Poèmes Divers. Par Odilon-Jean Périer. (1901-1928) (Jean Périer.) TABLE DES MATIERES. Allusion Aux Poètes. Art Poétique. Connaissance De L'Ivresse. Construction. Découverte De L'Evidence. Défaite. Eglogue Désolée. Guérison. Histoire D'Une Amitié. La Blessure. La Cène. La Victoire. Le Sage Humilié. Le Voyageur Prévoyant. Manque D'Illusions. Mon Amie. Mon Corps. Mon Pays. Mort D'Un Dieu. Petit Jour. Prière Pour Etre Sage. Projets. Récompense. Récréation. Récompense. Récréation. Une Marée Nocturne. Les Poètes Sont En Paix. A La Limite De La Lumière Et De L'Ombre... Amour, je ne viens pas dénouer vos cheveux... Chaque jour un oiseau rencontre ce garçon... Comme parle et se tait une fille des hommes... Ecoutez-moi si vous m'aimez... Grande bête dorée, Amour couleur de femme... Il pleut. je n'ai plus rien à dire de moi-même... J'ai bu du rhum... Je ne chanterai pas très haut ni très longtemps... Je vivais au milieu de choses mal unies... Le corps fermé comme une jeune rose... Les fontaines ornées d'écume et d'armes blanches... Les pieds nus de ma poésie... Les rues et les verres vides... Pour veiller ce soir d'hiver... Que M'Importe De Vivre Heureux, Silencieux... Ton visage est le mot de la nuit étoilée... Je t’offre un verre d’eau glacée... Je vivais au milieu de choses mal unies... Allusion Aux Poètes. Désireux de tenir l'été dans ma demeure je tue un lièvre gras et l'emporte au cellier. Le goût de la saison s'y cache tout entier avec l'odeur de l'herbe et ses voix les meilleures. Sans doute, ce trésor sera bientôt pillé et comme des raisins les mouches violentes naîtront dans sa fourrure aujourd'hui rayonnante. -Mais c'est une leçon qu'on ne peut oublier. Car, mon ami, si tu implores les poètes, ils vont te révéler de dangereuses fêtes: puisant dans leur mémoire une vive beauté, ils composent des vers où brille la souffrance et montrent, orgueilleux de leur grande opulence, quelque poème lourd comme un lièvre tué. Art poétique. Je fis ce masque pour mes frères Avec l'or que j'avais volé (Dieu des chanteurs, ami sévère) A ma vieille sincérité. Que leurs dédains m'ont réjoui! -Toute ma vie agenouillée. Un dieu s'y est épanoui Comme une rivière emportée. On peut revivre! On peut se taire... Ô éternité sans recours Selon ta flamme solitaire Ma lyre a dit ce mot d'amour. Connaissance De L'Ivresse. Ô douleur chevelue adossée au comptoir Du vieux cabaret où je fume Belle dame dorée emprisonnant le soir Dans cette lyre qui s'allume Dans la flûte de Pan que forment rayonnantes Les limonades, les liqueurs, A l'aimable madère et aux honteuses menthes Vos yeux empruntent des couleurs. Madame ma douleur d'alcool auréolée Lève de paresseuses mains Reverrons-nous enfin ce corps dans la fumée? -Cependant qu'aux lueurs du vin Une Muse déjà mortellement blessée S'enivre et hurle comme un chien. Construction. Sortons. J'ai entendu des Dryades profondes, Lamentantes redire aux hommes de l'été (Comme de grandes eaux amoureuses qui grondent) Quel amour il faudrait à leur avidité. Est-ce vous sur ce banc ma Muse vagabonde, Coudes au corps, les mains ouvertes, l'air brisé? Je garde aux dents le goût de vos fourrures blondes, Je me noue à vos bras, lierre, dieu naufragé. Bruxelles réjouit d'un amour tendre et terne Ses faubourgs bourdonnants ainsi que des citernes. Moi je me crée une Ève avec solennité. Cette épouse est debout et mes lampes s'enflamment! Viens, toi que forme seule entre toutes les femmes L'équilibre sans fin d'un poème achevé. Découverte De L'Evidence. La vie est simple. Je dis Que nous ignorons sa grâce, Masque transparent, visage Ridicule, tu souris. Toi, frère des champs, merci: La vie est à ton image. Parle donc, pour être un sage. Soyons plus forts que l'ennui. J'enferme les vieilles Muses, Car ces filles ont des ruses Terribles et sans beauté. Vite en cage! -Moi, j'existe Et je vois avec fierté Qu'on ne saurait être triste Aux jardins que j'ai plantés. Défaite. Je ne suis pas parti ma chambre m'a vaincu. Pourquoi si durement aime-t-elle ce corps? Pourquoi clouer au mur mes coudes prisonniers? Et pourquoi me garder debout en face d'elle? C'est vrai, j'avais menti: j'ai désiré la gloire, -Ce besoin de m'enfuir ne fut pas un essor - mais au moins si ma voix demeure belle et fraîche, ah! que l'on me soutienne un peu sous les épaules! -Appuyé aux fenêtres (et derrière cela à la nuit maritime où les mouettes souffrent), je médite un combat léger et foudroyant un vol inattendu à l'immobilité... J'avance! Je nourris une ardeur sans égale! -Et transporté soudain de colère et d'orgueil, pour connaître les fruits que porte mon malheur, je secoue en criant ce grand arbre nocturne! Églogue Désolée. Amour dont je chéris la fourrure mouillée quand remue à ton cou ce minable ornement, laisse-moi du beau corps que tu meus sagement peindre la vraie image austère et dépouillée. Je t'emporte avec moi, masque de porcelaine, silencieux esprit de la rue en été. Quand, écoeurante enfin par trop de chasteté, l'odeur des eaux pénètre une terre plus saine, quand la ville mûrit comme un fruit altéré, sous la pluie et le gaz favorable aux baisers, je sais que ton oeil jaune a des feux indomptables. -Mais, guerrière, ta voix qui m'enchante et m'accable je la viens étouffer dans tes cheveux épais, -et qu'un poème pur consacre notre paix. Guérison. Le gazon nourri des vertes banlieues, Ma forêt d'amour aux chemins vernis, Sont tout pénétrés d'une pâte bleue -D'un azur solide où planter des nids. Fuyons les pays que leur gloire encombre (Quel désert superbe on ferait ici) Nous irons au bois fouler