Poésies Diverses. Par Marguerite De Navarre. (1492-1549) (Marguerite De France, D’Angoulême, D'Alençon.) TABLE DES MATIERES. Les Adieux. Je regarde de tous cotés... Elle m'a dit: Par refus ou tourment... Couplets A Jésus-Christ. Mon seul Sauveur, que vous pourrais-je dire?... La Perfection Du Chrétien. Ô prompt à croire et tardif à savoir... Portrait De François Premier. Sur La Maladie De François Premier. Pensées De La Reine De Navarre. Autres Pensées Faites Un Mois Après La Mort Du Roi. Un ami vif vint à la dame morte... Vous m'aviez dit que vous m'aimiez bien fort... Stances Amoureuses. Plus j'ai d'amour plus j'ai de fâcherie... Le temps est bref et ma volonté grande... J'aime une amie entièrement parfaite... Chansons Spirituelle I. Chansons Spirituelle II. Cantique Spirituel. Épître. Réponse A Clément Marot. Notes. Les Adieux. Adieu l'object qui feist premierement Tourner sur luy la force de mes yeulx, Le doulx maintien, l'honneste acoustrement, Armé, vestu en tous jeux et tous lieux, Tant que nul oeil ne se peult loger mieulx Qu'a faict le mien. Adieu la bonne audace: Si vous n'estiez si couvert vicieux, Je ne vey oncq une meilleure grace. Adieu vous dy, le regard si très doulx Qu'onques ne fut coeur qui n'en fut attaint, D'un oeil tant beau et gratieux sur tous Que de l'aymer le myen y fut contrainct. Helas! j'ay veu trop tost son ray estainct Et obscurcy par fureur sans raison. Adieu doncq l'oeil que je ne pensois fainct, Qui trop couvrist soubz le miel le poyson. Adieu aussi le parler gratieux, Bien à propoz prudent et fort saige, A voz amys humble, et audacieux Où il falloit monstrer aultre visaige. Adieu l'accent, la voix et le langaige, Qui m'a vaincu, entendement et sens; Or avez vous parlé vostre ramaige, Doncq pis que mort par grand regret je sens. Adieu la main laquelle j'ay touchée, Comme la plus parfaicte en vraye foy, Dedens laquelle ay la mienne couchée Sans offenser d'honnesteté la loy. Or, maintenant, estes contraire à moy, Convertissant amour en cruaulté. Adieu la main, puisque dedens n'y veoy L'estigmate d'honneur ny loyauté. ... Adieu l'adieu que tant de foys me distes, Quand loing de moy vous en falloit aller, La loyaulté que garder me promistes, Les promesses qu'eussiez bien deu celer, Puisque je vois faintise reveller Vostre vouloir et peu caché secret. Adieu l'adieu souvent dit sans parler, Dont la memoire augmente le regret. Adieu le coeur, que j'estimoys si bon, Juste, loyal, que nul estoit semblable: D'une chose vous demande pardon, C'est que par trop vous ay creu veritable. Adieu le siege où amour honnorable Devoit regner, mais je veoy qu'amour folle Le conduict tant, qu'il en est trop muable. Adieu le coeur, pour la fin de mon rolle, Donnant au mien mort irremediable, Par ferme foy et amour perdurable: Je ne puis plus escripre une parole. Je regarde de tous cotés... Je regarde de tous cotés Pour voir s’il n’arrive personne, Priant sans cesse, n’en doutez. Dieu, que santé à mon Roi donne; Quand nul ne voî, l’oeil j’abandonne À pleurer, puis sur le papier Un peu de ma douleur j’ordonne. Voilà mon douloureux métier. Ô! qu’il sera le bienvenu, Celui qui, frappant à ma porte. Dira: «Le Roi est revenu En sa santé très bonne et forte!» Alors sa soeur, plus mal que morte, Courra baiser le messager Qui telles nouvelles apporte Que son frère est hors de danger. Elle m'a dit: Par refus ou tourment... Elle m'a dit: "Par refus ou tourment Je vous ferai laisser votre entreprise." Mais Amour dit: "Aimez la fermement, Car à la fin, soit douleur ou surprise, Par mon moyen vous en ferez la prise, Et vous rendrai de son corps le vainqueur." Helas! Amour, ce m'est trop de faveur, Mais d'un tel corps ne veux la jouissance, Sans être aimé; par quoi