À L’Heure Des Mains Jointes. (1906) Par Renée Vivien. (1877-1909) (Pauline Mary Tarn) (Édition de 1909) . . .the hour of sisterly sweet hand-in-hand. À mon amie H. C. L. B. TABLE DES MATIERES. À L'Heure Des Mains Jointes. Psappha Revit. Ainsi je parlerai. . . Supplication. Nous Irons Vers Les Poètes. Paroles A L'Amie. Qu'Une Vague L'Emporte. Jardin Abandonné. Confidence Devant Le Soir. Sur La Place Publique. Je t'aime d'être faible. . . D'Après Swinburne. Je Connais Un Etang. En Débarquant A Mytilène. Mon Ami Le Vent. Mes Victoires. Où Donc Irai-Je? Refrain. À la Bien-Aimée. L'Offrande. Sans Fleurs A Votre Front. Sous La Rafale. Je Pleure Sur Toi. Le Jardin Matinal. Au Dieu Pauvre. Éminé. L'Amour Borgne. Ils Pleurent Vers Le Soir. Viviane. Elle Passe. Bonheur Crépusculaire. Pénitentes Espagnoles. Dans Le Havre. La Soif Impérieuse. Je fus Un Page Epris. La Palme. Le Ténébreux Jardin. Nous Nous Sommes Assises. Départ. Mensonge Du Soir. Vers Lesbos. Viens, Déesse De Kupros. Nuit Mauresque. Attente. Les Souvenirs Sont Des Grappes. Vous pour qui j'écrivis. . . Par Les Soirs Futurs. Pilori. Vaincue. Le Monde Est Un Jardin. Intérieur. Voici Mon Mal. Toi, Notre Père Odin. A L’Heure Des Mains Jointes. J’ai puérilisé mon coeur dans l’innocence De notre amour, éveil de calice enchanté. Dans les jardins où se parfume le silence, Où le rire fêlé retrouve l’innocence, Ma Douce! je t’adore avec simplicité. Tes doigts se sont noués autour de mon coeur rude. Et un balbutiement pareil au cri naïf De l’inexpérience et de la gratitude, Je te dirai comment, lasse de la mer rude, Je bénis l’ancre au port où s’amarre l’esquif. Tes cheveux et ta voix et tes bras m’ont guérie. J’ai dépouillé la crainte et le furtif soupçon Et l’artificiel et la bizarrerie. J’abrite ainsi mon coeur de malade guérie Sous le toit amical de la bonne maison. J’ai la sécurité pourtant un peu tremblante De celle dont les yeux, d’avoir pleuré, sont lourds, Et je me réjouis de l’herbe et de la plante Dans ces jardins aux bleus midis, -- un peu tremblante D’avoir trop redouté l’aspect des mauvais jours. A l’heure sororale et douce des mains jointes, J’ai contemplé, sereine, un visage effacé, Tels les convalescents aux fraîches courtepointes, La fièvre disparue. . . A l’heure des mains jointes, Je t’ai donné les derniers lys de mon passé. Psappha Revit. La lune se levait autrefois à Lesbos Sur le verger nocturne où veillaient les amantes. L’amour rassasié montait des eaux dormantes Et sanglotait au coeur profond des sarbitos. Psappha ceignait son front d’auguste violettes Et célébrait l’Eros qui s’abat comme un vent Sur les chênes. . . Atthis l’écoutait en rêvant, Et la torche avivait l’éclat des bandelettes. Les rives flamboyaient, blondes sous les pois d’or. . . Les vierges enseignaient aux belles étrangères Combien l’ombre est propice aux caresses légères, Et le ciel et la mer déployaient leur décor. . . . Certaines d’entre nous ont conservé les rites De ce brûlant Lesbos doré comme un autel. Nous savons que l’amour est puissant et cruel, Et nos amantes ont les pieds blancs des Kharites. Nos corps sont pour leur corps un fraternel miroir. Nos compagnes, aux seins de neige printanière, Savent de quelle étrange et suave manière Psappha pliait naguère Atthis à son vouloir. Nous adorons avec des candeurs infinies, En l’émerveillement d’un enfant étonné A qui l’or éternel des mondes fut donné. . . Psappha revit, par la vertu des harmonies. Nous savons effleurer d’un baiser de velours, Et nous savons étreindre avec des fougues blêmes; Nos caresses sont nos mélodieux poèmes. . . Notre amour est plus grand que toutes les amours. Nous redisons ces mots de Psappha, quand nous sommes Rêveuses sous un ciel illuminé d’argent: «O belles, envers vous mon coeur n’est point changeant» Celles que nous aimons ont méprisé les hommes. Nos lunaires baisers ont de pâles douceurs, Nos doigts ne froissent point le duvet d’une joue, Et nous pouvons, quand la ceinture se dénoue, Etre tout à la fois des amants et des soeurs. Le désir est en nous moins fort que la tendresse. Et cependant l’amour d’une enfant nous dompta Selon la volonté de l’âpre Aphrodita, Et chacune de nous demeure sa prêtresse. Psappha revit et règne en nos corps frémissants; Comme elle, nous avons écouté la sirène, Comme elle encore, nous avons l’âme sereine, Nous qui n’entendons point l’insulte des passants. Ferventes, nous prions: «Que la nuit oit doublée Pour nous dont le baiser craint l’aurore, pour nous Dont l’Eros mortel a délié les genoux, Qui sommes une chair éblouie et troublée. . .» Et nos maîtresses ne sauraient nous décevoir, Puisque c’est l’infini que nous aimons en elles. . . Et puisque leurs baisers nous rendent éternelles, Nous ne redoutons point l’oubli dans l’Hadès noir. Ainsi, nous les chantons, l’âme sonore et pleine. Nos jours sans impudeur, sans crainte ni remords, Se déroulent, ainsi que de larges accords, Et nous aimons, comme on aimait à Mytilène. Ainsi je parlerai. . . Ô si le Seigneur penchait son front sur mon trépas, Je lui dirais: «Ô Christ, je ne te connais pas. «Seigneur, ta stricte loi ne fut jamais la mienne, Et je vécus ainsi qu’une simple païenne. «Vois l’ingénuité de mon coeur pauvre et nu. Je ne te connais point. Je ne t’ai point connu. «J’ai passé comme l’eau, j’ai fui comme le sable. Si j’ai péché, jamais je ne fus responsable. «Le monde était autour de moi, tel un jardin. Je buvais l’aube claire et le soir cristallin. «Le soleil me ceignait de ses plus vives flammes, Et l’amour m’inclina vers la beauté des femmes. «Voici, le large ciel s’étalait comme un dais. Une vierge parut sur mon seuil. J’attendais. «La nuit tomba. . . Puis le matin nous a surprises Maussadement, de ses maussades lueurs grises. «Et dans mes bras qui la pressaient elle a dormi Ainsi que dort l’amante aux bras de son ami. «Depuis lors j’ai vécu dans le trouble du rêve, Cherchant l’éternité dans la minute brève. «Je ne vis point combien ces yeux clairs restaient froids, Et j’aimai cette femme, au mépris de tes lois. «Comme je ne cherchais que l’amour, obsédée Par un regard, les gens de bien m’ont lapidée. «Moi, je n’écoutai plus que la voix que j’aimais, Ayant compris que nul ne comprendrait jamais. «Pourtant, la nuit approche, et mon nom périssable S’efface, tel un mot qu’on écrit sur le sable. «L’ardeur des lendemains sait aussi décevoir: Nul ne murmurera mes strophes, vers le soir. «Vois, maintenant, Seigneur, juge-moi. Car nous sommes Face à face, devant le silence des hommes. «Autant que doux, l’amour me fut jadis amer, Et je n’ai mérité ni le ciel ni l’enfer. «Je n’ai point recueilli les cantiques des anges, Pour avoir entendu jadis des chants étranges, «Les chants de ce Lesbos dont les chants se sont tus. Je n’ai point célébré comme il sied tes vertus. «Mais je ne tentai point de révolte farouche: Le baiser fut le seul blasphème de ma bouche. «Laisse-moi, me hâtant vers le soir bienvenu, Rejoindre celles-là qui ne t’ont point connu! «Psappha, les doigts errants sur la lyre endormie, S’étonnerait de la beauté de mon amie, «Et la vierge de mon désir, pareille aux lys, Lui semblerai plus belle et plus blanche qu’Atthis. «Nous, le choeur, retenant notre commune haleine, Écouterions la voix qu’entendit Mytilène, «Et nous préparerions les fleurs et le flambeau, Nous qui l’avons aimée en un siècle moins beau. «Celle-là sut verser, parmi l’or et les soies Des couches molles, le nectar rempli de joies. «Elle nous chanterait, dans son langage clair, Ce verger lesbien qui s’ouvre sur la mer, «Ce doux verger plein de cigales, d’où s’échappe, Vibrant comme une voix, le parfum de la grappe. «Nos robes ondoieraient parmi les blancs péplos D’Atthis et de Timas, d’Éranna de Télos, «Et toutes celles-là dont le nom seul enchante S’assembleraient autour de l’Aède qui chante! «Voici, me sentant près de l’heure du trépas, J’ose ainsi te parler, Toi qu’on ne connaît pas. «Pardonne-moi, qui fus une simple païenne! Laisse-moi retourner vers la splendeur ancienne «Et, puisque enfin l’instant éternel est venu, Rejoindre celles-là qui ne t’ont point connu.» Supplication. Vois, tandis que gauchit la bruine sournoise, Les nuages pareils à des chauves-souris, Et là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris, Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise. O mon divin Tourment, dans tes yeux bleus et gris S’aiguise et se ternit le reflet de l’ardoise. Tes longs doigts, où sommeille une étrange turquoise, Ont pour les lys fanés un geste de mépris. La clarté du couchant prestigieux pavoise La mer et les vaisseaux d’ailes de colibris. . . Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris, Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise. Le flux et le reflux du soir déferlent, gris Comme la mer, noyant les pierres et l’ardoise. Sur mon chemin le Doute aux yeux pâles se croise Avec le Souvenir, près des ifs assombris. Jamais, nous défendant de la foule narquoise, Un toit n’abritera nos soupirs incompris. . . Vois là-bas, gris et bleu sous les cieux bleus et gris, Ruisseler le reflet pluvieux de l’ardoise. Nous Irons Vers Les Poètes. L’ombre nous semble une ennemie en embuscade. . . Viens, je t’emporterai comme une enfant malade, Comme une enfant plaintive et craintive et malade. Entre mes bras nerveux j’étreins ton corps léger. Tu verras que je sais guérir et protéger, Et que mes bras sont forts pour mieux te protéger. Les bois sacrés n’ont plus d’efficaces dictames, Et le monde a toujours été cruel aux femmes. Nous le savons, le monde est cruel pour les femmes. Les blâmes des humains ont pesé sur nos fronts, Mais nous irons plus loin. Là-bas, nous oublierons. . . Sous un ciel plus clément, plus doux, nous oublierons. . . Nous souvenant qu’il est de plus larges planètes, Nous entrerons dans le royaume des poètes, Ce merveilleux royaume où chantent les poètes. La lumière s’y meut sur un rythme divin. On n’a point de soucis et l’on est libre enfin. On s’étonne de vivre et d’être heureux enfin. Vois, élevés pour toi, ces palais d’émeraude Où le parfum s’égare, où la musique rôde, Où pleure un souvenir qui s’attarde et qui rôde. Mon amour, qui s’élève à la hauteur du chant, Louera tes cheveux roux plus beaux que le couchant. . . Ah! ces cheveux, plus beaux que le plus beau couchant! Les douleurs se feront exquises et lointaines, Au milieu des jardins et du bruit des fontaines, O mauresques jardins où dorment les fontaines. Nous bénirons les doux poètes fraternels En errant au milieu des jardins éternels, Dans l’harmonie et le clair de lune éternels. . . Paroles A L’Amie. Tu me comprends: je suis un être médiocre, Ni bon, ni très mauvais, paisible, un peu sournois. Je hais les lourds parfums et les éclats de voix, Et le gris m’est plus cher que l’écarlate ou l’ocre. J’aime le jour mourant qui s’éteint par degrés, Le feu, l’intimité claustrale d’une chambre Où les lampes, voilant leurs transparences d’ambre, Rougissent le vieux bronze et bleuissent le grès. Les yeux sur le tapis plus lisse que le sable, J’évoque indolemment les rives aux pois d’or Où la clarté des beaux autrefois flotte encor. . . Et cependant je suis une grande coupable. Vois: j’ai l’âge où la vierge abandonne sa main A l’homme que sa faiblesse cherche et redoute, Et je n’ai point choisi le compagnon de route, Parce que tu parus au tournant du chemin. L’hyacinthe saignait sur les rouges collines, Tu rêvais et l’Eros marchait à ton côté. . . Je suis femme, je n’ai point droit à la beauté. On m’avait condamnée aux laideurs masculines. Et j’eus l’inexcusable audace de vouloir Le sororal amour fait de blancheurs légères, Le pas furtif qui ne meurtrit point les fougères Et la voix douce qui vient s’allier au soir. On m’avait interdit tes cheveux, tes prunelles, Parce que tes cheveux sont longs et pleins d’odeurs Et parce que tes yeux ont d’étranges ardeurs. Et se troublent ainsi que les ondes rebelles. On m’a montrée du doigt en un geste irrité, Parce que mon regard cherchait ton regard tendre. . . En nous voyant passer, nul n’a voulu comprendre Que je t’avais choisie avec simplicité. Considère la loi vile que je transgresse Et juge mon amour, qui ne sait point le mal, Aussi candide, aussi nécessaire et fatal Que le désir qui joint l’amant à la maîtresse. On n’a point lu combien mon regard était clair Sur le chemin où me conduit ma destinée, Et l’on a dit: «Quelle est cette femme damnée Que ronge sourdement la flamme de l’enfer?» Laissons-les au souci de leur morale impure, Et songeons que l’aurore a des blondeurs de miel, Que le jour sans aigreur et que la nuit sans fiel Viennent, tels des amis dont la bonté rassure. . . Nous irons voir le clair d’étoiles sur les monts. . . Que nous importe, à nous, le jugement des hommes? Et qu’avons-nous à redouter, puisque nous sommes Pures devant la vie et que nous nous aimons?. . . Qu’Une Vague L’Emporte. La marée, en dormant, prolonge un souffle égal, L’âme des conques flotte et bruit sur les rives. . . Tout m’est hostile, et ma jeunesse me fait mal. Je suis lasse d’aimer les formes fugitives. Debout, je prends mon coeur où l’amour fut hier Si puissant, et voici: je le jette à la mer. Qu’une vague légère et dansante l’emporte, Que la mer l’associe à son profond travail Et l’entraîne à son gré, comme une chose morte, Qu’un remous le suspende aux branches de corail, Que le vouloir des vents contraires le soulève Et qu’il roule, parmi les galets, sur la grève. Qu’il hésite et qu’il flotte, un soir, emprisonné Par la longue chevelure des algues blondes, Que le songe de l’eau calme lui soit donné Dans le fallacieux crépuscule des ondes. . . Et que mon coeur, soumis enfin, tranquille et doux, Obéisse au vouloir du vent et des remous. Je le jette à la mer, comme l’anneau des Doges, L’anneau d’or que les flots oublieux ont terni, Et qui tomba, parmi les chants et les éloges, Dans le bleu transparent, dans le vert infini. . . L’heure est vaste, les morts charmantes sont en elles, Et je donne mon coeur à la mer éternelle. Jardin Abandonné. Ma douce, entrons dans le jardin abandonné, Dans le jardin sauvage, exquis et funéraire Où l’autrefois se plaît à roder, solitaire Et farouche, tel un vieux roi découronné. Entrons dans le jardin qu’un vent d’automne accable, Où le silence est lent comme une femme en deuil, Où les ronces d’hier font un mauvais accueil A qui n’apporte point le regret adorable. Dans le jardin où nul ne promène jamais Son importun loisir et sa mélancolie, Parmi les fleurs sans fraîche odeur et qu’on oublie, Taisons-nous, comme au temps lointain où je t’aimais. Assises toutes deux, amèrement lassées, Sous les vieux murs que les brouillards lents font moisir, Et n’ayant plus en nous l’espoir ni le désir, Evoquons la douceur des tristesses passées. Ici, les jeunes pas se font irrésolus, Ici, l’on marche avec des fatigues d’esclave En goûtant ce qu’il est de tristement suave A sourire en passant à ce qu’on n’aime plus. Puisque ici l’herbe seule est folle et vigoureuse, Attardons-nous et rassemblons nos souvenirs. Te souviens-tu des soirs dorés, des longs loisirs, Et des contentements de ton coeur d’amoureuse? O mon amour! quel beau passé nous fut donné Cependant! Respirons sa bonne odeur de rose Dans ce jardin où le souvenir se repose, Dans le calme du beau jardin abandonné. . . Confidence Devant Le Soir. Oui, je le crois, je suis calme, je suis heureuse. L’aube a dû rafraîchir mes tempes de fiévreuse. Viens, je te conterai mon passé, si tu veux. Et je te parlerai d’abord de ses cheveux. Ses cheveux la nimbaient, virginale auréole. Elle ne savait pas que la douceur console. Ses cheveux blonds étaient plus pâles qu’un reflet, Et je l’ai poursuivie ainsi qu’un feu follet. Ecoute.. Tu le sais, ô charme de mes heures! Les premières amours ne sont pas les meilleures. Cet irritant baiser qui me rongeait la chair Mordait plus âprement que le sel de la mer. Ton rêve se marie au mien lorsque je pense, Et jamais je ne fus tranquille en sa présence. Flatteuse, elle savait m’entourer de ses bras, Mais bientôt je compris qu’elle ne m’aimait pas. Et je sus m’arracher au piège de sa grâce. J’ai pleuré très longtemps. . . Malgré soi l’on se lasse. Ma vie était pareille au printemps défleuris. Je me suis dit un soir: «Mes yeux se sont taris.» Ainsi, je reconnus que son coeur était double, Si bien qu’enfin je pus la contempler sans trouble. J’évoque sans regret ces beaux jours très anciens, Plus menteurs et plus doux que les songes païens. Car ici je me crée une âme nonchalante, Et l’instant fuit, ayant les pieds blancs d’Atalante. Avec un langoureux bonheur je me détends. . . O charme de tes yeux, des parfums et du temps! Il me semble que j’ai parlé dans le délire Tout à l’heure. . . Oublions ce que je viens de dire. Sur La Place Publique. Les nuages flottants déroulaient leur écharpe Dans le ciel pur, de la couleur des fleurs de lin. J’étais fervente et jeune et j’avais une harpe. Le monde se paraît, suave et féminin. Dans la forêt, des gris violets d’amarante Réjouissaient mes yeux larges ouverts. J’entendais Rire en moi, comme