Le soleil est le père à cet oisillon doux Qui d'un ver précieux s'engendre idoine à tous, Filant pour le public, s'emprisonne soi-même, Pour élargir ses biens à qui le gardera. En l'honneur de mon nom l'amour doncques sera Désormais plus aimable, aimant comme on l'aime. Avant que d'adorer le ciel de vos beautés... Avant que d'adorer le ciel de vos beautés, D'un clin d'oeil triplement j'aperçus d'aventure Votre visage, Amour, chef-d'oeuvre de Nature, Par qui je souffre, hélas, tant d'âpres cruautés! Vous teniez ce cristal, miroir des déités, Qui me représenta votre sainte figure, Et ce riche portrait, riche de la peinture Des braves traits naïfs de vos divinités. Si j'ai donc vu d'un coup diverse votre face, Que peut ore espérer mon coeur qui vous pourchasse? Ha! je crains que ce teint ne soit gorgonien! Mais s'il faut que ma mort procède de ma vue, Un nouvel Actéon je me désire bien: Il n'est rien de si beau comme une beauté nue. Comme un corps féminin que la mère Nature... Comme un corps féminin que la mère Nature N'a point favorisé de présent gracieux S'efforce vainement, d'un art industrieux, A vouloir déguiser sa première figure, Ainsi l'illustre honneur par qui ma vie endure, Sans être atteint du dard du premier né des dieux, S'ombre inutilement pour complaire à mes yeux, Car la bonne amitié n'a point de couverture. Je sais bien davantage, ha! taisez-vous, mes vers, Ne découvrez l'ardeur qui vous rend si divers, Si faites, poursuivez, n'ayez aucune doute, Il est permis de plaindre aux pauvres affligés, De même aux amoureux traîtrement licenciés. Mais non, ne dites rien, ma dame nous écoute. Cousinons la cousine, elle est cointe et jolie... Cousinons la cousine, elle est cointe et jolie, Elle aime à cousiner, et ne refuse rien Au cousin cousinant, qui la cousine bien, Car il a bouche à cour, et la chambre garnie. En si beau cousinage un cousin ne s'ennuie, Ce n'est que sucre et miel, ce n'est qu'humble entretien, Il ne manque d'attraits, de faveurs, de moyen, Tant qu'il peut cousiner sa cousine s'amie. Cousinons donc, cousins, un chacun à son tour, Cousinant à rangette on cousine en amour, Que chaque cousineux en cousinant s'assemble! Mais non, nobles cousins, fuyons ce coeur paillard, Laissons le cousiner au cousin grand pendard, Car au cheval Séjan la cousine ressemble. Ha Dieu! que j'ai de bien alors que je baisotte... Ha Dieu! que j'ai de bien alors que je baisotte Ma jeune folion dedans un riche lit Ha Dieu! que j'ai de bien en ce plaisant conflit, Perdant mon plus beau sang par une douce flotte. Ha Dieu! que j'ai de bien lorsque je la mignotte, Lorsque je la chatouille, et lorsqu'elle me rit. Ha Dieu! que j'ai de bien quand j'entends qu'elle dit D'une soufflante voix: "Mon mignon, je suis morte!" Et quand je n'en puis plus, ha Dieu! que j'ai de bien De faire la moquette en m'ébattant pour rien. Ha Dieu! que j'ai de bien de pinçotter sa cuisse, De lécher son beau sein, de mordre son tétault, Ha Dieu! que j'ai de bien en ce doux exercice, Maniant l'honneur blond de son petit tonneau. J'aime bien le savoir, bien que je n'aime à lire... J'aime bien le savoir, bien que je n'aime à lire, J'aime beaucoup la guerre et la douce santé, J'aime les bons chevaux, qui ont de la beauté, J'aime le doux repos, j'aime à chanter et rire. J'aime bien à moquer, un petit à médire, -Ne disant toutefois que toute vérité - J'aime l'honnête habit, j'aime la propreté, J'aime bien à voguer dessus un fort Navire. J'aime les lieux déserts, les habités aussi, J'aime le jeu, la dance, ennemis du souci, J'aime l'eau, la salade et la bonne viande. J'aime bien aux repas le vin délicieux, J'aime bien tout cela: mais, Saret, j'aime mieux Jouir de la beauté qui douce me commande. J'aime tant ce parler bégayement mignard... J'aime tant ce parler