Les Marguerites De La Marguerite Des Princesses. Par Marguerite De Navarre. (1492-1549) (Marguerite De France, D’Angoulême, D'Alençon.) Comédie (deux filles, deux mariées, la vieille, le vieillard et les quatre hommes) La Première Fille commence. Tout le plaisir et le contentement Que peult avoir un gentil coeur honneste, C’est liberté de corps, d’entendement, Qui rend heureux tout homme, oyseau ou beste. Malheureux est qui, pour don ou requeste, Se veult lyer à nulle servitude. Quant est de moy, j’ay mise mon estude D’avoir le corps et le coeur libre et franc. Il n’y ha nul qui par solicitude Me sceust jamais oster ce digne ranc. La Seconde Fille. O qu’ilz sont sotz et vuydes de raison, Ceux qui ont dit une amour vertueuse Estre à un coeur servitude et prison, Et, pour aymer, la Dame malheureuse! Leur faux parler ne me rendra paoureuse D'aymer tresfort, sachant que tout le bien, Au prys d’Amour, se doit estimer rien: Car qui Amour ha dans son coeur enclose, Il trouvera liberté son lyen. Et ne sçauroit désirer autre chose, La Première Fille. Mieux me vaudroit tenir la bouche close Que soustenir qu’il vault mieux à un coeur D’estre vaincu, que d’estre le vainqueur De ceste Amour que vous louez si fort, La Seconde Fille. Comme vaincu? Mais il en est plus fort: Car le coeur seul, sans Amour, n’est que glace; Amour est feu, qui donne lustre et grace, Vie, vertu, sans qui le coeur n’est rien. La Première Fille. La liberté est suffisant moyen Pour dechasser du coeur et paour et honte, Et, quand à moy, je ne puis faire compte De riens qui soit qui le puisse arracher Hors de mon coeur. La Seconde Fille. Je ne veux point tascher De vous oster ceste vertu aymée: Mais je dis bien, que liberté aymée Doit estre Amour. La Première Fille. Or, pour conclusion, Vous soustenez Plaisir et Passion Estre tout un, ce que ne puis entendre; Mais Liberté m’a tresbien fait apprendre Que tout plaisir en elle on peult trouver. La Seconde Fille. Mais c’est Amour qui le fait renouver, Car quand je puis auprès de moy tenir Celuy que j'ayme, mal ne me peult venir, Et tous les maux qui me sont advenuz. Je ne sçay plus lors qu’ilz sont devenuz. En ceste Amour et en ce grand plaisir, La Liberté seule se peult choisir. La Première Femme mariée. Il fait grand mal à femme honneste et sage, Qui craint son Dieu et ayme son honneur, Quand son Mary par un meschant langage Ignorer veult la bonté de son coeur. Si ma beauté merite un serviteur De qui je suis honorée et aymée, En dois je moins (pourtant) estre estimée, Puis que mon coeur n’est de vice taché? Non: mais plustost devrois estre blasmée Si je faisois de non pecher peché. La Seconde Femme Mariée. De vraye Amour autre Amour reciproque, C’est le parfait de son plus grand desir. Mais si Amour de l’autre Amour se moque Pour autre Amour trop moins digne choisir, C’est un ennuy qui ne donne loisir, Temps ne repos pour trouver reconfort. Le desespoir est pire que la mort, Et jalousie est un vray desespoir. O Foy rompue et trop apparent tort, Par vous me fault pis que mort recevoir! La Première Femme mariée. Or sus, ma soeur, vous pensez donc avoir Un plus grand bien, que nommez jalousie; Mais ce n’est riens que d’une fantasie, Au prys du mal que maugré moy je porte. Cent fois le jour je souhaite estre morte, Car mon Mary si tresfort me tourmente, Et sans raison, qui plus me malcontente: Il ha grand tort. La Seconde Femme Mariée. Vostre mal n’est qu’au corps. Il est bien doux, puis qu’il est par dehors, Car vous n’avez peine que d’escouter. S’il vous failloit dens vostre coeur gouster L’amer morceau que je mache à toute heure. Vous diriez bien que, si je plains et pleure, J’ay bien