La Coche. Par Marguerite De Navarre. (1492-1549) (Marguerite De France, D’Angoulême, D'Alençon.) Ayant perdu de l’aveugle vainqueur Non seulement le sentement du coeur, Mais de son nom, dits et faits la memoire; Ayant perdu le povoir et la gloire, Et le plaisir de la douce escriture, Où tant je fuz encliné de nature, Me trouvant seule en lieu si fort plaisant, Que le hault Ciel se rendoit complaisant, Par sa douceur et par sa temperance, A la verdeur du pré plein d’esperance, Environné de ses courtines vertes, Où mille fleurs à faces descouvertes Leurs grands beautés descouvroient au Soleil, Qui, se couchant à l’heure, estoit vermeil, Et laissoit l’air sans chaud ny froid, si doux, Que je ne sçay coeur si plein de courroux, D’ire et d’ennuy, qui n’eust eu guarison En un tel lieu, fors moy, qui, sans raison, Fuyant les gens, me retiray à part, Pour n’avoir plus en leur passetemps part: Car coeur qui n’ha de plaisir une goutte, D’en voir ailleurs il ha peine, sans doute. Par une sente, où l’herbe estoit plus basse, Me desrobay (comme femme non lasse) Hastivement, pour n’estre point suyvie, Car de parler à nul n’avoye envie. En mon chemin je trouvay un bon homme: Là m’arrestay, en lui demandant comme L’année estoit, et qu’il en esperoit, Qu’il avoit fait, qu’il faisoit, qu’il feroit De sa maison, femme, enfans et mesnage, De son repos et de son labourage? Prenant trop plus de plaisir à l’ouir Qu’en ce que plus me souloit resjouir. Ainsi parlant, pensant toute seule estre. Je vey de loing trois Dames apparoistre, Saillans d’un bois hault, fueillu et espès, Dont un ruisseau trescler, pour mettre paix Entre le bois et le pré se mettoit. Portant le noir, et l’une et l’autre estoit D’une grandeur; colletz, touretz, cornettes, Couvroient leurs colz, leurs visages et testes. Leurs yeuz je vey vers la terre baissez, Et de leurs coeurs, par trop d’ennuy pressez, Sailloyent souspirs, dont tout l’air resonnoit; Mais un seul mot leur bouche ne sonnoit. Leur marcher lent monstroit bien que tristesse Rendoit leurs pieds aggravez de foiblesse. Lors, quand je vey un si piteux object, Pensay en moy que c’estoit un subjet Digne d’avoir un Alain Charretier, Pour les servir comme elles ont mestier. Car moy, qui ay trop grande experience, Povois tresbien juger soubz patience Leur passion tresextresme estre close. J’ay maintesfois soustenu telle chose; Qui me feit lors desirer de sçavoir Si pis que moy elles povoient avoir. En ce desir vers moy les vey venir, Tousjours leurs yeux contre terre tenir. Que j’apperceu, quand furent près de moy, Jetter ruisseaux, dont ne peux ni ne doy La verité trop estrange celer. Car je les vey comme un fleuve couler. Je feiz du bruit, dont elles m’adviserent. Et l’une et l’autre un petit deviserent; Puis, essuyans leurs yeux secretement, Vindrent vers moy, me disans doucement: « Il vous seroit, ma Dame, mieux duisant Parler à nous qu’à ce facheux paysant. » Mais quand je vey descouvers leurs visages, Ausquelz Nature avoit fait telz ouvrages Qu’à leurs beautez nulle autre n’approchoit, Il me sembla que Nature pechoit D’avoir laissé amortir leur couleur, Car j’ignorois encores leur douleur. Je congnuz lors que c’estoient les trois Dames Que plus j’aymois, de qui Dieu corps et ames Avoit remplis de vertus, de sçavoir, D’amour, d’honneur, autant qu’en peult avoir Nul corps mortel de bonté et de grace; Mais de beauté l’une l’autre ne passe, Ny de façon, parole et contenance. Leur Trinité, sans nulle difference, Demonstroit bien, par l’union des corps, Qu’Amour leurs coeurs unit par doux accords. Croyez pour vray que pitié et desir De soulager leur couvert desplaisir Me contraingnit leur dire en souspirant: Un mal caché va tousjours empirant; Et, s’il est tel qu’il ne puisse estre pire, Il s’amoindrit quelquefois à le dire. Moy donc, jugeant par trop apparens signes Que vous portez le mal dont n’estes dignes, Je vous requier par l’Amour, qui commande Sur tous bons coeurs, ottroyez ma demande, Et dites moy la douleur et la peine Que vous souffrez, dont chacune est si pleine, Que sans mourir ne la povez porter. Si je ne puis au moins vous conforter, Je souffriray, par grand compassion, Avecques vous la tribulation. Vous estes trois, il vault mieux estre quatre, Et nous aller dedens ce pré esbatre. Et ne craingnez de privément parler, Car, comme vous, je promets le celer. Las, ce n’est pas par doute de secret Que nous craingnons compter nostre regret, Lequel voudrions estre par vous escrit; Mais nous voyons maintenant vostre esprit Si paresseux, si fâché ou lassé, Que ce n’est plus celuy du temps passé: Qui nous fait peur que la peine d’entendre Nostre malheur refuseriez de prendre. Dames (pour Dieu) n’attribuez à vice Si j'ay laissé, long temps ha, cest office, Pensant, pour vray, qu’Amour n’avoit obmis Un seul des tours qu’il fait en ses amys, Qu’en mes escritz passez ne soit trouvé, Et de mon temps veu, ouy ou prouvé. Et si leur dis: Je reprendray la plume, Et feray mieux que je n'ay de coustume, Si le subjet me voulez descouvrir. Ainsi disant, vy leurs doux yeux couvrir D’une nuée de larmes, dont la presse Les feit sortir par pluye trop espesse. Me regardans, me prindrent pour aller Dedens le pré, où longtemps sans parler Allasmes loing; et lors me prins leur dire: Si ne parlez, je n’ay garde d’escrire. Pour Dieu, tournez le pleur qui vous affole A descharger vostre ennuy par parole. L’une me creut, non la moins vertueuse, Ny ennuyée, et dit en voix piteuse: O vous, Amans, si pitié jamais eut Sur vous povoir de convertir en larmes Vos tristes yeux, si jamais douleur peut Brusler voz coeurs par ses cruelz alarmes, Et si jamais Amour voz langues feit Fondre, disant piteux et tristes termes, Oyez le plaingt du coeur non desconfit, Mais en mourant tousjours prest de porter Ce que luy donne Amour, qui lui suffit. Nous sommes trois, dont le reconforter Impossible est: car sans nostre amitié, Sans mort, tel mal ne sçaurions supporter. L’une de l’autre ha egale pitié, Egale Amour, egale fantasie, Tant que l’une est de l’autre la moitié: Entre nous trois n’y eut onc jalousie, Onques courroux, onques diversité. Si l’une ha mal, l’autre en est tost saisie; Du bien, aussi de la félicité, L’une n’en ha que l’autre n’y ayt part, Pareillement en la diversité. Mort pourra bien des corps faire depart, Mais nul malheur n’aura jamais puissance De mettre un coeur des deux autres à part. Or eusmes nous toutes trois jouissance Du plus grand bien qui peult d’Amour venir, Sans faire en rien à nostre honneur offense. Helas! que dur m’en est le souvenir, En me voyant advenir le contraire Du bien