Poèmes Inspirés. (1903-1904) Par Renée Vivien. (1877-1909) (Pauline Mary Tarn) TABLE DES MATIERES Sapho. (1903) Ode A L'Aphrodita. Ode A Une Femme Aimée. Le soir fait fleurir. . . Tu M'Oublies. Pour Androméda. . . Tout est blanc. . . Atthis aux cheveux. . . Mes yeux ont vu fuir. . . Dors. . . Je ne change point. . . Viens, Déesse de Kuprôs. . . Que le vent du soir. . . Je t'ai possédée. . . Un clair souvenir. . . La lune parut dans son plein. . . Ainsi qu'une pomme. . . O soir, toi qui ramènes... Lasse du jardin. . . Jamais une vierge aussi sage que toi. . . A qui m'interroge. . . O toi dont le trône. . . Je n'espère point. . . Au-dessus. . . L'automne est pareil. . . Demain tu mourras d'une mort. . . Et blessée. . . Tu Nous Brûles. La vierge Timas au printemps. . . O toi le plus beau des astres. . . Gurinnô qui pleure. . . Va jusqu'au jardin clair. . . Dans les lendemains. . . Aujourd'hui l'Erôs fatal. . . L'or est fils de Zeus. . . L'Aurore Vénérable. La fraîcheur se glisse. . . ... de Gorgô pleinement rassasiée... La lune s'est couchée... Les femmes de la Crète dansent. . . Le grave couchant éteint. . . Persuasion, Peithô. . . O filles de Zeus. . . J'écoute en rêvant. . . L'Erôs a ployé mon âme. . . J'enseignai les chants. . . Je te vis cueillir. . . Et j'ignorerai la souillure. . . Dominant la Terre. . . Compagnes, voici. . . Nuit de pourpre. . Erôs, de tes mains prodigues. . . S'il fut permis. . . Les Kitharèdes. (1904) Korinna. La terre est comme un vase. . . Dors-tu docilement. . . Des roses ont neigé. . . Effeuillons les lauriers. . . Oh! les flots empourprés. . . Myrtis. Télésilla. Eranna. Ces dessins, labeur de tes mains. . . Celle qui grava. . . Femmes aux cheveux blancs. . . Le vain écho. . . Le couchant rougit. . . L'heure ardente. . . Ode A La Force. Damoyla De Pamphylie. Télèsippa. Nossis. Epitaphe Sur Rhinthon. J'ai ployé sous le poids. . . A Héra. Sur L'Image De Sabaithis. Sur Le Réseau De Samytha. Sur Une Image D'Aphrodita. CeMoi, la Kitharède de Locres. . . O Lesbos. . . Mon Nom Est Nossis. Praxilla. Poème D'Amour. Anyta De Tégée. Anyta De Mytilène. Ici, dans le verger. . . Sur les rocs ont erré. . . La vierge Philainis. . . Tu respires l'odeur. . . Sur Un Dauphin. Moiro. Sur Les Nymphes De L'Anigros. Charixéna. Kléobulina. Ode A L'Aphrodita. Accueille, immortelle Aphrodita, Déesse, Tisseuse de ruse à l'âme d'arc-en-ciel, Le frémissement, l'orage et la détresse De mon long appel. J'ai longtemps rêvé: ne brise pas mon âme Parmi la stupeur et l'effroi de l'éveil, Blanche Bienheureuse aux paupières de flamme, Aux yeux de soleil. Jadis, entendant ma triste voix lointaine, Tu vins l'écouter dans la paix des couchants Où songe la mer, car ta faveur hautaine Couronne les chants. Je vis le reflet de tes cheveux splendides Sur l'or du nuage et la pourpre des eaux, Ton char attelé de colombes rapides Et de passereaux. Et le battement lumineux de leurs ailes Jetait des clartés sur le sombre univers, Qui resplendissait de lueurs d'asphodèles Et de roux éclairs. Déchaînant les pleurs et l'angoisse des rires, Tu quittas l'aurore immuable des cieux. Là-bas surgissait la tempête des lyres Aux sanglots joyeux. Et toi, souriant de ton divin visage, Tu me demandas: "D'où vient l'anxiété A ton grave front, et quel désir ravage Ton corps tourmenté? "Qui te fait souffrir de l'âpre convoitise? Et quelle Peithô, plus blonde que le jour Aux cheveux d'argent, te trahit et méprise, Psappha, ton amour? "Tu ne sauras plus les langueurs de l'attente. Celle qui te fuit te suivra pas à pas. Elle t'ouvrira, comme la Nuit ardente, L'ombre de ses bras. "Et tremblante ainsi qu'une esclave confuse, Offrant des parfums, des présents et des pleurs, Elle ira vers toi, la vierge qui refuse Tes fruits et tes fleurs. "Par un soir brûlant de rubis et d'opales Elle te dira des mots las et brisés, Et tu connaîtras ses lèvres nuptiales, Pâles de baisers." Ode A Une Femme Aimée. L'homme fortuné qu'enivre ta présence Me semble l'égal des Dieux, car il entend Ruisseler ton rire et rêver ton silence, Et moi, sanglotant, Je frissonne toute, et ma langue est brisée: Subtile, une flamme a traversé ma chair, Et ma sueur coule ainsi que la rosée Apre de la mer; Un bourdonnement remplit de bruits d'orage Mes oreilles, car je sombre sous l'effort, Plus pâle que l'herbe, et je vois ton visage A travers la mort. Le soir fait fleurir. . . Je T'Aimais, Atthis, autrefois... Le soir fait fleurir les voluptés fanées, Le reflet des yeux et l'écho de la voix... Je t'aimais, au long des lointaines années, Atthis, autrefois. Tu M'Oublies. L'eau trouble reflète, ainsi qu'un vain miroir, Mes yeux sans lueurs, mes paupières pâlies. J'écoute ton rire et ta voix dans le soir... Atthis, tu m'oublies. Tu n'as point connu la stupeur de l'amour, L'effroi du baiser et l'orgueil de la haine; Tu n'as désiré que les roses d'un jour, Amante incertaine. Pour Androméda. . . Atthis, ma pensée t'est haïssable et tu fuis vers Androméda. Tu hais ma pensée, Atthis, et mon image. Cet autre baiser, qui te persuada, Te brûle, et tu fuis, haletante et sauvage, Vers Androméda. Pour Androméda, elle a une belle récompense. Pour Androméda, l'éclair de tes baisers, Tes voiles de vierge et tes langueurs d'amante Et le lent soupir de tes seins apaisés, Atthis inconstante! Pour Androméda, les chants, les soirs d'or brun, Et l'ombre des cils sur l'ombre des prunelles, Les nuits de Lesbôs, où s'exalte un parfum De fleurs éternelles. Pour moi, le sommeil enfiévré sous les cieux Où meurt la Pléiade, et les graves cadences, L'hiver de ta voix, le néant de tes yeux, Tes pâles silences. Tout est blanc. . . Les étoiles autour de la belle lune voilent aussitôt leur clair visage lorsque, dans son plein, elle illumine la terre de lueurs d'argent. Tout est blanc, la lune ouvre sa plénitude, A ses pieds gémit l'Océan tourmenté: Sereine, elle voit fleurir la solitude Et la chasteté. Les astres, devant la Séléné divine, Ont voilé leur face, et la clarté, neigeant Du ciel virginal et candide, illumine La terre d'argent. Atthis aux cheveux. . . Voici Maintenant Ce Que Je Chanterai Bellement Afin De Plaire A Mes Maîtresses. Atthis aux cheveux de crépuscule, blonde Et lasse, Eranna, qui dans l'or des couchants Ranimes l'ardeur de la lyre profonde Et des nobles chants, Euneika trop belle et Gurinnô trop tendre, Anactoria, qui passais autrefois, Lorsque je mourais de te voir et d'entendre Ton rire et ta voix, Dika, dont les mains souples tissent les roses, Et qui viens offrir aux Déesses les fleurs Neigeant du pommier, ingénument décloses, Parfums et pâleurs, Pour vous j'ai rythmé les sons et les paroles, Pour vous j'ai pleuré les larmes de désir, J'ai vu près de vous les ardentes corolles Du soir défleurir. Triste, j'ai blâmé l'importune hirondelle; Par vous j'ai connu l'amer et doux Erôs, Par votre beauté je deviens immortelle, Vierges de Lesbôs. Mes yeux ont vu fuir. . . (Vers) moi tout récemment l'Aube aux sandales d'or... Mes yeux ont vu fuir l'Aube aux sandales d'or: Ses pieds ont brillé sur le mont taciturne Et sur la forêt où se recueille encor Le rêve nocturne. Dors. . . Dors sur le sein de ta tendre maîtresse. Dors entre les seins de l'amante soumise, O vierge au regard d'éphèbe valeureux, Et que l'Hespérôs nuptial te conduise