bégayement mignard Qui sent encor le lait d'une voix enfantine, Toutefois bien souvent il donne du poignard Qui m'objecte soudain à faire maigre mine. Mais tout ainsi qu'il faut que le brave soldard Doute moins l'ennemi que son bon capitaine, Ainsi, ma chère amour, je crains votre regard, Plus que de mes haineux la présence inhumaine. J'ai peur en vous aimant que vous soyez fâchée, Mais si vous courroucez de vous voir recherchée, N'ayez plus de rigueur, fuyez l'ombre commun, Ô sotte invention, ou bien devenez laide. Alors je ne serai nullement importun: Qui veut guérir d'Amour, en voilà le remède! Je l'oeilladais mi-nue, échevelée... Je l'oeilladais mi-nue, échevelée, Par un pertuis dérobé finement, Mon coeur battait d'un tel débattement Qu'on m'eût jugé comme en peur déréglée. Or' j'étais plein d'une ardeur enflammée, Ore de glace en ce frissonnement. Je fus ravi d'un doux contentement, Tant que ma vie en fut toute pâmée. Là follâtrait le beau soleil joyeux, Avec un vent, zéphyre gracieux, Parmi l'or blond de sa tresse ondoyante, Qui haut volante ombrageait ses genoux. Que de beautés! mais le destin jaloux Ne me permit de voir ma chère attente. Je penserai plutôt la mer non variable... Je penserai plutôt la mer non variable, Le beau printemps sans fleurs, le mois d'août sans moissons, Le froidureux hiver sans neige, sans glaçons, Et le pauvre idiot avisément croyable. Je penserai plutôt le bonheur abhorrable, L'automne sans fruitage, et sans nulles boissons, Le monde sans envie, et la mer sans poissons, Que je pensasse en rien son dire véritable. Jamais plus faussement nul ne fut accusé, Ni l'honneur de Suzanne à grand tort méprisé. Ha! langue serpentine envers tous venimeuse! Punis, mon Dieu, punis ce menteur inconstant, Brise, accable son chef de ton foudre éclatant, Pour apprendre à blâmer la beauté vertueuse. Je voudrais bien, pour m'ôter de misère... Je voudrais bien, pour m'ôter de misère, Baiser ton oeil -bel Astre flamboyant. Je voudrais bien de ton poil ondoyant Nouer un noeud qui ne se pût défaire, Je voudrais bien ta bonne grâce attraire, Pour me jouer un jour à bon esciant, Je voudrais bien manier ce friant: Aux appétits de mon désir contraire. Je voudrais bien faire encore bien plus, Défendre nu le beau flux et reflux De ta mer douce où l'Amour est Pilote. Je voudrais bien y être bien ancré, Et puis après ayant le vent à gré, Je voudrais bien périr en cette flotte. La honte à l'oeil baissé ne me fera point taire... La honte à l'oeil baissé ne me fera point taire, Je ne craindrai l'orgueil du causeur affeté, Je ne me cacherai pour n'être fréquenté, Laissant la sainte Amour qui ne me veut complaire. Je connais maintenant mon humeur téméraire, C'est trop pour un mortel qu'une Divinité, J'aimerai -comme humain -la douce humanité, Dont l'invincible mort ne me saurait distraire. J'ai adoré longtemps, gonflé de belle ardeur, Théophile aux beaux yeux, Déesse de l'honneur, Qui a d'un chaste voeu repu ma triste vie. Adieu donc feu m'Amour, miracle glorieux, Je suis trop peu pour vous digne des mêmes Dieux, Je vais voir les douceurs de l'humble Noémie. Mais quelle aveugle loi tellement te maîtrise... Mais quelle aveugle loi tellement te maîtrise De prendre un voile noir, égarant tes beaux yeux Des plaisirs, les plaisirs les plus délicieux, Pères de ta beauté, des beautés plus exquise? Quel Christ, quel saint, quel roi, quel ange, quel Moïse, A fait, dit, commandé, porté, prêché tels voeux? Que si c'était un saint, il fut lors oublieux D'ôter pour prier Dieu la divine franchise. Tous les biens assemblés sans elle ne sont rien, Et par elle les maux semblent s'adoucir bien, La chère liberté a l'honneur de la gloire. Ne tranche donc le mot de la profession, Ou tu es en danger, si tu ne me veux croire, De souffrir sottement