frappez son coeur, Si vous avez hardiesse ou puissance. Couplets A Jésus-Christ. Seigneur, quand viendra le jour Tant désiré, Que je seray par amour A vous tiré? Et que l’union sera Telle entre nous, Que l’espouse on nommera Comme l’espoux. Ce jour des nopces, Seigneur, Me tarde tant, Que de nul bien ny honneur Ne suis content; Du monde ne puys avoir Plaisir ny bien; Si je ne vous y puys voir, Las! je n’ay rien. Si de vostre bouche puys Estre baisé, Je seray de tous ennuys Bien appaisé; Baisez-moy, acolez-moy, Mon tout en tout; Unissez-moy, par la foy, Du tout à vous. Essuyez des tristes yeux Le long gémir, Et me donnez pour le mieux Un doux dormir. Car d’ouyr incessamment Vos saints propos, C’est parfait contentement Et seur repos. Mon seul Sauveur, que vous pourrais-je dire?... Rondeau. Mon seul Sauveur, que vous pourrais-je dire? Vous connaissez tout ce que je désire; Rien n'est caché devant votre savoir; Le plus profond du coeur vous pouvez voir Par quoi à vous seulement je soupire. Je n'ai espoir en roi, roc ni empire; Si non en vous; le demeurant m'empire; Car je vous tiens Dieu ayant tout pouvoir, Mon seul Sauveur. Et si à vous, par vous, je ne me tire, Rien je ne sais qui m'éloigne ou retire, Hors de ça bas meurt corps, pensée, vouloir. Doncques, daignez à votre oeuvre pourvoir, Que sauvée soit, par votre grand martyre: Mon seul Sauveur. La Perfection Du Chretien. Cantique. Pour estre bien vray chrestien, Il fault à Christ estre semblable, Renoncer tout bien terrien Et tout honneur qui est damnable, Et la dame belle et jolye, Et plaisir qui la chair esmeult, Laisser biens, honneurs et amye; Il ne fait pas le tour qui veult. Ses biens aux poures fault donner D’un coeur joyeux et volontaire, Et les injures pardonner, Et à ses ennemys bien faire; Laisser vengeance, ire et envie, Aymer l’ennemy si l’on peult, Aymer celle qui n’ayme mye; Il ne fait pas le tour qui veult. De la mort fault estre vainqueur, En la trouvant plaisante et belle, Voire et l’aymer d’aussi bon coeur. Que l’on fait la vie mortelle; S’esjouyr en mélancolie, Et tourment dont la chair se deult, Aymer la mort comme la vie; Il ne fait pas le tour qui veult. Ô prompt à croire et tardif à savoir... Ô prompt à croire et tardif à savoir Le vrai, qui tant clairement se peut voir, A votre coeur reçu telle pensée Qu'à tout jamais j'en demeure offensée? Est-il entré dans votre entendement, Que dans mon coeur y ait un autre amant? Hélas! mon Dieu, avez-vous bien pu croire Qu'autre que vous puisse être en ma mémoire? Est-il possible? A mensonge crédit En votre endroit, ainsi que l'avez dit? Pouvez-vous bien le croire et le celer Sans m'en vouloir de m'en ouïr parler? Mais voulez-vous, avant ouïr, juger Innocent coeur, très facile à purger? Estimez-vous le coeur méchant et lâche, Qui envers vous n'en eut oncq nulle tâche? Vous le croyez; ainsi croyez le doncques; Croyez de moi le mal qui n'y fut oncques, Croyez de moi, contre la vérité, Tout le rebours de ce que ai mérité, Jà n'en sera mon visage confus, Car je sais bien quelle je suis et fus. En votre endroit, et hiver et été Et quel aussi m'êtes et avez été. J'ai le coeur net, et la tête levée, Pleine d'amour très ferme et éprouvée. Je puis aller, mais sus tout ne refuse De mon bon droit faire jamais excuse. Pensez de moi ce qu'il vous plaît penser; Je ne vous veux courroucer ne offenser, Puisque voulez notre amitié parfaite Être soudain par soupeçon défaite. C'est doncques vous, de cruelle nature, Qui, sans propos, en faites la rupture. Vous le voulez; garder ne vous en puis, Bien que du tout en l'extrémité suis. De désespoir, voyant mon innocence, Ma vraie amour avoir pour récompense. Un tel adieu, par lequel m'accusez, Du méchant cas dont assez