le décombre De tout ce laurier cher à mes amis Il faut mettre au vert notre poétique. Ne te grise plus de métaphysique, Laisse épanouir ton corps triomphant. Tout s'arrangera si tu es bien ivre! Muse des taillis qui ris de mes livres, Allons dans les bois te faire un enfant. Histoire D'Une Amitié. Le sable et les arbres jouaient A m'égarer Le vent et les oiseaux jouaient au plus léger Plaisir des dunes Une canne de jonc Une cravate Un papillon Écume de mer Pipe d'écume Avec l'amitié pour enjeu Ces jeunes gens ne sont pas sérieux La Blessure. A René Purnal. Les mains dans le brouillard et mon orgueil en bouche Comme une bête tient sa proie ou ses petits, Je respire, je vais. Le monde me saisit, Les couleurs de la vie autour de moi se couchent. Bariolé de sang, chargé d'un picador, Le cheval éventré trébuche dans sa traîne. Ainsi je porte au dos mon brillant capitaine, Je sens les éperons d'un ange chercheur d'or. Mais la belle vivante aux mains immaculées, De feuillage, de ciel, et de formes ailées Couvre le champ désert où je plantais mon pic. Filon d'or égaré sous l'herbe, qui scintille! Faiblesses de l'amour dans un jardin public... -L'ange que je portais saigne comme une fille. La Cène. Tu ne t'es plus, Seigneur, assis à cette table. Aussi impatient de passer que le sable, parce que je suis seul je parle du bonheur. Ayant mangé ces fruits, je goûte la liqueur. Ma récompense fut la grandeur de l'attente. L'orage peut noyer les routes éclatantes: admirable tu vins dans ma jeune saison par les portes d'Avril et le rude gazon. -J'impose à mon plaisir cette cause pieuse. Car ces mois sont pareils aux eaux tumultueuses où l'arbre plein d'amour retombe convulsé. Qu'ils coulent! Je prévois l'abondance future, et dans tous les vergers je ressens le murmure d'une arche qui s'ébranle aux confins de l'été. La Victoire. L'oeil terrible d'un dieu s'est ouvert à mon front: Que je vois bien la vie au fond de ma blessure! Et comme un loup marqué de honteuses morsures, Je porte, clair regard, le faix de tes rayons. -J'ai cherché ma patrie avec sincérité Dans ses villes, son ciel, ses champs et ses navires. -Mais rien ne vaut la chambre où je fais de ma lyre Le silence pleuvoir avec limpidité. Le Sage Humilié. J'ai abîmé l'enfant de votre coeur (Y fallait-il cette présence triste?) Mais, évadé, sourire sans grandeur, Comment prouver que tout ce Monde existe? -Et toi, mon corps, enfant que j'abandonne, Par tous tes sens tu montres des désirs! -Et toi, Sagesse, un poète s'étonne Que pour si peu l'on vienne t'endormir. Si Dieu est mort dans les hommes qui rient, Nécessité, tu protèges nos arts. Tant pis! Je suis enchanté de ma Vie, -Et je m'étire au milieu du brouillard. Le Voyageur Prévoyant. Ma ville a des chemins serrés comme des herbes S'écoulant le long d'elle et recouvrant son corps. Tous également purs, également superbes, Ces fleuves bigarrés n'ont pas besoin de ports. Chaque jour, je le crois, contient une marée Qui grandit et m'enlève, ô lampe, à vos lueurs. Les routes que je suis ont une destinée, Je ne résiste pas à leur grande douceur. Frère de ces oiseaux qui vivent dans les vagues Je ne change le sort que s'il est sans raison. Amour il faut laisser vos attitudes vagues Si vous voulez dormir dans ma froide maison. Le mouvement de l'eau, des cités, des poèmes, Comble paisiblement un silence infécond. Le redoutable hiver se retrouve en lui-même: La mémoire est encor un grenier plus profond. Si tu veux me tenter, il te faut plus d'adresse Laisse, je ris de toi, laisse-moi, vanité! -Non! ce n'est pas en vain que, t'ayant surpassé, Ce coeur gonflé de sang refuse la sagesse. Manque D'Illusions. I Muse, rappelle-toi l'enfant aux genoux maigres que nous vîmes, gonflés de rancune et d'amour, prendre nonchalamment le chemin du retour sous mille arbres blessés de ses rires allègres; sans trop y réfléchir aux gloires de ce corps le souvenir ajoute une Raison sereine -et pourtant nous l'avions reconnue fort humaine aussitôt qu'elle eût fait les gestes du remords... Qu'en dire (si déjà nous retrouvons ces choses d'un coeur bien plus égal qu'il n'apparaît souvent) sinon que des bonheurs formés logiquement nous attendent, sans doute, où tu me les proposes? II Contre ma chambre nue une ville résonne d'harmonieux travaux, de sauvages loisirs. Elle veut m'arracher à mon meilleur plaisir. -J'écoute s'efforcer ce monstre monotone. J'écoute, dans le ciel plus épais qu'un rideau, un oiseau discordant crier qu'on se réveille, le jour industrieux monter comme une treille, et sonner le feuillage où frappe un fleuve d'eau. Muse, le coeur me fend au milieu de leur vie: je crois à la beauté des travaux patients. Si nous demeurons doux chez les hommes bruyants, c'est de toi qu'ils riront, ma sainte Poésie. -Ah! quittons cette chambre et suis-moi, déguisée. Si le deuil est ici la parure des dieux ils te reconnaîtront à tes splendides yeux. -Et si leur existence est toujours aussi gaie, ton corps éblouissant comme un poignard, ton corps par la danse terrible et le poème sombre, quant tu dépouilleras les voiles et les ombres leur montrera ta vie au milieu de leur mort. Mon Amie. La pluie fait une ville Difficile à aimer Point du jour Point du soir Et pointe du plaisir. Des goûts et des couleurs Plus vives que jamais... Ainsi la pluie me parle Au coeur Ô patrie légère Ô maison de fil Mes amis, mes frères Vous connaissent-ils? Ils parlent d'amour Je n'en ai que faire Je chante à mon tour Et je vis d'eau claire. Mon Corps. Corps violent, redoutable, honteux, Corps de poète habitué aux larmes, Qui