double damnation. M'amour, tu as trahi ma jeunesse peu caute... M'amour, tu as trahi ma jeunesse peu caute. Je brûle t'oeilladant, certes je n'en puis plus! Vois ma couleur changeante et vois mes sens émus, Je suis près du péril de l'agréable faute. Je ne quiers si tu es papiste ou huguenote, Amour n'a point de loi. Malheureux sont tenus Ceux qui ne sont sujets de la belle Vénus, Qui fuit l'ombre d'honneur comme une chose sotte. Quel bonheur, quelle joie est-ce qu'on en reçoit? C'est un abus commun qui les femmes déçoit, Où l'amour est un bien qui réjouit notre âme. C'est trop dit, je me perds, ha mon dieu! je me meurs, Je sens une liqueur qui doucement me pâme. Bienheureux qui finit entre tant de faveurs. N'oser aimer celui, doué de bonne grâce... N'oser aimer celui, doué de bonne grâce, Qui est à ses amis sans artifice aucun, Ne parler à personne, éloigner un chacun, Fuir ce que la gloire aimablement pourchasse: Marcher piteusement avecque triste face Avoir le chef couvert d'un grand voile importun, Vivotter mal-en-point -usage trop commun - Et comme un prisonnier ne bouger d'une place, Renoncer la Nature, ha! quelle indignité! Et embrasser par voeu la laide pauvreté, Qui est assurément la mère vicieuse, Chanter en gémissant, rire en Sardonien, Ne vouloir point d'honneur, ni d'ami, ni de bien, Appellez-vous cela sainte Religieuse? Ô belle Noémie, approche, embrasse-moi... Ô belle Noémie, approche, embrasse-moi, Et ne m'allègue plus ma sainte ardeur éprise, Disant que je m'en aille à Théophile exquise A qui j'offris mes voeux premièrement qu'à toi. Je me fâche vraiment de ce double renvoi Qui fraude les loyers de ma brave entreprise: Le grand Prince use ainsi d'une feinte remise Pour égarer l'effet de sa douteuse foi. Je crains que tu ne sois en cette humeur encline: Sans cesse l'on retient de sa prime origine, On a beau transplanter le rosier odorant, Le tailler, le lier pour adoucir ses roses, Toujours il pique un peu; aussi fait ton coeur grand, Bien que ton sang illustre ait des métamorphoses. Pourquoi négliges-tu l'extrême affection... Pourquoi négliges-tu l'extrême affection Dont je te veux servir, ma gente Théophile? Tu m'amènes la loi, qui est toute mobile, Étant sujette aux rois, divers d'opinion. Je ne trouve au couvent nulle religion: Sans l'effet apparent la voix est inutile. La royale Amilly si belle, si subtile, S'abuse comme toi en la dévotion. La vie sans plaisir est une mort hideuse, L'aise que tu reçois d'être religieuse, C'est chanter -quel soulas! -jour et nuit en latin, Bien qu'en psalmodiant ton âme s'éjouisse. Mais ton honneur mignon, ta bouche, et ton tétin Ont malgré les saints voeux besoin d'autre délice! Quand viendra l'heureux temps que je sacrifiré... Quand viendra l'heureux temps que je sacrifiré Mon corps sur votre autel que saint Désir dédie, Que j'épandrai mon sang en mémoire infinie D'avoir par une erreur si longtemps soupiré? Quand viendra l'heureux jour que je vous offriré Un bénit cierge ardent avec cérémonie, Étant à deux genoux près de vous accomplie, Afin d'avoir pitié de mon coeur martyré? Hé! quand serai-je orné dans votre sacré temple, Servant vos déités que dévot je contemple? Quand accepterez-vous ma chère oblation, Pour fidèle témoin de mes peines souffertes? Mais quand en recevant mes divines offertes Aurai-je de vos mains la bénédiction? Que ne suis-je échangé en précieuse pluie... Que ne suis-je échangé en précieuse pluie, J'assoupirai Éole en sa prison soufflant! Que ne suis-je changé en aigle haut volant Pour te faire compagne à la grande Asterie! Que ne suis-je échangé en babillarde pie Pour t'aller saluer ores en gaudissant! Que ne suis-je échangé en taureau blanchissant Pour paître bienheureux en ta belle prairie! Mais que n'ai-je le charme au valeureux Jason Pour