tresseur que je pensois tenir! O feint Amour, pour noz trois coeurs attraire, Tu leur donnas la fin de leur desir, Que tu leur viens hors de saison soustraire. Trois serviteurs, telz que l’on doit choisir, Eusmes par toy: dont la perfection Un Paradis nous estoit le plaisir, Beauté, bonté, tresforte affection, Tresferme amour, bon sens, bonne parole, C'estoit le pis de leur condition. Leur amitié n’ estoit legere ou fole; Leur grace estoit sage, douce, asseurée, Et de vertu povoient tenir escole. Par leur Amour grande et desmesurée Noz coeurs aux leurs rendirent si unis, Que la douleur nous en est demourée: Car d’un tel heur furent si bien garnis, Qu’ilz n’eussent sceu jamais souhaiter mieux. Las, ilz en sont maintenant bien punis, Sur tout le mien, malheureux, ennuyeux, Qui sent tresbien le coeur de son Amy Tout different du parler et des yeux. O trop cruel et mortel ennemy, Qui vois mon coeur languir de telle sorte, Que ne metz tu ton espée parmy, En m’asseurant qu’à une autre amour porte, Et que de moy plus il ne te souvient? Bien tost seroye ou consolée ou morte; Mais je ne sçay quel malheur te retient De m’en celer ainsi la verité, Ou si à toy, ou si à moy il tient. A moy? Las non! Amour et Charité Ont bien gardé mon coeur de t’offenser, Comme toy moy, sans l’avoir merité. Je ne sceu onc nulle chose penser Qui pour ton bien et honneur se peust faire, Où l’on ne m’aye soudain veu avancer. J’ay bien voulu mon ferme cours parfaire, Et te monstrer qu’Amour leale et bonne Tu ne sçaurois par ta faulte deffaire De ton costé. O trop feinte personne! Je ne sçay riens dont te puisse arguer, Fors que ton coeur au mien plus mot ne sonne; De ton parler je ne voy rien muer. Tu dis m’aymer ainsi que de coustume, Mais par mentir (je croy) me veux tuer; Car en t’aymant ma vie je consume, Et, en sentant que tu ne m’aymes point, Mon coeur se fait de patience enclume. Il est au tien, ainsi comme il fut, joint; Et le tien non, bien qu’en mentant tu dis Qu’il est tout mien: et Dieu le te pardoint! Qu’est devenu le regard de jadis, Qui messager estoit de ton feint coeur, A qui du mien jamais ne contredis? Et le parler, qui par douce liqueur Le rendoit mol et foible à se defendre, Dont toy, Amy, demourois le vainqueur? Tu dis m’aymer: mais qui le peult entendre, Quand tous les tours et les signes d’Amour En toy voy morts et convertis en cendre? O malheureux pour moy ce premier jour Où je cuydois mon heur prendre naissance, Et pour jamais faire en moy son sejour! Or ne voy plus en toy forme ne essence De ceste Amour que je cuydois si ferme. Je n’en ay plus tant soit peu congnoissance. J’ay bien douté souvent (je te l’afferme) Qu’en autre lieu eusse ton Amour mise, Qui t’eust mis hors de cest honneste terme. La verité diligentement quise J’ay sans cesser, et trouvé pour certain Que tu ne l’as encor en nulle assise. Qu’est ce de toy? Sera ton Amour vain, Ou bien est il de toy du tout sailly? Dis le moy franc, et me baille la main, En me quittant, sans que t’aye failly La Foy promise et de moy bien gardée, Et non de toy vaincu, non assailly. Assez tu m’as hantée et regardée, Mais en nul cas, qui sceust ou peust desplaire A un amy, ne m’as veue hazardée. Or ne sçay je, malheureuse, que faire, Puis que de toy un mot ne puys tirer De verité, qui me peust satisfaire. Je te voy triste, et souvent souspirer: Crainte me dit que ce n’est pas pour moy Qu’ainsi te voy par douleur martyrer. Amour me dit que si, et que sa Loy Permet telz cas pour mieux faire la preuve De ma tresferme et trop leale Foy. Crainte veult bien qu’un autre Amy je treuve Pour ne mourir en ce cruel tourment; Amour defend que je face Amour noeuve. Helas, mon coeur, quel est ton sentiment! Es tu de luy aymé, ou si aymer Un autre dois? Dy le moy franchement. Aymé ne suis, qui m’est cas trop amer, Car je le sens maugré son apparence. O feint Amy, que tu es à blasmer! Aymer ne puis, je n’ay point la puissance, Car long temps ha qu’en luy mis mon vouloir, Et en perdis du tout la jouyssance. Las! coeur, qui n’as d’une autre aymer povoir, Et d’estre aymé as perdu le plaisir, Tu n’as pas tort de te plaindre et douloir. Regarde, Amy, si tu as le loisir, S’il est tourment qui soit au mien semblable, N’ayant nul bien, ne de nul bien desir. Je n’ay nul bien, te congnoissant muable; N’y je n’en veux, craingnant de rencontrer Amy que toy moins parfait, variable. D’aussi parfait l’on ne m’en peult monstrer, Quant à beauté, vertu et bonne grace, Sur qui n’y ayt nul vice à remonstrer. Et qu’un qui fust moindre que toy j’aymasse, Plustost mourrois que de m’y consentir; Point ne mettray mon amitié si basse. Je ne me puys et me veux repentir De ceste Amour: fermeté la tient forte; Mais la douleur la veult aneantir. Fut il jamais douleur de même sorte? J’ayme un Amy qui dit m’aymer; mais quoy? Je voy et sçay qu’Amour est en luy morte. Laisser le doy, car clerement je voy Qu’il est menteur; mais mon Amour honneste Ne me permet faire ce que je doy, Et tant que d’oeil, bouche, pied, main ou teste, Si que d’Amour verray, rompre ne veux Ceste amitié prise à sa grand requeste. Si fermes sont les lyens et les noeudz Que, si rompuz ilz sont de son costé, Ilz sont du mien encor entiers et neufz. Dames, croyez qu’il m’ha bien cher cousté, Ce faux amy, et couste et coustera, Tant qu’à la mort coeur et corps soit bouté, La seule mort de mon coeur ostera L’Amour de luy, qui sans luy me demeure; Car autre Amour mon coeur ne goustera. Et, qui pis est, un autre ennuy sur l’heure M’est survenu, qui le premier augmente, Dont je ne suis pas seule qui en pleure. Le serviteur de ceste vraye Amante, Qui tant long temps l'ha aymée et servie, Qu’elle en estoit tresheureuse et contente, En fin ha eu de la laisser envie; Dont de l'ennuy qu’elle en prend et ha pris J’ay bien grand peur qu’elle abbrege sa vie. Il lui ha dit, estant d’elle repris Et bien enquis de sa mutation, Qu’il est ainsi de mon Amour espris. Moy qui sçavois sa grande affection, Et devant qui faillir à sa maistresse Eust craint de peur de ma correction, Serois je bien sy meschante et traytresse Le recevoir, voyant qu'il fait mourir Par son peché ma compagne en tristesse? J’aymerois mieux me voir par mort perir, Qu’en la voyant porter si grand tourment, Je feisse rien pour ceste Amour nourrir. En sa faveur je laisse entierement Voir le parler où se puisse attacher L'oeil et le coeur d’un si meschant Amant. Je l'aymois tant et le tenois si cher, Quand il l'aymoit, comme s’il m’eust aymée; Mais maintenant ne le veux approcher. S’amye estoit digne d’estre estimée. Il devoit bien pour jamais s’y tenir. Et elle aussi d’aymer