au fond d’un passé, l’âme errante Et le coeur musical des pâtres irlandais. La sève m’emplissait d’une multiple ivresse Et je buvais ce vin merveilleux, à longs traits. Ainsi j’errais, portant ma harpe et sa promesse, Et je ne savais pas quel trésor je portais. Un matin, je suivis des hommes et des femmes Qui marchaient vers la ville aux toits bleus. J’ai quitté Pour les suivre les bois pleins d’ombres et de flammes Et j’ai porté ma harpe à travers la cité. Puis, j’ai chanté debout sur la place publique D’où montait une odeur de poisson desséché, Mais, dans l’enivrement de ma propre musique, Je ne percevais point la rumeur du marché. Car je me souvenais que les arbres très sages M’avaient parlé, dans le silence des grands bois. A mon entour sifflaient les âpres marchandages Mêlés aux quolibets des compères sournois. Dans la foule criant son aigre convoitise Une femme me vit et me tendit la main, Mais, emportée ailleurs par l’appel d’une brise, Celle-là disparut au tournant du chemin. Je chantais franchement: ainsi chantent les pâtres. Autour de moi, le bruit de la vile cessait, Et, comme le couchant jetait ses lueurs d’âtres, Je vis que j’étais seule et que le jour baissait. Je me mis à chanter sans témoins, pour la joie De chanter, comme on fait lorsque l’amour vous fuit, Lorsque l’espoir vous raille et que l’oubli vous broie. La harpe se brisa sous mes mains, dans la nuit. Je t’aime d’être faible. . . Je t’aime d’être faible et câline en mes bras Et de cherche le sûr refuge de mes bras Ainsi qu’un berceau tiède où tu reposeras. Je t’aime d’être rousse et pareille à l’automne, Frêle image de la Déesse de l’automne Que le soleil couchant illumine et couronne. Je t’aime d’être lente et de marcher sans bruit Et de parler très bas et de haïr le bruit, Comme l’on fait dans la présence de la nuit. Et je t’aime surtout d’être pâle et mourante, Et de gémir avec des sanglots de mourante, Dans le cruel plaisir qui s’acharne et tourmente. Je t’aime d’être, ô soeur des reines de jadis, Exilée au milieu des splendeurs de jadis, Plus blanche qu’un reflet de lune sur un lys. . . Je t’aime de ne point t’émouvoir, lorsque blême Et tremblante je ne puis cacher mon front blême, O toi qui ne sauras jamais combien je t’aime! D’après Swinburne. À Paule Riversdale, En souvenir d’une épigraphe de «l’Etre Double». Sweet for a little even to fear, and sweet, O love, to lay sown fear at love’s fair feet, Shall not some fiery memory of his breath Lie sweet on lips that touch the lips of death? Yet leave me not; yet, if thou wilt, be free. Love me no more, but love my love of thee; Love where thou wilt, and live thy life, and I, One thing I can end, one love cannot - die. . . . Yet once more ere thou hate me, one full kiss; Keep other hours for others, save me this. . . . . . Why am I fair at all before thee, why At all desired? Seeing thou art fair, not, I. I shall be glad of thee, O fairest head, Alive, alone, without thee, living, dead. . . Swinburne, Poems and Ballads, Erotion Se peut-il que je sois chérie et désirée, Douce, puisque toi seule es belle et non point moi? Je te supplie, avec les ferveurs de ma foi, Les bras chargés de fleurs que ton sourire agrée. . . Oui, pourquoi suis-je belle à tes yeux? Et pourtant Ne m’abandonne point. . . Si tu le veux, sois libre, Mais garde-moi ce rire où l’âme flotte et vibre, Ce regard, et ce geste à demi consentant. . . Ne me contemple point, puisque toi seule es belle. Douce, ne m’aime point, mais aime mon amour Impétueux et sombre ainsi qu’au premier jour Où je m’abîmai toute en l’extase cruelle. Cependant, une fois encore, comme hier, Maîtresse, accorde-moi le baiser de ta bouche. Je me réjouirai de toi dans un farouche Cri nuptial, dans un chant de triomphe amer. Je ne saurai me taire, ô le plus beau des visages! Je ne pleurerai point, si tel est ton vouloir. Nous marcherons, les pas accordés vers le soir, Plus graves au milieu des monts tristes et sages. Vivante ou morte, je me souviendrai de toi, De tes lèvres et du clair dessin de tes joues, Du mouvement suave et lent dont tu dénoues Tes cheveux, de ton col, de tes seins en émoi. Si tu le veux, prodigue à d’autres d’autres heures, Ma Maîtresse! mais garde-moi cette heure-ci, Epanouie ainsi qu’une grenade, ainsi Qu’une rose, quand de ton souffle tu l’effleures. Il est doux, pour un peu de temps, avant la mort, O chère! de trembler, d’espérer et de craindre; Il est doux, ayant bu l’extase, de s’éteindre Avec lenteur, ainsi qu’un automnal accord. . . Je Connais Un Etang. . . . il est, au coeur de la vallée, un étang que l’on nomme l’Etang mystérieux. Je connais un étang qui somnole, blêmi Par l’aube blême et par le clair de lune ami. Un iris y fleurit, hardi comme une lance, Et le songe de l’eau s’y marie au silence. Aucun souffle ne fait balancer les roseaux. Le ciel qui s’y reflète a la couleur des eaux. Le flot recèle un long regret lascif et tendre, Et le silence et l’eau trouble semblent attendre, Là, les larges lys d’eau lèvent leur front laiteux. Les éphémères d’or y meurent, deux à deux. . . Je choisirai, pour te louanger, les paroles Qui coulent comme l’eau parmi les herbes folles. Les lys semblent offrir leur coupe bleue au jour: C’est l’élévation des calices d’amour. Les éphémères font songer, tournant par couples, A des femmes valsant, ondoyantes et souples. Les lotus léthéens lèvent leur front pâli. . . Ma Loreley, glissons lentement vers l’oubli. Dans un royal adieu, tenons-nous enlacées Et mourons, comme les libellules lassées. Je te dirai: «Voici l’Etang mystérieux Que ne connaîtront point les hommes curieux. «Viens dormir au milieu des lys d’eau. . . L’iris tremble, Et nous nous étreignons, nous qui mourrons ensemble. . .» . . . Je connais un étang qui somnole, blêmi Par l’aube blême et par le clair de lune ami. Et, sous l’eau de l’étang, qui mire les chimères, Des femmes vont mourir, comme des éphémères. . . En Débarquant A Mytilène. Au fond de mon passé, je retourne vers toi, Mytilène, à travers les siècles disparates, T’apportant ma ferveur, ma jeunesse et ma foi, Et mon amour, ainsi qu’un présent d’aromates. . . Mytilène, à travers les siècles disparates, Du fond de mon passé, je retourne vers toi. Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes, Et ton azur où je me fonds et me dissous, Tes barques, et tes monts avec leurs nobles lignes, Tes cigales aux cris exaspérés et fous. . . Sous ton azur, où je me fonds et me dissous, Je retrouve tes flots, tes oliviers, tes vignes Reçois dans tes vergers en couple féminin, Ile mélodieuse et propice aux caresses. . . Parmi l’asiatique odeur du lourd jasmin, Tu n’as point oublié Psappha ni ses maîtresses. . . Ile mélodieuse et propice aux caresses, Reçois dans tes vergers un couple féminin. . . Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique . . . Ressuscite pour nous les lyres et les voix, Et les rires anciens, et l’ancienne musique Qui les rendit si poignants les baisers d’autrefois. . . Toi qui gardes l’écho des lyres et des voix, Lesbos aux flancs dorés, rends-nous notre âme antique. . . Evoque les péplos ondoyants dans le soir, Les lueurs blondes et rousses des chevelures, La coupe d’or et les colliers dans le miroir, Et la fleur d’hyacinthe et les faibles murmures. . . Evoque la clarté des belles chevelures Et des légers péplos qui passaient, dans le soir. . . Quand, disposant leurs corps sur tes lits d’algues sèches, Les amantes jetaient des mots las et brisés, Tu mêlais tes odeurs de roses et de pêches Aux longs chuchotements qui suivent les baisers. . . A notre jour, jetant des mots las et brisés, Nous disposons nos corps sur tes lits d’algues sèches. . . Mytilène, parure et splendeur de la mer, Comme elle versatile et comme elle éternelle, Sois l’autel aujourd’hui des ivresses d’hier. . . Puis Psappha couchait avec une Immortelle, Accueille-nous avec bonté, pour l’amour d’elle, Mytilène, parure et splendeur de la mer. Mon Ami Le Vent. Je t’aime et te salue, ô mon ami le vent Qui rôdes à travers les champs gras où l’on sème, Et qui viens te pencher sur la mer, en buvant Les flots dont l’âcreté ravive ta soif blême. . . Rien ne saurait combler le vide de mes bras, Et mes jours impuissants ont des torpeurs mauvaises. . . J’aspire aux infinis que l’on n’atteindra pas. . . Quand m’emporteras-tu vers les rudes falaises? Quand m’emporteras-tu vers les gris horizons, Vers les récifs et vers les îles désolées Où les plantes n’ont point les magiques poisons? Que cherchent en vain les princesses exilées?. . . Quand