te secoue ainsi, qui te désarme? (Bruxelles dort orné de mille feux) Dans le pays de la bonne souffrance (Rappelle-toi cette maison des champs) Archange infirme ivre de ton silence, N'attendais-tu qu'un amour plus pressant? On connaît bien le gouffre où je me penche, La Muse morte y couce entre ses dieux. Regardez tous (c'est une page blanche) Et enterrez les poètes chez eux. Mon Pays. La Ville est dans ma chambre Ce fauteuil est un port. Avez-vous vu mes lampes Mes mâts et mes bateaux? Le tabac et les vagues Chantantes du ciel noir, Le jeu, le bruit des algues Aux vitres, mes miroirs, Tout m'y plaît, m'y agrée: J'y respire un bon air Léger comme un beau vers. Ô ville ravagée Restez dans ma maison Qui n'a qu'une saison. Mort D'Un Dieu. On meurt dans la pluie. La Douleur du Nord Aime ce décor En saisons pourries. Pégase y est mort Une nuit de pluie. Pourquoi, Poésie, Ce cri vers le Nord? Les ailes cassées Dans des cheminées Saigne l'ange lourd: Ô ville épuisée Qui t'es couronnée Du corps de l'Amour. Petit Jour. Entre deux heures du matin et le temps où le coeur bat moins vite, le jeune homme se perd, s'exalte, et son amour est sur le monde comme une chose dangereuse. Ainsi le nageur qui dévoile une âme paisible et profonde en se livrant aux vagues creuses. Ainsi le jeune homme insolent se désole de la vie comme s'il la rendait meilleure. Entre deux heures du matin et le temps où le coeur bat moins vite, comme s'il voulait plus d'ardeur au plaisir dont parlent les hommes, comme si devant leurs bonheurs il appréciait sa tristesse, comme si beaucoup d'espérance jetait sur eux une lueur, -il voudrait connaître le vide, juger qu'il est délicieux ou s'il sait des choses meilleures. Entre deux heures du matin et le temps où le coeur bat moins vite, ce jeune homme plein de douleur ne se tourne pas vers les rêves. Que son orgueil éblouissant, radieux et nu, le protège! -Il épouse au milieu du monde sa vérité rude et brillante. Et il se réjouit d'apprendre à ceux qui vantent sa douceur, qu'il a trouvé un trésor froid dans un pays où vont ses voix, entre deux heures du matin et le temps où le coeur bat moins vite... Prière Pour Etre Sage. Ah! ne me soyez plus, orgueil, d'aucun secours. Cet hiver épuisant me laisse trop sincère et j'ordonne avant tout une force sévère à mon coeur fatigué d'inutiles détours. Il ne me reste plus qu'un misérable amour et le secret de l'Ange égaré sur la terre; mais écoute! je sais une route légère, j'imite Dieu avec ce rire de velours... Que ferais-je à présent de votre lourde vie? Montrez-moi le chemin des vagues endormies, laissez-moi découvrir un rivage inconnu; et que m'agenouillant sur ces plages parfaites par le bruit d'un poème et des eaux satisfaites la grâce de la mer augmente ma vertu. Projets. Tout contribue au philtre où baigne le poète. Cette chambre elle-même a des vertus secrètes. Ne me détrompez pas: tenu par son odeur je trouve à votre sang une étrange vigueur. Plions ce jaune corps à des songes pratiques! Moi ne tolérant pas qu'une maigre logique ravisse un si beau prêtre au culte de l'erreur, je vous dis pastorale et pleine de fraîcheur. A nous deux, cet hiver, indifférente épouse! Sous la tonnelle morte aux couleurs de vos blouses je saccage sans goût les appâts désolés dont votre faux renom nourrit ma vanité. Puisque l'on m'a lavé dans cette eau corrompue je vais rester longtemps au tournant d'une rue pour recevoir de vous avec placidité le philtre desséché de ma sincérité. Récompense. Ô corps tout secoué de prochaines musiques! Lié contre la table où pèse ton sang noir, laisse-toi transporter d'un rire dramatique et de honteuse ardeur embellis ton espoir. Fils indigne de l'or natal, apôtre étrange, je désire la mer mon patrimoine bleu; j'épuise tous mes cris dans les ailes d'un ange, je tente d'acquérir la sagesse du feu. Ah! que craindrait mon corps du printemps sur la terre? Je vendange ma vigne avec gloire et colère, mon amour a repris la face de la nuit. -Et dans le bruit mortel que fait l'aube criante voici! Je reconnais, généreuse et riante, la Muse au coeur flambant, la porteuse de fruits! Récréation. Muse des champs je vous rejoins. Ouvrez votre aile, mon amie, nous allons conquérir la pluie et mille foudres dans les foins. Ce minuit pâle, je l'accueille, où le peuplier des jardins hésite, se plie, et soudain, pêche la lune au ras des feuilles. Mais demain, ma fidèle amie, ivres de verdure et d'émoi, nous célébrerons les prairies, nous nous baignerons dans les bois. Et si les flûtes de la vie aux cris du seigle ont répondu, je vous dirai, sans ironie, que ce Dimanche m'était dû. Une Marée Nocturne. Ma chambre garde au coeur une vertu glacée; ce soir d'hiver je suis son plus rude ennemi. Mais je puise une faim de victoire et de cris dans le silence même où elle est enfoncée. Sans peur, sans joie, avec une voix mesurée, mûrie et nourrissante à la façon des fruits, je dis que mon poème est heureux de la nuit. Il se forme et il monte avec un bruit d'armée. Pour ce dieu résonnant d'une excessive faim je déchaîne dans l'ombre en élevant la main une très studieuse et très ardente fête; c'est bien. J'éteins la lampe et je serre les dents: ma chambre se soulève. Avec l'aube, les vents enflent la voile. Et nous partons dans la tempête! Les Poètes Sont En Paix. Midi, chez moi. Comme une table de marbre, Toute flamme et tout désir, Comme de l’or dans un arbre, Secoué par le plaisir, Rions! Si la poésie Doit renaître dans mon sang, C’est le ciel qui s’y allie Par ce sanglot déchirant. 