n’estoit blasmée. Dames, celuy qui veult mien devenir, Je n’en veux point, et son Amour me fasche; L’autre, que j’ayme, je ne puis retenir. L’un est meschant, trop variable et lasche, Lequel me suyt, et toujours je le fuys: S’amye et moy avons trop ferme attache. Celuy me fuyt que j’ayme et que je suis; Je l’ay perdu, et si ne le puis croire. Helas! jugez en quel travail je suis! Je n’ay plus rien, sinon que la memoire Du bien passé, qui entretient mon dueil. Je croy que nul n’ha veu pareille histoire. Or faites donc, ma Dame, le recueil De mes douleurs, que n’ay voulu celer. Taire me fault, ayant la larme à l’oeil, Car les souspirs empeschent le parler. Les yeux levez au Ciel, crevez de pleurs, Jettans torrens dont arrousoit les fleurs, Donna silence à sa bouche vermeille: Car la douleur, qui sembloit nompareille, Faisoit sa voix par souspirs estouper Tant, qu’il fallut destacher et couper Ses vestemens, pour soulager son coeur, Ou elle fust crevée de douleur. Au bout du temps que nous l’eusmes tenue Dessus le pré, elle fut revenue, Et si me dit: Telle est ma maladie, Que qui ha pis souffert que moy le die. Lors se coucha près de moy morte et blesme, Les autres deux feirent aussi de mesme; Car un chacun de leurs doux coeurs sentoit L'ennuy trop grand que la tierce portoit. Moy, qui d’un mal en voyois trois pleurer, Diz: Vous pourriez jusqu’au soir demeurer En ce plourer, que ne povez finer, Et ne sçauriez me faire deviner Qui de vous trois seuffre plus de martyre, Si ne voulez me le dire ou escrire. Voyant du lict le Soleil approcher, Vint la seconde ma main prendre et toucher, Et me prier ne m’ennuyer d’attendre Qu’elle me peust au long son compte rendre. Je sents, dit elle, Cent et cent fois douleur aspre et mortelle Plus que ne fait (point ne fault que le cele) Nulle des deux. Car le cruel, lequel nommer ne veux, Amy qui ha d’Amour rompu les voeux, Certes, n’est digne Qu’à luy je parle, ou que luy face signe Ny de plaisir ny de cholere myne. D’en dire mal. De l’appeller traytre, faux, desloyal Et plus cruel que nul autre animal, Ce seroit peu Pour amoindrir de mon courroux le feu. J’ayme bien mieux laisser jouer ce jeu A la premiere, Qui de luy dire injure est coustumiere. Elle luy est ainsi qu’une lumière Devant ses yeux. Son coeur changeant, trop feint et vicieux Elle congnoist, et si luy siet bien mieux De le blasmer Que non à moy: car de desestimer Celuy que tant l’on ha voulu aymer N’est pas bien fait. S’il est meschant, variable, imparfait, D’elle le voy si tresmal satisfait, Si desdaigné, Si refusé, desprisé, eslongné, Qu’il ha tresmal en ce cas besongné D’aller à elle. Pas ne pensoit la trouver si cruelle. Elle le hayt bien fort, et ne luy cele Ces fascheux tours. Elle le fuyt en tous lieux et tousjours. Or ha il bien maintenant le rebours De son attente. Mais de son mal je suis si mal contente, Et en soustiens douleur si vehemente, Que plus n’en puis. Je suis quasi dessus le hort de l'huys De desespoir, et ne crains profonds puyts Ny haute tour, Où volontiers, sans espoir de retour, Ne me jettasse, pour deffaire l’Amour, La paction, Le souvenir, memoire, affection, Qui de mon mal sont generation Si importable, Et, qui pis est, si irremediable, Qu’à ma douleur n’en est nulle semblable. Je l’ay aymé De si bon coeur, tant creu, tant estimé, Que coeur et corps estoit tout abismé En l’amitié Que luy portois. Encor ay je pitié D’ainsi le voir puny et chastié De son peché. Helas, mon Dieu, comment s’est il fasché De mon Amour, et ainsi destaché? Onques offense Je ne luy feis, fors que la resistence Pour quelque temps, où il feit telle instance, Et si honneste, Qu’avec honneur je povois sa requeste Bien acorder; et puis par longue queste, Par long service, Par forte Amour, qui faisoit son office, Gaigna mon coeur, voyant le sien sans vice. O la victoire Dont le vaincu recevoit telle gloire Que le vainqueur! Helas! qui eust peu croire Qu’elle eust duré Si peu de temps, ny que j’eusse enduré Si longuement mal si desmesuré Sans souffrir mort? Helas! jugez, mes Dames, si son tort N’est pas égal à l’Amour qui trop fort Mon coeur tourmente. Et si autant ne suis leale amante Comme il est faux! Dont si je me lamente, J’ay bien raison. En me cuydant tromper par trahison, Luy mesme ha beu ceste amere poison Qui tant le blesse. Il est puny par beauté et rudesse; Mais son ennuy n’amoindrit ma tristesse. Car son coeur lasche M’ennuye fort, et me desplaist qu’il fasche A celle là, qui ne peult avoir tache D’avoir permis Qu’il la servit. Ailleurs son coeur ha mys, Lequel ne peult endurer deux amys, J’en suis bien seure. Son desplaisir avec le mien je pleure. En la cerchant il la fasche à toute heure, Mais plus à moy, En me laissant, dont suis en tel esmoy, En telle ennuy ou nulle fin ne voy, Qu’à bien grand peine Se peult penser la douleur qui me meine. Je me contrains, et ris, et fais la saine, Et je me meurs. Ces Dames cy, qui congnoissent mes moeurs, Sçavent quelz maux, foiblesses et douleurs Je dissimule: Dont au dedens le double en accumule Par desespoir, qui sans fin me stimule De me donner Du tout à luy; mais, peur d’abandonner Ces deux, me vient si tresfort estonner, Que mieux veux vivre En ce tourment, sans en estre delivre, Que leurs deux coeurs à tel ennuy je livre. Pour elles vis, Et vivre veux du tout à leur devis, Et pour moy non. Par quoy il m’est advis Que pis que morte Chacun me peult tenir en ceste sorte, Puis que la Mort (qui seule me conforte) Je veux fouir. C’est tout mon bien; mais je n’en veux jouir Que leurs deux corps je ne voye enfouir Avecques moy en noire sepulture. Noz trois malheurs me feront resjouir D’estre assemblez soubs une couverture. Lors un despit et courroux nompareil Feirent soudain son visage vermeil, Et la douleur sa parole coupa, Tant qu’à peu près elle ne sincopa: Car par trois fois je la viz defaillir, Sans que des yeux il peust larmes saillir. Le coeur serré, jetta si piteux crys, Qu’à les monstrer defaillent mes escritz. Mais en voyant la tierce que la place Luy demouroit, me dit de bonne grace: Ma Dame, autant que douleur les tourmente, Souffrans l’ennuy de leurs ingrats amys, L’Amour parfait qui dens mon coeur s’est mys Fait que n’ont mal qu’ainsi qu’elles ne sente: Car mon vouloir au leur est si uny Que si leurs coeurs ont peine pour aymer Ceux que l’on peult cruelz amys nommer, Le mien en est comme les leurs puny. Comme elles j’ay creu leurs amys loyaux, Lesquelz j’aymois comme le propre mien, Participant en leur plaisir et bien Comme je veux avoir part en leurs maux. Si j’ay eu part en leur felicité, Où si bien fut nostre union gardée, Seroit