Vers le rêve heureux! Je ne change point. . . Envers vous, belles, ma pensée n'est point changeante. Je ne change point, ô vierges de Lesbôs! Lorsque je poursuis la Beauté fugitive, Tel le Dieu chassant une vierge au peplos Très blanc sur la rive. Je n'ai point trahi l'invariable amour. Mon coeur identique et mon âme pareille Savent retrouver, dans le baiser d'un jour, Celui de la veille. Et j'étreins Atthis sur les seins de Dika. J'appelle en pleurant, sur le seuil de sa porte, L'ombre, que longtemps ma douleur invoqua, De Timas la morte. Pour l'Aphrodita j'ai dédaigné l'Erôs, Et je n'ai de joie et d'angoisse qu'en elle: Je ne change point, ô vierges de Lesbôs, Je suis éternelle. Viens, Déesse de Kuprôs. . . Viens, Déesse de Kuprôs, et verse délicatement dans les coupes d'or le nektar mêlé de joies. Fille de Kuprôs, dont le regard foudroie, Délicatement de tes mains verse encor Le nektar mêlé d'amertume et de joie Dans les coupes d'or. Que le vent du soir. . . ... quant à mon sanglot: et que les vents orageux l'emportent pour les souffrances. Que le vent du soir emporte mon sanglot Vers l'accablement des cités et des plaines; Qu'il l'emporte, afin de le mêler au flot Des douleurs lointaines. Qu'il l'emporte, ainsi qu'un pitoyable appel, Plus grave et plus doux que la vaine parole... Que, dans l'infini, mon sanglot fraternel Apaise et console. Je t'ai possédée. . . Et certes j'ai couché dans un songe avec la fille de Kuprôs. Je t'ai possédée, ô fille de Kuprôs! Pâle, je servis ta volupté cruelle... Je pris, aux lueurs du flambeau d'Hespérôs, Ton corps d'Immortelle. Et ma chair connut le soleil de ta chair... J'étreignis la flamme et l'ombre et la rosée, Ton gémissement mourait comme la mer Lascive et brisée. Mortelle, je bus dans la coupe des Dieux, J'écartai l'azur ondoyant de tes voiles... Ma caresse fit agoniser tes yeux Sur ton lit d'étoiles... Depuis, c'est en vain que la nuit de Lesbôs M'appelle, et que l'or du paktis se prolonge... Je t'ai possédée, ô fille de Kuprôs, Dans l'ardeur d'un songe. Un clair souvenir. . . Et certes j'ai parlé en songe avec la fille de Kuprôs. Un clair souvenir se rythme et se prolonge Comme un son de lyre indécis et voilé... Fille de Kuprôs, je t'ai jadis parlé A travers un songe. La lune parut dans son plein. . . La lune paraissait dans son plein, et les femmes se tinrent debout, comme autour d'un autel. La lune parut dans son plein, et les femmes Se tinrent debout, comme autour d'un autel: Les rayons étaient fervents comme des flammes Au reflet cruel. Elles attendaient... Et, rompant le silence, La voix d'une vierge amoureuse chanta, Et toutes sentaient la mystique présence De l'Aphrodita. Ainsi qu'une pomme. . . Telle une douce pomme rougit à l'extrémité de la branche, à l'extrémité lointaine: les cueilleurs de fruits l'ont oubliée ou, plutôt, ils ne l'ont pas oubliée, mais ils n'ont pu l'atteindre. Ainsi qu'une pomme aux chairs d'or se balance, Parmi la verdure et les eaux du verger, A l'extrémité de l'arbre où se cadence Un frisson léger, Ainsi qu'une pomme, au gré changeant des brises, Se balance et rit dans les soirs frémissants, Tu t'épanouis, raillant les convoitises Vaines des passants. La savante ardeur de l'automne recèle Dans ta nudité les ambres et les ors. Tu gardes, ô vierge inaccessible et belle, Le fruit de ton corps. O soir, toi qui ramènes... Les flots du Léthé... Lasse du jardin. . . Pourquoi, fille de Pandion, aimable hirondelle, me...? Lasse du jardin où je me souviens d'Elle, J'écoute mon coeur oppressé de parfum. Pourquoi m'obséder de ton vol importun, Divine hirondelle? Tu rôdes, ainsi qu'un désir obstiné, Réveillant en moi l'éternelle amoureuse, Douloureuse amante, épouse douloureuse, O pâle Procné! Tu fuis sans espoir vers la rive qui t'aime, Vers la mer aux pieds d'argent, vers le soleil. Je hais le Printemps qui vient, toujours pareil Et jamais le même! Ah! me rendra-t-il les langueurs de jadis, L'ardente douleur des trahisons apprises, L'attente et l'espoir des caresses promises, Les lèvres d'Atthis? J'évoque le pli de ses paupières closes, La fleur de ses yeux, le sanglot de sa voix, Et je pleure Atthis que j'aimais autrefois, Sous l'ombre des roses. Jamais une vierge aussi sage que toi. . . Je crois qu'une vierge aussi sage que toi ne verra dans aucun temps la lumière du soleil. Jamais une vierge aussi sage que toi Ne verra fleurir la lumière éternelle, Contemplant sans fin la nature et la Loi Qui pèse sur elle. Tu sais le secret de l'accord et du chant, Tes yeux ont sondé la mer d'or des étoiles, Sur ton front bleuit, comme au front du couchant, La brume des voiles. Pallas Athéné, dont la divine loi Règne en souriant sur l'aurore éternelle, Ne vit point de vierge aussi sage que toi Rêver devant elle... A qui m'interroge. . . Inscription à la base d'une statue. Vierges, quoique muette, je réponds... A qui m'interroge, ô vierges, je réponds D'une voix de pierre à l'accent inlassable: "Mon éternité, sous les astres profonds, M'attriste et m'accable. "Sereine, je vois ce qui change et qui fuit. Je fus consacrée à la vierge brûlante, Aithopia, soeur de l'amoureuse nuit, Par sa tendre amante, "Arista. J'ouïs l'ardeur de leur soupir, Par les nuits d'été dont le souffle m'effleure De regrets... Je suis l'immortel souvenir Des baisers d'une heure." O toi dont le trône. . . O toi dont le trône aux lueurs d'arc-en-ciel Brille sur l'Hadès et sur la Terre sombre, Aphrodita pâle au sourire cruel, Resplendis sur l'ombre. L'Erôs qui t'implore et te suit pas à pas Elève vers toi son regard doux et grave: Il pleure en t'ouvrant vainement ses deux bras L'Erôs, ton esclave. Je n'espère point. . . Je n'espère point toucher le ciel de mes deux bras étendus. Je n'espère point toucher de mes deux bras Etendus le ciel où s'amassent les voiles; La nuit pourpre vient et je n'espère pas Cueillir les étoiles. Au-dessus. . . Au-dessus (de la tombe) du pêcheur Pélagôn, son père Méniskos plaça la nasse et la rame, en souvenir d'une vie infortunée. Placez le filet... L'automne est pareil. . . Psappha, pourquoi la bienheureuse Aphrodita...? L'automne est pareil aux étés où ta lyre S'éveilla, tremblante, et frémit, et chanta... O Psappha, dis-nous pourquoi jaillit le rire De l'Aphrodita. Quel sombre dessein réjouit la Déesse A qui plaît l'effroi des cris inapaisés, Qui répand sur nous la farouche détresse, L'horreur des baisers? Les rayons maudits d'une fatale aurore Virent autrefois l'implacable Beauté Fleurir dans sa force inexorable, éclore Dans sa cruauté. O Psappha, voici que s'éteint la Pléiade. Le vent calme, ainsi qu'une lyre de fer, Un chant prophétique et sinistre, et Leucade Assombrit la mer. Demain tu mourras d'une mort. . . Morte, un jour tu demeureras couchée (dans la tombe), et nul souvenir de toi ne persistera ni alors ni plus tard: car tu ne cueilles point les roses de Piéria, mais, obscure, tu erreras dans la maison de l'Hadès, inconnue parmi les Morts aveugles. Demain tu mourras d'une mort sans étoiles. La nuit cachera ton rire d'autrefois Sous l'azur et sous la pourpre de ses voiles, Sous les linceuls froids. Tu n'as point cueilli les roses immortelles De Piéria, Gorgô, charme d'un jour! Jamais ne brûla dans tes pâles prunelles L'éclair de l'amour. L'Hadès te prendra dans sa