vous usez: C'est d'en aimer un autre avecques vous. Il n'est pas vrai, je le dis devant tous, Et Dieu, qui voit le profond de mon coeur Prends à témoin, lui priant que vainqueur Par vérité soit de cette mensonge, Qui en soi n'a force non plus qu'un songe. Je lui remets mon droit entre les mains, Lui suppliant que à vous, ami, au moins Avant ma mort fasse voir clairement Comme vous seul j'ai aimé fermement. Il le vous peut dedans le coeur écrire, Mais mon ennui ne me permet le dire; Porter le veux, le mieux que je pourrai; Si je ne puis par regret je mourrai. Portrait De François Premier. C’est luy que ciel et terre et mer contemple. La terre a joye, le voyant revestu D’une beaulté qui n’a point de semblable, Au prix duquel tous beaulx sont un festu. La mer devant son pouvoir redoutable Doulce se rend cognoissant sa bonté; Le ciel s’abaisse, et, par amour dompté, Vient admirer et voir le personnage Dont ont luy a tant de vertus compté... . . . . . . . . . . . . C’est luy qui a de tout la cognoissance, Et un sçavoir qui n’a point de pareil, Et n’y a rien dont il ait ignorance. De sa beaulté: il est blanc et vermeil; Ses cheveux bruns; de grande et belle taille; En terre, il est comme au ciel le soleil... . . . . . . . . . . . . Bref, luy seul est bien digne d’estre roi. Sur La Maladie De François Premier. Rendez tout un peuple content, Ô vous, notre seule espérance, Dieu! celui que vous aimez tant, Est en maladie et souffrance. En vous seul il a sa fiance. Hélas! c’est votre vrai David; Car de vous a vraie science: Vous vivez en lui, tant qu’il vit. De toutes ses graces et dons À vous seul a rendu la gloire; Par quoi les mains à vous tendons, Afin qu’ayez de lui mémoire. Puisqu’il vous plaist lui faire boire Votre calice de douleur, Donnez à nature victoire Sur son mal, et notre malheur. Le désir du bien que j’attends, Me donne de travail matière. Une heure me dure cent ans; Et me semble que ma litière Ne bouge ou retourne en arrière; Tant j’ai de m’avancer désir! Ô qu’elle est longue la carrière Où la fin gist mon plaisir! Je regarde de tout costé, Pour voir s’il n’arrive personne; Priant la céleste bonté Que la santé à mon roi donne; Quand nul ne vois, l’oeil j’abandonne A pleurer, puis sur le papier Un peu de ma douleur j’ordonne: Voilà mon douloureux métier. Ô qu’il sera le bien venu, Celui qui, frappant à ma porte, Dira: Le roi est revenu En sa santé très bonne et forte: Alors sa soeur, plus mal que morte, Courra baiser le messager Qui telles nouvelles apporte, Que son frère est hors de danger. Pensées De La Reine De Navarre. (Etant dans sa litière durant la maladie du roi.) Si la douleur de mon esprit Je pouvais montrer par parole Ou la déclarer par écrit, Oncques ne fut si triste rôle; Car le mal qui plus fort m'affole Je le cache et couvre plus fort; Pourquoi n'ai rien qui me console, Fors l'espoir de la douce mort. Je sais que je ne dois celer Mon ennui, plus que raisonnable; Mais si ne saurait mon parler Atteindre à mon deuil importable; A l'écriture véritable Défaudrait la force à ma main, Le taire me serait louable, S'il ne m'était tant inhumain. Mes larmes, mes soupirs, mes cris Dont tant bien je sais la pratique, Sont mon parler et mes écrits, Car je n'ai autre rhétorique. Mais leurs effets à Dieu j'applique Devant son trône de pitié, Montrant par raison et réplique Mon coeur souffrant plein d'amitié. Ô Dieu qui les vôtres aimez, J'adresse à vous seul ma complainte; Vous qui les amis estimez, Voyez l'amour que j'ai sans feinte, Où par votre loi suis contrainte, Et par nature et par raison J'appelle chacun saint et sainte, Pour se joindre à mon oraison. Las! celui que vous aimez tant Est détenu par maladie Qui rend son peuple et mal content, Et moi