donc bien maintenant retardée Ceste union pour leur necessité? Non, mais courir veux aussi viste qu’elles A leur malheur, sans jamais departir, Jusques à ce que l’Ame pour partir Aura reprins ses ælles immortelles. Peine, tourment, voire dix mille morts, Ne me feront peur de m’en tenir près. Si mort les prend, pourrois je vivre après, Sentant mourir les deux parts de mon corps? Si j’avois mal, et les deux eussent bien, Il suffiroit pour me reconforter, Car leur Amour pourroit mon mal oster: Contre une deux ont grand force et moyen. Si mon ennuy perdois pour leur plaisir, Pour leur ennuy perdre je doy aussi Tout mon plaisir, sans point avoir mercy De coeur, de corps, d’Amour ny de desir. Or je le veux, et ainsi le concluz: Puis que je voy leur mal intolerable, Je veux le mien faire irremediable, Et que de moy tout plaisir soit forclus. Pleines d’ennui sont, que porter leur fault, Non pas pour moy, mais contre leur vouloir; Moy de plaisir, auquel pour mon devoir Hors de mon coeur je fais faire le sault. Ma Dame, helas! pensez l’extremité Là où je suis; ayez pitié de moy. Voyez mon mal, mon trouble, mon esmoy; Voyez Amour par Amour limité. L’Amour des deux me dit: O meschant coeur, Vous voudriez vous tant à plaisir donner, Et ces Dames ainsi abandonner En leur malheur par un seul serviteur? Las! rirez vous quand elles pleureront, Et à plaisir tiendrez les yeux ouvers Quand de douleur verrez les leurs couvers, En regardant leur Amour qui se rompt? Jouyrez vous du voir et du parler De vostre Amy, par grand esjouyssance, Quand elles n’ont d’un tel bien jouyssance? Les lairrez vous? ne le vueillez celer. D’autre costé, l’Amour du plus loyal, Du plus parfait qui soit dessus la terre, Me vient mener une cruelle guerre, En me disant: Pensez au plus grand mal. Vous sçavez bien qu’en laissant vostre Amy, Duquel si bien avez esté servie, Vous luy ostez soudainement la vie, Car son coeur est du vostre le demy. Que fera il se voyant separé De sa moytié? Croyez qu’il ne peult vivre. Sera chacun des coeurs d’elles delivre De leur ennuy le voyant esgaré? Si vostre mort leur apportoit secours, Droit à la mort il vous faudroit courir. Mais un Amy loyal faire mourir Sans leur servir, c’est estrange discours. Las! quel Amy est ce que vous laissez? Vous n’en sçavez au monde un plus parfait; Et nul bien n’ont les deux en ce beau fait, Fors que leurs maux par le vostre oppressez. Voilà comment les deux Amours ensemble M’assaillent, las! en grand confusion. Si m’y fault il mettre conclusion. Je le diray, bien que le coeur m’en tremble: Puis que leur mal est ma Mort, et leurs vies Ma vie aussi, si j’ay receu plaisir De leurs plaisirs, je n’ay moindre desir Qu’en leurs malheurs de moy soient suyvies. Or ont perdu, sans sçavoir bien pourquoy, Leurs deux Amys, soit par faulte ou malheur; Mais moy je perds, sans raison ny couleur, Celuy qui n’a jamais faulsé sa foy. Sa loyauté est vray’ment nompareille; Il n’a rien fait qui jamais me despleust: Sa grand’Amour, que chacun cercher deust, Je laisse et fuys: n’est ce pas grand’ merveille? Je le tiens tel, si parfait et si bon, Que je voudrois le mettre en trois parties, Et si serions toutes trois bien parties, Quand des deux parts je leur ferois le don. L’honneste amour de parler et de voir, Là où l’honneur trouve contentement, Se peult partir, quand volontairement Le bien on laisse où l’on ha tout povoir. J’ay le povoir de bien les contenter; De chasque jour les deux pars je leur donne, Et mon plaisir toutesfois n’abandonne, Car par le leur il pourra augmenter. Las! en sentant de chacune d’eux l’ayse, J’en auray plus que je n’ay de la mienne; Et mon Amy aussi aura la sienne, Ne faisant riens qui bien fort ne me plaise. Mon Amy seul, qui en vault plus de trois, Sera des trois Amy. O quel lien, Qui quatre coeurs unira sans moyen Et un vouloir! Helas! je le voudrois, Mais j’ay grand peur que pour ces deux folatres, Qui sont payez trop d’une larme d’oeil Vueillent plustost ainsi mourir de dueil, Que d’avoir mieux, tant sont opiniatres. Puis qu’elles n’ont cure d’un tel party, Mon coeur au leur est uny si tresfort, Que, sans avoir esgard à peine ou mort De mon Amy, il sera departy. Las! qu’il est dur ce mot à prononcer! Laisser ainsi mon bien, mon heur, ma vie! Helas! Amy, à la mort te convie, Lors qu’on t’ira cest Adieu prononcer! Que diras tu, Amy, de ton Amye? Ou que l’Amour luy ha trop cher cousté, Ou tu pourras juger d’autre costé Qu’elle te hayt, la nommant ennemye. Amour me met en un merveilleux trouble, Qui d’un costé loue ma fermeté, Et d’autre part defait de seureté Le vray lyen, qui rendoit un bucouble. O que la mort viendroit bien à propos! Car luy ne moy, en ce departement, N’aurons jamais qu’à son advenement Contentement, bien, plaisir ne repos. Or venez donc, et par compassion Mettez noz corps uniz en terre obscure, Avant souffrir qu’au departir j’endure Si tresextreme et dure passion. Ainsi parlant, s’appuyant contre un arbre, En la façon d’une femme de marbre, Qui n’ha chaleur, vie ne mouvement, Les yeux fermez, les dentz pareillement, A ses souspirs defailloit son haleine. Moy, qui la veis en si cruelle peine, Je prins ses mains à frotter et tenir, Tant qu’un petit je la feis revenir. Et, en tournant son oeil triste vers nous, Nous dit: Helas! que vostre ennuy est doux Au prys du mien, qui ne peult plus durer! Ce que ne peult la premiere endurer: Vous n’avez mal (dit elle) qu’un tout seul, C’est de laisser pour nous vostre plaisir; Mais j’en ay deux qui agravent mon dueil. Las! je n’ay pas seulement le loisir De regretter de mon Amy la perte, Que le second ne me vienne saisir. Amye, helas! si ma douleur couverte Sentiez, qui est fondée en ignorance, Dont ne m’est point la verité ouverte, Vous jugeriez n’avoir point la puissance De la porter, car elle est par trop greve. Or Dieu vous gard de telle congnoissance! Puis que l’honneur met à vostre amour treve, Plaisir avez gardant la longue Foy, Que nous devez de la rendre ainsi breve. Si vous sçaviez aussi bien comme moy Que c’est de vivre en doute et en suspens, Peu vostre mal estimeriez, je croy. S’il me disoit: D’aymer je me repens, J’en osterois mon coeur, qui de douleur Perpetuel en paieroit les despens. J’estimerois à grand heur ce malheur, Bien que ce n’est peu de despit ou honte D’estre laissée ainsi d’un serviteur. Le deplaisir en est tel, et tant monte, Que d’en laisser Cent de sa volonté, Ce n’est ennuy dont l’on deust tenir compte. Vostre coeur est de desespoir tenté Pour vostre Amy, c’est chose raisonnable; Aussi est il d’honneur bien contenté, Rendant l’Amour de l’union louable D’entre