gagner glorieux ta plus riche toison, Car tu es l'ornement du troupeau mieux voulu, J'en crois les saints bergers, le prophète Anagramme Dit encor que toi seule orne ce pré élu. Que l'or Lève en ce pré pour l'amour de ma dame. Qu'en dites-vous, mon Coeur? Je vous prie de le dire... Qu'en dites-vous, mon Coeur? Je vous prie de le dire. Quoi? vous rêvez, ce semble, ô quelle étrange humeur! Mais ce beau teint changeant m'avant-court un bonheur, Et ce vent tremblotant qui doucement soupire. Las! ce bel oeil baissé, dont le jour se retire, Pourrait bien messager quelque étrange douceur: Non, ce souris bénin présage une douleur, Pour donner à ce coup trêve entre mon martyre. Parlez donc, mon souci, quoi? vous ne dites rien. Qui se tait il consent, vous le voulez donc bien. Approche-toi m'Amour, baise-moi ma chère âme, Je me veux enivrer de la douce poison, Qui tant et tant de fois suborna ma raison: Seigneur Dieu je me meurs, je me perds, je me pâme. Quoi! qu'est-ce que ceci? ma mignonne, es-tu folle... Quoi! qu'est-ce que ceci? ma mignonne, es-tu folle? Ne te moques-tu point? penses-tu apaiser L'audace de mon feu par un simple baiser, D'un gracieux regard, d'une douce parole? Ni pour la compagnie, il faut que je t'accole. Ne crains qu'on le découvre, on ne peut l'aviser, Selon qu'il me plaît ore avec toi deviser, Assis sur cette chaire agréablement molle. Puis chacun parle à part, s'entretenant tout bas. Faisons ainsi afin qu'on ne s'en doute pas, Prenons l'occasion qui douce nous salue. Là feignant d'admirer ton bel entendement, Te serrant près de moi, j'hausserai vitement Ton linge délié par ta jupe fendue. Si l'amour ne paraît à mes désirs constant... Si l'amour ne paraît à mes désirs constant, Il n'en faut s'étonner. Le monde est variable, Toute chose ici-bas est mouvante et muable, Tout se change et rechange en un même instant. Il n'est rien qui ne soit gouverné par le vent. Le seul vent nous dispose, et au lit nous accable; Du vent nous recevons le beau temps désirable, Et la fâcheuse pluie encores plus souvent. Si doncques le vent prompt nous régit à toute heure, Si l'on a toujours l'oeil sur sa frêle demeure, Comme ayant biens et maux par sa légèreté (Qui ne vient aux humains comme elle est demandée), C'est donc folie, amis, d'espérer fermeté, Puisque notre espérance est sur un vent fondée. Si les pleurs douloureux, si les tristes complaintes... Si les pleurs douloureux, si les tristes complaintes, Si les mortels sanglots, si les regrets cuisants, Si les fières fiertés, si les ennuis nuisants, Si les funestes cris, si les rigueurs non feintes, Si les maux outrageux, si les dures atteintes, Si les noires fureurs, si les gémissements, Si les soupirs profonds, si les âpres tourments, Si les afflictions, si les ardeurs contraintes, Si la sainte raison, si la douce amitié, Si l'honneur désireux doit mouvoir à pitié, Vous devez (il est temps) de m'être favorable. Par vous à tous moments je meurs tout insensé, Trois fois maudit Amour, méchant, qui eût pensé Que ta puissance eût pu me rendre misérable? Sur ses ailes, Amour, d'un vol plein de vitesse... Sur ses ailes, Amour, d'un vol plein de vitesse, Sans donner à mon âme un moment de repos, Plus vite qu'un dauphin qui traverse les flots, Me transporte haut-volant vers ma chaste déesse. Jamais de tel randon (1) des aquilons la presse, Franchissant à l'envi d'Amphitrite les sauts, Si raide n'élança par le glacis des eaux Le vaisseau désarmé vide de toute adresse. Comme sur les cerceaux de cent mille désirs Le vent impétueux de mes ailés soupirs Me trajette à grands bonds au phare de sa vue: Flambes d'amour et vous, soupirs, enfants de l'air, Passez-moi sans danger cette amoureuse mer, Et puis à mon retour que votre feu me tue. Ton poil, ton oeil, ta main, crespé, astré, polie... Ton