Théanthropogamie. (1577) Par Marin Le Saulx. (1550s-1600s) Dit "Du Saussé." En Forme De Dialogue, Par Sonnets Chrétiens. Le Seigneur Dieu tout-puissant a commencé son règne. Éjouissons-nous, & nous égayons, & lui donnons gloire: car les noces de l'Agneau sont venues, & sa femme s'est parée: Et lui a été donné qu'elle se vête de crêpe pur & luisant: car le crêpe sont les justifications des saints. Apoc. 19.6.7.8. Et moi Jean vis la sainte Cité de Jérusalem nouvelle, descendante du Ciel, de par Dieu, parée comme une épouse, ornée pour un mari. Apoc. 21.2. Christ aime l'Église, & s'est livré soi-même pour elle: Afin qu'il la sanctifiât, la nettoyant par le lavement d'eau par la parole: Afin qu'il se la rende une Église glorieuse, n'ayant point de tache, ni ride, ni autre telle chose: ains qu’elle soit sainte & irrépréhensible. Éphés. 5.25.26.27. TABLE DES MATIÈRES. A Haut Et Puissant Seigneur. Au Lecteur. Sur Les Sonnets Chrétiens De Marin Le Saulx Du Saussé. Sonnet 1 Sonnet 2 Sonnet 3 Sonnet 4 Sonnet 5 Sonnet 6 Sonnet 7 Sonnet 8 Sonnet 9 Sonnet 10 Sonnet 11 Sonnet 12 Sonnet 13 Sonnet 14 Sonnet 15 Sonnet 16 Sonnet 17 Sonnet 18 Sonnet 19 Sonnet 20 Sonnet 21 Sonnet 22 Sonnet 23 Sonnet 24 Sonnet 25 Sonnet 26 Sonnet 27 Sonnet 28 Sonnet 29 Sonnet 30 Sonnet 31 Sonnet 32 Sonnet 33 Sonnet 34 Sonnet 35 Sonnet 36 Sonnet 37 Sonnet 38 Sonnet 39 Sonnet 40 Sonnet 41 Sonnet 42 Sonnet 43 Sonnet 44 Sonnet 45 Sonnet 46 Sonnet 47 Sonnet 48 Sonnet 49 Sonnet 50 Sonnet 51 Sonnet 52 Sonnet 53 Sonnet 54 Sonnet 55 Sonnet 56 Sonnet 57 Sonnet 58 Sonnet 59 Sonnet 60 Sonnet 61 Sonnet 62 Sonnet 63 Sonnet 64 Sonnet 65 Sonnet 66 Sonnet 67 Sonnet 68 Sonnet 69 Sonnet 70 Sonnet 71 Sonnet 72 Sonnet 73 Sonnet 74 Sonnet 75 Sonnet 76 Sonnet 77 Sonnet 78 Sonnet 79 Sonnet 80 Sonnet 81 Sonnet 82 Sonnet 83 Sonnet 84 Sonnet 85 Sonnet 86 Sonnet 87 Sonnet 88 Sonnet 89 Sonnet 90 Sonnet 91 Sonnet 92 Sonnet 93 Sonnet 94 Sonnet 95 Sonnet 96 Sonnet 97 Sonnet 98 Sonnet 99 Sonnet 100 Sonnet 101 Sonnet 102 Sonnet 103 Sonnet 104 Sonnet 105 Sonnet 106 Sonnet 107 Sonnet 108 Sonnet 109 Sonnet 110 Sonnet 111 Sonnet 112 Sonnet 113 Sonnet 114 Sonnet 115 Sonnet 116 Sonnet 117 Sonnet 118 Sonnet 119 Sonnet 120 Sonnet 121 Sonnet 122 Sonnet 123 Sonnet 124 Sonnet 125 Sonnet 126 Sonnet 127 Sonnet 128 Sonnet 129 Sonnet 130 Sonnet 131 Sonnet 132 Sonnet 133 Sonnet 134 Sonnet 135 Sonnet 136 Sonnet 137 Sonnet 138 Sonnet 139 Sonnet 140 Sonnet 141 Sonnet 142 Sonnet 143 Sonnet 144 Sonnet 145 Sonnet 146 Sonnet 147 Sonnet 148 Sonnet 149 Sonnet 150 Sonnet 151 Sonnet 152 Sonnet 153 Sonnet 154 Sonnet 155 Sonnet 156 Sonnet 157 Sonnet 158 Sonnet 159 Sonnet 160 Sonnet 161 Sonnet 162 Sonnet 163 Sonnet 164 Sonnet 165 Sonnet 166 Sonnet 167 Sonnet 168 Sonnet 169 Sonnet 170 Sonnet 171 Sonnet 172 Sonnet 173 Sonnet 174 Sonnet 175 Sonnet 176 Sonnet 177 Sonnet 178 Sonnet 179 Sonnet 180 Sonnet 181 Sonnet 182 Sonnet 183 Sonnet 184 Sonnet 185 Sonnet 186 Sonnet 187 Sonnet 188 Sonnet 189 Sonnet 190 Sonnet 191 Sonnet 192 Sonnet 193 Sonnet 194 Sonnet 195 Sonnet 196 Sonnet 197 Sonnet 198 Sonnet 199 Sonnet 200 Sonnet 201 Sonnet 202 Sonnet 203 Sonnet 204 Sonnet 205 Sonnet 206 Sonnet 207 Sonnet 208 Sonnet 209 Sonnet 210 Sonnet 211 Sonnet 212 Sonnet 213 Sonnet 214 Sonnet 215 A Haut Et Puissant Seigneur, Mon Seigneur, Le Comte de Laval, de Monfort, de Haucourt, &c, Baron de Vitré, de Rochefort, &c. son très-honoré Seigneur Marin Le Saulx: Salut. Mon Seigneur, encore que Dieu vous ait fait la grâce d'être né, tant du côté paternel que maternel, de deux des plus grandes et plus illustres maisons de France: si est-ce que j'ose bien dire que l'excellence de vos rares vertus, et surtout de votre constance, à maintenir contre tant et tant de difficultés, le pur et saint service de sa majesté, à plus haut publie votre nom, tant au pays de votre naissance, que jusqu'aux entrailles des Royaumes étrangers, que n'a fait toute la grandeur de votre si ancienne maison: et vraiment en votre personne on peut droitement remarquer l'immuable vérité de notre Dieu souverain, qui promet de continuer son alliance des pères aux enfants, vous ayant laissé héritier, non tant des grandes et riches possessions de vos prédécesseurs, que de leur saint zèle et constance invincible: et entre tous de mon Seigneur votre père qui s'est rendu immortel à la postérité, par cette sienne tant sainte et ardente affection, à maintenir le bon nom et l'honneur du Dieu vivant. Ce qui fait que hardiment je m'adresse maintenant à vous, avec ce mien petit livret, encore qu'au reste je n'aie jamais eu cet honneur de vous voir, pour vous offrir tout humble service que peut un homme de ma condition: non tant assuré de la suffisance de ce que je présente, que de votre bonté accoutumée, qui comme j'espère prendra de bonne part, plutôt ma bonne affection que ce que je présente, pour être beaucoup au- dessous de ce que bien vous méritez. Car mon intention a été, Mon Seigneur, de vous faire entendre combien je m'estime votre obligé pour les grâces excellentes dont l'Éternel vous a orné, et combien je désire uniquement de vous pouvoir faire quelque humble service à l'avenir: si tant est que tout petit que je suis, il vous plaise me commander, et que je puisse en quelque chose répondre à ce que vous pourriez demander de moi. J'ai davantage désiré de soulager et recréer aucunement votre esprit, qui quelquefois se peut trouver ennuyé, pour être si assiduellement retenu par la lecture des Auteurs et sciences plus graves, en vous présentant des vers Français nullement éloignés de votre principale profession, qui est la piété et la justice. Si je ne suis point déçu de mon intention, je m'estimerai très-étroitement obligé pour ce regard, d'en rendre grâces à Dieu. Auquel je supplie, Mon Seigneur, vous maintenir en sa garde, et faire prospérer de plus en plus la grandeur de votre maison en toutes sortes de bénédictions spirituelles et temporelles. De Londres ce 29. d'Août 1577. Au Lecteur. Salut Et Paix Par Jésus-Christ. S'Il y a quelques-uns qui reprennent cette façon d'écrire dont j'ai usé en ce Dialogue de l'Église et de Jésus-Christ, il ne m'arrivera rien de nouveau, et que je n'aie bien prévu, voire dès le commencement. Car dès lors que je mis la main à la plume pour composer ce petit traité, je me promis d'avoir à faire à deux sortes de gens spécialement qui ne failliraient point à me condamner. Les uns pour être d'un naturel tant chagrin et si difficile, qu'ils ne peuvent rien trouver bon, s'il ne part de leur propre main: les autres pour n'atteindre pas mon but ni mon intention. Or comme j'estime m'être loisible de mépriser hardiment les premiers, avec leur jugement pervers: aussi d'autre part ai-je pensé, avant que de laisser sortir ce petit livret en lumière, pour être communiqué au public, que je devais user de quelque préface, qui pût contenter, si non du tout, pour le moins en quelque partie les autres, qui sans cela pourraient bien trop facilement s'offenser. Et d'autant que je me doute qu'ils se pourront achopper à deux choses principalement, je tâcherai d'autant plutôt aussi de leur en lever toute juste occasion. Car pourvu qu'ils prennent en paiement, ce qui est fondé sur ce roc immuable de l'éternelle parole de Dieu, et de l'invincible raison, je me promets bien tant de leur sincérité et bonté, qu'ayant le tout examiné et éprouvé sur cette touche, ils se tiendront pour satisfaits. Or pour parler du premier point, difficilement trouveront-ils bon, que sous le voile d'un mariage charnel, j'aie voulu comme envelopper cette conjonction spirituelle et vraiment céleste de Jésus-Christ et de l'Église, du lien étroit de laquelle, sont liées et serrées de près toutes les vertus les plus belles, toutes les grâces les plus rares, et tous les dons les plus exquis, dont cette Église est enrichie, de la seule grâce et libéralité de son Christ, son loyal époux. Et pour le second quand je leur aurai satisfait sur ce point, leur ayant clairement montré, que je n'ai rien fait indigne de Chrétien en cette mienne comparaison, pour le moins répliqueront-ils, que j'ai décrit ce mariage d'une façon par trop charnelle, et non guère éloignée, à leur avis, de quelque orde lasciveté. À tant après avoir montré qu'il n'y a rien au premier point, qui soit aliène ou étrange de la gravité des Écritures saintes, desquelles j'ai suivi la trace et le chemin plus aplani, il me restera de faire connaître, qu'il n'y a en tout ce Discours aucune chose qui soit lascive, ni approchante seulement d'aucune ordure ou lasciveté: pourvu qu'elle soit bien entendue et rapportée à son droit but. Pour le regard donc de la comparaison que je fais du mariage spirituel de l'Église et de Jésus-Christ, avec le mariage charnel qui se traite ici parmi nous entre le mari et la femme, il n'y a certes rien tant commun en toute l'Écriture sainte. Et puis bien justement affirmer, qu'il n'y a point ou peu d'Auteurs entre les écrivains Sacrés, qui aient traité cette matière, qui n'aient usé pour l'éclaircir de cette même comparaison. Salomon qui l'un des premiers s'est égayé en cet argument, a poursuivi fort amplement cette même similitude, au livre que par excellence il nomme le Cantique des Cantiques, duquel j'ai pris quasi de mot à mot, la plupart de ce qui est contenu en tout ce mien petit traité, voire et cela qui en apparence semble approcher de plus près de lasciveté. Là le susdit Salomon sous la figure d'un chaste mariage, déduit par allégories ou paraboles, mais très clairement néanmoins, la très-étroite conjonction de Jésus-Christ avec l'Église, laquelle il a de tout temps choisie pour lui être épouse sainte et chaste, voire perpétuellement. Là ce même Auteur par ses écrits délecte élégamment les oreilles des auditeurs, de la douceur des devis gracieux, et de vrai saintement amoureux, d'entre le vrai Salomon Roi de paix notre Seigneur Jésus-Christ, et de son épouse sainte et chaste, l'Église vraiment Chrétienne. Là il fait voir à l'oeil aussi les familières privautés, et néanmoins spirituelles et pudiques, par lesquelles on peut connaître l'ardente charité et dilection de l'époux envers son épouse. Là puis après d'autre côté un chacun peut bien contempler l'affection véhémente et ardente de cette même chaste épouse, et comme elle est saintement ravie en la contemplation de la bonté gratuite de son époux, et des grâces singulières, desquelles par son moyen seul elle jouit un chacun jour. Là finalement, dis-je, on peut aisément remarquer le désir ardent qui chastement embrase le coeur de cette sainte et pudique épouse, d'une affection extrêmement grande qu'elle a d'être de plus en plus insinuée en l'amour de son divin époux, et de n'être jamais repoussée pour aucune tache ou macule qui se puisse trouver en elle. Après ce docte et sage Salomon, l'Auteur du Psaume 45 a traité ce même argument sous la même similitude, façonnant un chant nuptial de Jésus-Christ et de son Église sous la figure de quelque mariage charnel. Ésaïe qui le suit après, sous cette même couverture a voilé aucunement ce même mariage spirituel et divin de Jésus- christ avec l'Église. Ézéchiel ne s'est point éloigné de la même similitude, ains l'a poursuivie fort au long au livre de sa Prophétie, chap. 16, bien que ç'ait été diversement: car son but n'était pas comme à Salomon, de célébrer par un cantique cette étroite conjonction de Christ avec sa sainte épouse, ains de montrer tout au contraire, l'ingratitude étrangement vilaine de l'Église ancienne envers son Dieu, qui après avoir de lui reçu une infinité de bénéfices s'en était néanmoins départie pour adorer les dieux étranges. Ce qui est clairement exposé par le susdit Prophète sous la figure et ressemblance d'un mariage charnel, tel que l'on voit entre les hommes. Ozée non plus ne l'a point trouvée de mauvaise grâce, ains l'a saintement appropriée en traitant de cette même matière, à la déduction de son propos. L'Apôtre Saint Paul entre les Auteurs du nouveau Testament, a tiré à soi cette similitude, comme très-propre à la matière qu'il traitait de la conjonction spirituelle de Jésus-Christ et de l'Église. Et pour faire fin de mettre en compte les Auteurs qui se sont exercés en ce même genre d'écrire, Saint Jean l'Évangéliste, lequel a écrit le dernier de tous nos écrivains Sacrés: au livre de l'Apocalypse chapitre 19 fait droitement ressembler Jésus-Christ l'agneau sans macule, à un époux qui célèbre le jour de ses noces au ciel avec l'Église son épouse, qui s'est ornée et reparée de crêpe très-pur et luisant, qui sont, comme lui même expose, les justifications des saints, pour lui être présentée puis après sainte, chaste et sans aucune corruption. Si tant et tant d'Auteurs divins, tous organes du Saint-Esprit, n'ont fait aucune difficulté, de décrire sous la figure d'un mariage charnel et terrestre, l'étroite et sainte conjonction de Jésus-Christ avec l'Église: nul, ce me semble, ne me pourra justement condamner, d'avoir ainsi traité cet argument, usant de leur façon d'écrire: s'il ne veut quant et quant condamner les graves Auteurs de notre sainte Bible, et en leurs personnes aussi le Saint-Esprit qui est Dieu immortel, ce qui ne serait certes sans blasphème. Or quand nous n'aurions aucuns Auteurs qui nous eussent aplani ce chemin, si est-ce toutefois qu'ayant la seule raison pour guide, nous le pouvons assurément entreprendre, sans crainte de nous égarer. Car comme il n'y a rien plus étroit entre toutes les choses célestes que le mariage de Christ et de l'Église son épouse (excepté toujours la conjonction de l'union des trois personnes en l'unité de l'essence de Dieu) aussi n'y a-t-il rien entre toutes les choses terrestres, ni plus étroit, ni plus conjoint, que l'alliance de l'homme et de la femme, laquelle se fait par le lien d'un juste et chaste mariage. Et tout ainsi que cette est la première conjonction d'entre tous les hommes mortels, mère et surgeon de toutes les autres, comme celle de laquelle seule elles prennent toutes leur origine, aussi le mariage spirituel de l'Église avec Jésus-Christ, est la conjonction première du Dieu vivant avec les hommes, et de laquelle sont déduites puis après toutes les con- jonctions spirituelles et divines, comme les ruisseaux de leur source. C'est par le moyen de cette si étroite conjonction que tous les fidèles sont engendrés de Dieu au giron fertile de l'Église, qui fait la communion de tous les saints, en laquelle nous avons tous un seul et même Dieu, pour père, lequel nous tient pour ses enfants. En cette même communion nous avons un seul Christ pour chef, pour frère et pour époux aussi, et en lui seul nous sommes frères, et tous cohéritiers du Ciel. En elle même nous avons un même Saint-Esprit pour vie, dont il advient que tous ensemble ne faisons qu'un seul corps divin, qui a un même chef en Christ. Et comme le lien du mariage charnel n'en peut joindre que deux à la fois, savoir est le légitime mari avec sa légitime femme; qui ne peut jamais avoir aucune légitime conjonction de mariage avec un tiers, aussi à vrai dire le lien de la conjonction de Jésus-Christ avec l'Église, ne peut jamais admettre un tiers. Et l'Église conjointe à Christ ne se peut joindre avec un tiers, sans polluer son mariage et commettre un vilain adultère, vilain je dis, voire d'autant plus, qu'il est spirituel et non charnel. Car comme il n'y a qu'un époux qui est Jésus-Christ immortel, aussi n'y a-t-il qu'une épouse l'Église sainte Chrétienne et Catholique, c'est à dire épandue parmi tout ce grand univers. Tout ainsi aussi qu'en ce mariage charnel le mari est chef de la femme, au pouvoir duquel elle est assujettie de Dieu, aussi Christ est chef de l'Église, qui lui donne vie et vigueur, de la parole et conduite duquel seul elle doit dépendre, pour saintement s'assujettir à tout ce qu'il voudra commander. Comme encor la conjonction du mari avec la femme est liée d'un lien si étroit, qu'il est du tout indissoluble sinon par mort ou adultère, ainsi aussi est-il de la conjonction divine de Christ et de son épouse l'Église, cent mille millions de fois trop plus étroitement conjointe, qu'aucune autre qui se puisse jamais contracter entre tous les hommes mortels. Car aussi ne la peut-on dissoudre sinon par l'adultère d'Apostasie et défection de Dieu aux idoles, tel ou semblable que celui qu'a commis ce détestable Mahomet, et tous ceux-là qui de son temps abandonnèrent Jésus-Christ pour suivre son apostasie. Ce qui se doit entendre du corps de l'Église en commun, et non pas des particuliers, chacun desquels se peut bien séparer de Christ par mille et mille autres façons répugnantes à sa volonté. Et comme par le mariage charnel du mari avec son épouse, il y a une telle conjonction et communauté de tous biens, que tout ce que l'un ou l'autre des parties a de commodités ou incommodités, aux biens, au corps, ou en l'esprit, chacun le peut bien dire sien: aussi véritablement en ce mariage de Jésus-christ avec l'Église il y a une telle conjonction et communion de toutes choses, que comme Christ peut justement appeler toutes nos incommodités siennes (qui est tout ce que nous avons apporté de notre part pour être confondu en la communauté) aussi pouvons-nous appeler nôtre, tout ce que Christ a reçu du ciel, sa justice, et sainteté, sa vie et immortalité. Au surplus tout ainsi qu'il ne peut arriver rien de plus grave en un saint et chaste mariage, que quand l'épouse se débauche, pour rendre son lit impur et sale, en le communiquant à d'autres qu'à son légitime mari, aussi ne peut- il arriver rien de plus grave que cela même entre Jésus-Christ et l'Église. Comme aussi le bon mari supporte, voire avec une grande douceur mille et mille imperfections en sa femme, pourvu qu'au reste elle lui réserve son lit pudique et impolu, ainsi aussi si nous faisons comparaison entre les imperfections qui se peuvent trouver en l'Église, et le crime d'Apostasie et défection du vrai Dieu, aux dieux étranges, quoique les uns et les autres soient abominables devant les yeux de celui qui est la même pureté: si est-ce toutefois que Jésus-Christ, le parangon de toute douceur, supporte beaucoup plutôt et plus facilement les autres péchés de l'Église, qu'il lave et nettoie de son sang, qu'il ne fait pas ce crime horrible, par lequel l'Église se retirant de lui, se débauche à la façon des putains effrontées, après le bois et la pierre, l'or, l'argent, le cuivre et l'airain: ou bien après tous ces faux dieux qui n'ont point fait ni ciel ni terre. Car cela certes advenant, Christ est ému d'un juste courroux, et provoqué à jalousie, et dont finalement s'ensuit, si l'épouse ne se repent, le divorce et entière séparation. Et comme encor les enfants procréés d'un légitime mariage, sont faits héritiers en commun de l'une et de l'autre des parties: de même aussi tous les fidèles engendrés de ce mariage de Jésus-Christ avec l'Église, sont véritablement héritiers tant de lui que de son épouse, et de tout ce qui leur appartient soit en terre ou là-sus aux cieux. Pour faire fin, tout ainsi que le fondement d'un droit et juste mariage est cet amour et mutuelle dilection de l'une et l'autre des parties, qui embrase chastement leurs coeurs, d'un feu qui doucement les brûle, sans aucune impudique passion: ainsi aussi certainement cette mutuelle dilection et réciproque charité de Jésus-Christ et de l'Église, est le fondement ferme de leur mariage, et tant étroite conjonction. C'est ce qui fait que l'époux et l'épouse aussi jouissent heureusement l'un de l'autre avec dix mille privautés. C'est aussi de la même source que procèdent toutes ces pudiques caresses, tous ces doux et plaisants devis d'entre Jésus-Christ et l'Église, dont Salomon fait mention. Tous lesquels à la vérité se doivent prendre et interpréter d'une façon du tout céleste et vraiment spirituelle, telle qu'est ce mariage céleste duquel nous parlons maintenant, comme nous montrerons cela ci-dessous beaucoup plus clairement, Dieu aidant. Voilà pourquoi le Saint-Esprit au livre des Écritures saintes, n'a fait aucune difficulté de nous exposer l'un par l'autre, qui certes ne voit rien d'impur au mariage charnel qu'il a lui-même institué, et qui ne puisse convenir avec le mariage spirituel de Christ et de son Église. Je confesserai volontiers qu'en la corruption en laquelle nous sommes à présent, il est fort difficile, voire et qui plus est impossible, de trouver un mariage si saint, si chaste, si beau, et si pur, qu'il n'y ait du tout que redire. Mais l'esprit de Dieu lequel n'a point les yeux charnels, pour regarder à la façon des hommes, pénètre bien plus avant que nous ne faisons pas, se présentant en dictant ces choses, non un mariage souillé d'une infinité de pollutions procédantes de notre propre corruption, qui seules noircissent la blancheur et pureté d'icelui, mais un plutôt, éloigné de toute pollution: et du tout tel qu'il eût été entre les hommes s'ils fussent demeurés au droit de leur première condition. Car c'est chose bien assurée que si Adam eût pu longuement posséder la félicité excellente en laquelle il avait été constitué, et tant, dis-je, et si longuement, qu'il eût pu jouir, lui innocent de la femme innocente, et d'elle engendrer des enfants doués d'une même innocence, c'est chose vraie et bien certaine qu'il eût expérimenté une bien plus grande douceur du mariage, en toute chasteté néanmoins, que nous ne faisons pas maintenant. Il y eût eu entre lui et sa femme une perpétuelle paix, et qui n'eût jamais pu être entrerompue par quelque cuisant chagrin de l'une et l'autre des parties. Ils eussent pu mutuellement sentir le feu et les plus vives étincelles d'un amour chaste et bien réglé, retenus cependant en leurs bornes. Ils eussent joui des effets d'une pudique volupté, et sans aucun débordement. Ils eussent cueilli l'un et l'autre les fruits de leurs chastes amours, sans être aucunement troublés de nos aveugles passions. Et si n'eussent été privés des devis et propos gracieux, des baisers et embrassements propres aux chastes mariages, du tout confits en la douceur d'une tempérée affection, qui n'eût outrepassé la borne d'une sainte pudicité. Voilà proprement le mariage sous la figure duquel le Saint-Esprit nous veut faire contempler celui de Christ et de l'Église, qui est de tous points accompli. Et ne se faut jà émerveiller s'il nous est maintenant difficile, ou pour dire mieux impossible, de représenter aux yeux de notre frêle entendement, un tel et si saint mariage, qui n'en avons jamais rien expérimenté. Car en cette corruption en laquelle nous sommes, il n'y a rien si saint qui ne soit par nous profané, rien si juste qui ne soit corrompu, et rien si net qui ne soit souillé. Même les affection naturelles qui naissent et croissent avec nous, sont en quelque sorte souillées du venin de notre intempérance et déréglé débordement. De là advient que nous ne pouvons craindre, désirer, espérer, haïr ou aimer aucune chose, que toutes ces passions-là, quoique toutes soient naturelles, ne tirent de nous quelque tache d'intempérance, et deviennent souillées par ce moyen, qui fussent néanmoins demeurées en leur première pureté en Adam saint et innocent. Ce qui se voit en Jésus-Christ, qui a eu telles passions sans aucun péché néanmoins, pour n'avoir point outrepassé l'étroite borne de cette égale tempérance. Or quand il est question de considérer le mariage de Dieu vivant avec l'Église, il nous faut sortir hors de nous, pour monter jusque dans le ciel. Quand il est question de le nous représenter voilé du voile de quelque mariage charnel, alors nous faut-il représenter un mariage, non tel qu'il est pour le présent immonde, impur, et imparfait, mais tel qu'il eût vraiment été, si l'homme innocent fût demeuré en sa justice originelle. Alors nous n'y trouverons rien qui ne soit saint, qui ne soit chaste, et qui ne soit bien convenant au mariage spirituel de l'Église et de Jésus- Christ. Et ceci soit dit quant au premier point. Que si quelqu'un réplique maintenant que je me suis merveilleusement éloigné, en la façon d'écrire que j'ai suivie, de la modestie et tempérance, que