nous trois; la gloire en recevez, Qui vostre ennuy doit rendre tolerable. Certes le mien, si bien l’appercevez, Verrez plus grand que le vostre trois fois, Si par saveur vous ne vous decevez. Le moindre ennuy, dequoy compte ne fois, C’est de fuyr le plaisir d’estre aymée D’un treshonneste et parfait: toutesfois L’autre ennuy est que je voy abymée En desespoir celle que j’ayme tant, Par celuy seul dont je suis estimée. Le tiers ennuy trop cruel, qui pretend Me mettre à Mort, c’est la doute craintive, Aymant tresfort, de n’estre aymée autant. Que dis je, autant? mais que l’Amour naïve Soit morte en luy, ainsi que je la sens Dedens mon coeur plus parfaite et plus vive. Ces trois ennuys me mettent hors du sens, Et si ne voy moyen de m’en defaire, Sinon mourir: à quoy je me consens. Et n’est ennuy qui tant de mal sceust faire, S’il est congnu, qu’on ne treuve moyen Pour quelque peu aumoins y satisfaire; Mais mon mal est incapable de bien, Car je le sens, et n’ay nulle asseurance Si mon Amy tient ou rompt ce lien. Si juger veux par tresseure apparence, Je dis qu’il est rompu; mais son jurer Me vient donner du contraire esperance. Las! mon ennuy est pour long temps durer; Car le suspens de la conclusion, Qu’il fait d’aymer, me contraint d’endurer. Son doux parler m’est une illusion, Qui m’aveuglist sens et entendement, Et de l’aymer me donne occasion. Helas! ses faits parlent bien autrement! Par eux je voy que de luy suis laissée. Il dit que non: verité dit qu’il ment. Par ses effectz ma joye est rabaissée, Par son parler elle se resuscite; Ainsi des deux, sans cesser, suis pressée. Si grand douleur grande pitié incite. Plus que de vous ayez compassion De mon malheur, qui à la mort me cite. Celle qui n’ha riens qu’une passion, Dont la cause est congnue et bien certaine, O quell’ est près de consolation! De Si et Non j’ay la teste si pleine, Que si le pis des deux povois sçavoir, Je le tiendrois à grace souveraine; Mais le suspens surmonte mon povoir. Comment? comment? Soustenez vous estre plus grand torment Douter l’Ouy ou Non de vostre Amant (Dit la seconde), Que de sçavoir par espreuve et par sonde Que changement au plus profond abonde De son faux coeur? Estimez vous souspeçon, doute et peur Comme un sçavoir certain, sans nul erreur? C’est cas estrange Mais moy, qui sçay de mon Amy le change, Que je t’envoye aussi parfait qu’un Ange, Que puis je faire? Puis qu’il m’a dit, sans point se contrefaire, Qu’il se vouloit de mon Amour defaire. Pour la remettre Du tout en vous, ce que jamais permettre N’avez voulu, mais bien vous entremettre, Par la pitié Qu’aviez de moy, rabiller l’amitié Dont je retiens moy seule la moytié. Si vous avez Peine à fuyr ce qu’aymer ne devez, Que doy je avoir, sinon les yeux crevez De lamenter Celuy qui tant me souloit contenter, Qui ne me veult plus aymer ny hanter? Las! je le perds, Qui fut tout mien, et à beaux yeux ouvers Le voy fuyr, non pas par les desers Ny lieu sauvage, Mais droit à vous; et devant mon visage Il ha trouvé son saint pelerinage. Il auroit bien Changé en mieux, s’il ne sçavoit combien Nous nous aymons, et que ce qui est mien Est vostre aussi. Il fuyt de moy, cerchant de vous mercy: Pour vostre Non, il perd de moy le Si, O cruauté! En mon endroit par sa desloyauté, Et dens son coeur par vostre grand beauté. Car un seul compte Vous n’en tenez. O mon Dieu! quelle honte Il doit avoir, et peur que je racompte A vous, amye, Et vous à moy, le discours de sa vie! Car entre nous sa trop faulse alquemie Est descouverte, Dont à moy seule en demeure la perte. Vous ne sçavez si elle est meure ou verte, Ceste douleur. Plus il vous dit sa peine et son malheur, Plus vous moquez de son mal, et couleur Point n’en changez; Et puis de luy si fort vous estrangez, Que je voy bien que mon tort vous vengez Tout en riant. Et je m’en vois à part, pleurant, criant, Et Dieu et Saints requerant et priant Pour mon aïde, Car je n’y voy sans miracle remide. Je l’ay perdu, et n’y ha croix ne guide Qui radresser Le sceust vers moy. Je ne le veux presser; Et si ne puys son amour delaisser, Qui est plantée Dedens mon coeur et sy tresfort entée Que, bien qu’il m’ayt du tout mal contentée, Je n’ay vigueur, Force ou povoir de l’oster de mon coeur, Qui est nourry et plein de sa liqueur, Et transmué En cest Amour tant que, s’il n’est tué, Il n’en sera separé ne mué. Or donc pensez Quel vostre ennuy est, que vous avancez Plus que le mien , en quoy vous m’offensez Le pis de vous, C’est le douter. Las, qu’il me seroit doux! Je jugerois mon amy tous les coups Avoir le droit. Ce souspeçon pour un temps me vaudroit, Et, contre Non, Ouy me soustiendroit. Mais de ce Non Certaine suis, non point par faux renom. Car toutes trois pour meschant le tenon, Pour variable, Traytre et menteur; et moy, pour immuable En fermeté, honorable et louable: Qui me contraint Qu’autant de temps qu’en amour juste et saint Je l'ay porté dedens mon coeur empraint Par amour forte , Autant de temps pour meschant je le porte. Impossible est que jamais il en sorte. Sa lascheté Donnera force à ma grand’ fermeté. O que l’honneur sera cher acheté De ne partir Hors de l’amour dont le voy departir! Où est ['esprit comme le mien martyr? Il n’en est point. Loyauté l'ha si fort en moy conjoint, Que mon coeur sien n’est plus; mien, c’est le poinct. Et si mourir Me fault sans coeur, à la mort puis courir: Car arrachant celuy qui peult nourrir En luy la vie, De luy bien tost elle seroit ravie. Las, j' aurois bien de ceste mort envie: Mais luy en moy Vivre me fait en tel dueil et esmoy Qu’il me faisoit vivre d’Amour et Foy En grand plaisir, Durant le temps que par heureux loisir Me racontoit son honneste desir. Or est passé Tout ce beau temps, où je n’ay amassé Rien que regret et espoir que son tort M’apportera, bien congnu par ma mort, De tous Amans requiescant in pace. La tierce, ayant leur gracieux debat, Plus par ennuy que par plaisant esbat, Dit: Je vous pry et requiers toutes deux N’estimer tant l’une sa peur et doute, L’autre son dueil, qu’un peu l’on ne m’escoute, Puis que pour vous de bon coeur souffrir veux. Voz maux sont grans, nulle doute n'en fais: Vivre en suspens, sans resolution, Par l'amy plein de toute fiction! Mais le mien n’est pas moindre toutesfois, Car mon amy loyal et veritable. Où j’ay trouvé tout ce que je desire, Me fault laisser, pour me faire en martyre Et en malheur à vous autres semblable. Las, si en luy sçavois rien d'imparfait, Ou qu’envers moy en quelque cas eust tort, Nostre lien, qui en seroit moins fort, Sans grand douleur plus tost seroit deffait. Mais il n’y ha occasion aucune Entre