vague demeure, Le chant de ta voix ne persistera pas, Ni le souvenir de ton parfum d'une heure. -Demain tu mourras. Et tu passeras, ombre parmi les ombres, -Tu ne sauras point l'orgueil des lendemains, - Sans rayons de gloire à tes paupières sombres, Sans fleurs dans tes mains. Tes pas erreront faiblement sur la rive Des femmes sans fards et des passants obscurs, La Maison des Morts sur ta forme plaintive Fermera ses murs. Sous l'azur et sous la pourpre de ses voiles, La Nuit cachera ton rire d'autrefois... Demain tu mourras d'une mort sans étoiles Sous les linceuls froids. Et blessée. . . Ainsi que, sur les montagnes, les pâtres foulent aux pieds l'hyacinthe, et la fleur s'empourpre sur la terre. ... Et blessée ainsi qu'une frêle hyacinthe, Douloureuse Atthis, tu te souviens encor. Tes tristes cheveux pleurent, dans l'ombre éteinte, Une cendre d'or. Les pâtres, chantant sur le mont solitaire, Jettent vers le soir leurs rythmes frémissants, Et la pourpre fleur ensanglante la terre, Aux pieds des passants. Tu Nous Brûles. Mes lèvres ont soif de ton baiser amer, Et la sombre ardeur qu'en vain tu dissimules Déchire mon âme et ravage ma chair: Erôs, tu nous brûles... La vierge Timas au printemps. . . C'est ici la poussière de Timas que l'azur sombre du lit nuptial de Perséphona reçut, morte avant l'hymen. Lorsqu'elle périt, toutes ses compagnes, d'un fer fraîchement aiguisé, coupèrent la force de leurs désirables chevelures. La vierge Timas au printemps sans été Mourut dans l'orgueil de sa blancheur première. Parfumons de fleurs, de chants, de piété, Sa douce poussière. Oh! le souvenir de ce corps lilial Que Perséphona, voluptueuse et sombre, Reçut dans l'azur de son lit nuptial Paré de fleurs d'ombre! Lorsqu'elle périt, ses compagnes d'hier Coupèrent là-bas leurs cheveux désirables, Bleus comme la nuit et blonds comme l'hiver, Roux comme les sables. O toi le plus beau des astres. . . De tous les astres le plus beau... O toi le plus beau des astres, Hespéros, Fleur nocturne éclose au verger des étoiles, Tu viens ranimer les ardeurs de Lesbôs Sous l'azur des voiles. Tu jettes le trouble aux espaces sereins. Le Désir renaît aux yeux las des Amantes, Il meurtrit leurs flancs, il ravage leurs seins, Leurs lèvres brûlantes. Verse tes lueurs sur l'ombre des baisers... Par les longs étés, l'âme de Mytilène Exhale vers toi ses cris inapaisés, Sa fervente haleine. Dans la pourpre et l'or sombres du firmament, Ecoute la mer amoureuse et stérile Qui, le soir, endort de son gémissement La langueur de l'Ile. Gurinnô qui pleure. . . Mnasidika est plus belle que la tendre Gurinnô. Gurinnô qui pleure à l'ombre de mon seuil N'a point tes accents où l'Erôs passe et chante, O Mnasidika! ni le splendide orgueil De tes seins d'amante. Elle n'a point l'or fondu de ton regard, Ni la pourpre fleur de tes paupières closes, Ni ta chair où l'ambre et la myrrhe et le nard Parfument les roses. Mais elle a connu la grave volupté, L'effroi de l'amour et l'effort des chimères... Une nuit, j'ai bu, d'un baiser irrité, Ses lèvres amères. Va jusqu'au jardin clair. . . Et toi, ô Dika! ceins de guirlandes ta chevelure aimable, tresse tes tiges du fenouil de tes tendres mains, car les (vierges) aux belles fleurs sont de beaucoup les premières dans la faveur des Bienheureuses: Celles-ci se détournent des (jeunes filles) qui ne sont point couronnées. Va jusqu'au jardin clair où tu te reposes, Pare tes cheveux de verdure et de fleurs, Choisis les parfums, Dika, tisse les roses, Mêle les couleurs. Et, si tu veux plaire aux sereines Déesses, Entoure l'autel des souffles de l'été... Elles souriront, ainsi que leurs prêtresses, A ta piété. Porte à l'Artémis les sombres violettes, A l'Aphrodita la pourpre des iris, A Perséphona, vierge aux lèvres muettes, La langueur des lys. Dans les lendemains. . . Quelqu'un, je crois, se souviendra dans l'avenir de nous. Dans les lendemains que le sort file et tresse, Les êtres futurs ne nous oublieront pas... Nous ne craignons point, Atthis, ô ma Maîtresse! L'ombre du trépas. Car ceux qui naîtront après nous dans ce monde Où râlent les chants jetteront leur soupir Vers moi, qui t'aimais d'une angoisse profonde, Vers toi, mon Désir. Les jours ondoyants que la clarté nuance, Les nuits de parfums viendront éterniser Nos frémissements, notre ardente souffrance Et notre baiser. Aujourd'hui l'Erôs fatal. . . L'Erôs qui délie mes membres aujourd'hui me dompte, être fatal, amer et doux. Aujourd'hui l'Erôs fatal, amer et doux, L'Erôs qui ressemble à la Mort, me tourmente, Maîtrise mes flancs et brise mes genoux Dans l'angoisse ardente. L'or est fils de Zeus. . . L'or est fils de Zeus; ni la mite ni le ver ne le peuvent détruire. L'or est fils de Zeus, cruel comme les Dieux. Il épanouit sa puissance fatale, Frère du soleil qui dévore les cieux De gloire brutale. L'Aurore Vénérable. Vois se rapprocher l'Aurore Vénérable, Apportant l'effroi, la souffrance et l'effort, Et le souvenir dont la langueur accable, La vie et la mort. La fraîcheur se glisse. . . Alentour, (la brise) murmure fraîchement à travers les branches des pommiers, et des feuillages frissonnants coule le sommeil. La fraîcheur se glisse à travers les pommiers. Le ruisseau bourdonne au profond des verdures, Tel le chant confus qui remplit les guêpiers Aux légers murmures. L'herbe de l'été pâlit sous le soleil. La rose, expirant sous les âpres ravages Des chaleurs, languit vers l'ombre, et le sommeil Coule des feuillages. ... de Gorgô pleinement rassasiée... Telle une Bacchante... La lune s'est couchée... Le rossignol râle... Les femmes de la Crète dansent. . . en rythme... De leurs tendres pieds... Le grave couchant éteint. . . Et le sommeil aux yeux noirs, (enfant) de la nuit. Le grave couchant éteint l'or des lumières... Le Sommeil aux yeux noirs, enfant de la Nuit, De la verte Nuit pitoyable aux paupières, Apaise le bruit. Et l'âme des lys erre dans son haleine... Mais il ne sait point contenter le soupir De l'ardente mer aux pieds de Mytilène, Lasse de désir. Persuasion, Peithô. . . ... la servante de l'Aphrodita, lumineuse comme l'or. Persuasion, Peithô, blonde suivante De l'Aphrodita, viens dans le pâle essor Des colombes, viens, lascive et suppliante, Claire comme l'or. Ta voix éloquente a l'accent d'une lyre Implorant en vain l'ardeur et le retour D'un fiévreux Passé... Ta voix qui pleure attire Vers le grave Amour. O filles de Zeus. . . Pures Kharites aux bras de rose, venez, filles de Zeus. O filles de Zeus, Grâces aux bras de rose, Venez, apportant les parfums de jadis, Le frisson des voix, du rythme et de la pause, Et l'or du paktis. Vous dont la langueur divine se repose Dans l'éclair de l'aube et la flamme du jour, Venez en dansant, Grâces aux bras de rose, Riant à l'amour. J'écoute en rêvant. . . ... une vierge à la voix douce. J'écoute en rêvant... La fraîcheur de ta voix Coule, comme l'eau du verger sur la mousse, Et vient apaiser mes douleurs d'autrefois, Vierge à la voix douce. L'Erôs a ployé mon âme. . . L'Erôs aujourd'hui a déchiré mon âme, vent qui dans la montagne s'abat sur les chênes. L'Erôs a ployé mon âme, comme un vent Des montagnes tord et brise les grands chênes... Et je vois périr, dans le flambeau mouvant, L'essor des phalènes. J'enseignai les chants. . . J'instruisis