l'on peut aisément remarquer en un tel chaste mariage que j'ai dépeint ici-dessus, j'ai à répondre en un seul mot, que l'on pourrait faire un tel sinistre jugement de Salomon en son Cantique, si le Saint-Esprit ne lui avait rendu du ciel un témoignage tout contraire. Si donc en décrivant choses spirituelles et célestes, il s'est aucunement accommodé au sens charnel et imparfait de l'homme, pour déclarer choses si hautes, si divines, et si très-saintes, en la manière des choses même que l'on voit au sens et à l'oeil, et qui adviennent chacun jour entre ceux-là qui sont conjoints par le lien de ma-riage, et n'en est justement repris: pourquoi trouvera quelqu'un étrange, que j'aie suivi en cet endroit ses traces si souvent battues par tous les écrivains Sacrés, voilant comme eux de quelque allégorie, ce qui en vers aurait mauvaise grâce, s'il était exprimé d'une façon simple et sans figure? Puisque le Saint-Esprit use souvent de cette façon d'enseigner partout aux Écritures saintes, pour l'instruction des fidèles, qui est-ce qui trouvera mauvais, que nous la rapportions nous-mêmes au commun profit de l'Église, pour laquelle j'ai entrepris d'écrire ce petit traité? J'eusse coté en marge les passages desquels j'ai tiré ce discours, mais d'autant que le livre des Cantiques de Salomon est fort bref, il est aisé sans cela, de remarquer en le lisant l'endroit de la si vive source, dont sont découlés ces ruisseaux. Car quant aux autres passages de l'Écriture sainte, que j'eusse pu aussi coter, d'autant qu'en iceux il n'y a point de difficulté, je m'en suis moins donné de peine. Il reste donc tant seulement de m'acquitter de la promesse que j'ai ci-dessus avancée, de faire voir au doigt et à l'oeil, qu'il n'y a en tous ces Sonnets aucune chose qui soit lascive, ou approchante de lasciveté, d'autant que ce qui en a quelque apparence, doit être entendu par allégorie d'une façon spirituelle, et convenante à Jésus-Christ esprit et vrai Dieu immortel. Voici donc ce qui peut sembler à quelques-uns approcher de trop près de la vanité des Poètes profanes, et d'autant aussi s'éloigner de la vénérable gravité qui partout apparaît si claire aux livres des Écritures saintes: c'est que tantôt par la bouche de Christ, tantôt par celle de l'Église, je fais hautement éventer la gloire et plus riche beauté des membres, qui non seulement conviennent à un corps humain: mais qui peuvent servir d'amorce pour aviver les étincelles de l'amour lascif, ou pudique, au coeur des plus sévères Catons. Ce qui fait que par-ci par-là, on rencontre si souvent en lisant ces Sonnets: cette perruque noire, ces cheveux d'or frisés, ce front d'ivoire, ces yeux flamboyants, ces lèvres de lis, ou de corail, ces doigts d'albâtre, ces jambes de marbre, et mille autres façons de parler semblables. On ne trouvera moins étrange, que j'aie enrichi puis après, tous ces membres-là, (déjà, selon leur jugement mieux polis, et plus joliment façonnés, qu'il n'appartient à la modestie Chrétienne) de vêtements mollets de pourpre et d'écarlate, ou d'ornements d'or reluisants, d'anneaux riches et précieux, enrichis encore de perles, de rubis, de balais, de saphirs, opales, émeraudes et autres pierres précieuses. Et surtout que j'aie fait mention de lit, de couche, de baisers et d'embrassements. Ce qui semble moins convenir à cette sainte sévérité, que l'on peut aisément remarquer aux livres de notre sainte Bible. À cela je dis pour réponse, que toutes ces mêmes descriptions, tant de membres corporels, d'atours précieux et exquis, que ces privautés si grandes, se peuvent trouver attribuées, soit à Christ, ou bien à l'Église, par les Auteurs sus-allégués, que j'appelle de garantie. Car aussi sont-ils suffisants pour me décharger du blâme que l'on me voudrait imposer en cet endroit, avec le témoignage grave desquels j'ajoute une brève exposition de toutes ces choses que j'ai décrites ci-dessous, par laquelle je montrerai plus qu'assez clairement à tous, que sous le manteau de ces choses charnelles et terrestres, il nous faut chercher et comprendre choses du tout spirituelles et célestes. Sous le nom donques de l'époux, il nous faut entendre, comme j'ai jà dit ci-dessus, Jésus-Christ le Saint fils de Dieu, lequel se donne un même nom dedans l'histoire Évangélique. Par celui de l'épouse Christine, est entendue l'Église Chrétienne qui par Foi est conjointe à son Christ. Les compagnons de cet époux que j'appelle quelquefois fils de Juda, sont les prophètes et Apôtres, les Pasteurs et Docteurs de l'Église. Les compagnes de l'épouse desquelles je parle aussi en quelques Sonnets, sont le surplus des vrais fidèles qui suivent l'Église et sa foi. Si quelquefois je parle du chef de Jésus-Christ, je le considère en deux sortes, tantôt au regard de lui seulement, tantôt au regard de l'Église. Par le chef de Christ rapporté à Christ même, j'entends sa divinité qui apparaît haut élevée par-dessus sa chair, comme le chef sur tous les autres membres. Mais si je le rapporte à l'Église, je comprends lors Jésus-Christ tout entier, vrai Dieu et homme tout ensemble, unique Médiateur du vieil et nouveau Testament, et seul chef de toute l'Église. Et puis tout ainsi que le chef donne vie et vigueur à tous les membres, qui sans cela ne seraient qu'une orde et infecte charogne: ainsi aussi à la vérité Christ est celui qui vivifie l'Église, donnant la vie à tout le corps, et à chacun des autres membres, laquelle il transmet de soi en icelle par le canal de la conjonction spirituelle qui est entre lui chef unique, et les élus qui sont ses membres, unis ensemble par le lien du Saint-Esprit. Et comme en chaque corps humain il n'y peut avoir qu'un seul chef, à qui appartient de conduire cestui corps qui lui est soumis, et lequel autrement aveugle ne se peut sinon égarer, et s'égarant précipiter: ainsi aussi véritablement, d'autant qu'il n'y a qu'un seul corps d'Église composé de tous les élus qui sont en la terre et au ciel, il n'y peut avoir qu'un seul chef non plus, auquel seul appartient de vivifier et conduire le corps de cette Église Catholique, et ce qu'il exécute de vrai en la vertu de son Esprit par le sceptre de sa parole. Ce chef que Jésus-Christ l'époux dit être mouillé de rosée, et de la pluie qui coule doux lorsque le Soleil est couché, sans doute nous doit faire entendre, que c'est en lui seul qu'il nous faut chercher et trouver le vrai et plaisant rafraîchissement, duquel nous sommes garantis contre l'ardeur véhémente et mortelle du péché, de la mort et de l'Enfer. Et c'est de lui aussi que découle si doucement jusques à nous cette gracieuse rosée de toutes sortes de bénédictions spirituelles par la prédication de sa parole. Voilà l'occasion pourquoi l'Église s'égaie si plaisamment à rechanter en mille et mille sortes l'excellente et rare beauté du chef de son loyal époux. Ce que l'épouse puis après admire les yeux de l'époux purs, éclairants et flamboyants, par un tout seul regard desquels elle est ravie en admiration, est pour nous faire connaître la blancheur et pureté qui reluit aux jugements du Dieu vivant, qui certes sont dignes de grande louange, et admiration souveraine: et qui pour leur clarté et pureté si grande sont justement accomparés aux yeux flamboyants, ou de feu. Des yeux cette épouse descend à la face et aux joues vermeilles de cet époux plaisant et beau, desquels encore elle célèbre la louange en diverses façons, pource que c'est un signe de la présence de Jésus-Christ au milieu de l'Église, à laquelle il se manifeste et donne à connaître par la prédication de l'Évangile. Une telle manifestation est à bon droit représentée par la joue, laquelle est toujours découverte, et par laquelle les hommes ont de coutume de se manifester l'un à l'autre, en découvrant leur face, et se produisant en lumière. Les bras, les doigts et les mains de Jésus-Christ sont ses oeuvres admirables, très-pures et très-nettes de toute corruption, et qui par tant sont accomparées à l'ivoire blanc et poli, auquel y a une telle égale surface, qu'il est non seulement beau à voir, mais plus doux encore à toucher, n'y restant rien de raboteux ou moins aplani, non plus qu'aux ouvrages de Dieu. Par son ventre blanc et très-pur, nous entendons ses mystères et secrets plus intimes, auxquels toutefois on aperçoit une merveilleuse beauté et pureté aussi. Ses jambes qui sont accomparées à des piliers de marbre, signifient la fermeté et stabilité, tant de ses oeuvres, que de sa parole immuable. Les cheveux de Christ signifient l'abondance des richesses que le Père lui a conférées pour nous: où aussi la multitude des élus, qui dépendent de lui comme les cheveux de la tête. Voilà ce qui convient à l'époux, et ce que nous devons recueillir de la beauté et excellente disposition de tous les membres qui lui sont ici attribués. Parlons maintenant de l'épouse, qui est l'Église Chrétienne. Or tout ainsi qu'elle a haut loué jusques ici la rare beauté qui reluit en tous les membres de l'époux, aussi de sa part ne s'est- il non plus épargné à célébrer les louanges de l'exquise beauté de sa chaste et pudique épouse, voire et d'un chacun des membres d'icelle en particulier. Il chante en premier lieu les cheveux d'or frisés de sa belle et blonde Christine, qui nous représentent tous les fils de l'Église, et cette grande multitude de fidèles qui s'assemblent ordinairement en commun, pour ouïr la prédication de l'Évangile. Or ne sont-ils moins beaux ni agréables aux yeux de Christ loyal époux, que les cheveux ornés et bien agencés de quelque chaste et belle épouse aux yeux de son fidèle époux. Les yeux verdoyants de Christine, desquels Jésus-Christ est épris, sont les Pasteurs et Docteurs de l'Église, qui sont la conduite d'icelle, comme les yeux du corps humain. Et comme les yeux sont en lieu éminent de la face, et apparaissent clairs et beaux par- dessus tous les autres membres, aussi font, ou du moins doivent faire les Pasteurs et Docteurs de l'Église. On les peut aussi prendre pour la Foi, qui sert de lumière et de conduite à l'Église, et par laquelle seule, comme par les yeux éclairants, elle peut contempler son Christ, son frère et son céleste époux. Les lèvres et la bouche signifient, tant la prédication de l'Évangile, que les prédicateurs d'icelle. La couleur de lis signifie la pureté de cette prédication. Et celle de corail représente le zèle saintement ardent, duquel sont embrasés les fidèles Pasteurs et Docteurs. Le col ainsi blanc représente les mêmes Pasteurs, par le ministère desquels la pâture de vie est comme transmise et transportée à tout le corps de l'Église, comme le boire et le manger est très-proprement transporté par le col jusques au fond de l'estomac. La netteté, blancheur et beauté admirable de l'Église tant et tant prisée par Jésus-Christ l'unique mari, est la rémission gratuite de ses péchés, l'imputation de la justice et sainteté du fils de Dieu, et puis encore cette vie nouvelle que l'Esprit de Christ commence en elle, pendant qu'elle erre en ces bas lieux, et qui enfin sera parfaite et de toutes parts accomplie au séjour de l'immortalité. Par la couleur noire nous entendons les afflictions de l'Église, à cause desquelles toutefois elle n'est de rien moins agréable à Jésus- Christ. Les baisers sont l'étroite conjonction de Christ et de l'Église. Les vêtements précieux de l'épouse signifient toutes les grâces et bénédictions desquelles elle est remplie par Jésus- Christ. Ses bagues, carcans et autres joyaux très-exquis nous représentent cela même, comme les rubis et autres pierres pré- cieuses, desquelles nous faisons mention. Le lit de l'épouse est le lieu où l'Église se repose (en quelque part qu'il soit) et est conjointe à Jésus-Christ, de laquelle douce et agréable conjonction spirituelle et céleste, sont procréés et spirituellement engendrés tous les fidèles et élus. La couronne de l'époux est cette grande et magnifique gloire qui lui est donnée par l'Église, lorsqu'elle met toute sa confiance en lui seul, n'attendant salut que de lui. Il est vrai que Jésus-Christ est couronné de gloire par son Père, quand il est orné et revêtu des titres de Sauveur éternel, et qu'il est par lui constitué héritier de toutes choses, le Rédempteur unique du genre humain, le Roi des Rois, le Seigneur des Seigneurs. Mais il est aussi couronné par l'Église, quand il est d'elle reconnu pour tel, et que par son ministère la renommée de Jésus-Christ est épandue par tout le monde universel. Le coche ou litière tant de Christ que de l'Église est la doctrine des Prophètes et Apôtres, par laquelle Christ est apporté à l'Église, et l'Église reportée à Jésus- Christ. L'Église est accomparée à un Jardin plein d'arbres, d'herbes et de fleurs odoriférantes, à cause des dons excellents dont elle est richement ornée. Elle est accomparée à la rose et au lis pour leur odeur doucement suave. Les odeurs et onguents précieux sont sa renommée épandue par l'univers, et ses bonnes oeuvres procédantes d'une vraie foi. La haie dont elle est enclose est la providence de Dieu, par laquelle il la défend et contregarde de tout danger. Le Printemps est le temps du salut de l'Église, et ses fleurs en sont les signes certains, comme les Sacrements et la parole, qui aussi est signifiée par la voix de la tourterelle. L'Hiver au contraire est le temps de la persécution, soit intérieure ou extérieure, qui aussi est représentée par la nuit, durant laquelle le Seigneur a accoutumé de se présenter à nous pour nous consoler, et chasser dix, et dix mille ténébreux épouvantements de l'âme et de la conscience, qui bien souvent nous agitent au temps de l'adversité. Par l'Ombre nous entendons les figures et cérémonies de la Loi, qui sont nommées de ce nom par tout en l'Écriture sainte. Par le désert dont sort l'Église nous entendons, ou ce monde au regard du ciel, où elle est appelée par Jésus-Christ: ou la fausse religion au regard de la vérité, au secret et connaissance de laquelle elle est admise par icelui. Cette colonne de fumée à laquelle elle est comparée, est pour signifier qu'elle tend et se dresse droit à Jésus-Christ son époux, de l'accès duquel elle ne peut être aucunement empêchée. Le vin, le lait, et le miel nous représentent la doctrine, qui est une viande douce, délectable et savoureuse, tant pour les grands que pour les petits. L'Église aussi est accomparée à la Lune, pour signifier que tout ainsi que la Lune ne perd point sa clarté par les ténèbres de la nuit, ains est augmentée par ce moyen: aussi l'Église ne perd point sa très-excellente beauté par la nuit des afflictions. Elle est de même accomparée au Soleil et à la Lune à cause de sa pureté et splendeur très-claire. Voilà en somme le sens spirituel et céleste des choses corporelles et terrestres, qui sont ici attribuées ou à Christ ou à son Église, qui montre que tout ce Discours est fort éloigné d'intempérance ou lasciveté. S'il reste quelque chose dont je n'aie fait mention, je me promets qu'il ne donnera aucune peine au Lecteur fidèle. Il y a aussi quelques façons de parler qui pourraient sembler dures et difficiles à entendre, si elles n'étaient éclaircies par quelque brève et facile explication. Entre lesquelles est cette- ci, que l'Éternel s'est asservi au temps, et quelques autres semblables, qui ne signifient autre chose, sinon que Christ qui est Éternel, s'est asservi au temps: mais toutefois à raison de sa chair tant seulement, et non de sa divinité, qui est franche de temps en toutes sortes. Mais par une manière de parler que les Théologiens appellent communication des propriétés, on peut dire que Dieu est né, qu'il est mort et qu'il a souffert, combien que ç'ait été seulement en la chair. Il est vrai que l'on dit que Dieu a souffert, est mort et a été enseveli, et non pas la divinité, ce que je confesse être bien et saintement dit, à cause de quoi on pourrait trouver dur ce qui suit après, que Christ a enfermé le fort de sa divinité, bornant aucunement de son infinité ce qu'on ne peut borner, comme si je me voulais éloigner de la doctrine saintement reçue conformément à la parole de Dieu touchant ce point, mais il le faut résoudre par la manière de parler ci-dessus notée, et attribuer le reste à la contrainte du vers. Et cependant quant au sens je ne veux signifier autre chose, sinon que Christ qui est Dieu éternel, et de sa nature infini et incompréhensible, s'est rendu comme fini et comme compréhensible en sa chair. Il est dit puis après que la chair de Christ a pris son origine du ciel, non pas pour signifier qu'il ait eu une chair d'autre nature que la nôtre (sans péché toutefois) mais seulement pour montrer qu'il a été conçu au ventre de la vierge Marie de la propre substance d'icelle, d'une autre façon néanmoins que le reste des hommes, c'est assavoir par la vertu du Saint-Esprit, sans compagnie d'homme. Je dis que Jésus-Christ a assujetti à la mort l'immortel de sa vie, d'autant qu'il était impossible qu'il fût détenu des liens de la mort, combien que je ne veuille pas nier que sa chair ne fût mortelle comme la nôtre, non pas de sa nature à proprement parler, mais seulement par dispensation, d'autant qu'il avait chargé sur soi notre obligation, et cette dure condition d'apaiser en notre nom l'ire de Dieu son père par sa mort. Quand je dis que la Loi enfante le tort, je n'entends autre chose que ce que dit Saint Paul aux Romains chapitre 7, « je n'ai point connu que c'est que péché, sinon par la Loi », comme aussi je l'interprète au verset suivant. Cette façon de parler peut sembler dure: Ô que d'amour divin la douceur est cruelle, mais il la faut prendre comme poétique, et est à vrai dire une façon de parler excessive, par laquelle l'Église est ravie en admiration de l'extrême bonté de Dieu, qui pour sauver l'homme pécheur, n'a point épargné son Fils innocent: en telle sorte néanmoins qu'en tout ce mystère il n'y a rien de cruel qu'on puisse attribuer au Père, puisqu'il a tellement donné son Fils à la mort, que le Fils aussi de sa part s'est franchement et volontairement offert. Or avant que de faire fin je cuide qu'il ne sera point hors de propos de dire quelque chose en passant de l'ordre et disposition que j'ai observée en la composition de ce traité. Dès l'entrée il demeure clair que c'est un devis familier en forme de dialogue entre Jésus-christ et son Église, par lequel ils se bienveignent l'un l'autre d'une façon merveilleusement privée, et pleine d'une grande et véhémente affection. Il y a toujours deux Sonnets qui se regardent l'un l'autre commençant par un même mot, qui sont au lieu des propos et réponse qui s'entre-suivent en un Dialogue. La matière qui y est contenue nous montre quel est Jésus-Christ, en tant qu'il a été donné du Père pour être Rédempteur éternel du genre humain, et quelles grâces excellentes Dieu communique à son Église par son moyen. Les principaux points remarquent principalement la chute de l'homme de sa justice originelle, la cause efficiente de son salut, par laquelle il a été restitué en l'espérance de la vie éternelle. Il montre puis après comme Jésus- Christ est toute la matière du salut des hommes. Et puis j'ajoute le moyen par lequel ce saint salut est avancé par icelui Jésus- christ. Sur ce point je parle fort au long de sa naissance, mort, sépulture, résurrection, ascension et dernier jugement de Jésus- Christ le fils de Dieu. Il est vrai qu'entre tous ces points là j'entrelace quelques Sonnets qui ne contiennent autre chose que propos et devis fort privés et familiers entre Jésus-Christ et l'Église, qui démontrent l'ardente amour et affection qu'ils se portent l'un à l'autre, suivant les traces de Salomon. Et qui plus est font preuve certaine des fruits et profits qui nous reviennent, de ce que Christ a fait pour nous. On y pourra trouver plusieurs Sonnets qui ne traitent qu'une même chose, mais diversement néanmoins, à cause de quoi, ayant égard que la diversité est agréable, même en choses de semblable nature, je ne les ai point voulu rayer, ému aussi d'ailleurs, c'est assavoir, qu'il est bien permis aux poètes, de s'élargir ainsi en cette façon d'écrire, et par diverses façons de parler exprimer une même chose: ce que même le sus-dit Salomon a fait en son Cantique des Cantiques. Et cela soit dit brièvement de l'ordre que j'ai observé en la composition de ce livret, en laquelle je n'ai rien cherché, ni ne cherche encore à présent que la commune édification de l'Église, donnant quelque honnête plaisir et récréation, joint avec quelque instruction et consolation, aux esprits des gens de bien, jà fatigués et travaillés de la continuelle lecture des choses plus graves. On me dira incontinent qu'il y a bien d'autres moyens, qui sont dix mille fois plus propres pour profiter à l'Église de Dieu. Ce que je confesse franchement: mais comme de vrai il n'est pas le plus utile de tous ceux que l'on pourrait bien mettre en avant, pour être enveloppé de beaucoup de façons de parler figurées, auxquelles le vulgaire simple n'entend que le haut Allemand (ainsi que porte le proverbe) aussi n'est-il pas vide de toute utilité. Mais en tout cas je n'en fais pas ma principale étude ou profession, et puis bien dire sans mentir, que j'ai été amené comme par force à composer et écrire ces vers, alors que la rigueur du temps ne me permettait de m'employer à choses meilleures. Car l'an mil cinq cent soixante-huit et soixante-neuf, qu'à cause des troubles de notre France, j'étais contraint de me tenir coi en lieu serré et à l'écart, où j'étais privé de la présence de mes plus familiers amis, et avec ce de mon étude, il me prit envie de m'employer à ce genre d'écrire, auquel toutefois je ne m'étais exercé il y avait jà dix ans passés, ni en tout ni en partie, jusques à n'avoir écrit un seul vers, que je sache, en tout ce temps-là. Et combien que du commencement le but de mon intention ne fût autre, que de passer ce temps fâcheux avec moins de difficulté, m'adonnant à quelque honnête exercice, qui m'apportât quelque agréable plaisir, au milieu de tant d'ennuis que j'étais contraint de dévorer: et que je pusse en ce faisant par quelques saintes méditations louer notre Dieu souverain et tout bon, en particulier, puisque je ne pouvais publiquement, si est-ce qu'enfin voyant un assez bon nombre de Sonnets que ce temps m'avait arrachés, il me prit envie d'en choisir quelques-uns d'entre ceux qui me venaient le plus à gré, afin de les transcrire à part. Or après les avoir communiqués à quelques-uns de mes amis, qui m'en rendirent beaucoup meilleur témoignage que je n'eusse osé espérer, je me délibérai de leur faire voir la lumière: mais sur le point que je les devais délivrer à l'Imprimeur, le même temps fâcheux et turbulent qui premièrement me les avait fait concevoir, m'empêcha lors de les enfanter, étant contraint à toute extrémité de sortir hors notre Royaume. Et mes Sonnets que je n'eus moyen d'emporter furent adjugés et mis au feu, voire par quelques-uns de mes amis, non pour aucune chose qui leur déplût en iceux, mais étonnés de la tempête qui éclatait de toutes parts, et ayant extrêmement peur d'être trouvés saisis d'aucunes écritures qui m'appartinssent. Ce qui leur fit brûler aussi plusieurs autres écrits en prose, desquels il ne m'est rien resté. Par ce moyen je perdis toute espérance de pouvoir jamais recouvrer les susdits Sonnets, et n'y pensais plus que bien peu, lorsque après la tempête accoisée, recherchant parmi les papiers qui m'étaient restés du naufrage, je mis la main sur le brouillis qui en avait été conservé par mégarde, et comme une chose inutile. Toutefois je l'abandonnai là, tout dégoûté de le transcrire, étant lors empêché à choses meilleures, et qui conviennent de plus près avec ma profession, qui m'est chère sur toutes choses, quand étant privément renfermé avec quelques-uns de mes amis, il y aura un an au mois de Décembre qui vient, l'un d'eux me fit entendre qu'il avait ouï parler de mes Sonnets, à quelqu'un qui les avait lus, et au jugement duquel à bon droit je défère beaucoup, qui lui en avait rendu fort honorable témoignage, et dès lors je