6 heures. Le ciel et de pauvres maisons S’ouvrent au fond de ma fenêtre. Divinités de la saison, Ce sont des figures de neige. Or, tout s’est tu pour me tenter. — Ma voix n’est pas assez limpide. Dieu vous a dit la vérité; Comme son poète est paisible! Minuit, ailleurs. Oui, la Sagesse tient Dans une de vos mains. — Mais qu’allez-vous en faire? Je suis son colombier. Elle aime à se poser Dans une vie sévère. — Philosophie, oiseau Des lauriers, tente l’eau Méditante, tranquille, Où l’âme est immobile, — — Comme un poète-enfant Caresse, en s’y berçant, Une ombre élyséenne.. Plumages pleins de jour! Visages de l’amour! Colombes léthéennes. Sagesse, Poésie, Me quittez-vous encor? Plus graves que la vie, Plus pures que la mort... A la limite de la lumière et de l'ombre... A la limite de la lumière et de l'ombre Je remue un trésor plus fuyant que le sable Je cherche ma chanson parmi les bruits du monde Je cherche mon amour au milieu des miracles Un poème commence où la voix s'est brisée Et je fais mon bonheur en dénouant tes mains Quand nous nous rencontrons au bord d'une journée Nouvelle, au bord de l'aube où le ciel nous rejoint. Amour, je ne viens pas dénouer vos cheveux... Amour, je ne viens pas dénouer vos cheveux. Déserte, toute armée, inutile étrangère, Je vous laisse debout dans un peu de lumière Et je garde ce corps pur et mystérieux. Mais pardonnerez-vous ce merveilleux ouvrage? Vous perdez un trésor à suivre mon conseil. -Comme une eau solitaire où descend le soleil Renonce pour tant d'or aux plus beaux paysages, Ainsi les mouvements, les ruses de la vie, Ces faiblesses, ces jeux, cette douce agonie, Vous n'en connaîtrez pas le redoutable prix. Toute pure à jamais mais toute prisonnière, Vous resterez debout comme un peu de lumière, Sans vivre, sans mourir, dans les vers que j'écris. Chaque jour un oiseau rencontre ce garçon... Chaque jour un oiseau rencontre ce garçon Aux yeux baissés, qui se promène sous les arbres, Vers la nuit, qui n'est pas plus gai que de raison Ni triste, -mais l'oiseau l'écoute qui se parle: Il ne regarde pas les hommes dans la rue, Leurs yeux pâles (dit-il) ni les bêtes du soir, Ni cet ange, ni cette femme de chair pure Dont le visage aime à sourire sans miroir; Il est sage, -si fatigué que les passants Aimeraient mieux le voir pleurer à leur manière, Et lui font signe, et vont à lui le coeur battant, Mais il s'éloigne seul. Un reste de lumière Au ciel, une couleur de l'air, le vent, la pluie Lui font plus de plaisir que ces aimables gens, Le mènent à penser plus de bien de sa vie Et lui donnent le coeur de poursuivre son chant, S'il chante, s'il se porte à la source des larmes Pour s'étonner de ce mystérieux pouvoir Et laisser, humblement, qu'on lui prenne ses armes Des mains, -qu'il soit enfin poète, sans espoir. Ce qu'il touche s'altère et s'en va dans un rêve; Les merveilles qu'il forme au gré de ses désirs Je sais trop qu'il ne peut y trouver de plaisir Et qu'un songe, aussitôt qu'il l'incline, s'achève. -Ainsi passe cet homme, oublié, sans histoire, Portant l'hostie en bouche et par elle émouvant, Prisonnier de son dieu comme sont les avares, Qui se perd sans bouger au milieu des vivants. Comme parle et se tait une fille des hommes... Comme parle et se tait une fille des hommes Comme de grands secrets sont formés par son corps Quel étrange plaisir, à cette heure où nous sommes Aussi libres de tout que les esprits des morts, Aussi légers, abandonnés, sûrs de nous-mêmes, Aussi loin de la vie aux doux yeux égarés, Bien sages, sans vouloir connaître qui nous aime, Comme de beaux miroirs souriants et brisés. J'écoute sommeiller cette rose nombreuse, Lointaine, en son langage espérant un baiser... -Mais je retiens mon souffle auprès de l'amoureuse. Et me garderais bien de la désaltérer. Écoutez-moi si vous m'aimez... Écoutez-moi si vous m'aimez: Je suis sauvé lorsque je chante; Et toi, surtout, que j'ai formé De ma plus douce voix vivante: Tes beaux cheveux bien éclairés Comme le feu dans la poussière Te font pareil aux oliviers, Tes mains connaissent un mystère Dont il reste de l'or aux doigts... Si tu es dieu, révèle-toi. -Garde ton sang, bouche mordue, J'y vois la trace de ton coeur: Sur la voie que tu as perdue Je t'ai suivi comme un chasseur.Églogue désolée Amour dont je chéris la fourrure mouillée quand remue à ton cou ce minable ornement, laisse-moi du beau corps que tu meus sagement peindre la vraie image austère et dépouillée. Je t'emporte avec moi, masque de porcelaine, silencieux esprit de la rue en été. Quand, écoeurante enfin par trop de chasteté, l'odeur des eaux pénètre une terre plus saine, quand la ville mûrit comme un fruit altéré, sous la pluie et le gaz favorable aux baisers, je sais que ton oeil jaune a des feux indomptables. -Mais, guerrière, ta voix qui m'enchante et m'accable je la viens étouffer dans tes cheveux épais, -et qu'un poème pur consacre notre paix. Es-tu cette étoile sauvage? Je te salue, ô visiteur, Dans la lumière et la douleur, Visage doux comme une plage Usée, habituée aux vagues... Tu es l'amour aux mains profondes: Partageons ce pain et ce sel... -Salut, dans le milieu du monde, Salut à mon ami mortel. Puis-je mourir, quelle folie! N'entends-tu pas ma poésie Et ce coeur battre, ô bouche d'or? Je suis le berger de ces ombres Et le principe de ces choses Ayant fait oeuvre de mon corps Je suis vainqueur, il se repose, Et je retourne à mes trésors. -Homme enfermé, l'orgueil t'égare Libre et vivant, -devant un mur. Accorde-moi ce corps avare, Ne sois, enfin, qu'un esprit pur. Amour, ce serait par faiblesse... -Mais, par faiblesse, sois