envers vous si hardie Que j'obtiendrai, quoi que l'on die, Pour lui très parfaite santé; De vous seul ce bien je mendie Pour rendre chacun contenté. C'est celui que vous avez oint A Roi sur nous par votre grâce; C'est celui qui a son coeur joint A vous, quoi qu'il die ou qu'il fasse, Qui votre foi en toute place Soutient, laquelle le rend sûr! De voir à jamais votre face: Oyez donc les cris de sa soeur. Hélas! c'est votre vrai David, Qui en vous seul a sa fiance; Vous vivez en lui tant qu'il vit, Car de vous a vraie science; Vous régnez en sa conscience, Vous êtes son Roi et son Dieu. En autre nul n'a confiance Ni n'a son coeur en autre lieu. Pour maladie et pour prison Pour peine, douleur ou souffrance, Pour envie ou pour trahison N'a eu en vous moindre espérance. Par lui êtes connu en France Mieux que n'étiez le temps passé: Il est ennemi d'ignorance, Son savoir tout autre a passé. De toutes ses grâces et dons A vous seul a rendu la gloire, Par quoi les mains à vous tendons Afin qu'ayez de lui mémoire. Puisqu'il vous plaît lui faire boire Votre calice de douleurs, Donnez à nature victoire Sur son mal, et notre malheur. Ô grand médecin tout-puissant, Redonnez-lui santé parfaite, Et des ans vivre jusqu'à cent, Et à son coeur ce qu'il souhaite: Lors sera la joie refaite Que douleur brise dans nos coeurs; Dont louange vous sera faite De femmes, enfants et serviteurs. Par Jésus-Christ notre sauveur, En ce temps de sa mort cruelle, Seigneur, j'attends votre faveur Pour en avoir bonne nouvelle. J'en suis loin, dont j'ai douleur telle Que nul ne la peut estimer. Ô que la lettre sera belle Qui le pourra sain affermer! Le désir du bien que j'attends Me donne de travail matière; Une heure me dure cent ans, Et me semble que ma litière Ne bouge, ou retourne en arrière; Tant j'ai de m'avancer désir. Ô qu'elle est longue la carrière Où à la fin gît mon plaisir! Je regarde de tous côtés Pour voir s'il arrive personne, Priant sans cesser, n'en doutez, Dieu que santé à mon Roi donne. Quand nul ne vois, l'oeil abandonne A pleurer; puis, sur le papier, Un peu de ma douleur j'ordonne: Voilà mon douloureux métier. Ô qu'il sera le bienvenu Celui qui, frappant à ma porte, Dira: le roi est revenu En sa santé très bonne et forte! Alors sa soeur plus mal que morte Courra baiser le messager Qui telles nouvelles apporte, Que son frère est hors de danger. Avancez-vous, homme et chevaux, Assurez-moi, je vous supplie, Que notre Roi pour ses grands maux A reçu santé accomplie. Lors serai de joie remplie. Las! Seigneur Dieu éveillez-vous, Et votre oeil sa douceur déplie, Sauvant votre Christ et nous tous! Sauvez, Seigneur, Royaume et Roi, Et ceux qui vivent en sa vie! Voyez son espoir et sa foi, Qui à la sauver vous convie. Son coeur, son désir, son envie, A toujours offert à vos yeux; Rendez notre joie assouvie Le nous donnant sain et joyeux. Vous le voulez et le pouvez: Ainsi mon Dieu à vous m'adresse; Car le moyen vous seul savez De m'ôter hors de la détresse De peur de pis, qui tant me presse, Que je ne sais là où j'en suis; Changez en joie ma tristesse, Las! hâtez-vous car plus n'en puis! Autres Pensées Faites Un Mois Après La Mort Du Roi. Las! tant malheureuse je suis, Que mon malheur dire ne puis, Sinon qu'il est sans espérance: Désespoir est déjà à l'huis Pour me jeter au fond du puits Où n'a d'en saillir apparence. Tant de larmes jettent mes yeux Qu'ils ne voient terre ni cieux, Telle est de leur pleur abondance. Ma bouche se plaint en tous lieux, De mon coeur ne peut saillir mieux Que soupirs sans nulle allégeance. Tristesse par ses grands efforts A rendu si faible mon corps Qu'il n'a ni vertu ni puissance. Il est semblable à l'un des morts, Tant que le voyant par dehors, L'on