poil, ton oeil, ta main, crespé, astré, polie Si blond, si bluettant, si blanche (alme beauté) Noüe, ard, touche, mes ans, mes sens, ma liberté, Les plus chers, les plus prompts, la plus parfaicte Amie, Mais ce neud, mais ce feu, mais ce traict gaste-vie, Qui m’enlace, m’enflamme, et me naure arresté, Estreinct, encendre, occist, auecques cruauté, Quel cheueu, quel flambeau, quelle dextre ennemie? Phoebus, Cypris, l’Aurore (Ange du plaisant jour) Ton Poëte, ta Mere, et ta cousine Amour, Porte-crins, porte-rais, porte-doigts aggreables, Puisses-tu donc beau poil, bel oeil, et belle main, Lier, brusler, blesser, mon coeur, mon corps, mon sein, De cordelles, d’ardeurs, de playes amiables. Ton voile noir te fait approuver feinte... Ton voile noir te fait approuver feinte, Il te déguise en cachant tes beaux yeux, Et si convient à ton voeu soucieux, Qui est couvert de religion sainte. Certainement toute chose contrainte Est haïssable aux hommes et aux dieux; Par force on entre au couvent odieux Qui rend la vie étroitement étreinte. Tu me diras:"J'y ai dévotion", Quelle folie aimer l'affliction, Vu que bonté est souvent dangereuse! Ainsi plusieurs se gâtent du bon vin, En bonne terre est le mauvais chemin, Et ta vertu est ainsi vicieuse... Un jour le Ciel était superbement ému... Un jour le Ciel était superbement ému, Quand l'odorante Flore étale sa richesse: Moi -comme bon Chrétien -m'en allé à la Messe Proposant d'amortir l'audace de mon feu: Mais que m'en advint-il? pardonne-moi, ô Dieu! J'ai changé ton image en ma belle Maîtresse, Et encore, ô malheur! si grande était la presse, Qu'on me vit pris d'Amour qui commande en tout lieu. Adoncques j'entendis au milieu de l'Eglise Une sourde rumeur du malheureux Lasphrise, L'un le disait méchant, l'autre plus avisé Remontrait qu'on ne peut surmonter l'indomptable, Qu'Amour, enfant du Ciel, veut être plus prisé, Qu'on doit donc l'accuser, non l'Amant misérable. Ce riche entendement, ceste aggreable grace... Ce riche entendement, ceste aggreable grace, Ce ieune teinct serain, de l’Aurore emprunté, Ces deux yeux soleillans, flambeaux de chasteté, Ce langage doré qui doulcement menace, Ce poil blond ondoyant, ceste Angelique face, Ce graue-doux accueil, ceste humble priuauté, Cest honneste maintien, ceste belle beauté, Ce grand front yuoirin où tout honneur se place, Ceste petite bouche entournée d’oeillet, Ce nez assez traitif, ceste gorge de laict, Ces coutaulx emboutis d’vne fraise pourprine, Ce bras, ce pied, ce corps qui à Pallas ressemble, Ce petit mon mignon, que sans voir j’imagine, Cela me faict languir, mourir, et vivre ensemble. J’ay veu les belles fleurs du Prin-temps desirable... J’ay veu les belles fleurs du Prin-temps desirable, J’ay veu le Ciel paré de flambeaux lumineux, J’ay veu calmer la mer, j’ay veu l’or precieux, J’ay veu du Dieu guerrier l’ordonnance aggreable, J’ay veu du Delien le bel oeil fauorable, J’ay veu des grands Palais le front audacieux, J’ay veu les champs, les bois, les monts delicieux, J’ay veu gazouiller l’eau d’vn ruisseau delectable, J’ay veu le bled cresté ondoyamment baisser, J’ay veu l’humble Venus son Adon caresser, J’ay le bal sacré des huict Soeurs de Thalie, J’ay veu le bien, l’honneur, la doulceur, la santé, J’ay veu le plaisant fruict de chere nouueauté, Maisjen’ay rien veu beau, comme ma fiere Amie. Je pense en toute chose, et si ne pense en rien... Je pense en toute chose, et si ne pense en rien, J'ay mille tourbillons, qui tonnent pesle-mesle, J'ay le froid, j’ay le chaud, pluye, esclair, neige, gresle, J'ay coup sur coup chez moy, et le mal, et le bien. J'aspire vne Déesse, et si suis terrien, (Ce dy-ie quelquesfois lors que l’ardeur me gelle) Puis fureur sur fureur, promptement me martelle, Disant que malgré tous son