nous deux: qui double mon tourment, D’ainsi laisser un si parfait Amant Pour recevoir part en vostre infortune. S’il ne m’aymoit, il me seroit aisé De le laisser; ou bien si en doutance J’estois de luy: par si grande inconstance Mon dueil seroit doucement appaisé. Helas! il n’ha rien d’imperfection, Car son corps est et son coeur sans nul vice; En tout honneur m’ ha fait loyal service. Las, dure en est la separation! Laisser celuy de qui ne suis aymée, Qui ne le vault, qui est feint et meschant, Ou qui de nous la honte va cerchant, Je n’en pourrois estre mal estimée; Mais d’un parfait qui m’ayme tant, helas! Le departir m’en est trop importable, Car son Amour demourra pardurable Dedens mon coeur, qui de l’aymer n’est las. Je perds de luy la parole et la veüe, Et tout le bien dont je soulois jouir, Et ne retiens rien pour me resjouir Que son Amour, dont je suis biens pourveue. C’est bien raison qu’après le congé pris, Que dis-je pris? mais donné sans sa faulte, Sa grand’Amour tant vertueuse et haulte Se met ailleurs; jà n’en sera repris. Mais ceste là que j’ay par luy conceüe Me demourra pour douce nourriture. Dedens mon coeur de tant ferme nature Nulle autre Amour ne sera plus receue. Vous deux perdrez l’Amour de voz amys, Mais d’eux avez la parole et la veüe. Moy, j’ai l’Amour trescertaine et congnue, Mais tout plaisir pour vous j’ay dehors mys: Car le parler et le voir j’ai quitté; Cest tout mon bien que pour vous j’abandonne. O quel thresor, Amyes, je vous donne! Fault il qu’Amour ainsi vers vous m’aquitte? L’on tient qu’il n’est nul plus cruel martyre Que pour son Dieu d’un propos volontaire Fuyr plaisir, et en lieu solitaire Soy separer du bien que l’on desire. Car le martyr, souffrant cruel tourment Par main d’autruy, met toute sa science De soustenir son mal par Patience, Qui de tous maux est le soulagement. Vous endurez, par le tort et le vice De voz amys, en depit de voz coeurs, Pis que la Mort: ô petites douleurs, Mises au près de mon grand sacrifice! Pour vous aymer, celuy ou je me fie Trop plus qu’à moy, que j’ayme, que j’estime, Mon bien, mon heur, j’en fais une victime, Et volontiers pour vous le sacrifie. Non pas que mort le vueille presenter, Mais tout vivant, qui m’est plus grand regret, Sans retenir un seul bien en secret, Ny d’un seul mal me vouloir exempter. Avecques luy, tout plaisir je renonce De voir, d’ouyr, de penser, de parler. Parquoy d’ennuy (point ne le fault celer) J’en ay le marc, si vous en avez l’once. Sa grand’beauté et sa perfection Entretiendront en moy ceste Amour forte, Qui n’aura fin tant que je seray morte. En ce poinct seul j’ay consolation, Car d’espérer jamais plus le r’avoir, L’ayant laissé, ce seroit grand folie. Ou il mourra par grand’melencolie, Ou il fera d’aymer ailleurs devoir. Las! s’il en meurt, je perds mon esperance; S’il ayme ailleurs, plus à moy ne viendra, Car, où l’Amour le lyera, se tiendra. Je congnois bien sa grand’perseverance. Mort ou aymant, je le perds sans espoir De le ravoir; ma perte est toute entière. Mais vous avez, Dames, d’espoir matiere, Ce que je veux bien cler vous faire voir. Si l’une voit les effects accorder De son amy avecques sa parole, Je ne la tiens si sotte ne si fole Qu’elle voulust ses fautes recorder. A l’autre aussi, l’amy qui s’en viendroit Luy demander en grande repentance Pardon en lieu de dure penitence, Plus de ses maux il ne luy souviendroit. Or tous ces biens vous peuvent advenir, Car vous n’avez pas eslu vostre peine; Mais moy, je suis de ma perte certaine, Sans nul espoir qu’il puisse revenir. Que perdez vous? Un mauvais et un feint; Et moy, un bon, sans vice ne sans feinte. Lequel perdant, mourir je suis contrainte. Laissant le bien que perdre j’ay tant craint. Fortune ou Dieu ce bien icy ne m’ouste, Cest moy sans plus qui démon coeur l’arrache, A fin que mieux unie je m’attache A voz malheurs. O que cher il me couste! Bref, voz espoirs et ma desesperance, Les meschans tours de voz cruelz amys, Et les vertus que Dieu au mien ha mys, Font de voz maux au mien la difference. Plus tost le jour nous eust peu defaillir Que ces Dames de leurs propos saillir, Qui me sembloit estre à recommencer. Mais, regardant la nuict trop s’avancer, Contrainte fuz d’empescher le discours De leurs propos, que je trouvais trop cours; Car je n’ouy onques femmes mieux dire, Pour sentir tant qu’elles d’ennuy et d’ire. Et si le lieu où failloit retourner Eust esté près, voluntiers sejourner Qu’on nous eust veu jusques au lendemain, Passant la nuict à ce doux air serain! Celles en qui serain, travail, sommeil, N’estoit senty, et du trescler Soleil L’absence estoit de leurs yeux incongnue, Et de la nuict la soudaine venue, Congnurent bien, escoutans ma raison, Que du partir estoit heure et saison: Qui leur despleut, Car chacune n’avoit De son ennuy dit ce qu’elle sçavoit. Parquoy en pleurs voulurent reveler Ce que le temps les contraingnoit celer, Et de souspirs et larmes feirent langues Pour achever sans parler leurs harangues. Las! ce plourer me monstra le tourment Dont ne sçavois que le commencement. Par leur parler les larmes confermerent Quel fut l’ennuy de celles qui aymerent. Je ne croy pas que perdre pere et mere Sceust engendrer passion plus amere Que je leur veis porter et soustenir. Mais, sur le poinct de nous en revenir, Prindrent leurs crys et pleurs à redoubler, Tant que soudain feirent le ciel troubler, Qui d’elles print telle compassion Que sa douceur par grand’mutation Se convertit en tonnerre et tempeste, En pluye et vent, tant qu’aux champs n’y eut beste Qui ne cherchast caverne ou couverture Pour se cacher. Voyans telle aventure, En essuyant leurs yeux et leurs visages, Toutes les trois, tant honnestes et sages, D’abandonner ce pré furent contraintes, Laissans au ciel achever leurs complaintes. La pluye en creut. Lors chacune descoche, Et toutes trois nous mismes en la Coche Qui attendoit nostre departement, Courants après les autres vistement. Mais en allant pour oster le discord De leur propos et les mettre d’accord, Je leur requis vouloir un Juge prendre, Qui leurs debats voulust et peust entendre. Car, aussi tost que l’une j’escoutois, De son costé soudain je me mettois; Et puis, quand l’autre avoit compté son cas, A qui ne fault bailler nulz advocats, Je me rendois à son opinion. Pour les tenir donques en union, Un bon esprit leur estoit nécessaire. Et quant à moy, je m’obligeois de faire Tout mon povoir, que je sens trop petit Pour reciter non à mon appetit Tous leurs propos, mais au moins ma puissance N’espargneray à donner congnoissance De leurs ennuys, comme leur ay promis. Sans qu’un