heureux. Laisse ces ruses sans noblesse J'ai vu la flamme dans tes yeux... Alors, il me prend par la tête, Porte la nuit dans mes fénêtres, Porte sur moi son souffle ardent, Par les genoux brise ma force Et, comme un cheval qui s'emporte, Jette ses cheveux dans le vent... -Je suis seul. Je serre les dents. Plus tard, un soir comme les autres, La poésie monte et se pose, L'eau merveilleuse monte en moi, Le dieu se pose dans ma chambre, Tout est changé, c'est que je chante: Amour, entendez-vous ma voix? Mais le Démon n'écoute pas, Il pleure dans ses mains profondes... -Les poètes sont seuls au monde. Grande bête dorée, Amour couleur de femme... Grande bête dorée, Amour couleur de femme Les bras ouverts, debout au milieu du chemin Que faites-vous de moi dans cette blanche flamme? Soutiendrais-je longtemps son éclat inhumain? Laissez donc ma sagesse étendre un peu ses ailes, Passer ce bel oiseau sur mes livres déserts; Laissez aller mon chant à des amis fidèles Et battre ce coeur dur quand je forme un beau vers. Je retrouve partout votre force pliante Vos longues mains, partout vos mains toutes-puissantes, Ces délices sur moi sans que j'ouvre les yeux Hélas! et ce plaisir où le corps se dénoue, -Comme un soldat fuyard s'empêtre dans la boue Tombe parmi les morts et se perd avec eux. Il pleut. je n'ai plus rien à dire de moi-même... " La terre montre au ciel ce qu'elle a de plus beau. " Simon Senne. A Robert De Geynst. Il pleut. je n'ai plus rien à dire de moi-même Et tout ce que j'aimais, comme le sable fin Sans peser sur la plage où les vents le dispersent (Amour dont je traçais un émouvant dessin) S'évanouit... La seule étendue inutile Mais seule, mais unie, en pente vers la mer, Me laisse par l'écume aller d'un pas tranquille Qu'elle efface après moi. Toi, paysage amer, Paysage marin, le seul où je sois libre, Qui parle mieux qu'un homme, avec plus de grandeur, Donne-moi, pour un soir, cette raison de vivre, -Le secret de ta grâce au milieu du malheur: Sans faiblesses, sans fleurs charmantes ni flétries Mais tellement plus beau qu'aucun ouvrage humain, La terre unie au ciel par la foudre ou la pluie Et les quatre éléments tenus dans une main. Vous faites ces beautés, lumières de l'orage, Dunes, léger trésor, mouvement des éclairs, -Mais il reste à traduire un si noble langage Et vous n'aurez de sens que celui de mes vers -Quand je n'avais plus rien à dire de moi-même Ce paysage m'a répondu sagement: Car la création est le jeu que je mène Et jusqu'à mes ennuis doivent former un chant. J'ai bu du rhum. Joie ardente, corps nouveau Hors des vagues de la danse Vive enfin ta violence Ton orgueil et tes sursauts! Ah, mon plaisir! Il te faut Adorer avec silence, Tout cet été qui s'élance Qui s'épuise dans les eaux! C'est le rôle de ma vie: Miracle! Je simplifie Jusqu'aux songes de l'Éther, Et d'une cime enflammée Voici ma terre sacrée Belle comme un oeil ouvert! Je ne chanterai pas très haut ni très longtemps. Je ne chanterai pas très haut ni très longtemps. C'est à mon plaisir seul, à vous que je m'attends Égalité du coeur, honnête poésie. Je n'ai rien de meilleur que cette humeur unie, J'éprouve la couleur le grain de mon papier Et l'incertain trésor que j'y viens gaspiller. Toute pleine de moi, page sans bornes, vive Étendue où respire une blanche captive, Mon amour est sur toi comme un ciel éclairé. Je me retrouve ici seul et désaltéré. J'ai placé mon bonheur dans un calme langage: J'aime, et jusqu'aux détours, la route où je m'engage. Il est sur la cité cinq heures du matin Dont les vapeurs de l'aube ont brouillé le dessin. Déjà le boulanger quitte son four sonore, La nuit aux marronniers, pâle, repose encore, L'espace doucement a reçu les oiseaux Et la sirène crie au milieu des bateaux. Tout le gris éventail d'une ville éveillée Ouvre son paysage au seuil de ma journée Et parmi les couleurs de l'arrière-saison Je dispose le monde autour de ma maison: Ici d'humides toits glissent dans la lumière, Se perd par la fumée une étoile dernière, Un cerisier profond règne sur mon jardin Et se charge de jour le gazon citadin. Arbres, roses, pelouse, il n'est rien qui ressemble A l'édifice pur que vous formez ensemble, Mais combien difficile à ne point abîmer... Le beau temps me baptise et fait son feu léger Parcourir, éveiller un esprit sans faiblesse. Le thé que je compose est philtre de sagesse, L'eau tire de sa feuille une riche liqueur; J'en éprouve longtemps la pointe et la vigueur. Ô Thé miraculeux dans cette porcelaine Au prix d'un or si fin que la richesse est vaine! Penché sur ton miroir comme les japonais Respectueusement je respire la paix, Je repose les mains sur une blanche table Et le calme où je suis devient si délectable, De si divine sorte et légèrement fait, Que toute ma journée en sentira l'effet. Cette chambre aux murs bleus ouvre dans le feuillage. La vigne vierge y pousse une flamme sauvage, Des meubles de bois sombre y luisent simplement Et le corps est heureux de son embrassement, Haute fenêtre d'or où ma ville s'appuie, J'allume en votre honneur une pipe chérie: Un feu doux et léger bouge au creux de la main, Dont la chaleur me fait profondément humain. J'écoute s'éveiller mille voix diligentes, Battre les lourds tapis et chanter les servantes, Bruxelles accomplir un rite matinal. J'avance, l'air entier sonne comme un cristal Et l'Automne guide mes pas aux avenues. Pourtant il faut chanter les plus petites rues: Du soleil s'abandonne à leur pâle pavé Et le ciel alentour touchant et délavé. Les marchandes de fleurs y cherchent un sourire; Elles ont