honneur sera mien. A pas longs, et tardifs, quand Phoebus se retire, Ie vay audacieux déplorer mon martire, A quelque belle Echojerequiers mes douleurs. J'entrelasse noz noms,jefay quelque deuise, Ie chante, cifle et ris, desesperéjemeurs, D’Amour ( Rochebaron) mon ame Rolendise. Je m’arreste,je cours, en repos je trauaille... Je m’arreste,jecours, en repos je trauaille, Ie suis ieune, dispos,je suis vieil, decrepit, J'embrasse mon plaisir,je creue de despit, J'ay beaucoup de richesse, et n’ay chose qui vaille: J'aime la liberté, la prisonjeme baille, Ie suis sourd, j’entens tout, mon coeur franc se desdit, J'abhorre la misere, et la mets en credit, Ie tire coup d’estoc, et je frappe de taille: Ie guerroye en tout temps, iamaisjene combas, Ie desire la vie, et cerche le trespas, J'aime la patience, et maintenant je gronde, Ie renonce les Dieux, et suis en oraison, Ainsi pour vous (mon tovt) j’esgare ma raison, Par l’espoir, par la peur, le vray enfer du monde. Hà beaux tourmens! hà paisibles fureurs... Hà beaux tourmens! hà paisibles fureurs! Hà doulx trauail! hà faulte souhaitable! Hà fierté humble! hà langueur amiable! Hà belle guerre! hà bien-heureux mal-heurs! Hà chers ennuis! hà gentilles douleurs! Hà durté molle! hà refus aggreable! Hà mal salubre! hà desdain pitoyable! Hà viue mort! hà suaues aigreurs! Hà gay soucy! hà sauoureux martire! Hà fers benings! hà larmes qui font rire! Hà dueil ioyeux! hà des plaisir plaisant! Hà gente erreur! hà prison doulcereuse! Hà viue flame! hà fiebure gracieuse! Voyez l’orgueil que je desire tant. Mon la fvie, à ce coup Mars, Vulcain, Tisiphonne... Mon la fvie, à ce coup Mars, Vulcain, Tisiphonne, Cruel, bruslant, sanglante, apparoist à mes yeux, Qui du fer, qui du feu, qui au sang furieux Poindra, ardra, noy’ra, ceste race felonne. Le coup, l’ardeur, l’humeur, blesse, enflame, bouillonne, Le coeur, le corps, et ja le foye bilieux A mort, en cendre, inonde, au cercueil oublieux Des guerriers boute-feux, empourprisant Bellonne: Maisjeveulx des premiers donner sur le secours Quelque grand coup d’espée en l’honneur des Amours, Et s’il faut quejemeure en si braue entreprise, Fay bastir mon tombeau aux champs plus découuerts, Fais-y peindre ma Dame auecque ce beau vers, Povr ceste belle image est mort le prevx Lasphrise. Je penseroy plustost la mer non variable... Je penseroy plustost la mer non variable, Le beau Prin-temps sans fleurs, le mois d’Aoust sans moissons, Le froidureux hyuer sans neige, sans glaçons, Et le pauure idiot aduisément croyable. Ie penseroy plustost le bon-heur abhorrable, L’Automne sans fruictage, et sans nulles boissons, Le monde sans enuie, et la mer sans poissons, Quejepensasse en rien son dire veritable. Iamais plus faulsement nul ne fust accusé Ni l’honneur de Susanne à grand tort mesprisé. Ah! langue serpentine enuers tous venimeuse! Punis, mon Dieu punis ce menteur inconstant, Brise, accable son chef de ton fouldre esclatant, Pour apprendre à blasmer la beauté vertueuse. Que benist soit le iour de ma belle naissance... Que benist soit le iour de ma belle naissance, Bien que j’aye souuent de l’ennuyeux mal-heur, Que benist soit le iour que j’eu ceste faueur D’approcher voz beautez des beautez l’excellence. Que benist soit le iour que j’esloigné la France, Pour voir les monts poinctus du Tu-Gean sans peur, Que benist soit le iour qu’vn poignard garde-honneur Me seruit empourpré d’vne heureuse defence. Que tu sois tres-beniste, et que tres-benist soit Le peuple au doulx regard, porte-paix, sauue-droict, Qui me veid surmonter les orgueilleux gensd’armes. Cher secours desiré, aduienne apres mille ans Que la posterité renommant les Amants Benisse noz ardeurs, noz souspirs, et noz larmes. La Courtisane a au moins trois Amants... La Courtisane a au moins trois