fus excité, et par eux-mêmes à peu près persuadé de les mettre dessus la presse, si ainsi était que le moyen m'en fût rendu quelque fois, qui pour lors m'était dénié. Mais l'occasion ne s'en était point du depuis offerte jusques à ce jour, que nos misères et calamités tant et tant souvent redoublées, (et auxquelles de tout mon coeur je souhaite une heureuse fin à la gloire de ce grand Dieu, au salut de sa pauvre Église, et au repos de notre France) m'en présentent derechef le moyen. En attendant donc quelque bonne issue à ces troubles présents par quelque paix bien assurée, j'ai transcrit ces vers pour les présenter en public par le moyen de l'impression, pour n'être vu débattre trop opiniâtrement à l'encontre de mes amis, sans déférer de rien à leur jugement, ni condescendre en quelque sorte à leurs demandes. Il y a cela d'avantage, c'est que je sais que la jeunesse qui a tant soit peu goûté la douceur des lettres, est ordinairement chatouillée d'un désir de poésie, soit Grecque, Latine, ou Française. Mais ce malheur est en la France, qu'il y a peu de ceux qui se sont exercés en cet art, (qui de soi saint et vraiment vénérable, ne mérite point d'être profané, ou autrement iré-véremment traité) qui n'aient souillé et noirci sa blancheur de l'encre de leurs plumes lascives. Ainsi la jeunesse peu caute, est ordinairement amorcée par la lecture de tels poèmes, à choses sales et immondes, et du tout indignes de la Chrétienté. Pourtant ai-je pensé que ce petit traité, pour le moins en pourra contenter quelques-uns de ceux qui ont le coeur plus chaste, et qui chérissent de plus près cette blanche pudicité, et en les contentant les retirer aussi du danger où ils se précipitent, en faisant voile sur le large d'une si dangereuse mer, sans être munis du compas d'une discrète pudicité. Voilà, ami Lecteur, ce qui m'a ému de laisser sortir ces miens vers à la lumière de notre jour. Je prie le Seigneur, qu'il vous fasse la grâce d'en recueillir le plaisir et profit que je désire, ou qu'il connaît propre pour sa gloire et pour votre édification. Bien vous soit. De l'Éternel le bien De moi le mal, ou rien. Sur Les Sonnets Chrétiens De Marin Le Saulx Du Saussé. Ores en ce siècle où nous sommes, On voit que la plupart des hommes Ne caresse plus la vertu, Ains chacun s'égare et fourvoie, Et peu sont que tenir l'on voie Le chemin qui est peu battu. Même les plus gentils Poètes, Ont rendu leurs lyres infectes, Des fredons de leurs sales vers, Et ne sonnent leurs cordes molles Autres chansons que d'amours folles, Qui corrompent tout l'univers. Mais toi d'une plus sainte veine, Doux Saussé, tu fais mont et plaine Retentir d'un chant gracieux, Qui n'a rien de sale ou d'immonde, Mais qui de sa douce faconde Ravit nos âmes sur les cieux. L'Union et douce concorde Qui le ciel à la terre accorde, Est le sujet qu'as entrepris, Qui le Christ le Prince de vie, Aux élus saintement marie, Digne sujet des bons esprits. Par P. D. L. Sonnet Ô Ciel, ô Mer, ô Terre enfants de l'Univers, Qui sur ton cercle pur le char du Soleil guides, Qui baignes les poissons sous tes ondes liquides, Qui tapisses de fleurs les lieux les plus couverts, Oyez retentir l'air au ton des sacrés vers De Christine éclatant dedans les prés humides, Dans les bois ombrageux, dans les campagnes vides, De son Christ, son époux, mille doux chant divers. Ô terre, ô mer, ô Ciel qui le monde encourtines, Oyez aussi de Christ les réponses divines, Qui portent sur leurs vers Christine dans les cieux. Christ est à sa Christine un sujet de bien dire, Christine est à son Christ les cordes de sa lyre, Qui animent ses vers d'un chanter gracieux. Sonnet 1 Je veux chanter, ma lyre, et rechanter encore, Mariant le parler de ta corde à ma voix, Celui-là qui du ciel au ciel donne les lois, Sous qui courbent le chef, et vesper, et l'aurore: Qui d'un Soleil éclaire, et le Scythe, et le Maure: Qui l'Univers divers enferme entre ses doigts: Qui porte pour devise écrit le Roi des Rois: Celui qui trois fois saint l'enceint du ciel adore: Qui voit devant ses yeux une mer de cristal, Qui couronne son chef du plus luisant métal, Qui ternit la clarté du regard de sa face. Qui se sied au milieu des sept chandeliers d'or, Qui chevauche le feu, la nue et l'air encor, Et de sang le sanglant de mes péchés efface. Sonnet 2 Je veux chanter tout haut sur ma lyre encordée, (Tout haut, voire si haut, que le monde univers Puisse ouïr retentir de mes doux divins vers Partout en un instant la chanson accordée) Celle qui volant fuit la course débordée Du fleuve impétueux, que le Dragon pervers Vomit d'un gosier creux en mille lieux divers, Pour noyer au courant sa perruque cordée. Celle qui tient sous pieds de Phèbe le vermeil, Qui entoure son corps du luisant du Soleil, Qui couronne son chef de deux fois six étoiles: Celle que le Dragon poursuit pour mettre à mort, Celle que l'Aigle agile enlève dans son bord, Dessus le char mouvant de ses deux grandes ailes. Sonnet 3 Celui qui me retient prisonnière en son âme, Qui du profond d'Enfer au secret des hauts lieux, Ravit malgré la mort, sur le char radieux De ses belles beautés, mon âme qui se pâme, Qui brûle mes esprits d'un brandon de sa flamme, Qui pille de mes sens tout le pis et le mieux, Quand il darde sur moi le rayon de ses yeux, Qui les rochers du coeur et les marbres entame: C'est cil qui a formé les cieux d'Astres remplis. Qui a fondé la mer et ses divers replis: Qui a bâti la terre et toute son enceinte, Qui commande au Soleil, et le Soleil fait jour: Qui commande la nuit, et la nuit à son tour Fait que de feux luisants toute la terre est ceinte. Sonnet 4 Celle qui me retient volontairement pris Dans le filet retors de sa céleste grâce, Qui de sa tresse blonde attire et puis enlace En sa libre prison tous mes divins esprits, Et qui de ses deux yeux mes deux yeux a surpris, Qui d'un gracieux ris tous mes ennuis efface, Qui mire sa beauté dans le beau de ma face, Qui le beau de son beau de ma beauté a pris: C'est celle qui habite en la montagne sainte, Qui d'un jour éternel est entourée et ceinte, Ayant l'Agneau sacré pour son Soleil luisant: Qui fait courber sous soi, et les Rois, et leur gloire: Qui pille le profit de ma belle victoire, Au sein de la Cité de fin or reluisant. Sonnet 5 Le péché paternel de son mortel poison Ayant empoisonné l'Auteur avec sa race, Avait privé du ciel, de justice et de grâce Ce vieil Adam pécheur et toute sa maison, Quand le Christ Éternel en la juste saison, Pour ouvrir aux humains du ciel voûté la trace, Enferma le divin de sa divine face Dedans l'obscurité de l'humaine prison: Ainsi par sa prison nous avons ouverture Du ciel fermé jadis à l'humaine nature, Par le péché damneur qui engendre la mort. Par sa nuit nous avons du jour la clarté blonde, Et sa mort est la mort de notre mort seconde, Qui brise des enfers cet imprenable fort. Sonnet 6 Le péché paternel le meurtrier des humains, Pourchassant pour meurtrir ma blanche colombelle, Et fouiller dans son sang sa blancheur nette et belle, S'était accompagné de bourreaux inhumains, Qui cruels étranglaient de leurs sanglantes mains, Celle qui se courbait sous leur force bourrelle: C'était l'enfer hideux, et la mort éternelle, Qui armaient le péché contre les hommes vains. Pour forcer le pouvoir d'un si horrible effort, Je me suis enfermé aux prisons de la mort, Et ma mort a rendu sa force faible et vaine: J'ai noyé dans mon sang l'enfer et le péché, Après m'être à la mort rudement attaché, Un autre a fait le mal, et j'en porte la peine. Sonnet 7 La tempête et l'effroi d'une cruelle guerre, Je sens dedans mon coeur, foudroyer et tonner Qui de peur, qui d'horreur, qui de crainte étonner Cuide le frêle esprit de cette chair de terre. La Loi qui d'un cordeau étroitement les serre, Veut leur sang et leur vie à mort abandonner, L'Évangile plus doux leur veut le ciel donner, Qui cause dedans moi ce terrible tonnerre. La Loi a le péché et le commandement, Qui à grands coups de trait percent journellement, Ma conscience, hélas! qui d'elle se défie, L'Évangile a le Christ, son mérite et son sang, Qui blanchit mon péché dedans son rouge étang, Ainsi la lettre occit, mais l'esprit vivifie. Sonnet 8 La tempête et l'horreur d'un combat effroyable Agite par dedans mon coeur diversement, Car la crainte et la foi se heurtent fièrement, Et la vie et la mort d'un effort tout semblable. La chair assaut l'esprit d'une force incroyable, Qui cause dedans moi un tel étonnement, Qu'il agite les sens de ma chair tellement, Qu'il est à toute chair fors qu'à moi importable. La Foi va poursuivant ce que la crainte fuit, La vie aussi fuyant ce que la mort poursuit, Et la chair craint la mort que mon esprit souhaite. L'Amour force la chair, et la crainte, et la mort, Lors la vie, et la Foi, et l'esprit le plus fort Chantent à l'Éternel ta volonté soit faite. Sonnet 9 La chair et le péché, la Loi avec l'Enfer Me chatouille, me point, m'épouvante, et me gêne D'un désir, d'un remords, d'une horreur, d'une peine Qui suit, qui fuit, qui craint, et qui peut étouffer Péché, la Loi, la mort, la chair qui triompher Pouvait sans le péché sur la Loi vide et vaine: Le vil péché régnant arme la Loi qui traîne La mort qui me meurtrit de son meurtrissant fer: Mais Jésus chasse-mal, et péché l'infidèle, Pour ma chair, en sa chair, de chair, sans chair rebelle A désarmé la Loi de force et de vigueur, Puis noyant dans son sang le meurtrier de ma vie, Le péché qui mortel avait sur moi envie, Il m'assure en domptant des enfers la rigueur. Sonnet 10 LA chair que le péché tenait sous soi captive, Le péché que la mort cruellement gênait, La mort que l'enfer creux sous ses fers étreignait, Et l'Enfer que ma mort dessous sa mort captive, Régnaient, souillaient, tuaient, dévoraient toute vive Christine que la Loi à mourir condamnait: La chair en ses prisons l'esprit captif tenait, Qui plaignait le malheur de la pauvre chétive, Le péché plus cruel la justice chassait, La mort tuait la vie, et l'Enfer menaçait Le Ciel qui soulageait et sa perte et sa peine: Mais ayant à la Loi pleinement satisfait, La chair, péché, la mort et l'Enfer j'ai défait, Portant Christine aux cieux de bonheur toute pleine. SONNET 11 L'Éternel Fils de Dieu régnant en Trinité, Voyant du ciel çà bas par une injuste envie, L'Homme pécheur privé de salut et de vie, Dont jadis il avait orné l'humanité, Joignant la chair mortelle à sa divinité, Fit qu'à la noire mort par force fut ravie Cette chair, par sa chair, qui la chair vivifie, Vêtant ainsi la mort de l'immortalité. Ainsi Dieu éternel ta bonté coutumière Fit naître de la nuit l'éclairante lumière, Et du chaos confus l'ordre plaisant à voir : Ainsi, Dieu éternel, ta Déité sans vice Peut tirer la vertu du sein de l'injustice, Éternisant ainsi le haut de ton pouvoir. Sonnet 12 L'Éternel qui se sied sur le luisant saphir, Qui d'hasmal éclairant tout son corps environne, Qui la terre, et la mer, et les hauts cieux étonne, Quand du son de sa voix il fait l'air retentir : Qui aux choses sans sens fait vivement sentir De son foudre l'éclat, qui gronde, bruit, et tonne, Qui de la mer bruyante, et du vent qui résonne, Peut la force forcer et la course alentir : Voyant ployer le chef à ma chère Christine, Sous la mort et l'enfer : Sa majesté divine M'envoya du haut ciel en ces terrestres lieux, Où ayant par ma mort meurtri la mort cruelle, Et fracassé d'Enfer la puissance bourrelle, Je portai sur ma chair Christine dans les cieux. Sonnet 13 CElui qui a uni par compas la lumière Avec l'obscurité, qui joint la noire nuit, Et l'aurore du jour, avecques la mi-nuit, L'Humide avec le sec, et la chaleur première Avec le froid piquant, dont la main ménagère Resserre en même lieu le silence et le bruit, Qui l'Été, qui l'Automne, et qui l'Hiver conduit, Pour unir avec eux la saison Printanière, Voyant l'homme du ciel par son péché forclos, Aux prisons de la mort étroitement enclos, Courber sous le fardeau d'une mort éternelle, Pour rendre à l'homme mort le fruit d'éternité, A uni notre chair à sa divinité, Qui le fait vivre au ciel d'une vie immortelle. Sonnet 14 CElui qui fait du vent son messager volant, Et son char triomphant de la légère nue, De qui parmi le ciel la trace est inconnue, Tant est son mouvement légèrement coulant, De qui la voix ressemble un tonnerre roulant, Qui rend la large mer de poissons vide et nue, Et qui la terre aussi de son émail dénue, Par l'ardeur de son feu éclairant et brûlant. Voyant du ciel çà-bas ma Christine pudique, Ployer son dos courbé sous l'effort tyrannique, De la mort qui sa vie en ses prisons gênait, À sa mort opposa une vie éternelle, Et à sa vie aussi une mort corporelle, Qui rompirent le noeud qui si fort l'étreignait. Sonnet 15 COmme d'un coup forcé la pierre en l'air poussée Contre son naturel, d'un vol audacieux S'efforce en fendant l'air, de pénétrer les cieux, Sur les ailes du bras qui si haut l'a lancée, Mais de sa pesanteur la charge courroucée De se voir éloigner si loin de ces bas lieux, S'opposant puissamment d'un effort envieux Fait que du haut en bas la pierre est repoussée, Ainsi de cette chair la lourde gravité, S'efforce de voler vers la divinité, Ailée aux deux côtés des oeuvres d'arrogance, Mais le péché pesant qui haut ne peut voler, Fait par sa pesanteur aux enfers dévaler Celle qui s'appuyait de vaine confiance. Sonnet 16 COmme l'oiseau royal qui d'oeil posé regarde L'Astre qui dessus nous reluit seul à son tour, En rouant parmi l'air d'un long et long détour Se trace voie au ciel de son aile fuyarde, Banni qu'il a du nid cette troupe bâtarde, Qui ne peut regarder du clair Soleil le jour, Retrace encor le ciel d'un plus léger retour, Portant dessus son dos sa nichée mignarde : Ainsi ayant banni de mon sein gracieux Celui qui aveuglé du péché vicieux Ne peut porter l'éclair de ma vive chandelle, Je porte dans le ciel cil qui de mon Soleil Peut des yeux de la Foi regarder le vermeil, Hors de l'obscurité de la mort infidèle. Sonnet 17 ME sentant emplumer des ailes de la Foi, Je vole dans le ciel, d'une course plus vite, Que l'aigle au bec courbé de son aile subite Ne suit en l'air l'oiseau qu'il voit fuir devant soi. Mais sentant le fardeau de l'importable Loi, Me charger sur le dos de mes péchés l'élite, Je descends aux enfers dix mille fois plus vite, Que je ne puis gravir au trône de mon Roi. La Foi me fait goûter des hauts cieux la douceur, La Loi me fait sentir des enfers la rigueur, À cause du péché qui ma chair mortifie : La Foi veut que je vive en l'Éternel séjour, La Loi veut que je meure aux Enfers sans secours, Ainsi la Loi condamne, et la Foi justifie. Sonnet 18 ME sentant pris aux rets de cette toute belle, Qui surpasse le beau de toute autre beauté, Et qui plus est encor, de qui la loyauté De toute loyauté la loyauté excelle, Je sens d'un feu brûlant une vive étincelle, Qui me faisant sentir sa fière cruauté, Me fait porter le mal de la déloyauté De ceux qui vont courant après cette pucelle. Celle qui ne poursuit que mon bien et bonheur, Reçoit tout son plaisir de ma triste douleur. Et sa vie en ma mort est vivement empreinte : Son malheur sans pitié me pourchasse la mort, Mais sa douceur condamne, et son mal, et son tort, Qui cause la douleur dont mon âme est atteinte. Sonnet 19 Ô Ciel, ô mer, ô terre et ce que la rondeur Du monde tout entier en ses pans enmantelle, Et ce qui est plus haut en la vie immortelle, Qui ceint d'un plus grand tour du monde la grandeur, Laissez le ciel son haut, la mer sa profondeur, Son rond centre la terre, et la bonne nouvelle Écoutez bruire en l'air, une sainte Pucelle A enfanté le Christ du monde la splendeur. Celle qui l'a pour fils l'a aussi bien pour père, Elle est d'un même Christ et la fille et la mère, Et d'elle l'Éternel est homme nouveau né : De ma fille le fils est mon père propice, Mon frère, et mon époux qui vêt mon injustice, Et damne de péché le péché condamné. Sonnet 20 Ô Ciel, ô mer, ô terre et cela spacieux Que le cercle dernier de la ronde encyclie, Dedans ses bras courbés reçoit, embrasse et lie, Voire et tous ces flambards qui éclairent aux cieux, Voyez dans la cité de fin or précieux, Celle à qui l'Éternel son fils unique allie, L'Épouse de l'Agneau, qui chastement jolie Attire à soi l'époux d'un regard de ses yeux. Plus que l'aube du jour elle est vermeille et blonde, Elle a dessous ses pieds la Lune toute ronde, Et douze astres luisants couronnent sa grandeur, Son beau jour éternel ne craint point la nuit noire, Qui fait voûter sous soi les Gentils et leur gloire, Et aux Princes sceptrés redouter son bonheur. Sonnet 21 C'Était en plein minuit que la terre féconde De son ombre empêchait, cette lampe des cieux, D'éclairer les humains de son jour gracieux, Qu'une Vierge enfanta le grand Soleil du monde. Ce Soleil qui vermeil le ciel, la terre, et l'onde Perce tout au travers de son jour radieux, Qui d'un jour éternel illumine nos yeux, Faisant d'un Printemps rond la saison toute ronde. Alors on pouvait voir parmi le ciel épars, Cent mille et mille feux, et cent mille flambards, Qui de cent et cent jours égalaient la lumière: Lors on pouvait ouïr les Anges immortels, Chantant gloire aux lieux hauts, paix aux hommes mortels Sur qui Dieu déployait sa bonté singulière. Sonnet 22 C'Était en pleine nuit, alors que le Soleil Plongeait ses beaux cheveux dans l'Océan liquide, Et que Phèbe allumait son clair flambard qui guide La nuit, qui sur son char rapporte le sommeil, Que celle qui au teint a le teint tout pareil De l'étoile du jour, ou de la Lune humide, Rôdant par la cité de clarté toute vide, Cherchait Christ son époux des beaux le nonpareil. Ayant trouvé Jésus le salut de son âme, Qui la brûle pourtant d'un brandon de sa flamme, Qui de son feu rallume en lui un autre feu, Des saints bras de la Foi elle l'étreint et presse, Et d'un coeur tout dévot humblement le caresse, Tant qu'elle ait du Soleil le beau jour aperçu. Sonnet 23 C'Est la première nuit qui ait vu le Soleil Blanchir son voile noir, de sa blonde lumière, Je puis dire à bon droit que c'est la nuit première Qui ait fait d'un minuit un midi nonpareil: Ô bienheureuse nuit! qui de ton clair vermeil Égales d'un plein jour la clarté tout entière, Tu sois sans nuit, toujours d'un beau jour héritière, Puisque Phébus sur toi ainsi doux jette l'oeil. Cette nuit soit toujours et claire et blanche et belle, Franche d'ennui, d'horreur et de triste nouvelle, Qui nous fait voir à l'oeil un Soleil si très-clair: Que cette nuit sans nuit puisse accroître le nombre Des autres jours de l'an, cette nuit soit sans ombre, Et éclaire toujours d'un éternel éclair. Sonnet 24 C'Est la première nuit plus belle que le jour, La nuit qui est sans nuit de noirceur vide et franche, La nuit qui a d'un jour la clarté pure et blanche, Montrant du beau Soleil le céleste séjour, La nuit qui t'a fait voir le désiré retour, De l'astre qui de mort les ténèbres retranche, Qui du ciel dans ton sein oeillets et lis épanche, Et comme l'autre encor ne luit point tour à tour. Ô nuit! tu sois sans nuit toujours vermeille et Puisqu'en toi ce Soleil de ses rayons éclaire, [claire, Et fait sa face blonde à Phèbe apercevoir, Ô nuit tu sois toujours des autres la première, Puisque tu lui fais voir du Soleil la lumière, Qui lui fait sur les cieux sa divinité voir. Sonnet 25 HEureuse mille fois et mille la pucelle, Qui sans perdre le nom de sa virginité, De son vierge tétin nourrit l'humanité De cil qui fils de Dieu, et de l'homme s'appelle. Heureuse mille fois cette vierge mamelle, Qui allaite le fils de la Divinité, Qui est Dieu éternel, régnant en Trinité, Franc de la noire mort en la vie éternelle. Heureuse mille fois celle qui a conçu, Celui que par la Foi elle a pour Christ reçu, Espérant par sa mort le loyer de sa vie. Heureuse pour avoir appréhendé par Foi, Celui qui la pouvait délivrer de la Loi, Qui poursuit notre chair d'une immortelle envie. Sonnet 26 HEureuse mille fois, et mille, et mille encore, Heureuse à tout jamais d'un heur non mérité, Celle qui a l'époux, le Christ, la vérité, Le Saint, le Roi, le Dieu que tout le ciel adore: Heureuse mille fois celle qui ore, et ore, Lève le sceptre Saint de son autorité, Sur le monde univers, pour avoir hérité Du Christ qui par sa mort la noire mort dévore. Heureuse encor un coup, ô chaste colombelle! Puisqu'au gré de l'époux tu es chastement belle, Et qu'il brûle au dedans du feu de tes amours. Pucelles de Sion voyez sa belle face, Tout ce qu'elle a de beau ne vient que de ma grâce, Qui la fait vivre au ciel franche d'ans et de jours. Sonnet 27 QUi peut en son esprit comprendre entièrement, Cette variété de tant, et tant de choses, Au sein de la nature étroitement encloses, Et connaître leur force et vertu pleinement: Qui peut nombrer les feux de tout le firmament, Et les champêtres fleurs sur un Printemps décloses, Qui des lis, des oeillets, des romarins, des roses Peut le nombre nombrer dès le commencement: Qui peut nombrer encor dans la mer orgueilleuse Des peuples écaillés cette troupe nombreuse, Et sonder de son doigt les abîmes profonds, Un tel peut le secret de ce secret comprendre, Qui joint la Déité à notre chair de cendre, Et à l'homme fini l'Éternité sans fond. Sonnet 28 QUi peut représenter, ou en marbre, ou en cuivre, Ou dans l'airain sonnant l'image de la voix, Et nombrer du futur les jours, les ans, les mois, Et des vieux troncs séchés le vert faire revivre, Qui peut rouler le ciel comme un feuillet d'un livre, Qui peut brider la mer, et aux vents donner lois, Qui peut le feu peser au juste contrepoids De l'air toujours mouvant de pesanteur délivre, Qui peut sonder du coeur les abîmes profonds, Et du doigt mesurer l'éternité sans fond, Enfermant dans son poing la grandeur de sa gloire, Cestui-là peut graver, et peut nombrer encor, Des beautés, et bontés le beau riche trésor, De celle qui triomphe au sein de ma victoire. Sonnet 29 TOut ce que le ciel a d'heur, de faveur, de grâce, Fut alors déployé aux yeux de l'univers, Et le Père éternel de ses trésors ouverts Épancha tout le mieux sur cette terre basse, Quand ce divin Soleil qui le Soleil efface, Par la vive splendeur de ses rayons divers, Laissa, sans délaisser, les cieux d'Astres couverts, Pour venir sans venir, en terre prendre place. Alors l'aube du jour fourrière du Soleil, Qui derrière un vieux tronc cachait son clair vermeil, Déploya sa beauté aux yeux de tout le monde, Puis le jour commençant chassa la noire nuit, Et un midi luisant fit d'un sombre minuit, Qui luit encor toujours sur cette terre ronde. Sonnet 30 TOut ce que le ciel a de saint, de beau, de riche, De grand, de pur, de net, d'exquis et précieux, Fut alors déployé en ces terrestres lieux, Par le Père éternel de sa dextre non chiche, Quand il voulut former ma colombe qui niche, Pond, et couve, et éclot dans mon sein précieux, Mille et mille colombs voletant vers les cieux, Sur les ailes des biens qu'à leurs côtés je fiche. Ma colombe est plus belle, et plus pure, et naïve, Que n'était celle-là qui le rameau d'olive Apporta dans son bec au bon père Noé: Cette colombe-là avait de paix le signe, Ma colombe a de fait la même paix divine, Car ma paix est sa paix, et son bien alloué. Sonnet 31 LEs cieux étaient remplis de clarté pure et blanche, Qui faisaient un plein jour dans l'obscur d'un minuit Et le silence doux fuyait un plus doux bruit, Que les anges faisaient de leur voix nette et franche, Quand le ciel qui courbé mille trésors épanche Sur nous pauvres humains éclaira notre nuit D'un éternel Soleil, qui si vivement luit, Que les abîmes noirs de ses rayons il tranche. Ce Soleil sans mouvoir de ses rayons épars Fait en un même instant le jour de toutes parts, Et ne cache jamais sa clarté dessous l'onde. Mais d'où vient que Phébus tournant en sa rondeur, De ce Soleil naissant redoutait la splendeur? Pour montrer qu'il est seul la lumière du monde. Sonnet 32 LEs cieux étaient remplis de clarté blanche et belle, Qui de son jour chassait tout autre jour luisant, Voire le clair très-clair du Soleil reluisant Au plus haut