la couleur des choses qu'on désire Et, parmi le trésor le plus rafraîchissant Vivantes, elles font un murmure glissant. Dans sa robe d'argent comme une vieille amie Voici pour mon repos la place Stéphanie, Votre haute fontaine ô Porte de Namur, Et les jardins du Roi pénétrés par l'azur. Il est près de Midi. Je vois des hommes vivre. Passe un cheval dansant, brillant comme le cuivre, Une. petite fille aux magnifiques dents, De célèbres messieurs, des cigares ardents. Comme, au long des trottoirs, une bête docile, Se range proprement la souple automobile; Des femmes sans couleur se tenant par la main Avancent au milieu d'un silence inhumain. Leurs cheveux sont ornés d'une rose glacée, Cette blouse déteinte et leur lèvre blessée; Elles ne savent pas saluer le soleil. Terrasse des cafés sous un lierre vermeil D'où je vois s'agiter ma ville industrieuse, Boulevard aussi beau par ta robe poudreuse Qu'un fleuve déployé dans son vaste dessin, Maisons de mes amis, la mienne, mon jardin, Champs d'avoine et d'air pur qui faites la banlieue, Nuages sur les toits et dans la pierre bleue, Vous êtes le décor que je donne à ces vers. Qui m'aime, aime ma ville et me suive au travers. Dans le bois de la Cambre, un facile Dimanche, Sous l'aile des pigeons cette île toute blanche, Cette île, autour de quoi les feuillages et l'eau Ferment dans le brouillard leur précieux anneau, Ne vous est-elle pas, distraite citadine, Comme, après le soleil, une pluie haute et fine Nourriture du coeur et gage de santé? Mes rames dérangeant un trésor argenté, La barque obéissante échappe à son sillage. Vous êtes mon ami, sylvestre paysage, Vous êtes la dernière et meilleure raison De qui ne connaît plus le dieu de sa maison. Mais déjà s'abandonne une image de rive Au mouvement d'amour de cette onde attentive Quand se répand sur elle et l'épouse le soir Comme une jeune haleine obscurcit son miroir. Déjà s'ouvrent, au fond d'un feuillage docile, Les fleurs blêmes du gaz, les lampes de la ville; Une auréole tombe au pied d'arbres en feu, Pâle et vaste, que j'aime, et qui m'égare un peu. Adieu, domaine pur... Bruxelles se déploie. Une foire opulente alimente sa joie; Écumeuse comme elle et pleine de danger Je regrette la mer, au moment d'y plonger. Grosses roses de bois, carrousels de banlieue! Un vertige saisit la fille en blouse bleue, De tendres Grenadiers la soutiennent à point. Un clown ouvre les bras, je lui souris de loin. Je goûte ma faiblesse avec sollicitude, Je me trouve, sans but et sans inquiétude, A cette chaude foule un corps abandonné... J'admire la souplesse et le bien-ordonné D'une montagne russe au-dessus des feuillages: Elle déroule un rail, visite les nuages, Et chavire la foire! et sombre! et, mollement, Berce, caresse, vide un corps convalescent... Au front des promeneurs que cette foule mène Au sommeil, aux plaisirs, goûtés sans trop de peine, Le dangereux amour pose ses mains de feu; Et ses ruses feront la règle de mon jeu. Je vous aime, Cité, domaine de la pluie, Mais dont les habitants moquent la poésie. Comme un grand violon de silence habité Vous êtes l'instrument d'une divinité. Laissez, laissez mûrir, se charger d'évidence Cette chose sans nom, cette vaste espérance; Se composer un dieu par vos arbres blessés, Par vos matins déserts et vos soleils brisés, Par le visage d'or des nuits européennes. A mes raisons d'amour chacun joigne les siennes. Tant de silence frais, comme au petit matin, Favorise le jeu d'un esprit citadin. Quelle tranquillité fait ma fenêtre ouverte... Bruxelles, arrosé comme une plante verte, Bien nouveau, bien plaisant, se tait quand je le veux. Ce n'est pas au hasard que je nomme ses dieux Et ni distraitement que ce grand corps murmure. Je sais où caresser ma belle sans-figure, Ma ville habituée aux malices du ciel; Je ne souhaite pas de plaisir éternel: Et les quatre saisons me gardent des surprises Au filet du Printemps quand les branches sont prises Et que de purs chemins traversent le gazon, Comme un discours logique et nourri de raison De beaux jardins me font une vertu nouvelle. Mais, sous une toison brûlante et solennelle Lorsque le mois de juin presse le boulevard, Que des visages nus mélangent leur brouillard, Autour de qui l'amour tourne comme une bête, -Comment ne pas chérir cette rapide fête, Comment ne pas se prendre aux pièges de l'Été? Octobre transparent a les couleurs du thé Et cet intime accent qui fait d'un paysage Aux hommes patients entendre le langage; La banlieue en Automne est un miroir secret Qu'il faut longtemps polir et de mince reflet, Mais qu'un peu d'amitié touche son eau fermée: II n'est rien de si beau dans la plus belle année. L'Hiver enfin m'enchante et le pavé sonnant; Bruxelles reformé dans un ordre émouvant, Ses arbres dépouillés, sa menteuse logique, Et le cruel éclat d'un ciel géométrique Sur toutes nos maisons comme un couteau planté. J'épuise ces trésors avec tranquillité. Que n'importent des biens dont je n'ai plus envie Si je n'en tire un miel qu'on nomme Poésie? Je compose ces vers pour me sentir vivant; Mais non pas au hasard, non pas distraitement. Quel besoin de mentir, d'habiter un nuage? Il est assez de ruse en ce simple langage, Les lecteurs que je veux ne s'y tromperont pas. Yvonne aux gants de fil, dame des cinémas, Perle et poudreuse rose à la faveur des ombres, Voit Charlie au corps pur danser sur les décombres. Les femmes n'aiment pas tant de légèreté. Mais vous, plus attentive à la divinité, Saisissez de ses jeux le périssable charme Et comme un film usé me touche et me désarme, Ainsi de vos