raison. La Première Femme mariée. Raison, que dites vous? Estre au matin, au seoir, à tous les coups Injuriée, blasmée et plus reprise Qu’une vilaine en adultere prise, Moy qui suis tant femme de bien, helas! Me nommer telle? Ah! je ne le suis pas: Le coeur m’en part. La Seconde Femme Mariée. Le mien aussi me creve; Car ceste Amour, qui ne fait jamais trefve, Me fait aymer, qui aymée ne suis. Il ayme une autre, et souffrir ne le puis. La Première Fille. Mais que peuvent ces deux femmes tant dire? La Seconde Fille. Mais d’où leur vient si triste contenance? La Première Femme mariée. Quelle raison fait ces filles tant rire? La Seconde Femme Mariée. D’avoir plaisir monstrent grande apparence. La Première Femme mariée. Sachons un peu la cause de leur joye. La Seconde Femme Mariée. Je le veux bien. La Première Femme mariée. Filles, celuy vous voye Qui peult donner tout bien d’un seul regard! La Première Fille. Dames, aussi celuy mesmes vous gard! En vous pensons regner mélancolie. La Seconde Femme Mariée. Et nous voulons sçavoir si de folie Ou de vertus vous parlez en riant. La Seconde Fille. Mais nous voyant ainsi pleurant, cryant Voudrions sçavoir si plus grand vostre riz Est que l’ennuy, qui fait nos coeurs marriz. La Vieille. Le temps, qui fait et qui défait son oeuvre, M’a, cent ans ha, à son escolle prise. Son grand tresor, qu’à peu de gens descoeuvre, M’a descouvert, dont je suis bien apprise. Vingt ans aymay liberté, que l’on prise, Sans point vouloir de serviteur avoir. Vingt ans après, d’aymer feiz mon devoir; Mais un tout seul, pour qui seul j’estois une, Me fut osté, maugré tout mon vouloir, Dont soixante ans j’ay pleuré ma fortune. La Première Femme mariée. Voilà une Dame autentique: Quel habit! quel port! quel visage! La Seconde Femme Mariée. Helas, ma soeur, qu’elle est antique! La Première Fille. Voilà une Dame autentique. La Seconde Fille. Cent ans apprend bien grand’pratique. Ô qu’elle devrait estre sage! La Première Femme mariée. Voilà une Dame autentique. Quel habit! quel port! quel visage! La Seconde Femme Mariée. Or, faisons vers elle un voyage: Nous n’en pouvons que mieux valoir. La Première Fille. En bonne Foy, j’ay grand vouloir D’escouter sa sage doctrine. La Seconde Fille. Mais comme elle tient bonne mine! Allons luy donner le bon jour. La Première Femme mariée. Celuy qui au Ciel fait sejour, Et en terre ha l’autorité, Vous doint toute prosperité! La Vieille. Mes filles, luy, qui ha puissance, Donne à voz coeurs la congnoissance De luy, et de vous mesme aussi! Qui vous ameine en ce lieu cy? Je vous requiers ne le celer. La Seconde Femme Mariée. Désir de vous ouyr parler Et de vous quelque bien apprendre, Et aussi pour vous faire entendre Quelque debat en quoy nous sommes. La Vieille. Helas! j’ay des ans si grans sommes Que je croy que mon vieil langage N’est plus maintenant en usage. Et qu’à peine l’entendrez vous. La Première Fille. Ne prenez, Madame, de nous Ennuy à noz debats ouyr. La Seconde Fille. Nous esperons nous resjouir Par vostre tressainte parole. La Vieille. Afin donc que je vous console, Chacune face son devoir De me dire et faire sçavoir Son cas pour y donner conseil. Hastez vous comme le Soleil, Car le serain est dangereux À mon vieil cerveau caterreux. Et, par ma grande experience, Je vous diray en conscience Ce que faire il vous conviendra, Et qu’à chacune il adviendra. Toutes ensemble. Qui commencera de nous quatre? La Vieille. La plus sage, sans plus debatre. La Première Femme mariée. Ce sera moy. La Seconde Femme Mariée. Et moy aussi. La Première Fille. Vrayment, mes Dames, grand mercy. Vous estes sages, et nous foles. La Seconde Fille. Sages se disent