de son tour en la saison nouvelle, Alors que du haut ciel notre Phèbe immortelle, Remplit son rond tout pur d'un beau clair conduisant Le sombre de sa nuit, au jour d'un jour plaisant Que l'Éternel Phébus de soi engendre en elle. De cette Phèbe-là le cercle radieux Est plus haut élevé que le dernier des cieux, Et éclaire en plein jour sa clarté blanche et pure: Son rond qui toujours rond entretient sa rondeur Dedans le ciel voûté d'une même grandeur, Chasse par sa clarté de mort la nuit obscure. Sonnet 33 D'Où vient qu'en cette nuit le ciel de toutes parts, Reluit d'une clarté, dont le beau lustre efface La plus belle beauté du plus beau jour que fasse Le Soleil en Cancer, de ses rayons épars? C'est d'autant que du ciel en ses terrestres parcs Le Soleil de justice est venu prendre place: Le peuple qui marchait dessous la noire face D'une éternelle nuit, voit ses luisants flambards. D'où vient qu'on oit en l'air une voix angélique, Excellant la douceur de toute autre musique? Le vrai Dieu en son Fils parle aux hommes menteurs. Pourquoi vers Béthléem cette troupe champêtre De pasteurs va courant, laissant ses troupeaux paître? En ce lieu-là est né le Pasteur des Pasteurs. Sonnet 34 D'Où vient que du grand ciel la sainte fille unique, Cette épouse de Christ, qui commande aux enfers, Et étend son pouvoir par tout cet univers, Courbe en terre le chef sous une force inique? C'est d'autant que de Christ le règne catholique, Qui épand son pouvoir sur le large travers Du ciel, et de la mer, et du monde pervers, N'est du monde pourtant, il est Évangélique. Que ne dompt'elle donc ses puissants ennemis, Du glaive que son Christ en la main lui a mis? Son armure est du ciel totalement céleste. Que n'apais'elle au moins ces haineux indomptables Sans laisser pour toujours ses enfants misérables? Le fort de leur effort sa force manifeste. Sonnet 35 QUand des yeux de la chair je vois à la renverse Un enfant en la crèche où l'on pose le foin, Que la faveur du ciel oeillade de bien loin, Et de là sur son chef mille ennuis pleut et verse: Quand je vois cet enfant fuir à la traverse, En l'obscur de la nuit, d'un effroyable soin, Ce Tyran qui le dût aider à son besoin, Je me sens agiter d'une frayeur diverse. Mais quand devers le ciel d'une aile plus agile, Je vole sur la Foi du céleste Évangile, Qui répond que le Père ainsi l'a ordonné, Je chasse loin de moi horreur et défiance, Et chante à pleine voix en pleine confiance, Là petit nous est né, le Fils nous est donné. Sonnet 36 QUand je vois de Hermon descendre vers la plaine En son habit royal ma Christine aux yeux verts, Je vois ce m'est avis tous ces hauts cieux ouverts Pleuvoir mille beautés sur ma douce inhumaine. Qui de Phèbe a pu voir la rondeur toute pleine Blanchir l'azur du ciel, et son émail divers, Ma Christine il a vu Phèbe de l'Univers, Montrer de toutes parts sa gloire souveraine. Dans le cristal qui sourd du rocher de mon flanc Je plonge tout son corps, pour le rendre ainsi blanc Que le lait ou le lis, voire plus blanc encore. Je réforme au-dedans toutes ses passions, Je purge le souillé de ses affections, Je fais son teint pareil à celui de l'Aurore. Sonnet 37 DAns le ciel éclairait une lampe nouvelle, Qui ne redoutait point le midi du Soleil, Et qui faisait un jour, au plus beau jour pareil Qui se fasse à midi, quand l'an se renouvelle: Partant de l'Orient, d'une carrière isnelle Elle élançait toujours de ses rais le vermeil Vers l'Israël de Dieu, et des traits de son oeil Cherchait de Bethléem la cité sainte et belle. Cet Astre lumineux pour orner le natal De Christ Emmanuel, du peuple Oriental Conduisait en Juda la rare sapience, Qui pour chérir le Roi de la terre et des cieux, Portaient de l'Orient les dons plus précieux, Enclos au cabinet de bonne conscience. Sonnet 38 DAns le ciel éclairait une blanche lumière, Dont le jour ressemblait à Jaspe reluisant, De qui le clair très-clair au ciel cristallisant, Surpassait du Soleil la clarté tout entière: L'Éternel qui se sied sur la voûte dernière, Un grand mont entourait d'un feu clair et luisant, Qui son chef élevait dans le ciel flamboyant, Et puis le recourbait sous ma Christine chère. Alors vit-on du ciel descendre en ces bas lieux, Celle de qui les rais des doubles chastes yeux Ressemblent les doux yeux des chastes colombelles: Honorant sa beauté d'un tel manteau royal, Que porte l'épousée à son époux loyal, Qui sent d'un chaste amour les vives étincelles. Sonnet 39 Ô Sainte mille fois! sainte nativité, Ô sainte encor un coup! sainte et sainte naissance Qui as joint en naissant ta divine puissance Avec le faible corps de notre humanité, Saint et saint fils de Dieu de toute éternité, Tu t'asservis au temps par ta grande clémence, Et montres en naissant ta grande sapience, Ta justice, ta paix et ta bénignité. Ta sapience, ô Dieu, reluit aux deux natures, Qui joins ta Déité aux viles créatures, Témoignage immortel d'une immortelle paix. Par la même naissance apparaît ta justice, Qui punis en la chair de la chair l'injustice Pour sauver cette chair, ô Dieu bon à jamais. Sonnet 40 Ô Divine beauté! qu'une divine grâce Embellit par dedans et par dehors aussi, Qui se fait admirer dans le ciel, et ici, Et partout où ce beau montre sa belle face. Ô divine douceur! qui la douceur surpasse De tout ce qui est doux, ô portrait raccourci Sur tout ce divers beau que l'on admire ainsi! Que la terre contient, et que le ciel embrasse. Un trait de ta beauté surpasse le beau même, Ta clarté rend le clair du Soleil pâle et blême, Les astres n'osent pas tes astres regarder, Mais la belle beauté que sur toutes j'admire, Est cette ferme Foi, que ferme je puis dire, Puisqu'au travers des cieux elle a pu m'oeillader. Sonnet 41 QUand je sens les rayons de ce divin Soleil Pénétrer doucement de leur divine flamme, Les oreilles, les yeux, et les sens de mon âme, Pour réveiller ainsi de ma mort le sommeil: Quand mon âme aperçoit le clair de son vermeil, Qui de son feu sacré divinement enflamme Son esprit, qui d'ardeur divinement se pâme, Ô quel plaisir je sens! quel plaisir nonpareil, Ce feu qui brûle et ard est soutien de ma vie, Qui tue un autre feu dont je suis poursuivie, Pour détruire et piller de mon bonheur le mieux. Puisse donc ce Soleil de sa flamme luisante, Brûler incessamment mon âme languissante, Et d'un jour éternel illuminer mes yeux. Sonnet 42 QUand le marbre poli de sa face j'attouche, Qui ternit tout le ciel de ses divins flambeaux, Et se baigne au cristal de mes coulantes eaux, Pour rafraîchir l'ardeur lequel sort de sa bouche: Quand je vois ces beaux yeux qui d'un regard farouche Me soulaient dédaigner, et mes ouvrages beaux, Pour courir follement après ces dieux nouveaux, Qui sont formés du tronc de quelque vieille souche: Ô de quel zèle alors j'embrasse fermement Celle qui s'éjouit de mon triste tourment! Et qui n'a rien de grand que de ma petitesse. Ô de quel coeur ardent Christine je chéris! Pour laquelle sauver volontiers je péris, Me faisant serf de tous pour la rendre maîtresse. Sonnet 43 DE mon Soleil luisant la lumière éternelle, Qui fait seule mon jour éternel et sans nuit, Si droitement sur moi son chariot conduit, Voire tout vis à vis de ma claire étincelle, Que sans aucun décours ma rondeur immortelle, En sa pleine rondeur pour tout jamais reluit. Le plein de son midi tant, et tant, peu me nuit, Que plus, et plus il luit, et plus je semble belle. Puisses-tu donc toujours mon Soleil, ma lumière, D'un éternel midi la lueur tout entière Répandre ainsi sur moi, ton épouse, et ta soeur, Que d'un cornu croissant ma plénitude ronde, Soit franche à tout jamais, et l'univers du monde, Puisse voir dans mon rond le plein de ta douceur. Sonnet 44 DE ma Lune qui luit en rondeur toute pleine, Par l'objet opposé de mes rayons épars, Desquels dedans son sein diversement j'épars, Mille et mille brandons de clarté souveraine, Je fais monter si haut le char, qui la promène Sur l'essieu du bonheur qu'à bien peu je dépars, Que l'on peut voir des cieux ici de toutes parts, Sa clarté qui reluit de tous côtés sans peine. Son rond qui rond n'est rond que de ma sphère ronde, Éclaire ainsi par moi aux yeux de tout le monde, Et n'a nulle clarté que de moi son Soleil. Puisse donc ma splendeur de splendeur éternelle, Éclairer de si près cette ronde étincelle, Qu'on voie à tout jamais son rond clair et vermeil. Sonnet 45 JE vois dans mon Jardin un éternel Printemps, Qui surpasse en beauté tous les printemps du monde, Et déploye à mes yeux sa large main féconde, Cent mille et mille fleurs durables sur le temps: Son odeur doux flairant dont ivrer je me sens, Est une douce odeur à nulle autre seconde, Parfumant de son musc l'or de ma tête blonde, Qui surpasse l'odeur du baume et de l'encens. Ce Jardin qui me donne et vie et nourriture, Produit fruits de son gré sans aucune culture, Qui apaisent ma faim d'un sucre savoureux. Puisse donc ce Jardin incessamment répandre, Ses fruits dedans mon sein, que je lui ose tendre, Pour jouir à jamais de ce goût doucereux. Sonnet 46 JE vois dans le Jardin de mes divines fleurs, Parmi le blanc des lis une vermeille rose, Perpétuellement devant mes yeux déclose, Qui surpasse le teint des plus vives couleurs. Le ciel voûté en rond de ses célestes pleurs, Comme d'un doux Nectar divinement l'arrose, Sa céleste beauté dans mon jardin enclose A reçu son bonheur de mes tristes douleurs. Le mieux et plus exquis de ses grâces divines, Germe, croît, et fleurit au parmi des épines, Qui ne peuvent pourtant son lustre endommager. Puissé-je à tout jamais cette fleur douce et tendre, Des piquants aiguillons des épines défendre, Et contre la chaleur du midi l'ombrager. Sonnet 47 PAr les yeux de ma foi l'ardeur de cette flamme Qui brûle doucement et mes nerfs et mes os, D'un feu qui sort si doux de ses cuisants propos, Entra premièrement au secret de mon âme. Ce feu de son ardeur si vivement enflamme Par ses brandons divins étroitement enclos Dans mon chaud estomac, mes esprits sans repos, Que sous un si doux mal fort souvent je me pâme. Car ce feu peut ma glace en son feu transformer, Et mon feu de son feu peu à peu consumer, Et le feu de ce feu me tue et vivifie. Ce feu tue et meurtrit ce que j'ai de mortel, Et vivifie avec mon esprit immortel, Qu'au creuset de son sein il fond et purifie. Sonnet 48 PAr les yeux ce ne fut que la vive étincelle Qui me brûle d'un feu qu'elle a de mon feu pris, Entra dans le secret de mes divins esprits, D'avant que de la voir j'étais amoureux d'elle. Ce ne fut point non plus pour ouïr parler celle Qui m'a étroitement de ses liens surpris, Que je fus saintement de son amour épris, D'avant que de l'ouïr j'aimais cette pucelle. Non pour avoir senti quelque odeur gracieux De son sein embaumé je fus d'elle amoureux, Mon cabinet fournit son parfum ordinaire. Je ne l'ai pourchassée à cause de ses biens, Et n'a en ses trésors nuls trésors que des miens, L'Amour que je lui porte est amour volontaire. Sonnet 49 DÉjà le clair Soleil baignait son chef sous l'onde, Et jà, déjà encor le serein gracieux Dessus l'émail des fleurs coulant tout doux des cieux, Leur pourpre embellissait d'une perlette ronde: Jà, déjà bien avant le doux repos du monde, Le sommeil porte-paix tombait dans nos beaux yeux, Quand de mon cher époux, de mon bonheur le mieux, J'entre-ouï par trois fois la douce voix faconde. Ce Christ Dieu immortel qui la ronde machine, Soutient du bout du doigt, me disait, ma Christine, Je suis de ton salut divinement épris. Le serein qui tombant a ma tête arrosée, Fait que mon chef frisé distille de rosée, Dont je veux rafraîchir l'ardeur de tes esprits. Sonnet 50 DÉjà le clair Soleil qui les ténèbres fuit, Avait de notre ciel emporté la lumière, Et du sec élément cette ombre coutumière Tapissait les bas lieux de l'obscur de la nuit, Qui marchait lentement, à pas mollet, sans bruit, Quand cet amour qui tient mon âme prisonnière Dans les rares beautés de ma douce geôlière, S'embrasa dans mon coeur qui toujours la poursuit. Je descendis alors de ma gloire immortelle, Dedans l'obscurité d'une prison mortelle, Pour sauver celle-là qui me faisait mourir: Qui savouré qu'elle eut le sucre de ma langue, Et le nectar coulant de ma douce harangue, Quitta tous ces faux Dieux qui la faisaient périr. Sonnet 51 QUi a vu le Soleil dessus son char doré Laissant derrière soi le profond de cette onde, Qui baigne le frisé de sa perruque blonde, Vêtir son beau manteau de pourpre coloré, Et d'un rayon divin de clarté décoré, Éclairer la moitié de cette terre ronde, Et faire un beau printemps aux yeux de notre monde, D'un million de fleurs richement honoré: Il a vu mon époux poursuivant sa Christine, Sortir royalement de sa maison divine De pourpre cramoisi richement reparé, Qui faisait un printemps de mille fleurs décloses Des plus rares vertus dedans son sein encloses, Qu'il a de longue main pour mon bien préparé. Sonnet 52 QUi a pu voir la Lune au Soleil opposée En sa pleine rondeur éclairant aux hauts cieux, Lorsqu'ils sont embellis d'un azur précieux, Poursuivir rondement sa course disposée, Et des cieux distiller une douce rosée, Sur le pourpre des fleurs qui croît en ces bas lieux, Surpassant en clarté tous ces feux radieux, Luisant en la rondeur sur Saturne posée: Il a vu les beautés de ma Christine unique, Alors que vis à vis de ma clarté pudique Je blanchis le divin de ses vives couleurs: Ma Christine apparaît belle entre les pucelles, Comme Phèbe apparaît claire entre les étoiles, Et ainsi que la rose entre les autres fleurs. Sonnet 53 BLasonne qui voudra l'odeur du vert Laurier, Et le jus gracieux de l'onctueuse Olive, Ou le Pampre tortu pour sa liqueur naïve, Le Pin, ou le Cyprès, le Chêne, ou le Poirier, Blasonne qui voudra le Poivre et son Poivrier, Du Cèdre, ou du Sapin la verdeur toujours vive, Ou les Saules cherchant des claires eaux la rive, Ou bien pour son doux fruit le tendre Abricotier: Le Pommier me sera toujours le Roi des arbres, Ainsi que le Porphyre est roi entre les marbres, Qui prodigue en mon sein tous ses fruits gracieux: Son ombre hospitalier de l'ardeur me délivre, Sa divine liqueur tous mes esprits enivre, Puisse-il de son coupeau attoucher les hauts cieux. Sonnet 54 BLasonne qui voudra des oeillets le vermeil, Et du passe-velours la couleur purpurée, La fleur du Jupiter de couleur azurée, Où l'or de cette-là qui poursuit le Soleil: Blasonne cette fleur qui de goût nonpareil Distille le miel doux de sa tige épurée, Ou bien la marguerite en pourpre teinturée, Ou celle qui au lait a le teint tout pareil: Entre toutes ces fleurs je veux blasonner celle, Qui en toutes beautés toutes les fleurs excelle, Et qui plus a reçu de grâces des hauts cieux, La fleur qui jour et nuit à mes yeux est déclose, La fleur qui en sa fleur retient mon âme enclose, La rose au teint vermeil, et au flair gracieux. Sonnet 55 JE sens d'un mal mortel la fière cruauté, Qui pille avec la fleur le doux fruit de ma vie, Je sens l'amour divin qui m'appelle et convie, Pour voir de mon époux la céleste beauté: Le mortel de mon mal poursuit la loyauté De mon époux sacré d'une mortelle envie, Et l'amour dont mon âme est saintement ravie, Déteste justement telle déloyauté. Si le Christ mon époux franc de la mort demeure, D'une éternelle mort il convient que je meure, Sans espoir de pouvoir revivre après la mort. Mon mal veut que mon Christ à la mort je poursuive, Mon amour sans mourir veut que toujours il vive, Accorde ô Éternel ce merveilleux discord. Sonnet 56 JE sens rigueur, douceur, et justice, et pitié Agiter par dedans diversement mon âme, Qui sèche sous l'ardeur d'une contraire flamme, Qui brûle dans mon sein de haine et d'amitié, Au mal de cette-là je porte inimitié, Qui d'un dard de ses yeux mon coeur perce et entame, Mais l'ardeur de ce feu qui doucement m'enflamme, Surpasse la rigueur d'une juste moitié. Le mal qui la meurtrit est une juste peine Du tort qu'elle m'a fait, qui tranche son haleine, Et veut que sans secours je la laisse mourir: L'Amour que je lui porte, est une flamme vive, Qui dix mille brandons dedans mon coeur avive, Qui veulent qu'en mourant je l'aille secourir. Sonnet 57 Ô De l'amour divin la douce cruauté! Qui meurtrit mon époux pour me sauver la vie, Ô la juste rigueur dont je suis poursuivie! Ô de mon cher époux la ferme loyauté! L'Amour est ennemi de ma déloyauté, La rigueur de la Loi a sur mon bien envie, Mon époux néanmoins, duquel je suis ravie, Poursuit jusqu'à la mort ma divine beauté. Ô que l'amour est grand que mon époux me porte: Qui brûle d'un saint feu son coeur en telle sorte Que pour sauver ma vie il souhaite la mort. Ô que d'Amour divin la douceur est cruelle! Ô que de cette Loi la rigueur est bourrelle! Qui meurtrissent le saint, pour mon injuste tort. Sonnet 58 Ô La libre prison de ces beautés tant belles, Qui large en son détroit captive coeur et corps, Christine tu m'as pris de tes filets retors D'or, de soie et de lin en cent cordes nouvelles: Ta Foi me tient lié de deux roides ficelles, Ta Charité m'étreint de ses cordons plus forts, Ton Espérance aussi fait ses plus grands efforts, Pour retenir à soi mes grâces immortelles. Celle que j'ai dans moi prisonnier me retient, Le plaisir qu'elle en a mon ennui entretient, L'horreur de ma mort vient de sa face excellente: À toutes ces vertus mon coeur est attaché, Et mon âme et ma vie elle m'a arraché, Et mon injuste mort est sa vie innocente. Sonnet 59 Ô Trop cruelle Loi! de qui la loyauté Poursuit trop justement le sanglant de mon vice, Si tu veux qu'à jamais par la mort je périsse, Ne puis-je condamner ta rouge cruauté? Hélas! tu ne poursuis que ma déloyauté, Et mon péché mortel, et ma noire injustice, Sainte et divine Loi, sois bénigne et propice, À moi qui justement redoute ta beauté, Tes sacrés jugements ne sont rien que droiture, Sous qui courbe le chef toute humaine nature, Qui craint le jugement de ta divinité. Je ne puis condamner que ma faute mortelle, Qui sans Loi, contre toi, injuste se rebelle, Et pervertit le droit de ta juste équité. Sonnet 60 Ô Trop cuisante ardeur qui vient de ces flambeaux! Qui de leur double feu me brûlent dedans l'âme: Ce feu sacré duquel le saint Esprit enflamme Le glacé de la mort dans ses propres tombeaux. Ce feu qui brûle et ard dans l'humide des eaux, Qui de mille brandons les coeurs brûle et entame, Mais non si très-avant ni d'une telle flamme, Que celle qui me point de ses brandons gémeaux. Ce feu de son ardeur en mon secret enclos, Me brûle par dedans jusque dedans les os, Et de ce feu la mort arme sur moi sa rage: Ce feu qui brûle en moi, d'une même vigueur, Ma Christine défend de mortelle langueur, Qui pille le profit de mon propre dommage. Sonnet 61 CElle-là qui soulait sur le vermeil des fleurs Marcher mollettement, et d'une douce peine Vendanger leur odeur du flair de son haleine, Et repaître ses yeux de leurs vives couleurs, Se repaît maintenant de larmes et de pleurs, Qui font de ses deux yeux une double fontaine, Elle outrage son teint, et durement se gêne, Témoignant par ses cris l'aigreur de ses douleurs: C'est Christine au chef d'or, justement douloureuse, Qui double, et double en l'air sa complainte amoureuse, Et fait du nom de Christ retentir champs et bois. Elle appelle son Christ sur le haut des montagnes, Dans le creux des vallons, et au plein des campagnes, Et son Christ courroucé n'écoute plus sa voix. Sonnet 62 CElui-là qui soulait au Jardin de ses grâces Caresser doucement, sur les lis blanchissants, Et sur le pourpre aussi des oeillets rougissants, Celle plus douce encor que les trois douces Grâces: Qui jetait dans son sein les fleurs à pleines brasses De toutes les vertus: qui ses yeux languissants D'un rayon tout divin rendait assez puissants, Pour pénétrer les cieux et bien marquer leurs traces: Fait retentir le ciel, l'air, la terre et les mers Du son harmonieux de ses doux-divins vers, Appelant doucement Christine à longue haleine: Qui ayant engagé à d'autres amoureux, Les fruits qu'elle a cueillis en son Jardin fleureux, Cagnait trop et trop tard l'auteur seul de sa peine. Sonnet 63 CElui qui est Seigneur des jours, des mois, des ans, Aux jours, aux mois, aux ans a son âme asservie, Cil qui file des temps la course définie, S'est lui-même enfilé dans le filé des temps: Cil qui vit franc de mort d'un éternel Printemps, Dans l'Hiver de la mort enfroidure sa vie, Cestui-là qui du ciel m'a toujours poursuivie, En terre a fracassé les enfers aboyants. Ô de toutes bontés bonté la plus parfaite! Qui des temps par le temps la puissance as défaite, Qui de ma mort par mort as brisé le pouvoir, Qui as par tes Enfers mes enfers mis arrière, Illumine ma nuit de ta sainte lumière, Et fais à mon croissant sa rondeur recevoir. Sonnet 64 CElle qui par le temps reçoit accroissement, Sur le temps a fiché le clou de sa fiance, Et attend par le temps, d'une vive espérance, Un séjour qui sans temps dure éternellement. Celle qui n'était point avant le firmament, Qui d'un seul, par un seul, en temps a pris naissance, Espère avec le temps la pleine jouissance De cil qui n'a de temps aucun commencement. Ma Christine au col blanc qu'en temps j'ai élevée, Et de mon sang coulant abreuvée et lavée, Reçoit avec le temps pleine perfection: Mais levant néanmoins sur le temps sa pensée, Elle espère sans temps d'une Foi élancée Dedans le ciel, du ciel pleine possession. Sonnet 65 L'Éternel qui sans jours a fait des jours le nombre, S'est lui-même enfermé dans un nombre de jours, Qui bornent par les ans de son âge le cours, Qui court comme d'un homme à la mort noire et sombre. L'Éternel franc de mort, d'un fier mortel encombre Se laisse par la mort étreindre sans secours: Mais sa mort est la mort de la mort, qui toujours Retenait sans sa mort, mon esprit sous son ombre. Cet Éternel est Christ, de Christine l'époux, De Christine amoureux, de Christine jaloux, Qui ne rechante rien que Christine, Christine: Je suis Christine aussi, qui courbe sous sa Loi, Lui ayant engagé le trésor de ma Foi, Appelant Christ, et Christ, d'une voix argentine. Sonnet 66 L'Éternel qui sans temps règne en l'Éternité, Pour rendre à ma Christine une vie éternelle, Qui ne redoutât point la faute paternelle, Qui plongeait aux Enfers toute l'humanité, Fit courber sous les pieds de la divinité, Les cieux tournants en rond d'une course immortelle, Et descendre ici-bas la bonté supernelle, Qui règne avec le père aux cieux en trinité. En ouvrant des hauts cieux cette ronde machine, Il a fermé l'Enfer la prison de Christine, Qui trempait là-dedans par son propre méfait: Je suis cette bonté qui descendue en terre, Ai meurtri le meurtrier, qui lui faisait la guerre, Des armes du péché, qu'elle-même avait fait. Sonnet 67 SOus la libre prison des grâces immortelles, De cil en qui le ciel a justement compris Tout ce qu'il a en soi de valeur et de prix, Qui excelle le beau des choses les plus belles, Je vis franche d'ennuis, et des peines bourrelles Qui soulaient marteler mon coeur serré et pris Dans la rets du péché, qui mes divins esprits Durement étreignait de ses cordes mortelles. Je goûte en sa prison les fruits de liberté, Son plus horrible obscur n'est que blanche clarté, Le plus dur de ses fers est plus mollet que laine, Son amer plus amer n'est que toute douceur, Qui fait qu'en son étroit le séjour m'est plus sûr, Qu'au plus large parmi de la plus large plaine. Sonnet 68 SOus la faible prison de l'humaine nature, J'ai enfermé le sort de ma divinité, Bornant aucunement de mon infinité Ce qu'on ne peut borner, dedans la créature: Je courbe aussi le chef sous la Loi blanche et pure Qui justement du ciel damne l'humanité: Ainsi la Loi qui prend de moi sa dignité, M'asservit son facteur sous sa vive pointure. Celui qui sans la chair demeurait immortel, En la chair s'est rendu, et passible, et mortel, Pour sauver par sa chair la chair de mort cruelle. La chair faible a vaincu de la Loi le plus fort, La chair morte a meurtri le mortel de la mort, La chair donne l'Esprit à la chair sensuelle. Sonnet 69 QUand je vois ce Dragon sur son corps