m’emporteras-tu vers l’éternel hiver Où nul essor de blancs goélands ne s’élance, Où les soirs ont glacé le tourment de la mer, Où rien d’humain ne vit au milieu du silence? Mes Victoires. I Tel un arc triomphal, plein d’ocres et d’azurs, Les horizons du soir s’ouvrent larges et purs. Quand passerai-je, avec mes Victoires dans l’âme, Sous l’arc édifié pour celui qu’on acclame? L’arc mémorable et vaste enferme le couchant En sa courbe pareille au rythme fier d’un chant. Quand passerai-je, ayant sur moi comme un bruit d’ailes Que font, dans l’air sacré, mes Victoires fidèles? Certes, l’heure n’est point aux poètes, et moi Je n’ai que ma jeunesse et ma force et ma foi. L’arc triomphal est là, clair parmi les nuits noires. Quand passerai-je, sous l’aile de mes Victoires? II Je le sais, -- aujourd’hui cela fait moins de mal, Je ne passerai point sous un arc triomphal. Et je n’entendrai point la voix ivre des femmes Qui sanglotent: «Voici l’offrande de nos âmes. . .» Résignée, et songeant aux défaites passées, J’aurai sur moi le bruit de leurs ailes lassées. . . Comme un arc triomphal plein d’ocres et d’azurs, Les horizons du soir s’ouvrent larges et purs. . . Où Donc Irai-Je? Nul flot ne bouge, nul rameau ne se balance. . . Le gris se fait plus gris, le noir se fait plus noir, Et le chant des oiseaux ne vaut pas le silence. . . Où donc irai-je, avec mon coeur, par ce beau soir? Dans le ciel du couchant triomphal, les nuages Roulent, lourds et dorés comme des chariots. . . Je suis lasse des jours, des voix et des visages Et des pleurs refoulés et des muets sanglots. . . Toi qui ressembles aux royales amoureuses, Revis auprès de moi les bonheurs effacés. . . A l’avenir chargé de ses roses fiévreuses Je préfère la pourpre et l’or des temps passés. . . Soyons lentes, parmi les choses trop hâtives. . . Il ne faut rien chercher. . . Il ne faut rien vouloir. . . Allons en pleine mer, sans aborder aux rives. . . Me suivras-tu, vers l’infini, par ce beau soir?. . . Refrain. Des parfums de cytise ont amolli la brise Et l’on s’attriste, errant sous le ciel transparent. . . Le soleil agonise. . . Et voici l’heure exquise. . . Dans le soir odorant, l’on s’attarde en pleurant. . . Tu reviens, frêle et rousse, ô ma belle! ô ma douce!. . . Comme en rêve, je vois tes yeux lointains et froids, Telle une eau sans secousse où le regret s’émousse. . . Sous leur regard je crois revivre l’autrefois. O chère ombre! moi-même ai brisé mon poème. . . Je ne dois plus te voir, dans le calme du soir. . . Regarde mon front blême et sens combien je t’aime. . . L’ombre, doux voile noir, couvre mon désespoir. . . Une rose inexprimable a fleuri sur le sable, Et tandis qu’alentour se fane le beau jour Je pleurerai, semblable à ceux que l’heure accable: «Seul n’a point de retour l’impatient amour. . .» À La Bien-Aimée. Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne, Et ma voile de soie et mon jardin de lys, Ma cassolette d’or et ma blanche colonne, Mon par cet mon étang de roseaux et d’iris. Vous êtes mes parfums d’ambre et de miel, ma plume, Mes feuillages, mes chants de cigales dans l’air, Ma neige qui se meurt d’être hautaine et calme, Et mes algues et mes paysages de mer. Et vous êtes ma cloche au sanglot monotone, Mon île fraîche et ma secourable oasis. . . Vous êtes mon palais, mon soir et mon automne, Et ma voile de soie et mon jardin de lys. L’Offrande. Pour lui prouver que je l’aime plus que moi-même, Je donnerai mes yeux à la femme que j’aime. Je lui dirai d’un ton humble, tendre et joyeux: «Ma très chère, voici l’offrande de mes yeux.» Je donnerai mes yeux qui virent tant de choses. Tant de couchants et tant de mers et tant de roses. Ces yeux, qui furent miens, se posèrent jadis Sur le terrible autel de l’antique Eleusis, Sur Séville aux beautés pieuses et profanes, Sur la lente Arabie avec ses caravanes. J’ai vu Grenade éprise en vain de ses grandeurs Mortes, parmi les chants et les lourdes odeurs. Venise qui pâlit, Dogaresse mourante, Et Florence qui fut la maîtresse de Dante. J’ai vu l’Hellade où pleure un écho de Syrinx, Et l’Egypte accroupie en face du grand Sphinx, J’ai vu, près des flots sourds que la nuit rassérène, Ces lourds vergers qui sont l’orgueil de Mytilène. J’ai vu des îles d’or aux temples parfumés, Et ce Yeddo, plein de vox frêles de mousmés. Au hasard des climats, des courants et des zones, J’ai vu la Chine même avec ses faces jaunes. . . J’ai vu les îles d’or où l’air se fait plus doux, Et les étangs sacrés près des temples hindous. Ces temples où survit l’inutile sagesse. . . Je te donne tout ce que j’ai vu, ma maîtresse! Je reviens, t’apportant mes ciels gris ou joyeux. Toi que j’aime, voici l’offrande de mes yeux. Sans Fleurs A Votre Front. Vous n’avez point voulu m’écouter. . . mais qu’importe? O vous dont le courroux vertueux s’échauffa Lorsque j’osai venir frapper à votre porte, Vous ne cueillerez point les roses de Psappha. Vous ne verrez jamais les jardins et les berges Où résonna l’accord puissant de son paktis, Et vous n’entendrez point le choeur sacré des vierges, Ni l’hymne d’Eranna ni le sanglot d’Atthis. Quant à moi, j’ai chanté. . . Nul écho ne s’éveille Dans vos maisons aux murs chaudement endormis. Je m’en vais sans colère et sans haine, pareille A ceux-là qui n’ont point de parents ni d’amis, Je ne suis point de ceux que la foule renomme, Mais de ceux qu’elle hait. . . Car j’osai concevoir Qu’une vierge amoureuse est plus belle qu’un homme, Et je cherchai des yeux de femme au fond du soir. O mes chants! nous n’aurons ni honte ni tristesse De voir nous mépriser ceux que nous méprisons. . . Et ce n’est plus à la foule que je m’adresse. . . Je n’ai jamais compris les lois ni les raisons. . . Allons-nous-en, mes chants dédaignés et moi-même. . . Que nous importent ceux qui n’ont point écouté? Allons vers le silence et vers l’ombre que j’aime, Et que l’oubli nous garde en son éternité. . . Sous La Rafale. De la nuit chaotique un cri d’horreur s’exhale. Venez, nous errerons tous trois sous la rafale. . . Les gouffres lanceront vers nous leurs noirs appels. Nous passerons, ô mes compagnons éternels! L’éclair nous épouvante et la nuit nous désole. . . O vieux Lear, comme toi je suis errante et folle, Et ceux de ma famille et ceux de mes amis M’ont repoussée avec des outrages vomis. Comme toi, Dante, épris d’une douleur hautaine, Je suis une exilée au coeur gonflé de haine. En dépit du tonnerre et du froid et du vent, Nul n’a voulu m’ouvrir les portes du couvent. . . Mon père, le roi fou, mon frère, le poète, Voyez mes yeux et ma chevelure défaite. Des gens du peuple, en nous apercevant tous trois, Se signeront avec d’inconscients effrois. Malgré mes mains sans sceptre et mon front sans couronne, Je te ressemble, ô Lear que le monde abandonne! Malgré la pauvreté de mon obscur destin Et de mes vers, je te ressemble, ô Florentin! Ecoutez le tonnerre aux éclats de cymbale. . . Nous errerons jusqu’à l’aube sous la rafale. Je Pleure Sur Toi. À Madame M. . . Le soir s’est refermé, telle une sombre porte, Sur mes ravissements, sur mes élans d’hier. . . Je t’évoque, ô splendide! ô fille de la mer! Et je viens te pleurer, comme on pleure une morte. L’air des bleus horizons ne gonfle plus tes seins, Et tes doigts sans vigueur ont fléchi sous les bagues; N’as-tu point chevauché sur la crête des vagues, Toi qui dors aujourd’hui dans l’ombre des coussins? L’orage et l’infini qui te charmaient naguère N’étaient-ils point parfaits, et ne valaient-ils pas Le calme conjugal de l’âtre et du repas Et la sécurité près de l’époux vulgaire? Tes yeux ont appris l’art du regard chaud et mol Et la soumission des paupières baissées. Je te vois, alanguie au fond des gynécées, Les cils fardés, le cerne agrandi par le kohl. Tes paresses et tes attitudes meurtries Ont enchanté le rêve épais et le loisir De celui qui t’apprit le stupide plaisir. O toi qui fus hier la soeur des Valkyries! L’époux montre aujourd’hui tes yeux, si méprisants Jadis, tes mains, ton col indifférent de cygne, Comme on montre ses blés, son jardin et sa vigne Aux admirations des amis complaisants. Abdique ton royaume et sois la faible épouse Sans volonté devant le vouloir de l’époux. . . Livre ton corps fluide aux multiples remous, Sois plus docile encore à son ardeur jalouse. Garde ce piètre amour, qui ne sait décevoir Ton esprit autrefois possédé par les rêves. . . Mais ne reprends jamais l’âpre chemin des grèves, Où les algues ont des rythmes lents d’encensoir. N’écoute plus la voix de la mer, entendue Comme