de paroles; Mais nous le sommes par effect. La Vieille. Pour mettre ordre sur tout ce fait, Vous, la premiere en mariage, Me declarez vostre courage. La Première Femme mariée. J’ay un Mary indigne d’estre aymé: Je l’ayme autant que Dieu me le commande Un Serviteur, d’autre part, estimé Sans fin me cerche et ma grace demande. Honnesteté l’honneur me recommande, Lequel je tiens ferme dedens mon coeur; Mais ce Mary me fait payer l’amende Où je n’ay fait ny peché ny erreur. Devant chacun parle à mon Serviteur, Qui ne me veult qu’obeïr et complaire, Si sagement que, hors un faulx menteur, Nul ne me peult accuser de mal faire. Las, ce fascheux bien souvent me fait taire. Où le parler me plairoit beaucoup mieux. Et destourner, pour mieux le satisfaire. D’un lieu plaisant en grand regret mes yeux: Car, s’il m’y voit parler, tout furieux, Devant les gens fait myne si estrange Que force m’est, suyvant les aymez lieux, Qu’un bon propos en un fascheux je change, Cest un ennuy qui mon coeur ronge et menge. Mais quand je veux ce malheur eviter, Et que du tout à son vouloir me renge, Pour le garder de tant se despiter, Sans faire rien qui le puisse irriter, Il entre lors en plus grand resverie De jurer Dieu, de Diables inviter. De m’accuser de toute menterie. Et si seroit folie ou moquerie De le penser appaiser par douceur. Il n’a repos que de me voir marrie, Et mon repos augmente sa fureur. Cent mille noms, pour croistre ma douleur, Me va nommant, dont le moindre est: meschante. Helas! c’est bien sans raison ny couleur: Car je suis trop de ce vice innocente. Voilà le chant que nuict et jour me chante. J’endure tout, et si n’y gaigne rien. Mais la vertu, et l’honneur, qui m’enchante, Me font souffrir dire ne sçay combien. Si seray je tousjours femme de bien, Ce qu’il ne croit, dont il me tient grand tort. Mais je ne puys trouver un seul moyen Pour recevoir, ny donner reconfort A mon amy, qui m’ayme si tresfort; Car je crains trop honneur et conscience. Durer ne puis sans secours, ou sans mort: Je perds le sens, raison et patience, La Seconde Femme Mariée. Si mon ennuy il vous plaist d’escouter, Qui dens mon coeur ha prins source et naissance. Possible n’est que vous puissiez douter Que vous ayez jamais eu congnoissance De nul plus grand. Car j’ay eu jouissance Du plus grand heur qui m’eust sceu advenir. Mais quoy? le temps, par sa longue puissance, M’a fait cest heur tout malheur devenir. Car plus parfait ne sçauroit soustenir Que mon mary ceste mortelle terre. Je le pensais toute seule tenir: Las, je voy bien que trop folement j’erre. Il ayme ailleurs: voilà ma mort, ma guerre; Je ne le puys souffrir, ne comporter. Je prie à Dieu qu’un esclat de tonnerre Sa Dame ou moy puisse tost emporter. Je ne voy rien pour me reconforter. Par tout le cerche, et de le voir j’ay crainte. Car je ne puys, le voyant, supporter Qu’il ayme ailleurs à bon escient sans feinte. Pour quelque temps je me suis bien contrainte De l’endurer, celant ma passion, Pensant qu’au jour il y ha heure mainte, Et qu’amour fust jointe à mutation. Rien n’a servy ma bonne intention, Je l’ay perdu,: il ha une maistresse Qui de son coeur prend la possession. Il est bien vray que le corps seul me laisse. Son corps sans coeur augmente ma tristesse. Plus j’en suis près, moins j’y prens de plaisir, Sy j’en suis loing, mon coeur souffre destresse. Car de le voir sans cesser j’ay desir Soit près ou loing, je n’ay que desplaisir. Et le pis est que mon amour augmente Tant, que ne scay lequel je dois choisir, Voir ou non voir, car chacun me tourmente. Toute la nuict sans dormir me lamente, En regrettant l’amytié incongnue Que je luy porte, dont sa nouvelle