merveilleux, Portant l'horrible effroi de sept têtes terribles, Qu'il arme fièrement de dix cornes horribles, Heurter contre les saints de son chef orgueilleux, Et abattre tout bas des beaux cieux sourcilleux, Une troisième part des astres plus visibles, Du branler de sa queue, et d'armes invisibles Oppresser terre et mer sous ses grifs périlleux. Quand je lui vois ouvrir l'abîme de sa gueule, Pour dévorer mon Fils, me laissant faible et seule, Je courbe sous le faix de mille ennuis divers: Mais quand je vois ce Fils d'une aile plus légère, Volant dedans le ciel fuir sa main meurtrière, Je fais de mille chants retentir l'Univers. Sonnet 70 QUand je vois les hauts cieux s'obscurcir d'un nuage, Et lâcher de leurs yeux une profonde mer, Pour noyer au profond de son liquide amer, Ma belle colombelle au blanc luisant plumage: Quand je vois redoubler le fort de cet orage, Et qu'un horrible vent vient ses flots animer, Qu'il fait horriblement brouer et écumer, Et ma colombe alors redouter le naufrage: Quand je la vois sur l'eau diversement flottant, De l'aile repousser l'orage tempêtant, Pour cuider échapper la mort qui la menace, Je me sens agité de mille passions, Qui me percent le coeur de mille affections, Pour la tirer à bord en mon Havre de grâce. Sonnet 71 PAr un divin secret que je ne puis comprendre, Que j'embrasse pourtant des deux bras de la Foi, Le serviteur du monde est du monde le Roi, Celui qui est sans chair a une chair de cendre, L'Immortel sous la mort je vois les bras étendre, Et sous la Loi courber cil qui est sus la Loi, Je vois l'Enfant d'un jour qui est premier que moi, Qui suis avant qu'Adam osât du saint fruit prendre. L'Homme de chair mortelle est le Dieu tout puissant, Le Prince et Roi de paix en guerre est languissant, Qui de tous méprisé est pourtant vénérable, Conseiller du très-haut, des pécheurs seul Sauveur, Père du temps futur, que le temps moissonneur Fait courber néanmoins sous sa faux misérable. Sonnet 72 PAr un divin secret inconnu à nature, Celle qui vit de paix de la paix ne jouit, Celle qui dans le ciel saintement s'éjouit, D'un torrent de douleurs se noie en terre dure, Celle qui sent d'un feu la cuisante pointure, Des rayons de son feu le feu même éblouit, Celle-là devant qui le jour s'évanouit, Voit toujours de la nuit l'horreur sombre et obscure. Celle qui tend les bras pour sauver l'Univers, Sent du monde insensé les aiguillons divers, Qui pourchasse cruel son mal et sa ruine, Celle qui fuit la mort meurt cent fois chacun jour, Celle qui fuit d'Enfer le sombre et noir séjour, Par l'Enfer de la mort la même mort ruine. Sonnet 73 JE vis d'un voile noir les cieux de toutes parts Couvrir leur clair vermeil d'une façon horrible, Je vis de l'Univers l'oeil qui plus est visible Recacher dans son sein ses reluisants flambards, Aux sépulcres je vis des ossements épars Ranimer la vertu par l'Esprit invisible, Et la terre tremblant jusqu'au centre immobile, Ébranler tours, châteaux, palais, voûtes et arcs. Je vis pourfendre en deux dedans le sacré temple, Du haut jusques au bas, le voile large et ample, Et les cailloux plus durs en deux s'écarteler, Quand le Dieu créateur de l'humaine nature, Pour sauver en sa chair ma chair, sa créature, Sentit l'horreur du ciel sur son chef marteler. Sonnet 74 JE vis d'un voile noir l'obscurité s'éprendre Comme une obscure nuit sur la face des cieux, Qui dérobait avare aux rayons de nos yeux Les rayons que Phébus soulait sur nous étendre: Je vis l'air tout noirci un déluge répandre Dessus l'Universel de ces terrestres lieux, Puis je vis de la mer les flots audacieux Qui décheler les monts osaient bien entreprendre: Je vis sur le flottant de la mer tourmentée, Une arche de sapin çà et là éventée Abîmer au profond, au moins peu s'en fallut, Car voyant qu'au-dedans était ma colombelle, En danger d'enfondrer sous la vague bourrelle, Je tirai sa navire au port de mon salut. Sonnet 75 PLus, et plus d'ennemis que n'accabla Samson, (Qui cachait dessous l'or de sa perruque belle Cette force d'acier qui brisait le rebelle, Comme on brise du pied un tendre limaçon) Quand foudroyant sur soi l'ouvrage du maçon Il meurtrit sous le faix d'une ruine telle Les Païens Philistins: plus mon Époux fidèle A tué d'ennemis d'une étrange façon. Par son injuste mort il rend notre mort morte, Il dompte puis après la puissance plus forte De la Loi, par la Loi d'un généreux courage. Il damne de péché le péché vil et ord De l'Enfer par l'Enfer et enfondre le fort: Et sa peur épourit le serpent plein de rage. Sonnet 76 PLus qu’on ne voit au ciel de feux étinceler, Alors que le Soleil cachant son chef sous l’onde, La Lune au chef d’argent de sa clarté plus blonde Éclaire en ces bas lieux tout au travers de l’air: Plus qu’on ne voit encor du ciel voûté couler De rosée au Printemps sur cette terre ronde, Et plus, et plus encor que cette mer profonde Ne fait de grains de sable en ses ondes rouler, Plus on voit de beautés en ma Christine unique, Plus de belles vertus ornent son coeur pudique, Plus de grâces du ciel le ciel pleut en son coeur, Plus en son âme elle a de saintetés encloses Que n’a tout l’Univers en soi de toutes choses, Il courbe aussi le chef dessous son bras vainqueur. Sonnet 77 Du vieil serpent rusé la rage injurieuse Levant contre le ciel son chef audacieux, Cuida le ciel forcer, quand il sentit des cieux Marteler sur son chef la dextre glorieuse. Pour venger puis après sa perte ruineuse, De l'abîme profond des Enfers envieux, Sur toute la rondeur de ces terrestres lieux Fit de maux bouillonner une mer orgueilleuse. De mort et de péché il assiégea le coeur, De l'homme raisonnable, et fut de lui vainqueur, Lui ravissant le sens, la justice et la vie: Et si l'eût abîmé au gouffre de l'Enfer. Si le Samson du ciel avec son bras de fer, D'un coup n'eût démoli le fort de son envie. Sonnet 78 DU vieil serpent rusé l'injurieuse rage Du ciel précipitée au profond des Enfers, Cuidant venger sa perte en gâtant l'Univers, Fit pleuvoir de tous mots un malheureux orage, Voulant forcer en fin de faire un dur naufrage, Sans espoir de merci, ma colombe aux yeux verts, Des vents tempétueux laissa les huis ouverts, Pour au Scille d'Enfer noyer son équipage. Il noircit le Soleil par ses enchantements, Il émut terre et mer jusques aux fondements, La cuidant abîmer sous l'horreur de son onde. Mais ma colombe alors sur l'aile de la Foi, Vola devers le ciel, dans le sein de son Roi, Lequel la garantit du naufrage du monde. Sonnet 79 Ô De toutes bontés bonté plus excellente! Pour tirer les humains du gouffre de l'Enfer, Tu as assujetti à la pointe du fer De la mort, l'Immortel de ta vie innocente. Sous l'importable faix d'une mort violente Tu as courbé le chef, pour la mort étouffer: Ta mort peut par sa mort de la mort triompher, Qui suit ton char de loin extrêmement dolente. Triomphe maintenant ô Christ! à la bonne heure, Puisque franche de mort par ta mort je demeure. Ô bienheureuse mort qui as la vie au coeur! Ta mort soit de ma mort la mort et la ruine, De peur que de ma mort le vif ne me ruine: Brise aussi mes enfers avec ton bras vainqueur. Sonnet 80 Ô De toutes poisons poison la plus cruelle! Qui frappes droit au coeur de ta froide poison, Enivrant des humains le sens et la raison, Et d'un glas englaçant leur chaleur naturelle: Tu brûles par dedans d'une ardeur immortelle, Tu gèles par dehors, voire en toute saison, Ceux qui sont pris par toi tombent en pâmoison, Qui leur cause en la fin une mort éternelle. D'un trait empoisonneur tirant dessus le blanc, Tu donnas droitement jusque dedans le flanc, Voire au danger de mort, de ma douce Christine: Mais voyant sa blessure à mort se convertir, Je fis pour la sauver du sang de moi sortir: Car mon sang de ta mort est sûre médecine. Sonnet 81 JE voyais des hauts cieux la dextre courroucée Marteler sur le chef de mon loyal époux, D'une horrible fureur l'horreur de mille coups, Et sa prière avec rudement repoussée: Je voyais puis après une vague poussée D'un fort vent, qui soufflait d'un terrible courroux, Agiter rudement, puis dessus, puis dessous Une hurque flottant sur la vague insensée: Le ciel ayant lâché ses éclats foudroyants, Et la mer écumé tous ses flots effroyants, Tant que de mon époux la mort s'est ensuivie, J'ai vu incontinent rasséréner les cieux, Et la mer apaiser ses flots audacieux, La hurque en paix flottant, et le mort plein de vie. Sonnet 82 JE voyais sous les cieux dans le vague de l'air, De sacres et d'autours une bande bourrelle, Sifflant d'un bec crochu, et fendant l'air de l'aile, En rouant çà et là légèrement voler: Je voyais au milieu lentement bavoler D'une aile mi-rompue, une colombe belle, Fuyant les grifs mortels de la troupe cruelle, Qui cuidait aux Enfers la faire dévaler: Je voyais dessous elle en la terre immobile, Mille loups enragés, mille lions, et mille Qui cruels pourchassaient et sa chair et son sang: Chacun d'eux espérait l'engloutir tout entière, Quand un Aigle sacré d'une aile plus légère, La tira du danger dans le ciel net et blanc. Sonnet 83 S'Il y a dans le ciel qui en rond se pourmène, Ainsi comme l'on dit, quelque déluge d'eaux, Je l'appelle, et la mer, et les lacs clairs et beaux, Les fleuves et torrents courant parmi la plaine, Pour faire un seul courant, qui fasse une fontaine Dans mon cerveau humide, et de là deux ruisseaux, Coulant par mes deux yeux, comme par deux tuyaux, Qui témoignent l'aigreur de l'ennui qui me gêne. Pleurez avecques moi pucelles de Sion, Ayez fils de Judas de moi compassion, Sentez l'aigre rigueur de ma douleur chétive, La mort a retranché l'espoir de tout mon bien, Serrant mon cher époux d'un fier mortel lien. Réjouis-toi, ta mort sous sa mort est captive. Sonnet 84 S'Il y a sur la terre encor quelque justice, Et entre les humains quelque juste amitié, Quelque compassion, quelque douce pitié, Qui déteste l'horreur de quelque sanglant vice. S'il est quelque équité qui damne l'injustice, S'il est quelque douceur franche d'inimitié, Balancez droitement une seule moitié Du tort que l'on me fait, pour mon loyal service. Vote infâme péché, votre importable tort, M'a causé sans merci, et l'Enfer, et la mort, Par lesquels vous avez, et le ciel, et la vie: Je me suis à la mort pour l'homme abandonné, Et lui ai des hauts cieux l'héritage donné, Et cet homme pervers a sur ma gloire envie. Sonnet 85 LE ciel ayant lâché tous les traits de son ire Dessus le chef battu de mon loyal époux, Et la terre vomi l'aigreur de son courroux, Et la mort le mortel de son sanglant martyre, Satan voyant perdu le fort de son empire, Qui soulait captiver la liberté de tous, Arma le bras meurtrier qui ouvrit à grands coups Le rocher de la chair qui fait qu'aux cieux j'aspire. De son côté percé sortit une fontaine, Qui deux divers ruisseaux enfanta par la plaine, L'un de sang, l'autre d'eau courant par l'Univers, Qui pour venger de Christ la mort injurieuse, Noyèrent au profond de leur onde écumeuse, Le Diable et le péché, la mort et les enfers. Sonnet 86 LE ciel ayant lâché de son courroux l'orage Dessus le chef doré de Christine aux beaux yeux, Et la terre vomi son courroux odieux, Et les enfers profonds leur dépiteuse rage, L'Antéchrist non content d'un si cruel dommage, Étant du propre bien de Christine envieux, Jeta d'un feu brûlant la flambe en mille lieux, Cuidant de ma Christine affaiblir le courage: Mais ce feu qui brûlait d'une ardeur violente, Se voûtant comme un arc sur Christine dolente, Le métal de son coeur a si bien refondu, Qu'il reluit maintenant sans aucune rouillure, N'ayant perdu au feu que l'ord de sa souillure, Et ce meurtrier se voit dans son feu confondu. Sonnet 87 CEux qui plus doctement parlent de la nature, Et fouillent dans le sein de ses secrets divers, Pour montrer puis après aux yeux de l'Univers De ses secrets éclos la vive portraiture. Disent que le serpent occit de sa pointure, Les fils du Pélican dans leur nid découverts, Qui arrosés du sang de ses côtés ouverts, Renaissent derechef vainqueurs de la morsure. Ô mille et mille fois miracle émerveillable! Ô sacré sacrement saintement remarquable! Que nature a donné aux saints dévotieux De ce grand Pélican unique en son espèce, Qui sauve ses petits de la mort dompteresse, Par le sang de sa chair et les ravit aux cieux. Sonnet 88 CEux qui plus curieux cherchent soigneusement, Le secret naturel d'une chacune chose, Au sein de la nature étroitement enclose, D'un esprit fatigué docte soulagement, Disent que la colombe inviolablement, Garde société, et jamais ne dépose La première amitié, ains comme chaste épose Aime son cher mari perpétuellement. La colombe en la Loi servait au sacrifice, La colombe apporta au héraut de justice Le Sacrement de paix pour sa postérité: La colombe de Christ en loyauté unique, Porte dedans son bec la paix Évangélique, Offrant son corps pour Christ la vie et vérité. Sonnet 89 COmme on voit quelquefois sortir d'un creux rocher Et gravir au coupeau de quelque arbre sauvage, Un Dragon aguettant d'une mortelle rage, L'Éléphant qu'il a vu de cet arbre approcher, Et d'une dent bourrelle en la croupe accrocher Cet animal grondant en vain dessous la charge, Pour boire ivrognement son sang d'un gosier large, Et l'ardeur de sa soif de ce sang étancher, Puis l'Éléphant perdant avec son sang son âme, En tombant accabler ce dragon tout infâme, Et en mourant meurtrir le meurtrier de sa vie, Ainsi voit-on la mort qui d'une dent bourrelle, Poursuivait mon époux d'une mort très cruelle, Morte dessous sa mort, par sa mortelle envie. Sonnet 90 COmme on voit quelquefois le Sacre audacieux, Pourchassant le Héron d'une haine mortelle, Se perdre dedans l'air d'une si hautaine aile, Qu'on dirait qu'il voudrait écheler les hauts cieux, Et puis incontinent refondre en ces bas lieux D'un cingler plus isnel, et d'une force telle S'enferrer l'estomac de la propre allumelle, Du Héron qui meurtrit le sacre injurieux: Ainsi voit-on souvent sur cette terre basse, Les sacres des Enfers qui d'une fière audace Pourchassent à la mort ma colombe aux yeux verts, Qui tendant de son bec cette pointe aiguisée, Des sacres met à mort la troupe déguisée: Car son bec peut fausser les portes des Enfers. Sonnet 91 SOus le corps mort gisant de ce Verbe fait chair, Quatre monstres hideux tout recouverts d'écailles, Qui soulaient aux humains causer mille batailles, Je vis pâlement morts tout d'un coup trébucher. Dessous le dextre bras je vis à l'approcher, Le péché qui soulait de ses rouges tenailles Pincer les coeurs humains, couverts de ses entrailles, Pressé comme du faix de quelque grand rocher. Sous l'autre était l'Enfer: Satan courbait le chef Dessous le dextre pied: et la mort derechef Sous le gauche haussait sa tête demi-vive, Qui cuidait de nouveau les humains abîmer, Mais sentant l'Esprit vif ce corps mort ranimer, Elle a quitté le prix à la chair deux fois vive. Sonnet 92 SOus le faible pouvoir d'une main indomptable, J'ai vu courber le chef aux Princes et aux Rois, Et d'un coeur tout dévot baiser les saintes Lois De celle qui des Rois est l'effroi redoutable. De son Empire saint le sceptre inviolable, Qui fait sous l'équité de ses célestes droits Trembler les plus puissants, n'est rien plus que sa voix, Aux bons et aux pervers douce ou épouvantable. Tous ceux-là qui sont joug sous son autorité, Adorant de ses lois la sainte vérité, Vivent francs de la mort en l'immortelle gloire. Car ma mort a vaincu ses puissants ennemis, Que j'ai sous le pouvoir de ses secrets soumis, Pour la faire jouir du fruit de ma victoire. Sonnet 93 CE grand père des temps, ce Dieu dont la justice N'enfante que rondeur, droiture, et équité, Qui ce monstre hideux, qu'on nomme iniquité, Étrangle de ses mains, avec son injustice, Voyant l'homme meurtri du poison de son vice, Abandonner chétif des jours l'antiquité, Après avoir Justice et Vérité quitté, De Justice et de vie a vaincu leur malice. Pour ne perdre bénin l'ouvrage de ses mains, Il a abandonné le Christ chef des humains À la vengeuse mort, du péché juste peine. Pour sauver le pécheur il meurtrit l'innocent, À une injuste mort sa justice consent, Sans violer des droits l'équité souveraine. Sonnet 94 CE grand père des temps qui les temps a conçu, Pour enfanter de temps une âge mesurée, Sous qui le rond poli de la sphère azurée Tourne le temps qui coule et n'est point aperçu, Voyant que ma colombe au flanc avait reçu, D'une flèche bourrelle, au venin teinturée De l'éternelle mort, qui sa mort a jurée, Un âpre coup mortel du creux abîme issu, Pour sauver de la mort ma blanche colombelle, Fit fouiller dans mon sein d'une longue allumelle, Et trouver en mon mal à ce coup guérison: Ainsi mon mal mortel a donné santé pleine, À celle que la mort d'une mortelle peine, Gênait dedans l'étroit de sa fière prison. Sonnet 95 CE dragon boursouflé, Empereur de la mort, Me pourchassant à mort par une injuste envie, Dans la mer de la mort fit abîmer ma vie, Qui submergeait les sens de mon coeur déjà mort, Quand le Christ mon époux par une mort qui mord, Le péché, qui la mort à me meurtrir convie, Mordit jusqu'à la mort la mort par mort suivie, Mettant à mort ma mort et mon péché plus ord. Sa mort donc a meurtri ma noire mort mortelle, Sa mort donne la mort et la vie immortelle À ma chair, qui sous mort sans cette mort gisait. Ainsi ma mort vaut mieux que ma vie insolente, Qui meurtrissait ma chair d'une mort violente, Qui sans Christ tout le monde à son gré maîtrisait. Sonnet 96 CE dragon boursouflé, ce monstre audacieux, Chef de tous réprouvés, et d'eux aussi le pire, Qui de mort, qui d'Enfer tient le puissant empire, Voulut un jour priver l'homme des hautains cieux: Pour séparer la terre et son rond spacieux Du haut ciel immortel, ce meurtrier (qui conspire La mort de tous humains,) vint bâtir et construire Un mur d'iniquité en ces terrestres lieux. Mais je qui en ma chair par une mort cruelle, Meurtris tout le mortel de sa mort éternelle, Privant par mort la mort de son empesté dard, D'un torrent de mon sang sortant de ma poitrine, J'ai faussé de ce mur l'imprenable machine, Sur qui Satan fichait son sanglant étendard. Sonnet 97 PAr un sentier tortu en cent mile replis, Je suis en m'égarant d'une course légère Le péché que je fuis, et sa coulpe meurtrière, Et de ses fruits amers mon ventre je remplis: Ce que je hais de coeur, de fait je l'accomplis, Ce que j'aime de coeur, je le rejette arrière, J'ai en haine la mort, et si suis sa bannière, Je souhaite les cieux, et fuis les cieux polis. Que dis-je que je suis? c'est ma chair inconstante, Qui suit mort et péché, que d'ardeur violente L'Esprit déteste et fuit, et embrasse le ciel: Ô Christ délivre-moi de cette chair mortelle, Et sauve dans ton ciel ma pauvre âme immortelle, Qui boit dedans sa chair du péché l'amer fiel. Sonnet 98 PAr un sentier ouvert à la chair inconnu, Je poursuis en la chair des cieux hautains la trace, Et fais voir à la chair l'Éternel face à face, Au ciel où sans ma chair nul ne fût parvenu. Ma chair, franche de chair, en chair a subvenu, À cette chair de chair, lui faisant au ciel place, Ma chair meurtrit la chair, ma chair de sang efface Le meurtrier de la chair, des creux Enfers venu. Ma chair donne à la chair par mort vie éternelle, Ma chair donne l'esprit à cette chair charnelle, Ma chair guide la chair aux cieux par ses enfers. Ma chair donne à la chair de sa chair nourriture, Ma chair fait à la chair de tous biens ouverture, Par le sentier des maux que ma chair a soufferts. Sonnet 99 LE sang vermeil que rend la grappe pressurée Dessous les pieds meurtriers du cruel vendangeur, Qui d'une avare main, au pressoir ravageur, De la boiteuse mère a la fille épurée, N'emmielle un goût plus doux de sa douce purée, Que de l'amour de Christ la naïve douceur, Emmielle tous mes sens, et d'un nectar plus seur Enivre l'immortel de mon âme assurée. La mort est le pressoir, et Christ est le raisin, Son sang qui coule doux est la liqueur du vin, Qui enivre mes sens d'une immortelle vie. Ô de mon cher époux la fidèle amitié! Qui pour moi s'abandonne à la mort sans pitié, Qui pourchassait ma mort d'une mortelle envie. Sonnet 100 LE cristal de la source enfantant par la plaine Mille et mille ruisseaux d'un cristal tout pareil, Qui d'un pré plein de fleurs arrose le vermeil, Et murmure un doux bruit de longue, et longue haleine, Le Jardin arrosé d'une vive fontaine, Qui prodigue au Printemps un émail nonpareil D'un million de fleurs, qu'au coucher du Soleil Zéphire en s'ébattant doucettement haleine, Ne peuvent apporter tant de plaisir aux yeux, Que m'apportent au coeur les astres radieux Qui décorent le chef de ma Christine belle. Le Jardin est Christine, et ses fils sont les fleurs, Les ruisseaux sont l'Esprit, et ses dons les couleurs, Et Zéphire est le Christ qui sa Christine appelle. Sonnet 101 TEls que l'on vit jadis les Anges réprouvés Montés dessur les monts d'orgueil et d'arrogance, De vaine ambition, et folle confiance, Hausser contre le ciel leurs sourcils élevés: Tels voit-on aujourd'hui les Prêtres controuvés Du Contre-Christ sanglant, d'une fière assurance Morguer avecques lui la divine puissance, Et mépriser aussi ses décrets approuvés. Mais tel que l'on a vu fondre en terre des cieux, Par un contre-choquer le foudre audacieux, Et abîmer ainsi au centre de la terre: Tel verra l'on aussi le Contre-Christ meurtrier, Abîmer aux Enfers de son degré premier, Si Christ hausse le bras pour lui faire la guerre. Sonnet 102 TEl que l'on vit jadis Nabuchodonozor Crachant contre le ciel d'une rage fumeuse, Meurtrir du saint de Dieu la sainteté fameuse, Et d'une avare main ravager son trésor, Tel que l'on vit jadis le père d'Eupator, Et sa postérité doublement malheureuse, Du sang des Circoncis teindre l'onde écumeuse, Et du temple sacré ravir l'argent et l'or, Tels que l'on vit jadis tous ces chiens enragés, Regorger par les nez le sang des outragés, Puis d'un foudre éclatant tomber à la renverse, Tel voit-on aujourd'hui l'Antéchrist outrager Ma Christine pudique, et son bien ravager: Telle aussi soit la fin de sa rage perverse. Sonnet 103 J'Étais dessur le bord de la grand mer profonde, Quand je vis de mes yeux, de son creux s'élevant Contre mont à la hâte un tourbillon de vent, Qui portait dans le ciel les vagues de son onde. Ce vent qui de son souffle éventait tout le monde, De tourbillon de vent devint homme vivant, Qui du feu de sa voix légèrement mouvant, Brûlait la plus grand part de cette terre ronde. Je vis des quatre parts de tout cet Univers, S'assembler contre lui tous les hommes pervers, Qui cuidaient obscurcir le luisant de sa gloire: Mais je le vis voler sur le haut d'un rocher, Et sur ses ennemis mille traits décocher Du feu de son courroux, héraut de sa victoire. Sonnet 104 J'Étais dessur le bord de la mer tourmentée, Quand je vis au milieu un grand vaisseau flottant, Que l'orage du ciel fièrement tempêtant, Agitait çà et là dessus l'onde éventée. Je vis du ciel voûté la face dépitée Verser d'un feu soufré le gros foudre éclatant, Qui brûlait dans la mer, sans s'éteindre pourtant, Ce vaisseau tourmenté de la vague agitée. Je vis un grand Rocher à la pointe cornue, Menacer de tout loin cette Hurque inconnue, Et ciel et terre et mer contre elle étaient d'accord, Quand un Nocher tenant d'un petit mont la croupe, Tourna au vent soufflant de ce vaisseau la poupe, La sauvant de l'orage au plus sûr de son bord. Sonnet 105 JE vois de mes deux yeux par une horrible guerre, Le vaincu du vainqueur bravement triompher, Le meurtri sous sa mort le meurtrier étouffer, Écarbouillant sa tête à coup de cimeterre. Je vois sous le pillé le pillard mis par terre, Étroitement lié d'un gros lien de fer, Et la chair par l'Enfer démolir notre enfer, Et la mort qui par mort gêne, étreint, lie et serre. Je vois le dépouillé qui remporte en sa gloire, Le butin du vainqueur, témoin de sa victoire, Ayant les bras au dos étroitement liés: Je vois dedans la mort une vie éternelle, Qui couronne son chef d'une palme immortelle, Ayant des morts par mort les liens déliés. Sonnet 106 JE