Hérô de Guara, la (vierge) légère à la course. J'enseignai les chants à la vierge aux pieds d'or Dont la voix ressemble à la voix de la source, Et dont les beaux pieds semblent prendre l'essor, Légers à la course. J'enseignai les chants où brûlent les parfums, Où pleurent l'angoisse et l'effroi des attentes, Quand le crépuscule assombrit les ors bruns Des rives ardentes. J'enseignai les chants qui montent vers l'autel D'où l'Aphrodita tourmente l'amoureuse Et qui font pâlir le sourire cruel De la Bienheureuse. Je te vis cueillir. . . ... une vierge très délicate cueillant des fleurs. Je te vis cueillir le fenouil et le thym Et la fleur du vent, la légère anémone, O vierge! et je vis ton sourire enfantin Où l'aube frissonne. Mon corps vigoureux comme un jeune arbrisseau Frôla longuement ta chair tendre et brisée... Tu levas sur moi tes yeux plus frais que l'eau Et que la rosée. Le fatal Erôs et l'amoureux Destin Et l'Aphrodita dont je suis la prêtresse Nous virent cueillir le fenouil et le thym, Atthis, ma Maîtresse. Et j'ignorerai la souillure. . . Je serai toujours vierge. Je demeurerai vierge comme la neige Sereine, qui dort là-bas d'un blanc sommeil, Qui dort pâlement, et que l'hiver protège Du brutal soleil. Et j'ignorerai la souillure et l'empreinte Comme l'eau du fleuve et l'haleine du nord. Je fuirai l'horreur sanglante de l'étreinte, Du baiser qui mord. Je demeurerai vierge comme la lune Qui se réfléchit dans le miroir du flot, Et que le désir de la mer importune De son long sanglot. Dominant la Terre. . . Dominant, comme lorsque l'aède de Lesbôs domine les étrangers... Dominant la Terre où résonne ta lyre, Dresse-toi, splendide, Aède de Lesbôs Qui seule as connu la lumière et le rire Divin de Paphôs. Psappha, verse-nous au profond de l'espace, Dédaignant le sort des êtres passagers, Le frémissement de ton chant qui surpasse Les chants étrangers. Compagnes, voici. . . ... Car il n'est pas juste que la lamentation soit dans la maison des serviteurs des Muses: cela est indigne de nous. Compagnes, voici la Maison du Poète Où la Mort se tait, où le deuil n'entre pas; Ne gémissez plus dans l'angoisse inquiète Du commun trépas. Parsemez de fleurs aux haleines légères Le seuil où pleuraient les chants graves et doux; Arrêtez le flot des larmes passagères Indigne de nous. Nuit de pourpre. . . La lumière... qui ne détruit point la vue... pareille à une fleur d'hyacinthe... Nuit de pourpre, ainsi qu'une fleur d'hyacinthe, Ta lumière éclôt dans le verger des cieux. Ton parfum est chaste, et ta douceur éteinte Console les yeux. Erôs, de tes mains prodigues. . . ... Psappha... appelle l'Amour doux et amer et qui donne la douleur... (Elle) le nomme le tisseur de chimères. Erôs, de tes mains prodigues de douleurs Tu répands l'angoisse, et tes lèvres amères Ont le goût du sel et le parfum des fleurs, Tisseur de chimères. S'il fut permis. . . S'il fut permis à Psappha de Lesbôs de demander dans ses prières que la nuit fût doublée pour elle... Prolonge la nuit... Les Kitharèdes. (1904) Korinna. Pour tes. . . Hermès lutte un jour contre Arès. Grondant à la vérité fortement de colère. . . Et lui, s'étant montré, à la vérité détruisit la ville . . . est battu par des haches Grondant en vérité d'une forte colère, L'Arès un jour lutta contre l'Hermès ailé, Pour ton rire, Aphrodite immortellement claire Qui disposais ton corps sur le lit étoilé. Les héros combattaient auprès des héroïnes, Une pourpre de meurtre embrasait le Levant: Mais toi, tu fis chanter les écailles divines, Indifférence au choc des haches, et rêvant. Les glorieux vaincus ensanglantaient l'argile: La lance de l'Arès brûla, comme un éclair. S'étant montré, terrible, il détruisit la ville. Et toi, tu souriais de voir briller la mer. La terre est comme un vase. . . Et quelqu'un chantant de façon douce. . . La terre est comme un vase étrusque, Fond rouge et dessin noir: Dans la plaine où l'ombre s'embusque, Déméter vient s'asseoir; La flèche du couchant s'émousse Sur les lichens et sur la mousse. Quelqu'un, chantant de façon douce, A traversé le soir. La nuit hésite sur le porche D'onyx et de lapis, Et la résine de sa torche A des parfums d'iris. Du crépuscule vert émerge Quelqu'un chantant comme une vierge, Et le mélilot de la berge Connaît ton pas, Myrtis. Tes doigts caressent le kithare, Cherchant le rythme exact: Sous la langueur du toucher rare Surgit l'hymne compact. Tu te plais au beau simulacre De la victoire et du massacre, Et, plus rayonnant que la nacre, Brille ton corps intact. La terre est comme un vase étrusque, Fond rouge et dessin noir: Dans la plaine où l'ombre s'embusque, Déméter vient s'asseoir; La flèche du couchant s'émousse Sur les lichens et sur la mousse. Quelqu'un, chantant de façon douce, A traversé le soir. Dors-tu docilement. . . Est-ce que tu dors sans interruption? En vérité, tu n'étais point avant, Korinna. . . Dors-tu docilement dans le lit des années, Musicienne dont la harpe résonna Jusqu'au Temple très noir des sombres Destinées? N'étais-tu pas, avant, l'ardente Korinna? Se peut-il que l'Hadès aveugle te possède, Et dont les yeux riaient du rire des bluets Et des blés mûrs?. . . O toi qui fus la Kitharède, Dors-tu parmi les morts et leurs paktis muets? Les champs, que le soleil d'été martèle et frappe, Te virent cependant, dans ta jeune beauté, Dénouer tes cheveux où saignait une grappe Et célébrer la vigne où s'empourpre l'été! Un souffle olympien soulevait ta poitrine, Tu chantais, et l'ardeur de ton vers étonna La Parthène rigide et chryséléphantine. . . En vérité, dors-tu, toi qui fus Korinna? Des roses ont neigé. . . . . . devant chanter de belles récompenses pour les femmes de Tanagra aux blancs péplos: et ma ville s'est grandement réjouie de mes chants au babil harmonieux. Des roses ont neigé sur la plaine éblouie. Dans l'air résonne encore un triomphe subtil; Ma ville s'est hier grandement réjouie De mes chants de femme à l'harmonieux babil. Les échos de ma lyre animaient les silences J'étais déjà pareille aux rigides Paros, Et mes strophes étaient vos belles récompenses, Vierges ceintes de fleurs, femmes aux blancs péplos. J'ai loué la valeur des graves héroïnes Que l'immortelle main de Pallas consacra. La foule aimait en moi les Piérides divines, Et ma gloire épousait ta gloire, ô Tanagra. Effeuillons les lauriers. . . Thespia, de belle race, hospitalière, aimée des Muses. . . Effeuillons les lauriers noirs comme tes prunelles, Thespia! moissonnons le myrte et le cerfeuil, Car, pour glorifier tes paupières très belles, Les Piérides tressaient leurs roses sur ton seuil. Les pâtres te louaient, femme de belle race, Et t'apportaient les fruits dorés de la saison. Les étoiles brillaient, moins claires que ta face: Tu fus hospitalière en ta noble maison. Dans tout le glorieux pays, depuis l'aurore, Les Aèdes ont célébré tes sourcils bruns. La phorminx aux mains des Kitharèdes t'honore Pour ta sagesse et ton sourire et tes parfums. Oh! les flots empourprés. . . . . . Et je blâme aussi la mélodieuse Myrtis de ce que, étant femme, elle entra en rivalités avec Pindare. Oh! les flots empourprés que frappent les rameurs, Et la Mort qui grimace à travers les murailles! Pourquoi, Myrtis, jeter les sanglantes clameurs Des buccins dominant le fracas