amante La joye en prend, qu’autrefois ay receue. Je brusle, et ards; je me morfonds, je sue. En fievre suis: mais mon seul Médecin, Qui me pourroit du tout guarir, me tue. Et cy feray de ma pleinte la fin. La Première Fille. Liberté honneste A garder suis preste, Sans m’en divertir. Amour et folie De melancolie Ne se peult sortir. Quand j’ay ouy parler, Venir, et aller Ces folz amoureux, Je me prens à rire, Et à part moy dire Qu’ilz sont malheureux. Fy d’affection, Fy de passion Qui le coeur tourmente! Mon coeur est à moy. Je n’ay mis ma Foy En don ny en vente. J’ay, quoi que je voye, Le coeur plein de joye Et de vray plaisir. Si quelqu’un m’empesche, Soudain m’en depesche Pour repos choisir, J’ayme mon repos, Je fuy les propos D’amour et sa bande. Et qui me priroit D’aymer, il n’auroit Rien que sa demande. J’ayme verité, J’ayme pureté De coeur et de corps. Passion, Amour, N’y fait nul sejour: Je les metz dehors. Des jaloux me rie: Des fascheux marrie, Tresbien mon temps passe. D’un Amour transy Qui requiert mercy Contrefaitz la grâce. Je me moque d’eux, Et nully ne veux Pour mon serviteur: Car leur amytié, Hayne ne pitié Ne me touche au coeur. Leur cachez secretz, Leur piteux regretz J’escoute tresbien; Mais de mon courage Je suis bien si sage Qu’ilz n’entendent rien. J’ay bien grand desir De faire plaisir A qui le merite. Desolation, Par compassion, A joye je incite. L’orgueil je rabaisse; Les Amoureux laisse Sans point les hanter. S’ilz pleurent ou prient, Tant plus fort ilz crient, Me prens à chanter. Bref, je n’ay soucy Un seul (Dieu mercy) Qui le dormir m’oste. Qui ayme le vice, Folie ou malice, Las, que cher leur coste! Liberté garder Veux, sans m’hazarder De jamais aymer, Aymé qui voudra: En fin les faudra Tous desestimer. La Seconde Fille. L’Amour vertueuse (Non point vicieuse) Je veux soustenir, Qui n’est moins duisante Que belle et plaisante L’on la doit tenir. Quand Amour s’attache Au coeur qui n’a tache De meschanseté, Il luy donne grâce, Parole et audace Pour estre accepté. Sans Amour, un homme Est tout ainsi comme Une froide Idole. Sans Amour, la Femme Est fascheuse, infame, Mal plaisante et folle. Amour en tournois Fait porter harnois Et rompre les Lances, Piquer les Chevaux, Faire les grands saultz Et tenir les dances. Qui n’ayme bien fort. Il est salle et prt Et tresmal vestu, De bien est forclus Et ne vault pas plus Qu’un povre festu. J’ayme et suis aymée, Prisée, estimée D’un honneste et sage. Lequel aymer veux. J’en ay fait les voeux Le long de mon aage. Tousjours en luy pense, Et n'ay contenance Ne bien qu’à le voir. Loing de luy j’escritz, Et en pleurs et criz Fais bien mon devoir. Puis, quand le revoy Assis près de moy, Escoutant ses ditz, J’y prens tel plaisir Que je n’ay désir D’estre en Paradis. Mon coeur n’est plus mien. Il s’en court au sien. Mais le changement Me donne tant d’ayse, Que mes maux j’appaise Tout en un moment. Quoy que l’on me face, Tourment ou menace. Le tout en gré prens. D’Amour mon coeur vole: C’est la bonne escole Où tout bien j’apprens. Je ne pense pas Faire tour ne pas Sans penser en luy. Il est de mes maux, Peines et travaux, Refuge et appuy. Qui tient donc Amour Pour prison et tour, Il ha tresgrand tort. Amour je soustiens Cause de tous biens Jusques à la mort. Car la servitude, La peine ou l’estude Qui est en Amours M’est liberté, joye, Pourveu que je voye Mon amy tousjours. La Vieille. Mes Filles, tous vos differentz J’ai maintesfois veu sur les rancz; Telz debatz nouveaux ne me sont, Assez y en ha qui en ont, Et de plus grans ont soustenus, Lesquelz devant moy sont venuz. Et moy, qui congnois la racine De tous ces cas, la medecine Leur ay