seul mot de leurs dits soit obmis. Nostre debat (ce me dis la première) Met nostre esprit en telle obscurité Qu’il ne nous fault bien petite lumiere Je n’en sçay qu’un qui, à la vérité, Puisse juger qui plus ha de douleur Et plus d’honneur par souffrir merité: C’est celuy seul duquel la grand valeur N’ha son pareil, et à tous est exemple Des grands vertus par qui s’acquiert honneur. C’est luy qui peult triompher en son temple, Ayant passé par celuy de vertu. Cest luy que Ciel, et Terre, et Mer contemple. La terre ha joye, le voyant revestu D’une beauté qui n’ha point de semblable; Au prys duquel tous beaux sont un festu. La Mer devant son povoir redoutable Douce se rend, congnoissant sa bonté, Et est pour luy contre tous favorable. Le Ciel s’abaisse et, par amour dompté, Vient admirer et voir le personnage Dont on luy ha tant de vertu compté. C’est luy, lequel tout le divin lignage Des Dieux treshaults ont jugé qu’il doit estre Monarche, ou plus, si se peult davantage. C’est luy qui ha grace et parler de maistre, Digne d’avoir sur tous gloire et puissance; Qui sans nommer assez se peult congnoistre. C’est luy qui ha de tous la congnoissance, Et un sçavoir qui n’ha point de pareil, Et n’y ha rien dont il ayt ignorance, De sa beauté, il est blanc et vermeil, Les cheveux bruns, de grande et belle taille. En terre il est comme au ciel le Soleil; Hardy, vaillant, sage et preux en bataille, Fort et puissant, qui ne peult auoir peur Que Prince nul, tant soit puissant, l’assaille. Il est bening, doux, humble, en sa grandeur Fort et constant, et plein de patience Soit en prison, en tristesse, ou malheur. Il ha de Dieu la parfaite science, Que doit avoir un Roy tout plein de Foy; Bon jugement et bonne conscience. De son Dieu garde et l’honneur et la Loy; A ses subjets doux, support et Justice. Bref, luy seul est bien digne d’estre Roy. Si pour l’enfant esteint par trop grand vice, A Salomon demanderent les femmes Le Jugement par son Royal office, Vous ne povez encourir aucun blasme Quand à ce Roy, plus grand que Salomon, Presenterez la douleur de voz ames. Et s’il luy plaist lire ce long sermon, Il jugera qu’il soustient la plus grande. Aussi l’amour, dont point ne nous blasmon, Dames, le Roy pour Juge je demande, Qui jugera en nostre affection L’honneur, aussi à nostre fiction Punition par honorable amende. Quand je la veis choisir sy hautement, Crainte me print, en luy disant: Vray’ment Si devant l’oeil d’un sy parfait esprit Failloit monstrer mon trop mal fait escrit, Vous pourrez bien prendre ailleurs secretaire. J’aymerois mieux me desdire et me taire, Car d’empescher sa veüe et son bon sens Sur mes beaux faits, jamais ne m’y consens. Les plus parfaits, où n’y ha qu’à remordre, Liment leurs faits et les mettent en ordre Premier qu’oser, sans bien les acoustrer, Devant tel Roy sy sçavant les monstrer, En craingnant plus de luy le jugement Que du surplus de tout le firmament. Moy donc, qui suis des escrivans le moindre, Et moins que Rien, ne doy je pas bien craindre Voz bons propos, bien dignes d’estre veux, Rendre par moy indignes d’estre leuz Devant le Roy, où ne fault presenter Rien qui son sens ne puisse contenter? Plus le louez, plus de crainte me prend, Car c’est celuy de qui chacun apprend, Qui sçait louer le bien en vérité, Et rendre au mal ce qu’il a merité. Or choisissez un Juge tel que moy; Car, s’il failloit monstrer devant le Roy Un si tres bas et mal tissu ouvrage, Je n’aurois pas d’esc rire le courage. Le Roy vrayment (Dit l’autre après) j’eusse eslu justement, Car qui est plus que luy parfait amant, Ne qui entend Mieux qu’il ne fait où vraye amour pretend? Il ha aymé sy fort, sy bien et tant, Qu’il peult entendre Ce qui en est et la raison en rendre Par son bon sens, qui à tous peult apprendre. L’amour loyal. Ferme et parfait, dedens son coeur royal Ha fait son throne et son hault tribunal, Pour juger tous Les vrays amants, sages, hardis et doux, Et se moquer des glorieux etfoulz Qui font les braves, Oultrecuidez pensans faire les graves, Puis refusez. Bien sots sont les esclaves, Car c’est le rolle Qu’il faut jouer, où default la parole Et le bon sens. Et quelque povre fole Ou les craindra En bravegeant, ou pour morts les tiendra, Ne parlant plus: ce que point n’aviendra A une sage, Qui prend plaisir d’ouyr un bon langage, Dit d’un bon coeur vertueux, d’un visage Plein d’une audace, D’une douceur et d’une bonne grace Qui plaist tousjours à chacun. Quoy qu’il face, Celuy aura Du Roy l’honneur: bien choisir le sçaura Par luy chacun bien recevoir pourra Juste sentence. Luy seul congnoit l’estre et la subsistence D’amour, le bien, aussi la penitence Qu’il peut donner. Combien qu’il soit Roy et puisse ordonner, Son coeur humain n’ha craint d’abandonner L’autorité De commander contre la charité. Il ayme mieux souffrir l’austerité, La passion Que donne à tous le Dieu d’affection. Et, comme estant d’autre condition, Veult s’asservir Par ferme amour, par seur et long servir, Et par vertus, des Dames desservir Bon traitement, En desprisant force et commandement. S’il lui plaisoit, il feroit autrement; Mais son hault coeur Ha joint l’amour, la vertu et l’honneur. Qui l’ha rendu de cruauté vainqueur. Pourquoy la palme, Louenge, et gloire, et renommée, et fame, Luy doit d’amour tout homme et toute femme. Puis que luy seul Vous n’acceptez pour juge, dont j’ay dueil, Vous qui avez fait ce piteux recueil De notre histoire, Vous en avez mieux qu’un autre mémoire, Et n’estes pas sans quelque expérience, Que c’est d’amour, je vous en vueil bien croire. Or jugez nous en bonne conscience. Je ne veux point de mon sens abuser, Mes Dames, dis je, ains tresbien m’excuser, Que je ne suis pour juger suffisante, Et aussi peu à escrire duisante Vostre debat; mais desir de sçavoir Tous voz ennuys, ignorant mon povoir, Me feit soudain, sans y penser, promettre De les escrire et dens un livre mettre. Ma foy promise, aussi vostre priere, Meirent ma peur et ma raison derriere. Ceste premiere et trop fole entreprise Veux mettre à fin; mais, s’il vous plaist, reprise Je ne seray de la seconde erreur, Qui doit avoir de la premiere horreur. Mes cinquante ans, ma vertu affoiblie, Le temps passé, commandent que j’oublie, Pour mieux penser à la prochaine mort, Sans avoir plus memoire ny remord, Si en amour ha douleur ou plaisir. Donques vueillez autre juge choisir, Qui justement vous puisse satisfaire: Je ne le puis ny ne le sçaurois faire. La tierce dit: Dames, voicy pitié, Quand celuy seul nous ne povons avoir Qui est l’abyme et source de sçavoir, Et qui congnoit la parfaite amytié. Seure je suis que plus