en songe à travers le soir aux voiles d’or. . . Car le soir et la mer te parleraient encor De ta virginité glorieuse et perdue. Le Jardin Matinal. Viens, les heures d’amour sont furtives et rares. . . Le jardin matinal est plein d’oiseaux bizarres. Chère, je te convie à ce royal festin. Je ne veux pas jouir seule de ce matin. L’aube heurte le ciel comme une porte close. Viens boire la rosée au coeur blond de la rose. Bois la rosée ainsi qu’une fraîche liqueur. Mon coeur est une rose et je t’offre mon coeur. . . L’aube a des tons de nacre et des reflets de perle. La joie est simple et rien n’est aussi beau qu’un merle. Savourons cette ardeur un peu triste et pleurons De sentir la clarté première sur nos fronts. Viens, ma très chère. . . A l’est le ciel fardé chatoie, L’herbe est douce aux pieds nus comme un tapis de soie. . . Sans nous préoccuper de l’hostile destin, Rendons grâces au ciel clément pour ce matin. Au Dieu Pauvre. Je t’adore, Dieu pauvre entre les Immortels, Et j’ai tressé pour toi ces roses purpurines, Parce que tu n’as point de temples ni d’autels, Et que nul tiède encens ne flatte tes narines. Nul ne te craint et nul n’implore ta bonté. . . Ceux qui t’honorent sont pauvres, car tu leur donnes, Ayant ouvert tes mains vides, la pauvreté; Et ton souffle est plus froid que celui des automnes. Moi qui subis l’affront et le courroux des forts, Je t’apporte, Dieu pauvre et triste, ces offrandes: Des violettes que je cueillis chez les morts Et des fleurs de tabac, qui s’ouvraient toutes grandes. . . Dans un coffret de jade aux fermoirs de cristal, Dieu pauvre, je t’apporte humblement mon coeur sombre, Car je ne sais aimer que ce qui me fait mal, Eprise, d’un fantôme et le l’ombre d’une ombre. . . Je ne demande rien à ta Divinité Sans parfums et que nul prêtre n’a reconnue. . . Nul roi n’a jamais craint de t’avoir irrité Et n’a pleuré devant ta châsse froide et nue. Mais moi qui hais la foule à l’entour des autels, Moi qui raille l’espoir cupide des prières, Je te consacre, ô le plus doux des Immortels, Ce chant pieux fleuri sur mes lèvres amères. Éminé. Le couchant répandra la neige des opales, Et l’air sera chargé d’odeurs orientales. Les caïques furtifs jetteront leur éclair De poissons argentins qui traversent la mer. Ce sera le hasard qu’on aime et qu’on redoute. . . A pas lents, mon destin marchera sur la route. Je le reconnaîtrai parmi les inconnus Malgré les ciels changés et les temps survenus. . . Mon coeur palpitera, comme vibre une flamme. . . Et mon destin aura la forme d’une femme, Et mon destin aura de profonds cheveux bleus. . . Il sera le fantasque et le miraculeux. Involontairement, comme lorsque l’on pleure, Je me répéterai: «Toute femme a son heure: «Aucune ne sera pareille à celle-ci: Nul être n’attendra ce que j’attends ici.» Celle qui brillera dans l’ombre solitaire M’emmènera vers le domaine du mystère. Près d’elle, j’entrerai, pâle autant qu’Aladin, Dans un prestigieux et terrible jardin. Mon cher destin, avec des lenteurs attendries, Détachera pour moi des fruits de pierreries. Je passerai, parmi le féerique décor, Impassible devant des arbres aux troncs d’or. Et je mépriserai le soleil et la lune Et les astres en fleur, pour cette femme brune. Ses yeux seront l’abîme où sombre l’univers Et ses cheveux seront la nuit où je me perds. A ses pieds nus, pleurant d’extases infinies, Je laisserai tomber la lampe des génies. . . L’Amour Borgne. Je t’aime de mon oeil unique, je te lorgne Ainsi qu’un Chinois l’opium: Je t’aime aussi de mon amour borgne, Fille aussi blanche qu’un arum. Je veux tes paupières de bistre, Et ta voix plus lente qu’un sistre; Je t’aime de mon oeil sinistre Où luit la colère du rhum. Je te suis du regard, lubrique comme un singe, Ivre comme un ballon sans lest. Ton âme incertaine de Sphinge Flotte entre le zist et le zest. Et je halète vers l’amorce Des seins vibrants, du souple torse Où la grâce épouse la force, Et des yeux verts comme l’ouest. Ton visage s’estompe à travers les courtines; Et tu médites, un fruit sec Entre tes lèvres florentines Où s’apaise un sourire grec. Je meurs de tes paroles brèves. . . Je veux que de tes dents tu crèves Mon oeil où se brouillent les rêves, Comme un ara, d’un coup de bec. Ils Pleurent Vers Le Soir. Le jardin et le calme et la lumière basse, Et tous mes souvenirs qui pleurent vers le soir. . . La douceur d’être seule et triste et de m’asseoir Dans l’ombre, de ne plus sourire et d’être lasse. . . Parmi les frondaisons rôdent d’anciens soupirs, Et le bonheur lui-même est incertain et tremble. Je suis une qui se recueille et je rassemble Mes souvenirs, mes souvenirs, mes souvenirs. . . Ils se glissent, ainsi que des ombres furtives, Les mains vides et les yeux éteints, en des prés Sans odeurs et que nul printemps n’a diaprés. Leurs pas ne laissent point d’empreinte sur les rives. Ils ne contiennent plus leurs sanglots étouffants. D’aucuns, aux yeux ternis, telles de vieilles lames, Pleurent en se voilant, comme pleurent les femmes; D’autres pleurent sans honte, ainsi que les enfants. Je suis seule, je ne suis plus une amoureuse, Et je n’adore plus un sourire enchâssé Par le couchant: je me cherche dans mon passé, Et j’évoque le temps où j’étais moins heureuse. . . . Plus légers qu’un oiseau, plus frêles qu’un hochet, Voici les souvenirs lointains de mon enfance. Ils courent, leurs rubans sont couleur d’espérance, Leurs jupes ont encore une odeur de sachet. Et maintenant, voici les souvenirs funèbres, Ils passent, dédaigneux du rêve et de l’effort Et couronnés des violettes de la mort; Leurs vêtements de deuil se mêlent aux ténèbres. Je rêve sans ardeur, tels les pâles reclus. . . La Loreley que j’ai cruellement aimée S’évanouit ainsi qu’une blonde fumée Et je sens aujourd’hui que je ne l’aime plus. Puis, un souvenir rit, et son rire chevrote. . . Ce rire de vieille où se fêle la gaîté!.. Dans le jardin, que baigne un silence attristé, L’ombre verte se creuse à l’égal d’une grotte. Je n’ai plus de ferveur, je n’ai plus de désirs, Je ne veux que la paix du jardin et de l’heure. . . Il me semble qu’hier j’étais un peu meilleure. . . Qu’on me laisse pleurer avec mes souvenirs. . . Viviane. Les yeux fixes et las devant l’éternité, Blême d’avoir connu l’épouvante des mondes, Merwynn songe. . . Un visage aux paupières profondes Le contemple à travers les feuillages d’été. L’amour, comme un parfum plein de poisons, émane Du corps de Viviane. Des arbres violets et des infinis bleus Ruissellent la tiédeur, et l’ombre et l’harmonie. La lumière se meurt dans l’étreinte infinie D’un lascif crépuscule aux reflets onduleux. Voici que se rapproche, à pas lents, diaphane Et longue, Viviane. «Je te plains, ô Penseur dont le regard me fuit, Car tu n’as point connu, toi qui vois toutes choses, La pâleur des pavots et le rire des roses, L’ardeur et la langueur des lèvres dans la nuit. Pourquoi railler et fuir la volupté profane, L’appel de Viviane?» Et Merwynn répondit: «Ma passive raison Subit le charme aigu du mensonge et l’ivresse Du péril. Ton accent persuade et caresse, Modulant avec art l’exquise trahison. Entre tes doigts cruels un lys meurtri se fane, Perfide Viviane. «Que le soleil d’amour qui ressemble au trépas M’emprisonne à jamais sous le réseau du rêve, Esclave du baiser à la blessure brève, Du frôlement des mains, de l’étreinte des bras Insinuants et frais ainsi qu’une liane, Des bras de Viviane!» Le soir et la forêt recueillent le soupir De l’Enchanteur vaincu par l’appel de l’Amante. Il voit, tandis qu’au loin le fleuve se lamente, Les yeux d’or des oiseaux nocturnes refleurir. . . Et, triomphal parmi les astres, brûle et plane L’astre de Viviane. Elle Passe. Le ciel l’encadre ainsi que ferait une châsse, Et je vivrais cent ans sans jamais la revoir. Elle est soudaine: elle est le miracle du soir. L’instant religieux brille et tinte. Elle passe. . . Je suis venue avec la foule des lépreux Dès l’aurore, ayant su que je serais guérie. Ils regardent vers elle avec l’idolâtrie En pleurant à voix basse. Et je pleure avec eux. Un rayon d’espérance illumine l’espace, Car ses pieds nus ont sanctifié le chemin. Voyez! un grand lys blanc est tombé de sa main. . . Les sanglots se sont tus brusquement. Elle passe. De nous tous qui pleurions elle a fait ses élus, Et parmi nous aucun ne pleure ni ne doute. Elle ne reviendra plus jamais sur la route, Mais je la vis passer et je ne souffre plus. Bonheur Crépusculaire. Tes sombres anneaux d’améthyste S’animent et tremblent un peu Sous la jaune