des batailles? La gloire est un flambeau que le silence éteint. O Myrtis, la victoire est une courtisane, Et celui qui la frappe est celui qui l'étreint. Le sage a le dégoût de son baiser profane. Chante le soir, l'ampleur des collines et l'air Pacifique, le temple où pâlit la pensée, Et le flot qui frémit, plus troublant que la chair. . . Ta voix consolera l'Aphrodite blessée. Car la voix d'une femme, ô Myrtis, doit savoir Moduler lentement ses langueurs incertaines, Elle doit s'allier au silence du soir Et se mêler au frais murmure des fontaines. Myrtis. Le soir nuançait l'or d'Hellas De pourpre égyptienne: J'offris la coupe d'Hypocras A la Musicienne. . . Elle errait en riant, auprès Des aloès et des cyprès Et des roches aux bleus de grès, Myrtis l'Ionienne. Elle évoquait les bords du Styx, Les asphodèles jaunes, Où les sphinx aux ongles d'onyx S'étirent près des Faunes, Et dans la strophe, comme un choc De boucliers d'or contre un roc Où le marbre sommeille en bloc, Luttaient les Amazones. La mélodieuse Myrtis Aux paupières divines, Livre ses cheveux de maïs Aux brises des collines. Elle ressuscite, à travers La blancheur de ses nobles vers, Vigoureux comme les hivers, L'âme des héroïnes. J'offris la coupe d'hypocras A la Musicienne, Dont le vers mêle aux ors d'Hellas La pourpre égyptienne, A la vierge qui passe auprès Des aloès et des cyprès Et des roches aux bleus de grès, Myrtis l'Ionienne. Télésilla. Cette Artémis, ô vierges, fuyant Alphéos. . . Cette Artémis, fuyant le désir mâle, ô vierges, Tourna vers le lointain du sud ses yeux lassés. Et ses pieds fugitifs illuminaient les berges, Foulant avec dégoût les couples enlacés. Ses longs rayons aigus perçaient l'ombre des rives Et dardaient les venins, les terreurs et les maux, Sur les hommes en rut et les femmes passives, Luttant et se mêlant comme les animaux. Car son orgueil se plaît aux jeux chastes et rudes De la course à travers le ravin et le pré; Elle cherche l'effroi des larges solitudes Où nul souffle mortel ne trouble l'air sacré. Eranna. Pompilos, poisson qui envoies aux matelots une heureuse navigation, puisses-tu escorter du côté de la poupe ma tendre Maîtresse! Pour que le vent soit doux comme ma caresse, O poisson de bon augure, Pompilos, Escorte la nef de ma tendre maîtresse, Orgueil de Lesbos. Nage assidûment du côté de la poupe, Et vois rayonner son visage divin. . . Ses yeux sont des fleurs, ses lèvres, une coupe De miel et de vin. . . Escorte, jusqu'à la rive de Phocée, Ma Maîtresse au front couronnée de cerfeuil. . . Les thrènes, devant sa maison délaissée, Gémissent leur deuil. . . Pour que le vent soit doux comme ma caresse, O poisson de bon augure, Pompilos, Escorte la nef de ma tendre maîtresse, Orgueil de Lesbos. Ces dessins, labeur de tes mains. . . De tes enfantines mains, ces traits. . . Ces dessins, labeur de tes mains enfantines, Evoquent le seuil fleuri de mélilot, Où les chants venus des lointaines collines Traînaient leurs sanglots. Les vierges d'Hellas cachent leur clair visage, Etoiles devant la lune dans son plein, Devant tes pieds nus, devant ton doux langage, Ton rire serein. Ces lettres, labeur de tes mains enfantines, Ont le charme vain et tendre d'un écho. . . Dans l'ample Lydie aux limpides collines S'attarde Myrô. Celle qui grava. . . Excellent Prométhée, il y a aussi des humains qui t'égalent en habileté: qui que ce soit qui véritablement ait dessiné cette vierge, si l'on eût ajouté aussi la voix, c'était Agatharchis tout entière. Celle qui grava ces paupières décloses Ainsi que des fleurs, ces beaux doigts sans anneau, Ce corps puéril, plus tendre que les roses, Plus souples que l'eau, Eût-elle ajouté la voix qui sollicite Et qui persuade, ainsi que le paktis, Elle eût évoqué la splendeur d'Aphrodite Et d'Agatharchis. Femmes aux cheveux blancs. . . Vous qui parlez peu, femmes aux cheveux blancs, vous, fleurs de la vieillesse pour les mortels. . . Femmes aux cheveux blancs que l'hiver caresse, Vous que réjouit l'intimité du feu Et du crépuscule, ô fleurs de la vieillesse, Vous qui parlez peu, Vous avez la paix candide des années, Vous êtes le choeur des vivants souvenirs: Douces, vous tressez les couronnes fanées Des anciens désirs. Vous vous attardez, comme autrefois, aux porches Où Phoibos blondit la mousse et les lichens, Et vous allumez en souriant les torches Rouges des hymens. Vous aimez l'automne aux yeux bruns et la rouille Des portes où le vent laisse un parfum salin: Vous filez, au chant de votre humble quenouille, La neige du lin. La vierge respecte et craint votre sagesse, Et votre saut est lent comme un adieu, Femmes aux cheveux blancs, fleurs de la vieillesse, Vous qui parlez peu. . . Le vain écho. . . De ce côté, le vain écho traverse à la nage (le fleuve) vers l'Hadès; le silence (demeure) chez les morts, et l'ombre s'empare des yeux. Le vain écho nage aveuglément vers l'ombre Où les plus beaux choeurs ne sont qu'un remous bref, Où le souvenir le plus cher plonge et sombre Ainsi qu'une nef. Lasse, la pleureuse, ivre de somnolence, Auprès d'une stèle épuise ses transports; La cruche de deuil est vide, et le silence Règne chez les morts. La myrrhe, fumant dans l'or des cassolettes, Ne réjouit plus les jardins d'aloès; Les vierges sans voix tressent les violettes Blanches de l'Hadès. Les baromos se sont tus sous les acanthes. . . Rouillés et pareils à des miroirs ternis, Les flots du Léthé reflètent les Amantes Aux bras désunis. Perséphoné tisse en des trames funèbres Les fils brisés des espoirs et des adieux. Elle seule veille et songe, et les ténèbres S'emparent des yeux. Le couchant rougit. . . Doux fut ce labeur d'Erinna. . . Le couchant rougit, de son faste Cruel, ton bleu péplos, Qui, dans ses plis, à l'ampleur chaste Et simple du Paros, Et tes cheveux de Néréide, Dont Psappha chantait l'or fluide, Tremblent sous le vent qui les ride, Eranna de Télos. Les nefs aux frissons de fantômes Dardent leurs mâts pointus; Les aromates et les baumes Concentrent leurs vertus; Tandis que s'empourpre la plaine, Pâle, tu suspends ton haleine, Et tes yeux cherchent Mytilène Dont les choeurs e sont tus. Au-delà des rouges collines S'irisent les embruns: Tu souris aux mains enfantines Que baignent les parfums, Aux mains qui, par les soirs d'opales, Gravaient ces lettres musicales, Gazouillant comme les cigales Ivres de verts parfums. Les pipeaux qu'un satyre affûte S'argentent, et le bruit D'eaux et de feuilles de la flûte Susurre et coule et fuit. Ton âme d'amoureuse écoute Les voix errantes sur la route, Et, prophétique, elle redoute L'approche de la nuit. L'heure ardente. . . Cependant elle n'est point perdue pour la mémoire des hommes, ni cachée sous l'aile ombreuse de la nuit noire. L'heure ardente et solennelle, Et Psappha, se penchant Vers Eranna, pleure comme elle L'Adonis du couchant. Parmi l'éclair des bandelettes Et les tiédeurs des cassolettes, La Tisseuse de Violettes Trame les fleurs du chant. Au lointain, l'aimable hirondelle Pointe et darde son vol, Et les prés ont la sauterelle Pour humble rossignol. La vague meurt dans une étreinte; Sur la montagne, l'hyacinthe Ensanglante de pourpre éteinte La matité du sol. Psappha tourne vers sa disciple Son regard vaste et doux, Profond comme le soir multiple Sur l'onde sans