vois de mes deux yeux marcher parmi la plaine, En parement royal celle qui de ses yeux, Obscurcit l'éclairant de ces feux radieux, Qu'on voit dedans les cieux quand la nuit se pourmène, Qui surpasse en beauté la Lune toute pleine, Et du Soleil plus clair le luisant gracieux, Qui des liens dorés de son chef précieux, Me prend son prisonnier, puis m'étreint et me gêne. Je suis son prisonnier d'autant que je l'ai prise, Je suis son serviteur qui l'ai mise en franchise, Elle est mon propre acquêt je suis son héritage. Elle est ma seule mort qui lui donne la vie, Elle est mon seul enfer qui au ciel la convie, Elle est mon propre bien, et je suis son partage. Sonnet 107 SI Christ vit franc de mort il convient que je meure, Si Christ vit franc de mort je vis pareillement, S'il meurt, je meurs aussi, voire éternellement, S'il meurt il faut qu'en vie à jamais je demeure. Si je meurs je m'acquiers une vie meilleure, Si je meurs je me meurs perpétuellement, Si je vis je péris par mort semblablement, Si je vis je vivrai d'une vie plus seure. S'il vit je vis aussi en la chair infidèle, S'il meurt je meurs en chair, l'esprit vivant toujours, Ainsi sa mort meurtrit et anime mes jours. Si je vis en la chair j'occis l'esprit fidèle, Si je meurs en l'esprit ma chair est vive alors: Ô Christ, anime l'âme, et meurtris donc le corps. Sonnet 108 SI Christine veut vivre il lui convient mourir, Si Christine veut vivre elle a vie éternelle, Si elle veut mourir sa mort est pérennelle, Si elle veut mourir Christ la vient secourir. Si Christine pour Christ ne veut mort encourir, Elle perd en vivant une vie immortelle, Si Christine pour Christ ne craint la mort mortelle, Christine par la mort voit la vie accourir. Si Christine a désir de vivre en l'autre monde, Christine obtient par Foi une vie seconde, Que le Christ son époux lui acquiert par son sang. Si Christine veut vivre ici bas en la terre, Christine sent la mort qui durement la serre, Et lui montre aux Enfers le soufre de l'étang. Sonnet 109 DEssus le mont du Têt j'ai vu l'Enfer combattre Fièrement main à main la voûte des hauts cieux. J'ai vu la chair roidir ses bras pernicieux, Et sous elle l'Esprit se tordre, et se débattre. Le Péché forcenant d'ardeur opiniâtre Poursuivait chaudement la justice en tous lieux. La mort plus fière encor, d'effort plus furieux Sur la vie à grands coups chamaillait pour l'abattre. Le Ciel haussant le bras pour donner à travers, Coucha les Enfers creux sous ses pieds à l'envers: Et l'esprit sur la chair remporta la victoire. La Justice étrangla le péché de ses mains: La vie occit la mort, et du tout les humains Remportent le profit, et mon Époux la gloire. Sonnet 110 DEssus le char mouvant de ma chair qui fut morte, Qui vaincue a vaincu de la mort le pouvoir, Qui la chair sans ma chair faisait sous soi mouvoir, Au gré de sa rigueur qui était la plus forte, Dedans le ciel voûté ma Christine je porte, Qui peut franche de mort sentir, goûter et voir, Les fruits d'Éternité que je lui fais avoir, Par ma chair qui ouvrit de leur Jardin la porte. Christine qui du ciel reçoit vie et vigueur, Ne sentait du haut ciel qu'une juste rigueur, Sans ma chair qui du ciel lui a fait ouverture. Christine qui craignait l'aiguillon de la mort, D'Enfer, et du péché le pouvoir rude et fort, A contre leur effort ma chair pour couverture. Sonnet 111 Ô Filles d'Israël, douces chastes pucelles, Qui errez chastement sous l'ombre de ces bois, Si vous avez ouï de mon Époux la voix Éclater en l'épais de ces branches nouvelles, Ou si vous l'avez vu de ces fleurettes belles Piller le baume doux, comme il fait quelquefois, Et si du ciel voûté vous révérez les lois, Suivez avecques moi ses traces immortelles. Si vous avez senti de sa flamme amoureuse Quelque ardente étincelle, oyez ma voix pleureuse, Sans dédaigner le cri de mon gémissement, Ainsi avec le temps puissiez-vous en partage, Rencontrer le loyer d'un divin mariage, Qui brûle d'un saint feu vos âmes doucement. Sonnet 112 Ô Filles d'Israël! ô vierges gracieuses! L'honneur du peuple Hébreu, mille fois excellant, Et mille et mille encor, cet or étincelant, Qui orne de Phison les rives écumeuses, Pucelles qui suivez les traces amoureuses De Christine au beau teint, sur l'argent ruisselant Dans le vert-gai des prés, et d'un pas sautelant Foulez des belles fleurs les perles précieuses, Si vous oyez la voix de Christine aux doux yeux, Appelant Christ et Christ en ces écartés lieux, Répondez en mon nom à ma Christine unique, Que je suis sur le mont porte-myrrhe et encens, Paissant de leur odeur de mon odeur le sens, Tant que l'aube du jour ses coursiers poigne et pique. Sonnet 113 ALme divinité, Dieu de toute nature, Qui as abandonné à la vengeuse mort Ton fils pour repurger le mal de notre tort, Qui combattait infect de tes lois la droiture, Jette sur moi tes yeux, ta pauvre créature, Qui courbe sous l'effet de péché vil et ord, Et du sanglant torrent qui de son côté sort, Submerge mon péché, son dard et sa pointure. Fais que l'Adam nouveau en moi renouvelé, Meurtrisse l'autre Adam, lequel s'est rebellé, Encontre l'équité de ta blanche justice: Et me redonne encor son esprit immortel, Et j'offrirai mes dons sur ton Christ, mon autel, À toi qui de son sang laves mon injustice. Sonnet 114 ALme divinité qui sur les cieux résides, Et de là sagement sur le large travers De la terre, et de l'onde, et du large Univers, D'un éternel souci, sans souci tu présides, Préserve, ô saint des saints, mes saints Israëlides, Ceux que tu m'as donnés, que le monde pervers Poursuit incessamment, en mille lieux divers, Pour enfler de leur sang l'eau des fleuves liquides. Ce sont ceux Père doux lesquels tu m'as donnés, Et qui ont de tout temps leurs sièges ordonnés Dans le ciel, où se tient ta majesté divine, Ce sont ceux pour lesquels je courbe sous la mort, Pour prendre puis après son imprenable fort, Que j'ai tous engendrés au giron de Christine. Sonnet 115 HEureuse mille fois la Vierge, Vierge et mère, Heureux le ventre heureux qui le Christ a conçu, Et le vierge tétin qui du ciel a reçu Ce bonheur, d'allaiter et son Fils et son Père: Heureuse encore un coup la Vierge débonnaire De laquelle le Christ Dieu et homme est issu: Mais plus heureux encor qui de coeur a perçu, Ce secret par lequel le salut il espère. Heureux dix mille fois qui d'une vive Foi, Embrasse et reconnaît ce Christ, pour Christ et Roi, Attendant par sa mort de la mort la ruine: Heureux dix mille fois qui oit et garde aussi, Ses mandements sacrés, et d'un coeur endurci Ne rejette le vrai de sa sainte doctrine. Sonnet 116 HEureuse mille fois cette mère pucelle, Qui dans son ventre vierge a porté le Sauveur, Et de son tétin vierge épuré la saveur, Pour allaiter celui qui tous les dieux excelle. Mais qui pourra chanter le grand bonheur de celle, Qui a reçu du ciel tant et tant de bonheur, Que d'enfanter la mère et le fils pardonneur, Qui fait branler du doigt la terre universelle? Marie a enfanté Christ maternellement, Christine a enfanté le Christ pareillement, Mais l'une par la chair, l'autre par Foi sincère. De l'une et l'autre encor Christ est le fils aîné, Mais le ciel seulement à Christine a donné D'Enfanter par la Foi et le fils et la mère. Sonnet 117 DE l'importable Loi la justice immortelle Enseigne la vertu sûr chemin des hauts cieux, Et si découvre aussi le péché vicieux Le tortueux sentier de la mort éternelle, Promettant des hauts cieux la gloire pérennelle, Elle enfondre au profond des Enfers envieux, Elle hait du péché le monstre ambitieux, Et l'arme néanmoins d'une force bourrelle. La Loi promet la vie, et ne donne que mort: Elle aime la justice, et enfante le tort: (Car nul de son péché sans Loi n'a connaissance.) La Loi offre à la chair du ciel l'Éternité, Et la Loi de la chair damne l'infirmité, Mais Christ donne du ciel sans la Loi jouissance. Sonnet 118 DE l'importable Loi l'importable justice Avait emprisonné aux prisons de la mort, Celle qui a des yeux le rayon assez fort, Pour le marbre entamer de mon âme, sans vice, Là le péché bourreau, des fers de l'injustice Serrait étroitement son coeur, jà demi-mort, Et l'Enfer plus cruel s'égayant de son tort, L'agravantait encor du faix de sa malice: La pauvrette courbant sous ce mal inhumain, Détestait à bon droit la sacrilège main, Qui osa méchamment du fruit défendu prendre, Mais ses cris redoublés et tous remplis de fiel, N'eussent pu pénétrer dans le secret du ciel, Si je ne l'eusse ouvert pour sa prière entendre. Sonnet 119 PAr dedans les Enfers je vois voler aux cieux, Par le sentier des maux en la joie immortelle, Et par l'huis de la mort en la vie éternelle, Cil qui ceint de pur or son beau chef précieux. Qui de sa bouche enfante un glaive furieux, Qui meurtrit sous ses pieds le mutin infidèle, Qui éclaire le ciel de sa double chandelle, Qui fait honte au midi du Soleil radieux: En foulant le pressoir du vin de sa colère, Pour meurtrir dessous soi l'infidèle adversaire, Il a trempé sa robe en la mer de son sang, Et mène pour butin de sa belle victoire, Pour jouir en commun du règne de sa gloire, Ceux qui se sont blanchis dedans son rouge étang. Sonnet 120 PAr la porte des maux en la cité des biens, Par le ruisseau des pleurs en la source de joie, Par le sentier de mort en l'immortelle voie Je fais marcher ici et Christine et les siens. Celle qui me retient serré en ses liens, Celle qui de mes pleurs ses pleurs submerge et noie, Qui le sang de son sang dedans mon sang nettoie, Vole par mes enfers aux hauts cieux qui sont miens. Celle qui d'or d'Ophir son beau chef blond couronne, Qui son corps bien taillé de blanc crêpe environne, Est celle qui se sied au banquet de l'Agneau. Celle qui de son teint tout autre teint efface, Qui ternit le cristal du luisant de sa face, Boit avec tous ses saints du cristallin ruisseau. Sonnet 121 CElui qui vit au ciel est mort dans le tombeau, Qui tient le monde enclos dans le creux de sa dextre, Est enclos sous le faix d'une roche champêtre, Qui couvre la clarté de son visage beau. Celui qui meut toujours le ciel, et l'air, et l'eau, Gît mort sans mouvement dessous le bras senestre De la mort, dont par mort il est fait prince et maître, Et sille pour toujours son funèbre flambeau. Celui qui ne meurt point étant mort ressuscite, Celui qui est sans chair, de chair la chair excite, Que sur sa chair sans chair, il porte dans les cieux. Ô bien heureuse mort de notre mort la peste! Qui cache les enfers, et le ciel manifeste, Et fait à notre chair le passage aux saints lieux. Sonnet 122 CElle qui vit au ciel en terre meurt cent fois, Celle qui règne au ciel est captive en la terre, Celle qui vit de paix ne se paît que de guerre, Celle qui vit partout périt en mille endroits, Celle qui fait ranger les Princes et les Rois, Courbe sous leur grandeur, qui l'étreint et l'enferre, Celle qui ses haineux étroitement enserre, Par ses haineux meurtriers se sent serrer les doigts. Celle qui de ses biens enrichit tout le monde, Vit pauvre entre les siens sur cette terre ronde, Possédant néanmoins l'éternité par Foi. Car le Christ son époux que le ciel environne, De l'immortalité son chef au ciel couronne, Que la mort ici bas fait ployer sous sa Loi. Sonnet 123 PLutôt de l'Univers cette ronde Encyclie On pourrait voir changer en carré sa rondeur, Et la terre élever sa creuse profondeur Sur la hauteur du ciel, qui d'astres est remplie, Plutôt on pourrait voir dedans la mer polie Éclairer du Soleil la naïve splendeur, Et dans le ciel flotter des hurques la grandeur, Que je mette en oubli Christ qui m'a anoblie. Quand l'agneau et le loup ensemble hanteront, Et dans un même trou leurs fils enfanteront, Et le feu dedans l'eau de l'eau prendra naissance. Quand le jour sera nuit, et la nuit jour vermeil, Oublier je pourrai le Christ mon seul Soleil, Qui de son clair reluit dedans ma conscience. Sonnet 124 PLutôt le ciel voûté privé de sa lumière Avecques ses flambars en mer abîmera, Et dans son sein courbé sans eau animera Les esturgeons privés de leur eau coutumière, Et la mer élevée en la sphère première, Dedans son sein mouillé la Lune enfermera, Qui là de son vermeil un jour allumera, Que je mette en oubli ma Christine guerrière. Quand on verrait la terre en l'air tourner en rond, Et l'air tenir le lieu du centre plus profond, Le feu changer son sec en quelque eau cristalline, Quand on verrait le monde aller tout au rebours, Changer en noires nuits la clarté de ses jours, Si n'oublierais-je point le beau nom de Christine. Sonnet 125 LOngtemps d'avant le temps que le Soleil fît naître De ses rayons luisants la clarté de nos jours, Que le ciel qui voûté fait en rondeur son cours Fît sur nous un Levant, un Ponant apparaître. Longtemps d'avant le temps que la Lune on vît croître, En sa pleine rondeur, et puis faire un décours, Celui qui me nourrit du fruit de ses amours, M'était déjà pour Dieu, pour époux, et pour maître. Celui-là qui était d'avant le firmament, Dieu de Dieu éternel, franc de commencement, A pris commencement pour me faire éternelle. Le jour de sa naissance est mon éternité, Son corps de chair humaine est ma divinité, Sa mort mort de ma mort est ma vie immortelle. Sonnet 126 LOngtemps d'avant le temps que cette boule ronde, Qui fait le centre rond de tout cet Univers, Déployant de son sein tous ces trésors divers, Desquels elle enrichit les plus riches du monde: Longtemps d'avant le temps que la mer de son Remplît le fond profond des abîmes ouverts, [onde Je rechantais déjà ma Christine aux yeux verts, Et les belles beautés de sa perruque blonde. Celle qui n'était point d'avant le cours des temps, Et qui n'a que de moi son éternel Printemps, Était d'avant le temps déjà dans ma poitrine, Celle que je poursuis d'une immortelle Foi, Était longtemps d'avant, et longtemps depuis moi, Longtemps d'avant épouse, et depuis moi Christine. Sonnet 127 QUand on amasserait tous les rubis des cieux, Et toutes les senteurs de l'Arabie heureuse, Et tout l'émail des fleurs que la saison fleureuse Du Printemps peut tirer de son sein gracieux: Quand l'Inde Oriental de gemmes précieux Couvrirait le dessus de la terre poudreuse, Pour rendre d'un palais la beauté merveilleuse Par tout ce riche beau qui se montre à nos yeux: Tout cela ne pourrait avec son excellence, Approcher d'un seul point de la magnificence, Du moindre des palais qui sont à mon époux: Dans lesquels il habite avecques sa Christine, Qui porte dans le ciel sur sa voix argentine, Le renom immortel de ce grand Dieu jaloux. Sonnet 128 QUand on amasserait tous les dons de nature, Gemmes, marbres, métaux, arbres, herbes et fleurs, Liqueurs, odeurs, onguents, teintures et couleurs, Grains, et grappes, et fruits, et toute confiture, Bref, tout ce que le ciel, la mer, la terre dure Embrassent dans le sein de leurs trésors meilleurs, Cela n'égalerait un seul point des valeurs, De ce divin portrait pour qui la mort j'endure: Ce portrait de beautés, cette Christine unique, D'ardente charité de foi Évangélique Ainsi que d'aloès richement parfumée, Que l'on voit s'élevant du désert vers les cieux, Comme l'on voit en l'air, d'un vol audacieux S'élever en colonne une épaisse fumée. Sonnet 129 ALors que le Printemps d'une main magnifique, Donne à la terre ronde un beau manteau de fleurs, Bellement peinturé de cent mille couleurs, Égalant la beauté de la rondeur sphérique. Quand ce riche Printemps de sa riche boutique Fournit les prés d'émail, que le ciel de ses pleurs Mouille, et ressèche après de ses douces chaleurs, Et les arbres revêt de leur feuillage antique, Chacun peut voir alors, de fleurs et de feuillages Le pommier surpassant tous les arbres sauvages, Voûter les arbrisseaux sous son ombrage doux, Ainsi chacun peut voir que mon époux surpasse Les autres jouvenceaux, et que son lustre efface D'un seul trait seulement, le beau lustre de tous. Sonnet 130 ALors que le Printemps fils aîné de l'année, De beaux chapeaux de fleurs couronne sa saison, Qui verse à pleines mains, sur la verte cloison Des prés, mille bouquets de sa fleur nouveau née, Tapissant les coteaux de couleur basanée D'un pourpre cramoisi, et en notre horizon, Enfantant sans travail, d'odeurs une foison Sur le vermeil des fleurs divinement ennée, Alors fait-il beau voir le lis blanc comme lait, Se haussant vers le ciel sur son pied tendrelet, Fleurir divinement au parmi des épines: Ainsi fait-il beau voir des pucelles la fleur, Ma Christine égalant d'un Printemps la couleur, Fleurir sur les beautés des vierges plus insignes. Sonnet 131 LEs deux astres luisants sous ce beau front d'ivoire, Qui ressemblent les yeux des colombs blancs et beaux Qui se lavent de lait sur le cristal des eaux, Qui redoublent encor d'un beau vermeil leur gloire, Le crêpe honneur aussi de la perruque noire, Qui surpasse en noirceur la noirceur des corbeaux, Sont l'âme de mes vers et de mes chants nouveaux Qui éventent partout de mon Christ la mémoire. Ces deux lèvres de lis dont une haleine part, Qui du myrrhe l'odeur deçà delà épart, Et ces joues aussi comme fleurs odorantes, Sont les rets, et les haims, et les appâts sucrés, Qui me tiennent liée au fond des beaux secrets, De cil qui meut le cours des étoiles errantes. Sonnet 132 LEs rayons de ces yeux sont brandons de la flamme Qui peut de son ardeur mes amours allumer, Et leur cristal coulant est une grande mer Qui tue un autre feu qui mon dépit enflamme: Ainsi d'un même endroit part le trait qui m'entame, (Lequel n'a rien pourtant de mortel ni d'amer) Et le remède au mal qui pouvait abîmer Non moi, mais celle-là qui brûle ainsi mon âme. Sa foi plus chaude encor que le feu flamboyant, Qui sort comme un brandon de son oeil verdoyant, D'un amour conjugal renflamme ma poitrine: Et ce dur repentir, qu'elle a de ses péchés, Qui rend ses deux beaux yeux de larmes asséchés, Peut amortir le feu de ma fureur divine. Sonnet 133 CEtte couleur de lis de vermeil colorée, Qui surpasse en beauté des beautés tout le mieux, Et qui belle embellit le marbre glorieux Du front de mon époux, et sa joue honorée, Cette rare beauté justement adorée, Qui luit dans le rayon des astres radieux De mon Christ mon époux, qui ressemblent les yeux Des colombs blancs que lait à la gorge dorée, Représentent au vif sa majesté divine, Laquelle il manifeste à sa blonde Christine, Lorsqu'il harangue doux en sa sainte maison: Et de ses jugements la clarté blanche et nette, Qui surpasse en clarté la quatrième planète, Et éblouit les yeux de l'humaine raison. Sonnet 134 CEtte belle beauté dont ma Christine est pleine, Empêtre tellement l'aile de mes esprits Dans son filet retors, que me sentant surpris, Plus je veux échapper, plus il m'étreint et gêne. Si je goûte le lait de sa double fontaine, En qui tous les ruisseaux de douceur sont compris, Je suis d'un tel nectar si doucement épris, Qu'en goûtant sa douceur je perds force et haleine. Christine en se plongeant en la source immortelle Qui sourd de mon côté, devient si blanche et belle, Qu'il n'y a rien si blanc en tout cet Univers. Le lait qui coule doux de sa mamelle molle, Représente le vrai de l'un et l'autre rôle, Qui fait bruire mon nom en mille lieux divers. Sonnet 135 QUi a pu voir le rond de ce trône d'ivoire, Recouvert par dehors du plus exquis métal, Et ces grands lions d'or servant de piédestal, Portant au front gravé l'honneur d'une victoire. Qui a vu ce grand Roi qui vit en la mémoire, Et y vivra toujours, tant que le clair cristal Du Jourdain baignera son propre lieu natal, Sur ce trône juger l'Amorrhéenne gloire: Qui a vu sa grandeur d'Israël honorée, Son temple, son palais, et sa maison dorée, Avec leur ornement de fin or précieux: Et qui a pu ouïr sa céleste faconde, Il a vu et ouï le plus grand Roi du monde: Mais il est serviteur du Salomon des cieux. Sonnet 136 QUi a vu de Saba la divine Princesse, Marcher royalement, en royal appareil, Ayant à ses côtés un nombre nonpareil De Princes, de Seigneurs, et de brave noblesse: Qui a vu de son or l'innombrable richesse, De ses gemmes aussi le flamboyant vermeil, Qui a vu sa beauté claire comme un Soleil, Qui ce Prince humblement amadoue et caresse: Qui a senti aussi de ses odeurs le baume, Dont l'air avec la terre elle enfume et embaume, Et qui a écouté ses propos gracieux: Il a vu tout l'exquis d'Afrique monstrueuse, Et des Reines ouï la Reine plus heureuse: Si courb'elle le chef sous la Reine des cieux. Sonnet 137 QUand le corail vermeil de cette ronde bouche S'ouvre pour enfanter un propos gracieux, Dont la douceur ravit nos esprits sur les cieux, Et nos coeurs et nos sens et nos moelles attouche: Quand je vois Christ assis mollement sur sa couche, Qui jette sur Christine un trait de ses doux yeux, Quand j'épands mon aspic sur son chef précieux, Qui embaume l'enceint de cette riche couche: Je sens dedans mon âme une volupté telle, Que font les immortels en la vie immortelle, Qui sont liés à Christ d'ardente charité. Ce propos gracieux est soutien de ma vie, Qui donnant dans mon coeur me tue et vivifie, Et m'engrave au cerveau sa blanche vérité. Sonnet 138 QUand je touche de près le blanc poli albâtre De cette belle main, et ce bras blanchissant, Qui pille en mon Jardin mon blanc lis fleurissant, Et plus hors mes parvis à son dam ne folâtre, Qui d'un autre amoureux la beauté n'idolâtre, Qui ne pourchasse point son argent blondissant, Son porphyre gravé, ni son or jaunissant, Ni ses Dieux controuvés d'or, d'airain, ou de plâtre: Ô combien je reçois de plaisir agréable! Ô combien je chéris cette main amiable! Que je laisse piller les trésors de chez moi. Je veux que cette main soit toujours comble et pleine Des fruits de mon Jardin, et moissonne sans peine Tous ses épis fleureux, du saint bras de la Foi. Sonnet 139 PUisque le beau Soleil sur son char radieux, Ramène avecques soi la saison amoureuse, Du beau jeune Printemps à la barbe fleureuse, Au teint clair et vermeil, et aux verdoyants yeux, Qui tapisse la terre en mille, et mille lieux, De mille, et mille fleurs d'odeur très gracieuse, Qui font de mon Jardin une Arabie heureuse, Où si sur Arabie on trouve quelque mieux: Puisque le rossignol découpe sa musique, En cent mille fredons d'une voix angélique, Enflant son chalumeau de mille tons divers: Puisqu'on voit dans le ciel se perdre l'alouette, Et la tourtre servir au printemps de trompette, Faisons bruire de Christ le nom par l'Univers. Sonnet 140 PUisque le bois tortu de la vineuse vigne Son pampre bourgeonnant couronne de ses fleurs, Et que le grenadier se revêt des couleurs Que l'Hiver ennemi cachait en la racine, Que de la mandragore on sent l'odeur divine, Que le baume répand un ruisselet de pleurs, Viens rafraîchir l'ardeur des cuisantes chaleurs, Qui brûlent d'un saint zèle en ta chaude poitrine. Parfume aussi pour moi le dedans de ta chambre De cannelle, d'aspic, de musc, de myrrhe et d'ambre, Là je veux boire en l'or ton hypocras sucré: Puis je te ferai voir la superbe excellence Des effets merveilleux de ma haute puissance, Qui font bruire partout le mien renom sacré. Sonnet 141 TOut ce que la nature a de plus précieux, Par un divin secret en la fosse profonde De son sein est caché, et n'apparaît au monde Qu'un seul échantillon de ses biens gracieux. Je confesserais bien que l'émail des hauts cieux, Surpasse le plus beau de la terre féconde, Mais ce qui est caché dessus sa voûte ronde, Est plus, que le plus beau de ses feux radieux. Il fait beau voir la terre et ses fleurs toutes pleines Mais son or plus exquis est caché dans ses veines, Ses jaspes, ses saphirs, et rubis reluisants. La mer cache aussi bien sous ses ondes broueuses Ses poissons, son corail, ses perles précieuses, Comme Christ sous sa chair mille riches présents. Sonnet 142 TOut ce que ma Christine a de plus excellent, Est caché au dedans de son âme immortelle, Et le ciel entourant la terre universelle, N'a rien de plus exquis au sein étincelant. Louange qui voudra son double oeil ruisselant, Ce cristal retaillé en forme d'une perle, Ou bien l'or blondissant de sa perruque belle, Ou l'ivoire du front, ou du pied sautelant: Louange qui voudra ses lèvres coralines, Ou de son sein poli les mamelles sucrines, Et toutes les beautés que l'on voit au-dehors: J'embrasserai toujours cette divine grâce, Qui reluit en l'esprit de sa céleste face, Qui peut ressusciter les hommes déjà morts. Sonnet 143 AInsi que le Soleil dardant de sa lumière Les rayons éclairants, sur le large travers De cette terre basse, éclaire à l'Univers, Chassant par sa clarté la noire nuit arrière, Puis réchauffant au sein de cette nourricière, La semence jetée en mille lieux divers, Fait germer fleurs et fruits, herbes et arbres verts, Qu'il prodigue aux humains d'une main aumonière, Ainsi Christ mon époux le Soleil de mon âme, Éclairant mes esprits de sa divine flamme, Chasse du vil péché la noire obscurité, Puis réchauffant mon sein de sa chaleur divine, Engendre mille fruits au fond de ma poitrine, Sucrés du sucre doux de vie et vérité. Sonnet 144 AInsi que des hauts cieux la Lune toute ronde De son cercle éclairant la moitié des bas lieux, Peint la voûte du ciel d'un azur précieux, Et réjouit le feu, la terre, et l'air, et l'onde, Ainsi, ainsi Christine à la perruque blonde, Qui la Lune obscurcit du flambeau de ses yeux, Découvrant le vermeil de son teint gracieux, Réjouit les humains de l'un et l'autre monde. Ma Christine est ainsi que le clair d'un croissant, Sur les astres du ciel toujours apparaissant: Comme un grand feu flambant parmi des étincelles. Ma Christine est ainsi qu'un lis entre les fleurs, Et comme l'écarlate entre toutes couleurs, Et comme une Marie au parmi des pucelles. Sonnet 145 S'Il fait beau voir en terre un Olivier fertile, Ou le vert d'un Cyprès dans les nues des cieux Élever peu à peu leur chef audacieux, Pour voisiner du ciel cette voûte mobile, Et de là ombrager un courant qui frétille Sur le sable mouvant en mille et mille lieux, S'il fait beau voir les lis, les oeillets gracieux, Se mêler en tortis d'une façon gentille: S'il fait beau voir encore un vase d'or exquis, Enrichi tout autour de balais et rubis, De perles, de saphirs et d'opales vermeilles. Si fait-il plus beau voir Christ mon époux loyal, Chevauchant sur la nue en parement royal, Pour de Christine voir les beautés nonpareilles. Sonnet 146 S'Il fait beau voir la Lune en son rond toute pleine, Lorsque la noire nuit cache le clair Soleil, Tapissant terre, et mer, et ciel d'un beau vermeil, Qui réjouit le ciel, et la mer, et la plaine: S’il fait beau voir aussi l'étoile qui ramène Du Soleil la clarté, d'un rayon nonpareil, Appareiller au ciel un autre jour pareil À celui qu'un croissant parmi le ciel promène. S'il fait beau voir encor cent millions de roses, Parmi les lis plus blancs entièrement décloses, Embellir un printemps de cent mille beautés. Si fait-il plus beau voir ma Christine loyale, Se promener en terre en sa coche royale, Et recevoir de Christ cent mille privautés. Sonnet 147 SI quelqu’un peut nombrer de la mer orgueilleuse Tout le sable mouvant en ses gouffres hideux, Et remarquer du doigt ce centre merveilleux, Sur qui tourne du ciel la plage lumineuse, Si quelqu’un peut nombrer cette troupe nombreuse De feux étincelants dans la voûte des cieux, Si quelqu’un peut du bras sonder l’abîme creux, Et mesurer le long de la terre poudreuse, Celui-là peut nombrer de mon époux les jours, Celui-là peut nombrer de ses ans tout le cours, Celui-là peut nombrer l’infini de ses grâces: Celui-là peut sonder l’abîme de son coeur, Et la force alentir de son bras belliqueur, Qui découvre aux humains du ciel voûté les traces. Sonnet 148 SI quelqu’un peut cueillir en comptant un à un, Cent mille millions de gouttes de rosée, Dont l’herbe est au Printemps doucement arrosée, Quand le serein des cieux tombe sur un chacun: S’il peut lorsque le ciel changeant son blanc en brun, Couvre d’un voile noir cette terre exposée À l’ardeur de la chienne aux hauts cieux embrasée, Compter le dru coulis de l’orage importun: Celui-là peut nombrer les beautés immortelles, Celui-là peut nombrer les vertus éternelles, Qui décorent Christine et dedans et dehors: Sa Foi, sa Charité et sa Persévérance, Ses Justices sans nombre avec sa Patience, Qui sont ses beaux rubis et plus riches trésors. Sonnet 149 NOn, non quand ce serait ce doux-divin poète Du fond des reins duquel mon Christ est descendu, Qui sa harpe animât d'un chant bien entendu, Du langage du ciel très-fidèle interprète, Non, non, quand ce serait cet excellent prophète Qui la mer rouge en deux d'une verge a fendu, Et son peuple sur bord franc de mort a rendu, Qui enflât le tortu de sa claire trompette, Si ne pourraient-ils pas de leur son divin-doux, Suffisamment sonner de mon loyal époux Les beautés, les bontés, et vertus immortelles: Si ne pourraient-ils pas suffisamment sonner L'or frisé de son chef, ni assez entonner Les rayons flamboyants de ses deux étincelles. Sonnet 150 NOn, non quand ce serait ce brave Tyrien Qui domptant au burin l'or, l'airain, et le cuivre, Son renom a gravé dedans le Sacré livre, Par son ouvrage exquis que l'âge a mis a rien: Non, non quand ce serait l'honneur Assyrien Qui fit par l'Univers le nom Tyrien vivre, Par son ouvrage exquis, qu'il sut tant bien poursuivre, Que tout autre entrepris cédait au beau du sien, Qui voulussent graver la vive portraiture, De celle qui surpasse, et l'art, et la nature, Et leur renom par là en terre éterniser: Si ne pourraient-ils pas de ses beautés la moindre, Que le ciel a daigné dessus sa face peindre, De leur ciseau meilleur assez bien enciser. Sonnet 151 L'Eternel Dieu régnant sur la voûte des cieux, Ayant abandonné à la mort violente De son Christ son aîné, l'humanité dolente, Pour damner en sa chair le péché vicieux: Et les hommes cruels dans son sang précieux Ayant trempé leurs bras d'une rage insolente, La terre de l'horreur encor toute tremblante, Pour sépulture offrit son sein plus gracieux. Puis le jour par trois fois ayant cerné la bière, Et la nuit à son tour de sa noire carrière, J'ai vu sortir le mort tout vivant du tombeau. Tout ainsi le prophète appât de la baleine, Fut vomi franc de mort, plein de force et d'haleine, Après trois jour passés dessus le bord de l'eau. Sonnet 152 L'Eternel Dieu régnant sur la ronde machine, Qui contemple de là le rond de l'Univers, Voyant le roux dragon aux sept chefs d'or couverts, Qui l'horreur d'un torrent lâchait de sa poitrine, Cuidant au plus profond enfondrer ma Christine, Qui redoutait l'effort de ce monstre pervers, Fit de la terre ouvrir l'abîme en lieux divers, Et ce fleuve engloutir par sa vertu divine. Elle qui du Soleil était environnée, Et des ailes d'un aigle aux côtés empennée, S'envolant fuit l'effort de ce monstre orgueilleux. Ainsi après sept mois la sainte Arche flottante Sur l'effroi du déluge, échappa la tourmente, Sauvant le bon Noé du gouffre périlleux. Sonnet 153 JÀ déjà le Soleil le grand flambard du monde, Porté royalement sur son char radieux, Redorait de son jour la terre en mille lieux, Retirant peu à peu son chef de dessous l'onde, Quand l'éternel Soleil Dieu de la terre ronde, De qui la nuit de mort cillait tous les deux yeux, Pénétra son obscur de ses rais glorieux, Pour luire après la mort d'une clarté seconde. Le Soleil est héraut de l'Eternel Soleil, Qui découvre aux humains le beau de son vermeil, Car de son jour il prend sa chaleur et sa flamme. Ce Soleil éternel dans les cieux fait séjour, Chassant la noire mort du luisant de son jour, Qui perce de ses rais jusques au coeur de l'âme. Sonnet 154 JÀ déjà le Soleil de sa blonde lumière, Avait plus d'une fois, cerné tout à l'entour De cette terre ronde, et la Lune à son tour Deux fois avait montré sa lueur coutumière, Quand Christine aperçut la clarté matinière, De son divin Soleil, qui faisait de son jour Un Orient luisant, du céleste séjour, Dans le coeur de son coeur d'une lueur plénière. Christine en son beau teint est la Lune des cieux, Qui de Christ son époux son Soleil gracieux Reçoit en sa rondeur sa clarté toute pleine. Si de Christ le luisant pouvait être empêché, D'éclairer ces bas lieux par le roc du péché, Sa Christine on verrait de clarté vide et vaine. Sonnet 155 TU sois le plus beau jour des beaux jours de l'année, Ton lever ne soit point de nuage brouillé, Ni ton midi luisant d'obscurité souillé, Ni ton couchant aussi de couleur basanée, De vieillesse ne soit ta couleur surannée, Ni par l'âge le beau de ton beau teint brouillé, Ton crépuscule avec de rosée mouillé, Blanchisse de la nuit la perruque tennée: Que les lis, les oeillets, les romarins, les roses Soient toujours, et toujours dedans ton sein décloses. Bref que ton jour soit jour éternel et sans nuit: Puisque tu m'as rendu la lueur coutumière, Du Soleil sans lequel du monde la lumière N'est aux hommes mortels qu'un éternel minuit. Sonnet 156 TU sois sans nuit, ô nuit, et pure, et nette, et blanche, Que toujours la clarté de ton cornu croissant, Aille dedans le ciel en rondeur accroissant, Tant que ta Lune soit de cornes vide et franche, Que ton calme serein à pleine main épanche Avecques son cristal, un Printemps tapissant D'un beau passe-velours, en pourpre fleurissant, Ce globe sur lequel tout le ciel voûté penche. Entre toutes les nuits tu sois la nuit première, Tu sois jour et non nuit par ta grande lumière, Bref ta nuit soit sans nuit le midi d'un Soleil, Puisque tu me fais voir en rondeur toute pleine, Ma Phèbe qui soûlait d'une roche hautaine, Cacher une moitié de son beau teint vermeil. Sonnet 157 QUand mon époux vivait, une mort éternelle Emprisonnait mon âme, et ma chair, et mon sang: Quand il était au ciel, j'étais dedans l'étang Qui jette soufre ardent, feu et flambe mortelle. Mon époux étant mort j'ai eu vie immortelle, Et par son noir enfer le ciel pur net et blanc. Ô trop sévère Loi! qui asservis le franc, Pour la serve affranchir d'une liberté telle: Tôt après que sa chair pour mon injuste tort, Eut voûté sa grandeur sous l'Enfer et la mort, Je vis voûter l'Enfer et la mort sous sa vie. Son corps ayant rompu le sépulcre cavé, Malgré les Enfers creux fut au Ciel élevé, Où sa chair par sa mort maintenant me convie. Sonnet 158 QUand je vivais au ciel d'une éternelle vie, Ma Christine mourait en terre sans secours. Quand j'eus borné mes ans dans un nombre de jours, Dedans l'éternité Christine fut ravie, Pour la mettre en repos j'ai mon âme asservie Au travail qui meurtrit de mon âge le cours, Je ne remporte donc du fruit de ses amours, Qu'ennui, travail, et mort qui au ciel la convie. Elle a par mes ennuis l'esprit toujours dispos, Mon travail lui apporte un éternel repos, Ma mort meurtrit sa mort d'une mort violente. Mais telle mort m'est vivre, et tel ennui plaisir, Et tel travail repos, si je puis à loisir Me mirer dans les yeux de sa face excellente. Sonnet 159 JE le confesse, hélas! qu'elle était Hétienne Celle qui me conçut, et qui premièrement Me fit sucer le lait de son avortement, Au pays qui nourrit la gent Chananéenne. Je confesse encor plus, que ma mère Païenne Au jour malencontreux de son accouchement, Ne coupa mon nombril, et n'eut aucunement Soin de laver le sang de la souillure mienne. Ainsi pauvre, ainsi nue, ainsi sale, ainsi orde Je fus jetée aux champs, et par miséricorde Nul ne me regarda, fors toi, ô cher Époux! Tu me dis en passant, ha laide créature! Tu vivras en ton sang, et couvris ma laidure. Pourquoi donc maintenant s'embrase ton courroux? Sonnet 160 JE le confesse hélas! qu'ému de ton offense Mon oeil ne peut te voir comme il fit quelquefois, Lorsque d'un coeur dévot tu révérais mes lois, Sans refuser le frein de ma haute puissance. Maintenant que je vois que par outrecuidance Tu bouches ton oreille, et rejettes ma voix, Pour adorer les dieux d'or, de marbre et de bois, Penses-tu abuser encor de ma clémence? Tu sais que tu étais immonde, sale et nue, Tu es multipliée, et grande devenue Comme l'herbe des champs, et ce par mon moyen, Je te vêtis de lin, de soie et broderie, Je t'enrichis aussi de toute pierrerie. Pourquoi donc te plains-tu, ayant tant pris du mien? Sonnet 161 JE reconnais ma faute, et vers vous me viens rendre, Vers vous, mon cher Époux, venez me secourir, Je sens mon mal mortel, ne me laissez mourir, Et ne me dédaignez encor que je sois cendre: Mes péchés sont trop grands, je ne les puis comprendre Et sans votre merci je suis prête à périr. Périrai-je pourtant, qui ne veux recourir Qu'à l'Asile assuré de votre pitié tendre? J'ai commis adultère avec le bois et l'or, J'ai folle dissipé votre riche trésor, J'ai pollué le lit de notre mariage. J'ai fait tout le rebours de ce que je devais, Et ne me reste rien de tout ce que j'avais, Qu'un grain de Foi germant dedans votre héritage. Sonnet 162 JE reconnais vraiment que ta Foi n'est pas morte, Et qu'il lui reste encor quelque peu de vigueur, Qui germe et croît en herbe au Jardin de ton coeur, Et jà monte en tuyau d'une vertu plus forte. Si tu veux qu'en épi sa tige monte et sorte, Et rompe le fourreau de ma juste rigueur, Qui retient justement tes esprits en langueur, Arrose-la de l'eau qu'en mes vaisseaux je porte. As-tu de ma justice à ma miséricorde Appelé hardiment, Christine je l'accorde: Je ne te veux nier vers moi aucun accès. Tu dis avoir failli, mais que j'ai pour ta faute En ma chair satisfait à ma justice haute: Il est vrai, je paierai les dépens du procès. Sonnet 163 QUand libre je vivais franche des passions, Qui ores mon vouloir rudement tyrannisent, Et ma raison plus forte à leur vouloir maîtrisent, J'étais exempte aussi de tant d'afflictions: Mais depuis qu'asservi j'eus mes affections Au diable et au péché, qui dans mon coeur attisent Mille cuisants désirs, qui mille maux produisent, J'ai vu tout le rebours de mes intentions. Si le Fils qui est franc me rend ma liberté, Je dépite Satan et toute sa fierté, La mort, le ver rongeant et l'Enfer je dépite: Je dépite l'horreur du péché que j'ai fait, Si Christ un jour permet me baigner à souhait, Dans le fleuve sacré de son divin mérite. Sonnet 164 QUand libre je vivais en l'immortelle gloire, Franc de chair, franc de mort, franc de peine et souci, Christine que tant j'aime était esclave ici De chair, et de péché, et de mort triste et noire: Quand ma chair par la mort eut du péché victoire, Et de mort, et de chair, et de péché aussi J'affranchis ma Christine, et au marbre adouci De son coeur, j'engravai de mes faits la mémoire. Celle qui pour avoir abusé follement, De cette liberté qu'elle eut premièrement, Avait sa liberté à un autre soumise: Pour s'être puis après asservie à son Christ, Lui soumettant par Foi, coeur, corps, âme et esprit, Jouit serve, à jamais d'une douce franchise. Sonnet 165 SI j'approche ce mont à la croupe gemelle, Qui tremble et qui gémit sous l'éclat foudroyant D'un tonnerre enroué, fièrement poudroyant De son foudre brutal cette double coupelle: Si j'ois tonner d'en haut cette voix immortelle, Qui pousse devant soi un éclair flamboyant, Avec un tourbillon en toupil tournoyant, Qui menace en grondant de mort l'homme infidèle: Si j'ois retentir l'air au son d'une trompette, Qui bruit si hautement, que même le Prophète Au visage de jour, en frémit quelquefois, Je sens un tel horreur, qu'une pâle froidure Vient courir dans mes os, qui mon coeur enfroidure, Et me ravit le pouls, et l'haleine, et la voix. Sonnet 166 SI j'approche ce mont qui courbe volontiers Dessous Hiérusalem cité céleste et pure, Qui ses palais d'or pur de Jaspe riche emmure, Fondé sur Diamants et Saphirs tous entiers: Qui loge heureusement les Anges à milliers, Et les hommes élus sous même couverture: Qui de son gré produit sans nulle agriculture L'Arbre qui donne vie aux bons et droituriers: Et qui douze huis aussi bâtis de fines perles, Tient tout arrière ouverts, afin que les fidèles Entrent au plus secret du temple de l'Agneau: Et si là j'aperçois Christine belle et blonde, Qui nageant dans le lait se blanchit en son onde, Je ne sache plaisir ni plus grand, ni plus beau. Sonnet 167 IL m'en souvient fort bien, il était lors Dimanche, Quand je fus en esprit hors ces terrestres lieux, Ravie au plus secret du plus hautain des cieux, Où je vis l'engendré de l'Éternelle hanche. Son chef était plus blanc que la neige n'est blanche, Deux brandons très luisants sortaient de ses deux yeux, Et de sa bouche ronde un couteau furieux, Tranchant des deux côtés du bout jusques au manche. Sa grosse voix bruyait de la même manière, Qu'on oit bruire l'orgueil d'une grande rivière, Enflée outre ses bords des torrents amassés: Il portait engravé en sa cuisse gemelle, Le premier, le dernier, Dieu, Père et Roi fidèle Des siècles à venir, et des siècles passés. Sonnet 168 IL m'en souvient fort bien: car lors en la campagne Royalement monté sur un beau coursier blanc, Je faisais chevaucher près de moi flanc à flanc L'exercite du ciel, qui partout m'accompagne: Et je vis au coupeau d'une haute montagne, Celle qui nage et boit au fleuve de mon sang, Qui des deux pieds foulait le Dragon dans l'étang Qui regorge de feu, et la mort sa compagne, D'un glaive flamboyant qu'en sa main j'avais mis, Ayant coupé le col de ses fiers ennemis, Elle appendit leurs chefs en signe de victoire: Puis d'un chant tout dévot par elle retenté, De mes armes le los fort loin fut éventé, Me donnant du combat tout l'honneur et la gloire. Sonnet 169 CE chef d'or ondoyant sur le blanc col d'ivoire, Qui s'assied rondement sur l'albâtre bruni Du corps tant bien formé, et proprement uni Aux pilastres marbrins, si beaux qu'on saurait croire: L'or aussi des deux pieds enrichis de la gloire D'Onyx orientaux: ce tendre front garni D'un beau sourcil d'Ébène, en demi-rond fini, Font vivre mon Époux toujours en la mémoire. C'est celui qui la mer touche de son pied dextre, Qui sur la terre ronde étend son pied senestre, Qui touche de sa main le Ciel haut élevé. Qui enfante en parlant sept tonnerres horribles, Qui son nom et le mien par ses gestes terribles, A ici, et au Ciel en mille lieux gravé. Sonnet 170 CE gracieux maintien, cette Angélique face, Ces gestes graves-doux compassés au niveau Des plus rares vertus, qui servent de flambeau Pour guider mes élus droit au port de ma grâce: Ces pieds chaussés de paix, de la paix qui efface Toutes larmes des yeux, qui du ciel clair et beau Montre aux fils de Christine un sentier tout nouveau Sont les belles beautés que toujours je pourchasse. Celle qui de son père a le sang généreux, Le courage hardi, et le bras belliqueux, Qui se montre en tout temps aux dangers immuable, C'est celle que toujours je poursuis ardemment, Et celle belle encor que j'aime tendrement, Et qui seule est aussi à mes yeux agréable. Sonnet 171 CEstui-là que je vis dans le ciel très-luisant, Sur un trône d'or pur de beauté admirable, Avait les yeux ardents, et le regard semblable À Jaspe, ou à Sardoine, ou Cristal reluisant: Quatre animaux pleins d'yeux le louait en disant, Saint, Saint, Saint, tout-puissant, tu es seul immuable: Deux fois douze Anciens d'un maintien vénérable, Retentaient sur la harpe un autre accord plaisant. L'arc du ciel varié se voûtait en courtine, Sur ce trône, plus clair que l'Émeraude fine, Dont tonnerres, et voix, et éclairs procédaient. Là sept lampes de feu étaient toujours ardentes, Qui de Phare servaient aux âmes doux flottantes Sur l'onde de cristal, et au port les guidaient. Sonnet 172 CEtte-là que je vis grande et grave Princesse, Avait à ses côtés cent mille millions D'Empereurs, Rois et Ducs de toutes nations, De Princes, de Seigneurs et de belle noblesse: Tous courbés à ses pieds la clamaient leur maîtresse Esclaves devenus de ses perfections, Et elle s'égayant de leurs dévotions, De l'oeil les chérissait du milieu de la presse. Tous ceux-ci pour avoir ployé dessous ses lois, De blanc crêpe vêtus, couronnés comme Rois, Possédaient en commun le ciel sans jalousie. Là l'Époux leur donnait dedans l'or blondoyant, Sa blanche chair sucrée, et son sang ondoyant Le Nectar des Élus, et la douce Ambroisie. Sonnet 173 SOus le sépulcre creux la vie était captive, Et la mort sur son chef fièrement tempêtait, Qui la chair sous ses pieds çà et là agitait, Quand Christ brisa son fort par sa chair deux fois vive. Alors on pouvait voir une clarté naïve, Qui l'obscur du tombeau loin de soi écartait, Et de ses rais épars un midi apportait, Chassant la nuit de mort qui rend la chair craintive. Ô bienheureuse mort! ô sainte passion! Qui produit de la chair la résurrection, Par la chair qui du ciel a pris son origine: Ne crains donc plus, ma chair, de la mort la rigueur, Car Christ ressuscité reprend vie et vigueur, Et lave ton péché de son eau cristalline. Sonnet 174 SOus l'importable faix de deux monstres terribles Christine était captive et ses enfants aussi, Qui étreignaient leurs coeurs d'un éternel souci, Lequel les déchirait par tourments très-horribles. Le péché les perçait de pointes invincibles, Et la mort coup sur coup martelait sans merci, Du marteau de la Loi, sur l'enclume noirci, Des Enfers foudroyants, leurs âmes invisibles. Pour mettre en liberté Christine et ses enfants, Et les rendre à jamais dans le ciel triomphants, En mourant j'ai meurtri du péché la malice: Ma chair morte a meurtri la mort et les Enfers, Ma chair ressuscitée a brisé les gros fers, Qui captivaient sous eux la vie et la justice. Sonnet 175 MEure cent, et cent fois Christ mon loyal époux, Je ne puis par sa mort sinon mourir encore, Si sa mort de ma mort la force ne dévore, Qui martèle ma chair de mille et mille coups. Mais si l'esprit de Christ mu d'un juste courroux, Vient étendre son bras que tout le ciel adore, Pour assommer la mort de sa chair que j'honore, Je dépite la mort et le vieil serpent roux. Sa mort est de ma chair la mort toute présente, Mais cette seule mort mon esprit ne contente, Qui désire de vivre immortel dans les cieux. Et pourtant Christ vaincu, et vainqueur tout ensemble Ressuscitant des morts, la chair morte rassemble À l'esprit immortel, qui la porte aux saints lieux. Sonnet 176 MEure cent, et cent fois ma blanche colombelle, Que le méchant meurtrier au courant de son sang Trempe cruellement, et l'un, et l'autre flanc, S'égayant en son coeur d'une victoire telle, Si ne peut telle mort par sa rage cruelle, Ma colombe priver du ciel pur, net et blanc, Cette mort n'est point mort, qui l'esprit libre et franc De tout ennui renvoie en la vie éternelle. Le feu, l'eau, le couteau, la corde et le tombeau Ne ternissent le teint de son plumage beau, Et les saints de sa mort malgré la mort renaissent: Ainsi que du Phénix le sépulcre poudreux, En engendre un nouveau de son germe cendreux, Devant les yeux du ciel, qui au ciel apparaissent. Sonnet 177 JE dépite la mort et toute sa puissance, Qui morte est maintenant dessous une autre mort, Qui forçant bravement son imprenable fort, A trempé dans son sang l'aiguisé de sa lance. Rends les armes, ô mort, fais des morts délivrance, Que tu tenais captifs sous ton bras raide et fort, Cil que tu as meurtri a brisé ton effort, Se vengeant par sa mort de ton outrecuidance. Tu as courbé sous toi le saint Adam céleste, Mais sa mortelle mort est ta mortelle peste, Qui du sépulcre creux a brisé le pouvoir. Je le vois, je le vois au plus haut de sa gloire, Portant au front gravé l'honneur d'une victoire, Qui le rend redoutable aux ennemis à voir. Sonnet 178 JE dépite d'Enfer cette gueule gourmande, Trois fois horriblement à Christine aboyant, Puisque par mon enfer de l'Enfer foudroyant J'ai faussé bravement la force la plus grande. Rends-toi, horrible Enfer, à celle qui commande L'air, la terre, et la mer, et le ciel flamboyant: Car étant pris aux rets de ce chef ondoyant, De toi pour ma rançon je lui fais une offrande. Celle qui redoutait ton soufre injurieux, Possède le vaincu et le victorieux, Le vaincu sous ses pieds, le vainqueur en son âme. Je la vois, je la vois sur la voûte des cieux, Remplir du fleuve saint ses vaisseaux précieux, Pour éteindre l'ardeur de ta vengeuse flamme. Sonnet 179 QUi est ce brave Duc qui sur l'épaule porte L'importable fardeau d'une pesante croix, Portant en sa devise écrit le Roi des Rois, Et