tresbien sceu ordonner. Car à vous j’espere donner Advertissement profitable. Vous, qui souffrez mal importable D’un mary fascheux et jaloux, Je vous requiers, appaisez vous: Car le temps l’ayde vous fera, Et dedens son coeur deffera L’opinion, dont la beauté Est cause de sa cruauté; Ou bien s’il est veau ou beste, Qu’il n’ayt raison, cerveau ne teste Pour recevoir nulle science. Aussi, si vostre patience Ne peult plus endurer, d’un veau Faites un tresplaisant oyseau: Car si ne le faites voller, Il ne vous scauroit consoler. Mais en chantant le temps, qui pleure, A tout le moins aurez une heure Qui vous fera les vingt et trois Supporter en oyant sa voix. Car le soupesonneux meschant Merite bien chanter ce chant. Ne pensez pas pour vous tuer, Et à bien faire esvertuer, A raison jamais le renger; Mais il le fault du tout changer. S’il est changé, et vous aussi, Vous sortirez hors de soucy. Vous n’aurez consolation Qu’en ceste transmutation. La Première Femme mariée. Ma Dame, j’ayme mieux souffrir, Et à tourment et mort m’offrir, Nonobstant sa meschanseté, Que faire un tour de lascheté. La Vieille. Bien, bien, le temps y pourvoira: Car, quand bien laide vous verra, Autant qu’il en fait trop de compte, Vous laissera, dont aurez honte; Car d’un fascheux naïvement Ne viz jamais amendement, La Seconde Femme Mariée. Et moy, qui mon Mary desprise, Seray je point de vous apprise? La Vieille. Ouy vrayement: c’est bien raison. Vous voulez estaindre un tyson Avant la nuit; mais mieux vaudroit Le laisser bruslant que tout froid Vostre Mary plein de feu vif, S’il ayme ailleurs d’un coeur naïf, C’est vray signe qu’il n’est pas mort. Bien qu’il vous tienne un peu de tort En autre lieu tant sejourner. Au moins il vous peult retourner, Et ne vous en traite pas pis. Le voudriez vous sur le tapis Tout le long du jour bien couché. Et son oeil à plaisir bouché Sans pouvoir nulle beauté voir? Laissez luy faire son devoir, Puis que rien ne vous diminue. Ne craingnez point la continue, Le temps la tournera en quarte. N’ayez peur que tant il s’escarte Qu’au logis groz d’enfant revienne. Faites comme luy, qui tient tienne: Car la loyauté vous tourmente. S’il est Amant, soyez Amante. Quand il n’aymera rien que vous, N’aymez aussi que vostre espoux: Car il vous doit servir d’exemple. Vostre Amour est un peu trop ample, Et n’est pas egale à la sienne. C’est fait en Juifve ou Payenne D’estre ainsi de son Mary serve. Rien ne guerira vostre verve, Que de l’aymer tout en la sorte Qu’il vous ayme, ou vous estes morte: Où peu, peu ou prou; où point, point. Et si vous ne gaignez ce poinct, Vous ne ferez que tracasser Coeur et corps, et membres casser. Le temps, par qui esperez mieux, Le vous rendra si laid, si vieux, Que mal vous en contenterez, Et bien souvent souhaiterez Estre jalouze, et qu’il fut fort. Mais plustost trouverez la mort Que de retourner en jeunesse. Toutesfois s’Amour ou vieillesse Mettoit à vostre douleur fin, Trompé y sera le plus fin. La Seconde Femme Mariée. Vous me donnez peu d’esperance. Après une longue souffrance, Vous me promettez un tourment Ou un remede, promptement, Que mon coeur ne sçauroit vouloir. La Vieille. Il ne vous fault donc plus douloir, Car j’ay dit ce qui se peult faire. La Première Fille. Madame, et puis de mon affaire, Je suis bien, je m’y veux tenir. Que sera ce de l’advenir? La Vieille. Que ce sera? Helas! m’amyce, Je voy que vous ne sçavez mye La grand puissance qu’a le temps. Hau, que j’en ay veu de contens Qui n'eussent sceu souhaiter mieux! Mais tout soudain du hault des Cieux Les ay veu descendre bien bas. Je prise et loue voz estats. La vertu, qui vous rend parfaite, Vous ha ainsi