Poésies. Par Philéas Lebesgue. (1869-1958) TABLE DES MATIERES. Terre D’Amour. Mon Père. Tu as vieilli... Nenni-Dà ! Le plus beau pays du monde... Petit village... Le Village. Le Printemps. Pâquerette. Images. Tu as vieilli... Terre D’Amour. O mon pays de Bray picard, peuplé de haies Quelle âme aromatique, irrésistible et douce Habite en toi, parmi les myrtils et la mousse Parmi les prés en fleurs et les hautes futaies ! Parce que nous goûtons la rouille de tes sources, Le pain de tes froments, le cidre de tes pommes, Ta glèbe a pénétré dans la chair que nous sommes, Et ton fils, loin de toi, perdent toutes ressources. C’est que les morts couchés au flanc de tes collines, Ont haleté sur toi de toutes leurs poitrines Et t’ont, le long des jours, baigné de sueurs lentes; C’est que le ciel, soir et matin, mouille et féconde, Du magique baiser de ses lèvres sanglantes, Ton sol amer, où le fer brun git sous la sonde. Mon Père. Mes pas dans les tiens, mon Père, Etouffent leur bruit mou, ce soir, Dans la bruyère Où tu vins si souvent t’asseoir, Pour y bercer ton rêve austère ; Mes pas dans les tiens, Mon père, Je me souviens... Voici le ruisseau, mon Père, Où nous buvions, loin des regards, La belle eau claire ; Voici la prairie aux grisards ; Voici le sentier aux fougères . J’entends le ruisseau, Mon Père, Dans un sanglot... Tu as vieilli... Tu as vieilli, ma Mère, et quand je vois tes rides, Ton dos courbé, tes bras amaigris, ta pâleur, Je sens monter du fond de ma poitrine aride Jusqu’à mes tristes yeux une averse de pleurs. La noblesse des traits usés affirme encore Que tu es belle en ton printemps, et ton regard Atteste une vertu que notre époque ignore, Quelque chose dont l’or ne peut acheter l’art. Nenni-Dà ! La pouliche a renversé Mon panier de pommes ; Viens m’aider, mignonne, A les ramasser ! - Nenni-dà ! Je n’irai pas. La pouliche est au voisin ; Vous le savez bien ! Tes agneaux ont piétiné Mon beau champ de seigle ; Tu vas, belle espiègle, Me le moissonner ! -Nenni-dà ! Je n’irai pas. Ces agneaux sont au voisin ; Vous le savez bien ! Tes pigeons ont ravagé Mon jardin de roses : Dans ta chambre close J’irai les loger ! -Nenni-dà ! Vous n’irez pas, Les pigeons sont au voisin Vous le savez bien ! Viens donc à mon feu de bois Te chauffer, Jeannette ; J’ai gâteau de fête, Et du vin de choix ! -Nenni-dà ! Je n’irai pas. Vous le diriez au voisin ; Je le sais trop bien ! Le plus beau pays du monde... Le plus beau pays du monde, C’est la terre où je naquis ; Au printemps, la rose abonde Aux abords de ses courtils, D’elle émane dans la brise Un arôme sans pareil, Au clocher de ses églises Le coq guette le soleil. On y parle un doux langage, Le plus beau qu’on ait formé ; L’étranger devient plus sage, Quand il se met à l’aimer. Heureux qui reçut la chance De l’ouïr dès son berceau, Car la langue de la France Est un chant toujours nouveau. Parfums de fleurs, chants de cloches, Bruits d’eaux vives, gais frissons Des tiges qui se rapprochent, Quand mûrissent les moissons, Etoiles dans un ciel tendre, Sourires d’aubes en éveil : Ah ! mon pays j’aime entendre Ta chanson dans le soleil ! Petit village... Petit village au bord des bois Petit village au bord des plaines, Parmi les pommiers, non loin des grands chênes, Lorsque j’aperçois Le coq et la croix De ton clocher d’ardoises grises, De ton clocher fin, A travers ormes et sapins, D’étranges musiques me grisent ; Je vois des yeux dans le ciel étoilé : Là je suis né !... Petit village au bord des champs, Petit village entre les haies, Tour à tour paré de fleurs et de baies, Lorsque les doux chants De ton frais printemps, Quand l’odeur de tes violettes, De tes blancs muguets Pénètre mon coeur inquiet J’oublie et tumulte et tempêtes ; J’entends des voix dans le soir parfumé : Là j’ai aimé. Petit village de hasard Petit village aux toits de tuiles, Où rit le mystère aux rêves tranquilles, Lorsqu’à mon regard L’horizon picard