remous. Elle parle, et l'ombre révère La beauté de son front sévère: Quelqu'un, dans l'avenir larvaire, Se souviendra de nous. Ode A La Force. Fille de l'Arès, Constance belle et rude, Tes yeux, où l'effroi du passé brûle encor, Sont pareils aux yeux noirs de la solitude Sous ton réseau d'or. Dans un ciel massif tu demeures, mortelle, L'infini dans tes regards extasiés, Que Sélanna règne ou que Phoibos attelle Ses fougueux coursiers. Un pâle troupeau d'âmes crépusculaires, Réprimant les pleurs et les lâches sanglots, T'obéit, ô toi qui brises les colères Lascives des flots. Tu vois sans terreur la tempête qui fume Et le sang futur empourprer le Levant, Toi qui sais dompter le tonnerre et l'écume Et le cri du vent. Le Temps détruira les Dieux, mais le Temps même Ne changera pas ton sourire d'airain: Tu sais opposer à l'Ananké suprême Ton mépris serein. O toi l'Invaincue, ô toi l'Inaccessible, Tes paupières ont le doux pli de la mort; Tu sembles rêver, telle en son lit paisible La vierge qui dort. Tes Tempes sans fleurs ont dédaigné la palme. Le couchant a moins de paix que ton orgueil, Et le rocher moins de grandeur et de calme Que ton grave seuil. Semblable à la nuit où s'éteignent les flammes Et les roux éclairs de l'astre révolté, Enseigne aux héros l'endurance des femmes Et leur loyauté. Damoyla De Pamphylie. L'ombre bleuit les monts sacrés D'où Phoibé, lente, émerge. Ses rayons coulent sur les prés Comme l'eau sur la berge. Pareil aux Pommes d'Or, le fruit Du clair verger frissonne et luit; Damophyla parle à la nuit: « Je serai toujours vierge. « Psappha me brûle de ses yeux. Je toucherai, comme elle, De mes bras étendus, les cieux Que l'or des nuits constelle. Je verrai l'avant des vaisseaux Sillonner la pourpre des eaux, Et les Muses aux beaux travaux Me rendront Immortelle. » Elle dit, le front détourné, Car l'être solitaire Garde en son coeur prédestiné Le songe et le mystère; L'herbe a des bleus froids de lapis Que percent des éclairs d'iris, Et, triomphante, l'Artémis Illumine la terre. Télèsippa. Télésippa A Anagoras. Tissons l'hyacinthe et l'iris En des trames confuses; Je chanterai, sur le paktis, L'Aphrodite et ses ruses. Lève tes paupières sans fard D'où coule un limpide regard: Nous avons une bonne part Dans les présents des Muses. Ceins ton front chaste de lotos, Ainsi qu'une danseuse Tanagréenne au blanc péplos. De ta voix d'amoureuse Chante le mélos, de ta voix Défaillante comme autrefois. . . Divine écaille, sous nos doigts Deviens harmonieuse. Nossis. Nossis A L'Etrangère. Etranger, si tu navigues vers Mytilène aux beaux choeurs pour y cueillir la fleur des grâces de Sappho, dis-lui qu'une femme de Locres, chère aux Muses et à elle aussi, Enfanta d'autre (chants) pareils et que mon Nom est Nossis. Va. Etrangère aux yeux noirs qui vas vers Mytilène Où l'on cueille la fleur des grâces de Sappho, Ecoute! je te parle et suis à bout d'haleine. . . Lorsque tu reviendras, fidèle comme Echo, Parle-nous de la ville indolemment couchée, Telle une courtisane aux voiles de byssus, Qui s'allonge sur la couche molle, jonchée De roses, de fenouil, d'iris et de crocus. Vierge, dis à Sappho qu'une femme répète Les odes où s'attarde un sourire d'Atthis, Qu'elle a chanté les vers du souverain Poète: Etrangère, apprends-lui que mon nom est Nossis. Dis-lui qu'en appelant sa caresse inconnue, J'ai sangloté d'amour sous mes cheveux épars, Que je la vois, pareille à l'Aphrodite nue, Dis-lui que je l'attends et que je l'aime. . . Pars! Epitaphe Sur Rhinthon. Rien n'est plus doux qu'Eros, et tout ce qui est heureux vient après. J'ai craché de ma bouche même le miel. Et voici ce que dit Nossis; Celle que Kupris n'a point aimée ne sait pas quelles fleurs sont les roses. Vierges et femmes, rien n'est plus doux que l'amour. Les Kharites aux bras blancs, et les jeunes Heures, Les Piérides au front ardent comme le jour, Et l'Aurore aux pieds nus, lui sont inférieures. Je dédaigne le vin, je méprise le miel, Je ne veux que le goût des baisers à ma bouche; Ni les frissons de l'eau ni les remous du ciel N'égalent l'ondoiement de ta chair sur ma couche. Celle qui dédaigna le rire de Kupris Et qui n'a point connu son lit de Violettes A le front gris des Mots. Ainsi parle Nossis Dont l'Eros enduisit de cire les tablettes. Celle qui ne craint point à l'égal du trépas Les aubes sans caresse et les nuits ans murmure, O Déesse aux yeux bleus! celle-là ne sait pas Quelles fleurs sont les roses de ta chevelure! Et, ayant ri aux éclats, tourne-toi vers moi et dis-moi une parole amicale. Je suis Rhinthon de Syracuse, chétif rossignol des Muses, mais des bouffonneries tragiques nous avons cueilli notre lierre personnel. J'ai ployé sous le poids accablant de la lyre, Et j'ai pleuré jadis des vers sans lendemain: Murmure une parole amicale, et d'un rire Réjouis mon silence, et passe ton chemin. Moi, qui fus un chétif rossignol des Piérides, J'ai chanté le printemps au lumineux retour; La lune me baigna de ses remous limpides, J'ai vécu fervemment mes bleus minuits d'amour. Je vis blondir Phoibé radieusement nue. . . Aujourd'hui je sommeille au pied des aloès Et des rudes cactus: et mon ombre inconnue Erre dans la forêt muette de l'Hadès. J'allumai pour l'hymen la torche qui flamboie, Mes pampres ont orné le glorieux autel. . . Un peu de cendre obscure. . . et pourtant de ma joie Tragique je cueillis mon lierre personnel. . . A Héra. Déesse vénérable, toi qui souvent descendant du haut du ciel, contemples le sanctuaire parfumé de Lacinium, reçois le vêtement du lin le plus fin que, avec son illustre fille Nossis tissa pour toi Theuphilis, fille de Kléocha. Bienheureuse Héra, la Très-Belle et l'Auguste, Qui daignes contempler de tes regards puissants Le glorieux naos que parfumes l'encens, Levant ton front d'ivoire où le béryl s'incruste, Accepte en souriant cette robe de lin Que les mains de Nossis tissèrent sous l'acanthe, Nossis aux beaux sourcils, dont les cheveux d'amante S'empourprent à l'égal du couchant et du vin. Sur L'Image De Sabaithis. Elle est reconnaissable même d'ici. Voyez de Sabaithis c'est l'image par le corps et l'âme magnanime. Regarde cette sérénité; je crois voir aussi sa douceur. Réjouis-toi beaucoup, femme heureuse. Ceux qui ne l'ont point vue admirent Sabaithis. Lointaine, on la contemple en sa beauté présente: Voici ses bras de rose et ses yeux de lapis Et ses cheveux dorés que la brise tourmente. Passant, arrête-toi devant ce frais regard Que la claire sagesse anime de sa flamme, Et dans ces traits, plus doux que le miel et le nard, Reconnais la splendeur visible de son âme. Garde la douce paix sur ton front, et souris En ta double splendeur de vierge et d'amoureuse, Immortelle au milieu des rosiers défleuris. . . Salut à ton triomphe, ô femme bienheureuse! Sur Le Réseau De Samytha. Il a paru qu'Aphrodite avait reçu avec joie, en offrande ce réseau de cheveux de Samytha. car il est ingénieusement travaillé, et a une douce odeur de nectar, de ce (nectar) dont elle oint aussi le bel Adonis. Dans l'ombre, d'où l'autel paré de flamme émerge L'offrande a réjoui la blanche Aphrodita: Ce réseau, parfumé des cheveux d'une vierge, Ce réseau qui ceignit le front de Samytha. Le filet, savamment tissé par ses compagnes, A l'odeur du nectar que tu