perd de lui la connaissance. Je n'ai plus que la triste voix De laquelle crier m'en vois, En lamentant la dure absence. Las! de celui pour qui vivais Que de si bon coeur je voyais, J'ai perdu l'heureuse présence! Sûre je suis que son esprit Règne avec son chef Jésus-Christ, Contemplant la divine essence. Combien que son corps soit prescrit, Les promesses du saint Écrit Le font vivre au ciel sans doutance. Tandis qu'il était sain et fort, La foi était son réconfort, Son Dieu possédait par créance. En cette foi vive il est mort, Qui l'a conduit au très sûr port, Où il a de Dieu jouissance. Mais, hélas! mon corps est banni Du sien auquel il fut uni Depuis le temps de notre enfance! Mon espoir aussi est puni, Quand il se trouve dégarni Du sien plein de toute science. Esprit et corps de deuil sont pleins, Tant qu'ils sont convertis en plains; Seul pleurer est ma contenance. Je crie par bois et par plains, Au ciel et terre me complains, A rien fors à mon deuil ne pense. Mort, qui m'a fait si mauvais tour D'abattre ma force et ma tour, Tout mon refuge et ma défense, N'as su ruiner mon amour Que je sens croître nuit et jour, Qui ma douleur croît et avance. Mon mal ne se peut révéler, Et m'est si dur à l'avaler, Que j'en perds toute patience. Il ne m'en faut donc plus parler, Mais penser de bientôt aller, Où Dieu l'a mis par sa clémence. Ô Mort, qui le frère a dompté, Viens donc par ta grande bonté Transpercer la soeur de ta lance. Mon deuil par toi soit surmonté; Car quand j'ai bien le tout compté, Combattre te veux à outrance. Viens doncques, ne retarde pas, Mais cours la poste à bien grands pas, Je t'envoie ma défiance. Puisque mon frère est en tes lacs, Prends-moi, afin qu'un seul soulas (1) Donne à tous deux éjouissance. Un ami vif vint à la dame morte... Un ami vif vint à la dame morte, Et par prière il la cuida tenter De le vouloir aimer de même sorte, Puis la pressa juqu'à la tourmenter; Mais mot ne dit, donc, pour se contenter, Il essaya de l'embrasser au corps. Contrainte fut la Dame dire alors: " Je vous requiers, ô Ami importun, Laissez les morts ensevelir les morts, Car morte suis pour tous, sinon pour un. " Vous m'aviez dit que vous m'aimiez bien fort.. Vous m'aviez dit que vous m'aimiez bien fort, Bien fort, bien fort, et ainsi je l'ai cru, Mais tôt après vous fîtes votre effort D'en dire autant en un lieu que j'ai vu: Bien fort, bien fort, vous l'aimez, je l'ai su. Il vous faut trop de forces pour deux lieux Si fort aimer, mais prenez pour le mieux Deux bons ciseaux coupent notre amitié, Et retenez l'autre, qui a vos yeux, Forces et coeur: tant de double et gracieux Satisfera trop bien de la moitié. Stances Amoureuses. Nos deux corps sont en toi, je ne sers plus que d'ombre; Nos amis sont à toi, je ne sers que de nombre. Las! puisque tu es tout et que je ne suis rien, Je n'ai rien, ne t'ayant ou j'ai tout au contraire. Avoir et tout et rien, comment se peut-il faire? C'est que j'ai tous les maux et je n'ai point de bien. J'ai un ciel de désir, un monde de tristesse, Un univers de maux, mille feux de détresse, Un Etna de sanglots et une mer de pleurs. J'ai mille jours d'ennuis, mille nuits de disgrâce, Un printemps d'espérance et un hiver de glace; De soupirs un automne, un été de chaleurs. Clair soleil de mes yeux, si je n'ai ta lumière, Une aveugle nuée ennuite ma paupière, Une pluie de pleurs découle de mes yeux. Les clairs éclairs d'Amour, les éclats de sa foudre, Entrefendent mes nuits et m'écrasent en poudre: Quand j'entonne mes cris, lors j'étonne les cieux. Belle âme de mon corps, bel esprit de mon âme, Flamme de mon esprit et chaleur de ma flamme, J'envie à tous les vifs, j'envie à tous les morts. Ma vie, si tu vis, ne peut être ravie, Vu que ta