tost presenté N’eust à ses yeux ce livre pour le lire, Que tout soudain ne nous eust bien sceu dire Qui ha le coeur de douleur plus tenté. Son oeil defait toute feintise ruse, Son sens entend la fin de tous propous, Et son coeur sent mieux qu’en touchant le poulx Qui ayme ou non: bref, nully ne l’abuse. Si nous perdons de luy le jugement, Et de sa soeur, qui de luy doit tenir, Et ses propos vertueux retenir, Un autre j’ay en mon entendement. C’est ceste là, qui n’ha gloire petite De nostre temps, mais la plus estimée Est et la plus parfaitement aymée, Ce que tresbien par ses vertus merite. Si par beauté se congnoissent les femmes, Allez où sont dames ou damoyselles: Comme un Soleil au mylieu des estoilles, Vous la verrez parmy toutes les dames. Si par vertu son nom se doit congnoistre, Voyez ses faits, qui ne sont point cachez, Tous pleins d’honneur, de nul vice tachez. Vous la verriez dessus toutes paroistre: De ses biensfaits chacun luy rend louenge, Ils sont congnuz de toutes gens de bien; Pour ses amys elle n’espargne Rien, Et des meschants ennemis ne se venge. Si on congnoit le nom par la fortune, Des biens, d’honneur, de richesse et faveur, Voyez qui ha de son maistre et seigneur Ce qui luy plaist, sans luy estre importune. Mais tous les biens qu’elle en peut recevoir Ne luy sont rien: car seulement heureuse Se tient de voir par amour vertueuse Tenir les coeurs unis comme on peult voir Les coeurs du plus parfait et plus parfaite Que l’on peult voir; en qui Dieu et Nature N’ont Rien obmis de ce que creature. Pour acquérir perfection, souhaite. Acceptez donc ma dame la Princesse, Qui en vertus et honneur passera La plus parfaite qui fut ne qui sera, Ne qui fut onc; à elle je m’adresse. Elle congnoist que c’est de bien aymer; Le vray amant la tient en son escole, On le peult bien congnoistre à sa parole Qui tant se doit priser et estimer. Quand elle aura veu notre doux combat, Seure je suis que, sans favoriser L’une partie et l’autre despriser, Fera la paix de nostre long debat. Toutes voyans sa bonne election, A la Duchesse, où gist perfection, Le jugement ont remis de leur fait; Et moy, voyant que juge plus parfait L’on ne pourroit en ce monde trouver, Leur bon advis vouluz bien approuver, En leur disant: Possible n’est de mieux, Dames, choisir pour moy dessoubs les cieux. Par son bon sens de Justice usera, Et sa douceur ma faulte excusera. Et s’il advient et que bon il luy semble Que le propos et l’escriture ensemble Devant le Roy puisse estre descouvert, Seure je suis qu’ayant le livre ouvert. Regardera les poincts où le lecteur Se doit monstrer advocat de l’Acteur. Et, en louant vos entreprises haultes, Excusera mon ignorance et faultes; Et servira de douce couverture Sa grand bonté à ma povre escriture. Et si povez croire que sa sentence Telle sera comme le Roy la pense. Ainsi pourrez, par ce tresseur refuge. Avoir le Roy, que desirez, pour juge; Qui, sans refus, d’un coeur doux et humain, Regardera, venant de telle main, Tout ce discours, qui est digne de luy; Et l’Escriture aura pour son appuy Celle qui peult la defendre de blasme, Et l’excuser comme une oeuvre de femme. Ainsi pourra couvrir sa charité Devant les yeux de la severité Du Roy, qui fait à tous jugement droit, Ce que j’ay trop failly en chasque endroit. Lors d’un accord, sur le poinct, nous trovasmes; Dedens la Coche au logis arrivasmes. La nuict me feit aux trois donner l’Adieu, Non pour dormir, mais pour trouver un lieu Ou, sans avoir de nul empeschement, Peusse acquiter ma promesse et serment. Mais, en voyant du propos la grandeur, De mon langage et termes la laideur, Honte me fait finer ma mauvaise oeuvre, Mais verité veut que je la descoeuvre A celle là que je prends pour mon ayde. Pour mon secours et souverain remede. C’est donc à vous, ma cousine et maistresse, Que mon labeur et mon honneur j’adresse, Vous requerant comme amye parfaite, Que vous teniez cette oeuvre par moy faite Ainsi que vostre, et ainsi en usez, Et la monstrez, celez ou excusez. Faites au roy entendre la substance, Pour à ces trois donner juste sentence. Vostre parler luy fera mieux sçavoir Tout le discours, que de luy faire voir Ce livre auquel mon escriture efface Tout le plus beau et la meilleure grace De leurs propos, desquels j’ai bien suivie La verité, mais la grace et la vie, Qui est dedans, je l’ay toute souillée, De fascheux mots empeschée et brouillée. Tant que je doy, en lieu d’augmenter, craindre La grand’valeur du propos faire moindre. Quand est de vous, honteuse je ne suis De vous monstrer le mieux que faire puys. S’il y ha riens digne de moquerie, Moquez vous en, point n’en seray marrie, Car seure suis qu’à un second ne tiers Ne monstrerez ma faulte volontiers, Fors à celuy qui sur tous ha povoir; Envers lequel vous ferez tout devoir De m’excuser, j’en suis bien asseurée. Car ceste Amour, en noz coeurs emmurée, Soit de monstrer ce livre ou le cacher, Sera si bien qu’on ne pourra toucher A mon honneur, qu’entre vos mains je metz, Comme à la Dame en qui, je vous prometz, J’ay mys coeur, corps, amour, entendement, Où ne verrez jamais nul changement. Parlant de moy, oublier je ne doy Celles de qui la douleur, je le croy, Merite bien que vous vueillez entendre Leur passion, car elles veulent tendre A qui aura de bien aymer l’honneur, Et d’avoir plus dans le coeur de douleur, Ou ceste là qui en suspens demeure Pour un Amy chassant l’autre à toute heure, Ou ceste là de l’Amy delaissée, Qui de regret importable est pressée; Ou l’autre qui laisse un Amy parfait Pour ressembler et en dit et en fait Aux autres deux et l’union tenir Où ferme amour leurs trois coeurs fait unir. Et ceste là se tiendra bienheureuse Que vous direz des trois plus doloreuse; Et son malheur à tresgrand bien tiendra, Quand sur les deux votre arrest obtiendra De plus avoir qu’elles d’aspre douleur, Ennuy, torment, desespoir et malheur. Les deux aussi, quand jugées seront De vostre main, bien s’en contenteront; Et je serai trop plus qu’elles contente Si mon labeur, lequel je vous presente, Vous donne autant, en lisant, de plaisir, Qu’en l’escrivant j’en ay eu de desir. Or le prenez, et pensez qu’il procede De qui le lieu à nulle autre ne cede De vous aymer. Et, attendant le bien Que Dieu, un jour, me donne le moyen De vous monstrer par effect ma pensée, Je luy requiers qu’ainsi que commencée Il ha en vous fortune si tresbonne, Que maintenant et pour jamais vous donne Autant de bien, d’honneur et de santé, Comme il en fault pour estre contenté, A vostre coeur plein d’Amour et de Foy, Et tout autant que j’en desire au Roy. Source: http://www.poesies.net