cheveux, de votre froide main. Mais Élise! solide et comme le bon grain Dorée, ouverte aux dieux, fondée en gymnastique, Éprouve du talon la pelouse élastique Touchée au petit jour par la grâce du sport. D'où cette heureuse allure et ce paisible port. De sommeillants bonheurs ne sauraient plus me plaire Ni le goût de pain bis d'une enfant sédentaire; Mon Élise vivante a le coeur mieux placé, Sous la douche reçoit un sacrement glacé Et goûte ses plaisirs sans sourire ni plainte. Mais toi, dont je chéris la fourrure déteinte Quand remue à ton cou ce minable ornement, Suzanne, à la clarté du gaz attendrissant, Ivre, maigre, et m'ouvrant ta bouche apprivoisée, Élève dans mes bras une chanson brisée Ma ville et mon amie ont les mêmes yeux gris. Sans doute est-il beaucoup de plus nobles pays, De plus riches climats où déployer sa vie (Et je ne sais, Paris, comme l'on vous oublie) Paysages, lointains voyages, ciels changeants... Mais trouverais-je ailleurs autant d'amis vivants? Ma patrie est où sont ces hommes délectables; C'est par eux que mes vers deviennent raisonnables, Pour eux que je guéris d'un délire sacré; Ma ville obéissante est refaite à leur gré. Heureux de parler clair, fondés en poésie, Laissons-nous-y longtemps caresser par la vie: Chaque jour de jeunesse est doré comme un pain; Poursuivons, sans vieillir, un dialogue humain. Je termine à ces mots l'éloge de Bruxelles: Poésie, Amitié, mes lois sont les plus belles, Ornement du jardin, gloire de la maison, Les précieux épis d'une riche saison. Au terme aérien d'un jour sans aventure Entre mes doigts s'achève un ouvrage d'eau pure Et je baisse la voix, comme le soir se fait. Que ma ville repose, elle a dit son secret: Voici tout le dessin de son meilleur visage. Comme la mer unit une facile plage, Comme d'une amoureuse on lisse les cheveux, Un instant sage encor, sage et silencieux, Je contiens ma chanson, ma fortune ignorée... Mais elle s'est de moi doucement détachée; Les mains vides, j'entends se perdre ses oiseaux... Libre et seul, je connais le prix de mon repos: Quelle paix sur ma ville et quel air d'innocence... Mes vers portent en eux leur pure récompense. Je vivais au milieu de choses mal unies... Je vivais au milieu de choses mal unies, Demandant au hasard de diriger mes pas. Je mettais à mon dieu le masque des folies Et le meilleur ami ne me connaissait pas. Il s'est fait un été plus divin que les autres, Comment résisterais-je à son embrassement? Je marche, confondant mes biens avec les vôtres; Je respire au milieu d'un monde bien portant. Beau jour sobre et profond comme un marbre sauvage, Que vos angles dorés m'ont donné de secours! Tant de perfection fait aimer son ouvrage -Tant de limpidité détourne de l'amour. Le corps fermé comme une jeune rose... Le corps fermé comme une jeune rose Celle qu'Amour ne désunissait pas Qui disposait pour nous entre les choses L'oeuvre excellente et pure de ses pas Dont les cheveux donnaient le goût de vivre Et dont les mains faisaient le pain doré -N'était-ce rien qu'un instant d'équilibre Par un miracle au hasard préservé? Pour un sourire elle consent au monde Elle s'accorde ou se rompt au plaisir, Toute inclinée et mêlée à son ombre Le corps défait par un pauvre désir Mais qui l'avait de neige couronnée Comme il la tient perdue entre ses bras Ayant goûté sa bouche humiliée Amèrement s'en détache et s'en va Il s'en va seul, ruiné, regrettant son courage. Il voit de grosses mains se poser sur ses dieux Les dames se repeindre et rire les messieurs L'or aux dents, le soleil au milieu du visage Il voit de beaux enfants rayonnants de jeunesse Tendrement sous les bras saisissant une chair Donner de leur substance à des femmes ouvertes Et chercher de l'amour dans ces ventres déserts Il voit briller l'éclair sur les maisons du monde, Les morts en habit noir dans les fêtes de nuit, Les lâches, les tricheurs, enfermés par la honte, Que le jour du seigneur trouve nus dans leur lit Il voit se dénouer le choeur des jeunes filles Celle-ci recevoir un baiser triste et bas, Celle-là prisonnière aux genoux d'une amie, Cette autre douce-ardente, et seule, dans ses bras. Il voit le peuple humain s'enivrer de soi-même. -Qu'il montre sa blessure, on y met un baiser - Mais comment pourrait-il accepter ce qu'ils aiment? Il veut pour sa patrie un sol immaculé Les arbres parlent seuls dans le vent de la ville Ils gardent leurs secrets, ils perdent leurs oiseaux -Mais on fait ce qu'on veut de leur force immobile Et leurs maîtres les ont plantés sur des tombeaux La mer toute-puissante, aujourd'hui blanche et noire Laisse trop de vivants parcourir sa beauté; Ils font leurs pauvres tours au milieu de sa gloire Elle brille, s'élance -et se couche à leurs pieds Le ciel même se voit expliquer par la terre: Ses étoiles ne sont que des mondes mortels Le visage de l'homme arrête la lumière Il regarde en riant l'équilibre du ciel Partout tombe, s'agite, et parle cette bande. Celui qui se refuse et veut se passer d'eux Comme un joueur ruiné prisonnier dans sa chambre N'a plus qu'à se remettre entre les mains de Dieu -Il compose des vers mystérieux et sages, Lentement, pleins de sens et de sérénité -Puis se couche et s'endort, ayant fait son ouvrage Et repris dans son corps le pouvoir de chanter. -Beaucoup plus tard, un jour sans tache, un jour sans ombre -Beaucoup plus tard un air d'eau neuve, un oiseau blanc... L'homme s'éveille, et s'émerveille, et vient au monde, Et laisse aller en liberté son coeur battant... Que de beauté! Les arbres font leur grand murmure, La mer et le soleil du matin