vie est plus la vie de ma vie, Que ma vie n'est pas la vie de mon corps! Je vis par et pour toi, ainsi que pour moi-même; Je vis par et pour moi, ainsi que pour toi-même; Nous n'aurons qu'une vie et n'aurons qu'un trépas. Je ne veux pas ta mort, je désire la mienne, Mais ma mort est ta mort et ma vie est la tienne; Ainsi je veux mourir, et je ne le veux pas!... Plus j'ai d'amour plus j'ai de fâcherie... Plus j'ai d'amour plus j'ai de fâcherie, Car je n'en vois nulle autre réciproque; Plus je me tais et plus je suis marrie, Car ma mémoire, en pensant, me révoque Tous mes ennuis, dont souvent je me moque Devant chacun, pour montrer mon bon sens; A mon malheur moi-même me consens, En le célant, par quoi donc je conclus Que, pour ôter la douleur que je sens, Je parlerai mais je n'aimerai plus. Le temps est bref et ma volonté grande... Le temps est bref et ma volonté grande, Qui ne me veut permettre le penser; Ma passion me contraint et commande, Selon le temps, le parler compenser. Jusques ici j'ai craint de m'avancer, En attendant un temps de long loisir, Mais il n'est pas en moi de le choisir; Par quoi du peu faut que mon profit fasse: En peu de mots vous dirai mon désir, C'est que je n'ai volonté ni plaisir Que d'être sûr de votre bonne grâce. J'aime une amie entièrement parfaite... J'aime une amie entièrement parfaite, Tant que j'en sens satisfait mon désir. Nature l'a, quant à la beauté, faite Pour à tout oeil donner parfait plaisir; Grâce y a fait son chef d'oeuvre à loisir, Et les vertus y ont mis leur pouvoir, Tant que l'ouïr, la hanter et la voir Sont soeurs témoins de sa perfection: Un mal y a, c'est qu'elle peut avoir En corps parfait coeur sans affection. Chansons Spirituelle I. Si quelque injure l’on vous dit, Endurez-le joyeusement, Et si chacun de vous médit, N’y mettez votre pensement Ce n’est chose nouvelle D’ouïr ainsi parler souvent Autant en emporte le vent. Et si pour votre Foi gâter Vous vient louer de vos beaux faits, En vous disant (pour vous flatter), Qu’il vous tient du rang des parfaits; Fuyez parole telle, Qui amène orgueil décevant, Autant en emporte le vent. Si l’on vous dit qu’en autre lieu L’on puisse trouver réconfort, Et vrai salut, qu’en un seul Dieu, C’est pour mettre votre âme à mort, Montrez vous lors rebelle, Et démentez le plus savant, Autant en emporte le vent Si quelqu’un parle de la Foi En la mettant quasi à rien Au prix des oeuvres de la Loi, Les estimant les plus grands biens, Sa doctrine est nouvelle, Laissez-le là, passer avant; Autant en emporte le vent. Si le monde vous vient tenter De richesse, honneur et plaisir, Et les vous vient tous présenter, N’y mettez ni coeur ni désir: Car cette chose temporelle, Retourne où était paravant Autant en emporte le vent. Chansons Spirituelle II. Voici nouvelle joie, La nuit pleine d’obscurité Est passée; et voici le jour Auquel marchons en sûreté, Chassant toute peur par amour, Sans que nul se dévoie: Voici nouvelle joie. L’hiver plein de froid et de pleurs Est passé tremblant et glacé; L’été plein de verdure et fleurs Nous vient plus beau que l’an passé; Ore chacun le voie: Voici nouvelle joie. L’arbre sec et fâcheux à voir, Raboteux et dur à toucher, Que nul ne désirait avoir, Maintenant pouvons le toucher: II fleurit et verdoie, Voici nouvelle joie. Le rossignol qui s’est fâché Pour la rigueur de l’hiver froid, Maintenant il n’est plus caché Mais sur la branche il se tient droit: Il jargonne et verboie, Voici nouvelle joie. Le Fidèle dedans la Loi Tout caché, tremblant et peureux, Par la lumière de la Foi Voit clair et devient amoureux De Dieu, que le convoie: Voici nouvelle joie. Il se connaît tout délivré De péché et damnation; Il se sent de joie enivré Par la divine Élection