versas jadis, O Déesse! en l'azur des célestes montagnes, Sur le corps puéril et souple d'Adonis. Comme le mélilot et l'iris de la berge, Ce filet réjouis la claire Aphrodita, Car il est parfumé des cheveux d'une vierge, Car il ceignit le front doré de Samytha. Sur Une Image D'Aphrodita. Kallo, ayant dessiné une image sur cette planche, l'a offerte à la demeure de la blonde Aphrodita, que cette image représente. Combien elle est doucement figurée! Vois comme y fleurit la grâce. Réjouis-toi: car elle n'a aucun reproche dans sa vie. La Déesse a jaillit des mains de la mortelle, Ressuscitant son rire immortellement clair, Plus blanche que l'écume et les embruns, et telle Que la virent jadis le soleil et la mer. . . La Déesse a jailli des mains de la mortelle. Car ainsi la voulut et la rêva Kallo, Qui jadis vit monter jusqu'à son apogée Hespéros, et plus tard, dans un tremblant halo, Le char de Sélanna descendre vers l'Egée; La Déesse a fleuri le songe de Kallo. Les patientes mains qui pétrirent l'argile Achevèrent enfin leur labeur triomphal. Tu t'échappas, Kupris, dont l'haleine distille L'ambre artificiel et le miel végétal, Des patientes mains qui pétrirent l'argile. La statue a surgi de l'ivoire et de l'or. . . Et frissonnants, autour de ta forme divine, Les passereaux, de l'aube ont pris leur prompt essor. L'Aphrodita, debout et chryséléphantine, Illumine les flots gris de ses cheveux d'or. Et les regards levés sur la Déesse nue, La vierge est morte, ayant accompli son désir, Car les penseurs brûlés de la fièvre inconnue Qui réclament le songe impossible à saisir, Meurent, les yeux levés sur la Déesse nue. CeMoi, la Kitharède de Locres. . . (????) . . . une femme de Locres. . . enfanta d'autres (chants) pareils. . . CeMoi, la Kitharède de Locres (????) Dont la voix triompha, Dans le jour de safrans et d'ocres Qui trace son alpha, Et dans le couchant d'écarlate Où l'âme des oeillets éclate En véhémences d'aromate, Je suis chère à Psappha. La Prêtresse unique et multiple Vint hier me choisir Pour amoureuse et pour disciple D'angoisse et de plaisir, En me disant: « Vers les soirs tièdes, Chante à la façon des Aèdes La compagne que tu possèdes Et qui fut ton désir. « Dors sur le sein de ta maîtresse, Comme moi près d'Atthis, Lorsque la Nuit aux yeux bleus tresse Ses couronnes d'iris. . . » Par les tremblantes accalmies, Ma voix aux craintes raffermies Reprend les beaux choeurs des Amies, Et mon nom est Nossis. O Lesbos. . . . . . chère aux Muses et à elle aussi. . . O Lesbos, je suis chère à Psappha l'Immortelle. Elle entend, dans l'Hadès, mes fugaces accords Et la vierge de mon désir lui semble belle. Elle sourit parmi le nuage des Morts, Quand je viens, attisant les tièdes cassolettes, Cueillir ses violettes. Je t'ai cherchée, ô fleur des Kharites! ô toi Qu'on désire à travers les formes adorées, Dans le mélos ployé sous une exacte loi Et dans les flots sereins d'une mer sans marées, Dans le rêve des gris oliviers, dans le chant Funèbre du couchant. Je n'ai point écouté les faiseurs de mensonges Dont le souffle a terni la clarté de ton nom: Je suis venue avec mes parfums et mes songes, En répandant le lait de la libation, Et je t'ai dit: « Voici les roses que je tresse, Et voici ma jeunesse. » Seule dans mon orgueil d'amour, j'ai méprisé Les silences amers, les rires et les blâmes, Et, pieuse disciple, à ton autel brisé, J'ai rallumé l'ardeur expirante des flammes: J'ai tissé le fenouil, la rose et le cerfeuil En guirlandes de deuil. N'as-tu point dit, jadis, devant les cieux d'opale, Caressant Eranna courbée à tes genoux, Et mêlant tes cheveux noirs à ses cheveux pâles: « Quelqu'un, dans l'avenir, se souviendra de nous. Les Muses, à qui plaît la voix des amoureuses, Nous firent glorieuses. » Mon Nom Est Nossis. Que mon salut te suive au-delà de la mer Et des couchant de pourpre, ô femme qui navigues Vers Mytilène aux murs vivants comme une chair, Vers la Rive couchée en ses roses prodigues, Qui recueille les noms jeunes et le printemps. Des hymnes consentants. Eranna de Télos s'attarde dans la ligne Féminine de la crique, sa brève voix Chante plaintivement le petit chant du cygne. Parfois, ressuscitant les baisers d'autrefois, Elle erre, les cheveux défaits, sous l'aile ombreuse De sa nuit d'amoureuse. Pars, Etrangère, annonce à l'ardente Sappho Qui jaillit des Temps bleus, unique Fleur des Grâces, Que, lente, j'ai tissé des strophes sans défaut Lorsque sur le métier retombaient mes mains lasses, Et dis, en apportant les couronnes d'iris, Que mon nom est Nossis. Praxilla. Adonis. J'abandonne à la vérité la lumière très belle du soleil, ensuite les astres brillants et le visage de la lune, et aussi les concombres de la saison et les pommes et les poires. Je quitte en gémissant la lumière très belle Du soleil, et la grotte où l'azur vient pleuvoir, Les prés où la cigale attend la sauterelle, Les pipeaux de l'aurore et les flûtes du soir. J'abandonne le rire attentif de la Lune, L'éloge de la foule et l'accueil des amis, Des vierges dénouant leur chevelure brune Dans le jardin nocturne aux parfums endormis. Les fils enchevêtrés des lueurs et des ombres Ne m'enlaceront plus de leurs tissus légers, L'ardeur des grappes et la fraîcheur des concombres Ne m'attireront plus vers les brillants vergers. Je ne cueillerai plus les pommes ni les poires, Je ne mirerai plus mes yeux noirs dans le flot Qui me taquine avec des appels illusoires, Je ne m'étendrai plus parmi le mélilot. . . Mais dites: « Praxilla ne meurt pas tout entière, Car ses chants font s'unir les lèvres et les mains, Et son âme s'attarde en un peu de poussière Sous les beaux oliviers qui bordent les chemins. » Poème D'Amour. O toi qui jettes un beau regard à travers les fenêtres, vierge par la tête, femme par en bas. . . O toi qui savamment jettes un beau regard, Bleu comme les minuits, à travers les fenêtres, Je te vis sur la route où j'errais au hasard Des parfums et de l'heure et des rires champêtres. Le soleil blondissait tes cheveux d'un long rai, Tes prunelles sur moi dardaient leur double flamme; Tu m'apparus, ô nymphe! et je considérai Ton visage de vierge et tes hanches de femme. Je te vis sur la route où j'errai au hasard Des ombres et de l'heure et des rires champêtres, O toi qui longuement jettes un beau regard, Bleu comme les minuits, à travers les fenêtres. Anyta De Tégée. Sur Une Offrande D'Echécratidas. Reste ici, homicide (lance) de bois de cornouiller, et ne répands plus le triste meurtre des ennemis autour de ton ongle d'airain: mais fixée dans la haute demeure en marbre de l'Athéna, dis la bravoure du Crétois Echécratidas. Quittant l'air troublé que laboure Le glaive aux éclairs froids, Redis au peuple la bravoure Du valeureux Crétois. Repose en paix, ô rouge lance! Evoque, dans la somnolence De ces murs au grave silence, Les combats d'autrefois. Dans l'ombre que l'encens parfume, Près de l'autel serein, Tu regrettes le sang qui fume, Et le choc souverain; Sur la plaine où le jour s'efface, Mélancoliquement tenace, Tu ne dresses plus la menace De son ongle d'airain. Ici, le soir fumeux attriste De son rire fané Le sanctuaire d'améthyste Et de jaspe veiné. Repose dans la ténèbre ample Et pacifique de ce temple, Où la vierge aux bras blancs contemple L'image