de cette grand' croix fausse des cieux la porte? Qui sur un char monté d'une royale sorte, Écartèle les cieux en plus de mille endroits, Et fait entrer à foule à mille, et mille fois, Ceux qui suivent le train de sa brave cohorte? Et qui pour honorer son triomphe royal, Mène serfs et captifs le Péché déloyal, Enfer, Satan, la Mort et leur force bourrelle? C'est le Roi éternel de la terre et des cieux, Qui guerrier a forcé leur fort pernicieux, Et entre maintenant en sa gloire éternelle. Sonnet 180 QUi est cette beauté angélique et céleste, Qui de toutes beautés la plus belle apparaît, Cette Phèbe du ciel qui jamais ne décroît, Et que le clair luisant du Soleil ne moleste? Qui au plein du midi sa clarté manifeste, Et qui par sa lueur divinement accroît De ces astres luisants, qu'au ciel on reconnaît Sur l'obscur de la nuit, la beauté pure et nette? Cette belle beauté qui tout ce qui est ord, D'un glaive à deux tranchants découpe et met à mort, Et saute des Enfers en l'immortelle gloire? C'est Christine au beau chef qui volant après moi, Ailée aux deux côtés des ailes de la Foi, Ne craint plus les enfers, ni la mort sombre et noire. Sonnet 181 ENcor que du Soleil la chaleur violente Ait pillé le vermeil de ma blanche couleur, Qui excellait le beau de la plus belle fleur, Que Zéphire au Printemps de son haleine évente, Ma beauté pour cela ne semble moins plaisante, À quiconque entend bien que la vive chaleur Du Soleil m'a noircie, et mon teint chasse pleur, Ressemble en sa beauté de Salomon la tente. Les riches pavillons des Nomades Pasteurs, Pourfilés de fil d'or, pleins de douces senteurs, Cèdent à la beauté de ma brunette face. Car ce Soleil cuisant qui mon vermeil ternit, Est le persécuteur qui me tue et bannit, Et rien pour tout cela de mon lustre n'efface. Sonnet 182 ENcor que le pourpré de mon rouge manteau Égale pour le moins la couleur rougissante, De ceux qui ont foulé la grappe gémissante, Dessous leurs pieds trempés dedans son sang nouveau: Quoique j'aye mouillé de sang, ainsi que d'eau, Mes vêtements mollets, et ma dextre puissante Ait trempé dans le sang sa darde punissante, De ceux qui captivaient mon fidèle troupeau: Si ne suis-je pourtant de rien moins agréable, Moins doux, moins gracieux, moins beau, moins délectable À celle qui sous pieds a le monde soumis. Qui sait pour tout certain que j'ai pris cette peine, Pour elle qui de maux et d'ennuis toute pleine, Ployait sous la merci de ses fiers ennemis. Sonnet 183 QUi est ce grand guerrier tout couronné de gloire, Chevauchant bravement un coursier net et blanc, Qui porte sur l'épaule un manteau teint de sang, Le triple-riche honneur d'une insigne victoire? Et de son bras puissant, plus blanc que blanche ivoire, Fait ployer bravement, et marcher tout de rang Les gendarmes du ciel près de son double flanc, Portant son nom gravé au fond de leur mémoire? Qui couronnant d'or fin son beau chef ondoyant, Porte dedans sa bouche un glaive flamboyant, Qui le rend aux humains terrible et redoutable? C'est l'époux éternel, qui de ses doubles yeux Enfante à l'Univers deux Soleils radieux, Et se nomme partout fidèle et véritable. Sonnet 184 QUi est cette céleste et divine figure, Qui apparaît du ciel en ces terrestres lieux, Ayant autour de soi d'un Soleil radieux, Pour son lustre enrichir, le clair qui toujours dure? Qui a dessous ses pieds la Lune blanche et pure, Et douze astres luisants sur son chef glorieux, Qui des rayons flambants de ses doux-divins yeux, Chasse dans les Enfers d'erreur la nuit obscure? Son col est haut et droit comme une tour d'ivoire, Ses beaux cheveux pourprés éternisent sa gloire, Tout ce qui est en elle est plus beau que le jour. C'est l'épouse céleste et toujours bien-aimée, Qui de baume et d'encens doucement parfumée, Vit sans pouvoir mourir en l'Éternel séjour. Sonnet 185 ENfers, fermez l'horreur de votre gueule gloute, Puisque Christ a ouvert la porte des hauts cieux, Et que dessus le char de son corps précieux, Il a porté la chair qui plus ne vous redoute: Enfers, fermez le puits de votre abîme, et toute Votre horrible prison: le monstre audacieux Lequel rongeait la chair d'un ennui soucieux, Ores dessous la chair son pouvoir ploie et voûte. Le Christ qui pour ma chair en sa chair blanche est mort, A meurtri le péché et la cruelle mort, Qui armaient à son dam votre force bourrelle. Dans le Ciel sur la nue il est monté d'ici, Où il vit franc de mort, de peine et de souci, Et donne à cette chair une vie éternelle. Sonnet 186 ENfers, fermez l'horreur de votre abîme creux, Puisque Christine au ciel ayant vie immortelle, Pétille sous ses pieds cette mort éternelle, Qui armait la rigueur de votre trou affreux. La mort avec la vie ont partagé en deux, Tout cela que péché, sous sa force cruelle, Captivant fièrement d'une rage mortelle, Abîmait au profond de votre Orque hideux. Vous n'aurez désormais pour soûler votre rage, Que ceux-là que la mort vous livre pour partage, Qui n'ont voulu blanchir leurs robes dans mon sang. Mais le ciel jouira de la fidèle troupe, De ceux qui n'ont goûté du venin de la coupe, Que la vie a ornés de crêpe net et blanc. Sonnet 187 FAsse tant que voudra l'Enfer gronder et bruire L'épouvantable effroi de son gosier gourmand, Fasse tonner l'horreur de son ventre truand, Fasse ce qu'il pourra pour tâcher à me nuire, Qu'il crève de dépit, son coeur bouillonne d'ire, De voir monter au ciel sur un char flamboyant, Celui qui de la mort va la force ployant, Je ne puis de son mal sinon chanter et rire. Rends-toi à la merci de ce guerrier vaillant, Qui forçant du péché le pouvoir défaillant, Triomphe de la mort à ton propre dommage. Il a par sa vertu détruit mes ennemis, Il a leur fier pouvoir à mon pouvoir soumis, Et si me donne encor de leurs biens le pillage. Sonnet 188 FAssent mort et péché tant qu'ils voudront la guerre, À celle qui courbait sous leur bras inhumain, Par l'infidélité de l'infidèle main, Qui arracha le fruit du paradis en terre. Christine ne craint plus leur éclatant tonnerre, Puisque dedans l'enclos du Ciel doux et serein, Je lui fais contempler le Père souverain, Qui terre et mer et ciel dedans sa paume enserre. J'ai mené bravement ses ennemis captifs, Péché, la Mort, l'Enfer, qui pâlement craintifs Baissent leur chef vaincu sous sa dextre puissante. Lorsqu'ils cuidaient forcer mon imprenable fort, Et ma vie opprimer d'une éternelle mort, Ils ont senti sur soi ma force punissante. Sonnet 189 LE Nectar doux coulant de la grappe pressée, Qui peut dedans l'étang de son jus gracieux, Submerger le mortel d'un ennui soucieux, Qui ronge l'embonpoint de quelque âme oppressée, Ne peut chasser si loin de mon âme offensée, De quelque ennui rongeard, l'effort malicieux, Que d'un tout seul baiser le baume précieux, De cil qui est logé au sein de ma pensée. Ses baisers sont sucrés d'un sucre savoureux, Qui me rend et les miens d'icelui amoureux, Ô doux baisers, plus doux que la douce Ambroisie! Ces baisers amoureux sont cet étroit lien, Qui serre près de moi l'auteur de tout mon bien, Lequel m'a de tout temps pour épouse choisie. Sonnet 190 L'Odeur qui flaire doux, que le Liban apporte, Qui surpasse en douceur l'odeur Arabien, Voire de qui l'odeur, l'odeur égale bien Des plus douces odeurs que tout l'Orient porte, N'embaument l'air pendant d'une si douce sorte, Que le manteau pourpré de celle que je tiens, Liée avecques moi d'un éternel lien, Embaume terre et ciel de son odeur plus forte. Cet odeur qui s'épand ainsi par l'Univers, Est le renom du nom de Christine aux yeux verts, Qui fait bruire son los outre la terre et l'onde. Cet odeur s'élevant de la terre aux hauts cieux, Est l'oraison des fils de Christine aux beaux yeux, Qui pour jouir du mien abandonnent le monde. Sonnet 191 BElle et belle beauté que tout le ciel admire, Beauté plus belle encor que la même beauté, Beauté qui ne sut onc que c'est de cruauté, En qui tout le plus beau de la beauté se mire. Beauté, douce beauté, franche d'aigreur et d'ire, Beauté confite en miel de toute loyauté, N'ayant rien de fardé, ni de déloyauté, Qui de son beau le beau de ma beauté attire. Le beau de mon époux est blanc, clair et vermeil, Son teint est à la rose et au lis tout pareil, Son chef d'or est orné de beauté éternelle: Ses beaux cheveux frisés en nombre merveilleux, Sont ceux-là qui par Foi dans le ciel sourcilleux, Suivent le droit sentier de la vie immortelle. Sonnet 192 BElle et belle beauté, qui en beauté excelles Tout ce qu'on voit de beau par le monde univers, Beauté plus belle encor que cet émail divers, Qui reluit dans le ciel en cent mille étincelles. Tes deux astres luisants plus clairs que deux étoiles, De qui les deux rayons se montrent au travers De tes cheveux retors, me semblent ainsi verts, Que les yeux verdoyants des chastes colombelles. Tes beaux cheveux frisés sur ton col ondoyant, Sous la fierté du vent l'un sur l'autre ployant, Semblent le poil frisé des chèvres Galadites. Tes cheveux sont les fils au Seigneur séparés, Tes clairs yeux les voyants, lesquels aux égarés Enseignent le saint lieu de mes douces Charites. Sonnet 193 LE Poète Latin et le Grec babillard Tendent tant qu'ils voudront les cordes de leur lyre, Et d'un pouce tremblant les contraignent de bruire Les beautés d'Adonis, de Vénus le paillard: D'un son mieux accordé, plus saintement gaillard, Mon pouce contraindra mon luc voûté de dire Les beautés de celui que la beauté admire, Qui de son feu sacré mes esprits brûle et ard. Son rond ventre plus blanc que la plus blanche ivoire, Qui d'un saphir luisant redouble encor sa gloire, Ressemble du Printemps la naïve couleur: Ce ventre est le secret de tant de belles choses, Que Christ au cabinet de mon coeur a encloses, Qui excellent le blanc de la plus blanche fleur. Sonnet 194 LE Poète Latin, et le Grec mensonger Sur leur paillarde lyre éventeront la gloire, De Cyprine aux doux yeux, et d'elle la mémoire Volera sur leurs vers jusqu'au peuple étranger. Mais mon beau luc doré sera le messager, Qui vantera le los de ma Christine, voire Qui bruira le renom de ce beau col d'ivoire, Jusques aux derniers bouts du monde passager. Son teint est tout pareil à celui de l'Aurore, Sa beauté pure et nette est bien plus pure encore, Que n'est la Lune blonde et le luisant Soleil. Et néanmoins elle est mille fois plus terrible, Que n'est l'Ost arrangé d'un exercite horrible, Et l'Enfer n'ose voir de ses yeux le vermeil. Sonnet 195 LE Poète Grégeois chante et rechante encore, Le Cristal fils du pied du beau cheval volant, Je vanterai plutôt le doux Nectar coulant Du saint côté de Christ qui tous les cieux décore. Son sang lave mon sang, et ma chair ore, et ore, Sur l'aile de sa chair au ciel va bavolant, Sa mort dessus ma mort des deux pieds va foulant, Et son enfer l'Enfer de mon enfer dévore. Son haleine est un musc plus doucement flairant, Que toutes les odeurs qu'enfante l'Orient, Et sa bouche en parlant toute la terre embaume. Cette haleine embaumée embaumant l'Univers, Est le son gracieux de ses doux-divins vers, Qui seul peut amollir le marbre de notre âme. Sonnet 196 LE Poète Latin, et le Grec vantera Le beau plaisant Jardin des Hespérides belles, Et sur le doux accord de ses cordes nouvelles Le renom de ses fruits dans le Ciel portera. Mais tant que je vivrai mon luc ne chantera, Que la rare beauté des plantes immortelles, Qui naissent au Jardin de la fleur des pucelles, Qu'un Zéphire éternel toujours éventera. Là voit-on le safran et la lavande croître, Et l'encens odorant sur le myrrhe apparoître, Que le mont porte-Cèdre arrose de ses eaux. Que sur le char mouvant de leur plus douce haleine Auster et Aquilon portent au ciel sans peine, Toujours l'odeur naissant de ces sacrés rameaux. Sonnet 197 CIl qui dans les prisons de sa céleste grâce En toute liberté captive mes esprits, Qui sont de sa beauté divinement épris, Qui toute autre beauté de sa beauté efface, A son nom engravé au marbre de ma face, En belles lettres d'or, ouvrage de grand prix: Car il a doctement en ces deux mots compris La Vie et le Salut que par la Foi j'embrasse. Cestui seul qu'entre tous pour mon époux j'élis, Couronné d'or luisant repose entre les lis, Et les lis de leur fleur son beau chef blond couronnent. Le Jardin est le lieu de la Divinité, Où habite l'Époux régnant en Trinité, Et les Anges les lis qui sa gloire environnent. Sonnet 198 CElle qui des rayons de ses flamboyants yeux A percé le travers de mon âme immortelle, Qui captivent mes sens d'une puissance telle, Que pour eux je languis en ces terrestres lieux, D'une main ménagère a pillé tout le mieux De mes riches trésors, ma casse, et ma cannelle, Mon camphre, et mon aspic, et ma lavande belle, Mes roses, mes oeillets, et mes lis gracieux. Aussi le rais de miel de sa lèvre distille, Et un ruisseau de lait de sa langue gentille, Et ses accoutrements ne sentent que le musc. Le lait avec le miel sont sa douce éloquence, Et le musc le renom de sa haute puissance, Qui font trembler souvent les cordes de mon luc. Sonnet 199 TAndis que ce grand Roi qui tous les Rois couronne, Dessus son lit mollet reposait sa grandeur, Et que mon doux aspic parfumait la rondeur Du pourpre riche et beau qui son lit environne: Je voyais au milieu d'une exquise couronne De sept chandeliers d'or, un de qui la splendeur Des clairs yeux flamboyants, et des deux pieds l'ardeur Éclairait et brûlait doucement ma personne. En ce brave appareil des hauts cieux il sortait: Sept astres lumineux en sa dextre il portait: Et sa clarté rendait tout le Soleil éclipse. De peur dedans le corps tout le coeur me tremblait, Car le voyant si clair, de vrai il me semblait Voir cil qui est dépeint dedans l'Apocalypse. Sonnet 200 TAndis que je séjourne en mon Jardin fleureux, Pour recueillir le suc de mon myrrhe odorant, Et des autres odeurs l'odeur plus doux flairant, Que cestui-là que vend l'Arabien heureux: Tandis que je me pais de mon miel savoureux, Buvant le vin sucré, et le lait doux coulant, Viens belle en mon Jardin, en qui le ciel roulant Pleut cent mille trésors de son sein plantureux. Viens cueillir avec moi tous ces présents exquis Qui peuvent contenter tous tes divins esprits, Les immortalisant en l'Éternel séjour. Tes deux yeux sont ainsi que deux astres luisants, Tes beaux cheveux retors comme or fin reluisant, Bref ta beauté fait honte à l'étoile du jour. Sonnet 201 LE Prince & Roi de paix sur un grand trône blanc, Devant lequel s'enfuit, et le ciel, et la terre, Ayant vaincu la Loi qui me faisait la guerre, Et noyé mon péché dans le lac de son sang, Par les hérauts du Ciel fit appeler de rang, Et la Mort, et l'Enfer, qui les pécheurs enferre, Lesquels avec leurs morts d'un éclat de tonnerre Furent précipités au soufre de l'étang. Mais mes fils qui étaient écrits au Sacré livre: Furent portés au Ciel de mort franc et délivre, Pour jouir à jamais de l'immortalité. Là le Christ mon époux de sa fontaine vive, Leur esprit immortel lave, abreuve, et avive, Qui heureux et content vit dans l'Éternité. Sonnet 202 LA Princesse qui tient sous soi la Lune blonde, Qui du Soleil luisant entoure tout son corps, Qui porte sur son chef, au lieu d'un chapeau tors, De douze astres luisants une couronne ronde, Voyant le Christ assis, et juge, et Dieu du monde, Par les hérauts du ciel fit assembler ses morts, De blanc crêpe vêtus, qui de leurs doux accords Faisaient une musique à nulle autre seconde: Lors le Christ connaissant sa géniture chère, Embrassa doucement, et les fils, et la mère, Et grava sur leur front de son nom la grandeur: Puis il les fit entrer au secret de son temple, Où chacun vis à vis ores son Dieu contemple, Remplis jusques aux yeux de biens et de bonheur. Sonnet 203 REnds-toi péché mortel, car mon Christ ma justice, Pour mon vice sanglant au juge a satisfait: Rends-toi mortelle mort, Christ ma vie a défait Ton pouvoir seul vengeur de ma propre injustice. Rends-toi hideux Enfer, bourreau de ma malice, Car Christ des cieux venu pour purger mon méfait, Me donne place aux cieux. Rends-toi serpent infect, Le Lion de Juda m'a rendu Dieu propice. Qui sont ces monstres-là horriblement hideux, Qui liés pieds et poings, dolentement piteux Marchent après le char de ce Roi vénérable? Ce sont les ennemis que Christ a surmontés, Et leurs sanglants efforts à son vouloir domptés, Qu'il traîne après son char en triomphe honorable. Sonnet 204 REnds-toi à la merci de ce doux amoureux, Qui poursuit ta beauté, ô blanche colombelle! Rends-toi à sa merci, ô chaste toute belle! Si jouiras à gré de son Ciel très heureux: Si cueilleras pour toi en son Jardin fleureux, L'aspic, et le safran, le baume et la cannelle, Si jouiras des biens de sa gloire éternelle, Suçant des immortels le Nectar savoureux. Si rempliras encor tant que sois assouvie, Ton estomac béant de ce doux fruit de vie, Qui croît au Paradis sur le cristal des eaux. Il t'appelle en commun pour jouir de sa gloire, Il réserve pour toi le fruit de sa victoire, Viens belle, viens puiser au bord de ses ruisseaux. Sonnet 205 LA raison me défaut, quand la raison je sonde De l'abîme profond des ouvrages divers, De celui qui du doigt fait branler l'Univers, Et de rien a bâti ce long et large monde. La raison me défaut, quand la raison profonde Je cherche par raison de ses secrets couverts, Et de ses jugements qui mettent à l'envers De l'humaine raison la raison plus féconde. La raison me défaut, quand par raison humaine Je recherche pourquoi la bonté souveraine, A de péché guéri de péché la poison, Et pourquoi sur sa chair il a ma chair mortelle, Par la mort élevée en la vie immortelle, La Foi seule en mon Dieu est ma seule raison. Sonnet 206 LA raison de la chair, de l'esprit ennemie, Ne peut par sa raison comprendre l'infini, De cil qui a formé tout ce qui est fini, Au gré de sa sagesse en sa force affermie. Si la raison pouvait dedans l'Académie De son sens concevoir celui qui est uni En Trinité vrai Dieu, de son cercle infini La parfaite rondeur ne serait que demie. Si la raison pouvait par son sens concevoir Ce secret que les cieux n'ont pu apercevoir, Qui joint ma Déité à une chair de cendre, Ce secret ennemi de l'humaine raison, Serait connu de tous, et en toute saison, Mais la Foi seule en Dieu peut ce secret comprendre. Sonnet 207 TIre-moi après toi au céleste séjour, Porte-moi sur le char de ta chair immortelle, Doux ami, où le clair de ta vive étincelle Fait sans aucun minuit le midi d'un plein jour. Tire-moi sur ce mont qui découle à l'entour, Le doux miel regorgeant d'une source éternelle, Et le blanc lait coulant d'une façon nouvelle, Qui cerne tout ce mont d'un large et long détour. Ce mont donne lavande, aspic, safran et lis, Thym, roses et oeillets tout fraîchement cueillis, Et couronne son chef de mille autres fleurettes, Portant sur son coupeau douze beaux arbres verts, Qui courbent sous le faix de mille fruits divers, Qui servent d'Ambroisie aux fils de tes Prophètes. Sonnet 208 TIre du côté droit au haut de la montagne, Le chemin est étroit, sueux et gourd-foulant, Emprunte de la Foi le chariot volant, Prends l'Espérance encor pour fidèle compagne, Tu trouveras au haut une pleine campagne, Qui franche de l'horreur du tonnerre grondant, De l'orage mutin, et de l'éclair brillant, Produit oeillets et lis que le clair cristal baigne, Enfonce hardiment les portes du palais, Vois comme tout reluit de Rubis et Balais, Tous ces biens sont à toi, car l'Époux te les donne. Marche deux pas encor dedans l'Éternité, Goûte le doux Nectar de l'immortalité, Malgré la noire mort, puisque ton Christ l'ordonne. Sonnet 209 ÉTernel qui te sieds sur la plage éthérée, Qui remplis terre et ciel de ton infinité, Qui engloutis les temps par ton éternité, Qui enclos en ton poing cette sphère azurée: Éternité qui n'es par l'âge mesurée, Tout bon, tout saint, tout pur, Père en la Trinité, Qui ne détruit pourtant ta divine unité, Père, source et surgeon de gloire bien-heurée, Qui de toute action es principe et auteur, Et de tout ce grand tout tout-puissant créateur, Invisible, immortel et incompréhensible, Œillade cette fois l'Épouse de ton Fils, Et rends ses ennemis sous elle déconfits, D'un seul branler du doigt puisque tout t'est possible. Sonnet 210 SAuveur de l'Univers, Père du firmament, Fils éternel de Dieu, parole essentielle, Qui as l'être du Père, et qui es éternelle, Seul du Père engendré dès le commencement, Qui étais chez le Père avant que l'élément De l'air cernât en rond la terre universelle, Qui as formé la claire et luisante étincelle Qui est du jour fuyard le luisant ornement, Ô divine bonté! ô sage sapience! Qui est d'avant les temps en l'Éternelle essence, Fils, parole et portrait du Père souverain, Jette les yeux vers moi ton humble tourterelle, Meurtris du roux Dragon la puissance mortelle, Et m'enlève avec toi dedans ton Ciel serein. Sonnet 211 ESprit consolateur, soutien de ce grand Tout, Qui rechaussais au sein de la masse confuse, La forme que donnas par ta vertu infuse, Au monde avant qu'il fût poli de bout en bout, Esprit qui son esprit retiens toujours debout, Esprit de qui la force agiter ne refuse Le mouvement total, du tout que le temps use, Et qui son corruptible ainsi en rien résout: Vertu, Force et Vigueur, et du Fils et du Père, Procédant de tous Deux, dont la vertu tempère Le long et large tour de ce rond Univers, Agite par dedans les esprits de mon âme, Brûle du corps massif le mortel de ta flamme, Et me fais voir mon Christ dedans tes cieux ouverts. Sonnet 212 ESsence unique et simple, ô Dieu en Trinité! Tout bon, tout saint, tout pur, tout grand, tout ineffable, Tout puissant éternel à qui nul n'est semblable, Père, parole, esprit, ô triple en unité! Un en trois, trois en un, unique éternité, Créateur souverain du grand tout admirable, Qui comprends Ciel et terre, et la mer navigable D'un point du cercle entier de ton infinité: Essence en qui le Père, et le Fils, et l'Esprit, Distinctement unis, guide, conduit, régit De ce globe poli la masse universelle: Immortel, infini, Éternel Dieu par soi, Du monde passager l'inviolable Loi, Guide-moi sur ton char en ta gloire immortelle. Sonnet 213 PUisque tu as sué sous la peine du jour, Puisque tu as senti le frais de la nuit brune, Que sur le char mouvant de la Foi importune Tu as atteint le haut du céleste séjour: Cerne d'un pas léger ce mont tout à l'entour, Vois la grande cité aux fidèles commune, Qui ne truande point sa clarté de la Lune, Et n'attend du Soleil le désiré retour: Viens cueillir fleurs et fruits dessous l'arbre de vie, Et puis bois à longs traits, tant que sois assouvie, De ce cristal coulant du trône de l'Agneau: Contemple maintenant ton Seigneur face à face, Jouis avecques lui des trésors de sa grâce, Et reçois de sa main cet immortel chapeau. Sonnet 214 JE sens un feu brûlant au fond de ma poitrine, Qui a pris peu à peu une telle vigueur Dans mon coeur embrasé, que sa douce rigueur Me transforme en son feu par son ardeur divine. Je ne suis rien que feu, qui de sa flamme fine A du tout affiné le métal de mon coeur, Qui d'enfer, qui de mort, qui de péché vainqueur Règne heureux et content sur la ronde machine. Ce feu vraiment divin, de son ardeur nouvelle Embrase le plus froid de mon âme immortelle, Qui hors de soi ravie en l'Éternel séjour, Ne peut plus maintenant penser, chanter ni bruire Que ce grand Dieu vivant, que grand je puis bien dire, S'il entoure du poing le monde tout autour. Sonnet 215 RÉjouis-toi ma chair qui n'as rien de charnel, Car tu vis maintenant d'une immortelle vie. Mon âme éjouis-toi, sois saintement ravie Hors de toi à celui qui seul est éternel. Jouez divinement d'un ton perpétuel Cent-mille doux accords de plus douce harmonie, Que le luc et la harpe à la voix l'on marie, Faites retentir l'air du nom de l'immortel. Tu es principe et fin de toute chose née, Et ton âge n'est point d'aucune âge bornée, Tu as fondé sur rien tout ce grand univers. Tu as ployé sous moi toute force contraire, Je règne ainsi par toi sans aucun adversaire: Tu seras pour jamais le sujet de mes vers. Source: http://www.poesies.net