lueur du feu. . . Au-dehors la clarté persiste. Accueillons le songe, donneur D’enchantements et de féeries. . . Mêlons nos âmes attendries Et parlons de notre bonheur. Parlons du bonheur, ma très chère, Comme l’on parle d’un ami, Evoquant, en l’âtre endormi, Sa ressemblance familière. . . Les choses semblent nous servie Dans un empressement docile. . . Chuchotons: «Mon âme tranquille N’a plus de rêves d’avenir.» Le bonheur se fait mieux comprendre Par les intimités d’hiver, Lorsque flotte et pleure dans l’air L’âme du crépuscule tendre. Le bonheur est tissé d’oubli; Il ne connaît pas l’espérance; Il ressemble à la délivrance Après le labeur accompli. Et c’est le bonheur d’être assises Toutes deux, auprès du foyer, Et de voir le feu rougeoyer En tes calmes prunelles grises. C’est de taire les vains aveux Et d’oublier les autres femmes, En regardant luire les flammes A travers tes profonds cheveux. C’est de voir s’embraser l’automne Dans l’âtre aux multiples reflets Où croulent des tours, des palais, Des façades et des colonnes. . . Dans mon coeur qui frissonne un peu, Un sanglot d’autrefois persiste. . . Vois comme le bonheur est triste, Les soirs d’hiver, auprès du feu. . . Pénitentes Espagnoles. Le repentir songeur n’use plus leurs genoux. Parmi les champs malsains et les villes malades Elles dansent, ainsi que de noires Ménades. Parfois le vent du soir éteint leurs cierges roux. Elles ont coupé leurs chevelures altières; Le cilice a mordu leurs seins endoloris Leurs psaumes, soupirés ou jetés à grands cris, S’accompagnent du son rauque des grelottières. Pourtant, il dort au fond de leurs yeux espagnols Des souvenirs qui sont comme un jardin mauresque Où le jet d’eau retrace une blanche arabesque, Où s’exaltent les voix de mille rossignols. Et c’est en vain que ces lascives pénitentes Lancent publiquement leurs clameurs de remords. . . Jusqu’au jour où les vers rongeront leurs yeux morts, Leur chair n’oubliera pas ses langueurs consentantes. Leurs flancs meurtris sont prêts encore aux pâmoisons, Et leur bouche d’amante ouvre sa rose tiède, Car le vent de Grenade et le vent de Tolède Mêlent leurs sourds parfums au bruit des oraisons. Elles ne verront point, de leurs yeux de fiévreuses, Le ciel où l’on n’a plus de souvenirs d’amour, D’où, froide en sa blancheur, l’éternité du jour Chasse les voluptés aux ferveurs ténébreuses. Elles n’entreront point au ciel limpide et clair, Mais, dans la nuit ardente où pleurent les damnées, L’amour, ressuscitant du tombeau des années, Saura leur alléger les tourments de l’enfer. Dans Le Havre. Lasse comme les flot, lasse comme les voiles, J’entre dans le doux port plein d’embruns et d’étoiles. Depuis des temps j’ai vu les plus divins climats Et je dors en ce havre où sommeillent des mâts. Mon esprit s’est tourné vers des rêves plus sages, Je désapprends enfin l’ardeur des longs voyages. Tant de rires dorés viennent vous décevoir Que l’on se sent moins de jeunesse vers le soir. . . En vain j’ai côtoyé les terres trop charmantes Qui déçoivent, ainsi que le font les amantes. J’y croyais découvrir des océans d’or bleu, Des fleuves d’escarboucle et des roses de feu, Mais je sus que d’aucuns mentaient en parlant d’elles, Et que le rêve seul les rendait aussi belles. . . Donc je reviens trouver la bonne paix. Ici, Le soleil est moins vif, le ciel s’est adouci. Dans le doux havre où se reflètent les étoiles, Je verrai sans regret partir les autres voiles. La Soif Impérieuse. J’étais hier la voyageuse solitaire. J’allais, portant au coeur une âpre anxiété. . . J’avais besoin de toi comme d’un flot d’été, D’un flot purifiant où l’on se désaltère. Aujourd’hui, mon silence a des bonheurs pensifs. O très chère! et mon âme est une coupe pleine, Le monde est beau comme un verger de Mytilène: Je ne crains plus le soir qui pleure sous les ifs. J’avais besoin de toi comme d’une eau courante Que l’on écoute et qui berce votre chagrin Dans un ruissellement musical et serein. . . J’entendis ta voix claire ainsi qu’une eau qui chante. Ta voix coulait, murmure et cadence à la fois, Chère, et ce fut dans mon être le bleu nocturne, Et, je sentis alors mon chagrin taciturne S’attendrir. . . J’écoutais l’eau pure de ta voix. Depuis lors, la lourdeur des blancs midis m’enchante, Et ma soif ne craint plus le soleil irrité. . . J’avais besoin de toi comme d’un flot d’été, J’avais besoin de toi comme d’une eau qui chante. . . Je Fus Un Page Epris. C’est l’heure où le désir implore et persuade. . . Le monde est amoureux comme une sérénade, Et l’air nocturne a des langueurs de sérénade. Les ouvriers du soir, tes magiques amis, Ont tissé d’or léger ta robe de samis Et semé d’iris bleus la trame du samis. Il me semble que nous venons l’une vers l’autre Du fond d’un autrefois inconnu qui fut nôtre, D’un pompeux et tragique autrefois qui fut nôtre. Sur mes lèvres persiste un souvenir charmant. Qui peut savoir? Je fus peut-être ton amant. . . O ma splendeur! Je fus naguère ton amant. . . Une ombre de chagrin un peu cruel s’obstine, Amenuisant encor ta bouche florentine. . . Ah! ton sourire aigu de Dame florentine! Mon souvenir est plus tenace qu’un espoir. . . L’âme d’un page épris revit en moi ce soir, D’un page qui chantait sous ton balcon, le soir. . . La Palme. À mon réveil, ce fut le miracle du monde, Le ciel aux bleus de songe et les flots d’or vivant, La Méditerranée. . . Et j’allais en rêvant, Tant la paix de l’aurore était sage et profonde, Que pour nous seules l’univers était vivant, Et que nous étions l’âme et le centre du monde. M’étant perdue au fond du jardin matinal, Je détachai pour toi du palmier cette palme Que la terre nourrit de sève forte et calme. Là-bas, où l’air sonore est un vibrant cristal, Très chère, tu prendras entre tes mains la palme Que j’ai rompue, en le mystère matinal. Car j’ai choisi, pour t’encadrer, ô la plus belle! La volupté de ce décor italien, De ce ciel dont le rire est moins doux que le tien, De cette mer qui voit la lune émerger d’elle. . . Vois, le prestigieux décor italien Est seul digne de t’encadrer, ô la plus belle! Et toi, sachant que rien n’égale la beauté, Ni la puissance, ni la foi, ni le génie, Souris, victorieuse, inconnue, infinie, Parfaite en ta douceur comme en ta cruauté, Plus grande que l’effort le plus fier du génie, O femme pâle en qui triomphe la beauté! Le Ténébreux Jardin. Les heures ont éteint le feu de mes vertèbres, Et leur morne lourdeur a pesé sur mon front. . . Voici que les lointains trop clairs s’attendriront Et la nuit m’ouvrira son jardin de ténèbres. Solitaire, tandis que le temps coule et fuit, Je cueillerai les fleurs du regret et du songe. Reconnaissante au doux charme qui se prolonge, J’offrirai le parfum de mon âme à la nuit. Les poèmes ont des lignes trop régulières, Les musiques, un son trop clair, trop cristallin. . . Je frapperai bientôt aux portes du jardin Qui s’ouvriront pour moi, larges et familières. Car la nuit m’aime: elle a compris que je l’aimais. . . Et, sachant que je suis résignée et lointaine, Elle m’apporte, ainsi qu’en un coffret d’ébène, La tristesse des autrefois et des jamais. . . La nuit me livrera ses lys noirs et ses roses Noires et ses violettes aux bleus obscurs, Et je m’attarderai dans l’angle de ses murs Tels que ceux des cités royalement encloses. . . Peu m’importe aujourd’hui le caprice du sort. . . La nuit s’ouvre pour moi comme un jardin de reine Où je promènerai ma volupté sereine Et mon indifférence à l’égard de la mort. Nous Nous Sommes Assises. Ma douce, nous étions comme deux exilées, Et nous portions en nous nos âmes désolées. L’air de l’aurore était plus lancinant qu’un mal. . . Nul ne savait parler le langage natal. . . Alors que nous errions parmi les étrangères, Les odeurs du matin ne semblaient plus légères. . . .Lorsque tu te levas sur moi, tel un espoir, Ta robe triste était de la couleur du soir. Voyant tomber la nuit, nous nous sommes assises, Pour sentir la fraîcheur amical des bises. Puisque nous n’étions plus seules dans l’univers, Nous goûtions avec plus de langueur les beaux vers. Chère, nous hésitions, sans oser croire encore, Et je te dis: «Le soir est plus beau que l’aurore.» Tu me donnas ton front, tu me donnas tes mains, Et je ne craignis plus les mauvais lendemains. Les couleurs éteignaient leurs splendide insolence; Nulle voix ne venait troubler notre silence. . . J’oubliai les maisons et leur mauvais accueil. . . Le couchant empourprait mes vêtements de deuil. Et je te dis, fermant tes paupières mi-closes: «Les violettes sont