joyeuse faite. Toutesfois, ne l’autorisez Tant, que les autres desprisez. Amour est un fin et faux Ange Qui trescruellement se venge De ceux qui de luy n’ont fait compte: Car un orguilleux craint la honte. Plus il vous voit honneste et belle, Envers luy cruelle et rebelle, Plus il desire droit frapper En vostre coeur et l'attrapper; Ce que jusques icy n’ha fait, N’ayant trouvé nul si parfait Qui meritast vostre amytié. Si une fois vostre moytié Amour met devant voz beaux yeux, Onques personne n’ayma mieux Que vous ferez, j’en suis certaine. Ce sera la bonté haultaine, Qui par le temps y pourvoyra. Jusques là l’on ne vous verra Aymer: car vous estes trop fine, Je le voy bien à vostre myne, Car de rien ne faites semblant. Amour, qui va les coeurs emblant. Et le temps, qui doucement passe Sans que vostre vertu s’efface, Vous feront changer de propos, Trembler le coeur, battre les poux, Et sentir le doux et l’amer Que l’on peult souffrir pour aymer. La Fille. Je n’en croy rien: je tiendray ferme, Ne jà n’auray à l’oeil la larme Pour souffrir nulle passion, Ne d’Amour ny d’affection. La Vieille. Vous ne trouvez, par ignorance, A ma prophétie apparence; Mais, quand le cas vous adviendra, De la Vieille vous souviendra. La Seconde Fille. Je crains, Madame, et veux sçavoir Si le temps aura le pouvoir De changer ma grand’ amytié. La Vieille. Fille, vous me faites pitié, Car vostre grand contentement Ne sçauroit durer longuement. Le coeur d’un homme est si muable, Le temps est si tresvariable, Les occasions qui surviennent, Les paroles qui vont, et viennent, Qu’impossible est qu’Amour soit ferme, Combien qu’il le jure et afferme. Las, ma Fille, il m’a bien menty! Il me presenta un party, Au printemps de ma grand’ jeunesse, Tel qu’au Ciel n’y avoit Deesse A qui j’eusse changé mon lieu. Mon amy j’aymois plus que Dieu, Et de luy pensois estre aymée. Dont de nully n’estois blasmée. Or voyez que le temps m’a fait: Un serviteur si tresparfait Il m’a osté sans nul respit, Dont j’ay souffert si grand despit Que, soixante ans ha, le regrette. Vieille je suis, mais je souhaite Souvent le bien que j’ay perdu. Mon malheur avez entendu, Qui de mon coeur n’est arraché. Vous n’en aurez meilleur marché: Car le temps, qui vous fait present D’aise et plaisir à present, Ainsi qu’il ha d’Amour le feu Dens vostre coeur mis peu à peu, Ainsi peu à peu l’estaindra: Dont telle douleur soustiendra Vostre esperit et vostre corps, Que l’Ame en saillira dehors, S’elle n’est de Dieu arrestée. Helas! je vous voy apprestée De souffrir autant de tourment D’amour que de contentement, La Seconde Fille. Hau, grand Vieille, qui vous croiroit En grand’peine et douleur seroit. Mais plustost la Mer haulseroit Et le hault Ciel s’abbaisseroit. Qu’il m’advint fortune pareille. Je ne croy point ceste merveille. La Vieille. Ma fille, par là passerez, Et alors contrainte serez Dire: la Vieille le m’a dit, La Seconde Fille. Hau, de Dieu soit mon coeur maudit Si je croy en vostre parole! La Première Fille. Ny moy, je ne suis pas si fole: Elle ne produit que malheur. La Vieille. Ha, vous aurez un serviteur Qui vous fera propos changer. La Première Fille. J’aymerois mieux vive enrager. Mon coeur sans amour demourra, Et libre vivra et mourra: J’en fais la figue aux amoureux. La Première Femme mariée. Mon coeur craintif et desireux Ne sçait quel moyen il doit prendre. Ou d’aymer un autre, ou d’attendre Le temps qu’elle me prophetise; Mais j’estimerois à sottise Refuser un bien qui est près Pour en attendre un autre après. La Vieille. Prenez le temps, si vous povez, Car refuser vous ne devez L’occasion, quand elle vient. Si aux cheveux l’on ne la