Fait ondoyer ses nobles lignes Ou que la forêt Qui moutonne aux coteaux de Bray, De ses bras tendus me fait signe, Je goûte en paix l’amour et la beauté : Là j’ai chanté... Petit village aux courtils verts, Petit village de silence, Où la cloche sonne un vieil air de France, J'aime les éclairs De tes cieux couverts, Ton soleil fin entre les arbres, Les feux de tes nuits, L'oeil fixe et profond de tes puits, Ton doux cimetière sans marbres, Plein d'oiseaux fous et luisant comme pré : Là je viendrai... Le Village. Petit village sous les branches, quel est ton nom ? Tout paré de ta paisible ignorance, Tu resonges les vieux rêves de l’enfance, Au doux chant des angélus du vallon. Tu n’as point de hauts frontons de cheminées, De rails bruyants ; Tu n’as que tes courtils pleins d’oiseaux au printemps, Et de fleurs satinées ; Tu n’as que ta vieille église Avec son clocher branlant Et son toit de tuiles grises ; Mais tu gardes, solitaire et têtue Contre l’assaut du vent, Tout au bout de ta grand’ rue, La maison que j’aime Et qui domine les champs ! Ton nom obscur tu l’as donné, petit village Au sol que je laboure, aux glèbes où je sème, Au cimetière un peu sauvage Où mon père Est endormi pour toujours sous sa pierre Et, vers plus d’un fourré, Tu conserves des recoins d’ombre où j’ai pleuré. Le Printemps. Le fluide arc-en-ciel Sur le cerisier blanc a jeté son écharpe, Sur le cerisier blanc d'où sort un son de harpe, Et qui vibre au soleil ; Dans la gaze éblouissante Du fluide arc-en-ciel Vont et viennent les abeilles ; Au coeur des fleurs tremblantes, Elles chantent, En quêtant leur miel... Pâquerette. Pâquerette, pâquerette, Il y a des gouttes d'eau Sur ta collerette, Et tu plies un peu le dos... Pâquerette, pâquerette, Le beau soleil printanier Viendra-t-il les essuyer ? Pâquerette, pâquerette, Qui souris près du sentier, Je te le souhaite... Pâquerette, pâquerette, Eh ! Je crains pour toi, ce soir, La folle fillette Qui marchande de l'espoir ! Pâquerette, pâquerette, M'amie aux jolis souliers Vinedra-t-elle t'effeuiller ? (Triptolème ébloui) Images. La lune vêt les bois de mousseline bleue ; Le ciel entre les peupliers Mire ses yeux dans la rivière Où viennent se déplier Des écharpes de lumière. Dans le fond du vallon, je reconnais Bonnières... Du haut de la colline on voit les flots soyeux Accourir vers l'écluse où le moulin les guette Pour les happer dans ses mâchoires Avec un hurlement joyeux... Comme il fait clair de lune aussi dans la mémoire Du vieillard qui revient promener ses soucis Parmi les choses de jadis ! Il voit l'église blanche et, là-bas sur le faîte Du grand clocher, un coq tout d'or Dont l'ombre tombait naguère Au jardin du presbytère. Le vieux prêtre qui dort Près du porche, au cimetière, Fut autrefois son maître... Dans la vieille église blanche Il lisait parfois l'épître Le dimanche... La lune luit sur la rivière ; Le vieux curé sommeille au cimetière... (Campagne de France) Tu as vieilli... Tu as vieilli ma mère et quand je vois tes rides, Ton dos courbé, tes bras amaigris, ta pâleur, Je sens monter du fond de ma poitrine aride Jusqu'à mes tistes yeux une averse de pleurs. La noblesse des traits usés affirme encore Que tu fus belle en ton printemps, et ton regard Atteste une vertu que notre époque ignore Quelque chose dont l'or ne peut acheter l'art. Tu as vieilli ma mère et j'en ai de l'angoisse. Quant à croire pourtant que tu doives mourir Je n'y puis résigner mon coeur que le vent froisse Comme un lys frêle, un lys rebelle à se flétrir. Qui me remplacerait ta voix qui est l'eu pure De ma vie et qui m'aide à plonger dans le sol Les racines d'espoir où mon destin s'assure ? Ma mère, tu es fière et tu penches le col. Va, je sacrifierais pour toi les biens du monde Et je renoncerais à toute volupté Pour racheter tes jours qui coulent comme l'onde Entre les doigts et dont le nombre est bien compté ! (Les servitudes) Source: http://www.poesies.net