plus belles que les roses.» Les ténèbres gagnaient l’horizon, flot à flot. . . Ce fut autour de nous l’harmonieux sanglot. . . Une langueur noyait la cité forte et rude, Nous savourions ainsi l’heure en sa plénitude. La mort lente effaçait la lumière et le bruit. . . Je connus le visage auguste de la nuit. Et tu laissas glisser à tes pieds nus tes voiles. . . Ton corps m’apparut, plus noble sous les étoiles. C’était l’apaisement, le repos, le retour. . . Et je te dis: «Voici le comble de l’amour. . .» Jadis, portant en nous nos âmes désolées, Ma Douce, nous étions comme deux exilées. . . Départ. La lampe des longs soirs projette un rayon d’ambre Sur les cadres dont elle estompe les vieux ors. L’heure de mon départ a sonné dans la chambre. . . La nuit est noire et je ne vois rien au-dehors. Je ne reconnais plus le visage des choses Qui furent les témoins des jours bons et mauvais. . . Voici que meurt l’odeur familière des roses. . . La nuit est noire, et je ne sais pas où je vais. Devrais-je regretter cet autrefois?. . . Peut-être. . . Mais je n’appartiens point aux regrets superflus. . . Je marche devant moi, l’avenir est mon maître, Et, quel que soit mon sort, je ne reviendrai plus. Mensonge Du Soir. Or, par un soir pareil, je crus être poète. . . J’avais rêvé, dans le silence trop exquis, De soleils possédés et de lauriers conquis. . . Et ma vie est semblable aux lendemains de fête. Tout me fait mal, l’été, le rayon d’un fanal Rouge sur l’eau nocturne, et le rythme des rames, Les rosiers d’un jardin et les cheveux des femmes Et leur regard, tout me fait mal, tout me fait mal. Venez à moi, mes deux amours, mes bien-aimées. . . Je vous entourerai de vos anciens décors, Je vous rendrai vos fleurs, vos gemmes et vos ors, Et je rallumerai vos torches consumées. Vous fûtes ma splendeur et ma gloire et mon chant, Toi, Loreley, clair de lune, rire d’opale Et toi dont la présence est calme et vespérale, Et l’amour plus pensif que le soleil couchant. O vous que mes désirs et mes pleurs ont parées, Toi que j’aimais hier, toi que j’aime aujourd’hui, Allons vers les palais d’où les reines ont fui, Et vers les faibles mers qui n’ont point de marées. Le dernier frisson d’or s’est tu dans les guêpiers. . . Toi, pâle comme Atthis, et toi, ceinte de roses Comme Dika, marchons sur les routes moroses Qui n’ont point su arder l’empreinte de nos pieds. Le présent despotique est comme un maître rude Qui tourmente l’esclave au sommeil harassé. . . Mes chères, descendons la pente du passé En sentant que le soir est plein de lassitude. Je songe à l fatigue, à l’ennui des retours Qui suivent les départs vers les terres charmantes. . . Allons ainsi jusqu’au futur, ô mes amante! Sachant que nous avons vécu nos plus beaux jours. Vers Lesbos. Tu viendras, les yeux pleins du soir et de l’hier. . . Et ce sera par un beau couchant sur la mer. Frêle comme un berceau posé sur les flots lisses, Notre barques sera pleine d’ambre et d’épices. Les vents s’inclineront, soumis à mon vouloir. Je te dirai: «La mer nous appartient, ce soir.» Tes doigts ressembleront aux longs doigts des noyées. Nous irons au hasard, les voiles déployées. Levant tes yeux surpris, tu me demanderas: «Dans quel lit inconnu dormirai-je en tes bras?» Des oiseaux chanteront, cachés parmi les voiles. Nous verrons se lever les premières étoiles. Tu me diras: «Les flots se courbent sous ma main. . . Et quel est ce pays où nous vivrons demain?» Mais je te répondrai: «L’onde nocturne est blême, Et nous sommes encor loin de l’île que j’aime. «Ferme tes yeux lassés par le voyage et dors Comme en ta chambre close aux rumeurs du dehors. . . «Telle, dans un verger, une femme qui chante, Le bonheur nous attend dans cette île odorante. «Couvre ta face pâle avec tes cheveux roux. L’heure est calme et la paix de la mer est sur nous. «Ne t’inquiète point. . . Je suis accoutumée Aux risques de la mer et des vents, Bien-Aimée. . .» Sous la protection du croissant argentin, Tu dormiras jusqu’à l’approche du matin. Les plages traceront au loin la grise marge De leurs sables. . . Tes yeux s’ouvriront sur le large. Tu m’interrogeras, non sans un peu d’effroi. Des chants mystérieux parviendront jusqu’à toi. . . Tu me diras, avec des rougeurs ingénues: «Rien n’est aussi troublant que ces voix inconnues. «Leur souffle harmonieux évente mon front las: Mais l’aube est sombre encore et je ne comprend pas. «Notre mauvais destin saura-t-il nous rejoindre Au fond de ce matin craintif que je vois poindre?» Je te dirai, fermant tes lèvres d’un baiser: «Le bonheur est là-bas. . . Car il faut tout oser. . . «Là-bas, nous entendrons la suprême musique. . . Et, vois, nous abordons à l’île chimérique. . .» Viens, Déesse De Kupros. . . Viens, Déesse de Kupros, et verse délicatement dans les coupes d’or le nectar mêlé de joies. Psappha Mon orgueil n’a connu que le blâme et l’affront, Et l’impossible gloire au loin rit et chatoie. . . Puisque le noir laurier ne ceindra point mon front, Remplis la coupe d’or et verse-moi la joie! Je me couronnerai de pampre, vers le soir. Grâce au vin bienfaisant qui chante dans les moelles, Je me verrai marcher vers l’azur et m’asseoir Parmi les Dieux, devant le festin des étoiles. Verse le vin de Chypre et le vin de Lesbos, Dont la chaude langueur sourit et s’insinue, Et, l’heure étant sacrée au roux Dionysos, Prends le thyrse odorant et danse, ardente et nue. Je bois l’été, le chant des cigales, les fruits, Les fleurs et le soleil dans le creux de l’amphore; Car la nuit du festin est brève entre les nuits Et le pampre divin se flétrit dès l’aurore. Nuit Mauresque. La nuit est façonnée avec un art subtil Ainsi qu’un merveilleux palais de Boabdil. La fontaine redit ses rythmes monotones Et les ifs argentés sont de blanches colonnes. Dans le jardin, roi morne et conquérant lassé. Se recueille et s’attarde et veille le passé. Le ciel, où la lumière est éclatante et noire, Est un plafond de cèdre et de nacre et d’ivoire. Par cette nuit d’amour, mon désir est moins près Des jets d’eau radieux et purs que des cyprès. Pourtant j’aime l’élan des rossignols, et j’aime Ces fontaines qui sont plus belles qu’un poème. Viens dans ces murs, où ton caprice me céda, Ma maîtresse de tous les temps, Zoraïda! Faisons revivre, au fond de ces tièdes allées, Les languides ghuzlas et les femmes voilées. Et rêvons un amour insensé, frémissant De victoire fatale et de fièvre et de sang. Ma maîtresse! tandis que l’instant se prolonge, Errons, les doigts unis, dans l’Alhambra du songe. Attente. En cette chambre où meurt un souvenir d’aveux, L’odeur de nos jasmins d’hier s’est égarée. . . Pour toi seule je me suis vêtue et parée, Et pour toi seule j’ai dénoué mes cheveux. J’ai choisi des joyaux. . . Ont-ils l’heur de te plaire? Dans mon coeur anxieux quelque chose s’est tu. . . Comment t’apparaîtrai-je et que me diras-tu, Amie, en franchissant mon seuil crépusculaire? Des violettes et des algues vont pleuvoir A travers le vitrail violet et vert tendre. . . Je savoure l’angoisse idéale d’attendre Le bonheur qui ne vient qu’à l’approche du soir. En silence, j’attends l’heure que j’ai rêvée. . . La nuit passe, traînant son manteau sombre et clair. . . Mon âme illimitée est éparse dans l’air. . . Il fait tiède et voici: la lune s’est levée. Les Souvenirs Sont Des Grappes. Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène. . . Les souvenirs sont des grappes que l’on égrène. Le silence est pareil à l’écho d’une voix, Et je me tourne, avec les regards d’autrefois, Vers celles qu’aujourd’hui mon baiser importune, Celle qui fut ma Loreley, ma fleur de lune. Pendant le jour je puis l’oublier, mais la nuit, Très blonde, elle se lève et son visage luit. . . Et je me sens alors moins forte, moins sereine. . . Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène... Ses yeux changeants et frais sont le reflet de l’eau. . . Quand je rêve, tout le passé me semble plus beau. Quand je rêve, tout le passé se transfigure. . . Je la vois dénouant sa froide chevelure. Lorsque mon coeur est plein de l’ardeur du couchant, Je ne sais plus combien son rire fut méchant. Le croissant fend l’éther ainsi qu’une carène. . . Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène. Lorsque l’ombre montante emplit mon coeur lassé, Je sens que nul bonheur ne vaut l’amer passé, Je sais combien sont faux les baisers que tu donnes, O chère! mais je sais que les larmes sont bonnes. Le passé rare est un trésor enseveli. . . Parfois, je ne crains rien au monde sauf l’oubli. Les souvenirs sont des grappes que l’on égrène. Voici l’heure amoureuse où chante la Sirène. . . Vous pour qui j’écrivis. . . Vous pour qui j’écrivis, ô belles jeunes femmes! Vous que, seules, j’aimais, relirez-vous mes vers Par les futurs matins neigeant sur l’univers, Et par les soirs futurs de roses et de flammes? Songerez-vous, parmi le désordre charmant De vos cheveux épars, de vos robes défaites: «Cette femme, à travers les sanglots et les fêtes, A porté ses regards et ses lèvres d’amant.» Pâles et respirant votre chair embaumée, Dans l’évocation magique de la nuit, Direz-vous: «Cette femme eut l’ardeur qui me fuit. . . Que n’est-elle vivante! Elle m’aurait aimée. . .» Par Les Soirs Futurs. Non! par les soirs futurs de roses et de flammes, Mystérieux ainsi que les temples hindous, Nul ne saura mon nom et nulle d’entre vous Ne redira mes vers, ô belles jeunes femmes! Nulle de vous n’aura le caprice charmant De regretter l’amour d’une impossible amie, Et d’appeler tout bas, désireuse et blêmie, L’impérieux baiser de mes lèvres d’amant. Vous chercherez l’amour, fraîches et parfumées, Tournant vers l’avenir vos pas irrésolus, Et nulle d’entre vous ne se souviendra plus De moi, qui vous aurais si gravement aimées. . . Pilori. Pendant longtemps, je fus clouée au pilori, Et des femmes, voyant que je souffrais, ont ri. Puis, des hommes ont pris dans leurs mains une boue Qui vint éclabousser mes tempes et ma joue. Les pleurs montaient en moi, houleux comme des flots, Mais mon orgueil me fit refouler mes sanglots. Je les voyais ainsi, comme à travers un songe Affreux et dont l’horreur s’irrite et se prolonge. La place était publique et tous étaient venus, Et les femmes jetaient des rires ingénus. Ils se lançaient des fruits avec des chansons folles, Et le vent m’apportait le bruit de leurs paroles. J’ai senti la colère et l’horreur m’envahir. Silencieusement, j’appris à les haïr. Les insultes cinglaient, comme des fouets d’ortie. Lorsqu’ils m’ont détachée enfin, je suis partie. Je suis partie au gré des vents. Et depuis lors Mon visage est pareil à la face des morts. Vaincue. Le couchant est semblable à la mort d’un poète. . . Ah! pesanteur des ans et des songes vécus! Ici, je goûte en paix l’heure de la défaite, Car le soir pitoyable est l’ami des vaincus. Mes vers n’ont pas atteint à la calme excellence, Je l’ai compris, et nul ne les lira jamais. . . Il me reste la lune et le proche silence, Et les lys, et surtout la femme que j’aimais. . . Du moins, j’aurai connu la splendeur sans limite De la couleur, de la ligne, de la senteur. . . J’aurai vécu ma vie ainsi que l’on récite Un poème, avec art et tendresse et lenteur. Mes mains gardent l’odeur des belles chevelures. Que l’on m’enterre avec mes souvenirs, ainsi Qu’on enterrait avec les reines leurs parures. . . J’emporterai là-bas ma joie et mon souci. . . Isis, j’ai préparé la barque funéraire Que l’on remplit de fleurs, d’épices et de nard, Et dont la voile flotte en des plis de suaire. . . Les rituels rameurs sont prêts. . . Il se fait tard. . . Sous la protection auguste de tes ailes, O Déesse! j’irai vers les prés sans avril. . . Je partirai, parmi les odes fraternelles, Sur un fleuve plus large et plus noir que le Nil. Et que mon coeur soit lourd dans ta juste balance, Lorsque j’arriverai près du trône fatal Où le silence noir est plein de vigilance Et que servent les Dieux à têtes de chacal. Isis, fais-moi rejoindre, au fond des plaines nues, Les poètes obscurs qui savent les affronts Et qui passent, chantant leurs strophes inconnues Dans le soir éternel qui pèse sur leurs fronts. . . Le Monde Est Un Jardin. Le monde est un jardin de plaisir et de mort, Où l’ombre sous les bleus feuillages semble attendre, Où la rose s’effeuille avec un bruit de cendre, Où le parfum des lys est volontaire et fort? Parmi les lys nouveaux et les roses suprêmes, Nous mêlons nos aveux à d’antiques sanglots. . . Le monde est le jardin où tout meurt, les pavots Et les sauges et les romarins et nous-mêmes. Des rires sont cachés partout; l’on sent courir Au ras du sol les pieds invisibles des brises, Et nous nous promènerons dans ce jardin, éprises Et ferventes, sachant que nous devons mourir. . . Nous allons au hasard de nos rêves, j’effleure Ton col, et tes yeux sont comme un lac endormi. Le soleil nous regarde avec des yeux d’ami, Et nous ne songeons point à la fuite de l’heure. Nous marchons lentement et notre ombre nous suit. . . Le vent bruit avec un long frisson de traîne. . . Nous qui ne parlons pas de notre mort certaine, Avons-nous oublié l’approche de la nuit?. . . Intérieur. Dans mon âme a fleuri le miracle des roses. Pour le mettre à l’abri, tenons les portes closes. Je défends mon bonheur, comme on fait des trésors, Contre les regards durs et les bruits du dehors. Les rideaux sont tirés sur l’odorant silence, Où l’heure au cours égal coule avec nonchalance. Aucun souffle ne fait trembler le mimosa Sur lequel, en chantant, un vol d’oiseaux pesa. Notre chambre paraît un jardin immobile Où des parfums errants viennent trouver asile. Mon existence est comme un voyage accompli. C’est le calme, c’est le refuge, c’est l’oubli. Pour garder cette paix faite de lueurs roses, O ma Sérénité! tenons les portes closes. La lampe veille sur les livres endormis, Et le feu danse, et les meubles sont nos amis. Je ne sais plus l’aspect glacial de la rue Où chacun passe, avec une hâte recrue. Je ne sais plus si l’on médit de nous, ni si L’on parle encor. . . Les mots ne font plus mal ici. Tes cheveux sont plus beaux qu’une forêt d’automne, Et ton art soucieux les tresse et les ordonne. Oui, les chuchotements ont perdu leur venin, Et la haine d’autrui n’est plus qu’un mal bénin. Ta robe verte a des frissons d’herbes sauvages, Mon amie, et tes yeux sont pleins de paysages. Qui viendrait nous troubler, nous qui sommes si loin Des hommes? Deux enfants oubliés dans un coin? Loin des pavés houleux où se fanent les roses, Où s’éraillent les chants, tenons les portes closes. . . Voici Mon Mal. Parmi mes lys fanés je songe que c’est toi Qui me fis le plus grand chagrin d’amour, Venise! Tu m’as trahie autant qu’une femme et conquise En me prenant ma force, et mon rêve et ma foi. . . . Je ne cherche plus rien dans Venise: l’ivresse Des beaux palais n’est plus en moi; le chant banal Des gondoliers me fait haïr le Grand Canal, Et je n’espère plus aimer la Dogaresse. Voici mon mal: il est négligeable et profond. Rendue indifférente à la beauté que j’aime, J’erre, portant le deuil éternel de moi-même, Parce que je n’ai pas de lauriers à mon front. Toi, Notre Père Odin. Le vent d’hiver s’élance, audacieux et fort, Ainsi que les Vikings, en leur nobles colères. La tempête a soufflé sur les pins séculaires Et les flots ont bondi. . . Venez, mes Dieux du Nord! Vos yeux ont le reflet des lames boréales, Les abîmes vous sont de faciles chemins, Et vous êtes grands et sveltes comme les pins, O maîtres des cieux froids et des races loyales! Mes Dieux du Nord, hardis et blonds, réveillez-vous De votre long sommeil dans les neiges hautaines, Et faites retentir vos appels sur les plaines Où se prolonge au soir le hurlement des loups. Venez, mes Dieux du Nord aux faces aguerries, Toi, notre père Odin, toi dont les cheveux d’or, Freya, sont pleins d’odeurs, et toi, valeureux Thor, Toi, Fricka volontaire, et vous, mes Valkyries! Ecoutez-moi, mes Dieux, pareils aux clairs matins: Je suis la fille de vos Skaldes vénérables, De ceux qui vous louaient, debout auprès des tables Où les héros buvaient l’hydromel des festins. Venez, mes Dieux puissants, car notre hiver est proche, Nous allons rire avec les joyeux ouragans, Nous abattrons le chêne épargné par les ans, Et les monts trembleront jusqu’en leur coeur de roche! Nous poserons nos pieds triomphants sur les mers, Et nous réjouirons de la danse des vagues; Pour nous s’animeront les brumes, formes vagues, Et pour nous nous brilleront les sillons de l’éclair. Les mouettes crieront vers nous et vers l’otage Que nous apporterons dans le creux de nos mains. . . Or voici qu’on entend les combats surhumains Et le cri des vaincus sur le blême rivage. Voici, mes Dieux, que vous riez comme autrefois Et que l’aigle tournoie au-dessus de son aire. Nous avons déchaîné la meute du tonnerre, Et les falaises ont reconnu notre voix. La terre écoutera nos farouches musiques, Et les cieux révoltés ploieront sous notre effort. . . Venez à moi qui vous attends, mes Dieux du Nord! Je suis la fille de vos Skaldes héroïques. . . Source: http://www.poesies.net.