tient, Elle s’enfuyt par violence, Et ne laisse que repentance: Pensez sagement en ce cas. La Première Femme mariée. Ha! vrayment je n’y faudray pas. La Seconde Femme Mariée. Mon cerveau, mon coeur, ma memoire Est tout troublé, et ne puis croire Geste Sibille prophetique: Car plus mon esperit s’applique A esperer bien par le temps, Comme elle dit, rien n’y entends; Car l’Amour que trop fort je porte A mon Mary me rendra morte Premier qu’autre Amour endurer, Et me gardera de durer Jusqu’au temps qu’elle vous promet Repos, dont en peine me met Plus grande que ne sentis onques. La Vieille. Si n’aurez vous repos qu’adonques. On pourroit tel songe songer Qui ne seroit mye mensonger: Le bon Docteur bien en parla. Vrayment vous passerez par là Toutes quatre, mal gré voz dents. Et moy, de peur des accidens Du serain, m’en vois retirer. La Première Femme mariée. Quoy, nous lairrez vous souspirer Sans nous dire rien qui vaille? La Vieille. Or appaisez vostre bataille, Je n’en puis plus porter le faix. Je prie au Dieu de toute paix Remplir voz cerveaux de raison. La Seconde Femme Mariée. Elle s’en va en sa maison: On ne la peult plus retenir. La Première Fille. Mais qui la feit icy venir Pour me dire une menterie? Que j’aymeray: c’est moquerie. Amour en mon coeur ne sera. La Seconde Fille. Que mon amy me laissera? La faulse Vieille aura menty. Jamais ne sera departy Moy de son coeur, ne luy du mien. La Première Femme mariée. Rompre aussi mon chaste lyen, Ou devenir layde et hydeuse Comme m’a dit ceste fascheuse, Ha! vrayment elle mentira. Mon mary se convertira, Me voyant digne d’estimer. La Seconde Femme Mariée. Le grand feu vous puisse allumer, Qui veult que j’ayme ou que j’attende Que vieillesse ou foiblesse amende Mon mary! Mais j’ay esperance Que, par ma grand’ perseverance, En brief retournera à moy. Et lors seray sans nul esmoy. La Première Fille. Leur grand ennuy et leur necessité Leur feit chercher secours de creature. Nostre plaisir par curiosité Nous feit vouloir sçavoir nostre adventure. Le temps, les ans, le sens et l’escriture De ceste Dame apparentement sage Nous feit ouvrir le secret du courage Dont riens quel mal n’avois peu recevoir. Nous concluons, par tout nostre langage, Que de sçavoir l’advenir, c’est l’ouvrage De celuy seul qui sur tous ha pouvoir: Lequel prions, selon nostre devoir, Qu’ainsi que Roy en terre il vous fait voir, Vous doint regner au Ciel pour heritage! Le Vieillard. Ma bonne Dame, où allez vous? Où portez vous ceste jeunesse? La Vieille. En bonne Foy, mon Amy doux, Sur un lict par grande foiblesse. Le Vieillard Je voy là bien grande jeunesse. En venez vous? La Vieille. Ouy, le pas. Vray leur ay dit comme la messe: Mais quoy? ils ne m’en croyent pas. Le Vieillard. J’y vois parler par tel compas Que je croy que l’on m’entendra. La Vieille. Leur cerveau donc s’amendera, Car je leur ay dit. Le Vieillard. J’entens bien. Mais, confermant vostre entretien, Je leur en diray davantage. La vieille. J’attendray voir si son langage Sera mieux que le mien receu. Le Vieillard. Dames, si je ne suis deceu, Trop grandement vous fourvoyez, Dont ceste Dame ne croyez. Le Premier Homme. Que veult ce Vieillard à ces Dames? Qu’il est caduc et defailly! Le Deuxième Homme. Pensez qu’il veult sauver leurs Ames, Sans que de nous soit assailly. Le Troisième Homme. Pas n’aurons le coeur si failly, Que d’un Vieillard poulser ne battre. Le Quatrième Homme. Menons les danser toutes quatre, Et vous les verrez bien tencer. Le Vieillard. Tencer, non, mais bien vous combattre, Ma Vieille et moy, de bien danser. Or dansons sans plus y penser: Vous verrez leur orgueil rabattre. Source: http://www.poesies.net