Qui tout bien lui octroie: Voici nouvelle joie. L’arbre de Croix, de peine et mort, Que tant avait eu en horreur, Maintenant c’est le réconfort Où il a attaché son coeur Afin qu’il ne dévoie: Voici nouvelle joie. Lui qui craignait les gens hanter Et cachait par crainte sa voix, Maintenant ne fait que chanter Dessus l’épine de la Croix; Il faut que l’on le croie: Voici nouvelle joie. Il est dehors d’hiver et nuit, Il n’est plus sec, mais florissant; Mort et Péché plus ne lui nuit; Il est content dans le Puissant. Vérité, Vie et Voie: Voici nouvelle joie. Cantique Spirituel. Je n'ai plus ni père, ni mère, Ni soeur, ni frère Sinon Dieu seul auquel j'espère, Qui sur le ciel et terre impère; Là-haut, là-bas, Tout par compas; Compère, commère, Voici vie prospère. Je suis amoureux non en ville, Ni en maison, ni en château, Ce n'est de femme ni de fille Mais du seul bon, puissant et beau: C'est mon Sauveur Qui est vainqueur De péché, mal, peine et douleur; Et a ravi à soi mon coeur. Je n'ai plus, etc. J'ai mis du tout en oubliance Le monde et parents et amis, Biens et honneurs en abondance, Et les tiens pour mes ennemis. Fi de tels biens, Dont les liens Par Jésus-Christ sont mis à rien, A fin que nous soyons des siens. Je n'ai plus, etc. Je parle, je ris et je chante Sans avoir souci ni tourment, Amis et ennemis je hante, Trouvant partout contentement: Car par la Foi En tous je voi Leur vie, qui est, je le croi, Tout en Tout, mon Dieu et mon Roi. Je n'ai plus, etc. Or puis donc que Dieu est leur vie, Et que je le crois Tout en tous, Il est mon ami et m'amie, Père, Mère, Frère et Époux; C'est mon espoir Mon sûr savoir; Mon Étre, ma force, pouvoir, Qui m'a sauvé par son vouloir. Je n'ai plus, etc. Las! que faut-il plus à mon âme Qui est tirée en si bon lieu, Sinon se laisser en la flamme Brûler de cette amour de Dieu? Et en brûlant, Le consolant D'amour, qui rend le coeur volant, Et sans fin la bouche parlant, Je n'ai plus, etc. Amis contemplez quelle joie J'ai, étant délivre de moi, Et remis en la sûre voie Hors des ténèbres de la Loi. Ce réconfort Est si très fort, Que rien plus ne désire, au fort Qu'être uni à lui par ma Mort. Je n'ai plus, etc. Épître. Si Dieu m'a Christ pour chef donné, Faut-il que je serve autre maître? S'il m'a le pain vif ordonné, Faut-il du pain de mort repaître? S'il me veut sauver par sa dextre, Faut-il en mon bras me fier? S'il est mon salut et mon être, Point n'en faut d'autre édifier. S'il est mon seul et sûr espoir, Faut-il avoir autre espérance? S'il est ma force et mon pouvoir Faut-il prendre ailleurs assurance? Et s'il est ma persévérance, Faut-il louer ma fermeté? Et pour une belle apparence, Faut-il laisser la sûreté? Si ma vie est en Jésus-Christ, Faut-il la croire en cette cendre? S'il m'a donné son saint écrit, Faut-il autre doctrine prendre? Si tel maître me daigne apprendre, Faut-il à autre école aller? S'il me fait son vouloir entendre, Faut-il par crainte le celer? Si Dieu me nomme son enfant, Faut-il craindre à l'appeler père? Si le monde le me défend, Faut-il qu'à son mal j'obtempère Si son esprit en moi opère, Faut-il mon courage estimer? Non, mais Dieu, qui partout impère, (2) Faut en tout voir, craindre et aimer. Réponse à Clément Marot. (Pour Hélène De Tournon.) Si ceux à qui devez, comme vous dites, Vous connaissaient comme je vous connais, Quitte seriez des dettes que vous fîtes, Le temps passé, tant grandes que petites, En leur payant un dizain toutefois Tel que le vôtre qui vaut mieux mille fois Que l'argent dû par vous, en conscience; Car estimer on peut l'argent au poids, Mais on ne peut, -et j'en donne ma voix, Assez priser votre belle science. Notes. (1) Contentement. (2) règne. Source: http://www.poesies.net