Amants, L’un pour jouir de la douce rosée, L’autre pour être humblement courtisée, Et cestui-ci pour avoir des présents. Enfin les trois se trouvent malcontents, Le premier sent sa vie malaisée, Le second plaint sa jeunesse abusée, Et le tiers est ruiné en dépens. Ainsi la femme, objet de nos misères Nous fait sentir ses douceurs bien amères, Ce n’est que vent que de sa fermeté. Plutôt l’Hiver se verra sans froidure, Et le Printemps sans la gaie verdure, Qu’elle ait son coeur en un lieu arrêté. Je le veux appeller le doulx-merueilleux dieu... Je le veux appeller le doulx-merueilleux dieu: Car il brusle la glace, il englace le feu, Et fait changer la flame en vne onde plus doulce, Par ses pleurs il fait rire et viure en vne mort, Par sa guerre il fait estre en aggreable accord, Et est plus gracieux alors qu’il se courrouce. Plustost on contera les bestes, les oiseaux... Plustost on contera les bestes, les oiseaux, Tout le peuple muet qui est dedans les eaux, Les sables d’alentour, que l’on sçache le conte Des caresses, des biens, que ce petit mignon (Duquel l’honnesteté me defend le vray nom) Fait couuer, fait esclore auec sa doulce honte. La beauté se fait voir tousiours par son contraire... La beauté se fait voir tousiours par son contraire. La nuict fait estimer le iour qui nous esclaire, Desestimant la femme, ainsi l’homme est prisé, Par le vent de la femme on void l’homme posé, C’est l’vnique bon-heur que nous receuons d’elle, Il n’auroit iamais faict qui diroit sa cautelle, Qui entreprend nommer ses faicts malicieux Aura plus tost nombré les estoiles des Cieux, Les poissons de la mer, les bestes terriennes, Le fueillage des bois, le sablon, les areines, L’herbe, les fleurs de May, aux prez et aux forés, Et les dons iaulnissans de la riche Cerés. Traistre en Amour, femme infame, impudique... Traistre en Amour, femme infame, impudique, Hé! qui t’a faict si chienne et si lubrique D’auoir tant de mignons? Ne te bailloy-ie assez grande delice En m’engouffrant dans ton vieil precipice, La mort aux compagnons? Si l’on te dict, ton seruiteur fidelle Pour t’aimer trop tombe en langueur mortelle, Tu dis qu’il n’est bien né, Et qu’il est plein d’vn mal qui le chagrine, Mais touche la conqueste sejanine Tu luy as donc donné. Qui veut nombrer les cautelles maudites, Les cruautez de tes fureurs despites, Que l’on sent quelquesfois, Conte plutost les couleurs Printanieres, Les gouttes d’eau des mers et des riuieres, Et les fueilles des bois. Il n’est point tant d’enuie... Il n’est point tant d’enuie, Ni tant de diuers noms, Tant d’araine d’Asie, Ni de grains de sablons, Que j’ay de triste oppresse, Pour ma belle Maistresse, Mais las! helas! Ce qui plus fort me blesse, Elle ne le croit pas. Qui veult nommer l’encombre, Qui Amoureux me suit, Qu’il face plutost nombre Des flambeaux de la nuict, Des flots de la marée, Quand elle est courroucée, Des mal-contens La grand’ trouppe amassée, Et des fleurs du Prin-temps. Que nous seruent les biens, dictes,jevous supplie... Que nous seruent les biens, dictes,jevous supplie, Si ce n’est pour passer ioyeusement la vie? Dieu les a ordonnez à ceste intention, Et si beaucoup auoyent vostre Religion, Pour neant nous aurions tant de biens en ce monde. Or doncques desormais nagez sur vne autre onde, Ou bien si vous voulez demeurer en prison, Ie vous supplie au moins d’accepter ma raison, Et de recompenser mon fidele seruice, (Qui ne sera iamais à d’autre que je puisse) Il vous est dedié, autre n’y a pouuoir, Auant se seicheroit vn fleuue pour pleuuoir, Plustost le feu sera plus que l’eau phlegmatique, Et plustost cessera toute auare practique ; Monstrez donc vostre oeil doulx, qui promet la pitié, » Le propre d’vne femme est d’vser d’amitié. Note. (1) mouvement impétueux. Source: http://www.poesies.net