sont unis... Voici le ciel dans les chemins de l'aventure Voici cet homme -et son amour est devant lui Les fontaines ornées d'écume et d'armes blanches... Les fontaines ornées d'écume et d'armes blanches Les fontaines, ce soir, parlent à haute voix La vitre des cafés Murmure, où la buée, les baisers se mélangent Le souffle de l'amour et les lèvres mouillées Que je goûte sur toi. Douces choses, ce soir, et qui fondent en larmes Haleines et cheveux Promesses dénouées De caresse en caresse Et d'année en année Quand tous les amoureux parlent à haute voix. Les pieds nus de ma poésie... Les pieds nus de ma poésie Ont peu de poids Cherche la trace de ses pas Sur cette eau tranquille Comme un visage éclairé Toute puissance agenouillée Chanson matinale Il brille Une étoile toute nouvelle Et la chanson la plus belle Est celle que j'ai chantée Pour accepter ces minutes Où mon bonheur se décide Où toute chose s'arrête A la merci d'un beau vers Les rues et les verres vides... Les rues et les verres vides La grande fraîcheur des mains Rien de cassé Rien de sali Rien d'inhumain Cordialement bonjour, bonsoir Je suis paresseux tu vois En bonne santé A la santé du paysage L'amateur de rues aérées Si vous voulez que je vous aime Ouvrez des mains immaculées Je ne suis pas désaltéré. Pour veiller ce soir d'hiver... A Eric De Haulleville. Pour veiller ce soir d'hiver Verse le thé, plus amer Et violent que le fer, Où est le plaisir des sages. Tu te penches sur ce thé Tu y cherches la santé Les vertus, la vérité D'une eau vive et sans nuages. Or un visage sans prix Comme de l'or dépoli Apparaît et te sourit Dans la liqueur agitée -Ce ne sont pas là tes yeux Mais d'un messager des dieux Le silence sérieux L'ombre à peine dessinée... Une confidence pure De l'adorable figure S'élève, dans un murmure Que tu ne veux écouter, -Et, sans plus d'inquiétude, Pour une moins fine étude Tu reprends ta solitude, -Tu bois le reste du thé. Va! Détourne ton regard Des merveilles du hasard Mais tu pleureras plus tard, Homme vaniteux et vide, Ce visage qui chantait Sans le dire, le secret D'un si étrange reflet Dans ce peu de thé limpide. -Oui, tu empoignes la lyre! Mais tu ne sais plus sourire, Et ce sonore délire Stupide nous touche peu. A ta chanson toute prête Manque une vertu secrète Pour être vraiment poète Il faut compter avec Dieu. Que m'importe de vivre heureux, silencieux... A Marcel Arland. Que m'importe de vivre heureux, silencieux, Un nuage doré pour maison, pour patrie. Je caresse au hasard le corps de mon amie, Aussi lointaine, hélas! et fausse qu'elle veut. Qui êtes-vous enfin? qui parle? -et qui m'écoute? - Un homme vraiment seul entend battre son coeur. Je cherche parmi vous les signes du bonheur: Je ne vois qu'un ciel blanc, qu'une étoile de routes. Vaste image de terre abandonnée au jour Comme un jeune visage embelli par l'amour Quelle grande leçon votre dessin me donne... Silencieusement s'élève autour de moi La plus douce lueur de vie, et cette voix Merveilleuse, -la voix que n'attend plus personne. Ton visage est le mot de la nuit étoilée... Ton visage est le mot de la nuit étoilée Un ciel obscur s’ouvre lentement dans tes bras Où le plaisir plus vain que la flamme argentée Comme un astre brisé brille et tremble tout bas Vivante, conduis-moi dans ce nocturne empire Dont l’horizon mobile enferme notre amour. Je touche un paysage; il s’éclaire, il respire Et prend quelque couleur sans attendre le jour. Que de choses j’apprends au défaut de tes larmes Sur le point de me perdre où tu m’as précédé, Mais enfin je renonce à détourner tes armes. Je reconnais un corps que je dois te céder. Perdons-nous! Parcourons cette courbe profonde Que tes genoux légers ne me délivrent pas. Que je sois seul au monde Au moment de tes larmes. Que la paix de l’amour commence sous nos pas. Un ciel obscur s'ouvre lentement dans tes bras Où le plaisir plus vain que la flamme argentée Comme un astre brisé brille et tremble tout bas Vivante, conduis-moi dans ce nocturne empire Dont l'horizon mobile enferme notre amour. Je touche un paysage; il s'éclaire, il respire Et prend quelque couleur sans attendre le jour. Que de choses j'apprends au défaut de tes larmes Sur le point de me perdre où tu m'as précédé, Mais enfin je renonce à détourner tes armes. Je reconnais un corps que je dois te céder. Perdons-nous! Parcourons cette courbe profonde Que tes genoux légers ne me délivrent pas. Que je sois seul au monde Au moment de tes larmes. Que la paix de l'amour commence sous nos pas. Je t’offre un verre d’eau glacée... Je t’offre un verre d’eau glacée N’y touche pas distraitement Il est le prix d’une pensée Sans ornement Tous les plaisirs de l’amitié Combien cette eau me désaltère Je t’en propose une moitié La plus légère Regarde je suis pur et vide Comme le verre où tu as bu Il ne fait pas d’être limpide Une vertu Plus d’eau mais la lumière sage Donne à mon présent tout son prix Tel, un poète où Dieu s’engage Et reste pris Je vivais au milieu de choses mal unies... Je vivais au milieu de choses mal unies, Demandant au hasard de diriger mes pas. Je mettais à mon dieu le masque des folies Et le meilleur ami ne me connaissait pas. Il s’est fait un été plus divin que les autres, Comment résisterais-je à son embrassement? Je marche, confondant mes biens avec les vôtres; Je respire au milieu d’un monde bien portant. Beau jour sobre et profond comme un marbre sauvage, Que vos angles dorés m’ont donné de secours! Tant de perfection fait aimer son ouvrage -Tant de limpidité détourne de l’amour. Source: http://www.poesies.net