d'Athéné. Anyta De Mytilène. A Pan aux cheveux hérissés et aux nymphes protectrices des bergeries, Theudotos, qui fait paître les brebis, offrit ce présent sous son lieu d'observation. C'est parce que, un jour qu'il était grandement fatigué par l'été desséchant, elles le reposèrent, lui ayant présenté dans leurs mains une eau douce comme le miel. D'invisibles pipeaux charment ma solitude. Le soir voit défleurir le mélilot des prés. O nymphes aux yeux verts, et toi, Pan au poil rude, Je vous offre ces fruits que l'automne a dorés. Lorsque j'ai convoité la fraîcheur des fontaines, Etendu sur la roche et las des longs chemins, Vous m'avez apporté l'eau des sources lointaines, O nymphes! dans le creux frissonnant de vos mains. Je n'ai plus redouté l'aridité des sables, Bouclier d'or où se double l'airain du ciel, Car j'ai bu longuement, dans vos mains pitoyables, L'eau claire qui me fut plus douce que le miel. Ici, dans le verger. . . Moi, Hermès, j'étais debout près du jardin ouvert aux vents, au croisement de trois chemins, près de la mer blanchissante, offrant aux hommes fatigués une halte dans leur route: et une source pure leur verse une eau fraîche. Ici, dans le verger où se croisent les vents, Près du sable blanchi par le sel et l'écume, J'accorde le repos, loin des étés fervents, Sur l'herbe aux frissons doux que le cerfeuil parfume. Nul vent ne fait trembler les beaux pommiers fleuris, La charmante langueur du mélilot s'exhale, Et, baignant l'aloès et le vert tamaris, La fontaine jaillit, riante et virginale. Moi, l'Hermès dont les yeux suivent les flots d'étain, Sur mon socle de pierre aux bords moussus, j'écoute Le chant de l'eau plus clair que le pipeau lointain, Et les pâtres lassés font halte dans leur route. Sur les rocs ont erré. . . Ce lieu est à Kupris, puisqu'il lui fut toujours cher de voir du continent la mer brillante, afin qu'elle puisse accorder une navigation heureuse aux matelots; et tout autour, la mer tremble, voyant la radieuse statue. Sur les rocs ont erré les pieds nus de Kupris. Elle aime à contempler, du haut de la falaise, Les ondes déployant leurs violets d'iris Dont l'immortel ennui s'exaspère et s'apaise. Sur les flots ont erré les pieds nus de Kupris. La vague a reconnu la voix de la Déesse Qui jaillit autrefois du délicat embrun, Blonde sous le jour blond que la tiédeur oppresse, Et respirant l'iode ainsi qu'un frais parfum. La vague a reconnu la voix de la Déesse. Son image a dompté le courroux de la mer. Elle accorde la paix et le soleil aux voiles, Et, souriant aux nefs de son visage clair, Elle fait resplendir les nuits belles d'étoiles. Son image a dompté le courroux de la mer. La vierge Philainis. . . . . . appelant l'âme chère de Philainis, qui avant le mariage, marcha vers l'onde verte du fleuve de l'Achéron. La vierge Philainis traversa les Eaux vertes De l'Achéron, sans voir les flambeaux de l'hymen, Et les lys sont tombés d'entre ses mains ouvertes. Sur la stèle de deuil pleure le cyclamen. Avant de voir brûler les flambeaux de l'hymen, La vierge Philainis traversa les Eaux vertes. Dans les prés où la lune efface le soleil, La vierge Philainis tresse les asphodèles. Perséphona, fermant les yeux noirs du sommeil, Rouit le lin parmi ses compagnes fidèles, Et parfois, en rêvant, cueille les asphodèles Dans les prés où la lune efface le soleil. Tu respires l'odeur. . . A. - Pourquoi, ô Pan agreste, assis près de la fontaine où vont les brebis, joues-tu de ce chalumeau harmonieux? B. - Afin que sur ces monts couverts de rosée les génisses paissent, broutant les épis à la belle chevelure A Tu respires l'odeur de l'herbe et de la terre, Et ta flûte s'exhale en des frisons légers. . . Pan rustique, pourquoi demeurer solitaire, Assis dans le bois sombre à l'écart des bergers? B Je taille les pipeaux où traîneront mes lèvres, Moi, dieu de l'hyacinthe et de l'épi barbu. . . Et mes simples chansons attireront les chèvres Vers l'ombre et la rosée où les Nymphes ont bu. Sur Un Dauphin. Jamais plus réjoui des ondes propres à la navigation, je ne lancerai mon cou, bondissant du fond de l'eau, ni je ne soufflerai avec force de mes belles lèvres le long des tolets du navire, charmé de mon torse. Mais la fraîcheur empourprée de la mer m'a poussé sur la terre ferme, et je gis sur ce rivage délicat. Le souffle de la mer, adouci par le soir, Ne réjouira plus mes lèvres et mes joues, Et je ne verrai plus, le long des belles proues, Mon image, comme en le métal d'un miroir. Je ne monterai plus des profondeurs marines, Je ne m'ébrouerai plus au soleil du matin, Je ne me plairai plus au sourire enfantin De l'aurore, jouant avec ses cornalines. O passant, j'ai quitté le transparent émail Des flots, où le vent pleure en d'étranges syllabes, Où grouille obscurément la détresse de crabes, A travers le soir gris que bleuit le corail. Car le bondissement des courants implacables M'a jeté sur la rive aux longs varechs flottants. voici la Mort au front paré d'algues, - j'attends, Hors d'haleine et couché sur le velours des sables. Moiro. Offrandes A L'Aphrodite. Sois placée sous le portique d'or de l'Aphrodita, ô grappe, pleine de la sève de Dionysos: ta mère, t'ayant fait naître sur le sarment aimable, ne produira plus sur ta tête sa feuille de nectar. O grappe, que l'ardeur des soirs ensanglanta De chauds reflets, repose en ta pourpre moiré Sous le portique d'or de la Maison sacrée Où, les yeux triomphants, règne l'Aphrodita. Tu bleuissais parmi les fauves chevelure Des Bacchantes, ô grappe à l'haleine de miel, Par les soirs opulents, où la terre et le ciel N'étaient plus qu'un verger bourdonnant de murmures. La vigne, qui berçait ton odorant sommeil, Ne te courbera plus sous l'étreinte des vrilles, Et tu n'offriras plus aux brunes jeunes filles Ta coupe où débordait la sève du soleil. Sur Les Nymphes De L'Anigros. Nymphes de l'Anigros, vierges du fleuve, qui, divines, foulez constamment ces profondeurs de vos pieds de rose, réjouissez-vous et soyez favorables à Kléonumos, qui vous éleva sous les pins, ô Déesses, ces belles statues de bois. Vierges de l'Anigros, nymphes aux pieds de rose, Vous, dont la forme ondoie au gré du flot changeant, Et qui faites briller les écailles d'argent Des lumineux poissons, nymphes aux pieds de rose, Venez, vous qui riez à travers les roseaux! Car, sous les pins taillés comme une vigne enclose, Votre image sculptée a réjoui les eaux. O nymphes qui riez à travers les roseaux! Charixéna. Tu goûtas l'amour sous l'érable Qu'un soir fana, O très antique, ô vénérable Charixéna. Ta flûte murmura ses peines, Et résonna Comme la brise dans les chênes, Charixéna. L'ombre, sur ton épaule nue Qui frissonna, Apportait la fièvre inconnue, Charixéna. Ta bouche de Musicienne S'abandonna Dans l'ardeur d'une nuit ancienne, Charixéna. Kléobulina. Quand, d'un geste, le soir fait taire La flûte et la syrinx, Tu sais embrumer de mystère Tes prunelles de lynx. Tandis que la ténèbre englobe Les plis fugitifs de ta robe, L'énigme prompte se dérobe Sur tes lèvres de sphinx. L'ombre fait vaciller la flamme De tes yeux d'un bleu noir. Ta voix où s'attendrit ton âme, Vague comme l'espoir, Et qui pactise avec la rude Et pitoyable solitude, Sait imiter l'incertitude De la mer et du soir. Source: http://www.poesies.net.